Marcel Proust
La Prisonnière -- [The Captive]
Edición bilingüe, français-espagnol, de Miguel Garci-Gomez
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CHAPITRE PREMIER
Vie en commun avec Albertine

CHAPTER ONE
LIFE WITH ALBERTINE

Dès le matin, la tête encore tournée contre le mur, et avant d′avoir vu, au-dessus des grands rideaux de la fenêtre, de quelle nuance était la raie du jour, je savais déjà le temps qu′il faisait. Les premiers bruits de la rue me l′avaient appris, selon qu′ils me parvenaient amortis et déviés par l′humidité ou vibrants comme des flèches dans l′aire résonnante et vide d′un matin spacieux, glacial et pur ; dès le roulement du premier tramway, j′avais entendu s′il était morfondu dans la pluie ou en partance pour l′azur. Et, peut-être, ces bruits avaient-ils été devancés eux-mêmes par quelque émanation dait une trplus rapide et plus pénétrante qui, glissée au travers de mon sommeil, y répanistesse annonciatrice de la neige, ou y faisait entonner, à certain petit personnage intermittent, de si nombreux cantiques à la gloire du soleil que ceux-ci finissaient par amener pour moi, qui encore endormi commençais à sourire, et dont les paupières closes se préparaient à être éblouies, un étourdissant réveil en musique. Ce fut, du reste, surtout de ma chambre que je perçus la vie extérieure pendant cette période. Je sais que Bloch raconta que, quand il venait me voir le soir, il entendait comme le bruit d′une conversation ; comme ma mère était à Combray et qu′il ne trouvait jamais personne dans ma chambre, il conclut que je parlais tout seul. Quand, beaucoup plus tard, il apprit qu′Albertine habitait alors avec moi, comprenant que je l′avais cachée à tout le monde, il déclara qu′il voyait enfin la raison pour laquelle, à cette époque de ma vie, je ne voulais jamais sortir. Il se trompa. Il était d′ailleurs fort excusable, car la réalité même, si elle est nécessaire, n′est pas complètement prévisible. Ceux qui apprennent sur la vie d′un autre quelque détail exact en tirent aussitôt des conséquences qui ne le sont pas et voient dans le fait nouvellement découvert l′explication de choses qui précisément n′ont aucun rapport avec lui. At daybreak, my face still turned to the wall, and before I had seen above the big inner curtains what tone the first streaks of light assumed, I could already tell what sort of day it was. The first sounds from the street had told me, according to whether they came to my ears dulled and distorted by the moisture of the atmosphere or quivering like arrows in the resonant and empty area of a spacious, crisply frozen, pure morning; as soon as I heard the rumble of the first tramcar, I could tell whether it was sodden with rain or setting forth into the blue. And perhaps these sounds had themselves been forestalled by some swifter and more pervasive emanation which, stealing into my slumber, diffused in it a melancholy that seemed to presage snow, or gave utterance (through the lips of a little person who occasionally reappeared there) to so many hymns to the glory of the sun that, having first of all begun to smile in my sleep, having prepared my eyes, behind their shut lids, to be dazzled, I awoke finally amid deafening strains of music. It was, moreover, principally from my bedroom that I took in the life of the outer world during this period. I know that Bloch reported that, when he called to see me in the evenings, he could hear the sound of conversation; as my mother was at Combray and he never found anybody in my room, he concluded that I was talking to myself. When, much later, he learned that Albertine had been staying with me at the time, and realised that I had concealed her presence from all my friends, he declared that he saw at last the reason why, during that episode in my life, I had always refused to go out of doors. He was wrong. His mistake was, however, quite pardonable, for the truth, even if it is inevitable, is not always conceivable as a whole. People who learn some accurate detail of another person′s life at once deduce consequences which are not accurate, and see in the newly discovered fact an explanation of things that have no connexion with it whatsoever.
Quand je pense maintenant que mon amie était venue, à notre retour de Balbec, habiter à Paris sous le même toit que moi, qu′elle avait renoncé à l′idée d′aller faire une croisière, qu′elle avait sa chambre à vingt pas de la mienne, au bout du couloir, dans le cabinet à tapisseries de mon père, et que chaque soir, fort tard, avant de me quitter, elle glissait dans ma bouche sa langue, comme un pain quotidien, comme un aliment nourrissant et ayant le caractère presque sacré de toute chair à qui les souffrances que nous avons endurées à cause d′elle ont fini par conférer une sorte de douceur morale, ce que j′évoque aussitôt par comparaison, ce n′est pas la nuit que le capitaine de Borodino me permit de passer au quartier, par une faveur qui ne guérissait en somme qu′un malaise éphémère, mais celle où mon père envoya maman dormir dans le petit lit à côté du mien. Tant la vie, si elle doit une fois de plus nous délivrer d′une souffrance qui paraissait inévitable, le fait dans des conditions différentes, opposées parfois jusqu′au point qu′il y a presque sacrilège apparent à constater l′identité de la grâce octroyée ! When I reflect now that my mistress had come, on our return from Balbec, to live in Paris under the same roof as myself, that she had abandoned the idea of going on a cruise, that she was installed in a bedroom within twenty paces of my own, at the end of the corridor, in my father′s tapestried study, and that late every night, before leaving me, she used to slide her tongue between my lips like a portion of daily bread, a nourishing food that had the almost sacred character of all flesh upon which the sufferings that we have endured on its account have come in time to confer a sort of spiritual grace, what I at once call to mind in comparison is not the night that Captain de Borodino allowed me to spend in barracks, a favour which cured what was after all only a passing distemper, but the night on which my father sent Mamma to sleep in the little bed by the side of my own. So it is that life, if it is once again to deliver us from an anguish that has seemed inevitable, does so in conditions that are different, so diametrically opposed at times that it is almost an open sacrilege to assert the identity of the grace bestowed upon us.
Quand Albertine savait par Françoise que, dans la nuit de ma chambre aux rideaux encore fermés, je ne dormais pas, elle ne se gênait pas pour faire un peu de bruit, en se baignant, dans son cabinet de toilette. Alors, souvent, au lieu d′attendre une heure plus tardive, j′allais dans une salle de bains contiguë à la sienne et qui était agréable. Jadis, un directeur de théâtre dépensait des centaines de mille francs pour consteller de vraies émeraudes le trône où la diva jouait un rôle d′impératrice. Les ballets russes nous ont appris que de simples jeux de lumières prodiguent, dirigés là où il faut, des joyaux aussi somptueux et plus variés. Cette décoration, déjà plus immatérielle, n′est pas si gracieuse pourtant que celle par quoi, à huit heures du matin, le soleil remplace celle que nous avions l′habitude d′y voir quand nous ne nous levions qu′à midi. Les fenêtres de nos deux salles de bains, pour qu′on ne pût nous voir du dehors, n′étaient pas lisses, mais toutes froncées d′un givre artificiel et démodé. Le soleil tout à coup jaunissait cette mousseline de verre, la dorait et, découvrant doucement en moi un jeune homme plus ancien, qu′avait caché longtemps l′habitude, me grisait de souvenirs, comme si j′eusse été en pleine nature devant des feuillages dorés où ne manquait même pas la présence d′un oiseau. Car j′entendais Albertine siffler sans trêve : When Albertine had heard from Françoise that, in the darkness of my still curtained room, I was not asleep, she had no scruple about making a noise as she took her bath, in her own dressing-room. Then, frequently, instead of waiting until later in the day, I would repair to a bathroom adjoining hers, which had a certain charm of its own. Time was, when a stage manager would spend hundreds of thousands of francs to begem with real emeralds the throne upon which a great actress would play the part of an empress. The Russian ballet has taught us that simple arrangements of light will create, if trained upon the right spot, jewels as gorgeous and more varied. This decoration, itself immaterial, is not so graceful, however, as that which, at eight o′clock in the morning, the sun substitutes for what we were accustomed to see when we did not arise before noon. The windows of our respective bathrooms, so that their occupants might not be visible from without, were not of clear glass but clouded with an artificial and old — fashioned kind of frost. All of a sudden, the sun would colour this drapery of glass, gild it, and discovering in myself an earlier young man whom habit had long concealed, would intoxicate me with memories, as though I were out in the open country gazing at a hedge of golden leaves in which even a bird was not lacking. For I could hear Albertine ceaselessly humming:
Les douleurs sont des folles,
Et qui les écoute est encor plus fou.
For melancholy is but folly,
And he who heeds it is a fool.
Je l′aimais trop pour ne pas joyeusement sourire de son mauvais goût musical. Cette chanson, du reste, avait ravi, l′été passé, Mme Bontemps, laquelle entendit dire bientôt que c′était une ineptie, de sorte que, au lieu de demander à Albertine de la chanter, quand elle avait du monde, elle y substitua I loved her so well that I could spare a joyous smile for her bad taste in music. This song had, as it happened, during the past summer, delighted Mme. Bontemps, who presently heard people say that it was silly, with the result that, instead of asking Albertine to sing it, when she had a party, she would substitute:
Une chanson d′adieu sort des sources troublées,
qui devint à son tour « une vieille rengaine de Massenet, dont la petite nous rebat les oreilles ».
A song of farewell rises from troubled springs,
which in its turn became ‘an old jingle of Massenet′s, the child is always dinning into our ears.′
Une nuée passait, elle éclipsait le soleil, je voyais s′éteindre et rentrer dans une grisaille le pudique et feuillu rideau de verre. A cloud passed, blotting out the sun; I saw extinguished and replaced by a grey monochrome the modest, screening foliage of the glass.
Les cloisons qui séparaient nos deux cabinets de toilette (celui d′Albertine, tout pareil, était une salle de bains que maman, en ayant une autre dans la partie opposée de l′appartement, n′avait jamais utilisée pour ne pas me faire de bruit) étaient si minces que nous pouvions parler tout en nous lavant chacun dans le nôtre, poursuivant une causerie qu′interrompait seulement le bruit de l′eau, dans cette intimité que permet souvent à l′hôtel l′exiguïté du logement et le rapprochement des pièces, mais qui, à Paris, est si rare. The partition that divided our two dressing-rooms (Albertine′s, identical with my own, was a bathroom which Mamma, who had another at the other end of the flat, had never used for fear of disturbing my rest) was so slender that we could talk to each other as we washed in double privacy, carrying on a conversation that was interrupted only by the sound of the water, in that intimacy which, in hotels, is so often permitted by the smallness and proximity of the rooms, but which, in private houses in Paris, is so rare.
D′autres fois, je restais couché, rêvant aussi longtemps que je le voulais, car on avait ordre de ne jamais entrer dans ma chambre avant que j′eusse sonné, ce qui, à cause de la façon incommode dont avait été posée la poire électrique au-dessus de mon lit, demandait si longtemps, que, souvent, las de chercher à l′atteindre et content d′être seul, je restais quelques instants presque rendormi. Ce n′est pas que je fusse absolument indifférent au séjour d′Albertine chez nous. Sa séparation d′avec ses amies réussissait à épargner à mon cœur de nouvelles souffrances. Elle le maintenait dans un repos, dans une quasi-immobilité qui l′aideraient à guérir. Mais, enfin, ce calme que me procurait mon amie était apaisement de la souffrance plutôt que joie. Non pas qu′il ne me permît d′en goûter de nombreuses, auxquelles la douleur trop vive m′avait fermé, mais ces joies, loin de les devoir à Albertine, que d′ailleurs je ne trouvais plus guère jolie et avec laquelle je m′ennuyais, que j′avais la sensation nette de ne pas aimer, je les goûtais au contraire pendant qu′Albertine n′était pas auprès de moi. Aussi, pour commencer la matinée, je ne la faisais pas tout de suite appeler, surtout s′il faisait beau. Pendant quelques instants, et sachant qu′il me rendait plus heureux qu′Albertine, je restais en tête à tête avec le petit personnage intérieur, salueur chantant du soleil et dont j′ai déjà parlé. De ceux qui composent notre individu, ce ne sont pas les plus apparents qui nous sont le plus essentiels. En moi, quand la maladie aura fini de les jeter l′un après l′autre par terre, il en restera encore deux ou trois qui auront la vie plus dure que les autres, notamment un certain philosophe qui n′est heureux que quand il a découvert, entre deux œuvres, entre deux sensations, une partie commune. Mais le dernier de tous, je me suis quelquefois demandé si ce ne serait pas le petit bonhomme fort semblable à un autre que l′opticien de Combray avait placé derrière sa vitrine pour indiquer le temps qu′il faisait et qui, ôtant son capuchon dès qu′il y avait du soleil, le remettait s′il allait pleuvoir. Ce petit bonhomme-là, je connais son égoî²­e : je peux souffrir d′une crise d′étouffements que la venue seule de la pluie calmerait, lui ne s′en soucie pas, et aux premières gouttes si impatiemment attendues, perdant sa gaîté, il rabat son capuchon avec mauvaise humeur. En revanche, je crois bien qu′à mon agonie, quand tous mes autres « moi » seront morts, s′il vient à briller un rayon de soleil tandis que je pousserai mes derniers soupirs, le petit personnage barométrique se sentira bien aise, et ôtera son capuchon pour chanter : « Ah ! enfin, il fait beau. » On other mornings, I would remain in bed, drowsing for as long as I chose, for orders had been given that no one was to enter my room until I had rung the bell, an act which, owing to the awkward position in which the electric bulb had been hung above my bed, took such a time that often, tired of feeling for it and glad to be left alone, I would lie back for some moments and almost fall asleep again. It was not that I was wholly indifferent to Albertine′s presence in the house. Her separation from her girl friends had the effect of sparing my heart any fresh anguish. She kept it in a state of repose, in a semi-immobility which would help it to recover. But after all, this calm which my mistress was procuring for me was a release from suffering rather than a positive joy. Not that it did not permit me to taste many joys, from which too keen a grief had debarred me, but these joys, so far from my owing them to Albertine, in whom for that matter I could no longer see any beauty and who was beginning to bore me, with whom I was now clearly conscious that I was not in love, I tasted on the contrary when Albertine was not with me. And so, to begin the morning, I did not send for her at once, especially if it was a fine day. For some moments, knowing that he would make me happier than Albertine, I remained closeted with the little person inside me, hymning the rising sun, of whom I have already spoken. Of those elements which compose our personality, it is not the most obvious that are most essential. In myself, when ill health has succeeded in uprooting them one after another, there will still remain two or three, endowed with a hardier constitution than the rest, notably a certain philosopher who is happy only when he has discovered in two works of art, in two sensations, a common element. But the last of all, I have sometimes asked myself whether it would not be this little mannikin, very similar to another whom the optician at Combray used to set up in his shop window to forecast the weather, and who, doffing his hood when the sun shone, would put it on again if it was going to rain. This little mannikin, I know his egoism; I may be suffering from a choking fit which the mere threat of rain would calm; he pays no heed, and, at the first drops so impatiently awaited, losing his gaiety, sullenly pulls down his hood. Conversely, I dare say that in my last agony, when all my other ‘selves′ are dead, if a ray of sunshine steals into the room, while I am drawing my last breath, the little fellow of the barometer will feel a great relief, and will throw back his hood to sing: “Ah! Fine weather at last!”
Je sonnais Françoise. J′ouvrais le Figaro. J′y cherchais et constatais que ne s′y trouvait pas un article, ou prétendu tel, que j′avais envoyé à ce journal et qui n′était, un peu arrangée, que la page récemment retrouvée, écrite autrefois dans la voiture du docteur Percepied, en regardant les clochers de Martainville. Puis, je lisais la lettre de maman. Elle trouvait bizarre, choquant, qu′une jeune fille habitât seule avec moi. Le premier jour, au moment de quitter Balbec, quand elle m′avait vu si malheureux et s′était inquiétée de me laisser seul, peut-être ma mère avait-elle été heureuse en apprenant qu′Albertine partait avec nous et en voyant que, côte à côte avec nos propres malles (les malles auprès desquelles j′avais passé la nuit à l′Hôtel de Balbec en pleurant), on avait chargé sur le tortillard celles d′Albertine, étroites et noires, qui m′avaient paru avoir la forme de cercueils et dont j′ignorais si elles allaient apporter à la maison la vie ou la mort. Mais je ne me l′étais même pas demandé, étant tout à la joie, dans le matin rayonnant, après l′effroi de rester à Balbec, d′emmener Albertine. Mais, à ce projet, si au début ma mère n′avait pas été hostile (parlant gentiment à mon amie comme une maman dont le fils vient d′être gravement blessé, et qui est reconnaissante à la jeune maîtresse qui le soigne avec dévouement), elle l′était devenue depuis qu′il s′était trop complètement réalisé et que le séjour de la jeune fille se prolongeait chez nous, et chez nous en l′absence de mes parents. Cette hostilité, je ne peux pourtant pas dire que ma mère me la manifestât jamais. Comme autrefois, quand elle avait cessé d′oser me reprocher ma nervosité, ma paresse, maintenant elle se faisait un scrupule — que je n′ai peut-être pas tout à fait deviné au moment, ou pas voulu deviner — de risquer, en faisant quelques réserves sur la jeune fille avec laquelle je lui avais dit que j′allais me fiancer, d′assombrir ma vie, de me rendre plus tard moins dévoué pour ma femme, de semer peut-être, pour quand elle-même ne serait plus, le remords de l′avoir peinée en épousant Albertine. Maman préférait paraître approuver un choix sur lequel elle avait le sentiment qu′elle ne pourrait pas me faire revenir. Mais tous ceux qui l′ont vue à cette époque m′ont dit qu′à sa douleur d′avoir perdu sa mère s′ajoutait un air de perpétuelle préoccupation. Cette contention d′esprit, cette discussion intérieure, donnait à maman une grande chaleur aux tempes et elle ouvrait constamment les fenêtres pour se rafraîchir. Mais, de décision, elle n′arrivait pas à en prendre de peur de « m′influencer » dans un mauvais sens et de gâter ce qu′elle croyait mon bonheur. Elle ne pouvait même pas se résoudre à m′empêcher de garder provisoirement Albertine à la maison. Elle ne voulait pas se montrer plus sévère que Mme Bontemps que cela regardait avant tout et qui ne trouvait pas cela inconvenant, ce qui surprenait beaucoup ma mère. En tous cas, elle regrettait d′avoir été obligée de nous laisser tous les deux seuls, en partant juste à ce moment pour Combray, où elle pouvait avoir à rester (et en fait resta) de longs mois, pendant lesquels ma grand′tante eut sans cesse besoin d′elle jour et nuit. Tout, là-bas, lui fut rendu facile, grâce à la bonté, au dévouement de Legrandin qui, ne reculant devant aucune peine, ajourna de semaine en semaine son retour à Paris, sans connaître beaucoup ma tante, simplement d′abord parce qu′elle avait été une amie de sa mère, puis parce qu′il sentit que la malade, condamnée, aimait ses soins et ne pouvait se passer de lui. Le snobisme est une maladie grave de l′âme, mais localisée et qui ne la gâte pas tout entière. Moi, cependant, au contraire de maman, j′étais fort heureux de son déplacement à Combray, sans lequel j′eusse craint (ne pouvant pas dire à Albertine de la cacher) qu′elle ne découvrît son amitié pour Mlle Vinteuil. C′eût été pour ma mère un obstacle absolu, non seulement à un mariage dont elle m′avait d′ailleurs demandé de ne pas parler encore définitivement à mon amie et dont l′idée m′était de plus en plus intolérable, mais même à ce que celle-ci passât quelque temps à la maison. Sauf une raison si grave et qu′elle ne connaissait pas, maman, par le double effet de l′imitation édifiante et libératrice de ma grand′mère, admiratrice de George Sand, et qui faisait consister la vertu dans la noblesse du cœur, et, d′autre part, de ma propre influence corruptrice, était maintenant indulgente à des femmes pour la conduite de qui elle se fût montrée sévère autrefois, ou même aujourd′hui, si elles avaient été de ses amies bourgeoises de Paris ou de Combray, mais dont je lui vantais la grande âme et auxquelles elle pardonnait beaucoup parce qu′elles m′aimaient bien. Malgré tout et même en dehors de la question des convenances, je crois qu′Albertine eût été insupportable à maman, qui avait gardé de Combray, de ma tante Léonie, de toutes ses parentes, des habitudes d′ordre dont mon amie n′avait pas la première notion. I rang for Françoise. I opened the Figaro. I scanned its columns and made sure that it did not contain an article, or so-called article, which I had sent to the editor, and which was no more than a slightly revised version of the page that had recently come to light, written long ago in Dr. Percepied′s carriage, as I gazed at the spires of Martinville. Then I read Mamma′s letter. She felt it to be odd, in fact shocking, that a girl should be staying in the house alone with me. On the first day, at the moment of leaving Balbec, when she saw how wretched I was, and was distressed by the prospect of leaving me by myself, my mother had perhaps been glad when she heard that Albertine was travelling with us, and saw that, side by side with our own boxes (those boxes among which I had passed a night in tears in the Balbec hotel), there had been hoisted into the ‘Twister′ Albertine′s boxes also, narrow and black, which had seemed to me to have the appearance of coffins, and as to which I knew not whether they were bringing to my house life or death. But I had never even asked myself the question, being all overjoyed, in the radiant morning, after the fear of having to remain at Balbec, that I was taking Albertine with me. But to this proposal, if at the start my mother had not been hostile (speaking kindly to my friend like a mother whose son has been seriously wounded and who is grateful to the young mistress who is nursing him with loving care), she had acquired hostility now that it had been too completely realised, and the girl was prolonging her sojourn in our house, and moreover in the absence of my parents. I cannot, however, say that my mother ever made this hostility apparent. As in the past, when she had ceased to dare to reproach me with my nervous instability, my laziness, now she felt a hesitation — which I perhaps did not altogether perceive at the moment or refused to perceive — to run the risk, by offering any criticism of the girl to whom I had told her that I intended to make an offer of marriage, of bringing a shadow into my life, making me in time to come less devoted to my wife, of sowing perhaps for a season when she herself would no longer be there, the seeds of remorse at having grieved her by marrying Albertine. Mamma preferred to seem to be approving a choice which she felt herself powerless to make me reconsider. But people who came in contact with her at this time have since told me that in addition to her grief at having lost her mother she had an air of constant preoccupation. This mental strife, this inward debate, had the effect of overheating my mother′s brow, and she was always opening the windows to let in the fresh air. But she did not succeed in coming to any decision, for fear of influencing me in the wrong direction and so spoiling what she believed to be my happiness. She could not even bring herself to forbid me to keep Albertine for the time being in our house. She did not wish to appear more strict than Mme. Bontemps, who was the person principally concerned, and who saw no harm in the arrangement, which greatly surprised my mother. All the same, she regretted that she had been obliged to leave us together, by departing at that very time for Combray where she might have to remain (and did in fact remain) for months on end, during which my great-aunt required her incessant attention by day and night. Everything was made easy for her down there, thanks to the kindness, the devotion of Legrandin who, gladly undertaking any trouble that was required, kept putting off his return to Paris from week to week, not that he knew my aunt at all well, but simply, first of all, because she had been his mother′s friend, and also because he knew that the invalid, condemned to die, valued his attentions and could not get on without him. Snobbishness is a serious malady of the spirit, but one that is localised and does not taint it as a whole. I, on the other hand, unlike Mamma, was extremely glad of her absence at Combray, but for which I should have been afraid (being unable to warn Albertine not to mention it) of her learning of the girl′s friendship with Mlle. Vinteuil. This would have been to my mother an insurmountable obstacle, not merely to a marriage as to which she had, for that matter, begged me to say nothing definite as yet to Albertine, and the thought of which was becoming more and more intolerable to myself, but even to the latter′s being allowed to stay for any length of time in the house. Apart from so grave a reason, which in this case did not apply, Mamma, under the dual influence of my grandmother′s liberating and edifying example, according to whom, in her admiration of George Sand, virtue consisted in nobility of heart, and of my own corruption, was now indulgent towards women whose conduct she would have condemned in the past, or even now, had they been any of her own middle-class friends in Paris or at Combray, but whose lofty natures I extolled to her and to whom she pardoned much because of their affection for myself. But when all is said, and apart from any question of propriety, I doubt whether Albertine could have put up with Mamma who had acquired from Combray, from my aunt Léonie, from all her kindred, habits of punctuality and order of which my mistress had not the remotest conception.
Elle n′aurait pas fermé une porte et, en revanche, ne se serait pas plus gênée d′entrer quand une porte était ouverte que ne fait un chien ou un chat. Son charme, un peu incommode, était ainsi d′être à la maison moins comme une jeune fille que comme une bête domestique, qui entre dans une pièce, qui en sort, qui se trouve partout où on ne s′y attend pas et qui venait — c′était pour moi un repos profond — se jeter sur mon lit à côté de moi, s′y faire une place d′où elle ne bougeait plus, sans gêner comme l′eût fait une personne. Pourtant, elle finit par se plier à mes heures de sommeil, à ne pas essayer non seulement d′entrer dans ma chambre, mais à ne plus faire de bruit avant que j′eusse sonné. C′est Françoise qui lui imposa ces règles. She would never think of shutting a door and, on the other hand, would no more hesitate to enter a room if the door stood open than would a dog or a cat. Her somewhat disturbing charm was, in fact, that of taking the place in the household not so much of a girl as of a domestic animal which comes into a room, goes out, is to be found wherever one does not expect to find it and (in her case) would — bringing me a profound sense of repose — come and lie down on my bed by my side, make a place for herself from which she never stirred, without being in my way as a person would have been. She ended, however, by conforming to my hours of sleep, and not only never attempted to enter my room but would take care not to make a sound until I had rung my bell. It was Françoise who impressed these rules of conduct upon her.
Elle était de ces domestiques de Combray sachant la valeur de leur maître et que le moins qu′elles peuvent est de lui faire rendre entièrement ce qu′elles jugent qui lui est dû. Quand un visiteur étranger donnait un pourboire à Françoise à partager avec la fille de cuisine, le donateur n′avait pas le temps d′avoir remis sa pièce que Françoise, avec une rapidité, une discrétion et une énergie égales, avait passé la leçon à la fille de cuisine qui venait remercier non pas à demi-mot, mais franchement, hautement, comme Françoise lui avait dit qu′il fallait le faire. Le curé de Combray n′était pas un génie, mais, lui aussi, savait ce qui se devait. Sous sa direction, la fille de cousins protestants de Mme Sazerat s′était convertie au catholicisme et la famille avait été parfaite pour lui : il fut question d′un mariage avec un noble de Méséglise. Les parents du jeune homme écrivirent, pour prendre des informations, une lettre assez dédaigneuse et où l′origine protestante était méprisée. Le curé de Combray répondit d′un tel ton que le noble de Méséglise, courbé et prosterné, écrivit une lettre bien différente, où il sollicitait comme la plus précieuse faveur de s′unir à la jeune fille. She was one of those Combray servants, conscious of their master′s place in the world, and that the least that they can do is to see that he is treated with all the respect to which they consider him entitled. When a stranger on leaving after a visit gave Françoise a gratuity to be shared with the kitchenmaid, he had barely slipped his coin into her hand before Françoise, with an equal display of speed, discretion and energy, had passed the word to the kitchenmaid who came forward to thank him, not in a whisper, but openly and aloud, as Françoise had told her that she must do. The parish priest of Combray was no genius, but he also knew what was due him. Under his instruction, the daughter of some Protestant cousins of Mme. Sazerat had been received into the Church, and her family had been most grateful to him: it was a question of her marriage to a young nobleman of Méséglise. The young man′s relatives wrote to inquire about her in a somewhat arrogant letter, in which they expressed their dislike of her Protestant origin. The Combray priest replied in such a tone that the Méséglise nobleman, crushed and prostrate, wrote a very different letter in which he begged as the most precious favour the award of the girl′s hand in marriage.
Françoise n′eut pas de mérite à faire respecter mon sommeil par Albertine. Elle était imbue de la tradition. À un silence qu′elle garda, ou à la réponse péremptoire qu′elle fit à une proposition d′entrer chez moi ou de me faire demander quelque chose, qu′avait dû innocemment formuler Albertine, celle-ci comprit avec stupeur qu′elle se trouvait dans un monde étrange, aux coutumes inconnues, réglé par des lois de vivre qu′on ne pouvait songer à enfreindre. Elle avait déjà eu un premier pressentiment de cela à Balbec, mais, à Paris, n′essaya même pas de résister et attendit patiemment chaque matin mon coup de sonnette pour oser faire du bruit. Françoise deserved no special credit for making Albertine respect my slumbers. She was imbued with tradition. From her studied silence, or the peremptory response that she made to a proposal to enter my room, or to send in some message to me, which Albertine had expressed in all innocence, the latter realised with astonishment that she was now living in an alien world, where strange customs prevailed, governed by rules of conduct which one must never dream of infringing. She had already had a foreboding of this at Balbec, but, in Paris, made no attempt to resist, and would wait patiently every morning for the sound of my bell before venturing to make any noise.
L′éducation que lui donna Françoise fut salutaire, d′ailleurs, à notre vieille servante elle-même, en calmant peu à peu les gémissements que, depuis le retour de Balbec, elle ne cessait de pousser. Car, au moment de monter dans le tram, elle s′était aperçue qu′elle avait oublié de dire adieu à la « gouvernante » de l′Hôtel, personne moustachue qui surveillait les étages, connaissait à peine Françoise, mais avait été relativement polie pour elle. Françoise voulait absolument faire retour en arrière, descendre du tram, revenir à l′Hôtel, faire ses adieux à la gouvernante et ne partir que le lendemain. La sagesse, et surtout mon horreur subite de Balbec, m′empêchèrent de lui accorder cette grâce, mais elle en avait contracté une mauvaise humeur maladive et fiévreuse que le changement d′air n′avait pas suffi à faire disparaître et qui se prolongeait à Paris. Car, selon le code de Françoise, tel qu′il est illustré dans les bas-reliefs de Saint-André-des-Champs, souhaiter la mort d′un ennemi, la lui donner même n′est pas défendu, mais il est horrible de ne pas faire ce qui se doit, de ne pas rendre une politesse, de ne pas faire ses adieux avant de partir, comme une vraie malotrue, à une gouvernante d′étage. Pendant tout le voyage, le souvenir, à chaque moment renouvelé, qu′elle n′avait pas pris congé de cette femme avait fait monter aux joues de Françoise un vermillon qui pouvait effrayer. Et si elle refusa de boire et de manger jusqu′à Paris, c′est peut-être parce que ce souvenir lui mettait un « poids » réel « sur l′estomac » (chaque classe sociale a sa pathologie) plus encore que pour nous punir. The training that Françoise gave her was of value also to our old servant herself, for it gradually stilled the lamentations which, ever since our return from Balbec, she had not ceased to utter. For, just as we were boarding the tram, she remembered that she had forgotten to say good-bye to the housekeeper of the Hotel, a whiskered dame who looked after the bedroom floors, barely knew Françoise by sight, but had been comparatively civil to her. Françoise positively insisted upon getting out of the tram, going back to the Hotel, saying good-bye properly to the housekeeper, and not leaving for Paris until the following day. Common sense, coupled with my sudden horror of Balbec, restrained me from granting her this concession, but my refusal had infected her with a feverish distemper which the change of air had not sufficed to cure and which lingered on in Paris. For, according to Françoise′s code, as it is illustrated in the carvings of Saint-André-des-Champs, to wish for the death of an enemy, even to inflict it is not forbidden, but it is a horrible sin not to do what is expected of you, not to return a civility, to refrain, like a regular churl, from saying good-bye to the housekeeper before leaving a hotel. Throughout the journey, the continually recurring memory of her not having taken leave of this woman had dyed Françoise′s cheeks with a scarlet flush that was quite alarming. And if she refused to taste bite or sup until we reached Paris, it was perhaps because this memory heaped a ‘regular load′ upon her stomach (every class of society has a pathology of its own) even more than with the intention of punishing us.
Parmi les causes qui faisaient que maman m′envoyait tous les jours une lettre, et une lettre d′où n′était jamais absente quelque citation de Mme de Sévigné, il y avait le souvenir de ma grand′mère. Maman m′écrivait : « Mme Sazerat nous a donné un de ces petits déjeuners dont elle a le secret et qui, comme eût dit ta pauvre grand′mère, en citant Mme de Sévigné, nous enlèvent à la solitude sans nous apporter la société. » Dans mes premières réponses, j′eus la bêtise d′écrire à maman : « À ces citations, ta mère te reconnaîtrait tout de suite. » Ce qui me valut, trois jours après, ce mot : « Mon pauvre fils, si c′était pour me parler de ma mère tu invoques bien mal à propos Mme de Sévigné. Elle t′aurait répondu comme elle fit à Mme de Grignan : « Elle ne vous était donc rien ? Je vous croyais parents. » Among the reasons which led Mamma to write me a daily letter, and a letter which never failed to include some quotation from Mme. de Sévigné, there was the memory of my grandmother. Mamma would write to me: “Mme. Sazerat gave us one of those little luncheons of which she possesses the secret and which, as your poor grandmother would have said, quoting Mme. de Sévigné, deprive us of solitude without affording us company.” In one of my own earlier letters I was so inept as to write to Mamma: “By those quotations, your mother would recognise you at once.” Which brought me, three days later, the reproof: “My poor boy, if it was only to speak to me of my mother, your reference to Mme. de Sévigné was most inappropriate. She would have answered you as she answered Mme. de Grignan: ‘So she was nothing to you? I had supposed that you were related.′”
Cependant, j′entendais les pas de mon amie qui sortait de sa chambre ou y rentrait. Je sonnais, car c′était l′heure où Andrée allait venir avec le chauffeur, ami de Morel et fourni par les Verdurin, chercher Albertine. J′avais parlé à celle-ci de la possibilité lointaine de nous marier ; mais je ne l′avais jamais fait formellement ; elle-même, par discrétion, quand j′avais dit : « Je ne sais pas, mais ce serait peut-être possible », avait secoué la tête avec un mélancolique sourire disant : « Mais non, ce ne le serait pas », ce qui signifiait : « Je suis trop pauvre. » Et alors, tout en disant : « Rien n′est moins sûr », quand il s′agissait de projets d′avenir, présentement je faisais tout pour la distraire, lui rendre la vie agréable, cherchant peut-être aussi, inconsciemment, à lui faire par là désirer de m′épouser. Elle riait elle-même de tout ce luxe. « C′est la mère d′Andrée qui en ferait une tête de me voir devenue une dame riche comme elle, ce qu′elle appelle une dame qui a « chevaux, voitures, tableaux ». Comment ? Je ne vous avais jamais raconté qu′elle disait cela ? Oh ! c′est un type ! Ce qui m′étonne, c′est qu′elle élève les tableaux à la dignité des chevaux et des voitures. » On verra plus tard que, malgré les habitudes de parler stupides qui lui étaient restées, Albertine s′était étonnamment développée, ce qui m′était entièrement égal, les supériorités d′esprit d′une compagne m′ayant toujours si peu intéressé que, si je les ai fait remarquer à l′une ou à l′autre, cela a été par pure politesse. Seul peut-être le curieux génie de Françoise m′eût peut-être plu. Malgré moi je souriais pendant quelques instants, quand, par exemple, ayant profité de ce qu′elle avait appris qu′Albertine n′était pas là, elle m′abordait par ces mots : « Divinité du ciel déposée sur un lit ! » Je disais : « Mais, voyons, Françoise, pourquoi « divinité du ciel » ? — Oh, si vous croyez que vous avez quelque chose de ceux qui voyagent sur notre vile terre, vous vous trompez bien ! — Mais pourquoi « déposée » sur un lit ? vous voyez bien que je suis couché. — Vous n′êtes jamais couché. A-t-on jamais vu personne couché ainsi ? Vous êtes venu vous poser là. Votre pyjama, en ce moment, tout blanc, avec vos mouvements de cou, vous donne l′air d′une colombe. » By this time, I could hear my mistress leaving or returning to her room. I rang the bell, for it was time now for Andrée to arrive with the chauffeur, Morel′s friend, lent me by the Verdurins, to take Albertine out. I had spoken to the last-named of the remote possibility of our marriage; but I had never made her any formal promise; she herself, from discretion, when I said to her: “I can′t tell, but it might perhaps be possible,” had shaken her head with a melancholy sigh, as much as to say: “Oh, no, never,” in other words: “I am too poor.” And so, while I continued to say: “It is quite indefinite,” when speaking of future projects, at the moment I was doing everything in my power to amuse her, to make life pleasant to her, with perhaps the unconscious design of thereby making her wish to marry me. She herself laughed at my lavish generosity. “Andrée′s mother would be in a fine state if she saw me turn into a rich lady like herself, what she calls a lady who has her own ‘horses, carriages, pictures.′ What? Did I never tell you that she says that. Oh, she′s a character! What surprises me is that she seems to think pictures just as important as horses and carriages.” We shall see in due course that, notwithstanding the foolish ways of speaking that she had not outgrown, Albertine had developed to an astonishing extent, which left me unmoved, the intellectual superiority of a woman friend having always interested me so little that if I have ever complimented any of my friends upon her own, it was purely out of politeness. Alone, the curious genius of Céleste might perhaps appeal to me. In spite of myself, I would continue to smile for some moments, when, for instance, having discovered that Françoise was not in my room, she accosted me with: “Heavenly deity reclining on a bed!” “But why, Céleste,” I would say, “why deity?” “Oh, if you suppose that you have anything in common with the mortals who make their pilgrimage on our vile earth, you are greatly mistaken!” “But why ‘reclining′ on a bed, can′t you see that I′m lying in bed?” “You never lie. Who ever saw anybody lie like that? You have just alighted there. With your white pyjamas, and the way you twist your neck, you look for all the world like a dove.”
Albertine, même dans l′ordre des choses bêtes, s′exprimait tout autrement que la petite fille qu′elle était il y avait seulement quelques années à Balbec. Elle allait jusqu′à déclarer, à propos d′un événement politique qu′elle blâmait : « Je trouve ça formidable. » Et je ne sais si ce ne fut vers ce temps-là qu′elle apprit à dire, pour signifier qu′elle trouvait un livre mal écrit : « C′est intéressant, mais, par exemple, c′est écrit comme par un cochon. » Albertine, even in the discussion of the most trivial matters, expressed herself very differently from the little girl that she had been only a few years earlier at Balbec. She went so far as to declare, with regard to a political incident of which she disapproved: “I consider that ominous.” And I am not sure that it was not about this time that she learned to say, when she meant that she felt a book to be written in a bad style: “It is interesting, but really, it might have been written by a pig.”
La défense d′entrer chez moi avant que j′eusse sonné l′amusait beaucoup. Comme elle avait pris notre habitude familiale des citations et utilisait pour elle celles des pièces qu′elle avait jouées au couvent et que je lui avais dit aimer, elle me comparait toujours à Assuérus : The rule that she must not enter my room until I had rung amused her greatly. As she had adopted our family habit of quotation, and in following it drew upon the plays in which she had acted at her convent and for which I had expressed admiration, she always compared me to Assuérus:
Et la mort est le prix de tout audacieux
Qui sans être appelé se présente à ses yeux.
• • • • • • • • • • • • • • • • • • •
Rien ne met à l′abri de cet ordre fatal,
Ni le rang, ni le sexe ; et le crime est égal.
Moi-mêmeÂ…
Je suis à cette loi comme une autre soumise :
Et sans le prévenir il faut pour lui parler
Qu′il me cherche ou du moins qu′il me fasse appeler.
And death is the reward of whoso dares
To venture in his presence unawares. . . .

None is exempt; nor is there any whom
Or rank or sex can save from such a doom;
Even I myself . . .
Like all the rest, I by this law am bound;
And, to address him, I must first be found
By him, or he must call me to his side.
Physiquement, elle avait changé aussi. Ses longs yeux bleus — plus allongés — n′avaient pas gardé la même forme ; ils avaient bien la même couleur, mais semblaient être passés à l′état liquide. Si bien que, quand elle les fermait, c′était comme quand avec des rideaux on empêche de voir la mer. C′est sans doute de cette partie d′elle-même que je me souvenais surtout, chaque nuit en la quittant. Car, par exemple, tout au contraire, chaque matin le crespelage de ses cheveux me causa longtemps la même surprise, comme une chose nouvelle que je n′aurais jamais vue. Et pourtant, au-dessus du regard souriant d′une jeune fille, qu′y a-t-il de plus beau que cette couronne bouclée de violettes noires ? Le sourire propose plus d′amitié ; mais les petits crochets vernis des cheveux en fleurs, plus parents de la chair, dont ils semblent la transposition en vaguelettes, attrapent davantage le désir. Physically, too, she had altered. Her blue, almond-shaped eyes, grown longer, had not kept their form; they were indeed of the same colour, but seemed to have passed into a liquid state. So much so that, when she shut them it was as though a pair of curtains had been drawn to shut out a view of the sea. It was no doubt this one of her features that I remembered most vividly each night after we had parted. For, on the contrary, every morning the ripple of her hair continued to give me the same surprise, as though it were some novelty that I had never seen before. And yet, above the smiling eyes of a girl, what could be more beautiful than that clustering coronet of black violets? The smile offers greater friendship; but the little gleaming tips of blossoming hair, more akin to the flesh, of which they seem to be a transposition into tiny waves, are more provocative of desire.
À peine entrée dans ma chambre, elle sautait sur le lit et quelquefois définissait mon genre d′intelligence, jurait dans un transport sincère qu′elle aimerait mieux mourir que de me quitter : c′était les jours où je m′étais rasé avant de la faire venir. Elle était de ces femmes qui ne savent pas démêler la raison de ce qu′elles ressentent. Le plaisir que leur cause un teint frais, elles l′expliquent par les qualités morales de celui qui leur semble pour leur avenir présenter une possibilité de bonheur, capable du reste de décroître et de devenir moins nécessaire au fur et à mesure qu′on laisse pousser sa barbe. As soon as she entered my room, she sprang upon my bed and sometimes would expatiate upon my type of intellect, would vow in a transport of sincerity that she would sooner die than leave me: this was on mornings when I had shaved before sending for her. She was one of those women who can never distinguish the cause of their sensations. The pleasure that they derive from a smooth cheek they explain to themselves by the moral qualities of the man who seems to offer them a possibility of future happiness, which is capable, however, of diminishing and becoming less necessary the longer he refrains from shaving.
Je lui demandais où elle comptait aller. I inquired where she was thinking of going.
— Je crois qu′Andrée veut me mener aux Buttes-Chaumont que je ne connais pas. “I believe Andrée wants to take me to the Buttes-Chaumont; I have never been there.”
Certes, il m′était impossible de deviner, entre tant d′autres paroles, si sous celle-là un mensonge était caché. D′ailleurs j′avais confiance en Andrée pour me dire tous les endroits où elle allait avec Albertine. Of course it was impossible for me to discern among so many other words whether beneath these a falsehood lay concealed. Besides, I could trust Andrée to tell me of all the places that she visited with Albertine.
À Balbec, quand je m′étais senti trop las d′Albertine, j′avais compté dire mensongèrement à Andrée : « Ma petite Andrée, si seulement je vous avais revue plus tôt ! C′était vous que j′aurais aimée. Mais, maintenant, mon cœur est fixé ailleurs. Tout de même, nous pouvons nous voir beaucoup, car mon amour pour une autre me cause de grands chagrins et vous m′aiderez à me consoler. » Or, ces mêmes paroles de mensonge étaient devenues vérité à trois semaines de distance. Peut-être Andrée avait-elle cru à Paris que c′était en effet un mensonge et que je l′aimais, comme elle l′aurait sans doute cru à Balbec. Car la vérité change tellement pour nous, que les autres ont peine à s′y reconnaître. Et comme je savais qu′elle me raconterait tout ce qu′elles auraient fait, Albertine et elle, je lui avais demandé et elle avait accepté de venir la chercher presque chaque jour. Ainsi, je pourrais, sans souci, rester chez moi. At Balbec, when I felt that I was utterly tired of Albertine, I had made up my mind to say, untruthfully, to Andrée: “My little Andrée, if only I had met you again sooner! It is you that I would have loved. But now my heart is pledged in another quarter. All the same, we can see a great deal of each other, for my love for another is causing me great anxiety, and you will help me to find consolation.” And lo, these identical lying words had become true within the space of three weeks. Perhaps, Andrée had believed in Paris that it was indeed a lie and that I was in love with her, as she would doubtless have believed at Balbec. For the truth is so variable for each of us, that other people have difficulty in recognising themselves in it. And as I knew that she would tell me everything that she and Albertine had done, I had asked her, and she had agreed to come and call for Albertine almost every day. In this way I might without anxiety remain at home.
Et ce prestige d′Andrée d′être une des filles de la petite bande me donnait confiance qu′elle obtiendrait tout ce que je voudrais d′Albertine. Vraiment, j′aurais pu lui dire maintenant en toute vérité qu′elle serait capable de me tranquilliser. Also, Andrée′s privileged position as one of the girls of the little band gave me confidence that she would obtain everything that I might require from Albertine. Truly, I could have said to her now in all sincerity that she would be capable of setting my mind at rest.
D′autre part, mon choix d′Andrée (laquelle se trouvait être à Paris, ayant renoncé à son projet de revenir à Balbec) comme guide de mon amie avait tenu à ce qu′Albertine me raconta de l′affection que son amie avait eue pour moi à Balbec, à un moment au contraire où je craignais de l′ennuyer, et si je l′avais su alors, c′est peut-être Andrée que j′eusse aimée. At the same time, my choice of Andrée (who happened to be staying in Paris, having given up her plan of returning to Balbec) as guide and companion to my mistress was prompted by what Albertine had told me of the affection that her friend had felt for me at Balbec, at a time when, on the contrary, I had supposed that I was boring her; indeed, if I had known this at the time, it is perhaps with Andrée that I would have fallen in love.
— Comment, vous ne le saviez pas ? me dit Albertine, nous en plaisantions pourtant entre nous. Du reste, vous n′avez pas remarqué qu′elle s′était mise à prendre vos manières de parler, de raisonner ? Surtout quand elle venait de vous quitter, c′était frappant. Elle n′avait pas besoin de nous dire si elle vous avait vu. Quand elle arrivait, si elle venait d′auprès de vous, cela se voyait à la première seconde. Nous nous regardions entre nous et nous riions. Elle était comme un charbonnier qui voudrait faire croire qu′il n′est pas charbonnier. Il est tout noir. Un meunier n′a pas besoin de dire qu′il est meunier, on voit bien toute la farine qu′il a sur lui ; il y a encore la place des sacs qu′il a portés. Andrée, c′était la même chose, elle tournait ses sourcils comme vous, et puis son grand cou, enfin je ne peux pas vous dire. Quand je prends un livre qui a été dans votre chambre, je peux le lire dehors, on sait tout de même qu′il vient de chez vous parce qu′il garde quelque chose de vos sales fumigations. C′est un rien, mais c′est un rien, au fond, qui est assez gentil. Chaque fois que quelqu′un avait parlé de vous gentiment, avait eu l′air de faire grand cas de vous, Andrée était dans le ravissement. “What, you never knew,” said Albertine, “but we were always joking about it. Do you mean to say you never noticed how she used to copy all your ways of talking and arguing? When she had just been with you, it was too obvious. She had no need to tell us whether she had seen you. As soon as she joined us, we could tell at once. We used to look at one another, and laugh. She was like a coalheaver who tries to pretend that he isn′t one. He is black all over. A miller has no need to say that he is a miller, you can see the flour all over his clothes; and the mark of the sacks he has carried on his shoulder. Andrée was just the same, she would knit her eyebrows the way you do, and stretch out her long neck, and I don′t know what all. When I take up a book that has been in your room, even if I′m reading it out of doors, I can tell at once that it belongs to you because it still reeks of your beastly fumigations. It′s only a trifle, still it′s rather a nice trifle, don′t you know. Whenever anybody spoke nicely about you, seemed to think a lot of you, Andrée was in ecstasies.”
Malgré tout, pour éviter qu′il y eût quelque chose de préparé à mon insu, je conseillais d′abandonner pour ce jour-là les Buttes-Chaumont et d′aller plutôt à Saint-Cloud ou ailleurs. Notwithstanding all this, in case there might have been some secret plan made behind my back, I advised her to give up the Buttes-Chaumont for that day and to go instead to Saint-Cloud or somewhere else.
Ce n′est pas certes, je le savais, que j′aimasse Albertine le moins du monde. L′amour n′est peut-être que la propagation de ces remous qui, à la suite d′une émotion, émeuvent l′âme. Certains avaient remué mon âme tout entière quand Albertine m′avait parlé, à Balbec, de Mlle Vinteuil, mais ils étaient maintenant arrêtés. Je n′aimais plus Albertine, car il ne me restait plus rien de la souffrance, guérie maintenant, que j′avais eue dans le tram, à Balbec, en apprenant quelle avait été l′adolescence d′Albertine, avec des visites peut-être à Montjouvain. Tout cela, j′y avais trop longtemps pensé, c′était guéri. Mais, par instants, certaines manières de parler d′Albertine me faisaient supposer — je ne sais pourquoi — qu′elle avait dû recevoir dans sa vie encore si courte beaucoup de compliments, de déclarations et les recevoir avec plaisir, autant dire avec sensualité. Ainsi, elle disait, à propos de n′importe quoi : « C′est vrai ? C′est bien vrai ? » Certes, si elle avait dit comme une Odette : « C′est bien vrai ce gros mensonge-là ? » je ne m′en fusse pas inquiété, car le ridicule de la formule se fût expliqué par une stupide banalité d′esprit de femme. Mais son air interrogateur : « C′est vrai ? » donnait, d′une part, l′étrange impression d′une créature qui ne peut se rendre compte des choses par elle-même, qui en appelle à votre témoignage, comme si elle ne possédait pas les mêmes facultés que vous (on lui disait : « Voilà une heure que nous sommes partis », ou « Il pleut », elle demandait : « C′est vrai ? »). Malheureusement, d′autre part, ce manque de facilité à se rendre compte par soi-même des phénomènes extérieurs ne devait pas être la véritable origine de « C′est vrai ? C′est bien vrai ? » Il semblait plutôt que ces mots eussent été, dès sa nubilité précoce, des réponses à des : « Vous savez que je n′ai jamais trouvé une personne aussi jolie que vous » ; « Vous savez que j′ai un grand amour pour vous, que je suis dans un état d′excitation terrible ». Affirmations auxquelles répondaient, avec une modestie coquettement consentante, ces « C′est vrai ? C′est bien vrai ? », lesquels ne servaient plus à Albertine avec moi qu′à répondre par une question à une affirmation telle que : « Vous avez sommeillé plus d′une heure. — C′est vrai ? » It was certainly not, as I was well aware, because I was the least bit in love with Albertine. Love is nothing more perhaps than the stimulation of those eddies which, in the wake of an emotion, stir the soul. Certain such eddies had indeed stirred my soul through and through when Albertine spoke to me at Balbec about Mlle. Vinteuil, but these were now stilled. I was no longer in love with Albertine, for I no longer felt anything of the suffering, now healed, which I had felt in the tram at Balbec, upon learning how Albertine had spent her girlhood, with visits perhaps to Montjouvain. All this, I had too long taken for granted, was healed. But, now and again, certain expressions used by Albertine made me suppose — why, I cannot say — that she must in the course of her life, short as it had been, have received declarations of affection, and have received them with pleasure, that is to say with sensuality. Thus, she would say, in any connexion: “Is that true? Is it really true?” Certainly, if she had said, like an Odette: “Is it really true, that thumping lie?” I should not have been disturbed, for the absurdity of the formula would have explained itself as a stupid inanity of feminine wit. But her questioning air: “Is that true?” gave on the one hand the strange impression of a creature incapable of judging things by herself, who appeals to you for your testimony, as though she were not endowed with the same faculties as yourself (if you said to her: “Why, we′ve been out for a whole hour,” or “It is raining,” she would ask: “Is that true?”). Unfortunately, on the other hand, this want of facility in judging external phenomena for herself could not be the real origin of her “Is that true? Is it really true?” It seemed rather that these words had been, from the dawn of her precocious adolescence, replies to: “You know, I never saw anybody as pretty as you.” “You know I am madly in love with you, I am most terribly excited.”— affirmations that were answered, with a coquettishly consenting modesty, by these repetitions of: “Is that true? Is it really true?” which no longer served Albertine, when in my company, save to reply by a question to some such affirmation as: “You have been asleep for more than an hour.” “Is that true?”
Sans me sentir le moins du monde amoureux d′Albertine, sans faire figurer au nombre des plaisirs les moments que nous passions ensemble, j′étais resté préoccupé de l′emploi de son temps ; certes, j′avais fui Balbec pour être certain qu′elle ne pourrait plus voir telle ou telle personne avec laquelle j′avais tellement peur qu′elle ne fît le mal en riant, peut-être en riant de moi, que j′avais adroitement tenté de rompre d′un seul coup, par mon départ, toutes ses mauvaises relations. Et Albertine avait une telle force de passivité, une si grande faculté d′oublier et de se soumettre, que ces relations avaient été brisées en effet et la phobie qui me hantait guérie. Mais elle peut revêtir autant de formes que le mal incertain qui est son objet. Tant que ma jalousie ne s′était pas réincarnée en des êtres nouveaux, j′avais eu après mes souffrances passées un intervalle de calme. Mais à une maladie chronique le moindre prétexte sert pour renaître, comme, d′ailleurs, au vice de l′être qui est cause de cette jalousie, la moindre occasion peut servir pour s′exercer à nouveau (après une trêve de chasteté) avec des êtres différents. J′avais pu séparer Albertine de ses complices et, par là, exorciser mes hallucinations ; si on pouvait lui faire oublier les personnes, rendre brefs ses attachements, son goût du plaisir était, lui aussi, chronique, et n′attendait peut-être qu′une occasion pour se donner cours. Or, Paris en fournit autant que Balbec. Without feeling that I was the least bit in the world in love with Albertine, without including in the list of my pleasures the moments that we spent together, I was still preoccupied with the way in which she disposed of her time; had I not, indeed, fled from Balbec in order to make certain that she could no longer meet this or that person with whom I was so afraid of her misbehaving, simply as a joke (a joke at my expense, perhaps), that I had adroitly planned to sever, at one and the same time, by my departure, all her dangerous entanglements? And Albertine was so entirely passive, had so complete a faculty of forgetting things and submitting to pressure, that these relations had indeed been severed and I myself relieved of my haunting dread. But that dread is capable of assuming as many forms as the undefined evil that is its cause. So long as my jealousy was not reincarnate in fresh people, I had enjoyed after the passing of my anguish an interval of calm. But with a chronic malady, the slightest pretext serves to revive it, as also with the vice of the person who is the cause of our jealousy the slightest opportunity may serve her to practise it anew (after a lull of chastity) with different people. I had managed to separate Albertine from her accomplices, and, by so doing, to exorcise my hallucinations; even if it was possible to make her forget people, to cut short her attachments, her sensual inclination was, itself also, chronic and was perhaps only waiting for an opportunity to afford itself an outlet. Now Paris provided just as many opportunities as Balbec.
Dans quelque ville que ce fût, elle n′avait pas besoin de chercher, car le mal n′était pas en Albertine seule, mais en d′autres pour qui toute occasion de plaisir est bonne. Un regard de l′une, aussitôt compris de l′autre, rapproche les deux affamées. Et il est facile à une femme adroite d′avoir l′air de ne pas voir, puis cinq minutes après d′aller vers la personne qui a compris et l′a attendue dans une rue de traverse, et, en deux mots, de donner un rendez-vous. Qui saura jamais ? Et il était si simple à Albertine de me dire, afin que cela continuât, qu′elle désirait revoir tel environ de Paris qui lui avait plu. Aussi suffisait-il qu′elle rentrât trop tard, que sa promenade eût duré un temps inexplicable, quoique peut-être très facile à expliquer sans faire intervenir aucune raison sensuelle, pour que mon mal renaquît, attaché cette fois à des représentations qui n′étaient pas de Balbec, et que je m′efforcerais, ainsi que les précédentes, de détruire, comme si la destruction d′une cause éphémère pouvait entraîner celle d′un mal congénital. Je ne me rendais pas compte que, dans ces destructions où j′avais pour complice, en Albertine, sa faculté de changer, son pouvoir d′oublier, presque de haî°¬ l′objet récent de son amour, je causais quelquefois une douleur profonde à tel ou tel de ces êtres inconnus avec qui elle avait pris successivement du plaisir, et que cette douleur, je la causais vainement, car ils seraient délaissés, remplacés, et parallèlement au chemin jalonné par tant d′abandons qu′elle commettrait à la légère, s′en poursuivrait pour moi un autre impitoyable, à peine interrompu de bien courts répits ; de sorte que ma souffrance ne pouvait, si j′avais réfléchi, finir qu′avec Albertine ou qu′avec moi. Même, les premiers temps de notre arrivée à Paris, insatisfait des renseignements qu′Andrée et le chauffeur m′avaient donnés sur les promenades qu′ils faisaient avec mon amie, j′avais senti les environs de Paris aussi cruels que ceux de Balbec, et j′étais parti quelques jours en voyage avec Albertine. Mais partout l′incertitude de ce qu′elle faisait était la même ; les possibilités que ce fût le mal aussi nombreuses, la surveillance encore plus difficile, si bien que j′étais revenu avec elle à Paris. En réalité, en quittant Balbec, j′avais cru quitter Gomorrhe, en arracher Albertine ; hélas ! Gomorrhe était dispersé aux quatre coins du monde. Et moitié par ma jalousie, moitié par ignorance de ces joies (cas qui est fort rare), j′avais réglé à mon insu cette partie de cache-cache où Albertine m′échapperait toujours. In any town whatsoever, she had no need to seek, for the evil existed not in Albertine alone, but in others to whom any opportunity for enjoyment is good. A glance from one, understood at once by the other, brings the two famished souls in contact. And it is easy for a clever woman to appear not to have seen, then five minutes later to join the person who has read her glance and is waiting for her in a side street, and, in a few words, to make an appointment. Who will ever know? And it was so simple for Albertine to tell me, in order that she might continue these practices, that she was anxious to see again some place on the outskirts of Paris that she had liked. And so it was enough that she should return later than usual, that her expedition should have taken an unaccountable time, although it was perfectly easy perhaps to account for it without introducing any sensual reason, for my malady to break out afresh, attached this time to mental pictures which were not of Balbec, and which I would set to work, as with their predecessors, to destroy, as though the destruction of an ephemeral cause could put an end to a congenital malady. I did not take into account the fact that in these acts of destruction, in which I had as an accomplice, in Albertine, her faculty of changing, her ability to forget, almost to hate the recent object of her love, I was sometimes causing a profound grief to one or other of those persons unknown with whom in turn she had taken her pleasure, and that this grief I was causing them in vain, for they would be abandoned, replaced, and, parallel to the path strewn with all the derelicts of her light-hearted infidelities, there would open for me another, pitiless path broken only by an occasional brief respite; so that my suffering could end only with Albertine′s life or with my own. Even in the first days after our return to Paris, not satisfied by the information that Andrée and the chauffeur had given me as to their expeditions with my mistress, I had felt the neighbourhood of Paris to be as tormenting as that of Balbec, and had gone off for a few days in the country with Albertine. But everywhere my uncertainty as to what she might be doing was the same; the possibility that it was something wrong as abundant, vigilance even more difficult, with the result that I returned with her to Paris. In leaving Balbec, I had imagined that I was leaving Gomorrah, plucking Albertine from it; in reality, alas, Gomorrah was dispersed to all the ends of the earth. And partly out of jealousy, partly out of ignorance of such joys (a case which is rare indeed), I had arranged unawares this game of hide and seek in which Albertine was always to escape me.
Je l′interrogeais à brûle-pourpoint : « Ah ! à propos, Albertine, est-ce que je rêve, est-ce que vous ne m′aviez pas dit que vous connaissiez Gilberte Swann ? — Oui, c′est-à-dire qu′elle m′a parlé au cours, parce qu′elle avait les cahiers d′histoire de France ; elle a même été très gentille, elle me les a prêtés et je les lui ai rendus aussitôt que je l′ai vue. — Est-ce qu′elle est du genre de femmes que je n′aime pas ? Oh ! pas du tout, tout le contraire. » Mais, plutôt que de me livrer à ce genre de causeries investigatrices, je consacrais souvent à imaginer la promenade d′Albertine les forces que je n′employais pas à la faire, et parlais à mon amie avec cette ardeur que gardent intacte les projets inexécutés. J′exprimais une telle envie d′aller revoir tel vitrail de la Sainte-Chapelle, un tel regret de ne pas pouvoir le faire avec elle seule, que tendrement elle me disait : « Mais, mon petit, puisque cela a l′air de vous plaire tant, faites un petit effort, venez avec nous. Nous attendrons aussi tard que vous voudrez, jusqu′à ce que vous soyez prêt. D′ailleurs si cela vous amuse plus d′être seul avec moi, je n′ai qu′à réexpédier Andrée chez elle, elle viendra une autre fois. » Mais ces prières mêmes de sortir ajoutaient au calme qui me permettait de rester à la maison. I questioned her point-blank: “Oh, by the way, Albertine, am I dreaming, or did you tell me that you knew Gilberte Swann?” “Yes; that is to say, she used to talk to me at our classes, because she had a set of the French history notes, in fact she was very nice about it, and let me borrow them, and I gave them back the next time I saw her.” “Is she the kind of woman that I object to?” “Oh, not at all, quite the opposite.” But, rather than indulge in this sort of criminal investigation, I would often devote to imagining Albertine′s excursion the energy that I did not employ in sharing it, and would speak to my mistress with that ardour which remains intact in our unfulfilled designs. I expressed so keen a longing to see once again some window in the Sainte-Chapelle, so keen a regret that I was not able to go there with her alone, that she said to me lovingly: “Why, my dear boy, since you seem so keen about it, make a little effort, come with us. We can start as late as you like, whenever you′re ready. And if you′d rather be alone with me, I have only to send Andrée home, she can come another time.” But these very entreaties to me to go out added to the calm which allowed me to yield to my desire to remain indoors.
Je ne songeais pas que l′apathie qu′il y avait à se décharger ainsi sur Andrée ou sur le chauffeur du soin de calmer mon agitation, en les laissant surveiller Albertine, ankylosait en moi, rendait inertes tous ces mouvements imaginatifs de l′intelligence, toutes ces inspirations de la volonté qui aident à deviner, à empêcher, ce que va faire une personne ; certes, par nature, le monde des possibles m′a toujours été plus ouvert que celui de la contingence réelle. Cela aide à connaître l′âme, mais on se laisse tromper par les individus. Ma jalousie naissait par des images, pour une souffrance, non d′après une probabilité. Or, il peut y avoir dans la vie des hommes et dans celle des peuples (et il devait y avoir dans la mienne) un jour où on a besoin d′avoir en soi un préfet de police, un diplomate à claires vues, un chef de la sûreté, qui, au lieu de rêver aux possibles que recèle l′étendue jusqu′aux quatre points cardinaux, raisonne juste, se dit : « Si l′Allemagne déclare ceci, c′est qu′elle veut faire telle autre chose ; non pas une autre chose dans le vague, mais bien précisément ceci ou cela, qui est même peut-être déjà commencé. » « Si telle personne s′est enfuie, ce n′est pas vers les buts a, b, d, mais vers le but c, et l′endroit où il faut opérer nos recherches est c. » Hélas, cette faculté, qui n′était pas très développée chez moi, je la laissais s′engourdir, perdre ses forces, disparaître, en m′habituant à être calme du moment que d′autres s′occupaient de surveiller pour moi. It did not occur to me that the apathy that was indicated by my delegating thus to Andrée or the chauffeur the task of soothing my agitation by leaving them to keep watch over Albertine, was paralysing in me, rendering inert all those imaginative impulses of the mind, all those inspirations of the will, which enable us to guess, to forestall, what some one else is about to do; indeed the world of possibilities has always been more open to me than that of real events. This helps us to understand the human heart, but we are apt to be taken in by individuals. My jealousy was born of mental images, a form of self torment not based upon probability. Now there may occur in the lives of men and of nations (and there was to occur, one day, in my own life) a moment when we need to have within us a superintendent of police, a clear-sighted diplomat, a master-detective, who instead of pondering over the concealed possibilities that extend to all the points of the compass, reasons accurately, says to himself: “If Germany announces this, it means that she intends to do something else, not just ‘something′ in the abstract but precisely this or that or the other, which she may perhaps have begun already to do.” “If So-and-So has fled, it is not in the direction a or b or d, but to the point c, and the place to which we must direct our search for him is c.” Alas, this faculty which was not highly developed in me, I allowed to grow slack, to lose its power, to vanish, by acquiring the habit of growing calm the moment that other people were engaged in keeping watch on my behalf.
Quant à la raison de ce désir de ne pas sortir, cela m′eût été désagréable de la dire à Albertine. Je lui disais que le médecin m′ordonnait de rester couché. Ce n′était pas vrai. Et cela l′eût-il été que ses prescriptions n′eussent pu m′empêcher d′accompagner mon amie. Je lui demandais la permission de ne pas venir avec elle et Andrée. Je ne dirai qu′une des raisons, qui était une raison de sagesse. Dès que je sortais avec Albertine, pour peu qu′un instant elle fût sans moi, j′étais inquiet : je me figurais que peut-être elle avait parlé à quelqu′un ou seulement regardé quelqu′un. Si elle n′était pas d′excellente humeur, je pensais que je lui faisais manquer ou remettre un projet. La réalité n′est jamais qu′une amorce à un inconnu sur la voie duquel nous ne pouvons aller bien loin. Il vaut mieux ne pas savoir, penser le moins possible, ne pas fournir à la jalousie le moindre détail concret. Malheureusement, à défaut de la vie extérieure, des incidents aussi sont amenés par la vie intérieure ; à défaut des promenades d′Albertine, les hasards rencontrés dans les réflexions que je faisais seul me fournissaient parfois de ces petits fragments de réel qui attirent à eux, à la façon d′un aimant, un peu d′inconnu qui, dès lors, devient douloureux. On a beau vivre sous l′équivalent d′une cloche pneumatique, les associations d′idées, les souvenirs continuent à jouer. Mais ces heurts internes ne se produisaient pas tout de suite ; à peine Albertine était-elle partie pour sa promenade que j′étais vivifié, fût-ce pour quelques instants, par les exaltantes vertus de la solitude. As for the reason for my reluctance to leave the house, I should not have liked to explain it to Albertine. I told her that the doctor had ordered me to stay in bed. This was not true. And if it had been true, his prescription would have been powerless to prevent me from accompanying my mistress. I asked her to excuse me from going out with herself and Andrée. I shall mention only one of my reasons, which was dictated by prudence. Whenever I went out with Albertine, if she left my side for a moment, I became anxious, began to imagine that she had spoken to, or simply cast a glance at somebody. If she was not in the best of tempers, I thought that I was causing her to miss or to postpone some appointment. Reality is never more than an allurement to an unknown element in quest of which we can never progress very far. It is better not to know, to think as little as possible, not to feed our jealousy with the slightest concrete detail. Unfortunately, even when we eliminate the outward life, incidents are created by the inward life also; though I held aloof from Albertine′s expeditions, the random course of my solitary reflexions furnished me at times with those tiny fragments of the truth which attract to themselves, like a magnet, an inkling of the unknown, which, from that moment, becomes painful. Even if we live in a hermetically sealed compartment, associations of ideas, memories continue to act upon us. But these internal shocks did not occur immediately; no sooner had Albertine started on her drive than I was revivified, were it only for a few moments, by the stimulating virtues of solitude.
Je prenais ma part des plaisirs de la journée commençante ; le désir arbitraire — la velléité capricieuse et purement mienne — de les goûter n′eût pas suffi à les mettre à portée de moi si le temps spécial qu′il faisait ne m′en avait, non pas seulement évoqué les images passées, mais affirmé la réalité actuelle, immédiatement accessible à tous les hommes qu′une circonstance contingente et par conséquent négligeable, ne forçait pas à rester chez eux. Certains beaux jours, il faisait si froid, on était en si large communication avec la rue qu′il semblait qu′on eût disjoint les murs de la maison, et chaque fois que passait le tramway, son timbre résonnait comme eût fait un couteau d′argent frappant une maison de verre. Mais c′était surtout en moi que j′entendais, avec ivresse, un son nouveau rendu par le violon intérieur. Ses cordes sont serrées ou détendues par de simples différences de la température, de la lumière extérieures. En notre être, instrument que l′uniformité de l′habitude a rendu silencieux, le chant naît de ces écarts, de ces variations, source de toute musique : le temps qu′il fait certains jours nous fait aussitôt passer d′une note à une autre. Nous retrouvons l′air oublié dont nous aurions pu deviner la nécessité mathématique et que pendant les premiers instants nous chantons sans le connaître. Seules ces modifications internes, bien que venues du dehors, renouvelaient pour moi le monde extérieur. Des portes de communication, depuis longtemps condamnées, se rouvraient dans mon cerveau. La vie de certaines villes, la gaîté de certaines promenades reprenaient en moi leur place. Frémissant tout entier autour de la corde vibrante, j′aurais sacrifié ma terne vie d′autrefois et ma vie à venir, passées à la gomme à effacer de l′habitude, pour cet état si particulier. I took my share of the pleasures of the new day; the arbitrary desire — the capricious and purely spontaneous inclination to taste them would not have sufficed to place them within my reach, had not the peculiar state of the weather not merely reminded me of their images in the past but affirmed their reality in the present, immediately accessible to all men whom a contingent and consequently negligible circumstance did not compel to remain at home. On certain fine days the weather was so cold, one was in such full communication with the street that it seemed as though a breach had been made in the outer walls of the house, and, whenever a tramcar passed, the sound of its bell throbbed like that of a silver knife striking a wall of glass. But it was most of all in myself that I heard, with intoxication, a new sound rendered by the hidden violin. Its strings are tightened or relaxed by mere changes of temperature, of light, in the world outside. In our person, an instrument which the uniformity of habit has rendered silent, song is born of these digressions, these variations, the source of all music: the change of climate on certain days makes us pass at once from one note to another. We recapture the forgotten air the mathematical inevitability of which we might have deduced, and which for the first few moments we sing without recognising it. By themselves these modifications (which, albeit coming from without, were internal) refashioned for me the world outside. Communicating doors, long barred, opened themselves in my brain. The life of certain towns, the gaiety of certain expeditions resumed their place in my consciousness. All athrob in harmony with the vibrating string, I would have sacrificed my dull life in the past, and all my life to come, erased with the india-rubber of habit, for one of these special, unique moments.
Si je n′étais pas allé accompagner Albertine dans sa longue course, mon esprit n′en vagabondait que davantage et, pour avoir refusé de goûter avec mes sens cette matinée-là, je jouissais en imagination de toutes les matinées pareilles, passées ou possibles, plus exactement d′un certain type de matinées dont toutes celles du même genre n′étaient que l′intermittente apparition et que j′avais vite reconnu ; car l′air vif tournait de lui-même les pages qu′il fallait, et je trouvais tout indiqué devant moi, pour que je pusse le suivre de mon lit, l′évangile du jour. Cette matinée idéale comblait mon esprit de réalité permanente, identique à toutes les matinées semblables, et me communiquait une allégresse que mon état de débilité ne diminuait pas : le bien-être résultant pour nous beaucoup moins de notre bonne santé que de l′excédent inemployé de nos forces, nous pouvons y atteindre, tout aussi bien qu′en augmentant celles-ci, en restreignant notre activité. Celle dont je débordais, et que je maintenais en puissance dans mon lit, me faisait tressauter, intérieurement bondir, comme une machine qui, empêchée de changer de place, tourne sur elle-même. If I had not gone out with Albertine on her long drive, my mind would stray all the farther afield, and, because I had refused to savour with my senses this particular morning, I enjoyed in imagination all the similar mornings, past or possible, or more precisely a certain type of morning of which all those of the same kind were but the intermittent apparition which I had at once recognised; for the keen air blew the book open of its own accord at the right page, and I found clearly set out before my eyes, so that I might follow it from my bed, the Gospel for the day. This ideal morning filled my mind full of a permanent reality, identical with all similar mornings, and infected me with a cheerfulness which my physical ill-health did not diminish: for, inasmuch as our sense of well-being is caused not so much by our sound health as by the unemployed surplus of our strength, we can attain to it, just as much as by increasing our strength, by diminishing our activity. The activity with which I was overflowing and which I kept constantly charged as I lay in bed, made me spring from side to side, with a leaping heart, like a machine which, prevented from moving in space, rotates on its own axis.
Françoise venait allumer le feu et pour le faire prendre y jetait quelques brindilles, dont l′odeur, oubliée pendant tout l′été, décrivait autour de la cheminée un cercle magique dans lequel, m′apercevant moi-même en train de lire tantôt à Combray, tantôt à Doncières, j′étais aussi joyeux, restant dans ma chambre à Paris, que si j′avais été sur le point de partir en promenade du côté de Méséglise, ou de retrouver Saint-Loup et ses amis faisant du service en campagne. Il arrive souvent que le plaisir qu′ont tous les hommes à revoir les souvenirs que leur mémoire a collectionnés est le plus vif, par exemple, chez ceux que la tyrannie du mal physique et l′espoir quotidien de sa guérison, d′une part, privent d′aller chercher dans la nature des tableaux qui ressemblent à ces souvenirs et, d′autre part, laissent assez confiants qu′ils le pourront bientôt faire, pour rester vis-à-vis d′eux en état de désir, d′appétit et ne pas les considérer seulement comme des souvenirs, comme des tableaux. Mais eussent-ils dû n′être jamais que cela pour moi et eussé-je pu, en me les rappelant, les revoir seulement, que soudain ils refaisaient en moi, de moi tout entier, par la vertu d′une sensation identique, l′enfant, l′adolescent qui les avait vus. Il n′y avait pas eu seulement changement de temps dehors, ou dans la chambre modification d′odeurs, mais en moi différence d′âge, substitution de personne. L′odeur, dans l′air glacé, des brindilles de bois, c′était comme un morceau du passé, une banquise invisible détachée d′un hiver ancien qui s′avançait dans ma chambre, souvent striée, d′ailleurs, par tel parfum, telle lueur, comme par des années différentes, où je me retrouvais replongé, envahi, avant même que je les eusse identifiées, par l′allégresse d′espoirs abandonnés depuis longtemps. Le soleil venait jusqu′à mon lit et traversait la cloison transparente de mon corps aminci, me chauffait, me rendait brûlant comme du cristal. Alors, convalescent affamé qui se repaît déjà de tous les mets qu′on lui refuse encore, je me demandais si me marier avec Albertine ne gâcherait pas ma vie, tant en me faisant assumer la tâche trop lourde pour moi de me consacrer à un autre être, qu′en me forçant à vivre absent de moi-même à cause de sa présence continuelle et en me privant, à jamais, des joies de la solitude. Françoise came in to light the fire, and to make it draw, threw upon it a handful of twigs, the scent of which, forgotten for a year past, traced round the fireplace a magic circle within which, perceiving myself poring over a book, now at Combray, now at Doncières, I was as joyful, while remaining in my bedroom in Paris, as if I had been on the point of starting for a walk along the Méséglise way, or of going to join Saint-Loup and his friends on the training-ground. It often happens that the pleasure which everyone takes in turning over the keepsakes that his memory has collected is keenest in those whom the tyranny of bodily ill-health and the daily hope of recovery prevent, on the one hand, from going out to seek in nature scenes that resemble those memories, and, on the other hand, leave so convinced that they will shortly be able to do so that they can remain gazing at them in a state of desire, of appetite, and not regard them merely as memories, as pictures. But, even if they were never to be anything more than memories to me, even if I, as I recalled them, saw merely pictures, immediately they recreated in me, of me as a whole, by virtue of an identical sensation, the boy, the youth who had first seen them. There had been not merely a change in the weather outside, or, inside the room, the introduction of a fresh scent, there had been in myself a difference of age, the substitution of another person. The scent, in the frosty air, of the twigs of brushwood, was like a fragment of the past, an invisible floe broken off from the ice of an old winter that stole into my room, often variegated moreover with this perfume or that light, as though with a sequence of different years, in which I found myself plunged, overwhelmed, even before I had identified them, by the eagerness of hopes long since abandoned. The sun′s rays fell upon my bed and passed through the transparent shell of my attenuated body, warmed me, made me as hot as a sheet of scorching crystal. Whereupon, a famished convalescent who has already begun to batten upon all the dishes that are still forbidden him, I asked myself whether marriage with Albertine would not spoil my life, as well by making me assume the burden, too heavy for my shoulders, of consecrating myself to another person, as by forcing me to live in absence from myself because of her continual presence and depriving me, forever, of the delights of solitude.
Et pas de celles-là seulement. Même en ne demandant à la journée que des désirs, il en est certains — ceux que provoquent non plus les choses mais les êtres — dont le caractère est d′être individuels. Si, sortant de mon lit, j′allais écarter un instant le rideau de ma fenêtre, ce n′était pas seulement comme un musicien ouvre un instant son piano, et pour vérifier si, sur le balcon et dans la rue, la lumière du soleil était exactement au même diapason que dans mon souvenir, c′était aussi pour apercevoir quelque blanchisseuse portant son panier à linge, une boulangère à tablier bleu, une laitière à bavette et manches de toile blanche, tenant le crochet où sont suspendues les carafes de lait, quelque fière jeune fille blonde suivant son institutrice, une image enfin que les différences de lignes, peut-être quantitativement insignifiantes, suffisaient à faire aussi différente de toute autre que pour une phrase musicale la différence de deux notes, et sans la vision de laquelle j′aurais appauvri la journée des buts qu′elle pouvait proposer à mes désirs de bonheur. Mais si le surcroît de joie, apporté par la vue des femmes impossibles à imaginer a priori, me rendait plus désirables, plus dignes d′être explorés, la rue, la ville, le monde, il me donnait par là même la soif de guérir, de sortir, et, sans Albertine, d′être libre. Que de fois, au moment où la femme inconnue dont j′allais rêver passait devant la maison, tantôt à pied, tantôt avec toute la vitesse de son automobile, je souffris que mon corps ne pût suivre mon regard qui la rattrapait et, tombant sur elle comme tiré de l′embrasure de ma fenêtre par une arquebuse, arrêter la fuite du visage dans lequel m′attendait l′offre d′un bonheur qu′ainsi cloîtré je ne goûterais jamais ! And not of these alone. Even when we ask of the day nothing but desires, there are some — those that are excited not by things but by people — whose character it is to be unlike any other. If, on rising from my bed, I went to the window and drew the curtain aside for a moment, it was not merely, as a pianist for a moment turns back the lid of his instrument, to ascertain whether, on the balcony and in the street, the sunlight was tuned to exactly the same pitch as in my memory, it was also to catch a glimpse of some laundress carrying her linen-basket, a bread-seller in her blue apron, a dairymaid in her tucker and sleeves of white linen, carrying the yoke from which her jugs of milk are suspended, some haughty golden-haired miss escorted by her governess, a composite image, in short, which the differences of outline, numerically perhaps insignificant, were enough to make as different from any other as, in a phrase of music, the difference between two notes, an image but for the vision of which I should have impoverished my day of the objects which it might have to offer to my desires of happiness. But, if the surfeit of joy, brought me by the spectacle of women whom it was impossible to imagine a priori, made more desirable, more deserving of exploration, the street, the town, the world, it set me longing, for that very reason, to recover my health, to go out of doors and, without Albertine, to be a free man. How often, at the moment when the unknown woman who was to haunt my dreams passed beneath the window, now on foot, now at the full speed of her motor-car, was I made wretched that my body could not follow my gaze which kept pace with her, and falling upon her as though shot from the embrasure of my window by an arquebus, arrest the flight of the face that held out for me the offer of a happiness which, cloistered thus, I should never know.
D′Albertine, en revanche, je n′avais plus rien à apprendre. Chaque jour, elle me semblait moins jolie. Seul le désir qu′elle excitait chez les autres, quand, l′apprenant, je recommençais à souffrir et voulais la leur disputer, la hissait à mes yeux sur un haut pavois. Elle était capable de me causer de la souffrance, nullement de la joie. Par la souffrance seule subsistait mon ennuyeux attachement. Dès qu′elle disparaissait, et avec elle le besoin de l′apaiser, requérant toute mon attention comme une distraction atroce, je sentais le néant qu′elle était pour moi, que je devais être pour elle. J′étais malheureux que cet état durât et, par moments, je souhaitais d′apprendre quelque chose d′épouvantable qu′elle aurait fait et qui eût été capable, jusqu′à ce que je fusse guéri, de nous brouiller, ce qui nous permettrait de nous réconcilier, de refaire différente et plus souple la chaîne qui nous liait. Of Albertine, on the other hand, I had nothing more to learn. Every day, she seemed to me less attractive. Only, the desire that she aroused in other people, when, upon hearing of it, I began to suffer afresh and was impelled to challenge their possession of her, raised her in my sight to a lofty pinnacle. Pain, she was capable of causing me; joy, never. Pain alone kept my tedious attachment alive. As soon as my pain vanished, and with it the need to soothe it, requiring all my attention, like some agonising distraction, I felt that she meant absolutely nothing to me, that I must mean absolutely nothing to her. It made me wretched that this state should persist, and, at certain moments, I longed to hear of something terrible that she had done, something that would be capable of keeping us at arms-length until I was cured, so that we might then be able to be reconciled, to refashion in a different and more flexible form the chain that bound us.
En attendant, je chargeais mille circonstances, mille plaisirs, de lui procurer auprès de moi l′illusion de ce bonheur que je ne me sentais pas capable de lui donner. J′aurais voulu, dès ma guérison, partir pour Venise ; mais comment le faire, si j′épousais Albertine, moi, si jaloux d′elle que, même à Paris, dès que je me décidais à bouger c′était pour sortir avec elle. Même quand je restais à la maison toute l′après-midi, ma pensée la suivait dans sa promenade, décrivait un horizon lointain, bleuâtre, engendrait autour du centre que j′étais une zone mobile d′incertitude et de vague. « Combien Albertine, me disais-je, m′épargnerait les angoisses de la séparation si, au cours d′une de ces promenades, voyant que je ne lui parlais plus de mariage, elle se décidait à ne pas revenir, et partait chez sa tante, sans que j′eusse à lui dire adieu ! » Mon cœur, depuis que sa plaie se cicatrisait, commençait à ne plus adhérer à celui de mon amie ; je pouvais par l′imagination la déplacer, l′éloigner de moi sans souffrir. Sans doute, à défaut de moi-même, quelque autre serait son époux, et, libre, elle aurait peut-être de ces aventures qui me faisaient horreur. Mais il faisait si beau, j′étais si certain qu′elle rentrerait le soir, que, même si cette idée de fautes possibles me venait à l′esprit, je pouvais, par un acte libre, l′emprisonner dans une partie de mon cerveau, où elle n′avait pas plus d′importance que n′en auraient eu pour ma vie réelle les vices d′une personne imaginaire ; faisant jouer les gonds assouplis de ma pensée, j′avais, avec une énergie que je sentais, dans ma tête, à la fois physique et mentale comme un mouvement musculaire et une initiative spirituelle, dépassé l′état de préoccupation habituelle où j′avais été confiné jusqu′ici et commençais à me mouvoir à l′air libre, d′où tout sacrifier pour empêcher le mariage d′Albertine avec un autre et faire obstacle à son goût pour les femmes paraissait aussi déraisonnable à mes propres yeux qu′à ceux de quelqu′un qui ne l′eût pas connue. In the meantime, I was employing a thousand circumstances, a thousand pleasures to procure for her in my society the illusion of that happiness which I did not feel myself capable of giving her. I should have liked, as soon as I was cured, to set off for Venice, but how was I to manage it, if I married Albertine, I, who was so jealous of her that even in Paris whenever I decided to stir from my room it was to go out with her? Even when I stayed in the house all the afternoon, my thoughts accompanied her on her drive, traced a remote, blue horizon, created round the centre that was myself a fluctuating zone of vague uncertainty. “How completely,” I said to myself, “would Albertine spare me the anguish of separation if, in the course of one of these drives, seeing that I no longer say anything to her about marriage, she decided not to come back, and went off to her aunt′s, without my having to bid her good-bye!” My heart, now that its scar had begun to heal, was ceasing to adhere to the heart of my mistress; I could by imagination shift her, separate her from myself without pain. No doubt, failing myself, some other man would be her husband, and in her freedom she would meet perhaps with those adventures which filled me with horror. But the day was so fine, I was so certain that she would return in the evening, that even if the idea of possible misbehaviour did enter my mind, I could, by an exercise of free will, imprison it in a part of my brain in which it had no more importance than would have had in my real life the vices of an imaginary person; bringing into play the supple hinges of my thought, I had, with an energy which I felt in my head to be at once physical and mental, as it were a muscular movement and a spiritual impulse, broken away from the state of perpetual preoccupation in which I had until then been confined, and was beginning to move in a free atmosphere, in which the idea of sacrificing everything in order to prevent Albertine from marrying some one else and to put an obstacle in the way of her fondness for women seemed as unreasonable to my own mind as to that of a person who had never known her.
D′ailleurs, la jalousie est de ces maladies intermittentes, dont la cause est capricieuse, impérative, toujours identique chez le même malade, parfois entièrement différente chez un autre. Il y a des asthmatiques qui ne calment leur crise qu′en ouvrant les fenêtres, en respirant le grand vent, un air pur sur les hauteurs ; d′autres en se réfugiant au centre de la ville, dans une chambre enfumée. Il n′est guère de jaloux dont la jalousie n′admette certaines dérogations. Tel consent à être trompé pourvu qu′on le lui dise, tel autre pourvu qu′on le lui cache, en quoi l′un n′est guère moins absurde que l′autre, puisque, si le second est plus véritablement trompé en ce qu′on lui dissimule la vérité, le premier réclame, en cette vérité, l′aliment, l′extension, le renouvellement de ses souffrances. However, jealousy is one of those intermittent maladies, the cause of which is capricious, imperative, always identical in the same patient, sometimes entirely different in another. There are asthmatic persons who can soothe their crises only by opening the windows, inhaling the full blast of the wind, the pure air of the mountains, others by taking refuge in the heart of the city, in a room heavy with smoke. Rare indeed is the jealous man whose jealousy does not allow certain concessions. One will consent to infidelity, provided that he is told of it, another provided that it is concealed from him, wherein they appear to be equally absurd, since if the latter is more literally deceived inasmuch as the truth is not disclosed to him, the other demands in that truth the food, the extension, the renewal of his sufferings.
Bien plus, ces deux manies inverses de la jalousie vont souvent au delà des paroles qu′elles implorent ou qu′elles refusent des confidences. On voit des jaloux qui ne le sont que des femmes avec qui leur maîtresse a des relations loin d′eux, mais qui permettent qu′elle se donne à un autre homme qu′eux, si c′est avec leur autorisation, près d′eux, et, sinon même à leur vue, du moins sous leur toit. Ce cas est assez fréquent chez les hommes âgés amoureux d′une jeune femme. Ils sentent la difficulté de lui plaire, parfois l′impuissance de la contenter, et, plutôt que d′être trompés, préfèrent laisser venir chez eux, dans une chambre voisine, quelqu′un qu′ils jugent incapable de lui donner de mauvais conseils, mais non du plaisir. Pour d′autres, c′est tout le contraire ; ne laissant pas leur maîtresse sortir seule une minute dans une ville qu′ils connaissent, ils la tiennent dans un véritable esclavage, mais ils lui accordent de partir un mois dans un pays qu′ils ne connaissent pas, où ils ne peuvent se représenter ce qu′elle fera. J′avais à l′égard d′Albertine ces deux sortes de manies calmantes. Je n′aurais pas été jaloux si elle avait eu des plaisirs près de moi, encouragés par moi, que j′aurais tenus tout entiers sous ma surveillance, m′épargnant par là la crainte du mensonge ; je ne l′aurais peut-être pas été non plus si elle était partie dans un pays inconnu de moi et assez éloigné pour que je ne puisse imaginer, ni avoir la possibilité et la tentation de connaître son genre de vie. Dans les deux cas, le doute eût été supprimé par une connaissance ou une ignorance également complètes. What is more, these two parallel manias of jealousy extend often beyond words, whether they implore or reject confidences. We see a jealous lover who is jealous only of the women with whom his mistress has relations in his absence, but allows her to give herself to another man, if it is done with his authorisation, near at hand, and, if not actually before his eyes, under his roof. This case is not at all uncommon among elderly men who are in love with young women. Such a man feels the difficulty of winning her favour, sometimes his inability to satisfy her, and, rather than be betrayed, prefers to admit to his house, to an adjoining room, some man whom he considers incapable of giving her bad advice, but not incapable of giving her pleasure. With another man it is just the opposite; never allowing his mistress to go out by herself for a single minute in a town that he knows, he keeps her in a state of bondage, but allows her to go for a month to a place which he does not know, where he cannot form any mental picture of what she may be doing. I had with regard to Albertine both these sorts of sedative mania. I should not have been jealous if she had enjoyed her pleasures in my company, with my encouragement, pleasures over the whole of which I could have kept watch, thus avoiding any fear of falsehood; I might perhaps not have been jealous either if she had removed to a place so unfamiliar and remote that I could not imagine nor find any possibility, feel any temptation to know the manner of her life. In either alternative, my uncertainty would have been killed by a knowledge or an ignorance equally complete.
La décroissance du jour me replongeant par le souvenir dans une atmosphère ancienne et fraîche, je la respirais avec les mêmes délices qu′Orphée l′air subtil, inconnu sur cette terre, des Champs-Élysées. The decline of day plunging me back by an act of memory in a cool atmosphere of long ago, I breathed it with the same delight with which Orpheus inhaled the subtle air, unknown upon this earth, of the Elysian Fields.
Mais déjà la journée finissait et j′étais envahi par la désolation du soir. Regardant machinalement à la pendule combien d′heures se passeraient avant qu′Albertine rentrât, je voyais que j′avais encore le temps de m′habiller et de descendre demander à ma propriétaire, Mme de Guermantes, des indications pour certaines jolies choses de toilette que je voulais donner à mon amie. Quelquefois je rencontrais la duchesse dans la cour, sortant pour des courses à pied, même s′il faisait mauvais temps, avec un chapeau plat et une fourrure. Je savais très bien que pour nombre de gens intelligents elle n′était autre chose qu′une dame quelconque ; le nom de duchesse de Guermantes ne signifiant rien, maintenant qu′il n′y a plus de duchés ni de principautés ; mais j′avais adopté un autre point de vue dans ma façon de jouir des êtres et des pays. Tous les châteaux des terres dont elle était duchesse, princesse, vicomtesse, cette dame en fourrures bravant le mauvais temps me semblait les porter avec elle, comme des personnages sculptés au linteau d′un portail tiennent dans leur main la cathédrale qu′ils ont construite, ou la cité qu′ils ont défendue. Mais ces châteaux, ces forêts, les yeux de mon esprit seuls pouvaient les voir dans la main gauche de la dame en fourrures, cousine du roi. Ceux de mon corps n′y distinguaient, les jours où le temps menaçait, qu′un parapluie dont la duchesse ne craignait pas de s′armer. « On ne peut jamais savoir, c′est plus prudent, si je me trouve très loin et qu′une voiture me demande des prix trop chers pour moi. » Les mots « trop chers », « dépasser mes moyens », revenaient tout le temps dans la conversation de la duchesse, ainsi que ceux : « je suis trop pauvre », sans qu′on pût bien démêler si elle parlait ainsi parce qu′elle trouvait amusant de dire qu′elle était pauvre, étant si riche, ou parce qu′elle trouvait élégant, étant si aristocratique, tout en affectant d′être une paysanne, de ne pas attacher à la richesse l′importance des gens qui ne sont que riches et qui méprisent les pauvres. Peut-être était-ce plutôt une habitude contractée d′une époque de sa vie où, déjà riche, mais insuffisamment pourtant, eu égard à ce que coûtait l′entretien de tant de propriétés, elle éprouvait une certaine gêne d′argent qu′elle ne voulait pas avoir l′air de dissimuler. Les choses dont on parle le plus souvent en plaisantant sont généralement, au contraire, celles qui ennuient, mais dont on ne veut pas avoir l′air d′être ennuyé, avec peut-être l′espoir inavoué de cet avantage supplémentaire que justement la personne avec qui on cause, vous entendant plaisanter de cela, croira que cela n′est pas vrai. But already the day was ending and I was overpowered by the desolation of the evening. Looking mechanically at the clock to see how many hours must elapse before Albertine′s return, I saw that I had still time to dress and go downstairs to ask my landlady, Mme. de Guermantes, for particulars of various becoming garments which I was anxious to procure for my mistress. Sometimes I met the Duchess in the courtyard, going out for a walk, even if the weather was bad, in a close-fitting hat and furs. I knew quite well that, to many people of intelligence, she was merely a lady like any other, the name Duchesse de Guermantes signifying nothing, now that there are no longer any sovereign Duchies or Principalities, but I had adopted a different point of view in my method of enjoying people and places. All the castles of the territories of which she was Duchess, Princess, Viscountess, this lady in furs defying the weather teemed to me to be carrying them on her person, as a figure carved over the lintel of a church door holds in his hand the cathedral that he has built or the city that he has defended. But these castles, these forests, my mind′s eye alone could discern them in the left hand of the lady in furs, whom the King called cousin. My bodily eyes distinguished in it only, on days when the sky was threatening, an umbrella with which the Duchess was not afraid to arm herself. “One can never be certain, it is wiser, I may find myself miles from home, with a cabman demanding a fare beyond my means.” The words ‘too dear′ and ‘beyond my means′ kept recurring all the time in the Duchess′s conversation, as did also: ‘I am too poor′— without its being possible to decide whether she spoke thus because she thought it amusing to say that she was poor, being so rich, or because she thought it smart, being so aristocratic, in spite of her affectation of peasant ways, not to attach to riches the importance that people give them who are merely rich and nothing else, and who look down upon the poor. Perhaps it was, rather, a habit contracted at a time in her life when, already rich, but not rich enough to satisfy her needs, considering the expense of keeping up all those properties, she felt a certain shortage of money which she did not wish to appear to be concealing. The things about which we most often jest are generally, on the contrary, the things that embarrass us, but we do not wish to appear to be embarrassed by them, and feel perhaps a secret hope of the further advantage that the person to whom we are talking, hearing us treat the matter as a joke, will conclude that it is not true.
Mais le plus souvent, à cette heure-là, je savais trouver la duchesse chez elle, et j′en étais heureux, car c′était plus commode pour lui demander longuement les renseignements désirés par Albertine. Et j′y descendais sans presque penser combien il était extraordinaire que chez cette mystérieuse Mme de Guermantes de mon enfance j′allasse uniquement afin d′user d′elle pour une simple commodité pratique, comme on fait du téléphone, instrument surnaturel devant les miracles duquel on s′émerveillait jadis, et dont on se sert maintenant sans même y penser, pour faire venir son tailleur ou commander une glace. But upon most evenings, at this hour, I could count upon finding the Duchess at home, and I was glad of this, for it was more convenient for me to ask her in detail for the information that Albertine required. And down I went almost without thinking how extraordinary it was that I should be calling upon that mysterious Mme. de Guermantes of my boyhood, simply in order to make use of her for a practical purpose, as one makes use of the telephone, a supernatural instrument before whose miracles we used to stand amazed, and which we now employ without giving it a thought, to summon our tailor or to order ices for a party.
Les brimborions de la parure causaient à Albertine de grands plaisirs. Je ne savais pas me refuser de lui en faire chaque jour un nouveau. Et chaque fois qu′elle m′avait parlé avec ravissement d′une écharpe, d′une étole, d′une ombrelle, que par la fenêtre, ou en passant dans la cour, de ses yeux qui distinguaient si vite tout ce qui se rapportait à l′élégance, elle avait vues au cou, sur les épaules, à la main de Mme de Guermantes, sachant que le goût naturellement difficile de la jeune fille (encore affiné par les leçons d′élégance que lui avait été la conversation d′Elstir) ne serait nullement satisfait par quelque simple à peu près, même d′une jolie chose, qui la remplace aux yeux du vulgaire, mais en diffère entièrement, j′allais en secret me faire expliquer par la duchesse où, comment, sur quel modèle, avait été confectionné ce qui avait plu à Albertine, comment je devais procéder pour obtenir exactement cela, en quoi consistait le secret du faiseur, le charme (ce qu′Albertine appelait « le chic », « le genre ») de sa manière, le nom précis — la beauté de la matière ayant son importance — et la qualité des étoffes dont je devais demander qu′on se servît. Albertine delighted in any sort of finery. I could not deny myself the pleasure of giving her some new trifle every day. And whenever she had spoken to me with rapture of a scarf, a stole, a sunshade which, from the window or as they passed one another in the courtyard, her eyes that so quickly distinguished anything smart, had seen round the throat, over the shoulders, in the hand of Mme. de Guermantes, knowing how the girl′s naturally fastidious taste (refined still further by the lessons in elegance of attire which Elstir′s conversation had been to her) would not be at all satisfied by any mere substitute, even of a pretty thing, such as fills its place in the eyes of the common herd, but differs from it entirely, I went in secret to make the Duchess explain to me where, how, from what model the article had been created that had taken Albertine′s fancy, how I should set about to obtain one exactly similar, in what the creator′s secret, the charm (what Albertine called the ‘chic‘ the ‘style′) of his manner, the precise name — the beauty of the material being of importance also — and quality of the stuffs that I was to insist upon their using.
Quand j′avais dit à Albertine, à notre arrivée de Balbec, que la duchesse de Guermantes habitait en face de nous, dans le même hôtel, elle avait pris, en entendant le grand titre et le grand nom, cet air plus qu′indifférent, hostile, méprisant, qui est le signe du désir impuissant chez les natures fières et passionnées. Celle d′Albertine avait beau être magnifique, les qualités qu′elle recélait ne pouvaient se développer qu′au milieu de ces entraves que sont nos goûts, ou ce deuil de ceux de nos goûts auxquels nous avons été obligés de renoncer — comme pour Albertine le snobisme — et qu′on appelle des haines. Celle d′Albertine pour les gens du monde tenait, du reste, très peu de place en elle et me plaisait par un côté esprit de révolution — c′est-à-dire amour malheureux de la noblesse — inscrit sur la face opposée du caractère français où est le genre aristocratique de Mme de Guermantes. Ce genre aristocratique, Albertine, par impossibilité de l′atteindre, ne s′en serait peut-être pas souciée, mais s′étant rappelé qu′Elstir lui avait parlé de la duchesse comme de la femme de Paris qui s′habillait le mieux, le dédain républicain à l′égard d′une duchesse fit place chez mon amie à un vif intérêt pour une élégante. Elle me demandait souvent des renseignements sur Mme de Guermantes et aimait que j′allasse chez la duchesse chercher des conseils de toilette pour elle-même. Sans doute j′aurais pu les demander à Mme Swann, et même je lui écrivis une fois dans ce but. Mais Mme de Guermantes me semblait pousser plus loin encore l′art de s′habiller. Si, descendant un moment chez elle, après m′être assuré qu′elle n′était pas sortie et ayant prié qu′on m′avertît dès qu′Albertine serait rentrée, je trouvais la duchesse ennuagée dans la brume d′une robe en crêpe de Chine gris, j′acceptais cet aspect que je sentais dû à des causes complexes et qui n′eût pu être changé, je me laissais envahir par l′atmosphère qu′il dégageait, comme la fin de certaines après-midi ouatées en gris perle par un brouillard vaporeux ; si, au contraire, cette robe de chambre était chinoise, avec des flammes jaunes et rouges, je la regardais comme un couchant qui s′allume ; ces toilettes n′étaient pas un décor quelconque, remplaçable à volonté, mais une réalité donnée et poétique comme est celle du temps qu′il fait, comme est la lumière spéciale à une certaine heure. When I mentioned to Albertine, on our return from Balbec, that the Duchesse de Guermantes lived opposite to us, in the same mansion, she had assumed, on hearing the proud title and great name, that air more than indifferent, hostile, contemptuous, which is the sign of an impotent desire in proud and passionate natures. Splendid as Albertine′s nature might be, the fine qualities which it contained were free to develop only amid those hindrances which are our personal tastes, or that lamentation for those of our tastes which we have been obliged to relinquish — in Albertine′s case snobbishness — which is called antipathy. Albertine′s antipathy to people in society occupied, for that matter, but a very small part in her nature, and appealed to me as an aspect of the revolutionary spirit — that is to say an embittered love of the nobility — engraved upon the opposite side of the French character to that which displays the aristocratic manner of Mme. de Guermantes. To this aristocratic manner Albertine, in view of the impossibility of her acquiring it, would perhaps not have given a thought, but remembering that Elstir had spoken to her of the Duchess as the best dressed woman in Paris, her republican contempt for a Duchess gave place in my mistress to a keen interest in a fashionable woman. She was always asking me to tell her about Mme. de Guermantes, and was glad that I should go to the Duchess to obtain advice as to her own attire. No doubt I might have got this from Mme. Swann and indeed I did once write to her with this intention. But Mme. de Guermantes seemed to me to carry to an even higher pitch the art of dressing. If, on going down for a moment to call upon her, after making sure that she had not gone out and leaving word that I was to be told as soon as Albertine returned, I found the Duchess swathed in the mist of a garment of grey crêpe de chine, I accepted this aspect of her which I felt to be due to complex causes and to be quite inevitable, I let myself be overpowered by the atmosphere which it exhaled, like that of certain late afternoons cushioned in pearly grey by a vaporous fog; if, on the other hand, her indoor gown was Chinese with red and yellow flames, I gazed at it as at a glowing sunset; these garments were not a casual decoration alterable at her pleasure, but a definite and poetical reality like that of the weather, or the light peculiar to a certain hour of the day.
De toutes les robes ou robes de chambre que portait Mme de Guermantes, celles qui semblaient le plus répondre à une intention déterminée, être pourvues d′une signification spéciale, c′étaient ces robes que Fortuny a faites d′après d′antiques dessins de Venise. Est-ce leur caractère historique, est-ce plutôt le fait que chacune est unique qui lui donne un caractère si particulier que la pose de la femme qui les porte en vous attendant, en causant avec vous, prend une importance exceptionnelle, comme si ce costume avait été le fruit d′une longue délibération et comme si cette conversation se détachait de la vie courante comme une scène de roman ? Dans ceux de Balzac, on voit des héroî­¥s revêtir à dessein telle ou telle toilette, le jour où elles doivent recevoir tel visiteur. Les toilettes d′aujourd′hui n′ont pas tant de caractère, exception faite pour les robes de Fortuny. Aucun vague ne peut subsister dans la description du romancier, puisque cette robe existe réellement, que les moindres dessins en sont aussi naturellement fixés que ceux d′une œuvre d′art. Avant de revêtir celle-ci ou celle-là, la femme a eu à faire un choix entre deux robes, non pas à peu près pareilles, mais profondément individuelles chacune, et qu′on pourrait nommer. Mais la robe ne n′empêchait pas de penser à la femme. Of all the outdoor and indoor gowns that Mme. de Guermantes wore, those which seemed most to respond to a definite intention, to be endowed with a special significance, were the garments made by Fortuny from old Venetian models. Is it their historical character, is it rather the fact that each one of them is unique that gives them so special a significance that the pose of the woman who is wearing one while she waits for you to appear or while she talks to you assumes an exceptional importance, as though the costume had been the fruit of a long deliberation and your conversation was detached from the current of everyday life like a scene in a novel? In the novels of Balzac, we see his heroines purposely put on one or another dress on the day on which they are expecting some particular visitor. The dresses of to-day have less character, always excepting the creations of Fortuny. There is no room for vagueness in the novelist′s description, since the gown does really exist, and the merest sketch of it is as naturally preordained as a copy of a work of art. Before putting on one or another of them, the woman has had to make a choice between two garments, not more or less alike but each one profoundly individual, and answering to its name. But the dress did not prevent me from thinking of the woman.
Mme de Guermantes même me sembla à cette époque plus agréable qu′au temps où je l′aimais encore. Attendant moins d′elle (que je n′allais plus voir pour elle-même), c′est presque avec le tranquille sans-gêne qu′on a quand on est tout seul, les pieds sur les chenets, que je l′écoutais comme j′aurais lu un livre écrit en langage d′autrefois. J′avais assez de liberté d′esprit pour goûter dans ce qu′elle disait cette grâce française si pure qu′on ne trouve plus, ni dans le parler, ni dans les écrits du temps présent. J′écoutais sa conversation comme une chanson populaire délicieusement et purement française, je comprenais que je l′eusse entendue se moquer de Maeterlinck (qu′elle admirait d′ailleurs, maintenant, par faiblesse d′esprit de femme, sensible à ces modes littéraires dont les rayons viennent tardivement), comme je comprenais que Mérimée se moquât de Baudelaire, Stendhal de Balzac, Paul-Louis Courier de Victor Hugo, Meilhac de Mallarmé. Je comprenais bien que le moqueur avait une pensée bien restreinte auprès de celui dont il se moquait, mais aussi un vocabulaire plus pur. Celui de Mme de Guermantes, presque autant que celui de la mère de Saint-Loup, l′était à un point qui enchantait. Ce n′est pas dans les froids pastiches des écrivains d′aujourd′hui qui disent : au fait (pour en réalité), singulièrement (pour en particulier), étonné (pour frappé de stupeur), etc., etc., qu′on retrouve le vieux langage et la vraie prononciation des mots, mais en causant avec une Mme de Guermantes ou une Françoise ; j′avais appris de la deuxième, dès l′âge de cinq ans, qu′on ne dit pas le Tarn, mais le Tar ; pas le Béarn, mais le Béar. Ce qui fit qu′à vingt ans, quand j′allai dans le monde, je n′eus pas à y apprendre qu′il ne fallait pas dire, comme faisait Mme Bontemps : Madame de Béarn. Indeed, Mme. de Guermantes seemed to me at this time more attractive than in the days when I was still in love with her. Expecting less of her (whom I no longer went to visit for her own sake), it was almost with the ease and comfort of a man in a room by himself, with his feet on the fender, that I listened to her as though I were reading a book written in the speech of long ago. My mind was sufficiently detached to enjoy in what she said that pure charm of the French language which we no longer find either in the speech or in the literature of the present day. I listened to her conversation as to a folk song deliciously and purely French, I realised that I would have allowed her to belittle Maeterlinck (whom for that matter she now admired, from a feminine weakness of intellect, influenced by those literary fashions whose rays spread slowly), as I realised that Mérimée had belittled Baudelaire, Stendhal Balzac, Paul-Louis Courier Victor Hugo, Meilhac Mallarmé. I realised that the critic had a far more restricted outlook than his victim, but also a purer vocabulary. That of Mme. de Guermantes, almost as much as that of Saint-Loup′s mother, was purified to an enchanting degree. It is not in the bloodless formulas of the writers of to-day, who say: au fait (for ‘in reality′), singulièrement (for ‘in particular′), étonné (for ‘struck with amazement′), and the like, that we recapture the old speech and the true pronunciation of words, but in conversing with a Mme. de Guermantes or a Françoise; I had learned from the latter, when I was five years old, that one did not say ‘the Tarn′ but ‘the Tar′; not ‘Béarn′ but ‘Béar.′ The effect of which was that at twenty, when I began to go into society, I had no need to be taught there that one ought not to say, like Mme. Bontemps: ‘Madame de Béarn.′
Je mentirais en disant que, ce côté terrien et quasi paysan qui restait en elle, la duchesse n′en avait pas conscience et ne mettait pas une certaine affectation à le montrer. Mais, de sa part, c′était moins fausse simplicité de grande dame qui joue la campagnarde et orgueil de duchesse qui fait la nique aux dames riches méprisantes des paysans, qu′elles ne connaissent pas, que le goût quasi artistique d′une femme qui sait le charme de ce qu′elle possède et ne va pas le gâter d′un badigeon moderne. C′est de la même façon que tout le monde a connu à Dives un restaurateur normand, propriétaire de « Guillaume le Conquérant », qui s′était bien gardé — chose très rare — de donner à son hôtellerie le luxe moderne d′un hôtel et qui, lui-même millionnaire, gardait le parler, la blouse d′un paysan normand et vous laissait venir le voir faire lui-même, dans la cuisine, comme à la campagne, un dîner qui n′en était pas moins infiniment meilleur et encore plus cher que dans les plus grands palaces. It would be untrue to pretend that of this territorial and semi-peasant quality which survived in her the Duchess was not fully conscious, indeed she displayed a certain affectation in emphasising it. But, on her part, this was not so much the false simplicity of a great lady aping the countrywoman or the pride of a Duchess bent upon snubbing the rich ladies who express contempt for the peasants whom they do not know as the almost artistic preference of a woman who knows the charm of what belongs to her, and is not going to spoil it with a coat of modern varnish. In the same way, everybody will remember at Dives a Norman innkeeper, landlord of the Guillaume le Conquérant, who carefully refrained — which is very rare — from giving his hostelry the modern comforts of an hotel, and, albeit a millionaire, retained the speech, the blouse of a Norman peasant and allowed you to enter his kitchen and watch him prepare with his own hands, as in a farmhouse, a dinner which was nevertheless infinitely better and even more expensive than are the dinners in the most luxurious hotels.
Toute la sève locale qu′il y a dans les vieilles familles aristocratiques ne suffit pas, il faut qu′il y naisse un être assez intelligent pour ne pas la dédaigner, pour ne pas l′effacer sous le vernis mondain. Mme de Guermantes, malheureusement spirituelle et Parisienne et qui, quand je la connus, ne gardait plus de son terroir que l′accent, avait, du moins, quand elle voulait peindre sa vie de jeune fille, trouvé, pour son langage (entre ce qui eût semblé trop involontairement provincial, ou au contraire artificiellement lettré), un de ces compromis qui font l′agrément de la Petite Fadette de George Sand ou de certaines légendes rapportées par Chateaubriand dans les Mémoires d′outre-tombe. Mon plaisir était surtout de lui entendre conter quelque histoire qui mettait en scène des paysans avec elle. Les noms anciens, les vieilles coutumes, donnaient à ces rapprochements entre le château et le village quelque chose d′assez savoureux. Demeurée en contact avec les terres où elle était souveraine, une certaine aristocratie reste régionale, de sorte que le propos le plus simple fait se dérouler devant nos yeux toute une carte historique et géographique de l′histoire de France. All the local sap that survives in the old noble families is not enough, there must also be born of them a person of sufficient intelligence not to despise it, not to conceal it beneath the varnish of society. Mme. de Guermantes, unfortunately clever and Parisian, who, when I first knew her, retained nothing of her native soil but its accent, had at least, when she wished to describe her life as a girl, found for her speech one of those compromises (between what would have seemed too spontaneously provincial on the one hand or artificially literary on the other), one of those compromises which form the attraction of George Sand′s La Petite Fadette or of certain legends preserved by Chateaubriand in his Mémoires d′Outre-Tombe. My chief pleasure was in hearing her tell some anecdote which brought peasants into the picture with herself. The historic names, the old customs gave to these blendings of the castle with the village a distinctly attractive savour. Having remained in contact with the lands over which it once ruled, a certain class of the nobility has remained regional, with the result that the simplest remark unrolls before our eyes a political and physical map of the whole history of France.
S′il n′y avait aucune affectation, aucune volonté de fabriquer un langage à soi, alors cette façon de prononcer était un vrai musée d′histoire de France par la conversation. « Mon grand-oncle Fitt-jam » n′avait rien qui étonnât, car on sait que les Fitz-James proclament volontiers qu′ils sont de grands seigneurs français, et ne veulent pas qu′on prononce leur nom à l′anglaise. Il faut, du reste, admirer la touchante docilité des gens qui avaient cru jusque-là devoir s′appliquer à prononcer grammaticalement certains noms et qui, brusquement, après avoir entendu la duchesse de Guermantes les dire autrement, s′appliquaient à la prononciation qu′ils n′avaient pu supposer. Ainsi, la duchesse ayant eu un arrière-grand-père auprès du comte de Chambord, pour taquiner son mari d′être devenu Orléaniste, aimait à proclamer : « Nous les vieux de Frochedorf ». Le visiteur qui avait cru bien faire en disant jusque-là « Frohsdorf » tournait casaque au plus court et disait sans cesse « Frochedorf ». If there was no affectation, no desire to fabricate a special language, then this manner of pronouncing words was a regular museum of French history displayed in conversation. ‘My great-uncle Fitt-jam′ was not at all surprising, for we know that the Fitz-James family are proud to boast that they are French nobles, and do not like to hear their name pronounced in the English fashion. One must, incidentally, admire the touching docility of the people who had previously supposed themselves obliged to pronounce certain names phonetically, and who, all of a sudden, after hearing the Duchesse de Guermantes pronounce them otherwise, adopted the pronunciation which they could never have guessed. Thus the Duchess, who had had a great-grandfather in the suite of the Comte de Chambord, liked to tease her husband for having turned Orleanist by proclaiming: “We old Frochedorf people. . . . ” The visitor, who had always imagined that he was correct in saying ‘Frohsdorf,′ at once turned his coat, and ever afterwards might be heard saying ‘Frochedorf.′
Une fois que je demandais à Mme de Guermantes qui était un jeune homme exquis qu′elle m′avait présenté comme son neveu et dont j′avais mal entendu le nom, ce nom, je ne le distinguai pas davantage quand, du fond de sa gorge, la duchesse émit très fort, mais sans articuler : « C′est l′Â… i Eon lÂ… bÂ… frère à Robert. Il prétend qu′il a la forme du crâne des anciens Gallois. » Alors je compris qu′elle avait dit : C′est le petit Léon, le prince de Léon, beau-frère, en effet, de Robert de Saint-Loup. « En tous cas, je ne sais pas s′il en a le crâne, ajouta-t-elle, mais sa façon de s′habiller, qui a du reste beaucoup de chic, n′est guère de là-bas. Un jour que, de Josselin où j′étais chez les Rohan, nous étions allés à un pèlerinage, il était venu des paysans d′un peu toutes les parties de la Bretagne. Un grand diable de villageois du Léon regardait avec ébahissement les culottes beiges du beau-frère de Robert. « Qu′est-ce que tu as à me regarder, je parie que tu ne sais pas qui je suis », lui dit Léon. Et comme le paysan lui disait que non. « Eh bien, je suis ton prince. — Ah ! répondit le paysan en se découvrant et en s′excusant, je vous avais pris pour un englische. » On one occasion when I asked Mme. de Guermantes who a young blood was whom she had introduced to me as her nephew but whose name I had failed to catch, I was none the wiser when from the back of her throat the Duchess uttered in a very loud but quite inarticulate voice: “C′est l′ . . . i Eon . . . l . . . b . . . frère à Robert. He makes out that he has the same shape of skull as the ancient Gauls.” Then I realised that she had said: “C′est le petit Léon,” and that this was the Prince de Léon, who was indeed Robert de Saint-Loup′s brother-in-law. “I know nothing about his skull,” she went on, “but the way he dresses, and I must say he does dress quite well, is not at all in the style of those parts. Once when I was staying at Josselin, with the Rohans, we all went over to one of the pilgrimages, where there were peasants from every part of Brittany. A great hulking fellow from one of the Léon villages stood gaping open-mouthed at Robert′s brother-in-law in his beige breeches! ‘What are you staring at me like that for?′ said Léon. ‘I bet you don′t know who I am?′ The peasant admitted that he did not. ‘Very well,′ said Léon, ‘I′m your Prince.′ ‘Oh!′ said the peasant, taking off his cap and apologising. ‘I thought you were an Englische.′”
Et si, profitant de ce point de départ, je poussais Mme de Guermantes sur les Rohan (avec qui sa famille s′était souvent alliée), sa conversation s′imprégnait un peu du charme mélancolique des Pardons, et, comme dirait ce vrai poète qu′est Pampille, de « l′âpre saveur des crêpes de blé noir, cuites sur un feu d′ajoncs ». And if, taking this opportunity, I led Mme. de Guermantes on to talk about the Rohans (with whom her own family had frequently intermarried), her conversation would become impregnated with a hint of the wistful charm of the Pardons, and (as that true poet Pampille would say) with “the harsh savour of pancakes of black grain fried over a fire of rushes.”
Du marquis du Lau (dont on sait la triste fin, quand, sourd, il se faisait porter chez Mme HÂ…, aveugle), elle contait les années moins tragiques quand, après la chasse, à Guermantes, il se mettait en chaussons pour prendre le thé avec le roi d′Angleterre, auquel il ne se trouvait pas inférieur, et avec lequel, on le voit, il ne se gênait pas. Elle faisait remarquer cela avec tant de pittoresque qu′elle lui ajoutait le panache à la mousquetaire des gentilshommes un peu glorieux du Périgord. Of the Marquis du Lau (whose tragic decline we all know, when, himself deaf, he used to be taken to call on Mme. H . . . who was blind), she would recall the less tragic years when, after the day′s sport, at Guermantes, he would change into slippers before taking tea with the Prince of Wales, to whom he would not admit himself inferior, and with whom, as we see, he stood upon no ceremony. She described all this so picturesquely that she seemed to invest him with the plumed musketeer bonnet of the somewhat vainglorious gentlemen of the Périgord.
D′ailleurs, même dans la simple qualification des gens, avoir soin de différencier les provinces était pour Mme de Guermantes, restée elle-même, un grand charme que n′aurait jamais su avoir une Parisienne d′origine, et ces simples noms d′Anjou, de Poitou, de Périgord, refaisaient dans sa conversation des paysages. But even in the mere classification of different people, her care to distinguish and indicate their native provinces was in Mme. de Guermantes, when she was her natural self, a great charm which a Parisian-born woman could never have acquired, and those simple names Anjou, Poitou, the Périgord, filled her conversation with pictorial landscapes.
Pour en revenir à la prononciation et au vocabulaire de Mme de Guermantes, c′est par ce côté que la noblesse se montre vraiment conservatrice, avec tout ce que ce mot a à la fois d′un peu puéril, d′un peu dangereux, de réfractaire à l′évolution, mais aussi d′amusant pour l′artiste. Je voulais savoir comment on écrivait autrefois le mot Jean. Je l′appris en recevant une lettre du neveu de Mme de Villeparisis, qui signe — comme il a été baptisé, comme il figure dans le Gotha — Jehan de Villeparisis, avec la même belle H inutile, héraldique, telle qu′on l′admire, enluminée de vermillon ou d′outremer, dans un livre d′heures ou dans un vitrail. To revert to the pronunciation and vocabulary of Mme. de Guermantes, it is in this aspect that the nobility shews itself truly conservative, with everything that the word implies at once somewhat puerile and somewhat perilous, stubborn in its resistance to evolution but interesting also to an artist. I was anxious to know the original spelling of the name Jean. I learned it when I received a letter from a nephew of Mme. de Villeparisis who signs himself — as he was christened, as he figures in Gotha — Jehan de Villeparisis, with the same handsome, superfluous, heraldic h that we admire, illuminated in vermilion or ultramarine in a Book of Hours or in a window.
Malheureusement, je n′avais pas le temps de prolonger indéfiniment ces visites, car je voulais, autant que possible, ne pas rentrer après mon amie. Or, ce n′était jamais qu′au compte-gouttes que je pouvais obtenir de Mme de Guermantes les renseignements sur ses toilettes, lesquels m′étaient utiles pour faire faire des toilettes du même genre, dans la mesure où une jeune fille peut les porter, pour Albertine. « Par exemple, madame, le jour où vous deviez dîner chez Mme de Saint-Euverte, avant d′aller chez la princesse de Guermantes, vous aviez une robe toute rouge, avec des souliers rouges ; vous étiez inou vous aviez l′air d′une espèce de grande fleur de sang, d′un rubis en flammes, comment cela s′appelait-il ? Est-ce qu′une jeune fille peut mettre ça ? » Unfortunately, I never had time to prolong these visits indefinitely, for I was anxious, if possible, not to return home after my mistress. But it was only in driblets that I was able to obtain from Mme. de Guermantes that information as to her garments which was of use in helping me to order garments similar in style, so far as it was possible for a young girl to wear them, for Albertine. “For instance, Madame, that evening when you dined with Mme. de Saint-Euverte, and then went on to the Princesse de Guermantes, you had a dress that was all red, with red shoes, you were marvellous, you reminded me of a sort of great blood-red blossom, a blazing ruby — now, what was that dress? Is it the sort of thing that a girl can wear?”
La duchesse, rendant à son visage fatigué la radieuse expression qu′avait la princesse des Laumes quand Swann lui faisait, jadis, des compliments, regarda, en riant aux larmes, d′un air moqueur, interrogatif et ravi, M. de Bréauté, toujours là à cette heure, et qui faisait tiédir, sous son monocle, un sourire indulgent pour cet amphigouri d′intellectuel, à cause de l′exaltation physique de jeune homme qu′il lui semblait cacher. La duchesse avait l′air de dire : « Qu′est-ce qu′il a, il est fou. » Puis se tournant vers moi d′un air câlin : « Je ne savais pas que j′avais l′air d′un rubis en flammes ou d′une fleur de sang, mais je me rappelle, en effet, que j′ai eu une robe rouge : c′était du satin rouge comme on en faisait à ce moment-là. Oui, une jeune fille peut porter ça à la rigueur, mais vous m′avez dit que la vôtre ne sortait pas le soir. C′est une robe de grande soirée, cela ne peut pas se mettre pour faire des visites. » The Duchess, imparting to her tired features the radiant expression that the Princesse des Laumes used to assume when Swann, in years past, paid her compliments, looked, with tears of merriment in her eyes, quizzingly, questioningly and delightedly at M. de Bréauté who was always there at that hour and who set beaming from behind his monocle a smile that seemed to pardon this outburst of intellectual trash for the sake of the physical excitement of youth which seemed to him to lie beneath it. The Duchess appeared to be saying: “What is the matter with him? He must be mad.” Then turning to me with a coaxing air: “I wasn′t aware that I looked like a blazing ruby or a blood-red blossom, but I do remember, as it happens, that I had on a red dress: it was red satin, which was being worn that season. Yes, a girl can wear that sort of thing at a pinch, but you told me that your friend never went out in the evening. That is a full evening dress, not a thing that she can put on to pay calls.”
Ce qui est extraordinaire, c′est que de cette soirée, en somme pas si ancienne, Mme de Guermantes ne se rappelât que sa toilette et eût oublié une certaine chose qui cependant, on va le voir, aurait dû lui tenir à cœur. Il semble que, chez les êtres d′action (et les gens du monde sont des êtres d′actions minuscules, microscopiques, mais enfin des êtres d′action), l′esprit, surmené par l′attention à ce qui se passera dans une heure, ne confie que très peu de choses à la mémoire. Bien souvent, par exemple, ce n′était pas pour donner le change et paraître ne pas s′être trompé que M. de Norpois, quand on lui partait de pronostics qu′il avait émis au sujet d′une alliance avec l′Allemagne qui n′avait même pas abouti, disait : « Vous devez vous tromper, je ne me rappelle pas du tout, cela ne me ressemble pas, car, dans ces sortes de conversations, je suis toujours très laconique et je n′aurais jamais prédit le succès d′un de ces coups d′éclat qui ne sont souvent que des coups de tête, et dégénèrent habituellement en coups de force. Il est indéniable que, dans un avenir lointain, un rapprochement franco-allemand pourrait s′effectuer, et serait très profitable aux deux pays, et la France n′en serait pas le mauvais marchand, je le pense, mais je n′en ai jamais parlé, parce que la poire n′est pas mûre encore, et, si vous voulez mon avis, en demandant à nos anciens ennemis de convoler avec nous en justes noces, je crois que nous irions au-devant d′un gros échec et ne recevrions que de mauvais coups. » En disant cela, M. de Norpois ne mentait pas, il avait simplement oublié. On oublie, du reste, vite ce qu′on n′a pas pensé avec profondeur, ce qui vous a été dicté par l′imitation, par les passions environnantes. Elles changent et avec elles se modifie notre souvenir. Encore plus que les diplomates, les hommes politiques ne se souviennent pas du point de vue auquel ils se sont placés à un certain moment, et quelques-unes de leurs palinodies tiennent moins à un excès d′ambition qu′à un manque de mémoire. Quant aux gens du monde, ils se souviennent de peu de chose. What is extraordinary is that of the evening in question, which after all was not so very remote, Mme. de Guermantes should remember nothing but what she had been wearing, and should have forgotten a certain incident which nevertheless, as we shall see presently, ought to have mattered to her greatly. It seems that among men and women of action (and people in society are men and women of action on a minute, a microscopic scale, but are nevertheless men and women of action), the mind, overcharged by the need of attending to what is going to happen in an hour′s time, confides only a very few things to the memory. As often as not, for instance, it was not with the object of putting his questioner in the wrong and making himself appear not to have been mistaken that M. de Norpois, when you reminded him of the prophecies he had uttered with regard to an alliance with Germany of which nothing had ever come, would say: “You must be mistaken, I have no recollection of it whatever, it is not like me, for in that sort of conversation I am always most laconic, and I would never have predicted the success of one of those coups d′éclat which are often nothing more than coups de tête and almost always degenerate into coups de force. It is beyond question that in the remote future a Franco-German rapprochement might come into being and would be highly profitable to both countries, nor would France have the worse of the bargain, I dare say, but I have never spoken of it because the fruit is not yet ripe, and if you wish to know my opinion, in asking our late enemies to join with us in solemn wedlock, I consider that we should be setting out to meet a severe rebuff, and that the attempt could end only in disaster.” In saying this M. de Norpois was not being untruthful, he had simply forgotten. We quickly forget what we have not deeply considered, what has been dictated to us by the spirit of imitation, by the passions of our neighbours. These change, and with them our memory undergoes alteration. Even more than diplomats, politicians are unable to remember the point of view which they adopted at a certain moment, and some of their palinodes are due less to a surfeit of ambition than to a shortage of memory. As for people in society, there are very few things that they remember.
Mme de Guermantes me soutint qu′à la soirée où elle était en robe rouge, elle ne se rappelait pas qu′il y eût Mme de Chaussepierre, que je me trompais certainement. Or Dieu sait pourtant si, depuis, les Chaussepierre avaient occupé l′esprit du duc et de la duchesse. Voici pour quelle raison. M. de Guermantes était le plus ancien vice-président du Jockey quand le président mourut. Certains membres du cercle qui n′ont pas de relations, et dont le seul plaisir est de donner des boules noires aux gens qui ne les invitent pas, firent campagne contre le duc de Guermantes qui, sûr d′être élu, et assez négligent quant à cette présidence qui était peu de chose relativement à sa situation mondaine, ne s′occupa de rien. On fit valoir que la duchesse était dreyfusarde (l′affaire Dreyfus était pourtant terminée depuis longtemps, mais vingt ans après on en parlait encore, et elle ne l′était que depuis deux ans), recevait les Rothschild, qu′on favorisait trop depuis quelque temps de grands potentats internationaux comme était le duc de Guermantes, à moitié allemand. La campagne trouva un terrain très favorable, les clubs jalousant toujours beaucoup les gens très en vue et détestant les grandes fortunes. Mme. de Guermantes assured me that, at the party to which she had gone in a red gown, she did not remember Mme. de Chaussepierre′s being present, and that I must be mistaken. And yet, heaven knows, the Chaussepierres had been present enough in the minds of both Duke and Duchess since then. For the following reason. M. de Guermantes had been the senior vice-president of the Jockey, when the president died. Certain members of the club who were not popular in society and whose sole pleasure was to blackball the men who did not invite them to their houses started a campaign against the Duc de Guermantes who, certain of being elected, and relatively indifferent to the presidency which was a small matter for a man in his social position, paid no attention. It was urged against him that the Duchess was a Dreyfusard (the Dreyfus case had long been concluded, but twenty years later people were still talking about it, and so far only two years had elapsed), and entertained the Rothschilds, that so much consideration had been shewn of late to certain great international magnates like the Duc de Guermantes, who was half German. The campaign found its ground well prepared, clubs being always jealous of men who are in the public eye, and detesting great fortunes.
Celle de Chaussepierre n′était pas mince, mais personne ne pouvait s′en offusquer : il ne dépensait pas un sou, l′appartement du couple était modeste, la femme allait vêtue de laine noire. Folle de musique, elle donnait bien de petites matinées où étaient invitées beaucoup plus de chanteuses que chez les Guermantes. Mais personne n′en parlait, tout cela se passait sans rafraîchissements, le mari même absent, dans l′obscurité de la rue de la Chaise. À l′Opéra, Mme de Chaussepierre passait inaperçue, toujours avec des gens dont le nom évoquait le milieu le plus « ultra » de l′intimité de Charles X, mais des gens effacés, peu mondains. Le jour de l′élection, à la surprise générale, l′obscurité triompha de l′éblouissement : Chaussepierre, deuxième vice-président, fut nommé président du Jockey, et le duc de Guermantes resta sur le carreau, c′est-à-dire premier vice-président. Certes, être président du Jockey ne représente pas grand′chose à des princes de premier rang comme étaient les Guermantes. Mais ne pas l′être quand c′est votre tour, se voir préférer un Chaussepierre, à la femme de qui Oriane, non seulement ne rendait pas son salut deux ans auparavant, mais allait jusqu′à se montrer offensée d′être saluée par cette chauve-souris inconnue, c′était dur pour le duc. Il prétendait être au-dessus de cet échec, assurant, d′ailleurs, que c′était à sa vieille amitié pour Swann qu′il le devait. En réalité, il ne décolérait pas. Chaussepierre′s own fortune was no mere pittance, but nobody could take offence at it; he never spent a penny, the couple lived in a modest apartment, the wife went about dressed in black serge. A passionate music-lover, she did indeed give little afternoon parties to which many more singers were invited than to the Guermantes. But no one ever mentioned these parties, no refreshments were served, the husband did not put in an appearance even, and everything went off quite quietly in the obscurity of the Rue de la Chaise. At the Opera, Mme. de Chaussepierre passed unnoticed, always among people whose names recalled the most ‘die-hard′ element of the intimate circle of Charles X, but people quite obsolete, who went nowhere. On the day of the election, to the general surprise, obscurity triumphed over renown: Chaussepierre, the second vice-president, was elected president of the Jockey, and the Duc de Guermantes was left sitting — that is to say, in the senior vice-president′s chair. Of course, being president of the Jockey means little or nothing to Princes of the highest rank such as the Guermantes. But not to be it when it is your turn, to see preferred to you a Chaussepierre to whose wife Oriane, two years earlier, had not merely refused to bow but had taken offence that an unknown scarecrow like that should bow to her, this the Duke did find hard to endure. He pretended to be superior to this rebuff, asserting moreover that it was his long-standing friendship with Swann that was at the root of it. Actually his anger never cooled.
Chose assez particulière, on n′avait jamais entendu le duc de Guermantes se servir de l′expression assez banale : « bel et bien » ; mais depuis l′élection du Jockey, dès qu′on parlait de l′affaire Dreyfus, « bel et bien » surgissait : « Affaire Dreyfus affaire Dreyfus, c′est bientôt dit et le terme est impropre ; ce n′est pas une affaire de religion, mais bel et bien une affaire politique. » Cinq ans pouvaient passer sans qu′on entendît « bel et bien » si, pendant ce temps, on ne parlait pas de l′affaire Dreyfus, mais si, les cinq ans passés, le nom de Dreyfus revenait, aussitôt « bel et bien » arrivait automatiquement. Le duc ne pouvait plus, du reste, souffrir qu′on parlât de cette affaire « qui a causé, disait-il, tant de malheurs », bien qu′il ne fût, en réalité, sensible qu′à un seul : son échec à la présidence du Jockey. Aussi, l′après-midi dont je parle, où je rappelais à Mme de Guermantes la robe rouge qu′elle portait à la soirée de sa cousine, M. de Bréauté fut assez mal reçu quand, voulant dire quelque chose, par une association d′idées restée obscure et qu′il ne dévoila pas, il commença en faisant manœuvrer sa langue dans la pointe de sa bouche en cul de poule : « À propos de l′affaire DreyfusÂ… » (pourquoi de l′affaire Dreyfus ? il s′agissait seulement d′une robe rouge et, certes, le pauvre Bréauté, qui ne pensait jamais qu′à faire plaisir, n′y mettait aucune malice). Mais le seul nom de Dreyfus fit se froncer les sourcils jupitériens du duc de Guermantes. « On m′a raconté, dit Bréauté, un assez joli mot, ma foi très fin, de notre ami Cartier (prévenons le lecteur que ce Cartier, frère de Mme de Villefranche, n′avait pas l′ombre de rapport avec le bijoutier du même nom), ce qui, du reste, ne m′étonne pas, car il a de l′esprit à revendre. — Ah ! interrompit Oriane, ce n′est pas moi qui l′achèterai. Je ne peux pas vous dire ce que votre Cartier m′a toujours embêtée, et je n′ai jamais pu comprendre le charme infini que Charles de La Trémoe et sa femme trouvent à ce raseur que je rencontre chez eux chaque fois que j′y vais. — Ma ière duiesse, répondit Bréauté qui prononçait difficilement les c, je vous trouve bien sévère pour Cartier. Il est vrai qu′il a peut-être pris un pied un peu excessif chez les La Trémoe, mais enfin c′est pour Charles une espèce, comment dirai-je, une espèce de fidèle Achate, ce qui est devenu un oiseau assez rare par le temps qui court. En tous cas, voilà le mot qu′on m′a rapporté. Cartier aurait dit que si M. Zola avait cherché à avoir un procès et à se faire condamner, c′était pour éprouver la sensation qu′il ne connaissait pas encore, celle d′être en prison. — Aussi a-t-il pris la fuite avant d′être arrêté, interrompit Oriane. Cela ne tient pas debout. D′ailleurs, même si c′était vraisemblable, je trouve le mot carrément idiot. Si c′est ça que vous trouvez spirituel ! — Mon Dieu, ma ière Oriane, répondit Bréauté qui, se voyant contredit, commençait à lâcher pied, le mot n′est pas de moi, je vous le répète tel qu′on me l′a dit, prenez-le pour ce qu′il vaut. En tous cas il a été cause que M. Cartier a été tancé d′importance par cet excellent La Trémoe qui, avec beaucoup de raison, ne veut jamais qu′on parle dans son salon de ce que j′appellerai, comment dire ? les affaires en cours, et qui était d′autant plus contrarié qu′il y avait là Mme Alphonse Rothschild. Cartier a eu à subir de la part de La Trémoe une véritable mercuriale. — Bien entendu, dit le duc, de fort mauvaise humeur, les Alphonse Rothschild, bien qu′ayant le tact de ne jamais parler de cette abominable affaire, sont dreyfusards dans l′âme, comme tous les Juifs. C′est même là un argument ad hominem (le duc employait un peu à tort et à travers l′expression ad hominem) qu′on ne fait pas assez valoir pour montrer la mauvaise foi des Juifs. Si un Français vole, assassine, je ne me crois pas tenu, parce qu′il est Français comme moi, de le trouver innocent. Mais les Juifs n′admettront jamais qu′un de leurs concitoyens soit traître, bien qu′ils le sachent parfaitement et se soucient fort peu des effroyables répercussions (le duc pensait naturellement à l′élection maudite de Chaussepierre) que le crime d′un des leurs peut amener jusqueÂ… Voyons Oriane, vous n′allez pas prétendre que ce n′est pas accablant pour les Juifs ce fait qu′ils soutiennent tous un traître. Vous n′allez pas me dire que ce n′est pas parce qu′ils sont Juifs. — Mon Dieu si, répondit Oriane (éprouvant avec un peu d′agacement, un certain désir de résister au Jupiter tonnant et aussi de mettre « l′intelligence » au-dessus de l′affaire Dreyfus). Mais c′est peut-être justement parce qu′étant Juifs et se connaissant eux-mêmes, ils savent qu′on peut être Juif et ne pas être forcément traître et anti-français, comme le prétend, paraît-il, M. Drumont. Certainement s′il avait été chrétien, les Juifs ne se seraient pas intéressés à lui, mais ils l′ont fait parce qu′ils sentent bien que s′il n′était pas Juif, on ne l′aurait pas cru si facilement traître a priori, comme dirait mon neveu Robert. — Les femmes n′entendent rien à la politique, s′écria le duc en fixant des yeux la duchesse. Car ce crime affreux n′est pas simplement une cause juive, mais bel et bien une immense affaire nationale qui peut amener les plus effroyables conséquences pour la France d′où on devrait expulser tous les Juifs, bien que je reconnaisse que les sanctions prises jusqu′ici l′aient été (d′une façon ignoble qui devrait être revisée) non contre eux, mais contre leurs adversaires les plus éminents, contre des hommes de premier ordre, laissés à l′écart pour le malheur de notre pauvre pays. » One curious thing was that nobody had ever before heard the Duc de Guermantes make use of the quite commonplace expression ‘out and out,′ but ever since the Jockey election, whenever anybody referred to the Dreyfus case, pat would come ‘out and out.′“Dreyfus case, Dreyfus case, that′s soon said, and it′s a misuse of the term. It is not a question of religion, it′s out and out a political matter.” Five years might go by without your hearing him say ‘out and out′ again, if during that time nobody mentioned the Dreyfus case, but if, at the end of five years, the name Dreyfus cropped up, ‘out and out′ would at once follow automatically. The Duke could not, anyhow, bear to hear any mention of the case, “which has been responsible,” he would say, “for so many disasters” albeit he was really conscious of one and one only; his own failure to become president of the Jockey. And so on the afternoon in question, when I reminded Madame de Guermantes of the red gown that she had worn at her cousin′s party, M. de Bréauté was none too well received when, determined to say something, by an association of ideas which remained obscure and which he did not illuminate, he began, twisting his tongue about between his pursed lips: “Talking of the Dreyfus case —” (why in the world of the Dreyfus case, we were talking simply of a red dress, and certainly poor Bréauté, whose only desire was to make himself agreeable, can have had no malicious intention). But the mere name of Dreyfus made the Duc de Guermantes knit his Jupiterian brows. “I was told,” Bréauté went on, “a jolly good thing, damned clever, ‘pon my word, that was said by our friend Cartier” (we must warn the reader that this Cartier, Mme. de Villefranche′s brother, was in no way related to the jeweller of that name) “not that I′m in the least surprised, for he′s got plenty of brains to spare,” “Oh!” broke in Oriane, “he can spare me his brains. I hardly like to tell you how much your friend Cartier has always bored me, and I have never been able to understand the boundless charm that Charles de La Trémoe and his wife seem to find in the creature, for I meet him there every time that I go to their house.” “My dear Dutt-yess,” replied Bréauté, who was unable to pronounce the soft c, “I think you are very hard upon Cartier. It is true that he has perhaps made himself rather too mutt-y-at home at the La Trémoes′, but after all he does provide Tyarles with a sort of — what shall I say? — a sort of fidus Achates, which has become a very rare bird indeed in these days. Anyhow, this is the story as it was told to me. Cartier appears to have said that if M. Zola had gone out of his way to stand his trial and to be convicted, it was in order to enjoy the only sensation he had never yet tried, that of being in prison.” “And so he ran away before they could arrest him,” Oriane broke in. “Your story doesn′t hold water. Besides, even if it was plausible, I think his remark absolutely idiotic. If that′s what you call being witty!” “Good grate-ious, my dear Oriane,” replied Bréauté who, finding himself contradicted, was beginning to lose confidence, “it′s not my remark, I′m telling you it as it was told to me, take it for what′s it worth. Anyhow, it earned M. Cartier a first rate blowing up from that excellent fellow La Trémoe who, and quite rightly, does not like people to discuss what one might call, so to speak, current events, in his drawing-room, and was all the more annoyed because Mme. Alphonse Rothschild was present. Cartier had to listen to a positive jobation from La Trémoe.” “I should think so,” said the Duke, in the worst of tempers, “the Alphonse Rothschilds, even if they have the tact never to speak of that abominable affair, are Dreyfusards at heart, like all the Jews. Indeed that is an argument ad hominem“ (the Duke was a trifle vague in his use of the expression ad hominem) “which is not sufficiently made use of to prove the dishonesty of the Jews. If a Frenchman robs or murders somebody, I do not consider myself bound, because he is a Frenchman like myself, to find him innocent. But the Jews will never admit that one of their fellow-countrymen is a traitor, although they know it perfectly well, and never think of the terrible repercussions” (the Duke was thinking, naturally, of that accursed defeat by Chaussepierre) “which the crime of one of their people can bring even to . . . Come, Oriane, you′re not going to pretend that it ain′t damning to the Jews that they all support a traitor. You′re not going to tell me that it ain′t because they′re Jews.” “Of course not,” retorted Oriane (feeling, with a trace of irritation, a certain desire to hold her own against Jupiter Tonans and also to set ‘intellect′ above the Dreyfus case). “Perhaps it is just because they are Jews and know their own race that they realise that a person can be a Jew and not necessarily a traitor and anti-French, as M. Drumont seems to maintain. Certainly, if he′d been a Christian, the Jews wouldn′t have taken any interest in him, but they did so because they knew quite well that if he hadn′t been a Jew people wouldn′t have been so ready to think him a traitor a priori, as my nephew Robert would say.” “Women never understand a thing about politics,” exclaimed the Duke, fastening his gaze upon the Duchess. “That shocking crime is not simply a Jewish cause, but out and out an affair of vast national importance which may lead to the most appalling consequences for France, which ought to have driven out all the Jews, whereas I am sorry to say that the measures taken up to the present have been directed (in an ignoble fashion, which will have to be overruled) not against them but against the most eminent of their adversaries, against men of the highest rank, who have been flung into the gutter, to the ruin of our unhappy country.”
Je sentais que cela allait se gâter et je me remis précipitamment à parler robes. I felt that the conversation had taken a wrong turning and reverted hurriedly to the topic of clothes.
« Vous rappelez-vous, madame, dis-je, la première fois que vous avez été aimable avec moi ?— La première fois que j′ai été aimable avec lui », reprit-elle en regardant en riant M. de Bréauté, dont le bout du nez s′amenuisait, dont le sourire s′attendrissait, par politesse pour Mme de Guermantes, et dont la voix de couteau qu′on est en train de repasser fit entendre quelques sons vagues et rouillés. « Vous aviez une robe jaune avec de grandes fleurs noires. — Mais, mon petit, c′est la même chose, ce sont des robes de soirée. — Et votre chapeau de bleuets, que j′ai tant aimé ! Mais enfin tout cela c′est du rétrospectif. Je voudrais faire faire à la jeune fille en question un manteau de fourrure comme celui que vous aviez hier matin. Est-ce que ce serait impossible que je le visse ? — Non, Hannibal est obligé de s′en aller dans un instant. Vous viendrez chez moi et ma femme de chambre vous montrera tout ça. Seulement, mon petit, je veux bien vous prêter tout ce que vous voudrez, mais si vous faites faire des choses de Callot, de Doucet, de Paquin par de petites couturières, cela ne sera jamais la même chose. — Mais je ne veux pas du tout aller chez une petite couturière, je sais très bien que ce sera autre chose ; mais cela m′intéresserait de comprendre pourquoi ce sera autre chose. — Mais vous savez bien que je ne sais rien expliquer, moi, je suis une bête, je parle comme une paysanne. C′est une question de tour de main, de façon ; pour les fourrures je peux, au moins, vous donner un mot pour mon fourreur qui, de cette façon, ne vous volera pas. Mais vous savez que cela vous coûtera encore huit ou neuf mille francs. — Et cette robe de chambre qui sent si mauvais, que vous aviez l′autre soir, et qui est sombre, duveteuse, tachetée, striée d′or comme une aile de papillon ? — Ah ! ça, c′est une robe de Fortuny. Votre jeune fille peut très bien mettre cela chez elle. J′en ai beaucoup, je vais vous en montrer, je peux même vous en donner si cela vous fait plaisir. Mais je voudrais surtout que vous vissiez celle de ma cousine Talleyrand. Il faut que je lui écrive de me la prêter. — Mais vous aviez aussi des souliers si jolis, était-ce encore de Fortuny ? — Non, je sais ce que vous voulez dire, c′est du chevreau doré que nous avions trouvé à Londres, en faisant des courses avec Consuelo de Manchester. C′était extraordinaire. Je n′ai jamais pu comprendre comme c′était doré, on dirait une peau d′or, il n′y a que cela avec un petit diamant au milieu. La pauvre duchesse de Manchester est morte, mais si cela vous fait plaisir j′écrirai à Mme de Warwick ou à Mme Malborough pour tâcher d′en retrouver de pareils. Je me demande même si je n′ai pas encore de cette peau. On pourrait peut-être en faire faire ici. Je regarderai ce soir, je vous le ferai dire. » “Do you remember, Madame,” I said, “the first time that you were friendly with me?” “The first time that I was friendly with him,” she repeated, turning with a smile to M. de Bréauté, the tip of whose nose grew more pointed, his smile more tender out of politeness to Mme. de Guermantes, while his voice, like a knife on the grindstone, emitted various vague and rusty sounds. “You were wearing a yellow gown with big black flowers.” “But, my dear boy, that′s the same thing, those are evening dresses.” “And your hat with the cornflowers that I liked so much! Still, those are all things of the past. I should like to order for the girl I mentioned to you a fur cloak like the one you had on yesterday morning. Would it be possible for me to see it?” “Of course; Hannibal has to be going in a moment. You shall come to my room and my maid will shew you anything you want to look at. Only, my dear boy, though I shall be delighted to lend you anything, I must warn you that if you have things from Callot′s or Doucet′s or Paquin′s copied by some small dressmaker, the result is never the same.” “But I never dreamed of going to a small dressmaker, I know quite well it wouldn′t be the same thing, but I should be interested to hear you explain why.” “You know quite well I can never explain anything, I am a perfect fool, I talk like a peasant. It is a question of handiwork, of style; as far as furs go, I can at least give you a line to my furrier, so that he shan′t rob you. But you realise that even then it will cost you eight or nine thousand francs.” “And that indoor gown that you were wearing the other evening, with such a curious smell, dark, fluffy, speckled, streaked with gold like a butterfly′s wing?” “Ah! That is one of Fortuny′s. Your young lady can quite well wear that in the house. I have heaps of them; you shall see them presently, in fact I can give you one or two if you like. But I should like you to see one that my cousin Talleyrand has. I must write to her for the loan of it.” “But you had such charming shoes as well, are they Fortuny′s too?” “No, I know the ones you mean, they are made of some gilded kid we came across in London, when I was shopping with Consuelo Manchester. It was amazing. I could never make out how they did it, it was just like a golden skin, simply that with a tiny diamond in front. The poor Duchess of Manchester is dead, but if it′s any help to you I can write and ask Lady Warwick or the Duchess of Marlborough to try and get me some more. I wonder, now, if I haven′t a piece of the stuff left. You might be able to have a pair made here. I shall look for it this evening, and let you know.”
Comme je tâchais, autant que possible, de quitter la duchesse avant qu′Albertine fût revenue, l′heure faisait souvent que je rencontrais dans la cour, en sortant de chez Mme de Guermantes, M. de Charlus et Morel qui allaient prendre le thé chez Jupien, suprême faveur pour le baron. Je ne les croisai pas tous les jours, mais ils y allaient tous les jours. Il est, du reste, à remarquer que la constance d′une habitude est d′ordinaire en rapport avec son absurdité. Les choses éclatantes, on ne les fait généralement que par à-coups. Mais des vies insensées, où le maniaque se prive lui-même de tous les plaisirs et s′inflige les plus grands maux, ces vies sont ce qui change le moins. Tous les dix ans, si l′on en avait la curiosité, on retrouverait le malheureux dormant aux heures où il pourrait vivre, sortant aux heures où il n′y a guère rien d′autre à faire qu′à se laisser assassiner dans les rues, buvant glacé quand il a chaud, toujours en train de soigner un rhume. Il suffirait d′un petit mouvement d′énergie, un seul jour, pour changer cela une fois pour toutes. Mais justement ces vies sont habituellement l′apanage d′êtres incapables d′énergie. Les vices sont un autre aspect de ces existences monotones que la volonté suffirait à rendre moins atroces. Les deux aspects pouvaient être également considérés quand M. de Charlus allait tous les jours avec Morel prendre le thé chez Jupien. Un seul orage avait marqué cette coutume quotidienne. La nièce du giletier ayant dit un jour à Morel : « C′est cela, venez demain, je vous paierai le thé », le baron avait avec raison trouvé cette expression bien vulgaire pour une personne dont il comptait faire presque sa belle-fille ; mais comme il aimait à froisser et se grisait de sa propre colère, au lieu de dire simplement à Morel qu′il le priait de lui donner à cet égard une leçon de distinction, tout le retour s′était passé en scènes violentes. Sur le ton le plus insolent, le plus orgueilleux : « Le « toucher » qui, je le vois, n′est pas forcément allié au « tact », a donc empêché chez vous le développement normal de l′odorat, puisque vous avez toléré que cette expression fétide de payer le thé, à centimes je suppose, fît monter son odeur de vidanges jusqu′à mes royales narines ? Quand vous avez fini un solo de violon, avez-vous jamais vu chez moi qu′on vous récompensât d′un pet, au lieu d′un applaudissement frénétique ou d′un silence plus éloquent encore parce qu′il est fait de la peur de ne pouvoir retenir, non ce que votre fiancée nous prodigue, mais le sanglot que vous avez amené au bord des lèvres ? » As I endeavoured as far as possible to leave the Duchess before Albertine had returned, it often happened that I met in the courtyard as I came away from her door M. de Charlus and Morel on their way to take tea at Jupien′s, a supreme favour for the Baron. I did not encounter them every day but they went there every day. Here we may perhaps remark that the regularity of a habit is generally in proportion to its absurdity. The sensational things, we do as a rule only by fits and starts. But the senseless life, in which the maniac deprives himself of all pleasure and inflicts the greatest discomforts upon himself, is the type that alters least. Every ten years, if we had the curiosity to inquire, we should find the poor wretch still asleep at the hours when he might be living his life, going out at the hours when there is nothing to do but let oneself be murdered in the streets, sipping iced drinks when he is hot, still trying desperately to cure a cold. A slight impulse of energy, for a single day, would be sufficient to change these habits for good and all. But the fact is that this sort of life is almost always the appanage of a person devoid of energy. Vices are another aspect of these monotonous existences which the exercise of will power would suffice to render less painful. These two aspects might be observed simultaneously when M. de Charlus came every day with Morel to take tea at Jupien′s. A single outburst had marred this daily custom. The tailor′s niece having said one day to Morel: “That′s all right then, come to-morrow and I′ll stand you a tea,” the Baron had quite justifiably considered this expression very vulgar on the lips of a person whom he regarded as almost a prospective daughter-in-law, but as he enjoyed being offensive and became carried away by his own anger, instead of simply saying to Morel that he begged him to give her a lesson in polite manners, the whole of their homeward walk was a succession of violent scenes. In the most insolent, the most arrogant tone: “So your ‘touch′ which, I can see, is not necessarily allied to ‘tact,′ has hindered the normal development of your sense of smell, since you could allow that fetid expression ‘stand a tea′— at fifteen centimes, I suppose — to waft its stench of sewage to my regal nostrils? When you have come to the end of a violin solo, have you ever seen yourself in my house rewarded with a fart, instead of frenzied applause, or a silence more eloquent still, since it is due to exhaustion from the effort to restrain, not what your young woman lavishes upon you, but the sob that you have brought to my lips?”
Quand un fonctionnaire s′est vu infliger de tels reproches par son chef, il est invariablement dégommé le lendemain. Rien, au contraire, n′eût été plus cruel à M. de Charlus que de congédier Morel et, craignant même d′avoir été un peu trop loin, il se mit à faire de la jeune fille des éloges minutieux, pleins de goût, involontairement semés d′impertinences. « Elle est charmante. Comme vous êtes musicien, je pense qu′elle vous a séduit par la voix, qu′elle a très belle dans les notes hautes où elle semble attendre l′accompagnement de votre si dièse. Son registre grave me plaît moins, et cela doit être en rapport avec le triple recommencement de son cou étrange et mince, qui, semblant finir, s′élève encore en elle ; plutôt que des détails médiocres, c′est sa silhouette qui m′agrée. Et comme elle est couturière et doit savoir jouer des ciseaux, il faut qu′elle me donne une jolie découpure d′elle-même en papier. » When a public official has had similar reproaches heaped upon him by his chief, he invariably loses his post next day. Nothing, on the contrary, could have been more painful to M. de Charlus than to dismiss Morel, and, fearing indeed that he had gone a little too far, he began to sing the girl′s praises in detailed terms, with an abundance of good taste mingled with impertinence. “She is charming; as you are a musician, I suppose that she seduced you by her voice, which is very beautiful in the high notes, where she seems to await the accompaniment of your B sharp. Her lower register appeals to me less, and that must bear some relation to the triple rise of her strange and slender throat, which when it seems to have come to an end begins again; but these are trivial details, it is her outline that I admire. And as she is a dressmaker and must be handy with her scissors, you must make her give me a charming silhouette of herself cut out in paper.”
Charlie avait d′autant moins écouté ces éloges que les agréments qu′ils célébraient chez sa fiancée lui avaient toujours échappé. Mais il répondit à M. de Charlus : « C′est entendu, mon petit, je lui passerai un savon pour qu′elle ne parle plus comme ça. » Si Morel disait ainsi « mon petit » à M. de Charlus, ce n′est pas que le beau violoniste ignorât qu′il eût à peine le tiers de l′âge du baron. Il ne le disait pas non plus comme eût fait Jupien, mais avec cette simplicité qui, dans certaines relations, postule que la suppression de la différence d′âge a tacitement précédé la tendresse. La tendresse feinte chez Morel. Chez d′autres la tendresse sincère. Ainsi, vers cette époque, M. de Charlus reçut une lettre ainsi conçue : « Mon cher Palamède, quand te reverrai-je ? Je m′ennuie beaucoup après toi et pense bien souvent à toi. PIERRE. » M. de Charlus se cassa la tête pour savoir quel était celui de ses parents qui se permettait de lui écrire avec une telle familiarité, qui devait par conséquent beaucoup le connaître, et dont malgré cela il ne reconnaissait pas l′écriture. Tous les princes auxquels l′Almanach de Gotha accorde quelques lignes défilèrent pendant quelques jours dans la cervelle de M. de Charlus. Enfin, brusquement, une adresse inscrite au dos l′éclaira : l′auteur de la lettre était le chasseur d′un cercle de jeu où allait quelquefois M. de Charlus. Ce chasseur n′avait pas cru être impoli, en écrivant sur ce ton à M. de Charlus qui avait, au contraire, un grand prestige à ses yeux. Mais il pensait que ce ne serait pas gentil de ne pas tutoyer quelqu′un qui vous avait plusieurs fois embrassé, et vous avait par là — s′imaginait-il dans sa naîµ¥té — donné son affection. M. de Charlus fut au fond ravi de cette familiarité. Il reconduisit même d′une matinée M. de Vaugoubert afin de pouvoir lui montrer la lettre. Et pourtant Dieu sait que M. de Charlus n′aimait pas à sortir avec M. de Vaugoubert. Car celui-ci, le monocle à l′œil, regardait de tous les côtés les jeunes gens qui passaient. Bien plus, s′émancipant quand il était avec M. de Charlus, il employait un langage que détestait le baron. Il mettait tous les noms d′hommes au féminin et, comme il était très bête, il s′imaginait cette plaisanterie très spirituelle et ne cessait de rire aux éclats. Comme, avec cela, il tenait énormément à son poste diplomatique, les déplorables et ricanantes façons qu′il avait dans la rue étaient perpétuellement interrompues par la frousse que lui causait au même moment le passage de gens du monde, mais surtout de fonctionnaires. « Cette petite télégraphiste, disait-il en touchant du coude le baron renfrogné, je l′ai connue, mais elle s′est rangée, la vilaine ! Oh ! ce livreur des Galeries Lafayette, quelle merveille ! Mon Dieu, voilà le directeur des Affaires commerciales qui passe ! Pourvu qu′il n′ait pas remarqué mon geste ! Il serait capable d′en parler au Ministre, qui me mettrait en non-activité, d′autant plus qu′il paraît que c′en est une. » M. de Charlus ne se tenait pas de rage. Enfin, pour abréger cette promenade qui l′exaspérait, il se décida à sortir sa lettre et à la faire lire à l′ambassadeur, mais il lui recommanda la discrétion, car il feignait que Charlie fût jaloux afin de pouvoir faire croire qu′il était aimant. « Or, ajouta-t-il d′un air de bonté impayable, il faut toujours tâcher de causer le moins de peine qu′on peut. » Avant de revenir à la boutique de Jupien, l′auteur tient à dire combien il serait contristé que le lecteur s′offusquât de peintures si étranges. D′une part (et ceci est le petit côté de la chose), on trouve que l′aristocratie semble proportionnellement, dans ce livre, plus accusée de dégénérescence que les autres classes sociales. Cela serait-il, qu′il n′y aurait pas lieu de s′en étonner. Les plus vieilles familles finissent par avouer, dans un nez rouge et bossu, dans un menton déformé, des signes spécifiques où chacun admire la « race ». Mais parmi ces traits persistants et sans cesse aggravés, il y en a qui ne sont pas visibles : ce sont les tendances et les goûts. Ce serait une objection plus grave, si elle était fondée, de dire que tout cela nous est étranger et qu′il faut tirer la poésie de la vérité toute proche. L′art extrait du réel le plus familier existe en effet et son domaine est peut-être le plus grand. Mais il n′en est pas moins vrai qu′un grand intérêt, parfois de la beauté, peut naître d′actions découlant d′une forme d′esprit si éloignée de tout ce que nous sentons, de tout ce que nous croyons, que nous ne pouvons même arriver à les comprendre, qu′elles s′étalent devant nous comme un spectacle sans cause. Qu′y a-t-il de plus poétique que Xerxès, fils de Darius, faisant fouetter de verges la mer qui avait englouti ses vaisseaux ? Charlie had paid but little attention to this eulogy, the charms which it extolled in his betrothed having completely escaped his notice. But he said, in reply to M. de Charlus: “That′s all right, my boy, I shall tell her off properly, and she won′t talk like that again.” If Morel addressed M. de Charlus thus as his ‘boy,′ it was not that the good-looking violinist was unaware that his own years numbered barely a third of the Baron′s. Nor did he use the expression as Jupien would have done, but with that simplicity which in certain relations postulates that a suppression of the difference in age has tacitly preceded affection. A feigned affection on Morel′s part. In others, a sincere affection. Thus, about this time M. de Charlus received a letter worded as follows: “My dear Palamède, when am I going to see thee again? I am longing terribly for thee and always thinking of thee. PIERRE.” M. de Charlus racked his brains to discover which of his relatives it could be that took the liberty of addressing him so familiarly, and must consequently know him intimately, although he failed to recognise the handwriting. All the Princes to whom the Almanach de Gotha accords a few lines passed in procession for days on end through his mind. And then, all of a sudden, an address written on the back of the letter enlightened him: the writer was the page at a gambling club to which M. de Charlus sometimes went. This page had not felt that he was being discourteous in writing in this tone to M. de Charlus, for whom on the contrary he felt the deepest respect. But he thought that it would not be civil not to address in the second person singular a gentleman who had many times kissed one, and thereby — he imagined in his simplicity — bestowed his affection. M. de Charlus was really delighted by this familiarity. He even brought M. de Vaugoubert away from an afternoon party in order to shew him the letter. And yet, heaven knows that M. de Charlus did not care to go about with M. de Vaugoubert. For the latter, his monocle in his eye, kept gazing in all directions at every passing youth. What was worse, emancipating himself when he was with M. de Charlus, he employed a form of speech which the Baron detested. He gave feminine endings to all the masculine words and, being intensely stupid, imagined this pleasantry to be extremely witty, and was continually in fits of laughter. As at the same time he attached enormous importance to his position in the diplomatic service, these deplorable outbursts of merriment in the street were perpetually interrupted by the shock caused him by the simultaneous appearance of somebody in society, or, worse still, of a civil servant. “That little telegraph messenger,” he said, nudging the disgusted Baron with his elbow, “I used to know her, but she′s turned respectable, the wretch! Oh, that messenger from the Galeries Lafayette, what a dream! Good God, there′s the head of the Commercial Department. I hope he didn′t notice anything. He′s quite capable of mentioning it to the Minister, who would put me on the retired list, all the more as, it appears, he′s so himself.” M. de Charlus was speechless with rage. At length, to bring this infuriating walk to an end, he decided to produce the letter and give it to the Ambassador to read, but warned him to be discreet, for he liked to pretend that Charlie was jealous, in order to be able to make people think that he was enamoured. “And,” he added with an indescribable air of benevolence, “we ought always to try to cause as little trouble as possible.” Before we come back to Jupien′s shop, the author would like to say how deeply he would regret it should any reader be offended by his portrayal of such unusual characters. On the one hand (and this is the less important aspect of the matter), it may be felt that the aristocracy is, in these pages, disproportionately accused of degeneracy in comparison with the other classes of society. Were this true, it would be in no way surprising. The oldest families end by displaying, in a red and bulbous nose, or a deformed chin, characteristic signs in which everyone admires ‘blood.′ But among these persistent and perpetually developing features, there are others that are not visible, to wit tendencies and tastes. It would be a more serious objection, were there any foundation for it, to say that all this is alien to us, and that we ought to extract truth from the poetry that is close at hand. Art extracted from the most familiar reality does indeed exist and its domain is perhaps the largest of any. But it is no less true that a strong interest, not to say beauty, may be found in actions inspired by a cast of mind so remote from anything that we feel, from anything that we believe, that we cannot ever succeed in understanding them, that they are displayed before our eyes like a spectacle without rhyme or reason. What could be more poetic than Xerxes, son of Darius, ordering the sea to be scourged with rods for having engulfed his fleet?
Il est certain que Morel, usant du pouvoir que ses charmes lui donnaient sur la jeune fille, transmit à celle-ci, en la prenant à son compte, la remarque du baron, car l′expression « payer le thé » disparut aussi complètement de la boutique du giletier que disparaît à jamais d′un salon telle personne intime, qu′on recevait tous les jours et avec qui, pour une raison ou pour une autre, on s′est brouillé ou qu′on tient à cacher et qu′on ne fréquente qu′au dehors. M. de Charlus fut satisfait de la disparition de « payer le thé ». Il y vit une preuve de son ascendant sur Morel et l′effacement de la seule petite tache à la perfection de la jeune fille. Enfin, comme tous ceux de son espèce, tout en étant sincèrement l′ami de Morel et de sa presque fiancée, l′ardent partisan de leur union, il était assez friand du pouvoir de créer à son gré de plus ou moins inoffensives piques, en dehors et au-dessus desquelles il demeurait aussi olympien qu′eût été son frère. We may be certain that Morel, relying on the influence which his personal attractions give him over the girl, communicated to her, as coming from himself, the Baron′s criticism, for the expression ‘stand you a tea′ disappeared as completely from the tailor′s shop as disappears from a drawing-room some intimate friend who used to call daily, and with whom, for one reason or another, we have quarrelled, or whom we are trying to keep out of sight and meet only outside the house. M. de Charlus was satisfied by the cessation of ‘stand you a tea.′ He saw in it a proof of his own ascendancy over Morel and the removal of its one little blemish from the girl′s perfection. In short, like everyone of his kind, while genuinely fond of Morel and of the girl who was all but engaged to him, an ardent advocate of their marriage, he thoroughly enjoyed his power to create at his pleasure more or less inoffensive little scenes, aloof from and above which he himself remained as Olympian as his brother.
Morel avait dit à M. de Charlus qu′il aimait la nièce de Jupien, voulait l′épouser, et il était doux au baron d′accompagner son jeune ami dans des visites où il jouait le rôle de futur beau-père, indulgent et discret. Rien ne lui plaisait mieux. Morel had told M. de Charlus that he was in love with Jupien′s niece, and wished to marry her, and the Baron liked to accompany his young friend upon visits in which he played the part of father-in-law to be, indulgent and discreet. Nothing pleased him better.
Mon opinion personnelle est que « payer le thé » venait de Morel lui-même, et que, par aveuglement d′amour, la jeune couturière avait adopté une expression de l′être adoré, laquelle jurait par sa laideur au milieu du joli parler de la jeune fille. Ce parler, ces charmantes manières qui s′y accordaient, la protection de M. de Charlus faisaient que beaucoup de clientes, pour qui elle avait travaillé, la recevaient en amie, l′invitaient à dîner, la mêlaient à leurs relations, la petite n′acceptant du reste qu′avec la permission du baron de Charlus et les soirs où cela lui convenait. « Une jeune couturière dans le monde ? » dira-t-on, quelle invraisemblance ! Si l′on y songe, il n′était pas moins invraisemblable qu′autrefois Albertine vînt me voir à minuit, et maintenant vécût avec moi. Et c′eût peut-être été invraisemblable d′une autre, mais nullement d′Albertine, sans père ni mère, menant une vie si libre qu′au début je l′avais prise à Balbec pour la maîtresse d′un coureur, ayant pour parente la plus rapprochée Mme Bontemps qui, déjà chez Mme Swann, n′admirait chez sa nièce que ses mauvaises manières et maintenant fermait les yeux, surtout si cela pouvait la débarrasser d′elle en lui faisant faire un riche mariage où un peu de l′argent irait à sa tante (dans le plus grand monde, des mères très nobles et très pauvres, ayant réussi à faire faire à leur fils un riche mariage, se laissent entretenir par les jeunes époux, acceptent des fourrures, une automobile, de l′argent d′une belle-fille qu′elles n′aiment pas et qu′elles font recevoir). My personal opinion is that ‘stand you a tea′ had originated with Morel himself, and that in the blindness of her love the young seamstress had adopted an expression from her beloved which clashed horribly with her own pretty way of speaking. This way of speaking, the charming manners that went with it, the patronage of M. de Charlus brought it about that many customers for whom she had worked received her as a friend, invited her to dinner, introduced her to their friends, though the girl accepted their invitations only with the Baron′s permission and on the evenings that suited him. “A young seamstress received in society?” the reader will exclaim, “how improbable!” If you come to think of it, it was no less improbable that at one time Albertine should have come to see me at midnight, and that she should now be living in my house. And yet this might perhaps have been improbable of anyone else, but not of Albertine, a fatherless and motherless orphan, leading so uncontrolled a life that at first I had taken her, at Balbec, for the mistress of a bicyclist, a girl whose next of kin was Mme. Bontemps who in the old days, at Mme. Swann′s, had admired nothing about her niece but her bad manners and who now shut her eyes, especially if by doing so she might be able to get rid of her by securing for her a wealthy marriage from which a little of the wealth would trickle into the aunt′s pocket (in the highest society, a mother who is very well-born and quite penniless, when she has succeeded in finding a rich bride for her son, allows the young couple to support her, accepts presents of furs, a motor-car, money from a daughter-in-law whom she does not like but whom she introduces to her friends).
Il viendra peut-être un jour où les couturières, ce que je ne trouverais nullement choquant, iront dans le monde. La nièce de Jupien, étant une exception, ne peut encore le laisser prévoir, une hirondelle ne fait pas le printemps. En tous cas, si la toute petite situation de la nièce de Jupien scandalisa quelques personnes, ce ne fut pas Morel, car, sur certains points, sa bêtise était si grande que non seulement il trouvait « plutôt bête » cette jeune fille mille fois plus intelligente que lui, peut-être seulement parce qu′elle l′aimait, mais encore il supposait être des aventurières, des sous-couturières déguisées, faisant les dames, les personnes fort bien posées qui la recevaient et dont elle ne tirait pas vanité. Naturellement ce n′était pas des Guermantes, ni même des gens qui les connaissaient, mais des bourgeoises riches, élégantes, d′esprit assez libre pour trouver qu′on ne se déshonore pas en recevant une couturière, d′esprit assez esclave aussi pour avoir quelque contentement de protéger une jeune fille que Son Altesse le baron de Charlus allait, en tout bien tout honneur, voir tous les jours. The day may come when dressmakers — nor should I find it at all shocking — will move in society. Jupien′s niece being an exception affords us no base for calculation, for one swallow does not make a summer. In any case, if the very modest advancement of Jupien′s niece did scandalise some people, Morel was not among them, for, in certain respects, his stupidity was so intense that not only did he label ‘rather a fool′ this girl a thousand times cleverer than himself, and foolish only perhaps in her love for himself, but he actually took to be adventuresses, dressmakers′ assistants in disguise playing at being ladies, the persons of rank and position who invited her to their houses and whose invitations she accepted without a trace of vanity. Naturally these were not Guermantes, nor even people who knew the Guermantes, but rich and smart women of the middle-class, broad-minded enough to feel that it is no disgrace to invite a dressmaker to your house and at the same time servile enough to derive some satisfaction from patronising a girl whom His Highness the Baron de Charlus was in the habit — without any suggestion, of course, of impropriety — of visiting daily.
Rien ne plaisait mieux que l′idée de ce mariage au baron, lequel pensait qu′ainsi Morel ne lui serait pas enlevé. Il paraît que la nièce de Jupien avait fait, presque enfant, une « faute ». Et M. de Charlus, tout en faisant son éloge à Morel, n′aurait pas été fâché de le confier à son ami, qui eût été furieux, et de semer ainsi la zizanie. Car M. de Charlus, quoique terriblement méchant, ressemblait à un grand nombre de personnes bonnes, qui font les éloges d′un tel ou d′une telle pour prouver leur propre bonté, mais se garderaient comme du feu des paroles bienfaisantes, si rarement prononcées, qui seraient capables de faire régner la paix. Malgré cela, le baron se gardait d′aucune insinuation, et pour deux causes. « Si je lui raconte, se disait-il, que sa fiancée n′est pas sans tache, son amour-propre sera froissé, il m′en voudra. Et puis, qui me dit qu′il n′est pas amoureux d′elle ? Si je ne dis rien, ce feu de paille s′éteindra vite, je gouvernerai leurs rapports à ma guise, il ne l′aimera que dans la mesure où je le souhaiterai. Si je lui raconte la faute passée de sa promise, qui me dit que mon Charlie n′est pas encore assez amoureux pour devenir jaloux ? Alors, je transformerai, par ma propre faute, un flirt sans conséquence et qu′on mène comme on veut, en un grand amour, chose difficile à gouverner. » Pour ces deux raisons, M. de Charlus gardait un silence qui n′avait que les apparences de la discrétion, mais qui, par un autre côté, était méritoire, car se taire est presque impossible aux gens de sa sorte. Nothing could have pleased the Baron more than the idea of this marriage, for he felt that in this way Morel would not be taken from him. It appears that Jupien′s niece had been, when scarcely more than a child, ‘in trouble.′ And M. de Charlus, while he sang her praises to Morel, would have had no hesitation in revealing this secret to his friend, who would be furious, and thus sowing the seeds of discord. For M. de Charlus, although terribly malicious, resembled a great many good people who sing the praises of some man or woman, as a proof of their own generosity, but would avoid like poison the soothing words, so rarely uttered, that would be capable of putting an end to strife. Notwithstanding this, the Baron refrained from making any insinuation, and for two reasons. “If I tell him,” he said to himself, “that his ladylove is not spotless, his vanity will be hurt, he will be angry with me. Besides, how am I to know that he is not in love with her? If I say nothing, this fire of straw will burn itself out before long, I shall be able to control their relations as I choose, he will love her only to the extent that I shall allow. If I tell him of his young lady′s past transgression, who knows that my Charlie is not still sufficiently enamoured of her to become jealous. Then I shall by my own doing be converting a harmless and easily controlled flirtation into a serious passion, which is a difficult thing to manage.” For these reasons, M. de Charlus preserved a silence which had only the outward appearance of discretion, but was in another respect meritorious, since it is almost impossible for men of his sort to hold their tongues.
D′ailleurs, la jeune fille était délicieuse, et M. de Charlus, en qui elle satisfaisait tout le goût esthétique qu′il pouvait avoir pour les femmes, aurait voulu avoir d′elle des centaines de photographies. Moins bête que Morel, il apprenait avec plaisir les dames comme il faut qui la recevaient et que son flair social situait bien, mais il se gardait (voulant garder l′empire) de le dire à Charlie, lequel, vraie brute en cela, continuait à croire qu′en dehors de la « classe de violon » et des Verdurin, seuls existaient les Guermantes, les quelques familles presque royales énumérées par le baron, tout le reste n′étant qu′une « lie », une « tourbe ». Charlie prenait ces expressions de M. de Charlus à la lettre. Anyhow, the girl herself was charming, and M. de Charlus, who found that she satisfied all the aesthetic interest that he was capable of feeling in women, would have liked to have hundreds of photographs of her. Not such a fool as Morel, he was delighted to hear the names of the ladies who invited her to their houses, and whom his social instinct was able to place, but he took care (as he wished to retain his power) not to mention this to Charlie who, a regular idiot in this respect, continued to believe that, apart from the ‘violin class′ and the Verdurins, there existed only the Guermantes, and the few almost royal houses enumerated by the Baron, all the rest being but ‘dregs′ or ‘scum.′ Charlie interpreted these expressions of M. de Charlus literally.
Parmi les raisons qui rendaient M. de Charlus heureux du mariage des deux jeunes gens il y avait celle-ci, que la nièce de Jupien serait en quelque sorte une extension de la personnalité de Morel et par là du pouvoir à la fois et de la connaissance que le baron avait de lui. « Tromper », dans le sens conjugal, la future femme du violoniste, M. de Charlus n′eût même pas songé une seconde à en éprouver du scrupule. Mais avoir un « jeune ménage » à guider, se sentir le protecteur redouté et tout-puissant de la femme de Morel, laquelle, considérant le baron comme un dieu, prouverait par là que le cher Morel lui avait inculqué cette idée, et contiendrait ainsi quelque chose de Morel, firent varier le genre de domination de M. de Charlus et naître en sa « chose », Morel, un être de plus, l′époux, c′est-à-dire lui donnèrent quelque chose de plus, de nouveau, de curieux à aimer en lui. Peut-être même cette domination serait-elle plus grande maintenant qu′elle n′avait jamais été. Car là où Morel seul, nu pour ainsi dire, résistait souvent au baron qu′il se sentait sûr de reconquérir, une fois marié, pour son ménage, son appartement, son avenir, il aurait peur plus vite, offrirait aux volontés de M. de Charlus plus de surface et de prise. Tout cela et même au besoin, les soirs où il s′ennuierait, de mettre la guerre entre les époux (le baron n′avait jamais détesté les tableaux de bataille) plaisait à M. de Charlus. Moins pourtant que de penser à la dépendance de lui où vivrait le jeune ménage. L′amour de M. de Charlus pour Morel reprenait une nouveauté délicieuse quand il se disait : sa femme aussi sera à moi autant qu′il est à moi, ils n′agiront que de la façon qui ne peut me fâcher, ils obéiront à mes caprices, et ainsi elle sera un signe (jusqu′ici inconnu de moi) de ce que j′avais presque oublié et qui est si sensible à mon cœur, que pour tout le monde, pour ceux qui me verront les protéger, les loger, pour moi-même, Morel est mien. De cette évidence aux yeux des autres et aux siens, M. de Charlus était plus heureux que de tout le reste. Car la possession de ce qu′on aime est une joie plus grande encore que l′amour. Bien souvent ceux qui cachent à tous cette possession ne le font que par la peur que l′objet chéri ne leur soit enlevé. Et leur bonheur, par cette prudence de se taire, en est diminué. Among the reasons which made M. de Charlus look forward to the marriage of the young couple was this, that Jupien′s niece would then be in a sense an extension of Morel′s personality, and so of the Baron′s power over and knowledge of him. As for ‘betraying′ in the conjugal sense the violinist′s future wife, it would never for a moment have occurred to M. de Charlus to feel the slightest scruple about that. But to have a ‘young couple′ to manage, to feel himself the redoubtable and all-powerful protector of Morel′s wife, who if she regarded the Baron as a god would thereby prove that Morel had inculcated this idea into her, and would thus contain in herself something of Morel, added a new variety to the form of M. de Charlus′s domination and brought to light in his ‘creature,′ Morel, a creature the more, that is to say gave the Baron something different, new, curious, to love in him. Perhaps even this domination would be stronger now than it had ever been. For whereas Morel by himself, naked so to speak, often resisted the Baron whom he felt certain of reconquering, once he was married, the thought of his home, his house, his future would alarm him more quickly, he would offer to M. de Charlus′s desires a wider surface, an easier hold. All this, and even, failing anything else, on evenings when he was bored, the prospect of stirring up trouble between husband and wife (the Baron had never objected to battle-pictures) was pleasing to him. Less pleasing, however, than the thought of the state of dependence upon himself in which the young people would live. M. de Charlus′s love for Morel acquired a delicious novelty when he said to himself: “His wife too will be mine just as much as he is, they will always take care not to annoy me, they will obey my caprices, and thus she will be a sign (which hitherto I have failed to observe) of what I had almost forgotten, what is so very dear to my heart, that to all the world, to everyone who sees that I protect them, house them, to myself, Morel is mine.” This testimony in the eyes of the world and in his own pleased M. de Charlus more than anything. For the possession of what we love is an even greater joy than love itself. Very often those people who conceal this possession from the world do so only from the fear that the beloved object may be taken from them. And their happiness is diminished by this prudent reticence.
On se souvient peut-être que Morel avait jadis dit au baron que son désir, c′était de séduire une jeune fille, en particulier celle-là, et que pour y réussir il lui promettrait le mariage, et, le viol accompli, il « ficherait le camp au loin » ; mais cela, devant les aveux d′amour pour la nièce de Jupien que Morel était venu lui faire, M. de Charlus l′avait oublié. Bien plus, il en était peut-être de même pour Morel. Il y avait peut-être intervalle véritable entre la nature de Morel — telle qu′il l′avait cyniquement avouée, peut-être même habilement exagérée — et le moment où elle reprendrait le dessus. En se liant davantage avec la jeune fille, elle lui avait plu, il l′aimait. Il se connaissait si peu qu′il se figurait sans doute l′aimer, même peut-être l′aimer pour toujours. Certes, son premier désir initial, son projet criminel subsistaient, mais recouverts par tant de sentiments superposés que rien ne dit que le violoniste n′eût pas été sincère en disant que ce vicieux désir n′était pas le mobile véritable de son acte. Il y eut du reste une période de courte durée où, sans qu′il se l′avouât exactement, ce mariage lui parut nécessaire. Morel avait à ce moment-là d′assez fortes crampes à la main et se voyait obligé d′envisager l′éventualité d′avoir à cesser le violon. Comme, en dehors de son art, il était d′une incompréhensible paresse, la nécessité de se faire entretenir s′imposait et il aimait mieux que ce fût par la nièce de Jupien que par M. de Charlus, cette combinaison lui offrant plus de liberté, et aussi un grand choix de femmes différentes, tant par les apprenties toujours nouvelles, qu′il chargerait la nièce de Jupien de lui débaucher, que par les belles dames riches auxquelles il la prostituerait. Que sa future femme pût refuser de condescendre à ces complaisances et fût perverse à ce point n′entrait pas un instant dans les calculs de Morel. D′ailleurs ils passèrent au second plan, y laissèrent la place à l′amour pur, les crampes ayant cessé. Le violon suffirait avec les appointements de M. de Charlus, duquel les exigences se relâcheraient certainement une fois que lui, Morel, serait marié à la jeune fille. Le mariage était la chose pressée, à cause de son amour et dans l′intérêt de sa liberté. Il fit demander la main de la nièce de Jupien, lequel la consulta. Aussi bien n′était-ce pas nécessaire. La passion de la jeune fille pour le violoniste ruisselait autour d′elle, comme ses cheveux quand ils étaient dénoués, comme la joie de ses regards répandus. Chez Morel, presque toute chose qui lui était agréable ou profitable éveillait des émotions morales et des paroles de même ordre, parfois même des larmes. C′est donc sincèrement — si un pareil mot peut s′appliquer à lui — qu′il tenait à la nièce de Jupien des discours aussi sentimentaux (sentimentaux sont aussi ceux que tant de jeunes nobles ayant envie de ne rien faire dans la vie tiennent à quelque ravissante jeune fille de richissime bourgeois) qui étaient d′une bassesse sans fard, celle qu′il avait exposé à M. de Charlus au sujet de la séduction, du dépucelage. Seulement l′enthousiasme vertueux à l′égard d′une personne qui lui causait un plaisir et les engagements solennels qu′il prenait avec elle avaient une contre-partie chez Morel. Dès que la personne ne lui causait plus de plaisir, ou même, par exemple, si l′obligation de faire face aux promesses faites lui causait du déplaisir, elle devenait aussitôt, de la part de Morel, l′objet d′une antipathie qu′il justifiait à ses propres yeux, et qui, après quelques troubles neurasthéniques, lui permettait de se prouver à soi-même, une fois l′euphorie de son système nerveux reconquise, qu′il était, en considérant même les choses d′un point de vue purement vertueux, dégagé de toute obligation. Ainsi, à la fin de son séjour à Balbec, il avait perdu je ne sais à quoi tout son argent et, n′ayant pas osé le dire à M. de Charlus, cherchait quelqu′un à qui en demander. Il avait appris de son père (qui, malgré cela, lui avait défendu de devenir jamais « tapeur ») qu′en pareil cas il est convenable d′écrire, à la personne à qui on veut s′adresser, « qu′on a à lui parler pour affaires », qu′on lui « demande un rendez-vous pour affaires ». Cette formule magique enchantait tellement Morel qu′il eût, je pense, souhaité perdre de l′argent rien que pour le plaisir de demander un rendez-vous « pour affaires ». Dans la suite de la vie, il avait vu que la formule n′avait pas toute la vertu qu′il pensait. Il avait constaté que des gens, auxquels lui-même n′eût jamais écrit sans cela, ne lui avaient pas répondu cinq minutes après avoir reçu la lettre pour parler affaires ». Si l′après-midi s′écoulait sans que Morel eût de réponse, l′idée ne lui venait pas que, même à tout mettre au mieux, le monsieur sollicité n′était peut-être pas rentré, avait pu avoir d′autres lettres à écrire, si même il n′était pas parti en voyage, ou tombé malade, etc. Si Morel recevait, par une fortune extraordinaire, un rendez-vous pour le lendemain matin, il abordait le sollicité par ces mots : « Justement j′étais surpris de ne pas avoir de réponse, je me demandais s′il y avait quelque chose ; alors, comme ça, la santé va toujours bien, etc. » Donc à Balbec, et sans me dire qu′il avait à lui parler d′une « affaire », il m′avait demandé de le présenter à ce même Bloch avec lequel il avait été si désagréable une semaine auparavant dans le train. Bloch n′avait pas hésité à lui prêter — ou plutôt à lui faire prêter par M. Nissim Bernard — 5.000 francs. De ce jour, Morel avait adoré Bloch. Il se demandait les larmes aux yeux comment il pourrait rendre service à quelqu′un qui lui avait sauvé la vie. Enfin, je me chargeai de demander pour Morel 1.000 francs par mois à M. de Charlus, argent que celui-ci remettrait aussitôt à Bloch, qui se trouverait ainsi remboursé assez vite. Le premier mois, Morel, encore sous l′impression de la bonté de Bloch, lui envoya immédiatement les 1.000 francs ; mais après cela il trouva sans doute qu′un emploi différent des 4.000 francs qui restaient pourrait être plus agréable, car il commença à dire beaucoup de mal de Bloch. La vue de celui-ci suffisait à lui donner des idées noires, et Bloch ayant oublié lui-même exactement ce qu′il avait prêté à Morel, et lui ayant réclamé 3.500 francs au lieu de 4.000, ce qui eût fait gagner 500 francs au violoniste, ce dernier voulut répondre que, devant un pareil faux, non seulement il ne paierait plus un centime mais que son prêteur devait s′estimer bien heureux qu′il ne déposât pas une plainte contre lui. En disant cela, ses yeux flambaient. Il ne se contenta pas, du reste, de dire que Bloch et M. Nissim Bernard n′avaient pas à lui en vouloir, mais bientôt qu′ils devaient se déclarer heureux qu′il ne leur en voulût pas. Enfin, M. Nissim Bernard ayant, paraît-il, déclaré que Thibaud jouait aussi bien que Morel, celui-ci trouva qu′il devait l′attaquer devant les tribunaux, un tel propos lui nuisant dans sa profession ; puis, comme il n′y a plus de justice en France, surtout contre les Juifs (l′antisémitisme ayant été chez Morel l′effet naturel du prêt de 5.000 francs par un Israélite), il ne sortit plus qu′avec un revolver chargé. Un tel état nerveux suivant une vive tendresse, devait bientôt se produire chez Morel relativement à la nièce du giletier. Il est vrai que M. de Charlus fut peut-être, sans s′en douter, pour quelque chose dans ce changement, car souvent il déclarait, sans en penser un seul mot, et pour les taquiner, qu′une fois mariés il ne les reverrait plus et les laisserait voler de leurs propres ailes. Cette idée était, en elle-même, absolument insuffisante pour détacher Morel de la jeune fille ; restant dans l′esprit de Morel, elle était prête, le jour venu, à se combiner avec d′autres idées ayant de l′affinité pour elle et capables, une fois le mélange réalisé, de devenir un puissant agent de rupture. The reader may remember that Morel had once told the Baron that his great ambition was to seduce some young girl, and this girl in particular, that to succeed in his enterprise he would promise to marry her, and, the outrage accomplished, would ‘cut his hook′; but this confession, what with the declarations of love for Jupien′s niece which Morel had come and poured out to him, M. de Charlus had forgotten. What was more, Morel had quite possibly forgotten it himself. There was perhaps a real gap between Morel′s nature — as he had cynically admitted, perhaps even artfully exaggerated it — and the moment at which it would regain control of him. As he became better acquainted with the girl, she had appealed to him, he began to like her. He knew himself so little that he doubtless imagined that he was in love with her, perhaps indeed that he would be in love with her always. To be sure his initial desire, his criminal intention remained, but glossed over by so many layers of sentiment that there is nothing to shew that the violinist would not have been sincere in saying that this vicious desire was not the true motive of his action. There was, moreover, a brief period during which, without his actually admitting it to himself, this marriage appeared to him to be necessary. Morel was suffering at the time from violent cramp in the hand, and found himself obliged to contemplate the possibility of his having to give up the violin. As, in everything but his art, he was astonishingly lazy, the question who was to maintain him loomed before him, and he preferred that it should be Jupien′s niece rather than M. de Charlus, this arrangement offering him greater freedom and also a wider choice of several kinds of women, ranging from the apprentices, perpetually changing, whom he would make Jupien′s niece debauch for him, to the rich and beautiful ladies to whom he would prostitute her. That his future wife might refuse to lend herself to these arrangements, that she could be so perverse never entered Morel′s calculations for a moment. However, they passed into the background, their place being taken by pure love, now that his cramp had ceased. His violin would suffice, together with his allowance from M. de Charlus, whose claims upon him would certainly be reduced once he, Morel, was married to the girl. Marriage was the urgent thing, because of his love, and in the interest of his freedom. He made a formal offer of marriage to Jupien, who consulted his niece. This was wholly unnecessary. The girl′s passion for the violinist streamed round about her, like her hair when she let it down, like the joy in her beaming eyes. In Morel, almost everything that was agreeable or advantageous to him awakened moral emotions and words to correspond, sometimes even melting him to tears. It was therefore sincerely — if such a word can be applied to him — that he addressed Jupien′s niece in speeches as steeped in sentimentality (sentimental too are the speeches that so many young noblemen who look forward to a life of complete idleness address to some charming daughter of a middle-class millionaire) as had been steeped in unredeemed vileness the speech he had made to M. de Charlus about the seduction and deflowering of a virgin. Only there was another side to this virtuous enthusiasm for a person who afforded him pleasure and the solemn engagement that he made with her. As soon as the person ceased to afford him pleasure, or indeed if, for example, the obligation to fulfil the promise that he had made caused him displeasure, she at once became the object of an antipathy which he justified in his own eyes and which, after some neurasthenic disturbance, enabled him to prove to himself, as soon as the balance of his nervous system was restored, that he was, even looking at the matter from a purely virtuous point of view, released from any obligation. Thus, towards the end of his stay at Balbec, he had managed somehow to lose all his money and, not daring to mention the matter to M. de Charlus, looked about for some one to whom he might appeal. He had learned from his father (who at the same time had forbidden him ever to become a ‘sponger′) that in such circumstances the correct thing is to write to the person whom you intend to ask for a loan, “that you have to speak to him on business,” to “ask him for a business appointment.” This magic formula had so enchanted Morel that he would, I believe, have been glad to lose his money, simply to have the pleasure of asking for an appointment ‘on business.′ In the course of his life he had found that the formula had not quite the virtue that he supposed. He had discovered that certain people, to whom otherwise he would never have written at all, did not reply within five minutes of receiving his letter asking to speak to them ‘on business.′ If the afternoon went by without his receiving an answer, it never occurred to him that, to put the best interpretation on the matter, it was quite possible that the gentleman addressed had not yet come home, or had had other letters to write, if indeed he had not gone away from home altogether, fallen ill, or something of that sort. If by an extraordinary stroke of fortune Morel was given an appointment for the following morning, he would accost his intended creditor with: “I was quite surprised not to get an answer, I was wondering if there was anything wrong with you, I′m glad to see you′re quite well,” and so forth. Well then, at Balbec, and without telling me that he wished to talk ‘business′ to him, he had asked me to introduce him to that very Bloch to whom he had made himself so unpleasant a week earlier in the train. Bloch had not hesitated to lend him — or rather to secure a loan for him, from M. Nissim Bernard, of five thousand francs. From that moment Morel had worshipped Bloch. He asked himself with tears in his eyes how he could shew his indebtedness to a person who had saved his life. Finally, I undertook to ask on his behalf for a thousand francs monthly from M. de Charlus, a sum which he would at once forward to Bloch who would thus find himself repaid within quite a short time. The first month, Morel, still under the impression of Bloch′s generosity, sent him the thousand francs immediately, but after this he doubtless found that a different application of the remaining four thousand francs might be more satisfactory to himself, for he began to say all sorts of unpleasant things about Bloch. The mere sight of Bloch was enough to fill his mind with dark thoughts, and Bloch himself having forgotten the exact amount that he had lent Morel, and having asked him for 3,500 francs instead of 4,000 which would have left the violinist 500 francs to the good, the latter took the line that, in view of so preposterous a fraud, not only would he not pay another centime but his creditor might think himself very fortunate if Morel did not bring an action against him for slander. As he said this his eyes blazed. He did not content himself with asserting that Bloch and M. Nissim Bernard had no cause for complaint against him, but was soon saying that they might consider themselves lucky that he made no complaint against them. Finally, M. Nissim Bernard having apparently stated that Thibaut played as well as Morel, the last-named decided that he ought to take the matter into court, such a remark being calculated to damage him in his profession, then, as there was no longer any justice in France, especially against the Jews (anti-semitism being in Morel the natural effect of a loan of 5,000 francs from an Israelite), took to never going out without a loaded revolver. A similar nervous reaction, in the wake of keen affection, was soon to occur in Morel with regard to the tailor′s niece. It is true that M. de Charlus may have been unconsciously responsible, to some extent, for this change, for he was in the habit of saying, without meaning what he said for an instant, and merely to tease them, that, once they were married, he would never set eyes on them again but would leave them to fly upon their own wings. This idea was, in itself, quite insufficient to detach Morel from the girl; but, lurking in his mind, it was ready when the time came to combine with other analogous ideas, capable, once the compound was formed, of becoming a powerful disruptive agent.
Ce n′était pas, d′ailleurs, très souvent qu′il m′arrivait de rencontrer M. de Charlus et Morel. Souvent ils étaient déjà entrés dans la boutique de Jupien quand je quittais la duchesse, car le plaisir que j′avais auprès d′elle était tel que j′en venais à oublier non seulement l′attente anxieuse qui précédait le retour d′Albertine, mais même l′heure de ce retour. It was not very often, however, that I was fated to meet M. de Charlus and Morel. Often they had already passed into Jupien′s shop when I came away from the Duchess, for the pleasure that I found in her society was such that I was led to forget not merely the anxious expectation that preceded Albertine′s return, but even the hour of that return.
Je mettrai à part, parmi ces jours où je m′attardai chez Mme de Guermantes, un qui fut marqué par un petit incident dont la cruelle signification m′échappa entièrement et ne fut comprise par moi que longtemps après. Cette fin d′après-midi-là, Mme de Guermantes m′avait donné, parce qu′elle savait que je les aimais, des seringas venus du Midi. Quand, ayant quitté la duchesse, je remontai chez moi, Albertine était rentrée ; je croisai dans l′escalier Andrée, que l′odeur si violente des fleurs que je rapportais sembla incommoder. I shall set apart from the other days on which I lingered at Mme. de Guermantes′s, one that was distinguished by a trivial incident the cruel significance of which entirely escaped me and did not enter my mind until long afterwards. On this particular afternoon, Mme. de Guermantes had given me, knowing that I was fond of them, some branches of syringa which had been sent to her from the South. When I left the Duchess and went upstairs to our flat, Albertine had already returned, and on the staircase I ran into Andrée who seemed to be distressed by the powerful fragrance of the flowers that I was bringing home.
« Comment, vous êtes déjà rentrées ? lui dis-je. — Il n′y a qu′un instant, mais Albertine avait à écrire, elle m′a renvoyée. — Vous ne pensez pas qu′elle ait quelque projet blâmable ? — Nullement, elle écrit à sa tante, je crois, mais elle qui n′aime pas les odeurs fortes ne sera pas enchantée de vos seringas. — Alors, j′ai eu une mauvaise idée ! Je vais dire à Françoise de les mettre sur le carré de l′escalier de service. — Si vous vous imaginez qu′Albertine ne sentira pas après vous l′odeur de seringa. Avec l′odeur de la tubéreuse, c′est peut-être la plus entêtante ; d′ailleurs je crois que Françoise est allée faire une course. — Mais alors, moi qui n′ai pas aujourd′hui ma clef, comment pourrai-je rentrer ? — Oh ! vous n′aurez qu′à sonner. Albertine vous ouvrira. Et puis Françoise sera peut-être remontée dans l′intervalle. » “What, are you back already?” I said. “Only this moment, but Albertine had letters to write, so she sent me away.” “You don′t think she′s up to any mischief?” “Not at all, she′s writing to her aunt, I think, but you know how she dislikes strong scents, she won′t be particularly pleased to see those syringas.” “How stupid of me! I shall tell Françoise to put them out on the service stair.” “Do you imagine Albertine won′t notice the scent of them on you? Next to tuberoses they′ve the strongest scent of any flower, I always think; anyhow, I believe Françoise has gone out shopping.” “But in that case, as I haven′t got my latchkey, how am I to get in?” “Oh, you′ve only got to ring the bell. Albertine will let you in. Besides, Françoise may have come back by this time.”
Je dis adieu à Andrée. Dès mon premier coup Albertine vint m′ouvrir, ce qui fut assez compliqué, car, Françoise étant descendue, Albertine ne savait pas où allumer. Enfin elle put me faire entrer, mais les fleurs de seringa la mirent en fuite. Je les posai dans la cuisine, de sorte qu′interrompant sa lettre (je ne compris pas pourquoi), mon amie eut le temps d′aller dans ma chambre, d′où elle m′appela, et de s′étendre sur mon lit. Encore une fois, au moment même, je ne trouvai à tout cela rien que de très naturel, tout au plus d′un peu confus, en tous cas d′insignifiant. Elle avait failli être surprise avec Andrée et s′était donné un peu de temps en éteignant tout, en allant chez moi pour ne pas laisser voir son lit en désordre, et avait fait semblant d′être en train d′écrire. Mais on verra tout cela plus tard, tout cela dont je n′ai jamais su si c′était vrai. En général, et sauf cet incident unique, tout se passait normalement quand je remontais de chez la duchesse. Albertine ignorant si je ne désirais pas sortir avec elle avant le dîner, je trouvais d′habitude dans l′antichambre son chapeau, son manteau, son ombrelle qu′elle y avait laissés à tout hasard. Dès qu′en entrant je les apercevais, l′atmosphère de la maison devenait respirable. Je sentais qu′au lieu d′un air raréfié, le bonheur la remplissait. J′étais sauvé de ma tristesse, la vue de ces riens me faisait posséder Albertine, je courais vers elle. I said good-bye to Andrée. I had no sooner pressed the bell than Albertine came to open the door, which required some doing, as Françoise had gone out and Albertine did not know where to turn on the light. At length she was able to let me in, but the scent of the syringas put her to flight. I took them to the kitchen, with the result that my mistress, leaving her letter unfinished (why, I did not understand), had time to go to my room, from which she called to me, and to lay herself down on my bed. Even then, at the actual moment, I saw nothing in all this that was not perfectly natural, at the most a little confused, but in any case unimportant. She had nearly been caught out with Andrée and had snatched a brief respite for herself by turning out the lights, going to my room so that I should not see the disordered state of her own bed, and pretending to be busy writing a letter. But we shall see all this later on, a situation the truth of which I never ascertained. In general, and apart from this isolated incident, everything was quite normal when I returned from my visit to the Duchess. Since Albertine never knew whether I might not wish to go out with her before dinner, I usually found in the hall her hat, cloak and umbrella, which she had left lying there in case they should be needed. As soon as, on opening the door, I caught sight of them, the atmosphere of the house became breathable once more. I felt that, instead of a rarefied air, it was happiness that filled it. I was rescued from my melancholy, the sight of these trifles gave me possession of Albertine, I ran to greet her.
Les jours où je ne descendais pas chez Mme de Guermantes, pour que le temps me semblât moins long durant cette heure qui précédait le retour de mon amie, je feuilletais un album d′Elstir, un livre de Bergotte, la sonate de Vinteuil. On the days when I did not go down to Mme. de Guermantes, to pass the time somehow, during the hour that preceded the return of my mistress, I would take up an album of Elstir′s work, one of Bergotte′s books, Vinteuil′s sonata.
Alors, comme les œuvres mêmes qui semblent s′adresser seulement à la vue et à l′ouexigent que pour les goûter notre intelligence éveillée collabore étroitement avec ces deux sens, je faisais, sans m′en douter, sortir de moi les rêves qu′Albertine y avait jadis suscités quand je ne la connaissais pas encore, et qu′avait éteints la vie quotidienne. Je les jetais dans la phrase du musicien ou l′image du peintre comme dans un creuset, j′en nourrissais l′œuvre que je lisais. Et sans doute celle-ci m′en paraissait plus vivante. Mais Albertine ne gagnait pas moins à être ainsi transportée de l′un des deux mondes où nous avons accès et où nous pouvons situer tour à tour un même objet, à échapper ainsi à l′écrasante pression de la matière pour se jouer dans les fluides espaces de la pensée. Je me trouvais tout d′un coup et pour un instant pouvoir éprouver, pour la fastidieuse jeune fille, des sentiments ardents. Elle avait à ce moment-là l′apparence d′une œuvre d′Elstir ou de Bergotte, j′éprouvais une exaltation momentanée pour elle, la voyant dans le recul de l′imagination et de l′art. Then, just as those works of art which seem to address themselves to the eye or ear alone require that, if we are to enjoy them, our awakened intelligence shall collaborate closely with those organs, I would unconsciously evoke from myself the dreams that Albertine had inspired in me long ago, before I knew her, dreams that had been stifled by the routine of everyday life. I cast them into the composer′s phrase or the painter′s image as into a crucible, or used them to enrich the book that I was reading. And no doubt the book appeared all the more vivid in consequence. But Albertine herself profited just as much by being thus transported out of one of the two worlds to which we have access, and in which we can place alternately the same object, by escaping thus from the crushing weight of matter to play freely in the fluid space of mind. I found myself suddenly and for the instant capable of feeling an ardent desire for this irritating girl. She had at that moment the appearance of a work by Elstir or Bergotte, I felt a momentary enthusiasm for her, seeing her in the perspective of imagination and art.
Bientôt on me prévenait qu′elle venait de rentrer ; encore avait-on ordre de ne pas dire son nom si je n′étais pas seul, si j′avais, par exemple, avec moi Bloch, que je forçais à rester un instant de plus, de façon à ne pas risquer qu′il rencontrât mon amie. Car je cachais qu′elle habitait la maison, et même que je la visse jamais chez moi, tant j′avais peur qu′un de mes amis s′amourachât d′elle, ne l′attendît dehors, ou que, dans l′instant d′une rencontre dans le couloir ou l′antichambre, elle pût faire un signe et donner un rendez-vous. Puis j′entendais le bruissement de la jupe d′Albertine se dirigeant vers sa chambre, car, par discrétion et sans doute aussi par ces égards où, autrefois, dans nos dîners à la Raspelière, elle s′était ingéniée pour que je ne fusse pas jaloux, elle ne venait pas vers la mienne sachant que je n′étais pas seul. Mais ce n′était pas seulement pour cela, je le comprenais tout à coup. Je me souvenais ; j′avais connu une première Albertine, puis brusquement elle avait été changée en une autre, l′actuelle. Et le changement, je n′en pouvais rendre responsable que moi-même. Tout ce qu′elle m′eût avoué facilement, puis volontiers, quand nous étions de bons camarades, avait cessé de s′épandre dès qu′elle avait cru que je l′aimais, ou, sans peut-être se dire le nom de l′Amour, avait deviné un sentiment inquisitorial qui veut savoir, souffre pourtant de savoir, et cherche à apprendre davantage. Depuis ce jour-là, elle m′avait tout caché. Elle se détournait de ma chambre si elle pensait que j′étais, non pas même, souvent, avec un ami, mais avec une amie, elle dont les yeux s′intéressaient jadis si vivement quand je parlais d′une jeune fille : « Il faut tâcher de la faire venir, ça m′amuserait de la connaître. — Mais elle a ce que vous appelez mauvais genre. — Justement, ce sera bien plus drôle. » À ce moment-là, j′aurais peut-être pu tout savoir. Et même quand, dans le petit Casino, elle avait détaché ses seins de ceux d′Andrée, je ne crois pas que ce fût à cause de ma présence, mais de celle de Cottard, lequel lui aurait fait, pensait-elle sans doute, une mauvaise réputation. Et pourtant, alors, elle avait déjà commencé de se figer, les paroles confiantes n′étaient plus sorties de ses lèvres, ses gestes étaient réservés. Puis elle avait écarté d′elle tout ce qui aurait pu m′émouvoir. Aux parties de sa vie que je ne connaissais pas elle donnait un caractère dont mon ignorance se faisait complice pour accentuer ce qu′il avait d′inoffensif. Et maintenant, la transformation était accomplie, elle allait droit à sa chambre si je n′étais pas seul, non pas seulement pour ne pas déranger, mais pour me montrer qu′elle était insoucieuse des autres. Il y avait une seule chose qu′elle ne ferait jamais plus pour moi, qu′elle n′aurait faite qu′au temps où cela m′eût été indifférent, qu′elle aurait faite aisément à cause de cela même : c′était précisément avouer. J′en serais réduit pour toujours, comme un juge, à tirer des conclusions incertaines d′imprudences de langage qui n′étaient peut-être pas inexplicables sans avoir recours à la culpabilité. Et toujours elle me sentirait jaloux et juge. Presently some one came to tell me that she had returned; though there was a standing order that her name was not to be mentioned if I was not alone, if for instance I had in the room with me Bloch, whom I would compel to remain with me a little longer so that there should be no risk of his meeting my mistress in the hall. For I concealed the fact that she was staying in the house, and even that I ever saw her there, so afraid was I that one of my friends might fall in love with her, and wait for her outside, or that in a momentary encounter in the passage or the hall she might make a signal and fix an appointment. Then I heard the rustle of Albertine′s petticoats on her way to her own room, for out of discretion and also no doubt in that spirit in which, when we used to go to dinner at la Raspelière, she took care that I should have no cause for jealousy, she did not come to my room, knowing that I was not alone. But it was not only for this reason, as I suddenly realised. I remembered; I had known a different Albertine, then all at once she had changed into another, the Albertine of to-day. And for this change I could hold no one responsible but myself. The admissions that she would have made to me, easily at first, then deliberately, when we were simply friends, had ceased to flow from her as soon as she had suspected that I was in love with her, or, without perhaps naming Love, had divined the existence in me of an inquisitorial sentiment that desires to know, is pained by the knowledge, and seeks to learn yet more. Ever since that day, she had concealed everything from me. She kept away from my room if she thought that my companion was (rarely as this happened) not male but female, she whose eyes used at one time to sparkle so brightly whenever I mentioned a girl: “You must try and get her to come here. I should like to meet her.” “But she has what you call a bad style.” “Of course, that makes it all the more fun.” At that moment, I might perhaps have learned all that there was to know. And indeed when in the little Casino she had withdrawn her breast from Andrée′s, I believe that this was due not to my presence but to that of Cottard, who was capable, she doubtless thought, of giving her a bad reputation. And yet, even then, she had already begun to ‘set,′ the confiding speeches no longer issued from her lips, her gestures became reserved. After this, she had stripped herself of everything that could stir my emotions. To those parts of her life of which I knew nothing she ascribed a character the inoffensiveness of which my ignorance made itself her accomplice in accentuating. And now, the transformation was completed, she went straight to her room if I was not alone, not merely from fear of disturbing me, but in order to shew me that she did not care who was with me. There was one thing alone which she would never again do for me, which she would have done only in the days when it would have left me cold, which she would then have done without hesitation for that very reason, namely make me a detailed admission. I should always be obliged, like a judge, to draw indefinite conclusions from imprudences of speech that were perhaps not really inexplicable without postulating criminality. And always she would feel that I was jealous, and judging her.
Tout en écoutant les pas d′Albertine, avec le plaisir confortable de penser qu′elle ne ressortirait plus ce soir, j′admirais que, pour cette jeune fille dont j′avais cru autrefois ne pouvoir jamais faire la connaissance, rentrer chaque jour chez elle, ce fût précisément rentrer chez moi. Le plaisir fait de mystère et de sensualité que j′avais éprouvé, fugitif et fragmentaire, à Balbec, le soir où elle était venue coucher à l′Hôtel, s′était complété, stabilisé, remplissait ma demeure, jadis vide, d′une permanente provision de douceur domestique, presque familiale, rayonnant jusque dans les couloirs, et de laquelle tous mes sens, tantôt effectivement, tantôt, dans les moments où j′étais seul, en imagination et par l′attente du retour, se nourrissaient paisiblement. Quand j′avais entendu se refermer la porte de la chambre d′Albertine, si j′avais un ami avec moi je me hâtais de le faire sortir, ne le lâchant que quand j′étais bien sûr qu′il était dans l′escalier, dont je descendais au besoin quelques marches. Il me disait que j′allais prendre mal, me faisant remarquer que notre maison était glaciale, pleine de courants d′air, et qu′on le paierait bien cher pour qu′il y habitât. De ce froid on se plaignait parce qu′il venait seulement de commencer et qu′on n′y était pas habitué encore, mais, pour cette même raison, il déchaînait en moi une joie qu′accompagnait le souvenir inconscient des premiers soirs d′hiver où autrefois, revenant de voyage, pour reprendre contact avec les plaisirs oubliés de Paris, j′allais au café-concert. Aussi est-ce en chantant qu′après avoir quitté mon ancien camarade, je remontais l′escalier et rentrais. La belle saison, en s′enfuyant, avait emporté les oiseaux. Mais d′autres musiciens invisibles, intérieurs, les avaient remplacés. Et la bise glacée dénoncée par Bloch, et qui soufflait délicieusement par les portes mal jointes de notre appartement, était, comme les beaux jours de l′été par les oiseaux des bois, éperdument saluée de refrains, inextinguiblement fredonnés, de Fragson, de Mayol ou de Paulus. Dans le couloir, au-devant de moi, venait Albertine. « Tenez, pendant que j′ôte mes affaires, je vous envoie Andrée, elle est montée une seconde pour vous dire bonsoir. » Et ayant encore autour d′elle le grand voile gris qui descendait de la toque de chinchilla et que je lui avais donné à Balbec, elle se retirait et rentrait dans sa chambre, comme si elle eût deviné qu′Andrée, chargée par moi de veiller sur elle, allait, en me donnant maint détail, en me faisant mention de la rencontre par elles deux d′une personne de connaissance, apporter quelque détermination aux régions vagues où s′était déroulée la promenade qu′elles avaient faite toute la journée et que je n′avais pu imaginer. Les défauts d′Andrée s′étaient accusés, elle n′était plus aussi agréable que quand je l′avais connue. Il y avait maintenant chez elle, à fleur de peau, une sorte d′aigre inquiétude, prête à s′amasser comme à la mer un « grain », si seulement je venais à parler de quelque chose qui était agréable pour Albertine et pour moi. Cela n′empêchait pas qu′Andrée pût être meilleure à mon égard, m′aimer plus — et j′en ai eu souvent la preuve — que des gens plus aimables. Mais le moindre air de bonheur qu′on avait, s′il n′était pas causé par elle, lui produisait une impression nerveuse, désagréable comme le bruit d′une porte qu′on ferme trop fort. Elle admettait les souffrances où elle n′avait point de part, non les plaisirs ; si elle me voyait malade, elle s′affligeait, me plaignait, m′aurait soigné. Mais si j′avais une satisfaction aussi insignifiante que de m′étirer d′un air de béatitude en fermant un livre et en disant : « Ah ! je viens de passer deux heures charmantes à lire tel livre amusant », ces mots, qui eussent fait plaisir à ma mère, à Albertine, à Saint-Loup, excitaient chez Andrée une espèce de réprobation, peut-être simplement de malaise nerveux. Mes satisfactions lui causaient un agacement qu′elle ne pouvait cacher. Ces défauts étaient complétés par de plus graves : un jour que je parlais de ce jeune homme si savant en choses de courses, de jeux, de golf, si inculte dans tout le reste, que j′avais rencontré avec la petite bande à Balbec, Andrée se mit à ricaner : « Vous savez que son père a volé, il a failli y avoir une instruction ouverte contre lui. Ils veulent crâner d′autant plus, mais je m′amuse à le dire à tout le monde. Je voudrais qu′ils m′attaquent en dénonciation calomnieuse. Quelle belle déposition je ferais. » Ses yeux étincelaient. Or j′appris que le père n′avait rien commis d′indélicat, qu′Andrée le savait aussi bien que quiconque. Mais elle s′était crue méprisée par le fils, avait cherché quelque chose qui pourrait l′embarrasser, lui faire honte, avait inventé tout un roman de dépositions qu′elle était imaginairement appelée à faire et, à force de s′en répéter les détails, ignorait peut-être elle-même s′ils n′étaient pas vrais. Ainsi, telle qu′elle était devenue (et même sans ses haines courtes et folles), je n′aurais pas désiré la voir, ne fût-ce qu′à cause de cette malveillante susceptibilité qui entourait d′une ceinture aigre et glaciale sa vraie nature plus chaleureuse et meilleure. Mais les renseignements qu′elle seule pouvait me donner sur mon amie m′intéressaient trop pour que je négligeasse une occasion si rare de les apprendre. Andrée entrait, fermait la porte derrière elle ; elles avaient rencontré une amie, et Albertine ne m′avait jamais parlé d′elle : « Qu′ont-elles dit ? — Je ne sais pas, car j′ai profité de ce qu′Albertine n′était pas seule pour aller acheter de la laine. — Acheter de la laine ? — Oui, c′est Albertine qui me l′avait demandé. — Raison de plus pour ne pas y aller, c′était peut-être pour vous éloigner. — Mais elle me l′avait demandé avant de rencontrer son amie. — Ah ! » répondais-je en retrouvant la respiration. Aussitôt mon soupçon me reprenait ; mais qui sait si elle n′avait pas donné d′avance rendez-vous à son amie et n′avait pas combiné un prétexte pour être seule quand elle le voudrait ? D′ailleurs, étais-je bien certain que ce n′était pas la vieille hypothèse (celle où Andrée ne me disait pas que la vérité) qui était la bonne ? Andrée était peut-être d′accord avec Albertine. De l′amour, me disais-je à Balbec, on en a pour une personne dont notre jalousie semble plutôt avoir pour objet les actions ; on sent que si elle vous les disait toutes, on guérirait peut-être facilement d′aimer. La jalousie a beau être habilement dissimulée par celui qui l′éprouve, elle est assez vite découverte par celle qui l′inspire, et qui use à son tour d′habileté. Elle cherche à nous donner le change sur ce qui pourrait nous rendre malheureux, et elle nous le donne, car à celui qui n′est pas averti, pourquoi une phrase insignifiante révélerait-elle les mensonges qu′elle cache ? nous ne la distinguons pas des autres ; dite avec frayeur, elle est écoutée sans attention. Plus tard, quand nous serons seuls, nous reviendrons sur cette phrase, elle ne nous semblera pas tout à fait adéquate à la réalité. Mais, cette phrase, nous la rappelons-nous bien ? Il semble que naisse spontanément en nous, à son égard et quant à l′exactitude de notre souvenir, un doute du genre de ceux qui font qu′au cours de certains états nerveux on ne peut jamais se rappeler si on a tiré le verrou, et pas plus à la cinquantième fois qu′à la première ; on dirait qu′on peut recommencer indéfiniment l′acte sans qu′il s′accompagne jamais d′un souvenir précis et libérateur. Au moins pouvons-nous refermer une cinquante et unième fois la porte. Tandis que la phrase inquiétante est au passé, dans une audition incertaine qu′il ne dépend pas de nous de renouveler. Alors nous exerçons notre attention sur d′autres qui ne cachent rien, et le seul remède, dont nous ne voulons pas, serait de tout ignorer pour n′avoir pas le désir de mieux savoir. As I listened to Albertine′s footsteps with the consoling pleasure of thinking that she would not be going out again that evening, I thought how wonderful it was that for this girl, whom at one time I had supposed that I could never possibly succeed in knowing, the act of returning home every day was nothing else than that of entering my home. The pleasure, a blend of mystery and sensuality, which I had felt, fugitive and fragmentary, at Balbec, on the night when she had come to sleep at the hotel, was completed, stabilised, filled my dwelling, hitherto void, with a permanent store of domestic, almost conjugal bliss (radiating even into the passages) upon which all my senses, either actively, or, when I was alone, in imagination as I waited for her to return, quietly battened. When I had heard the door of Albertine′s room shut behind her, if I had a friend with me, I made haste to get rid of him, not leaving him until I was quite sure that he was on the staircase, down which I might even escort him for a few steps. He warned me that I would catch cold, informing me that our house was indeed icy, a cave of the winds, and that he would not live in it if he was paid to do so. This cold weather was a source of complaint because it had just begun, and people were not yet accustomed to it, but for that very reason it released in me a joy accompanied by an unconscious memory of the first evenings of winter when, in past years, returning from the country, in order to reestablish contact with the forgotten delights of Paris, I used to go to a café-concert. And so it was with a song on my lips that, after bidding my friend good-bye, I climbed the stair again and entered the flat. Summer had flown, carrying the birds with it. But other musicians, invisible, internal, had taken their place. And the icy blast against which Bloch had inveighed, which was whistling delightfully through the ill fitting doors of our apartment was (as the fine days of summer by the woodland birds) passionately greeted with snatches, irrepressibly hummed, from Fragson, Mayol or Paulus. In the passage, Albertine was coming towards me. “I say, while I′m taking off my things, I shall send you Andrée, she′s looked in for a minute to say how d′ye do.” And still swathed in the big grey veil, falling from her chinchilla toque, which I had given her at Balbec, she turned from me and went back to her room, as though she had guessed that Andrée, whom I had charged with the duty of watching over her, would presently, by relating their day′s adventures in full detail, mentioning their meeting with some person of their acquaintance, impart a certain clarity of outline to the vague regions in which that excursion had been made which had taken the whole day and which I had been incapable of imagining. Andrée′s defects had become more evident; she was no longer as pleasant a companion as when I first knew her. One noticed now, on the surface, a sort of bitter uneasiness, ready to gather like a swell on the sea, merely if I happened to mention something that gave pleasure to Albertine and myself. This did not prevent Andrée from being kinder to me, liking me better — and I have had frequent proof of this — than other more sociable people. But the slightest look of happiness on a person′s face, if it was not caused by herself, gave a shock to her nerves, as unpleasant as that given by a banging door. She could allow the pains in which she had no part, but not the pleasures; if she saw that I was unwell, she was distressed, was sorry for me, would have stayed to nurse me. But if I displayed a satisfaction as trifling as that of stretching myself with a blissful expression as I shut a book, saying: “Ah! I have spent a really happy afternoon with this entertaining book,” these words, which would have given pleasure to my mother, to Albertine, to Saint-Loup, provoked in Andrée a sort of disapprobation, perhaps simply a sort of nervous irritation. My satisfactions caused her an annoyance which she was unable to conceal. These defects were supplemented by others of a more serious nature; one day when I mentioned that young man so learned in matters of racing and golf, so uneducated in all other respects, Andrée said with a sneer: “You know that his father is a swindler, he only just missed being prosecuted. They′re swaggering now more than ever, but I tell everybody about it. I should love them to bring an action for slander against me. I should be wonderful in the witness-box!” Her eyes sparkled. Well, I discovered that the father had done nothing wrong, and that Andrée knew this as well as anybody. But she had thought that the son looked down upon her, had sought for something that would embarrass him, put him to shame, had invented a long story of evidence which she imagined herself called upon to give in court, and, by dint of repeating the details to herself, was perhaps no longer aware that they were not true. And so, in her present state (and even without her fleeting, foolish hatreds), I should not have wished to see her, were it merely on account of that malicious susceptibility which clasped with a harsh and frigid girdle her warmer and better nature. But the information which she alone could give me about my mistress was of too great interest for me to be able to neglect so rare an opportunity of acquiring it. Andrée came into my room, shutting the door behind her; they had met a girl they knew, whom Albertine had never mentioned to me. “What did they talk about?” “I can′t tell you; I took the opportunity, as Albertine wasn′t alone, to go and buy some worsted.” “Buy some worsted?” “Yes, it was Albertine asked me to get it.” “All the more reason not to have gone, it was perhaps a plot to get you out of the way.” “But she asked me to go for it before we met her friend.” “Ah!” I replied, drawing breath again. At once my suspicion revived; she might, for all I knew, have made an appointment beforehand with her friend and have provided herself with an excuse to be left alone when the time came. Besides, could I be certain that it was not my former hypothesis (according to which Andrée did not always tell me the truth) that was correct? Andrée was perhaps in the plot with Albertine. Love, I used to say to myself, at Balbec, is what we feel for a person whose actions seem rather to arouse our jealousy; we feel that if she were to tell us everything, we might perhaps easily be cured of our love for her. However skilfully jealousy is concealed by him who suffers from it, it is at once detected by her who has inspired it, and who when the time comes is no less skilful. She seeks to lead us off the trail of what might make us unhappy, and succeeds, for, to the man who is not forewarned, how should a casual utterance reveal the falsehoods that lie beneath it? We do not distinguish this utterance from the rest; spoken in terror, it is received without attention. Later on, when we are by ourselves, we shall return to this speech, it will seem to us not altogether adequate to the facts of the case. But do we remember it correctly? It seems as though there arose spontaneously in us, with regard to it and to the accuracy of our memory, an uncertainty of the sort with which, in certain nervous disorders, we can never remember whether we have bolted the door, no better after the fiftieth time than after the first, it would seem that we can repeat the action indefinitely without its ever being accompanied by a precise and liberating memory. At any rate, we can shut the door again, for the fifty-first time. Whereas the disturbing speech exists in the past in an imperfect hearing of it which it does not lie in our power to repeat. Then we concentrate our attention upon other speeches which conceal nothing and the sole remedy which we do not seek is to be ignorant of everything, so as to have no desire for further knowledge.
Dès que la jalousie est découverte, elle est considérée par celle qui en est l′objet comme une défiance qui autorise la tromperie. D′ailleurs, pour tâcher d′apprendre quelque chose, c′est nous qui avons pris l′initiative de mentir, de tromper. Andrée, Aimé, nous promettent bien de ne rien dire, mais le feront-ils ? Bloch n′a rien pu promettre puisqu′il ne savait pas et, pour peu qu′elle cause avec chacun des trois, Albertine, à l′aide de ce que Saint-Loup eût appelé des « recoupements », saura que nous lui mentons quand nous nous prétendons indifférents à ses actes et moralement incapables de la faire surveiller. Ainsi succédant — relativement à ce que faisait Albertine — à mon infini doute habituel, trop indéterminé pour ne pas rester indolore, et qui était à la jalousie ce que sont au chagrin ces commencements de l′oubli où l′apaisement naît du vague, — le petit fragment de réponse que venait de m′apporter Andrée posait aussitôt de nouvelles questions ; je n′avais réussi, en explorant une parcelle de la grande zone qui s′étendait autour de moi, qu′à y reculer cet inconnaissable qu′est pour nous, quand nous cherchons effectivement à nous la représenter, la vie réelle d′une autre personne. Je continuais à interroger Andrée tandis qu′Albertine, par discrétion et pour me laisser (devinait-elle cela ?) tout le loisir de la questionner, prolongeait son déshabillage dans sa chambre. « Je crois que l′oncle et la tante d′Albertine m′aiment bien », disais-je étourdiment à Andrée, sans penser à son caractère. As soon as jealousy is discovered, it is regarded by her who is its object as a challenge which authorises deception. Moreover, in our endeavour to learn something, it is we who have taken the initiative in lying and deceit. Andrée, Aimé may promise us that they will say nothing, but will they keep their promise? Bloch could promise nothing because he knew nothing, and Albertine has only to talk to any of the three in order to learn, with the help of what Saint-Loup would have called cross-references, that we are lying to her when we pretend to be indifferent to her actions and morally incapable of having her watched. And so, replacing in this way my habitual boundless uncertainty as to what Albertine might be doing, an uncertainty too indeterminate not to remain painless, which was to jealousy what is to grief that beginning of forgetfulness in which relief is born of vagueness, the little fragment of response which Andrée had brought me at once began to raise fresh questions; the only result of my exploration of one sector of the great zone that extended round me had been to banish further from me that unknowable thing which, when we seek to form a definite idea of it, another person′s life invariably is to us. I continued to question Andrée, while Albertine, from discretion and in order to leave me free (was she conscious of this?) to question the other, prolonged her toilet in her own room. “I think that Albertine′s uncle and aunt both like me,” I stupidly said to Andrée, forgetting her peculiar nature.
Aussitôt je voyais son visage gluant se gâter ; comme un sirop qui tourne, il semblait à jamais brouillé. Sa bouche devenait amère. Il ne restait plus rien à Andrée de cette juvénile gaîté que, comme toute la petite bande et malgré sa nature souffreteuse, elle déployait l′année de mon premier séjour à Balbec et qui maintenant (il est vrai qu′Andrée avait pris quelques années depuis lors) s′éclipsait si vite chez elle. Mais j′allais la faire involontairement renaître avant qu′Andrée m′eût quitté pour aller dîner chez elle. « Il y a quelqu′un qui m′a fait aujourd′hui un immense éloge de vous », lui disais-je. Aussitôt un rayon de joie illuminait son regard, elle avait l′air de vraiment m′aimer. Elle évitait de me regarder, mais riait dans le vague avec deux yeux devenus soudain tout ronds. « Qui ça ? » demandait-elle dans un intérêt naet gourmand. Je le lui disais et, qui que ce fût, elle était heureuse. At once I saw her gelatinous features change. Like a syrup that has turned, her face seemed permanently clouded. Her mouth became bitter. Nothing remained in Andrée of that juvenile gaiety which, like all the little band and notwithstanding her feeble health, she had displayed in the year of my first visit to Balbec and which now (it is true that Andrée was now several years older) was so speedily eclipsed in her. But I was to make it reappear involuntarily before Andrée left me that evening to go home to dinner. “Somebody was singing your praises to me to-day in the most glowing language,” I said to her. Immediately a ray of joy beamed from her eyes, she looked as though she really loved me. She avoided my gaze but smiled at the empty air with a pair of eyes that suddenly became quite round. “Who was it?” she asked, with an artless, avid interest. I told her, and, whoever it was, she was delighted.
Puis arrivait l′heure de partir, elle me quittait. Albertine revenait auprès de moi ; elle s′était déshabillée, elle portait quelqu′un des jolis peignoirs en crêpe de Chine, ou des robes japonaises, dont j′avais demandé la description à Mme de Guermantes, et pour plusieurs desquelles certaines précisions supplémentaires m′avaient été fournies par Mme Swann, dans une lettre commençant par ces mots : « Après votre longue éclipse, j′ai cru, en lisant votre lettre relative à mes tea gowns, recevoir des nouvelles d′un revenant. » Then the time came for us to part, and she left me. Albertine came to my room; she had undressed, and was wearing one of the charming crêpe de chine wrappers, or one of the Japanese gowns which I had asked Mme. de Guermantes to describe to me, and for some of which supplementary details had been furnished me by Mme. Swann, in a letter that began: “After your long eclipse, I felt as I read your letter about my tea-gowns that I was receiving a message from the other world.”
Albertine avait aux pieds des souliers noirs ornés de brillants, que Françoise appelait rageusement des socques, pareils à ceux que, par la fenêtre du salon, elle avait aperçu que Mme de Guermantes portait chez elle le soir, de même qu′un peu plus tard Albertine eut des mules, certaines en chevreau doré, d′autres en chinchilla, et dont la vue m′était douce parce qu′elles étaient les unes et les autres comme les signes (que d′autres souliers n′eussent pas été) qu′elle habitait chez moi. Elle avait aussi des choses qui ne venaient pas de moi, comme une belle bague d′or. J′y admirai les ailes éployées d′un aigle. « C′est ma tante qui me l′a donnée, me dit-elle. Malgré tout elle est quelquefois gentille. Cela me vieillit parce qu′elle me l′a donnée pour mes vingt ans. » Albertine had on her feet a pair of black shoes studded with brilliants which Françoise indignantly called ‘pattens,′ modelled upon the shoes which, from the drawing-room window, she had seen Mme. de Guermantes wearing in the evening, just as a little later Albertine took to wearing slippers, some of gilded kid, others of chinchilla, the sight of which was pleasant to me because they were all of them signs (which other shoes would not have been) that she was living under my roof. She had also certain things which had not come to her from me, including a fine gold ring. I admired upon it the outspread wings of an eagle. “It was my aunt gave me it,” she explained. “She can be quite nice sometimes after all. It makes me feel terribly old, because she gave it to me on my twentieth birthday.”
Albertine avait pour toutes ces jolies choses un goût bien plus vif que la duchesse, parce que, comme tout obstacle apporté à une possession (telle pour moi la maladie qui me rendait les voyages si difficiles et si désirables), la pauvreté, plus généreuse que l′opulence, donne aux femmes, bien plus que la toilette qu′elles ne peuvent pas acheter, le désir de cette toilette qui en est la connaissance véritable, détaillée, approfondie. Elle, parce qu′elle n′avait pu s′offrir ces choses, moi, parce qu′en les faisant faire je cherchais à lui faire plaisir, nous étions comme des étudiants connaissant tout d′avance des tableaux qu′ils sont avides d′aller voir à Dresde ou à Vienne. Tandis que les femmes riches, au milieu de la multitude de leurs chapeaux et de leurs robes, sont comme ces visiteurs à qui la promenade dans un musée, n′étant précédée d′aucun désir, donne seulement une sensation d′étourdissement, de fatigue et d′ennui. Albertine took a far keener interest in all these pretty things than the Duchess, because, like every obstacle in the way of possession (in my own case the ill health which made travel so difficult and so desirable), poverty, more generous than opulence, gives to women what is better than the garments that they cannot afford to buy, the desire for those garments which is the genuine, detailed, profound knowledge of them. She, because she had never been able to afford these things, I, because in ordering them for her I was seeking to give her pleasure, we were both of us like students who already know all about the pictures which they are longing to go to Dresden or Vienna to see. Whereas rich women, amid the multitude of their hats and gowns, are like those tourists to whom the visit to a gallery, being preceded by no desire, gives merely a sensation of bewilderment, boredom and exhaustion.
Telle toque, tel manteau de zibeline, tel peignoir de Doucet, aux manches doublées de rose, prenaient pour Albertine, qui les avait aperçus, convoités et, grâce à l′exclusivisme et à la minutie qui caractérisent le désir, les avait à la fois isolés du reste dans un vide sur lequel se détachait à merveille la doublure, ou l′écharpe, et connus dans toutes leurs parties — et pour moi qui étais allé chez Mme de Guermantes tâcher de me faire expliquer en quoi consistait la particularité, la supériorité, le chic de la chose, et l′inimitable façon du grand faiseur — une importance, un charme qu′ils n′avaient certes pas pour la duchesse, rassasiée avant même d′être en état d′appétit, ou même pour moi si je les avais vus quelques années auparavant en accompagnant telle ou telle femme élégante en une de ses ennuyeuses tournées chez les couturières. A particular toque, a particular sable cloak, a particular Doucet wrapper, its sleeves lined with pink, assumed for Albertine, who had observed them, coveted them and, thanks to the exclusiveness and minute nicety that are elements of desire, had at once isolated them from everything else in a void against which the lining or the scarf stood out to perfection, and learned them by heart in every detail — and for myself who had gone to Mme. de Guermantes in quest of an explanation of what constituted the peculiar merit, the superiority, the smartness of the garment and the inimitable style of the great designer — an importance, a charm which they certainly did not possess for the Duchess, surfeited before she had even acquired an appetite and would not, indeed, have possessed for myself had I beheld them a few years earlier while accompanying some lady of fashion on one of her wearisome tours of the dressmakers′ shops.
Certes, une femme élégante, Albertine peu à peu en devenait une. Car si chaque chose que je lui faisais faire ainsi était en son genre la plus jolie, avec tous les raffinements qu′y eussent apportés Mme de Guermantes ou Mme Swann, de ces choses elle commençait à avoir beaucoup. Mais peu importait, du moment qu′elle les avait aimées d′abord et isolément. To be sure, a lady of fashion was what Albertine was gradually becoming. For, even if each of the things that I ordered for her was the prettiest of its kind, with all the refinements that had been added to it by Mme. de Guermantes or Mme. Swann, she was beginning to possess these things in abundance. But no matter, so long as she admired them from the first, and each of them separately.
Quand on a été épris d′un peintre, puis d′un autre, on peut à la fin avoir pour tout le musée une admiration qui n′est pas glaciale, car elle est faite d′amours successives, chacune exclusive en son temps, et qui à la fin se sont mises bout à bout et conciliées. When we have been smitten by one painter, then by another, we may end by feeling for the whole gallery an admiration that is not frigid, for it is made up of successive enthusiasms, each one exclusive in its day, which finally have joined forces and become reconciled in one whole.
Elle n′était pas frivole, du reste, lisait beaucoup quand elle était seule et me faisait la lecture quand elle était avec moi. Elle était devenue extrêmement intelligente. Elle disait, en se trompant d′ailleurs : « Je suis épouvantée en pensant que sans vous je serais restée stupide. Ne le niez pas. Vous m′avez ouvert un monde d′idées que je ne soupçonnais pas, et le peu que je suis devenue, je ne le dois qu′à vous. » She was not, for that matter, frivolous, read a great deal when she was by herself, and used to read aloud when she was with me. She had become extremely intelligent. She would say, though she was quite wrong in saying: “I am appalled when I think that but for you I should still be quite ignorant. Don′t contradict. You have opened up a world of ideas to me which I never suspected, and whatever I may have become I owe entirely to you.”
On sait qu′elle avait parlé semblablement de mon influence sur Andrée. L′une ou l′autre avait-elle un sentiment pour moi ? Et, en elles-mêmes, qu′étaient Albertine et Andrée ? Pour le savoir, il faudrait vous immobiliser, ne plus vivre dans cette attente perpétuelle de vous où vous passez toujours autres ; il faudrait ne plus vous aimer, pour vous fixer, ne plus connaître votre interminable et toujours déconcertante arrivée, ô jeunes filles, ô rayon successif dans le tourbillon où nous palpitons de vous voir reparaître en ne vous reconnaissant qu′à peine, dans la vitesse vertigineuse de la lumière. Cette vitesse, nous l′ignorerions peut-être et tout nous semblerait immobile si un attrait sexuel ne nous faisait courir vers vous, gouttes d′or toujours dissemblables et qui dépassent toujours notre attente ! À chaque fois, une jeune fille ressemble si peu à ce qu′elle était la fois précédente (mettant en pièces dès que nous l′apercevons le souvenir que nous avions gardé et le désir que nous nous proposions), que la stabilité de nature que nous lui prêtons n′est que fictive et pour la commodité du langage. On nous a dit qu′une belle jeune fille est tendre, aimante, pleine des sentiments les plus délicats. Notre imagination le croit sur parole, et quand nous apparaît pour la première fois, sous la ceinture crespelée de ses cheveux blonds, le disque de sa figure rose, nous craignons presque que cette trop vertueuse sœur nous refroidisse par sa vertu même, ne puisse jamais être pour nous l′amante que nous avons souhaitée. Du moins, que de confidences nous lui faisons dès la première heure, sur la foi de cette noblesse de cœur ! que de projets convenus ensemble ! Mais quelques jours après, nous regrettons de nous être tant confiés, car la rose jeune fille rencontrée nous tient, la seconde fois, les propos d′une lubrique furie. Dans les faces successives qu′après une pulsation de quelques jours nous présente la rose lumière interceptée, il n′est même pas certain qu′un movimentum, extérieur à ces jeunes filles, n′ait pas modifié leur aspect, et cela avait pu arriver pour mes jeunes filles de Balbec. It will be remembered that she had spoken in similar terms of my influence over Andrée. Had either of them a sentimental regard for me? And, in themselves, what were Albertine and Andrée? To learn the answer, I should have to immobilise you, to cease to live in that perpetual expectation, ending always in a different presentment of you, I should have to cease to love you, in order to fix you, to cease to know your interminable and ever disconcerting arrival, oh girls, oh recurrent ray in the swirl wherein we throb with emotion upon seeing you reappear while barely recognising you, in the dizzy velocity of light. That velocity, we should perhaps remain unaware of it and everything would seem to us motionless, did not a sexual attraction set us in pursuit of you, drops of gold always different, and always passing our expectation! On each occasion a girl so little resembles what she was the time before (shattering in fragments as soon as we catch sight of her the memory that we had retained of her and the desire that we were proposing to gratify), that the stability of nature which we ascribe to her is purely fictitious and a convenience of speech. We have been told that some pretty girl is tender, loving, full of the most delicate sentiments. Our imagination accepts this assurance, and when we behold for the first time, within the woven girdle of her golden hair, the rosy disc of her face, we are almost afraid that this too virtuous sister may chill our ardour by her very virtue, that she can never be to us the lover for whom we have been longing. What secrets, at least, we confide in her from the first moment, on the strength of that nobility of heart, what plans we discuss together. But a few days later, we regret that we were so confiding, for the rose-leaf girl, at our second meeting, addresses us in the language of a lascivious Fury. As for the successive portraits which after a pulsation lasting for some days the renewal of the rosy light presents to us, it is not even certain that a momentum external to these girls has not modified their aspect, and this might well have happened with my band of girls at Balbec.
On vous vante la douceur, la pureté d′une vierge. Mais après cela on sent que quelque chose de plus pimenté vous plairait mieux, et on lui conseille de se montrer plus hardie. En soi-même était-elle plutôt l′une ou l′autre ? Peut-être pas, mais capable d′accéder à tant de possibilités diverses dans le courant vertigineux de la vie. Pour une autre, dont tout l′attrait résidait dans quelque chose d′implacable (que nous comptions fléchir à notre manière), comme, par exemple, pour la terrible sauteuse de Balbec qui effleurait dans ses bonds les crânes des vieux messieurs épouvantés, quelle déception quand, dans la nouvelle face offerte par cette figure, au moment où nous lui disions des tendresses exaltées par le souvenir de tant de duretés envers les autres, nous l′entendions, comme entrée de jeu, nous dire qu′elle était timide, qu′elle ne savait jamais rien dire de sensé à quelqu′un la première fois, tant elle avait peur, et que ce n′est qu′au bout d′une quinzaine de jours qu′elle pourrait causer tranquillement avec nous. L′acier était devenu coton, nous n′aurions plus rien à essayer de briser, puisque d′elle-même elle perdait toute consistance. D′elle-même, mais par notre faute peut-être, car les tendres paroles que nous avions adressées à la Dureté lui avaient peut-être, même sans qu′elle eût fait de calcul intéressé, suggéré d′être tendre. People extol to us the gentleness, the purity of a virgin. But afterwards they feel that something more seasoned would please us better, and recommend her to shew more boldness. In herself was she one more than the other? Perhaps not, but capable of yielding to any number of different possibilities in the headlong current of life. With another girl, whose whole attraction lay in something implacable (which we counted upon subduing to our own will), as, for instance, with the terrible jumping girl at Balbec who grazed in her spring the bald pates of startled old gentlemen, what a disappointment when, in the fresh aspect of her, just as we were addressing her in affectionate speeches stimulated by our memory of all her cruelty to other people, we heard her, as her first move in the game, tell us that she was shy, that she could never say anything intelligent to anyone at a first introduction, so frightened was she, and that it was only after a fortnight or so that she would be able to talk to us at her ease. The steel had turned to cotton, there was nothing left for us to attempt to break, since she herself had lost all her consistency. Of her own accord, but by our fault perhaps, for the tender words which we had addressed to Severity had perhaps, even without any deliberate calculation on her part, suggested to her that she ought to be gentle.
Ce qui nous désolait néanmoins n′était qu′à demi maladroit, car la reconnaissance pour tant de douceur allait peut-être nous obliger à plus que le ravissement devant la cruauté fléchie. Je ne dis pas qu′un jour ne viendra pas où, même à ces lumineuses jeunes filles, nous n′assignerons pas des caractères très tranchés, mais c′est qu′elles auront cessé de nous intéresser, que leur entrée ne sera plus pour notre cœur l′apparition qu′il attendait autre et qui le laisse bouleversé, chaque fois, d′incarnations nouvelles. Leur immobilité viendra de notre indifférence qui les livrera au jugement de l′esprit. Celui-ci ne conclura pas, du reste, d′une façon beaucoup plus catégorique, car après avoir jugé que tel défaut, prédominant chez l′une, était heureusement absent de l′autre, il verra que le défaut avait pour contrepartie une qualité précieuse. De sorte que du faux jugement de l′intelligence, laquelle n′entre en jeu que quand on cesse de s′intéresser, sortiront définis des caractères stables de jeunes filles, lesquels ne nous apprendront pas plus que les surprenants visages apparus chaque jour quand, dans la vitesse étourdissante de notre attente, nos amies se présentaient tous les jours, toutes les semaines, trop différentes pour nous permettre, la course ne s′arrêtant pas, de classer, de donner des rangs. Pour nos sentiments, nous en avons parlé trop souvent pour le redire, bien souvent un amour n′est que l′association d′une image de jeune fille (qui sans cela nous eût été vite insupportable) avec les battements de cœur inséparables d′une attente interminable, vaine, et d′un « lapin » que la demoiselle nous a posé. Tout cela n′est pas vrai seulement pour les jeunes gens imaginatifs devant les jeunes filles changeantes. Dès le temps où notre récit est arrivé, il paraît, je l′ai su depuis, que la nièce de Jupien avait changé d′opinion sur Morel et sur M. de Charlus. Mon mécanicien, venant au renfort de l′amour qu′elle avait pour Morel, lui avait vanté, comme existant chez le violoniste, des délicatesses infinies auxquelles elle n′était que trop portée à croire. Et, d′autre part, Morel ne cessait de lui dire le rôle de bourreau que M. de Charlus exerçait envers lui et qu′elle attribuait à la méchanceté, ne devinant pas l′amour. Elle était, du reste, bien forcée de constater que M. de Charlus assistait tyranniquement à toutes leurs entrevues. Et, venant corroborer cela, elle entendait des femmes du monde parler de l′atroce méchanceté du baron. Or, depuis peu, son jugement avait été entièrement renversé. Elle avait découvert chez Morel (sans cesser de l′aimer pour cela) des profondeurs de méchanceté et de perfidie, d′ailleurs compensées par une douceur fréquente et une sensibilité réelle, et chez M. de Charlus une insoupçonnable et immense bonté, mêlée de duretés qu′elle ne connaissait pas. Ainsi n′avait-elle pas su porter un jugement plus défini sur ce qu′étaient, chacun en soi, le violoniste et son protecteur, que moi sur Andrée, que je voyais pourtant tous les jours, et sur Albertine, qui vivait avec moi. Les soirs où cette dernière ne me lisait pas à haute voix, elle me faisait de la musique ou entamait avec moi des parties de dames ou des causeries, que j′interrompais les unes et les autres pour l′embrasser. Nos rapports étaient d′une simplicité qui les rendait reposants. Le vide même de sa vie donnait à Albertine une espèce d′empressement et d′obéissance pour les seules choses que je réclamais d′elle. Derrière cette jeune file, comme derrière la lumière pourprée qui tombait aux pieds de mes rideaux à Balbec, pendant qu′éclatait le concert des musiciens, se nacraient les ondulations bleuâtres de la mer. N′était-elle pas, en effet (elle au fond de qui résidait de façon habituelle une idée de moi si familière qu′après sa tante j′étais peut-être la personne qu′elle distinguait le moins de soi-même), la jeune fille que j′avais vue la première fois, à Balbec, sous son polo plat, avec ses yeux insistants et rieurs, inconnue encore, mince comme une silhouette profilée sur le flot ? Ces effigies gardées intactes dans la mémoire, quand on les retrouve, on s′étonne de leur dissemblance d′avec l′être qu′on connaît ; on comprend quel travail de modelage accomplit quotidiennement l′habitude. Dans le charme qu′avait Albertine à Paris, au coin de mon feu, vivait encore le désir que m′avait inspiré le cortège insolent et fleuri qui se déroulait le long de la plage, et comme Rachel gardait pour Saint-Loup, même quand il le lui eût fait quitter, le prestige de la vie de théâtre, en cette Albertine cloîtrée dans ma maison, loin de Balbec d′où je l′avais précipitamment emmenée, subsistaient l′émoi, le désarroi social, la vanité inquiète, les désirs errants de la vie de bains de mer. Elle était si bien encagée que, certains soirs même, je ne faisais pas demander qu′elle quittât sa chambre pour la mienne, elle que jadis tout le monde suivait, que j′avais tant de peine à rattraper filant sur sa bicyclette, et que le liftier même ne pouvait me ramener, ne me laissant guère d′espoir qu′elle vînt, et que j′attendais pourtant toute la nuit. Albertine n′avait-elle pas été, devant l′Hôtel, comme une grande actrice de la plage en feu, excitant les jalousies quand elle s′avançait dans ce théâtre de nature, ne parlant à personne, bousculant les habitués, dominant ses amies ? et cette actrice si convoitée n′était-ce pas elle qui, retirée par moi de la scène, enfermée chez moi, était à l′abri des désirs de tous, qui désormais pouvaient la chercher vainement, tantôt dans ma chambre, tantôt dans la sienne, où elle s′occupait à quelque travail de dessin et de ciselure ? Distressing as the change may have been to us, it was not altogether maladroit, for our gratitude for all her gentleness would exact more from us perhaps than our delight at overcoming her cruelty. I do not say that a day will not come when, even to these luminous maidens, we shall not assign sharply differentiated characters, but that will be because they have ceased to interest us, because their entry upon the scene will no longer be to our heart the apparition which it expected in a different form and which leaves it overwhelmed every time by fresh incarnations. Their immobility will spring from our indifference to them, which will hand them over to the judgment of our mind. This will not, for that matter, be expressed in any more categorical terms, for after it has decided that some defect which was prominent in one is fortunately absent from the other, it will see that this defect had as its counterpart some priceless merit. So that the false judgment of our intellect, which comes into play only when we have ceased to take any interest, will define permanent characters of girls, which will enlighten us no more than the surprising faces that used to appear every day when, in the dizzy speed of our expectation, our friends presented themselves daily, weekly, too different to allow us, as they never halted in their passage, to classify them, to award degrees of merit. As for our sentiments, we have spoken of them too often to repeat again now that as often as not love is nothing more than the association of the face of a girl (whom otherwise we should soon have found intolerable) with the heartbeats inseparable from an endless, vain expectation, and from some trick that she has played upon us. All this is true not merely of imaginative young men brought into contact with changeable girls. At the stage that our narrative has now reached, it appears, as I have since heard, that Jupien′s niece had altered her opinion of Morel and M. de Charlus. My motorist, reinforcing the love that she felt for Morel, had extolled to her, as existing in the violinist, boundless refinements of delicacy in which she was all too ready to believe. And at the same time Morel never ceased to complain to her of the despotic treatment that he received from M. de Charlus, which she ascribed to malevolence, never imagining that it could be due to love. She was moreover bound to acknowledge that M. de Charlus was tyrannically present at all their meetings. In corroboration of all this, she had heard women in society speak of the Baron′s terrible spite. Now, quite recently, her judgment had been completely reversed. She had discovered in Morel (without ceasing for that reason to love him) depths of malevolence and perfidy, compensated it was true by frequent kindness and genuine feeling, and in M. de Charlus an unimaginable and immense generosity blended with asperities of which she knew nothing. And so she had been unable to arrive at any more definite judgment of what, each in himself, the violinist and his protector really were, than I was able to form of Andrée, whom nevertheless I saw every day, or of Albertine who was living with me. On the evenings when the latter did not read aloud to me, she would play to me or begin a game of draughts, or a conversation, either of which I would interrupt with kisses. The simplicity of our relations made them soothing. The very emptiness of her life gave Albertine a sort of eagerness to comply with the only requests that I made of her. Behind this girl, as behind the purple light that used to filter beneath the curtains of my room at Balbec, while outside the concert blared, were shining the blue-green undulations of the sea. Was she not, after all (she in whose heart of hearts there was now regularly installed an idea of myself so familiar that, next to her aunt, I was perhaps the person whom she distinguished least from herself), the girl whom I had seen the first time at Balbec, in her flat polo-cap, with her insistent laughing eyes, a stranger still, exiguous as a silhouette projected against the waves? These effigies preserved intact in our memory, when we recapture them, we are astonished at their unlikeness to the person whom we know, and we begin to realise what a task of remodelling is performed every day by habit. In the charm that Albertine had in Paris, by my fireside, there still survived the desire that had been aroused in me by that insolent and blossoming parade along the beach, and just as Rachel retained in Saint-Loup′s eyes, even after he had made her abandon it, the prestige of her life on the stage, so in this Albertine cloistered in my house, far from Balbec, from which I had hurried her away, there persisted the emotion, the social confusion, the uneasy vanity, the roving desires of life by the seaside. She was so effectively caged that on certain evenings I did not even ask her to leave her room for mine, her to whom at one time all the world gave chase, whom I had found it so hard to overtake as she sped past on her bicycle, whom the lift-boy himself was unable to capture for me, leaving me with scarcely a hope of her coming, although I sat up waiting for her all the night. Had not Albertine been — out there in front of the Hotel — like a great actress of the blazing beach, arousing jealousy when she advanced upon that natural stage, not speaking to anyone, thrusting past its regular frequenters, dominating the girls, her friends, and was not this so greatly coveted actress the same who, withdrawn by me from the stage, shut up in my house, was out of reach now of the desires of all the rest, who might hereafter seek for her in vain, sitting now in my room, now in her own, and engaged in tracing or cutting out some pattern?
Sans doute, dans les premiers jours de Balbec, Albertine semblait dans un plan parallèle à celui où je vivais, mais qui s′en était rapproché (quand j′avais été chez Elstir), puis l′avait rejoint, au fur et à mesure de mes relations avec elle, à Balbec, à Paris, puis à Balbec encore. D′ailleurs, entre les deux tableaux de Balbec, au premier séjour et au second, composés des mêmes villas d′où sortaient les mêmes jeunes filles devant la même mer, quelle différence ! Dans les amies d′Albertine du second séjour, si bien connues de moi, aux qualités et aux défauts si nettement gravés dans leur visage, pouvais-je retrouver ces fraîches et mystérieuses inconnues qui jadis ne pouvaient, sans que battît mon cœur, faire crier sur le sable la porte de leur chalet et en froisser au passage les tamaris frémissants ! Leurs grands yeux s′étaient résorbés depuis, sans doute parce qu′elles avaient cessé d′être des enfants, mais aussi parce que ces ravissantes inconnues, actrices de la romanesque première année, et sur lesquelles je ne cessais de quêter des renseignements, n′avaient plus pour moi de mystère. Elles étaient devenues obéissantes à mes caprices, de simples jeunes filles en fleurs, desquelles je n′étais pas médiocrement fier d′avoir cueilli, dérobé à tous, la plus belle rose. No doubt, in the first days at Balbec, Albertine seemed to be on a parallel plane to that upon which I was living, but one that had drawn closer (after my visit to Elstir) and had finally become merged in it, as my relations with her, at Balbec, in Paris, then at Balbec again, grew more intimate. Besides, between the two pictures of Balbec, at my first visit and at my second, pictures composed of the same villas from which the same girls walked down to the same sea, what a difference! In Albertine′s friends at the time of my second visit, whom I knew so well, whose good and bad qualities were so clearly engraved on their features, how was I to recapture those fresh, mysterious strangers who at first could not, without making my heart throb, thrust open the door of their bungalow over the grinding sand and set the tamarisks shivering as they came down the path! Their huge eyes had, in the interval, been absorbed into their faces, doubtless because they had ceased to be children, but also because those ravishing strangers, those ravishing actresses of the romantic first year, as to whom I had gone ceaselessly in quest of information, no longer held any mystery for me. They had become obedient to my caprices, a mere grove of budding girls, from among whom I was quite distinctly proud of having plucked, and carried off from them all, their fairest rose.
Entre les deux décors, si différents l′un de l′autre, de Balbec, il y avait l′intervalle de plusieurs années à Paris, sur le long parcours desquelles se plaçaient tant de visites d′Albertine. Je la voyais aux différentes années de ma vie, occupant par rapport à moi des positions différentes qui me faisaient sentir la beauté des espaces interférés, ce long temps révolu où j′étais resté sans la voir, et sur la diaphane profondeur desquels la rose personne que j′avais devant moi se modelait avec de mystérieuses ombres et un puissant relief. Il était dû, d′ailleurs, à la superposition non seulement des images successives qu′Albertine avait été pour moi, mais encore des grandes qualités d′intelligence et de cœur, des défauts de caractère, les uns et les autres insoupçonnées de moi, qu′Albertine, en une germination, une multiplication d′elle-même, une efflorescence charnue aux sombres couleurs, avait ajoutés à une nature jadis à peu près nulle, maintenant difficile à approfondir. Car les êtres, même ceux auxquels nous avons tant rêvé qu′ils ne nous semblaient qu′une image, une figure de Benozzo Gozzoli se détachant sur un fond verdâtre, et dont nous étions disposés à croire que les seules variations tenaient au point où nous étions placés pour les regarder, à la distance qui nous en éloignait, à l′éclairage, ces êtres-là, tandis qu′ils changent par rapport à nous, changent aussi en eux-mêmes, et il y avait eu enrichissement, solidification et accroissement de volume dans la figure jadis simplement profilée sur la mer. Au reste, ce n′était pas seulement la mer à la fin de la journée qui vivait pour moi en Albertine, mais parfois l′assoupissement de la mer sur la grève par les nuits de clair de lune. Between the two Balbec scenes, so different one from the other, there was the interval of several years in Paris, the long expanse of which was dotted with all the visits that Albertine had paid me. I saw her in successive years of my life occupying, with regard to myself, different positions, which made me feel the beauty of the interposed gaps, that long extent of time in which I never set eyes on her and against the diaphanous background of which the rosy person that I saw before me was modelled with mysterious shadows and in bold relief. This was due also to the superimposition not merely of the successive images which Albertine had been for me, but also of the great qualities of brain and heart, the defects of character, all alike unsuspected by me, which Albertine, in a germination, a multiplication of herself, a carnal efflorescence in sombre colours, had added to a nature that formerly could scarcely have been said to exist, but was now deep beyond plumbing. For other people, even those of whom we have so often dreamed that they have become nothing more than a picture, a figure by Benozzo Gozzoli standing out upon a background of verdure, as to whom we were prepared to believe that the only variations depended upon the point of view from which we looked at them, their distance from us, the effect of light and shade, these people, while they change in relation to ourselves, change also in themselves, and there had been an enrichment, a solidification and an increase of volume in the figure once so simply outlined against the sea. Moreover, it was not only the sea at the close of day that came to life for me in Albertine, but sometimes the drowsy murmur of the sea upon the shore on moonlit nights.
Quelquefois, en effet, quand je me levais pour aller chercher un livre dans le cabinet de mon père, mon amie, m′ayant demandé la permission de s′étendre pendant ce temps-là, était si fatiguée par la longue randonnée du matin et de l′après-midi au grand air que, même si je n′étais resté qu′un instant hors de ma chambre, en y rentrant, je trouvais Albertine endormie et ne la réveillais pas. Sometimes, indeed, when I rose to fetch a book from my father′s study, and had given my mistress permission to lie down while I was out of the room, she was so tired after her long outing in the morning and afternoon in the open air that, even if I had been away for a moment only, when I returned I found Albertine asleep and did not rouse her.
Étendue de la tête aux pieds sur mon lit, dans une attitude d′un naturel qu′on n′aurait pu inventer, je lui trouvais l′air d′une longue tige en fleur qu′on aurait disposée là, et c′était ainsi en effet : le pouvoir de rêver, que je n′avais qu′en son absence, je le retrouvais à ces instants auprès d′elle, comme si, en dormant, elle était devenue une plante. Par là, son sommeil réalisait, dans une certaine mesure, la possibilité de l′amour ; seul, je pouvais penser à elle, mais elle me manquait, je ne la possédais pas. Présente, je lui parlais, mais j′étais trop absent de moi-même pour pouvoir penser. Quand elle dormait, je n′avais plus à parler, je savais que je n′étais plus regardé par elle, je n′avais plus besoin de vivre à la surface de moi-même. Stretched out at full length upon my bed, in an attitude so natural that no art could have designed it, she reminded me of a long blossoming stem that had been laid there, and so indeed she was: the faculty of dreaming which I possessed only in her absence I recovered at such moments in her presence, as though by falling asleep she had become a plant. In this way her sleep did to a certain extent make love possible. When she was present, I spoke to her, but I was too far absent from myself to be able to think. When she was asleep, I no longer needed to talk to her, I knew that she was no longer looking at me, I had no longer any need to live upon my own outer surface.
En fermant les yeux, en perdant la conscience, Albertine avait dépouillé, l′un après l′autre, ses différents caractères d′humanité qui m′avaient déçu depuis le jour où j′avais fait sa connaissance. Elle n′était plus animée que de la vie inconsciente des végétaux, des arbres, vie plus différente de la mienne, plus étrange, et qui cependant m′appartenait davantage. Son moi ne s′échappait pas à tous moments, comme quand nous causions, par les issues de la pensée inavouée et du regard. Elle avait rappelé à soi tout ce qui d′elle était au dehors ; elle s′était réfugiée, enclose, résumée, dans son corps. En le tenant sous mon regard, dans mes mains, j′avais cette impression de la posséder tout entière que je n′avais pas quand elle était réveillée. Sa vie m′était soumise, exhalait vers moi son léger souffle. By shutting her eyes, by losing consciousness, Albertine had stripped off, one after another, the different human characters with which she had deceived me ever since the day when I had first made her acquaintance. She was animated now only by the unconscious life of vegetation, of trees, a life more different from my own, more alien, and yet one that belonged more to me. Her personality did not escape at every moment, as when we were talking, by the channels of her unacknowledged thoughts and of her gaze. She had called back into herself everything of her that lay outside, had taken refuge, enclosed, reabsorbed, in her body. In keeping her before my eyes, in my hands, I had that impression of possessing her altogether, which I never had when she was awake. Her life was submitted to me, exhaled towards me its gentle breath.
J′écoutais cette murmurante émanation mystérieuse, douce comme un zéphir marin, féerique comme ce clair de lune, qu′était son sommeil. Tant qu′il persistait, je pouvais rêver à elle, et pourtant la regarder, et quand ce sommeil devenait plus profond, la toucher, l′embrasser. Ce que j′éprouvais alors, c′était un amour devant quelque chose d′aussi pur, d′aussi immatériel dans sa sensibilité, d′aussi mystérieux que si j′avais été devant les créatures inanimées que sont les beautés de la nature. Et, en effet, dès qu′elle dormait un peu profondément, elle cessait seulement d′être la plante qu′elle avait été ; son sommeil, au bord duquel je rêvais, avec une fraîche volupté dont je ne me fusse jamais lassé et que j′eusse pu goûter indéfiniment, c′était pour moi tout un paysage. Son sommeil mettait à mes côtés quelque chose d′aussi calme, d′aussi sensuellement délicieux que ces nuits de pleine lune dans la baie de Balbec devenue douce comme un lac, où les branches bougent à peine, où, étendu sur le sable, l′on écouterait sans fin se briser le reflux. I listened to this murmuring, mysterious emanation, soft as a breeze from the sea, fairylike as that moonlight which was her sleep. So long as it lasted, I was free to think about her and at the same time to look at her, and, when her sleep grew deeper, to touch, to kiss her. What I felt then was love in the presence of something as pure, as immaterial in its feelings, as mysterious, as if I had been in the presence of those inanimate creatures which are the beauties of nature. And indeed, as soon as her sleep became at all heavy, she ceased to be merely the plant that she had been; her sleep, on the margin of which I remained musing, with a fresh delight of which I never tired, but could have gone on enjoying indefinitely, was to me an undiscovered country. Her sleep brought within my reach something as calm, as sensually delicious as those nights of full moon on the bay of Balbec, turned quiet as a lake over which the branches barely stir, where stretched out upon the sand one could listen for hours on end to the waves breaking and receding.
En entrant dans la chambre, j′étais resté debout sur le seuil, n′osant pas faire de bruit, et je n′en entendais pas d′autre que celui de son haleine venant expirer sur ses lèvres, à intervalles intermittents et réguliers, comme un reflux, mais plus assoupi et plus doux. Et au moment où mon oreille recueillait ce bruit divin, il me semblait que c′était, condensée en lui, toute la personne, toute la vie de la charmante captive, étendue là sous mes yeux. Des voitures passaient bruyamment dans la rue, son front restait aussi immobile, aussi pur, son souffle aussi léger, réduit à la simple expiration de l′air nécessaire. Puis, voyant que son sommeil ne serait pas troublé, je m′avançais prudemment, je m′asseyais sur la chaise qui était à côté du lit, puis sur le lit même. When I entered the room, I remained standing in the doorway, not venturing to make a sound, and hearing none but that of her breath rising to expire upon her lips at regular intervals, like the reflux of the sea, but drowsier and more gentle. And at the moment when my ear absorbed that divine sound, I felt that there was, condensed in it, the whole person, the whole life of the charming captive, outstretched there before my eyes. Carriages went rattling past in the street, her features remained as motionless, as pure, her breath as light, reduced to the simplest expulsion of the necessary quantity of air. Then, seeing that her sleep would not be disturbed, I advanced cautiously, sat down upon the chair that stood by the bedside, then upon the bed itself.
J′ai passé de charmants soirs à causer, à jouer avec Albertine, mais jamais d′aussi doux que quand je la regardais dormir. Elle avait beau avoir, en bavardant, en jouant aux cartes, ce naturel qu′une actrice n′eût pu imiter, c′était un naturel au deuxième degré que m′offrait son sommeil. Sa chevelure, descendue le long de son visage rose, était posée à côté d′elle sur le lit, et parfois une mèche, isolée et droite, donnait le même effet de perspective que ces arbres lunaires grêles et pâles qu′on aperçoit tout droits au fond des tableaux raphaëliques d′Elstir. Si les lèvres d′Albertine étaient closes, en revanche, de la façon dont j′étais placé, ses paupières paraissaient si peu jointes que j′aurais presque pu me demander si elle dormait vraiment. Tout de même, ces paupières abaissées mettaient dans son visage cette continuité parfaite que les yeux n′interrompaient pas. Il y a des êtres dont la face prend une beauté et une majesté inaccoutumées pour peu qu′ils n′aient plus de regard. I have spent charming evenings talking, playing games with Albertine, but never any so pleasant as when I was watching her sleep. Granted that she might have, as she chatted with me, or played cards, that spontaneity which no actress could have imitated, it was a spontaneity carried to the second degree that was offered me by her sleep. Her hair, falling all along her rosy face, was spread out beside her on the bed, and here and there a separate straight tress gave the same effect of perspective as those moonlit trees, lank and pale, which one sees standing erect and stiff in the backgrounds of Elstir′s Raphaelesque pictures. If Albertine′s lips were closed, her eyelids, on the other hand, seen from the point at which I was standing, seemed so loosely joined that I might almost have questioned whether she really was asleep. At the same time those drooping lids introduced into her face that perfect continuity, unbroken by any intrusion of eyes. There are people whose faces assume a quite unusual beauty and majesty the moment they cease to look out of their eyes.
Je mesurais des yeux Albertine étendue à mes pieds. Par instants, elle était parcourue d′une agitation légère et inexplicable, comme les feuillages qu′une brise inattendue convulse pendant quelques instants. Elle touchait à sa chevelure, puis, ne l′ayant pas fait comme elle le voulait, elle y portait la main encore par des mouvements si suivis, si volontaires, que j′étais convaincu qu′elle allait s′éveiller. Nullement ; elle redevenait calme dans le sommeil qu′elle n′avait pas quitté. Elle restait désormais immobile. Elle avait posé sa main sur sa poitrine en un abandon du bras si naîµ¥ment puéril que j′étais obligé, en la regardant, d′étouffer le sourire que par leur sérieux, leur innocence et leur grâce nous donnent les petits enfants. I measured with my own Albertine outstretched at my feet. Now and then a slight, unaccountable tremor ran through her body, as the leaves of a tree are shaken for a few moments by a sudden breath of wind. She would touch her hair, then, not having arranged it to her liking, would raise her hand to it again with motions so consecutive, so deliberate, that I was convinced that she was about to wake. Not at all, she grew calm again in the sleep from which she had not emerged. After this she lay without moving. She had laid her hand on her bosom with a sinking of the arm so artlessly childlike that I was obliged, as I gazed at her, to suppress the smile that is provoked in us by the solemnity, the innocence and the charm of little children.
Moi qui connaissais plusieurs Albertine en une seule, il me semblait en voir bien d′autres encore reposer auprès de moi. Ses sourcils, arqués comme je ne les avais jamais vus, entouraient les globes de ses paupières comme un doux nid d′alcyon. Des races, des atavismes, des vices reposaient sur son visage. Chaque fois qu′elle déplaçait sa tête, elle créait une femme nouvelle, souvent insoupçonnée de moi. Il me semblait posséder non pas une, mais d′innombrables jeunes filles. Sa respiration, peu à peu plus profonde, soulevait maintenant régulièrement sa poitrine et, par-dessus elle, ses mains croisées, ses perles, déplacées d′une manière différente par le même mouvement, comme ces barques, ces chaînes d′amarre que fait osciller le mouvement du flot. Alors, sentant que son sommeil était dans son plein, que je ne me heurterais pas à des écueils de conscience recouverts maintenant par la pleine mer du sommeil profond, délibérément, je sautais sans bruit sur le lit, je me couchais au long d′elle, je prenais sa taille d′un de mes bras, je posais mes lèvres sur sa joue et sur son cœur ; puis, sur toutes les parties de son corps, posais ma seule main restée libre et qui était soulevée aussi, comme les perles, par la respiration d′Albertine ; moi-même, j′étais déplacé légèrement par son mouvement régulier : je m′étais embarqué sur le sommeil d′Albertine. Parfois, il me faisait goûter un plaisir moins pur. Je n′avais pour cela besoin de nul mouvement, je faisais pendre ma jambe contre la sienne, comme une rame qu′on laisse traîner et à laquelle on imprime de temps à autre une oscillation légère, pareille au battement intermittent de l′aile qu′ont les oiseaux qui dorment en l′air. Je choisissais pour la regarder cette face de son visage qu′on ne voyait jamais, et qui était si belle. I, who was acquainted with many Albertines in one person, seemed now to see many more again, reposing by my side. Her eyebrows, arched as I had never seen them, enclosed the globes of her eyelids like a halcyon′s downy nest. Races, atavisms, vices reposed upon her face. Whenever she moved her head, she created a fresh woman, often one whose existence I had never suspected. I seemed to possess not one, but innumerable girls. Her breathing, as it became gradually deeper, was now regularly stirring her bosom and, through it, her folded hands, her pearls, displaced in a different way by the same movement, like the boats, the anchor chains that are set swaying by the movement of the tide. Then, feeling that the tide of her sleep was full, that I should not ground upon reefs of consciousness covered now by the high water of profound slumber, deliberately, I crept without a sound upon the bed, lay down by her side, clasped her waist in one arm, placed my lips upon her cheek and heart, then upon every part of her body in turn laid my free hand, which also was raised, like the pearls, by Albertine′s breathing; I myself was gently rocked by its regular motion: I had embarked upon the tide of Albertine′s sleep. Sometimes it made me taste a pleasure that was less pure. For this I had no need to make any movement, I allowed my leg to dangle against hers, like an oar which one allows to trail in the water, imparting to it now and again a gentle oscillation like the intermittent flap given to its wing by a bird asleep in the air. I chose, in gazing at her, this aspect of her face which no one ever saw and which was so pleasing.
On comprend, à la rigueur, que les lettres que vous écrit quelqu′un soient à peu près semblables entre elles et dessinent une image assez différente de la personne qu′on connaît pour qu′elles constituent une deuxième personnalité. Mais combien il est plus étrange qu′une femme soit accolée, comme Rosita et Doodica, à une autre femme dont la beauté différente fait induire un autre caractère, et que pour voir l′une il faille se placer de profil, pour l′autre de face. Le bruit de sa respiration devenant plus fort pouvait donner l′illusion de l′essoufflement du plaisir et, quand le mien était à son terme, je pouvais l′embrasser sans avoir interrompu son sommeil. Il me semblait, à ces moments-là, que je venais de la posséder plus complètement, comme une chose inconsciente et sans résistance de la muette nature. Je ne m′inquiétais pas des mots qu′elle laissait parfois échapper en dormant, leur signification m′échappait, et, d′ailleurs, quelque personne inconnue qu′ils eussent désignée, c′était sur ma main, sur ma joue, que sa main, parfois animée d′un léger frisson, se crispait un instant. Je goûtais son sommeil d′un amour désintéressé, apaisant, comme je restais des heures à écouter le déferlement du flot. It is I suppose comprehensible that the letters which we receive from a person are more or less similar and combine to trace an image of the writer so different from the person whom we know as to constitute a second personality. But how much stranger is it that a woman should be conjoined, like Rosita and Doodica, with another woman whose different beauty makes us infer another character, and that in order to behold one we must look at her in profile, the other in full face. The sound of her breathing as it grew louder might give the illusion of the breathless ecstasy of pleasure and, when mine was at its climax, I could kiss her without having interrupted her sleep. I felt at such moments that I had been possessing her more completely, like an unconscious and unresisting object of dumb nature. I was not affected by the words that she muttered occasionally in her sleep, their meaning escaped me, and besides, whoever the unknown person to whom they referred, it was upon my hand, upon my cheek that her hand, as an occasional tremor recalled it to life, stiffened for an instant. I relished her sleep with a disinterested, soothing love, just as I would remain for hours listening to the unfurling of the waves.
Peut-être faut-il que les êtres soient capables de vous faire beaucoup souffrir pour que, dans les heures de rémission, ils vous procurent ce même calme apaisant que la nature. Je n′avais pas à lui répondre comme quand nous causions, et même eussé-je pu me taire, comme je faisais aussi quand elle parlait, qu′en l′entendant parler je ne descendais pas tout de même aussi avant en elle. Continuant à entendre, à recueillir, d′instant en instant, le murmure, apaisant comme une imperceptible brise, de sa pure haleine, c′était toute une existence physiologique qui était devant moi, à moi ; aussi longtemps que je restais jadis couché sur la plage, au clair de lune, je serais resté là à la regarder, à l′écouter. Perhaps it is laid down that people must be capable of making us suffer intensely before, in the hours of respite, they can procure for us the same soothing calm as Nature. I had not to answer her as when we were engaged in conversation, and even if I could have remained silent, as for that matter I did when it was she that was talking, still while listening to her voice I did not penetrate so far into herself. As I continued to hear, to gather from moment to moment the murmur, soothing as a barely perceptible breeze, of her breath, it was a whole physiological existence that was spread out before me, for me; as I used to remain for hours lying on the beach, in the moonlight, so long could I have remained there gazing at her, listening to her.
Quelquefois on eût dit que la mer devenait grosse, que la tempête se faisait sentir jusque dans la baie, et je me mettais comme elle à écouter le grondement de son souffle qui ronflait. Quelquefois, quand elle avait trop chaud, elle ôtait, dormant déjà presque, son kimono, qu′elle jetait sur mon fauteuil. Pendant qu′elle dormait, je me disais que toutes ses lettres étaient dans la poche intérieure de ce kimono, où elle les mettait toujours. Une signature, un rendez-vous donné eussent suffi pour prouver un mensonge ou dissiper un soupçon. Quand je sentais le sommeil d′Albertine bien profond, quittant le pied de son lit où je la contemplais depuis longtemps sans faire un mouvement, je faisais un pas, pris d′une curiosité ardente, sentant le secret de cette vie offert, floche et sans défense, dans ce fauteuil. Peut-être, faisais-je ce pas aussi parce que regarder dormir sans bouger finit par devenir fatigant. Et ainsi à pas de loup, me retournant sans cesse pour voir si Albertine ne s′éveillait pas, j′allais jusqu′au fauteuil. Là, je m′arrêtais, je restais longtemps à regarder le kimono comme j′étais resté longtemps à regarder Albertine. Mais (et peut-être j′ai eu tort) jamais je n′ai touché au kimono, mis ma main dans la poche, regardé les lettres. À la fin, voyant que je ne me déciderais pas, je repartais à pas de loup, revenais près du lit d′Albertine et me remettais à la regarder dormir, elle qui ne me dirait rien alors que je voyais sur un bras du fauteuil ce kimono qui peut-être m′eût dit bien des choses. Et de même que des gens louent cent francs par jour une chambre à l′Hôtel de Balbec pour respirer l′air de la mer, je trouvais tout naturel de dépenser plus que cela pour elle, puisque j′avais son souffle près de ma joue, dans sa bouche que j′entr′ouvrais sur la mienne, où contre ma langue passait sa vie. Sometimes one would have said that the sea was becoming rough, that the storm was making itself felt even inside the bay, and like the bay I lay listening to the gathering roar of her breath. Sometimes, when she was too warm, she would take off, already half asleep, her kimono which she flung over my armchair. While she was asleep I would tell myself that all her correspondence was in the inner pocket of this kimono, into which she always thrust her letters. A signature, a written appointment would have sufficed to prove a lie or to dispel a suspicion. When I could see that Albertine was sound asleep, leaving the foot of the bed where I had been standing motionless in contemplation of her, I took a step forward, seized by a burning curiosity, feeling that the secret of this other life lay offering itself to me, flaccid and defenceless, in that armchair. Perhaps I took this step forward also because to stand perfectly still and watch her sleeping became tiring after a while. And so, on tiptoe, constantly turning round to make sure that Albertine was not waking, I made my way to the armchair. There I stopped short, stood for a long time gazing at the kimono, as I had stood for a long time gazing at Albertine. But (and here perhaps I was wrong) never once did I touch the kimono, put my hand in the pocket, examine the letters. In the end, realising that I would never make up my mind, I started back, on tiptoe, returned to Albertine′s bedside and began again to watch her sleeping, her who would tell me nothing, whereas I could see lying across an arm of the chair that kimono which would have told me much. And just as people pay a hundred francs a day for a room at the Hotel at Balbec in order to breathe the sea air, I felt it to be quite natural that I should spend more than that upon her since I had her breath upon my cheek, between her lips which I parted with my own, through which her life flowed against my tongue.
Mais ce plaisir de la voir dormir, et qui était aussi doux que la sentir vivre, un autre y mettait fin, et qui était celui de la voir s′éveiller. Il était, à un degré plus profond et plus mystérieux, le plaisir même qu′elle habitât chez moi. Sans doute il m′était doux, l′après-midi, quand elle descendait de voiture, que ce fût dans mon appartement qu′elle rentrât. Il me l′était plus encore que, quand du fond du sommeil elle remontait les derniers degrés de l′escalier des songes, ce fût dans ma chambre qu′elle renaquît à la conscience et à la vie, qu′elle se demandât un instant « où suis-je », et voyant les objets dont elle était entourée, la lampe dont la lumière lui faisait à peine cligner les yeux, pût se répondre qu′elle était chez elle en constatant qu′elle s′éveillait chez moi. Dans ce premier moment délicieux d′incertitude, il me semblait que je prenais à nouveau plus complètement possession d′elle, puisque, au lieu que, après être sortie, elle entrât dans sa chambre, c′était ma chambre, dès qu′elle serait reconnue par Albertine, qui allait l′enserrer, la contenir, sans que les yeux de mon amie manifestassent aucun trouble, restant aussi calmes que si elle n′avait pas dormi. But this pleasure of seeing her sleep, which was as precious as that of feeling her live, was cut short by another pleasure, that of seeing her wake. It was, carried to a more profound and more mysterious degree, the same pleasure that I felt in having her under my roof. It was gratifying, of course, in the afternoon, when she alighted from the carriage, that it should be to my address that she was returning. It was even more so to me that when from the underworld of sleep she climbed the last steps of the stair of dreams, it was in my room that she was reborn to consciousness and life, that she asked herself for an instant: “Where am I?” and, seeing all the things in the room round about her, the lamp whose light scarcely made her blink her eyes, was able to assure herself that she was at home, as soon as she realised that she was waking in my home. In that first delicious moment of uncertainty, it seemed to me that once again I took a more complete possession of her since, whereas after an outing it was to her own room that she returned, it was now my room that, as soon as Albertine should have recognised it, was about to enclose, to contain her, without any sign of misgiving in the eyes of my mistress, which remained as calm as if she had never slept at all.
L′hésitation du réveil, révélée par son silence, ne l′était pas par son regard. Dès qu′elle retrouvait la parole elle disait : « Mon » ou « Mon chéri » suivis l′un ou l′autre de mon nom de baptême, ce qui, en donnant au narrateur le même nom qu′à l′auteur de ce livre, eût fait : « Mon Marcel », « Mon chéri Marcel ». Je ne permettais plus dès lors qu′en famille nos parents, en m′appelant aussi « chéri », ôtassent leur prix d′être uniques aux mots délicieux que me disait Albertine. Tout en me les disant elle faisait une petite moue qu′elle changeait d′elle-même en baiser. Aussi vite qu′elle s′était tout à l′heure endormie, aussi vite elle s′était réveillée. The uncertainty of awakening revealed by her silence was not at all revealed in her eyes. As soon as she was able to speak she said: “My —— ” or “My dearest ——” followed by my Christian name, which, if we give the narrator the same name as the author of this book, would be ‘My Marcel,′ or ‘My dearest Marcel.′ After this I would never allow my relatives, by calling me ‘dearest,′ to rob of their priceless uniqueness the delicious words that Albertine uttered to me. As she uttered them, she pursed her lips in a little pout which she herself transformed into a kiss. As quickly as, earlier in the evening, she had fallen asleep, so quickly had she awoken.
Pas plus que mon déplacement dans le temps, pas plus que le fait de regarder une jeune fille assise auprès de moi sous la lampe qui l′éclaire autrement que le soleil quand, debout, elle s′avançait le long de la mer, cet enrichissement réel, ce progrès autonome d′Albertine, n′étaient la cause importante, la différence qu′il y avait entre ma façon de la voir maintenant et ma façon de la voir au début à Balbec. Des années plus nombreuses auraient pu séparer les deux images sans amener un changement aussi complet ; il s′était produit, essentiel et soudain, quand j′avais appris que mon amie avait été presque élevée par l′amie de Mlle Vinteuil. Si jadis je m′étais exalté en croyant voir du mystère dans les yeux d′Albertine, maintenant je n′étais heureux que dans les moments où de ces yeux, de ces joues mêmes, réfléchissantes comme des yeux, tantôt si douces mais vite bourrues, je parvenais à expulser tout mystère. No more than my own progression in time, no more than the act of gazing at a girl seated opposite to me beneath the lamp, which shed upon her a different light from that of the sun when I used to behold her striding along the seashore, was this material enrichment, this autonomous progress of Albertine the determining cause of the difference between my present view of her and my original impression of her at Balbec. A longer term of years might have separated the two images without effecting so complete a change; it had come to pass, essential and sudden, when I learned that my mistress had been virtually brought up by Mlle. Vinteuil′s friend. If at one time I had been carried away by excitement when I thought that I saw a trace of mystery in Albertine′s eyes, now I was happy only at the moments when from those eyes, from her cheeks even, as mirroring as her eyes, so gentle now but quickly turning sullen, I succeeded in expelling every trace of mystery.
L′image que je cherchais, où je me reposais, contre laquelle j′aurais voulu mourir, ce n′était plus d′Albertine ayant une vie inconnue, c′était une Albertine aussi connue de moi qu′il était possible (et c′est pour cela que cet amour ne pouvait être durable à moins de rester malheureux, car, par définition, il ne contentait pas le besoin de mystère), c′était une Albertine ne reflétant pas un monde lointain, mais ne désirant rien d′autre — il y avait des instants où, en effet, cela semblait ainsi — qu′être avec moi, toute pareille à moi, une Albertine image de ce qui précisément était mien et non de l′inconnu. Quand c′est, ainsi, d′une heure angoissée relative à un être, quand c′est de l′incertitude si on pourra le retenir ou s′il s′échappera, qu′est né un amour, cet amour porte la marque de cette révolution qui l′a créé, il rappelle bien peu ce que nous avions vu jusque-là quand nous pensions à ce même être. Et mes premières impressions devant Albertine, au bord des flots pouvaient pour une petite part subsister dans mon amour pour elle : en réalité, ces impressions antérieures ne tiennent qu′une petite place dans un amour de ce genre ; dans sa force, dans sa souffrance, dans son besoin de douceur et son refuge vers un souvenir paisible, apaisant, où l′on voudrait se tenir et ne plus rien apprendre de celle qu′on aime, même s′il y avait quelque chose d′odieux à savoir — bien plus, même à ne consulter que ces impressions antérieures — un tel amour est fait de bien autre chose ! The image for which I sought, upon which I reposed, against which I would have liked to lean and die, was no longer that of Albertine leading a hidden life, it was that of an Albertine as familiar to me as possible (and for this reason my love could not be lasting unless it was unhappy, for in its nature it did not satisfy my need of mystery), an Albertine who did not reflect a distant world, but desired nothing else — there were moments when this did indeed appear to be the case — than to be with me, a person like myself, an Albertine the embodiment of what belonged to me and not of the unknown. When it is in this way, from an hour of anguish caused by another person, when it is from uncertainty whether we shall be able to keep her or she will escape, that love is born, such love bears the mark of the revolution that has created it, it recalls very little of what we had previously seen when we thought of the person in question. And my first impressions at the sight of Albertine, against a background of sea, might to some small extent persist in my love of her: actually, these earlier impressions occupy but a tiny place in a love of this sort; in its strength, in its agony, in its need of comfort and its return to a calm and soothing memory with which we would prefer to abide and to learn nothing more of her whom we love, even if there be something horrible that we ought to know — would prefer still more to consult only these earlier memories — such a love is composed of very different material!
Quelquefois j′éteignais la lumière avant qu′elle entrât. C′était dans l′obscurité, à peine guidée par la lumière d′un tison, qu′elle se couchait à mon côté. Mes mains, mes joues seules la reconnaissaient sans que mes yeux la vissent, mes yeux qui souvent avaient peur de la trouver changée. De sorte qu′à la faveur de cet amour aveugle elle se sentait peut-être baignée de plus de tendresse que d′habitude. D′autres fois, je me déshabillais, je me couchais, et, Albertine assise sur un coin du lit, nous reprenions notre partie ou notre conversation interrompues de baisers ; et dans le désir qui seul nous fait trouver de l′intérêt dans l′existence et le caractère d′une personne, nous restons si fidèles à notre nature (si, en revanche, nous abandonnons successivement les différents êtres aimés tour à tour par nous), qu′une fois, m′apercevant dans la glace au moment où j′embrassais Albertine en l′appelant ma petite fille, l′expression triste et passionnée de mon propre visage, pareil à ce qu′il eût été autrefois auprès de Gilberte dont je ne me souvenais plus, à ce qu′il serait peut-être un jour auprès d′une autre si jamais je devais oublier Albertine, me fit penser qu′au-dessus des considérations de personne (l′instinct voulant que nous considérions l′actuelle comme seule véritable) je remplissais les devoirs d′une dévotion ardente et douloureuse dédiée comme une offrande à la jeunesse et à la beauté de la femme. Et pourtant, à ce désir, honorant d′un « ex-voto » la jeunesse, aux souvenirs aussi de Balbec, se mêlait, dans le besoin que j′avais de garder ainsi tous les soirs Albertine auprès de moi, quelque chose qui avait été étranger jusqu′ici à ma vie, au moins amoureuse, s′il n′était pas entièrement nouveau dans ma vie. Sometimes I put out the light before she came in. It was in the darkness, barely guided by the glow of a smouldering log, that she lay down by my side. My hands, my cheeks alone identified her without my eyes beholding her, my eyes that often were afraid of finding her altered. With the result that by virtue of this unseeing love she may have felt herself bathed in a warmer affection than usual. On other evenings, I undressed, I lay down, and, with Albertine perched on the side of my bed, we resumed our game or our conversation interrupted by kisses; and, in the desire that alone makes us take an interest in the existence and character of another person, we remain so true to our own nature (even if, at the same time, we abandon successively the different people whom we have loved in turn), that on one occasion, catching sight of myself in the glass at the moment when I was kissing Albertine and calling her my little girl, the sorrowful, passionate expression on my own face, similar to the expression it had assumed long ago with Gilberte whom I no longer remembered, and would perhaps assume one day with another girl, if I was fated ever to forget Albertine, made me think that over and above any personal considerations (instinct requiring that we consider the person of the moment as the only true person) I was performing the duties of an ardent and painful devotion dedicated as an oblation to the youth and beauty of Woman. And yet with this desire, honouring youth with an ex voto, with my memories also of Balbec, there was blended, in the need that I felt of keeping Albertine in this way every evening by my side, something that had hitherto been unknown, at least in my amorous existence, if it was not entirely novel in my life.
C′était un pouvoir d′apaisement tel que je n′en avais pas éprouvé de pareil depuis les soirs lointains de Combray où ma mère, penchée sur mon lit, venait m′apporter le repos dans un baiser. Certes, j′eusse été bien étonné, dans ce temps-là, si l′on m′avait dit que je n′étais pas entièrement bon, et surtout que je chercherais jamais à priver quelqu′un d′un plaisir. Je me connaissais sans doute bien mal alors, car mon plaisir d′avoir Albertine à demeure chez moi était beaucoup moins un plaisir positif que celui d′avoir retiré du monde, où chacun pouvait la goûter à son tour, la jeune fille en fleurs qui, si, du moins, elle ne me donnait pas de grande joie, en privait les autres. L′ambition, la gloire m′eussent laissé indifférent. Encore plus étais-je incapable d′éprouver la haine. Et cependant, pour moi, aimer charnellement c′était tout de même jouir d′un triomphe sur tant de concurrents. Je ne le redirai jamais assez, c′était un apaisement plus que tout. It was a soothing power the like of which I had not known since the evenings at Combray long ago when my mother, stooping over my bed, brought me repose in a kiss. To be sure, I should have been greatly astonished at that time, had anyone told me that I was not wholly virtuous, and more astonished still to be told that I would ever seek to deprive some one else of a pleasure. I must have known myself very slightly, for my pleasure in having Albertine to live with me was much less a positive pleasure than that of having withdrawn from the world, where everyone was free to enjoy her in turn, the blossoming damsel who, if she did not bring me any great joy, was at least withholding joy from others. Ambition, fame would have left me unmoved. Even more was I incapable of feeling hatred. And yet to me to love in a carnal sense was at any rate to enjoy a triumph over countless rivals. I can never repeat it often enough; it was first and foremost a sedative.
J′avais beau, avant qu′Albertine fût rentrée, avoir douté d′elle, l′avoir imaginée dans la chambre de Montjouvain, une fois qu′en peignoir elle s′était assise en face de mon fauteuil, ou si, comme c′était le plus fréquent, j′étais resté couché au pied de mon lit, je déposais mes doutes en elle, je les lui remettais pour qu′elle m′en déchargeât, dans l′abdication d′un croyant qui fait sa prière. Toute la soirée elle avait pu, pelotonnée espièglement en boule sur mon lit, jouer avec moi comme une grosse chatte ; son petit nez rose, qu′elle diminuait encore au bout avec un regard coquet qui lui donnait la finesse de certaines personnes un peu grasses, avait pu lui donner une mine mutine et enflammée ; elle avait pu laisser tomber une mèche de ses longs cheveux noirs sur sa joue de cire rosée, et fermant à demi les yeux, décroisant les bras, avoir eu l′air de me dire : « Fais de moi ce que tu veux » ; quand, au moment de me quitter, elle s′approchait pour me dire bonsoir, c′était leur douceur devenue quasi familiale que je baisais des deux côtés de son cou puissant, qu′alors je ne trouvais jamais assez brun ni d′assez gros grain, comme si ces solides qualités eussent été en rapport avec quelque bonté loyale chez Albertine. For all that I might, before Albertine returned, have doubted her loyalty, have imagined her in the room at Montjouvain, once she was in her dressing-gown and seated facing my chair, or (if, as was more frequent, I had remained in bed) at the foot of my bed, I would deposit my doubts in her, hand them over for her to relieve me of them, with the abnegation of a worshipper uttering his prayer. All the evening she might have been there, huddled in a provoking ball upon my bed, playing with me, like a great cat; her little pink nose, the tip of which she made even tinier with a coquettish glance which gave it that sharpness which we see in certain people who are inclined to be stout, might have given her a fiery and rebellious air; she might have allowed a tress of her long, dark hair to fall over a cheek of rosy wax and, half shutting her eyes, unfolding her arms, have seemed to be saying to me: “Do with me what you please!”; when, as the time came for her to leave me, she drew nearer to say good night, it was a meekness that had become almost a part of my family life that I kissed on either side of her firm throat which now never seemed to me brown or freckled enough, as though these solid qualities had been in keeping with some loyal generosity in Albertine.
C′était le tour d′Albertine de me dire bonsoir en m′embrassant de chaque côté du cou, sa chevelure me caressait comme une aile aux plumes aiguës et douces. Si incomparables l′un à l′autre que fussent ces deux baisers de paix, Albertine glissait dans ma bouche, en me faisant le don de sa langue, comme un don du Saint-Esprit, me remettait un viatique, me laissait une provision de calme presque aussi doux que ma mère imposant le soir, à Combray, ses lèvres sur mon front. When it was Albertine′s turn to bid me good night, kissing me on either side of my throat, her hair caressed me like a wing of softly bristling feathers. Incomparable as were those two kisses of peace, Albertine slipped into my mouth, making me the gift of her tongue, like a gift of the Holy Spirit, conveyed to me a viaticum, left me with a provision of tranquillity almost as precious as when my mother in the evening at Combray used to lay her lips upon my brow.
« Viendrez-vous avec nous demain, grand méchant ? me demandait-elle avant de me quitter. — Où irez-vous ? — Cela dépendra du temps et de vous. Avez-vous seulement écrit quelque chose tantôt, mon petit chéri ? Non ? Alors, c′était bien la peine de ne pas venir vous promener. Dites, à propos, tantôt quand je suis rentrée, vous avez reconnu mon pas, vous avez deviné que c′était moi ? — Naturellement. Est-ce qu′on pourrait se tromper ? est-ce qu′on ne reconnaîtrait pas entre mille les pas de sa petite bécasse ? Qu′elle me permette de la déchausser avant qu′elle aille se coucher, cela me fera bien plaisir. Vous êtes si gentille et si rose dans toute cette blancheur de dentelles. » “Are you coming with us to-morrow, you naughty man?” she asked before leaving me. “Where are you going?” “That will depend on the weather and on yourself. But have you written anything to-day, my little darling? No? Then it was hardly worth your while, not coming with us. Tell me, by the way, when I came in, you knew my step, you guessed at once who it was?” “Of course. Could I possibly be mistaken, couldn′t I tell my little sparrow′s hop among a thousand? She must let me take her shoes off, before she goes to bed, it will be such a pleasure to me. You are so nice and pink in all that white lace.”
Telle était ma réponse ; au milieu des expressions charnelles, on en reconnaîtra d′autres qui étaient propres à ma mère et à ma grand′mère, car, peu à peu, je ressemblais à tous mes parents, à mon père qui — de tout autre façon que moi sans doute, car si les choses se répètent, c′est avec de grandes variations — s′intéressait si fort au temps qu′il faisait ; et pas seulement à mon père, mais de plus en plus à ma tante Léonie. Sans cela, Albertine n′eût pu être pour moi qu′une raison de sortir pour ne pas la laisser seule, sans mon contrôle. Ma tante Léonie, toute confite en dévotion et avec qui j′aurais bien juré que je n′avais pas un seul point commun, moi si passionné de plaisirs, tout différent en apparence de cette maniaque qui n′en avait jamais connu aucun et disait son chapelet toute la journée, moi qui souffrais de ne pouvoir réaliser une existence littéraire, alors qu′elle avait été la seule personne de la famille qui n′eût pu encore comprendre que lire, c′était autre chose que de passer son temps à « s′amuser », ce qui rendait, même au temps pascal, la lecture permise le dimanche, où toute occupation sérieuse est défendue, afin qu′il soit uniquement sanctifié par la prière. Or, bien que chaque jour j′en trouvasse la cause dans un malaise particulier qui me faisait si souvent rester couché, un être, non pas Albertine, non pas un être que j′aimais, mais un être plus puissant sur moi qu′un être aimé, s′était transmigré en moi, despotique au point de faire taire parfois mes soupçons jaloux, ou du moins de m′empêcher d′aller vérifier s′ils étaient fondés ou non : c′était ma tante Léonie. C′était assez que je ressemblasse avec exagération à mon père jusqu′à ne pas me contenter de consulter comme lui le baromètre, mais à devenir moi-même un baromètre vivant ; c′était assez que je me laissasse commander par ma tante Léonie pour rester à observer le temps, de ma chambre ou même de mon lit, voici de même que je parlais maintenant à Albertine, tantôt comme l′enfant que j′avais été à Combray parlant à ma mère, tantôt comme ma grand′mère me parlait. Such was my answer; among the sensual expressions, we may recognise others that were peculiar to my grandmother and mother for, little by little, I was beginning to resemble all my relatives, my father who — in a very different fashion from myself, no doubt, for if things do repeat themselves, it is with great variations — took so keen an interest in the weather; and not my father only, I was becoming more and more like my aunt Léonie. Otherwise, Albertine could not but have been a reason for my going out of doors, so as not to leave her by herself, beyond my control. My aunt Léonie, wrapped up in her religious observances, with whom I could have sworn that I had not a single point in common, I so passionately keen on pleasure, apparently worlds apart from that maniac who had never known any pleasure in her life and lay mumbling her rosary all day long, I who suffered from my inability to embark upon a literary career whereas she had been the one person in the family who could never understand that reading was anything more than an amusing pastime, which made reading, even at the paschal season, lawful upon Sunday, when every serious occupation is forbidden, in order that the day may be hallowed by prayer alone. Now, albeit every day I found an excuse in some particular indisposition which made me so often remain in bed, a person (not Albertine, not any person that I loved, but a person with more power over me than any beloved) had migrated into me, despotic to the extent of silencing at times my jealous suspicions or at least of preventing me from going to find out whether they had any foundation, and this was my aunt Léonie. It was quite enough that I should bear an exaggerated resemblance to my father, to the extent of not being satisfied like him with consulting the barometer, but becoming an animated barometer myself; it was quite enough that I should allow myself to be ordered by my aunt Léonie to stay at home and watch the weather, from my bedroom window or even from my bed; yet here I was talking now to Albertine, at one moment as the child that I had been at Combray used to talk to my mother, at another as my grandmother used to talk to me.
Quand nous avons dépassé un certain âge, l′âme de l′enfant que nous fûmes et l′âme des morts dont nous sommes sortis viennent nous jeter à poignée leurs richesses et leurs mauvais sorts, demandant à coopérer aux nouveaux sentiments que nous éprouvons et dans lesquels, effaçant leur ancienne effigie, nous les refondons en une création originale. Tel, tout mon passé depuis mes années les plus anciennes, et par delà celles-ci, le passé de mes parents, mêlaient à mon impur amour pour Albertine la douceur d′une tendresse à la fois filiale et maternelle. Nous devons recevoir dès une certaine heure tous nos parents arrivés de si loin et assemblés autour de nous. When we have passed a certain age, the soul of the child that we were and the souls of the dead from whom we spring come and bestow upon us in handfuls their treasures and their calamities, asking to be allowed to cooperate in the new sentiments which we are feeling and in which, obliterating their former image, we recast them in an original creation. Thus my whole past from my earliest years, and earlier still the past of my parents and relatives, blended with my impure love for Albertine the charm of an affection at once filial and maternal. We have to give hospitality, at a certain stage in our life, to all our relatives who have journeyed so far and gathered round us.
Avant qu′Albertine m′eût obéi et m′eût laissé enlever ses souliers, j′entr′ouvrais sa chemise. Les deux petits seins haut remontés étaient si ronds qu′ils avaient moins l′air de faire partie intégrante de son corps que d′y avoir mûri comme deux fruits ; et son ventre (dissimulant la place qui chez l′homme s′enlaidit comme du crampon resté fiché dans une statue descellée) se refermait à la jonction des cuisses, par deux valves d′une courbe aussi assoupie, aussi reposante, aussi claustrale que celle de l′horizon quand le soleil a disparu. Elle ôtait ses souliers, se couchait près de moi. Before Albertine obeyed and allowed me to take off her shoes, I opened her chemise. Her two little upstanding breasts were so round that they seemed not so much to be an integral part of her body as to have ripened there like fruit; and her belly (concealing the place where a man′s is marred as though by an iron clamp left sticking in a statue that has been taken down from its niche) was closed, at the junction of her thighs, by two valves of a curve as hushed, as reposeful, as cloistral as that of the horizon after the sun has set. She took off her shoes, and lay down by my side.
Ô grandes attitudes de l′Homme et de la Femme où cherchent à se joindre, dans l′innocence des premiers jours et avec l′humilité de l′argile, ce que la création a séparé, où ève est étonnée et soumise devant l′Homme au côté de qui elle s′éveille, comme lui-même, encore seul, devant Dieu qui l′a formé. Albertine nouait ses bras derrière ses cheveux noirs, la hanche renflée, la jambe tombante en une inflexion de col de cygne qui s′allonge et se recourbe pour revenir sur lui-même. Il n′y avait que quand elle était tout à fait sur le côté qu′on voyait un certain aspect de sa figure (si bonne et si belle de face) que je ne pouvais souffrir, crochu comme en certaines caricatures de Léonard, semblant révéler la méchanceté, l′âpreté au gain, la fourberie d′une espionne, dont la présence chez moi m′eût fait horreur et qui semblait démasquée par ces profils-là. Aussitôt je prenais la figure d′Albertine dans mes mains et je la replaçais de face. O mighty attitudes of Man and Woman, in which there seeks to be reunited, in the innocence of the world′s first age and with the humility of clay, what creation has cloven apart, in which Eve is astonished and submissive before the Man by whose side she has awoken, as he himself, alone still, before God Who has fashioned him. Albertine folded her arms behind her dark hair, her swelling hip, her leg falling with the inflexion of a swan′s neck that stretches upwards and then curves over towards its starting point. It was only when she was lying right on her side that one saw a certain aspect of her face (so good and handsome when one looked at it from in front) which I could not endure, hook-nosed as in some of Leonardo′s caricatures, seeming to indicate the shiftiness, the greed for profit, the cunning of a spy whose presence in my house would have filled me with horror and whom that profile seemed to unmask. At once I took Albertine′s face in my hands and altered its position.
« Soyez gentil, promettez-moi que, si vous ne venez pas demain, vous travaillerez », disait mon amie en remettant sa chemise. « Oui, mais ne mettez pas encore votre peignoir. » Quelquefois je finissais par m′endormir à côté d′elle. La chambre s′était refroidie, il fallait du bois. J′essayais de trouver la sonnette dans mon dos, je n′y arrivais pas, tâtant tous les barreaux de cuivre qui n′étaient pas ceux entre lesquels elle pendait et, à Albertine qui avait sauté du lit pour que Françoise ne nous vît pas l′un à côté de l′autre, je disais : « Non remontez une seconde, je ne peux pas trouver la sonnette. » “Be a good boy, promise me that if you don′t come out to-morrow you will work,” said my mistress as she slipped into her chemise. “Yes, but don′t put on your dressing-gown yet.” Sometimes I ended by falling asleep by her side. The room had grown cold, more wood was wanted. I tried to find the bell above my head, but failed to do so, after fingering all the copper rods in turn save those between which it hung, and said to Albertine who had sprung from the bed so that Françoise should not find us lying side by side: “No, come back for a moment, I can′t find the bell.”
Instants doux, gais, innocents en apparence et où s′accumule pourtant la possibilité, en nous insoupçonnée, du désastre, ce qui fait de la vie amoureuse la plus contrastée de toutes, celle où la pluie imprévisible de soufre et de poix tombe après les moments les plus riants et où ensuite, sans avoir le courage de tirer la leçon du malheur, nous rebâtissons immédiatement sur les flancs du cratère d′où ne pourra sortir que la catastrophe. J′avais l′insouciance de ceux qui croient leur bonheur durable. Comforting moments, gay, innocent to all appearance, and yet moments in which there accumulates in us the never suspected possibility of disaster, which makes the amorous life the most precarious of all, that in which the incalculable rain of sulphur and brimstone falls after the most radiant moments, after which, without having the courage to derive its lesson from our mishap, we set to work immediately to rebuild upon the slopes of the crater from which nothing but catastrophe can emerge. I was as careless as everyone who imagines that his happiness will endure.
C′est justement parce que cette douceur a été nécessaire pour enfanter la douleur — et reviendra du reste la calmer par intermittences — que les hommes peuvent être sincères avec autrui, et même avec eux-mêmes, quand ils se glorifient de la bonté d′une femme envers eux, quoique, à tout prendre, au sein de leur liaison circule constamment, d′une façon secrète, inavouée aux autres, ou révélée involontairement par des questions, des enquêtes, une inquiétude douloureuse. Mais celle-ci n′aurait pas pu naître sans la douceur préalable, que même ensuite la douceur intermittente est nécessaire pour rendre la souffrance supportable et éviter les ruptures, la dissimulation de l′enfer secret qu′est la vie commune avec cette femme, jusqu′à l′ostentation d′une intimité qu′on prétend douce, exprime un point de vue vrai, un lien général de l′effet à la cause, un des modes selon lesquels la production de la douleur est rendue possible. It is precisely because this comfort has been necessary to bring grief to birth — and will return moreover at intervals to calm it — that men can be sincere with each other, and even with themselves, when they pride themselves upon a woman′s kindness to them, although, taking things all in all, at the heart of their intimacy there lurks continually in a secret fashion, unavowed to the rest of the world, or revealed unintentionally by questions, inquiries, a painful uncertainty. But as this could not have come to birth without the preliminary comfort, as even afterwards the intermittent comfort is necessary to make suffering endurable and to prevent ruptures, their concealment of the secret hell that life can be when shared with the woman in question, carried to the pitch of an ostentatious display of an intimacy which, they pretend, is precious, expresses a genuine point of view, a universal process of cause and effect, one of the modes in which the production of grief is rendered possible.
Je ne m′étonnais plus qu′Albertine fût là et dût ne sortir le lendemain qu′avec moi ou sous la protection d′Andrée. Ces habitudes de vie en commun, ces grandes lignes qui délimitaient mon existence et à l′intérieur desquelles ne pouvait pénétrer personne excepté Albertine, aussi (dans le plan futur, encore inconnu de moi, de ma vie ultérieure, comme celui qui est tracé par un architecte pour des monuments qui ne s′élèveront que bien plus tard) les lignes lointaines, parallèles à celles-ci et plus vastes, par lesquelles s′esquissait en moi, comme un ermitage isolé, la formule un peu rigide et monotone de mes amours futures, avaient été en réalité tracées cette nuit à Balbec où, dans le petit tram, après qu′Albertine m′avait révélé qui l′avait élevée, j′avais voulu à tout prix la soustraire à certaines influences et l′empêcher d′être hors de ma présence pendant quelques jours. Les jours avaient succédé aux jours, ces habitudes étaient devenues machinales, mais comme ces rites dont l′Histoire essaye de retrouver la signification, j′aurais pu dire (et ne l′aurais pas voulu), à qui m′eût demandé ce que signifiait cette vie de retraite où je me séquestrais jusqu′à ne plus aller au théâtre, qu′elle avait pour origine l′anxiété d′un soir et le besoin de me prouver à moi-même, les jours qui la suivraient, que celle dont j′avais appris la fâcheuse enfance n′aurait pas la possibilité, si elle l′avait voulu, de s′exposer aux mêmes tentations. Je ne songeais plus qu′assez rarement à ces possibilités, mais elles devaient pourtant rester vaguement présentes à ma conscience. Le fait de les détruire — ou d′y tâcher — jour par jour était sans doute la cause pourquoi il m′était doux d′embrasser ces joues qui n′étaient pas plus belles que bien d′autres ; sous toute douceur charnelle un peu profonde, il y a la permanence d′un danger. It no longer surprised me that Albertine should be in the house, and would not be going out to-morrow save with myself or in the custody of Andrée. These habits of a life shared in common, this broad outline which defined my existence and within which nobody might penetrate but Albertine, also (in the future plan, of which I was still unaware, of my life to come, like the plan traced by an architect for monumental structures which will not be erected until long afterwards) the remoter lines, parallel to the others but vaster, that sketched in me, like a lonely hermitage, the somewhat rigid and monotonous formula of my future loves, had in reality been traced that night at Balbec when, in the little tram, after Albertine had revealed to me who it was that had brought her up, I had decided at any cost to remove her from certain influences and to prevent her from straying out of my sight for some days to come. Day after day had gone by, these habits had become mechanical, but, like those primitive rites the meaning of which historians seek to discover, I might (but would not) have said to anybody who asked me what I meant by this life of seclusion which I carried so far as not to go any more to the theatre, that its origin was the anxiety of a certain evening, and my need to prove to myself, during the days that followed, that the girl whose unfortunate childhood I had learned should not find it possible, if she wished, to expose herself to similar temptations. I no longer thought, save very rarely, of these possibilities, but they were nevertheless to remain vaguely present in my consciousness. The fact that I was destroying — or trying to destroy — them day by day was doubtless the reason why it comforted me to kiss those cheeks which were no more beautiful than many others; beneath any carnal attraction which is at all profound, there is the permanent possibility of danger.
J′avais promis à Albertine que, si je ne sortais pas avec elle, je me mettrais au travail ; mais le lendemain, comme si, profitant de nos sommeils, la maison avait miraculeusement voyagé, je m′éveillais par un temps différent, sous un autre climat. On ne travaille pas au moment où on débarque dans un pays nouveau, aux conditions duquel il faut s′adapter. Or chaque jour était pour moi un pays différent. Ma paresse elle-même, sous les formes nouvelles qu′elle revêtait, comment l′eussé-je reconnue ? I had promised Albertine that, if I did not go out with her, I would settle down to work, but in the morning, just as if, taking advantage of our being asleep, the house had miraculously flown, I awoke in different weather beneath another clime. We do not begin to work at the moment of landing in a strange country to the conditions of which we have to adapt ourself. But each day was for me a different country. Even my laziness itself, beneath the novel forms that it had assumed, how was I to recognise it?
Tantôt, par des jours irrémédiablement mauvais, disait-on, rien que la résidence dans la maison, située au milieu d′une pluie égale et continue, avait la glissante douceur, le silence calmant, l′intérêt d′une navigation ; une autre fois, par un jour clair, en restant immobile dans mon lit, c′était laisser tourner les ombres autour de moi comme d′un tronc d′arbre. Sometimes, on days when the weather was, according to everyone, past praying for, the mere act of staying in the house, situated in the midst of a steady and continuous rain, had all the gliding charm, the soothing silence, the interest of a sea voyage; at another time, on a bright day, to lie still in bed was to let the lights and shadows play around me as round a tree-trunk.
D′autres fois encore, aux premières cloches d′un couvent voisin, rares comme les dévotes matinales, blanchissant à peine le ciel sombre de leurs giboulées incertaines que fondait et dispersait le vent tiède, j′avais discerné une de ces journées tempétueuses, désordonnées et douces, où les toits, mouillés d′une ondée intermittente que sèchent un souffle ou un rayon, laissent glisser en roucoulant une goutte de pluie et, en attendant que le vent recommence à tourner, lissent au soleil momentané qui les irise leurs ardoises gorge-de-pigeon ; une de ces journées remplies par tant de changements de temps, d′incidents aériens, d′orages, que le paresseux ne croit pas les avoir perdues parce qu′il s′est intéressé à l′activité qu′à défaut de lui l′atmosphère, agissant en quelque sorte à sa place, a déployée ; journées pareilles à ces temps d′émeute ou de guerre, qui ne semblent pas vides à l′écolier délaissant sa classe parce que, aux alentours du Palais de Justice ou en lisant les journaux, il a l′illusion de trouver dans les événements qui se sont produits, à défaut de la besogne qu′il n′a pas accomplie, un profit pour son intelligence et une excuse pour son oisiveté ; journées auxquelles on peut comparer celles où se passe dans notre vie quelque crise exceptionnelle et de laquelle celui qui n′a jamais rien fait croit qu′il va tirer, si elle se dénoue heureusement, des habitudes laborieuses ; par exemple, c′est le matin où il sort pour un duel qui va se dérouler dans des conditions particulièrement dangereuses ; alors, lui apparaît tout d′un coup, au moment où elle va peut-être lui être enlevée, le prix d′une vie de laquelle il aurait pu profiter pour commencer une œuvre ou seulement goûter des plaisirs, et dont il n′a su jouir en rien. « Si je pouvais ne pas être tué, se dit-il, comme je me mettrais au travail à la minute même, et aussi comme je m′amuserais. » Or yet again, in the first strokes of the bell of a neighbouring convent, rare as the early morning worshippers, barely whitening the dark sky with their fluttering snowfall, melted and scattered by the warm breeze, I had discerned one of those tempestuous, disordered, delightful days, when the roofs soaked by an occasional shower and dried by a breath of wind or a ray of sunshine let fall a cooing eavesdrop, and, as they wait for the wind to resume its turn, preen in the momentary sunlight that has burnished them their pigeon′s-breast of slates, one of those days filled with so many changes of weather, atmospheric incidents, storms, that the idle man does not feel that he has wasted them, because he has been taking an interest in the activity which, in default of himself, the atmosphere, acting in a sense in his stead, has displayed; days similar to those times of revolution or war which do not seem empty to the schoolboy who has played truant from his classroom, because by loitering outside the Law Courts or by reading the newspapers, he has the illusion of finding, in the events that have occurred, failing the lesson which he has not learned, an intellectual profit and an excuse for his idleness; days to which we may compare those on which there occurs in our life some exceptional crisis from which the man who has never done anything imagines that he is going to acquire, if it comes to a happy issue, laborious habits; for instance, the morning on which he sets out for a duel which is to be fought under particularly dangerous conditions; then he is suddenly made aware, at the moment when it is perhaps about to be taken from him, of the value of a life of which he might have made use to begin some important work, or merely to enjoy pleasures, and of which he has failed to make any use at all. “If I can only not be killed,” he says to himself, “how I shall settle down to work this very minute, and how I shall enjoy myself too.”
La vie a pris en effet soudain, à ses yeux, une valeur plus grande, parce qu′il met dans la vie tout ce qu′il semble qu′elle peut donner, et non pas le peu qu′il lui fait donner habituellement. Il la voit selon son désir, non telle que son expérience lui a appris qu′il savait la rendre, c′est-à-dire si médiocre ! Elle s′est, à l′instant, remplie des labeurs, des voyages, des courses de montagnes, de toutes les belles choses qu′il se dit que la funeste issue de ce duel pourra rendre impossibles, alors qu′elles l′étaient avant qu′il fût question de duel, à cause des mauvaises habitudes qui, même sans duel, auraient continué. Il revient chez lui sans avoir été même blessé, mais il retrouve les mêmes obstacles aux plaisirs, aux excursions, aux voyages, à tout ce dont il avait craint un instant d′être à jamais dépouillé par la mort ; il suffit pour cela de la vie. Quant au travail — les circonstances exceptionnelles ayant pour effet d′exalter ce qui existait préalablement dans l′homme, chez le laborieux le labeur et chez l′oisif la paresse, — il se donne congé. Life has in fact suddenly acquired, in his eyes, a higher value, because he puts into life everything that it seems to him capable of giving, instead of the little that he normally makes it give. He sees it in the light of his desire, not as his experience has taught him that he was apt to make it, that is to say so tawdry! It has, at that moment, become filled with work, travel, mountain-climbing, all the pleasant things which, he tells himself, the fatal issue of the duel may render impossible, whereas they were already impossible before there was any question of a duel, owing to the bad habits which, even had there been no duel, would have persisted. He returns home without even a scratch, but he continues to find the same obstacles to pleasures, excursions, travel, to everything of which he had feared for a moment to be for ever deprived by death; to deprive him of them life has been sufficient. As for work — exceptional circumstances having the effect of intensifying what previously existed in the man, labour in the laborious, laziness in the lazy — he takes a holiday.
Je faisais comme lui, et comme j′avais toujours fait depuis ma vieille résolution de me mettre à écrire, que j′avais prise jadis, mais qui me semblait dater d′hier, parce que j′avais considéré chaque jour l′un après l′autre comme non avenu. J′en usais de même pour celui-ci, laissant passer sans rien faire ses averses et ses éclaircies et me promettant de commencer à travailler le lendemain. Mais je n′y étais plus le même sous un ciel sans nuages ; le son doré des cloches ne contenait pas seulement, comme le miel, de la lumière, mais la sensation de la lumière et aussi la saveur fade des confitures (parce qu′à Combray il s′était souvent attardé comme une guêpe sur notre table desservie). Par ce jour de soleil éclatant, rester tout le jour les yeux clos, c′était chose permise, usitée, salubre, plaisante, saisonnière, comme tenir ses persiennes fermées contre la chaleur. I followed his example, and did as I had always done since my first resolution to become a writer, which I had made long ago, but which seemed to me to date from yesterday, because I had regarded each intervening day as non-existent. I treated this day in a similar fashion, allowing its showers of rain and bursts of sunshine to pass without doing anything, and vowing that I would begin to work on the morrow. But then I was no longer the same man beneath a cloudless sky; the golden note of the bells did not contain merely (as honey contains) light, but the sensation of light and also the sickly savour of preserved fruits (because at Combray it had often loitered like a wasp over our cleared dinner-table). On this day of dazzling sunshine, to remain until nightfall with my eyes shut was a thing permitted, customary, healthgiving, pleasant, seasonable, like keeping the outside shutters closed against the heat.
C′était par de tels temps qu′au début de mon second séjour à Balbec j′entendais les violons de l′orchestre entre les coulées bleuâtres de la marée montante. Combien je possédais plus Albertine aujourd′hui ! Il y avait des jours où le bruit d′une cloche qui sonnait l′heure portait sur la sphère de sa sonorité une plaque si fraîche, si puissamment étalée de mouillé ou de lumière, que c′était comme une traduction pour aveugles, ou, si l′on veut, comme une traduction musicale du charme de la pluie ou du charme du soleil. Si bien qu′à ce moment-là, les yeux fermés, dans mon lit, je me disais que tout peut se transposer et qu′un univers seulement audible pourrait être aussi varié que l′autre. Remontant paresseusement de jour en jour, comme sur une barque, et voyant apparaître devant moi toujours de nouveaux souvenirs enchantés, que je ne choisissais pas, qui, l′instant d′avant, m′étaient invisibles, et que ma mémoire me présentait l′un après l′autre sans que je puisse les choisir, je poursuivais paresseusement, sur ces espaces unis, ma promenade au soleil. It was in such weather as this that at the beginning of my second visit to Balbec I used to hear the violins of the orchestra amid the bluish flow of the rising tide. How much more fully did I possess Albertine to-day. There were days when the sound of a bell striking the hour bore upon the sphere of its resonance a plate so cool, so richly loaded with moisture or with light that it was like a transcription for the blind, or if you prefer a musical interpretation of the charm of rain or of the charm of the sun. So much so that, at that moment, as I lay in bed, with my eyes shut, I said to myself that everything is capable of transposition and that a universe which was merely audible might be as full of variety as the other. Travelling lazily upstream from day to day, as in a boat, and seeing appear before my eyes an endlessly changing succession of enchanted memories, which I did not select, which a moment earlier had been invisible, and which my mind presented to me one after another, without my being free to choose them, I pursued idly over that continuous expanse my stroll in the sunshine.
Ces concerts matinaux de Balbec n′étaient pas anciens. Et pourtant, à ce moment relativement rapproché, je me souciais peu d′Albertine. Même, les tout premiers jours de l′arrivée, je n′avais pas connu sa présence à Balbec. Par qui donc l′avais-je apprise ? Ah ! oui, par Aimé. Il faisait un beau soleil comme celui-ci. Il était content de me revoir. Mais il n′aime pas Albertine. Tout le monde ne peut pas l′aimer. Oui, c′est lui qui m′a annoncé qu′elle était à Balbec. Comment le savait-il donc ? Ah ! il l′avait rencontrée, il lui avait trouvé mauvais genre. À ce moment, abordant le récit d′Aimé par une autre face que celle où il me l′avait fait, ma pensée, qui jusqu′ici avait navigué en souriant sur ces eaux bienheureuses, éclatait soudain, comme si elle eût heurté une mine invisible et dangereuse, insidieusement posée à ce point de ma mémoire. Il m′avait dit qu′il l′avait rencontrée, qu′il lui avait trouvé mauvais genre. Qu′avait-il voulu dire par mauvais genre ? J′avais compris genre vulgaire, parce que, pour le contredire d′avance, j′avais déclaré qu′elle avait de la distinction. Mais non, peut-être avait-il voulu dire genre gomorrhéen. Elle était avec une amie, peut-être qu′elles se tenaient par la taille, qu′elles regardaient d′autres femmes, qu′elles avaient en effet un « genre » que je n′avais jamais vu à Albertine en ma présence. Qui était l′amie ? où Aimé l′avait-il rencontrée, cette odieuse Albertine ? Those morning concerts at Balbec were not remote in time. And yet, at that comparatively recent moment, I had given but little thought to Albertine. Indeed, on the very first mornings after my arrival, I had not known that she was at Balbec. From whom then had I learned it? Oh, yes, from Aimé. It was a fine sunny day like this. He was glad to see me again. But he does not like Albertine. Not everybody can be in love with her. Yes, it was he who told me that she was at Balbec. But how did he know? Ah! he had met her, had thought that she had a bad style. At that moment, as I regarded Aimé‘s story from another aspect than that in which he had told me it, my thoughts, which hitherto had been sailing blissfully over these untroubled waters, exploded suddenly, as though they had struck an invisible and perilous mine, treacherously moored at this point in my memory. He had told me that he had met her, that he had thought her style bad. What had he meant by a bad style? I had understood him to mean a vulgar manner, because, to contradict him in advance, I had declared that she was most refined. But no, perhaps he had meant the style of Gomorrah. She was with another girl, perhaps their arms were round one another′s waist, they were staring at other women, they were indeed displaying a ‘style′ which I had never seen Albertine adopt in my presence. Who was the other girl, where had Aimé met her, this odious Albertine?
Je tâchais de me rappeler exactement ce qu′Aimé m′avait dit, pour voir si cela pouvait se rapporter à ce que j′imaginais ou s′il avait voulu parler seulement de manières communes. Mais j′avais beau me le demander, la personne qui se posait la question et la personne qui pouvait offrir le souvenir n′étaient, hélas, qu′une seule et même personne, moi, qui se dédoublait momentanément, mais sans rien s′ajouter. J′avais beau questionner, c′était moi qui répondais, je n′apprenais rien de plus. Je ne songeais plus à Mlle Vinteuil. Né d′un soupçon nouveau, l′accès de jalousie dont je souffrais était nouveau aussi, ou plutôt il n′était que le prolongement, l′extension de ce soupçon, il avait le même théâtre, qui n′était plus Montjouvain, mais la route où Aimé avait rencontré Albertine ; pour objets, les quelques amies dont l′une ou l′autre pouvait être celle qui était avec Albertine ce jour-là. C′était peut-être une certaine Élisabeth, ou bien peut-être ces deux jeunes filles qu′Albertine avait regardées dans la glace, au Casino, quand elle n′avait pas l′air de les voir. Elle avait sans doute des relations avec elles, et d′ailleurs aussi avec Esther, la cousine de Bloch. De telles relations, si elles m′avaient été révélées par un tiers, eussent suffi pour me tuer à demi, mais comme c′était moi qui les imaginais, j′avais soin d′y ajouter assez d′incertitude pour amortir la douleur. I tried to recall exactly what Aimé had said to me, in order to see whether it could be made to refer to what I imagined, or he had meant nothing more than common manners. But in vain might I ask the question, the person who put it and the person who might supply the recollection were, alas, one and the same person, myself, who was momentarily duplicated but without adding anything to my stature. Question as I might, it was myself who answered, I learned nothing fresh. I no longer gave a thought to Mlle. Vinteuil. Born of a novel suspicion, the fit of jealousy from which I was suffering was novel also, or rather it was only the prolongation, the extension of that suspicion, it had the same theatre, which was no longer Montjouvain, but the road upon which Aimé had met Albertine, and for its object the various friends one or other of whom might be she who had been with Albertine that day. It was perhaps a certain Elisabeth, or else perhaps those two girls whom Albertine had watched in the mirror at the Casino, while appearing not to notice them. She had doubtless been having relations with them, and also with Esther, Bloch′s cousin. Such relations, had they been revealed to me by a third person, would have been enough almost to kill me, but as it was myself that was imagining them, I took care to add sufficient uncertainty to deaden the pain.
On arrive, sous la forme de soupçons, à absorber journellement, à doses énormes, cette même idée qu′on est trompé, de laquelle une quantité très faible pourrait être mortelle, inoculée par la piqûre d′une parole déchirante. C′est sans doute pour cela, et par un dérivé de l′instinct de conservation, que le même jaloux n′hésite pas à former des soupçons atroces à propos de faits innocents, à condition, devant la première preuve qu′on lui apporte, de se refuser à l′évidence. D′ailleurs, l′amour est un mal inguérissable, comme ces diathèses où le rhumatisme ne laisse quelque répit que pour faire place à des migraines épileptiformes. Le soupçon jaloux était-il calmé, j′en voulais à Albertine de n′avoir pas été tendre, peut-être de s′être moquée de moi avec Andrée. Je pensais avec effroi à l′idée qu′elle avait dû se faire si Andrée lui avait répété toutes nos conversations, l′avenir m′apparaissait atroce. Ces tristesses ne me quittaient que si un nouveau soupçon jaloux me jetait dans d′autres recherches ou si, au contraire, les manifestations de tendresse d′Albertine me rendaient mon bonheur insignifiant. Quelle pouvait être cette jeune fille ? il faudrait que j′écrive à Aimé, que je tâche de le voir, et ensuite je contrôlerais ses dires en causant avec Albertine, en la confessant. En attendant, croyant bien que ce devait être la cousine de Bloch, je demandai à celui-ci, qui ne comprit nullement dans quel but, de me montrer seulement une photographie d′elle ou, bien plus, de me faire au besoin rencontrer avec elle. We succeed in absorbing daily, under the guise of suspicions, in enormous doses, this same idea that we are being betrayed, a quite minute quantity of which might prove fatal, if injected by the needle of a stabbing word. It is no doubt for that reason, and by a survival of the instinct of self-preservation, that the same jealous man does not hesitate to form the most terrible suspicions upon a basis of innocuous details, provided that, whenever any proof is brought to him, he may decline to accept its evidence. Anyhow, love is an incurable malady, like those diathetic states in which rheumatism affords the sufferer a brief respite only to be replaced by epileptiform headaches. Was my jealous suspicion calmed, I then felt a grudge against Albertine for not having been gentle with me, perhaps for having made fun of me to Andrée. I thought with alarm of the idea that she must have formed if Andrée had repeated all our conversations; the future loomed black and menacing. This mood of depression left me only if a fresh jealous suspicion drove me upon another quest or if, on the other hand, Albertine′s display of affection made the actual state of my fortunes seem to me immaterial. Whoever this girl might be, I should have to write to Aimé, to try to see him, and then I should check his statement by talking to Albertine, hearing her confession. In the meantime, convinced that it must be Bloch′s cousin, I asked Bloch himself, who had not the remotest idea of my purpose, simply to let me see her photograph, or, better still, to arrange if possible for me to meet her.
Combien de personnes, de villes, de chemins, la jalousie nous rend ainsi avide de connaître ? Elle est une soif de savoir grâce à laquelle, sur des points isolés les uns des autres, nous finissons par avoir successivement toutes les notions possibles, sauf celle que nous voudrions. On ne sait jamais si un soupçon ne naîtra pas, car, tout à coup, on se rappelle une phrase qui n′était pas claire, un alibi qui n′avait pas été donné sans intention. Pourtant, on n′a pas revu la personne, mais il y a une jalousie après coup, qui ne naît qu′après l′avoir quittée, une jalousie de l′escalier. Peut-être l′habitude que j′avais prise de garder au fond de moi certains désirs, désir d′une jeune fille du monde comme celles que je voyais passer de ma fenêtre suivies de leur institutrice, et plus particulièrement de celle dont m′avait parlé Saint-Loup, qui allait dans les maisons de passe ; désir de belles femmes de chambre, et particulièrement celle de Mme Putbus ; désir d′aller à la campagne au début du printemps, revoir des aubépines, des pommiers en fleurs, des tempêtes ; désir de Venise, désir de me mettre au travail, désir de mener la vie de tout le monde ; — peut-être l′habitude de conserver en moi sans assouvissement tous ces désirs, en me contentant de la promesse, faite à moi-même, de ne pas oublier de les satisfaire un jour ; — peut-être cette habitude, vieille de tant d′années, de l′ajournement perpétuel, de ce que M. de Charlus flétrissait sous le nom de procrastination, était-elle devenue si générale en moi qu′elle s′emparait aussi de mes soupçons jaloux et, tout en me faisant prendre mentalement note que je ne manquerais pas un jour d′avoir une explication avec Albertine au sujet de la jeune fille, peut-être des jeunes filles (cette partie du récit était confuse, effacée, autant dire infranchissable, dans ma mémoire), avec laquelle ou lesquelles Aimé l′avait rencontrée, me faisait retarder cette explication. En tous cas, je n′en parlerais pas ce soir à mon amie pour ne pas risquer de lui paraître jaloux et de la fâcher. How many persons, cities, roads does not jealousy make us eager thus to know? It is a thirst for knowledge thanks to which, with regard to various isolated points, we end by acquiring every possible notion in turn except those that we require. We can never tell whether a suspicion will not arise, for, all of a sudden, we recall a sentence that was not clear, an alibi that cannot have been given us without a purpose. And yet, we have not seen the person again, but there is such a thing as a posthumous jealousy, that is born only after we have left her, a jealousy of the doorstep. Perhaps the habit that I had formed of nursing in my bosom several simultaneous desires, a desire for a young girl of good family such as I used to see pass beneath my window escorted by her governess, and especially of the girl whom Saint-Loup had mentioned to me, the one who frequented houses of ill fame, a desire for handsome lady′s-maids, and especially for the maid of Mme. Putbus, a desire to go to the country in early spring, to see once again hawthorns, apple trees in blossom, storms at sea, a desire for Venice, a desire to settle down to work, a desire to live like other people — perhaps the habit of storing up, without assuaging any of them, all these desires, contenting myself with the promise, made to myself, that I would not forget to satisfy them one day, perhaps this habit, so many years old already, of perpetual postponement, of what M. de Charlus used to castigate under the name of procrastination, had become so prevalent in me that it assumed control of my jealous suspicions also and, while it made me take a mental note that I would not fail, some day, to have an explanation from Albertine with regard to the girl, possibly the girls (this part of the story was confused, rubbed out, that is to say obliterated, in my memory) with whom Aimé had met her, made me also postpone this explanation. In any case, I would not mention it this evening to my mistress for fear of making her think me jealous and so offending her.
Pourtant, quand, le lendemain, Bloch m′eut envoyé la photographie de sa cousine Esther, je m′empressai de la faire parvenir à Aimé. Et à la même minute, je me souvins qu′Albertine m′avait refusé le matin un plaisir qui aurait pu la fatiguer en effet. Était-ce donc pour le réserver à quelque autre ? Cet après-midi peut-être ? À qui ? And yet when, on the following day, Bloch had sent me the photograph of his cousin Esther, I made haste to forward it to Aimé. And at the same moment I remembered that Albertine had that morning refused me a pleasure which might indeed have tired her. Was that in order to reserve it for some one else? This afternoon, perhaps? For whom?
C′est ainsi qu′est interminable la jalousie, car même si l′être aimé, étant mort par exemple, ne peut plus la provoquer par ses actes, il arrive que des souvenirs postérieurement à tout événement se comportent tout à coup dans notre mémoire comme des événements eux aussi, souvenirs que nous n′avions pas éclairés jusque-là, qui nous avaient paru insignifiants, et auxquels il suffit de notre propre réflexion sur eux, sans aucun fait extérieur, pour donner un sens nouveau et terrible. On n′a pas besoin d′être deux, il suffit d′être seul dans sa chambre, à penser, pour que de nouvelles trahisons de votre maîtresse se produisent, fût-elle morte. Aussi il ne faut pas ne redouter dans l′amour, comme dans la vie habituelle, que l′avenir, mais même le passé, qui ne se réalise pour nous souvent qu′après l′avenir, et nous ne parlons pas seulement du passé que nous apprenons après coup, mais de celui que nous avons conservé depuis longtemps en nous et que tout à coup nous apprenons à lire. Thus it is that jealousy is endless, for even if the beloved object, by dying for instance, can no longer provoke it by her actions, it so happens that posthumous memories, of later origin than any event, take shape suddenly in our minds as though they were events also, memories which hitherto we have never properly explored, which had seemed to us unimportant, and to which our own meditation upon them has been sufficient, without any external action, to give a new and terrible meaning. We have no need of her company, it is enough to be alone in our room, thinking, for fresh betrayals of us by our mistress to come to light, even though she be dead. And so we ought not to fear in love, as in everyday life, the future alone, but even the past which often we do not succeed in realising until the future has come and gone; and we are not speaking only of the past which we discover long afterwards, but of the past which we have long kept stored up in ourselves and learn suddenly how to interpret.
N′importe, j′étais bien heureux, l′après-midi finissant, que ne tardât pas l′heure où j′allais pouvoir demander à la présence d′Albertine l′apaisement dont j′avais besoin. Malheureusement, la soirée qui vint fut une de celles où cet apaisement ne m′était pas apporté, où le baiser qu′Albertine me donnerait en me quittant, bien différent du baiser habituel, ne me calmerait pas plus qu′autrefois celui de ma mère, les jours où elle était fâchée et où je n′osais pas la rappeler, mais où je sentais que je ne pourrais pas m′endormir. Ces soirées-là, c′étaient maintenant celles où Albertine avait formé pour le lendemain quelque projet qu′elle ne voulait pas que je connusse. Si elle me l′avait confié, j′aurais mis à assurer sa réalisation une ardeur que personne autant qu′Albertine n′eût pu m′inspirer. Mais elle ne me disait rien et n′avait, d′ailleurs, besoin de me rien dire ; dès qu′elle était rentrée, sur la porte même de ma chambre, comme elle avait encore son chapeau ou sa toque sur la tête, j′avais déjà vu le désir inconnu, rétif, acharné, indomptable. Or c′étaient souvent les soirs où j′avais attendu son retour avec les plus tendres pensées, où je comptais lui sauter au cou avec le plus de tendresse. No matter, I was very glad, now that afternoon was turning to evening, that the hour was not far off when I should be able to appeal to Albertine′s company for the consolation of which I stood in need. Unfortunately, the evening that followed was one of those on which this consolation was not afforded me, on which the kiss that Albertine would give me when she left me for the night, very different from her ordinary kiss, would no more soothe me than my mother′s kiss had soothed me long ago, on days when she was vexed with me and I dared not send for her, but at the same time knew that I should not be able to sleep. Such evenings were now those on which Albertine had formed for the morrow some plan of which she did not wish me to know. Had she confided in me, I would have employed, to assure its successful execution, an ardour which none but Albertine could have inspired in me. But she told me nothing, nor had she any need to tell me anything; as soon as she came in, before she had even crossed the threshold of my room, as she was still wearing her hat or toque, I had already detected the unknown, restive, desperate, indomitable desire. Now, these were often the evenings when I had awaited her return with the most loving thoughts, and looked forward to throwing my arms round her neck with the warmest affection.
Hélas, ces mésententes comme j′en avais eu souvent avec mes parents, que je trouvais froids ou irrités au moment où j′accourais près d′eux, débordant de tendresse, ne sont rien auprès de celles qui se produisent entre deux amants ! La souffrance ici est bien moins superficielle, est bien plus difficile à supporter, elle a pour siège une couche plus profonde du cœur. Ce soir-là, le projet qu′Albertine avait formé, elle fut pourtant obligée de m′en dire un mot ; je compris tout de suite qu′elle voulait aller le lendemain faire une visite à Mme Verdurin, une visite qui, en elle-même, ne m′eût en rien contrarié. Mais certainement, c′était pour y faire quelque rencontre, pour y préparer quelque plaisir. Sans cela elle n′eût pas tellement tenu à cette visite. Je veux dire, elle ne m′eût pas répété qu′elle n′y tenait pas. J′avais suivi dans mon existence une marche inverse de celle des peuples, qui ne se servent de l′écriture phonétique qu′après avoir considéré les caractères comme une suite de symboles ; moi qui, pendant tant d′années, n′avais cherché la vie et la pensée réelles des gens que dans l′énoncé direct qu′ils m′en fournissaient volontairement, par leur faute j′en étais arrivé à ne plus attacher, au contraire, d′importance qu′aux témoignages qui ne sont pas une expression rationnelle et analytique de la vérité ; les paroles elles-mêmes ne me renseignaient qu′à la condition d′être interprétées à la façon d′un afflux de sang à la figure d′une personne qui se trouble, à la façon encore d′un silence subit. Alas, those misunderstandings that I had often had with my parents, whom I found cold or cross at the moment when I was running to embrace them, overflowing with love, are nothing in comparison with these that occur between lovers! The anguish then is far less superficial, far harder to endure, it has its abode in a deeper stratum of the heart. This evening, however, Albertine was obliged to mention the plan that she had in her mind; I gathered at once that she wished to go next day to pay a call on Mme. Verdurin, a call to which in itself I would have had no objection. But evidently her object was to meet some one there, to prepare some future pleasure. Otherwise she would not have attached so much importance to this call. That is to say, she would not have kept on assuring me that it was of no importance. I had in the course of my life developed in the opposite direction to those races which make use of phonetic writing only after regarding the letters of the alphabet as a set of symbols; I, who for so many years had sought for the real life and thought of other people only in the direct statements with which they furnished me of their own free will, failing these had come to attach importance, on the contrary, only to the evidence that is not a rational and analytical expression of the truth; the words themselves did not enlighten me unless they could be interpreted in the same way as a sudden rush of blood to the cheeks of a person who is embarrassed, or, what is even more telling, a sudden silence.
Tel adverbe (par exemple employé par M. de Cambremer, quand il croyait que j′étais « écrivain » et que, n′ayant pas encore parlé, racontant une visite qu′il avait faite aux Verdurin, il s′était tourné vers moi en disant : « Il y avait justement de Borelli ») jailli dans une conflagration par le rapprochement involontaire, parfois périlleux, de deux idées que l′interlocuteur n′exprimait pas et duquel, par telles méthodes d′analyse ou d′électrolyse appropriées, je pouvais les extraire, m′en disait plus qu′un discours. Some subsidiary word (such as that used by M. de Cambremer when he understood that I was ‘literary,′ and, not having spoken to me before, as he was describing a visit that he had paid to the Verdurins, turned to me with: “Why, Boreli was there!”) bursting into flames at the unintended, sometimes perilous contact of two ideas which the speaker has not expressed, but which, by applying the appropriate methods of analysis or electrolysis I was able to extract from it, told me more than a long speech.
Albertine laissait parfois traîner dans ses propos tel ou tel de ces précieux amalgames, que je me hâtais de « traiter » pour les transformer en idées claires. C′est, du reste, une des choses les plus terribles pour l′amoureux que, si les faits particuliers — que seuls l′expérience, l′espionnage, entre tant de réalisations possibles, feraient connaître — sont si difficiles à trouver, la vérité, en revanche, sort si facile à percer ou seulement à pressentir. Albertine sometimes allowed to appear in her conversation one or other of these precious amalgams which I made haste to ‘treat′ so as to transform them into lucid ideas. It is by the way one of the most terrible calamities for the lover that if particular details — which only experiment, espionage, of all the possible realisations, would ever make him know — are so difficult to discover, the truth on the other hand is easy to penetrate or merely to feel by instinct.
Souvent je l′avais vue, à Balbec, attacher sur des jeunes filles qui passaient un regard brusque et prolongé, pareil à un attouchement et après lequel, si je les connaissais, elle me disait : « Si on les faisait venir ? J′aimerais leur dire des injures. » Et depuis quelque temps, depuis qu′elle m′avait pénétré sans doute, aucune demande d′inviter personne, aucune parole, même pas un détournement de regards, devenus sans objet et silencieux, et aussi révélateurs, avec la mine distraite et vacante dont ils étaient accompagnés, qu′autrefois leur aimantation. Or il m′était impossible de lui faire des reproches ou de lui poser des questions à propos de choses qu′elle eût déclarées si minimes, si insignifiantes, retenues par moi pour le plaisir de « chercher la petite bête ». Il est déjà difficile de dire « pourquoi avez-vous regardé telle passante », mais bien plus « pourquoi ne l′avez-vous pas regardée ». Et pourtant je savais bien, ou du moins j′aurais su, si je n′avais pas voulu croire ces affirmations d′Albertine plutôt que tous les riens inclus dans un regard, prouvés par lui et par telle ou telle contradiction dans les paroles, contradiction dont je ne m′apercevais souvent que longtemps après l′avoir quittée, qui me faisait souffrir toute la nuit, dont je n′osais plus reparler, mais qui n′en honorait pas moins de temps en temps ma mémoire de ses visites périodiques. Often I had seen her, at Balbec, fasten upon some girls who came past us a sharp and lingering stare, like a physical contact, after which, if I knew the girls, she would say to me: “Suppose we asked them to join us? I should so love to be rude to them.” And now, for some time past, doubtless since she had succeeded in reading my character, no request to me to invite anyone, not a word, never even a sidelong glance from her eyes, which had become objectless and mute, and as revealing, with the vague and vacant expression of the rest of her face, as had been their magnetic swerve before. Now it was impossible for me to reproach her, or to ply her with questions about things which she would have declared to be so petty, so trivial, things that I had stored up in my mind simply for the pleasure of making mountains out of molehills. It is hard enough to say: “Why did you stare at that girl who went past?” but a great deal harder to say: “Why did you not stare at her?” And yet I knew quite well, or at least I should have known, if I had not chosen to believe Albertine′s assertions rather than all the trivialities contained in a glance, proved by it and by some contradiction or other in her speech, a contradiction which often I did not perceive until long after I had left her, which kept me on tenterhooks all the night long, which I never dared mention to her again, but which nevertheless continued to honour my memory from time to time with its periodical visits.
Souvent, pour ces simples regards furtifs ou détournés, sur la plage de Balbec ou dans les rues de Paris, je pouvais parfois me demander si la personne qui les provoquait n′était pas seulement un objet de désirs au moment où elle passait, mais une ancienne connaissance, ou bien une jeune fille dont on n′avait fait que lui parler et dont, quand je l′apprenais, j′étais stupéfait qu′on lui eût parlé, tant c′était en dehors des connaissances possibles, au jugé, d′Albertine. Mais la Gomorrhe moderne est un puzzle fait de morceaux qui viennent de là où on s′y attendait le moins. C′est ainsi que je vis une fois, à Rivebelle, un grand dîner dont je connaissais par hasard, au moins de nom, les dix invitées, aussi dissemblables que possible, parfaitement rejointes cependant, si bien que je ne vis jamais dîner si homogène bien que si composite. Often, in the case of these furtive or sidelong glances on the beach at Balbec or in the streets of Paris, I might ask myself whether the person who provoked them was not merely at the moment when she passed an object of desire but was an old acquaintance, or else some girl who had simply been mentioned to her, and of whom, when I heard about it, I was astonished that anybody could have spoken to her, so utterly unlike was she to anyone that Albertine could possibly wish to know. But the Gomorrah of to-day is a dissected puzzle made up of fragments which are picked up in the places where we least expected to find them. Thus I once saw at Rivebelle a big dinner-party of ten women, all of whom I happened to know — at least by name — women as unlike one another as possible, perfectly united nevertheless, so much so that I never saw a party so homogeneous, albeit so composite.
Pour en revenir aux jeunes passantes, jamais Albertine ne regardait une dame âgée ou un vieillard avec tant de fixité, ou, au contraire, de réserve, et comme si elle ne voyait pas. Les maris trompés qui ne savent rien savent tout tout de même. Mais il faut un dossier plus matériellement documenté pour établir une scène de jalousie. D′ailleurs, si la jalousie nous aide à découvrir un certain penchant à mentir chez la femme que nous aimons, elle centuple ce penchant quand la femme a découvert que nous sommes jaloux. Elle ment (dans des proportions où elle ne nous a jamais menti auparavant), soit qu′elle ait pitié, ou peur, ou se dérobe instinctivement par une fuite symétrique à nos investigations. Certes il y a des amours où, dès le début, une femme légère s′est posée comme une vertu aux yeux de l′homme qui l′aime. Mais combien d′autres comprennent deux périodes parfaitement contrastées. Dans la première, la femme parle presque facilement, avec de simples atténuations, de son goût pour le plaisir, de la vie galante qu′il lui a fait mener, toutes choses qu′elle niera ensuite avec la dernière énergie au même homme, mais qu′elle a senti jaloux d′elle et l′épiant. Il en arrive à regretter le temps de ces premières confidences dont le souvenir le torture cependant. Si la femme lui en faisait encore de pareilles, elle lui fournirait presque elle-même le secret des fautes qu′il poursuit inutilement chaque jour. Et puis, quel abandon cela prouverait, quelle confiance, quelle amitié ! Si elle ne peut vivre sans le tromper, du moins le tromperait-elle en amie, en lui racontant ses plaisirs, en l′y associant. Et il regrette une telle vie que les débuts de leur amour semblaient esquisser, que sa suite a rendue impossible, faisant de cet amour quelque chose d′atrocement douloureux, qui rendra une séparation, selon les cas, ou inévitable, ou impossible. To return to the girls whom we passed in the street, never did Albertine gaze at an old person, man or woman, with such fixity, or on the other hand with such reserve, and as though she saw nothing. The cuckolded husbands who know nothing know everything all the same. But it requires more accurate and abundant evidence to create a scene of jealousy. Besides, if jealousy helps us to discover a certain tendency to falsehood in the woman whom we love, it multiplies this tendency an hundredfold when the woman has discovered that we are jealous. She lies (to an extent to which she has never lied to us before), whether from pity, or from fear, or because she instinctively withdraws by a methodical flight from our investigations. Certainly there are love affairs in which from the start a light woman has posed as virtue incarnate in the eyes of the man who is in love with her. But how many others consist of two diametrically opposite periods? In the first, the woman speaks almost spontaneously, with slight modifications, of her zest for sensual pleasure, of the gay life which it has made her lead, things all of which she will deny later on, with the last breath in her body, to the same man — when she has felt that he is jealous of and spying upon her. He begins to think with regret of the days of those first confidences, the memory of which torments him nevertheless. If the woman continued to make them, she would furnish him almost unaided with the secret of her conduct which he has been vainly pursuing day after day. And besides, what a surrender that would mean, what trust, what friendship. If she cannot live without betraying him, at least she would be betraying him as a friend, telling him of her pleasures, associating him with them. And he thinks with regret of the sort of life which the early stages of their love seemed to promise, which the sequel has rendered impossible, making of that love a thing exquisitely painful, which will render a final parting, according to circumstances, either inevitable or impossible.
Parfois l′écriture où je déchiffrais les mensonges d′Albertine, sans être idéographique, avait simplement besoin d′être lue à rebours ; c′est ainsi que ce soir elle m′avait lancé d′un air négligent ce message destiné à passer presque inaperçu : « Il serait possible que j′aille demain chez les Verdurin, je ne sais pas du tout si j′irai, je n′en ai guère envie. » Anagramme enfantin de cet aveu : « J′irai demain chez les Verdurin, c′est absolument certain, car j′y attache une extrême importance. » Cette hésitation apparente signifiait une volonté arrêtée et avait pour but de diminuer l′importance de la visite tout en me l′annonçant. Albertine employait toujours le ton dubitatif pour les résolutions irrévocables. La mienne ne l′était pas moins. Je m′arrangeai pour que la visite à Mme Verdurin n′eût pas lieu. La jalousie n′est souvent qu′un inquiet besoin de tyrannie appliqué aux choses de l′amour. J′avais sans doute hérité de mon père ce brusque désir arbitraire de menacer les êtres que j′aimais le plus dans les espérances dont ils se berçaient avec une sécurité que je voulais leur montrer trompeuse ; quand je voyais qu′Albertine avait combiné à mon insu, en se cachant de moi, le plan d′une sortie que j′eusse fait tout au monde pour lui rendre plus facile et plus agréable si elle m′en avait fait le confident, je disais négligemment, pour la faire trembler, que je comptais sortir ce jour-là. Sometimes the script from which I deciphered Albertine′s falsehoods, without being ideographic needed simply to be read backwards; so this evening she had flung at me in a careless tone the message, intended to pass almost unheeded: “It is possible that I may go to-morrow to the Verdurins′, I don′t in the least know whether I shall go, I don′t really want to.” A childish anagram of the admission: “I shall go to-morrow to the Verdurins′, it is absolutely certain, for I attach the utmost importance to the visit.” This apparent hesitation indicated a resolute decision and was intended to diminish the importance of the visit while warning me of it. Albertine always adopted a tone of uncertainty in speaking of her irrevocable decisions. Mine was no less irrevocable. I took steps to arrange that this visit to Mme. Verdurin should not take place. Jealousy is often only an uneasy need to be tyrannical, applied to matters of love. I had doubtless inherited from my father this abrupt, arbitrary desire to threaten the people whom I loved best in the hopes with which they were lulling themselves with a security that I determined to expose to them as false; when I saw that Albertine had planned without my knowledge, behind my back, an expedition which I would have done everything in the world to make easier and more pleasant for her, had she taken me into her confidence, I said carelessly, so as to make her tremble, that I intended to go out the next day myself.
Je me mis à suggérer à Albertine d′autres buts de promenade qui eussent rendu la visite Verdurin impossible, en des paroles empreintes d′une feinte indifférence sous laquelle je tâchai de déguiser mon énervement. Mais elle l′avait dépisté. Il rencontrait chez elle la force électrique d′une volonté contraire qui la repoussait vivement ; dans les yeux d′Albertine j′en voyais jaillir les étincelles. Au reste, à quoi bon m′attacher à ce que disaient les prunelles en ce moment ? Comment n′avais-je pas depuis longtemps remarqué que les yeux d′Albertine appartenaient à la famille de ceux qui, même chez un être médiocre, semblent faits de plusieurs morceaux à cause de tous les lieux où l′être veut se trouver — et cacher qu′il veut se trouver — ce jour-là ? Des yeux, par mensonge toujours immobiles et passifs, mais dynamiques, mesurables par les mètres ou kilomètres à franchir pour se trouver au rendez-vous voulu, implacablement voulu, des yeux qui sourient moins encore au plaisir qui les tente qu′ils ne s′auréolent de la tristesse et du découragement qu′il y aura peut-être une difficulté pour aller au rendez-vous. Entre vos mains mêmes, ces êtres-là sont des êtres de fuite. Pour comprendre les émotions qu′ils donnent et que d′autres êtres, mêmes plus beaux, ne donnent pas, il faut calculer qu′ils sont non pas immobiles, mais en mouvement, et ajouter à leur personne un signe correspondant à ce qu′en physique est le signe qui signifie vitesse. Si vous dérangez leur journée, ils vous avouent le plaisir qu′ils vous avaient caché : « Je voulais tant aller goûter à cinq heures avec telle personne que j′aime. » Eh bien, si, six mois après, vous arrivez à connaître la personne en question, vous apprendrez que jamais la jeune fille dont vous aviez dérangé les projets, qui, prise au piège, pour que vous la laissiez libre, vous avait avoué le goûter qu′elle faisait ainsi avec une personne aimée, tous les jours à l′heure où vous ne la voyiez pas, vous apprendrez que cette personne ne l′a jamais reçue, qu′elles n′ont jamais goûté ensemble, et que la jeune fille disait être très prise, par vous, précisément. Ainsi la personne avec qui elle avait confessé qu′elle avait goûter, avec qui elle vous avait supplié de la laisser goûter, cette personne, raison avouée par la nécessité, ce n′était pas elle, c′était une autre, c′était encore autre chose ! Autre chose, quoi ? Une autre, qui ? I set to work to suggest to Albertine other expeditions in directions which would have made this visit to the Verdurins impossible, in words stamped with a feigned indifference beneath which I strove to conceal my excitement. But she had detected it. It encountered in her the electric shock of a contrary will which violently repulsed it; I could see the sparks flash from her eyes. Of what use, though, was it to pay attention to what her eyes were saying at that moment? How had I failed to observe long ago that Albertine′s eyes belonged to the class which even in a quite ordinary person seem to be composed of a number of fragments, because of all the places which the person wishes to visit — and to conceal her desire to visit — that day. Those eyes which their falsehood keeps ever immobile and passive, but dynamic, measurable in the yards or miles to be traversed before they reach the determined, the implacably determined meeting-place, eyes that are not so much smiling at the pleasure which tempts them as they are shadowed with melancholy and discouragement because there may be a difficulty in their getting to the meeting-place. Even when you hold them in your hands, these people are fugitives. To understand the emotions which they arouse, and which other people, even better looking, do not arouse, we must take into account that they are not immobile but in motion, and add to their person a sign corresponding to what in physics is the sign that indicates velocity. If you upset their plans for the day, they confess to you the pleasure that they had hidden from you: “I did so want to go to tea at five o′clock with So-and-So, my dearest friend.” Very well, if, six months later, you come to know the person in question, you will learn that the girl whose plans you upset, who, caught in the trap, in order that you might set her free, confessed to you that she was in the habit of taking tea like this with a dear friend, every day at the hour at which you did not see her — has never once been inside this person′s house, that they have never taken tea together, and that the girl used to explain that her whole time was taken up by none other than yourself. And so the person with whom she confessed that she had gone to tea, with whom she begged you to allow her to go to tea, that person, the excuse that necessity made her plead, was not the real person, there was somebody, something else! Something else, what? Some one, who?
Hélas, les yeux fragmentés, portant au loin et tristes, permettraient peut-être de mesurer les distances, mais n′indiquent pas les directions. Le champ infini des possibles s′étend, et si, par hasard, le réel se présentait devant nous, il serait tellement en dehors des possibles que, dans un brusque étourdissement, allant taper contre ce mur surgi, nous tomberions à la renverse. Le mouvement et la fuite constatés ne sont même pas indispensables, il suffit que nous les induisions. Elle nous avait promis une lettre, nous étions calme, nous n′aimions plus. La lettre n′est pas venue, aucun courrier n′en apporte, que se passe-t-il ? l′anxiété renaît et l′amour. Ce sont surtout de tels êtres qui nous inspirent l′amour, pour notre désolation. Car chaque anxiété nouvelle que nous éprouvons par eux enlève à nos yeux de leur personnalité. Nous étions résignés à la souffrance, croyant aimer en dehors de nous, et nous nous apercevons que notre amour est fonction de notre tristesse, que notre amour c′est peut-être notre tristesse, et que l′objet n′en est que pour une faible part la jeune fille à la noire chevelure. Mais enfin, ce sont surtout de tels êtres qui inspirent l′amour. Alas, the kaleidoscopic eyes starting off into the distance and shadowed with melancholy might enable us perhaps to measure distance, but do not indicate direction. The boundless field of possibilities extends before us, and if by any chance the reality presented itself to our gaze, it would be so far beyond the bounds of possibility that, dashing suddenly against the boundary wall, we should fall over backwards. It is not even essential that we should have proof of her movement and flight, it is enough that we should guess them. She had promised us a letter, we were calm, we were no longer in love. The letter has not come; no messenger appears with it; what can have happened? anxiety is born afresh, and love. It is such people more than any others who inspire love in us, for our destruction. For every fresh anxiety that we feel on their account strips them in our eyes of some of their personality. We were resigned to suffering, thinking that we loved outside ourselves, and we perceive that our love is a function of our sorrow, that our love perhaps is our sorrow, and that its object is, to a very small extent only, the girl with the raven tresses. But, when all is said, it is these people more than any others who inspire love.
Le plus souvent l′amour n′a pas pour objet un corps, excepté si une émotion, la peur de le perdre, l′incertitude de le retrouver se fondent en lui. Or ce genre d′anxiété a une grande affinité pour les corps. Il leur ajoute une qualité qui passe la beauté même ; ce qui est une des raisons pourquoi l′on voit des hommes, indifférents aux femmes les plus belles, en aimer passionnément certaines qui nous semblent laides. À ces êtres-là, à ces êtres de fuite, leur nature, notre inquiétude attachent des ailes. Et même auprès de nous leur regard semble nous dire qu′ils vont s′envoler. La preuve de cette beauté surpassant la beauté qu′ajoutent les ailes est que bien souvent pour nous un même être est successivement sans ailes et ailé. Que nous craignions de le perdre, nous oublions tous les autres. Sûrs de le garder, nous le comparons à ces autres, qu′aussitôt nous lui préférons. Et comme ces émotions et ces certitudes peuvent alterner d′une semaine à l′autre, un être peut une semaine se voir sacrifier tout ce qui plaisait, la semaine suivante être sacrifié, et ainsi de suite pendant très longtemps. Ce qui serait incompréhensible si nous ne savions par l′expérience que tout homme a d′avoir dans sa vie au moins une fois cessé d′aimer, oublié une femme, le peu de chose qu′est en soi-même un être quand il n′est plus, ou qu′il n′est pas encore, perméable à nos émotions. Et, bien entendu, si nous disons : êtres de fuite, c′est également vrai des êtres en prison, des femmes captives, qu′on croit qu′on ne pourra jamais avoir. Aussi les hommes détestent les entremetteuses, car elles facilitent la fuite, font briller la tentation, mais s′ils aiment au contraire une femme cloîtrée, ils recherchent volontiers les entremetteuses pour les faire sortir de leur prison et nous les amener. Dans la mesure où les unions avec les femmes qu′on enlève sont moins durables que d′autres, la cause en est que la peur de ne pas arriver à les obtenir ou l′inquiétude de les voir fuir est tout notre amour, et qu′une fois enlevées à leur mari, arrachées à leur théâtre, guéries de la tentation de nous quitter, dissociées, en un mot, de notre émotion quelle qu′elle soit, elles sont seulement elles-mêmes, c′est-à-dire presque rien, et, si longtemps convoitées, sont quittées bientôt par celui-là même qui avait si peur d′être quitté par elles. Generally speaking, love has not as its object a human body, except when an emotion, the fear of losing it, the uncertainty of finding it again have been infused into it. This sort of anxiety has a great affinity for bodies. It adds to them a quality which surpasses beauty even; which is one of the reasons why we see men who are indifferent to the most beautiful women fall passionately in love with others who appear to us ugly. To these people, these fugitives, their own nature, our anxiety fastens wings. And even when they are in our company the look in their eyes seems to warn us that they are about to take flight. The proof of this beauty, surpassing the beauty added by the wings, is that very often the same person is, in our eyes, alternately wingless and winged. Afraid of losing her, we forget all the others. Sure of keeping her, we compare her with those others whom at once we prefer to her. And as these emotions and these certainties may vary from week to week, a person may one week see sacrificed to her everything that gave us pleasure, in the following week be sacrificed herself, and so for weeks and months on end. All of which would be incomprehensible did we not know from the experience, which every man shares, of having at least once in a lifetime ceased to love, forgotten a woman, for how very little a person counts in herself when she is no longer — or is not yet — permeable by our emotions. And, be it understood, what we say of fugitives is equally true of those in prison, the captive women, we suppose that we are never to possess them. And so men detest procuresses, for these facilitate the flight, enhance the temptation, but if on the other hand they are in love with a cloistered woman, they willingly have recourse to a procuress to make her emerge from her prison and bring her to them. In so far as relations with women whom we abduct are less permanent than others, the reason is that the fear of not succeeding in procuring them or the dread of seeing them escape is the whole of our love for them and that once they have been carried off from their husbands, torn from their footlights, cured of the temptation to leave us, dissociated in short from our emotion whatever it may be, they are only themselves, that is to say almost nothing, and, so long desired, are soon forsaken by the very man who was so afraid of their forsaking him.
J′ai dit : « Comment n′avais-je pas deviné ? » Mais ne l′avais-je pas deviné dès le premier jour à Balbec ? N′avais-je pas deviné en Albertine une de ces filles sous l′enveloppe charnelle desquelles palpitent plus d′êtres cachés, je ne dis pas que dans un jeu de cartes encore dans sa boîte, que dans une cathédrale ou un théâtre avant qu′on n′y entre, mais que dans la foule immense et renouvelée ? Non pas seulement tant d′êtres, mais le désir, le souvenir voluptueux, l′inquiète recherche de tant d′êtres. À Balbec je n′avais pas été troublé par ce que je n′avais même pas supposé qu′un jour je serais sur des pistes même fausses. N′importe ! cela avait donné pour moi à Albertine la plénitude d′un être empli jusqu′au bord par la superposition de tant d′êtres, de tant de désirs, et de souvenirs voluptueux d′êtres. Et maintenant qu′elle m′avait dit un jour « Mlle Vinteuil », j′aurais voulu non pas arracher sa robe pour voir son corps, mais, à travers son corps, voir tout ce bloc-notes de ses souvenirs et de ses prochains et ardents rendez-vous. How, I have asked, did I not guess this? But had I not guessed it from the first day at Balbec? Had I not detected in Albertine one of those girls beneath whose envelope of flesh more hidden persons are stirring, than in . . . I do not say a pack of cards still in its box, a cathedral or a theatre before we enter it, but the whole, vast, ever changing crowd? Not only all these persons, but the desire, the voluptuous memory, the desperate quest of all these persons. At Balbec I had not been troubled because I had never even supposed that one day I should be following a trail, even a false trail. No matter! This had given Albertine, in my eyes, the plenitude of a person filled to the brim by the superimposition of all these persons, and desires and voluptuous memories of persons. And now that she had one day let fall the words ‘Mlle. Vinteuil,′ I would have wished not to tear off her garments so as to see her body but through her body to see and read that memorandum block of her memories and her future, passionate engagements.
Comme les choses probablement les plus insignifiantes prennent soudain une valeur extraordinaire quand un être que nous aimons (ou à qui il ne manquait que cette duplicité pour que nous l′aimions) nous les cache ! En elle-même, la souffrance ne nous donne pas forcément des sentiments d′amour ou de haine pour la personne qui la cause : un chirurgien qui nous fait mal nous reste indifférent. Mais une femme qui nous a dit pendant quelque temps que nous étions tout pour elle, sans qu′elle fût elle-même tout pour nous, une femme que nous avons plaisir à voir, à embrasser, à tenir sur nos genoux, nous nous étonnons si seulement nous éprouvons, à une brusque résistance, que nous ne disposons pas d′elle. La déception réveille alors parfois en nous le souvenir oublié d′une angoisse ancienne, que nous savons pourtant ne pas avoir été provoquée par cette femme, mais par d′autres dont les trahisons s′échelonnent sur notre passé ; au reste, comment a-t-on le courage de souhaiter vivre, comment peut-on faire un mouvement pour se préserver de la mort, dans un monde où l′amour n′est provoqué que par le mensonge et consiste seulement dans notre besoin de voir nos souffrances apaisées par l′être qui nous a fait souffrir ? Pour sortir de l′accablement qu′on éprouve quand on découvre ce mensonge et cette résistance, il y a le triste remède de chercher à agir malgré elle, à l′aide des êtres qu′on sent plus mêlés à sa vie que nous-même, sur celle qui nous résiste et qui nous ment, à ruser nous-même, à nous faire détester. Mais la souffrance d′un tel amour est de celles qui font invinciblement que le malade cherche dans un changement de position un bien-être illusoire. How suddenly do the things that are probably the most insignificant assume an extraordinary value when a person whom we love (or who has lacked only this duplicity to make us love her) conceals them from us! In itself, suffering does not of necessity inspire in us sentiments of love or hatred towards the person who causes it: a surgeon can hurt our body without arousing any personal emotion. But a woman who has continued for some time to assure us that we are everything in the world to her, without being herself everything in the world to us, a woman whom we enjoy seeing, kissing, taking upon our knee, we are astonished if we merely feel from a sudden resistance that we are not free to dispose of her life. Disappointment may then revive in us the forgotten memory of an old anguish, which we know, all the same, to have been provoked not by this woman but by others whose betrayals are milestones in our past life; if it comes to that, how have we the courage to wish to live, how can we move a finger to preserve ourselves from death, in a world in which love is provoked only by falsehood, and consists merely in our need to see our sufferings appeased by the person who has made us suffer? To restore us from the collapse which follows our discovery of her falsehood and her resistance, there is the drastic remedy of endeavouring to act against her will, with the help of people whom we feel to be more closely involved than we are in her life, upon her who is resisting us and lying to us, to play the cheat in turn, to make ourselves loathed. But the suffering caused by such a love is of the sort which must inevitably lead the sufferer to seek in a change of posture an illusory comfort.
Ces moyens d′action ne nous manquent pas, hélas ! Et l′horreur de ces amours que l′inquiétude seule a enfantées vient de ce que nous tournons et retournons sans cesse dans notre cage des propos insignifiants ; sans compter que rarement les êtres pour qui nous les éprouvons nous plaisent physiquement d′une manière complète, puisque ce n′est pas notre goût délibéré, mais le hasard d′une minute d′angoisse, minute indéfiniment prolongée par notre faiblesse de caractère, laquelle refait chaque soir les expériences et s′abaisse à des calmants, qui choisit pour nous. These means of action are not wanting, alas! And the horror of the kind of love which uneasiness alone has engendered lies in the fact that we turn over and over incessantly in our cage the most trivial utterances; not to mention that rarely do the people for whom we feel this love appeal to us physically in a complex fashion, since it is not our deliberate preference, but the chance of a minute of anguish, a minute indefinitely prolonged by our weakness of character, which repeats its experiments every evening until it yields to sedatives, that chooses for us.
Sans doute mon amour pour Albertine n′était pas le plus dénué de ceux jusqu′où, par manque de volonté, on peut déchoir, car il n′était pas entièrement platonique ; elle me donnait des satisfactions charnelles, et puis elle était intelligente. Mais tout cela était une superfétation. Ce qui m′occupait l′esprit n′était pas ce qu′elle avait pu dire d′intelligent, mais tel mot qui éveillait chez moi un doute sur ses actes ; j′essayais de me rappeler si elle avait dit ceci ou cela, de quel air, à quel moment, en réponse à quelle parole, de reconstituer toute la scène de son dialogue avec moi, à quel moment elle avait voulu aller chez les Verdurin, quel mot de moi avait donné à son visage l′air fâché. Il se fût agi de l′événement le plus important que je ne me fusse pas donné tant de peine pour en rétablir la vérité, en restituer l′atmosphère et la couleur juste. Sans doute ces inquiétudes, après avoir atteint un degré où elles nous sont insupportables, on arrive parfois à les calmer entièrement pour un soir. La fête où l′amie qu′on aime doit se rendre, et sur la vraie nature de laquelle notre esprit travaillait depuis des jours, nous y sommes conviés aussi, notre amie n′y a de regards et de paroles que pour nous, nous la ramenons, et nous connaissons alors, nos inquiétudes dissipées, un repos aussi complet, aussi réparateur que celui qu′on goûte parfois dans ce sommeil profond qui suit les longues marches. Et, sans doute, un tel repos vaut que nous le payions à un prix élevé. Mais n′aurait-il pas été plus simple de ne pas acheter nous-même, volontairement, l′anxiété, et plus cher encore ? D′ailleurs, nous savons bien que, si profondes que puissent être ces détentes momentanées, l′inquiétude sera tout de même la plus forte. Parfois, même, elle est renouvelée par la phrase dont le but était de nous apporter le repos. Mais, le plus souvent, nous ne faisons que changer d′inquiétude. Un des mots de la phrase qui devait nous calmer met nos soupçons sur une autre piste. Les exigences de notre jalousie et l′aveuglement de notre crédulité sont plus grands que ne pouvait supposer la femme que nous aimons. No doubt my love for Albertine was not the most barren of those to which, through feebleness of will, a man may descend, for it was not entirely platonic; she did give me carnal satisfaction and, besides, she was intelligent. But all this was a superfluity. What occupied my mind was not the intelligent remark that she might have made, but some chance utterance that had aroused in me a doubt as to her actions; I tried to remember whether she had said this or that, in what tone, at what moment, in response to what speech of mine, to reconstruct the whole scene of her dialogue with me, to recall at what moment she had expressed a desire to call upon the Verdurins, what words of mine had brought that look of vexation to her face. The most important matter might have been in question, without my giving myself so much trouble to establish the truth, to restore the proper atmosphere and colour. No doubt, after these anxieties have intensified to a degree which we find insupportable, we do sometimes manage to soothe them altogether for an evening. The party to which the mistress whom we love is engaged to go, the true nature of which our mind has been toiling for days to discover, we are invited to it also, our mistress has neither looks nor words for anyone but ourselves, we take her home and then we enjoy, all our anxieties dispelled, a repose as complete, as healing, as that which we enjoy at times in the profound sleep that comes after a long walk. And no doubt such repose deserves that we should pay a high price for it. But would it not have been more simple not to purchase for ourselves, deliberately, the preceding anxiety, and at a higher price still? Besides, we know all too well that however profound these momentary relaxations may be, anxiety will still be the stronger. Sometimes indeed it is revived by the words that were intended to bring us repose. But as a rule, all that we do is to change our anxiety. One of the words of the sentence that was meant to calm us sets our suspicions running upon another trail. The demands of our jealousy and the blindness of our credulity are greater than the woman whom we love could ever suppose.
Quand, spontanément, elle nous jure que tel homme n′est pour elle qu′un ami, elle nous bouleverse en nous apprenant — ce que nous ne soupçonnions pas — qu′il était pour elle un ami. Tandis qu′elle nous raconte, pour nous montrer sa sincérité, comment ils ont pris le thé ensemble, cet après-midi même, à chaque mot qu′elle dit, l′invisible, l′insoupçonné prend forme devant nous. Elle avoue qu′il lui a demandé d′être sa maîtresse, et nous souffrons le martyre qu′elle ait pu écouter ses propositions. Elle les a refusées, dit-elle. Mais tout à l′heure, en nous rappelant son récit, nous nous demanderons si le récit est bien véridique, car il y a, entre les différentes choses qu′elle nous a dites, cette absence de lien logique et nécessaire qui, plus que les faits qu′on raconte, est le signe de la vérité. Et puis elle a eu cette terrible intonation dédaigneuse : « Je lui ai dit non, catégoriquement », qui se retrouve dans toutes les classes de la société quand une femme ment. Il faut pourtant la remercier d′avoir refusé, l′encourager par notre bonté à nous faire de nouveau à l′avenir des confidences si cruelles. Tout au plus faisons-nous la remarque : « Mais s′il vous avait déjà fait des propositions, pourquoi avez-vous consenti à prendre le thé avec lui ? — Pour qu′il ne pût pas m′en vouloir et dire que je n′ai pas été gentille. » Et nous n′osons pas lui répondre qu′en refusant elle eût peut-être été plus gentille pour nous. When, of her own accord, she swears to us that some man is nothing more to her than a friend, she appalls us by informing us — a thing we never suspected — that he has been her friend. While she is telling us, in proof of her sincerity, how they took tea together, that very afternoon, at each word that she utters the invisible, the unsuspected takes shape before our eyes. She admits that he has asked her to be his mistress, and we suffer agonies at the thought that she can have listened to his overtures. She refused them, she says. But presently, when we recall what she told us, we shall ask ourselves whether her story is really true, for there is wanting, between the different things that she said to us, that logical and necessary connexion which, more than the facts related, is a sign of the truth. Besides, there was that terrible note of scorn in her: “I said to him no, absolutely,” which is to be found in every class of society, when a woman is lying. We must nevertheless thank her for having refused, encourage her by our kindness to repeat these cruel confidences in the future. At the most, we may remark: “But if he had already made advances to you, why did you accept his invitation to tea?” “So that he should not be angry with me and say that I hadn′t been nice to him.” And we dare not reply that by refusing she would perhaps have been nicer to us.
D′ailleurs, Albertine m′effrayait en me disant que j′avais raison, pour ne pas lui faire du tort, de dire que je n′étais pas son amant, puisque aussi bien, ajoutait-elle, « c′est la vérité que vous ne l′êtes pas ». Je ne l′étais peut-être pas complètement en effet, mais alors fallait-il penser que toutes les choses que nous faisions ensemble, elle les faisait aussi avec tous les hommes dont elle me jurait qu′elle n′avait pas été la maîtresse ? Vouloir connaître à tout prix ce qu′Albertine pensait, qui elle voyait, qui elle aimait, comme il était étrange que je sacrifiasse tout à ce besoin, puisque j′avais éprouvé le même besoin de savoir, au sujet de Gilberte, des noms propres, des faits, qui m′étaient maintenant si indifférents. Je me rendais bien compte qu′en elles-mêmes les actions d′Albertine n′avaient pas plus d′intérêt. Il est curieux qu′un premier amour, si, par la fragilité qu′il laisse à notre cœur, il fraye la voie aux amours suivantes, ne nous donne pas du moins, par l′identité même des symptômes et des souffrances, le moyen de les guérir. Albertine alarmed me further when she said that I was quite right to say, out of regard for her reputation, that I was not her lover, since “for that matter,” she went on, “it′s perfectly true that you aren′t.” I was not her lover perhaps in the full sense of the word, but then, was I to suppose that all the things that we did together she did also with all the other men whose mistress she swore to me that she had never been? The desire to know at all costs what Albertine was thinking, whom she was seeing, with whom she was in love, how strange it was that I should be sacrificing everything to this need, since I had felt the same need to know, in the case of Gilberte, names, facts, which now left me quite indifferent. I was perfectly well aware that in themselves Albertine′s actions were of no greater interest. It is curious that a first love, if by the frail state in which it leaves our heart it opens the way to our subsequent loves, does not at least provide us, in view of the identity of symptoms and sufferings, with the means of curing them.
D′ailleurs, y a-t-il besoin de savoir un fait ? Ne sait-on pas d′abord d′une façon générale le mensonge et la discrétion même de ces femmes qui ont quelque chose à cacher ? Y a-t-il là possibilité d′erreur ? Elles se font une vertu de se taire, alors que nous voudrions tant les faire parler. Et nous sentons qu′à leur complice elles ont affirmé : « Je ne dis jamais rien. Ce n′est pas par moi qu′on saura quelque chose, je ne dis jamais rien. » On donne sa fortune, sa vie pour un être, et pourtant cet être, on sait bien qu′à dix ans d′intervalle, plus tôt ou plus tard, on lui refuserait cette fortune, on préférerait garder sa vie. Car alors l′être serait détaché de nous, seul, c′est-à-dire nul. Ce qui nous attache aux êtres, ce sont ces mille racines, ces fils innombrables que sont les souvenirs de la soirée de la veille, les espérances de la matinée du lendemain ; c′est cette trame continue d′habitudes dont nous ne pouvons pas nous dégager. De même qu′il y a des avares qui entassent par générosité, nous sommes des prodigues qui dépensent par avarice, et c′est moins à un être que nous sacrifions notre vie, qu′à tout ce qu′il a pu attacher autour de lui de nos heures, de nos jours, de ce à côté de quoi la vie non encore vécue, la vie relativement future, nous semble une vie plus lointaine, plus détachée, moins intime, moins nôtre. Ce qu′il faudrait, c′est se dégager de ces liens qui ont tellement plus d′importance que lui, mais ils ont pour effet de créer en nous des devoirs momentanés à son égard, devoirs qui font que nous n′osons pas le quitter de peur d′être mal jugé de lui — alors que plus tard nous oserions, car, dégagé de nous, il ne serait plus nous — et que nous ne nous créons en réalité de devoirs (dussent-ils, par une contradiction apparente, aboutir au suicide) qu′envers nous-mêmes. After all, is there any need to know a fact? Are we not aware beforehand, in a general fashion, of the mendacity and even the discretion of those women who have something to conceal? Is there any possibility of error? They make a virtue of their silence, when we would give anything to make them speak. And we feel certain that they have assured their accomplice: “I never tell anything. It won′t be through me that anybody will hear about it, I never tell anything.” A man may give his fortune, his life for a person, and yet know quite well that in ten years′ time, more or less, he would refuse her the fortune, prefer to keep his life. For then the person would be detached from him, alone, that is to say null and void. What attaches us to people are those thousand roots, those innumerable threads which are our memories of last night, our hopes for to-morrow morning, those continuous trammels of habit from which we can never free ourselves. Just as there are misers who hoard money from generosity, so we are spendthrifts who spend from avarice, and it is not so much to a person that we sacrifice our life as to all that the person has been able to attach to herself of our hours, our days, of the things compared with which the life not yet lived, the relatively future life, seems to us more remote, more detached, less practical, less our own. What we require is to disentangle ourselves from those trammels which are so much more important than the person, but they have the effect of creating in us temporary obligations towards her, obligations which mean that we dare not leave her for fear of being misjudged by her, whereas later on we would so dare for, detached from us, she would no longer be ourselves, and because in reality we create for ourselves obligations (even if, by an apparent contradiction, they should lead to suicide) towards ourselves alone.
Si je n′aimais pas Albertine (ce dont je n′étais pas sûr), cette place qu′elle tenait auprès de moi n′avait rien d′extraordinaire : nous ne vivons qu′avec ce que nous n′aimons pas, que nous n′avons fait vivre avec nous que pour tuer l′insupportable amour, qu′il s′agisse d′une femme, d′un pays, ou encore d′une femme enfermant un pays. Même nous aurions bien peur de recommencer à aimer si l′absence se produisait de nouveau. Je n′en étais pas arrivé à ce point pour Albertine. Ses mensonges, ses aveux, me laissaient à achever la tâche d′éclaircir la vérité : ses mensonges si nombreux, parce qu′elle ne se contentait pas de mentir comme tout être qui se croit aimé, mais parce que par nature elle était, en dehors de cela, menteuse, et si changeante d′ailleurs que, même en me disant chaque fois la vérité, ce que, par exemple, elle pensait des gens, elle eût dit chaque fois des choses différentes ; ses aveux, parce que si rares, si court arrêtés, ils laissaient entre eux, en tant qu′ils concernaient le passé, de grands intervalles tout en blanc et sur toute la longueur desquels il me fallait retracer, et pour cela d′abord apprendre, sa vie. If I was not in love with Albertine (and of this I could not be sure) then there was nothing extraordinary in the place that she occupied in my life: we live only with what we do not love, with what we have brought to live with us only to kill the intolerable love, whether it be of a woman, of a place, or again of a woman embodying a place. Indeed we should be sorely afraid to begin to love again if a further separation were to occur. I had not yet reached this stage with Albertine. Her falsehoods, her admissions, left me to complete the task of elucidating the truth: her innumerable falsehoods because she was not content with merely lying, like everyone who imagines that he or she is loved, but was by nature, quite apart from this, a liar, and so inconsistent moreover that, even if she told me the truth every time, told me what, for instance, she thought of other people, she would say each time something different; her admissions, because, being so rare, so quickly cut short, they left between them, in so far as they concerned the past, huge intervals quite blank over the whole expanse of which I was obliged to retrace — and for that first of all to learn — her life.
Quant au présent, pour autant que je pouvais interpréter les paroles sibyllines de Françoise, ce n′était pas que sur des points particuliers, c′était sur tout un ensemble qu′Albertine me mentait, et je verrais « tout par un beau jour » ce que Françoise faisait semblant de savoir, ce qu′elle ne voulait pas me dire, ce que je n′osais pas lui demander. D′ailleurs, c′était sans doute par la même jalousie qu′elle avait eue jadis envers Eulalie que Françoise parlait des choses les plus invraisemblables, tellement vagues qu′on pouvait tout au plus y supposer l′insinuation, bien invraisemblable, que la pauvre captive (qui aimait les femmes) préférait un mariage avec quelqu′un qui ne semblait pas tout à fait être moi. Si cela avait été, malgré ses radiotélépathies, comment Françoise l′aurait-elle su ? Certes, les récits d′Albertine ne pouvaient nullement me fixer là-dessus, car ils étaient chaque jour aussi opposés que les couleurs d′une toupie presque arrêtée. D′ailleurs, il semblait bien que c′était surtout la haine qui faisait parler Françoise. Il n′y avait pas de jour qu′elle ne me dît et que je ne supportasse, en l′absence de ma mère, des paroles telles que : As for the present, so far as I could interpret the sibylline utterances of Françoise, it was not only in particular details, it was as a whole that Albertine was lying to me, and ‘one fine day′ I would see what Françoise made a pretence of knowing, what she refused to tell me, what I dared not ask her. It was no doubt with the same jealousy that she had felt in the past with regard to Eulalie that Françoise would speak of the most improbable things, so vague that one could at the most suppose them to convey the highly improbable insinuation that the poor captive (who was a lover of women) preferred marriage with somebody who did not appear altogether to be myself. If this were so, how, notwithstanding her power of radiotelepathy, could Françoise have come to hear of it? Certainly, Albertine′s statements could give me no definite enlightenment, for they were as different day by day as the colours of a spinning-top that has almost come to a standstill. However, it seemed that it was hatred, more than anything else, that impelled Françoise to speak. Not a day went by but she said to me, and I in my mother′s absence endured such speeches as:
« Certes, vous êtes gentil et je n′oublierai jamais la reconnaissance que je vous dois (ceci probablement pour que je me crée des titres à sa reconnaissance), mais la maison est empestée depuis que la gentillesse a installé ici la fourberie, que l′intelligence protège la personne la plus bête qu′on ait jamais vue, que la finesse, les manières, l′esprit, la dignité en toutes choses, l′air et la réalité d′un prince se laissent faire la loi et monter le coup et me faire humilier, moi qui suis depuis quarante ans dans la famille, par le vice, par ce qu′il y a de plus vulgaire et de plus bas. » “To be sure, you yourself are kind, and I shall never forget the debt of gratitude that I owe to you” (this probably so that I might establish fresh claims upon her gratitude) “but the house has become a plague-spot now that kindness has set up knavery in it, now that cleverness is protecting the stupidest person that ever was seen, now that refinement, good manners, wit, dignity in everything allow to lay down the law and rule the roost and put me to shame, who have been forty years in the family — vice, everything that is most vulgar and abject.”
Françoise en voulait surtout à Albertine d′être commandée par quelqu′un d′autre que nous et d′un surcroît de travail de ménage, d′une fatigue qui altérant la santé de notre vieille servante, laquelle ne voulait pas, malgré cela, être aidée dans son travail, n′étant pas « une propre à rien ». Cela eût suffi à expliquer cet énervement, ces colères haineuses. Certes, elle eût voulu qu′Albertine-Esther fût bannie. C′était le vœu de Françoise. Et en la consolant cela eût déjà reposé notre vieille servante. Mais à mon avis, ce n′était pas seulement cela. Une telle haine n′avait pu naître que dans un corps surmené. Et plus encore que d′égards, Françoise avait besoin de sommeil. What Françoise resented most about Albertine was having to take orders from somebody who was not one of ourselves, and also the strain of the additional housework which was affecting the health of our old servant, who would not, for all that, accept any help in the house, not being a ‘good for nothing.′ This in itself would have accounted for her nervous exhaustion, for her furious hatred. Certainly, she would have liked to see Albertine-Esther banished from the house. This was Françoise′s dearest wish. And, by consoling her, its fulfilment alone would have given our old servant some repose. But to my mind there was more in it than this. So violent a hatred could have originated only in an overstrained body. And, more even than of consideration, Françoise was in need of sleep.
Albertine allait ôter ses affaires et, pour aviser au plus vite, j′essayai de téléphoner à Andrée ; je me saisis du récepteur, j′invoquai les divinités implacables, mais ne fis qu′exciter leur fureur qui se traduisit par ces mots : « Pas libre. » Andrée était en effet en train de causer avec quelqu′un. En attendant qu′elle eût achevé sa communication, je me demandais comment, puisque tant de peintres cherchent à renouveler les portraits féminins du xviiie siècle, où l′ingénieuse mise en scène est un prétexte aux expressions de l′attente, de la bouderie, de l′intérêt, de la rêverie, comment aucun de nos modernes Boucher ou Fragonard ne peignait, au lieu de « la lettre », ou « du clavecin », etc., cette scène qui pourrait s′appeler : « Devant le téléphone », et où naîtrait spontanément sur les lèvres de l′écouteuse un sourire d′autant plus vrai qu′il sait n′être pas vu. Enfin, Andrée m′entendit : « Vous venez prendre Albertine demain ? » et en prononçant ce nom d′Albertine, je pensais à l′envie que m′avait inspirée Swann quand il m′avait dit, le jour de la fête chez la princesse de Guermantes : « Venez voir Odette », et que j′avais pensé à ce que malgré tout il y avait de fort dans un prénom qui, aux yeux de tout le monde et d′Odette elle-même, n′avait que dans la bouche de Swann ce sens absolument possessif. Albertine went to take off her things and, so as to lose no time in finding out what I wanted to know, I attempted to telephone to Andrée; I took hold of the receiver, invoked the implacable deities, but succeeded only in arousing their fury which expressed itself in the single word ‘Engaged!′ Andrée was indeed engaged in talking to some one else. As I waited for her to finish her conversation, I asked myself how it was — now that so many of our painters are seeking to revive the feminine portraits of the eighteenth century, in which the cleverly devised setting is a pretext for portraying expressions of expectation, spleen, interest, distraction — how it was that none of our modern Bouchers or Fragonards had yet painted, instead of ‘The Letter′ or ‘The Harpsichord,′ this scene which might be entitled ‘At the Telephone,′ in which there would come spontaneously to the lips of the listener a smile all the more genuine in that it is conscious of being unobserved. At length, Andrée was at the other end: “You are coming to call for Albertine to-morrow?” I asked, and as I uttered Albertine′s name, thought of the envy I had felt for Swann when he said to me on the day of the Princesse de Guermantes′s party: “Come and see Odette,” and I had thought how, when all was said, there must be something in a Christian name which, in the eyes of the whole world including Odette herself, had on Swann′s lips alone this entirely possessive sense.
Qu′une telle mainmise — résumée en un vocable — sur toute une existence m′avait paru, chaque fois que j′étais amoureux, devoir être douce ! Mais, en réalité, quand on peut le dire, ou bien cela est devenu indifférent, ou bien l′habitude n′a pas émoussé la tendresse, mais elle en a changé les douceurs en douleurs. Le mensonge est bien peu de chose, nous vivons au milieu de lui sans faire autre chose qu′en sourire, nous le pratiquons sans croire faire mal à personne, mais la jalousie en souffre et voit plus qu′il ne cache (souvent notre amie refuse de passer la soirée avec nous et va au théâtre tout simplement pour que nous ne voyions pas qu′elle a mauvaise mine). Combien, souvent, elle reste aveugle à ce que cache la vérité ! Mais elle ne peut rien obtenir, car celles qui jurent de ne pas mentir refuseraient, sous le couteau, de confesser leur caractère. Je savais que moi seul pouvais dire de cette façon-là « Albertine » à Andrée. Et pourtant pour Albertine, pour Andrée, et pour moi-même, je sentais que je n′étais rien. Et je comprenais l′impossibilité où se heurte l′amour. Must not such an act of possession — summed up in a single word — over the whole existence of another person (I had felt whenever I was in love) be pleasant indeed! But, as a matter of fact, when we are in a position to utter it, either we no longer care, or else habit has not dulled the force of affection, but has changed its pleasure into pain. Falsehood is a very small matter, we live in the midst of it without doing anything but smile at it, we practise it without meaning to do any harm to anyone, but our jealousy is wounded by it, and sees more than the falsehood conceals (often our mistress refuses to spend the evening with us and goes to the theatre simply so that we shall not notice that she is not looking well). How blind it often remains to what the truth is concealing! But it can extract nothing, for those women who swear that they are not lying would refuse, on the scaffold, to confess their true character. I knew that I alone was in a position to say ‘Albertine′ in that tone to Andrée. And yet, to Albertine, to Andrée, and to myself, I felt that I was nothing. And I realised the impossibility against which love is powerless.
Nous nous imaginons qu′il a pour objet un être qui peut être couché devant nous, enfermé dans un corps. Hélas ! il est l′extension de cet être à tous les points de l′espace et du temps que cet être a occupés et occupera. Si nous ne possédons pas son contact avec tel lieu, avec telle heure, nous ne le possédons pas. Or nous ne pouvons toucher tous ces points. Si encore ils nous étaient désignés, peut-être pourrions-nous nous étendre jusqu′à eux. Mais nous tâtonnons sans les trouver. De là la défiance, la jalousie, les persécutions. Nous perdons un temps précieux sur une piste absurde et nous passons sans le soupçonner à côté du vrai. We imagine that love has as its object a person whom we can see lying down before our eyes, enclosed in a human body. Alas, it is the extension of that person to all the points in space and time which the person has occupied and will occupy. If we do not possess its contact with this or that place, this or that hour, we do not possess it. But we cannot touch all these points. If only they were indicated to us, we might perhaps contrive to reach out to them. But we grope for them without finding them. Hence mistrust, jealousy, persecutions. We waste precious time upon absurd clues and pass by the truth without suspecting it.
Mais déjà une des divinités irascibles, aux servantes vertigineusement agiles, s′irritait non plus que je parlasse, mais que je ne dise rien. « Mais voyons, c′est libre, depuis le temps que vous êtes en communication ; je vais vous couper. » Mais elle n′en fit rien, et tout en suscitant la présence d′Andrée, l′enveloppa, en grand poète qu′est toujours une demoiselle du téléphone, de l′atmosphère particulière à la demeure, au quartier, à la vie même de l′amie d′Albertine. « C′est vous ? » me dit Andrée dont la voix était projetée jusqu′à moi avec une vitesse instantanée par la déesse qui a le privilège de rendre les sons plus rapides que l′éclair. « Écoutez, répondis-je ; allez où vous voudrez, n′importe où, excepté chez Mme Verdurin. Il faut à tout prix en éloigner demain Albertine. — C′est que justement elle doit y aller demain. — Ah ! » But already one of the irascible deities, whose servants speed with the agility of lightning, was annoyed, not because I was speaking, but because I was saying nothing. “Come along, I′ve been holding the line for you all this time; I shall cut you off.” However, she did nothing of the sort but, as she evoked Andrée′s presence, enveloped it, like the great poet that a telephone girl always is, in the atmosphere peculiar to the home, the district, the very life itself of Albertine′s friend. “Is that you?” asked Andrée, whose voice was projected towards me with an instantaneous speed by the goddess whose privilege it is to make sound more swift than light. “Listen,” I replied; “go wherever you like, anywhere, except to Mme. Verdurin′s. Whatever happens, you simply must keep Albertine away from there to-morrow.” “Why, that′s where she promised to go to-morrow.” “Ah!”
Mais j′étais obligé d′interrompre un instant et de faire des gestes menaçants, car si Françoise continuait — comme si c′eût été quelque chose d′aussi désagréable que la vaccine ou d′aussi périlleux que l′aéroplane — à ne pas vouloir apprendre à téléphoner, ce qui nous eût déchargés des communications qu′elle pouvait connaître sans inconvénient, en revanche, elle entrait immédiatement chez moi dès que j′étais en train d′en faire d′assez secrètes pour que je tinsse particulièrement à les lui cacher. Quand elle fut sortie de la chambre non sans s′être attardée à emporter divers objets qui y étaient depuis la veille et eussent pu y rester, sans gêner le moins du monde, une heure de plus, et pour remettre dans le feu une bûche bien inutile par la chaleur brûlante que me donnaient la présence de l′intruse et la peur de me voir « couper » par la demoiselle : « Pardonnez-moi, dis-je à Andrée, j′ai été dérangé. C′est absolument sûr qu′elle doit aller demain chez les Verdurin ? — Absolument, mais je peux lui dire que cela vous ennuie. — Non, au contraire ; ce qui est possible, c′est que je vienne avec vous. — Ah ! » fit Andrée d′une voix fort ennuyée et comme effrayée de mon audace, qui ne fit du reste que s′en affermir. « Alors, je vous quitte et pardon de vous avoir dérangée pour rien. — Mais non », dit Andrée et (comme maintenant, l′usage du téléphone étant devenu courant, autour de lui s′était développé l′enjolivement de phrases spéciales, comme jadis autour des « thés ») elle ajouta : « Cela m′a fait grand plaisir d′entendre votre voix. » But I was obliged to break off the conversation for a moment and to make menacing gestures, for if Françoise continued — as though it had been something as unpleasant as vaccination or as dangerous as the aeroplane — to refuse to learn to telephone, whereby she would have spared us the trouble of conversations which she might intercept without any harm, on the other hand she would at once come into the room whenever I was engaged in a conversation so private that I was particularly anxious to keep it from her ears. When she had left the room, not without lingering to take away various things that had been lying there since the previous day and might perfectly well have been left there for an hour longer, and to place in the grate a log that was quite unnecessary in view of my burning fever at the intruder′s presence and my fear of finding myself ‘cut off′ by the operator: “I beg your pardon,” I said to Andrée, “I was interrupted. Is it absolutely certain that she has to go to the Verdurins′ tomorrow?” “Absolutely, but I can tell her that you don′t like it.” “No, not at all, but it is possible that I may come with you.” “Ah!” said Andrée, in a tone of extreme annoyance and as though alarmed by my audacity, which was all the more encouraged by her opposition. “Then I shall say good night, and please forgive me for disturbing you for nothing.” “Not at all,” said Andrée, and (since nowadays, the telephone having come into general use, a decorative ritual of polite speeches has grown up round it, as round the tea-tables of the past) added: “It has been a great pleasure to hear your voice.”
J′aurais pu en dire autant, et plus véridiquement qu′Andrée, car je venais d′être infiniment sensible à sa voix, n′ayant jamais remarqué jusque-là qu′elle était si différente des autres. Alors, je me rappelai d′autres voix encore, des voix de femmes surtout, les unes ralenties par la précision d′une question et l′attention de l′esprit, d′autres essoufflées, même interrompues, par le flot lyrique de ce qu′elles racontent ; je me rappelai une à une la voix de chacune des jeunes filles que j′avais connues à Balbec, puis de Gilberte, puis de ma grand′mère, puis de Mme de Guermantes ; je les trouvai toutes dissemblables, moulées sur un langage particulier à chacune, jouant toutes sur un instrument différent, et je me dis quel maigre concert doivent donner au paradis les trois ou quatre anges musiciens des vieux peintres, quand je voyais s′élever vers Dieu, par dizaines, par centaines, par milliers, l′harmonieuse et multisonore salutation de toutes les Voix. Je ne quittai pas le téléphone sans remercier, en quelques mots propitiatoires, celle qui règne sur la vitesse des sons, d′avoir bien voulu user en faveur de mes humbles paroles d′un pouvoir qui les rendait cent fois plus rapides que le tonnerre, mais mes actions de grâce restèrent sans autre réponse que d′être coupées. I might have said the same, and with greater truth than Andrée, for I had been deeply touched by the sound of her voice, having never before noticed that it was so different from the voices of other people. Then I recalled other voices still, women′s voices especially, some of them rendered slow by the precision of a question and by mental concentration, others made breathless, even silenced at moments, by the lyrical flow of what the speakers were relating; I recalled one by one the voices of all the girls whom I had known at Balbec, then Gilberte′s voice, then my grandmother′s, then that of Mme. de Guermantes, I found them all unlike, moulded in a language peculiar to each of the speakers, each playing upon a different instrument, and I said to myself how meagre must be the concert performed in paradise by the three or four angel musicians of the old painters, when I saw mount to the Throne of God, by tens, by hundreds, by thousands, the harmonious and multisonant salutation of all the Voices. I did not leave the telephone without thanking, in a few propitiatory words, her who reigns over the swiftness of sounds for having kindly employed on behalf of my humble words a power which made them a hundred times more rapid than thunder, but my thanksgiving received no other response than that of being cut off.
Quand Albertine revint dans ma chambre, elle avait une robe de satin noir qui contribuait à la rendre plus pâle, à faire d′elle la Parisienne blême, ardente, étiolée par le manque d′air, l′atmosphère des foules et peut-être l′habitude du vice, et dont les yeux semblaient plus inquiets parce que ne les égayait pas la rougeur des joues. When Albertine returned to my room, she was wearing a garment of black satin which had the effect of making her seem paler, of turning her into the pallid, ardent Parisian, etiolated by want of fresh air, by the atmosphere of crowds and perhaps by vicious habits, whose eyes seemed more restless because they were not brightened by any colour in her cheeks.
« Devinez, lui dis-je, à qui je viens de téléphoner ? À Andrée. — À Andrée ? » s′écria Albertine sur un ton bruyant, étonné, ému, qu′une nouvelle aussi simple ne comportait pas. « J′espère qu′elle a pensé à vous dire que nous avions rencontré Mme Verdurin l′autre jour. — Madame Verdurin ? je ne me rappelle pas », répondis-je en ayant l′air de penser à autre chose, à la fois pour sembler indifférent à cette rencontre et pour ne pas trahir Andrée qui m′avait dit où Albertine irait le lendemain. “Guess,” I said to her, “to whom I′ve just been talking on the telephone. Andrée!” “Andrée?” exclaimed Albertine in a harsh tone of astonishment and emotion, which so simple a piece of intelligence seemed hardly to require. “I hope she remembered to tell you that we met Mme. Verdurin the other day.” “Mme. Verdurin? I don′t remember,” I replied, as though I were thinking of something else, so as to appear indifferent to this meeting and not to betray Andrée who had told me where Albertine was going on the morrow.
Mais qui sait si elle-même, Andrée, ne me trahissait pas, et si demain elle ne raconterait pas à Albertine que je lui avais demandé de l′empêcher, coûte que coûte, d′aller chez les Verdurin, et si elle ne lui avait pas déjà révélé que je lui avais fait plusieurs fois des recommandations analogues. Elle m′avait affirmé ne les avoir jamais répétées, mais la valeur de cette affirmation était balancée dans mon esprit par l′impression que depuis quelque temps s′était retirée du visage d′Albertine la confiance qu′elle avait eue si longtemps en moi. But how could I tell that Andrée was not herself betraying me, and would not tell Albertine to-morrow that I had asked her to prevent her at all costs from going to the Verdurins′, and had not already revealed to her that I had many times made similar appeals. She had assured me that she had never repeated anything, but the value of this assertion was counterbalanced in my mind by the impression that for some time past Albertine′s face had ceased to shew that confidence which she had for so long reposed in me.
Ce qui est curieux, c′est que, quelques jours avant cette dispute avec Albertine, j′en avais déjà eu une avec elle, mais en présence d′Andrée. Or Andrée, en donnant de bons conseils à Albertine, avait toujours l′air de lui en insinuer de mauvais. « Voyons, ne parle pas comme cela, tais-toi », disait-elle, comme au comble du bonheur. Sa figure prenait la teinte sèche de framboise rose des intendantes dévotes qui font renvoyer un à un tous les domestiques. Pendant que j′adressais à Albertine des reproches que je n′aurais pas dû, elle avait l′air de sucer avec délices un sucre d′orge. Puis elle ne pouvait retenir un rire tendre. « Viens Titine, avec moi. Tu sais que je suis ta petite soeurette chérie. » Je n′étais pas seulement exaspéré par ce déroulement doucereux, je me demandais si Andrée avait vraiment pour Albertine l′affection qu′elle prétendait. Albertine, qui connaissait Andrée plus à fond que je ne la connaissais, ayant toujours des haussements d′épaules quand je lui demandais si elle était bien sûre de l′affection d′Andrée, et m′ayant toujours répondu que personne ne l′aimait autant sur la terre, maintenant encore je suis persuadé que l′affection d′Andrée était vraie. Peut-être dans sa famille riche, mais provinciale, en trouverait-on l′équivalent dans quelques boutiques de la Place de l′Évêché, où certaines sucreries passent pour « ce qu′il y a de meilleur ». Mais je sais que pour ma part, bien qu′ayant toujours conclu au contraire, j′avais tellement l′impression qu′Andrée cherchait à faire donner sur les doigts à Albertine que mon amie me devenait aussitôt sympathique et que ma colère tombait. What is remarkable is that, a few days before this dispute with Albertine, I had already had a dispute with her, but in Andrée′s presence. Now Andrée, while she gave Albertine good advice, had always appeared to be insinuating bad. “Come, don′t talk like that, hold your tongue,” she said, as though she were at the acme of happiness. Her face assumed the dry raspberry hue of those pious housekeepers who made us dismiss each of our servants in turn. While I was heaping reproaches upon Albertine which I ought never to have uttered, Andrée looked as though she were sucking a lump of barley sugar with keen enjoyment. At length she was unable to restrain an affectionate laugh. “Come, Titine, with me. You know, I′m your dear little sister.” I was not merely exasperated by this rather sickly exhibition, I asked myself whether Andrée really felt the affection for Albertine that she pretended to feel. Seeing that Albertine, who knew Andrée far better than I did, had always shrugged her shoulders when I asked her whether she was quite certain of Andrée′s affection, and had always answered that nobody in the world cared for her more, I was still convinced that Andrée′s affection was sincere. Possibly, in her wealthy but provincial family, one might find an equivalent of some of the shops in the Cathedral square, where certain sweetmeats are declared to be ‘the best quality.′ But I do know that, for my own part, even if I had invariably come to the opposite conclusion, I had so strong an impression that Andrée was trying to rap Albertine′s knuckles that my mistress at once regained my affection and my anger subsided.
La souffrance dans l′amour cesse par instants, mais pour reprendre d′une façon différente. Nous pleurons de voir celle que nous aimons ne plus avoir avec nous ces élans de sympathie, ces avances amoureuses du début, nous souffrons plus encore que, les ayant perdus pour nous, elle les retrouve pour d′autres ; puis, de cette souffrance-là, nous sommes distraits par un mal nouveau plus atroce, le soupçon qu′elle nous a menti sur sa soirée de la veille, où elle nous a trompé sans doute ; ce soupçon-là aussi se dissipe, la gentillesse que nous montre notre amie nous apaise, mais alors un mot oublié nous revient à l′esprit ; on nous a dit qu′elle était ardente au plaisir ; or nous ne l′avons connue que calme ; nous essayons de nous représenter ce que furent ces frénésies avec d′autres, nous sentons le peu que nous sommes pour elle, nous remarquons un air d′ennui, de nostalgie, de tristesse pendant que nous parlons, nous remarquons comme un ciel noir les robes négligées qu′elle met quand elle est avec nous, gardant pour les autres celles avec lesquelles, au commencement, elle nous flattait. Si, au contraire, elle est tendre, quelle joie un instant ! mais en voyant cette petite langue tirée comme pour un appel, nous pensons à celles à qui il était si souvent adressé que, même peut-être auprès de moi, sans qu′Albertine pensât à elles, il était demeuré, à cause d′une trop longue habitude, un signe machinal. Puis le sentiment que nous l′ennuyons revient. Mais brusquement cette souffrance tombe à peu de chose en pensant à l′inconnu malfaisant de sa vie, aux lieux impossibles à connaître où elle a été, est peut-être encore, dans les heures où nous ne sommes pas près d′elle, si même elle ne projette pas d′y vivre définitivement, ces lieux où elle est loin de nous, pas à nous, plus heureuse qu′avec nous. Tels sont les feux tournants de la jalousie. Suffering, when we are in love, ceases now and then for a moment, but only to recur in a different form. We weep to see her whom we love no longer respond to us with those outbursts of sympathy, the amorous advances of former days, we suffer more keenly still when, having lost them with us, she recovers them for the benefit of others; then, from this suffering, we are distracted by a new and still more piercing grief, the suspicion that she was lying to us about how she spent the previous evening, when she doubtless played us false; this suspicion in turn is dispelled, the kindness that our mistress is shewing us soothes us, but then a word that we had forgotten comes back to our mind; some one has told us that she was ardent in moments of pleasure, whereas we have always found her calm; we try to picture to ourselves what can have been these frenzies with other people, we feel how very little we are to her, we observe an air of boredom, longing, melancholy, while we are talking, we observe like a black sky the unpretentious clothes which she puts on when she is with us, keeping for other people the garments with which she used to flatter us at first. If on the contrary she is affectionate, what joy for a moment; but when we see that little tongue outstretched as though in invitation, we think of those people to whom that invitation has so often been addressed, and that perhaps even here at home, even although Albertine was not thinking of them, it has remained, by force of long habit, an automatic signal. Then the feeling that we are bored with each other returns. But suddenly this pain is reduced to nothing when we think of the unknown evil element in her life, of the places impossible to identify where she has been, where she still goes perhaps at the hours when we are not with her, if indeed she is not planning to live there altogether, those places in which she is parted from us, does not belong to us, is happier than when she is with us. Such are the revolving searchlights of jealousy.
La jalousie est aussi un démon qui ne peut être exorcisé, et revient toujours incarner une nouvelle forme. Puissions-nous arriver à les exterminer toutes, à garder perpétuellement celle que nous aimons, l′Esprit du Mal prendrait alors une autre forme, plus pathétique encore, le désespoir de n′avoir obtenu la fidélité que par force, le désespoir de n′être pas aimé. Jealousy is moreover a demon that cannot be exorcised, but always returns to assume a fresh incarnation. Even if we could succeed in exterminating them all, in keeping for ever her whom we love, the Spirit of Evil would then adopt another form, more pathetic still, despair at having obtained fidelity only by force, despair at not being loved.
Entre Albertine et moi il y avait souvent l′obstacle d′un silence fait sans doute de griefs qu′elle taisait parce qu′elle les jugeait irréparables. Si douce qu′Albertine fût certains soirs, elle n′avait plus de ces mouvements spontanés que je lui avais connus à Balbec quand elle me disait : « Ce que vous êtes gentil tout de même ! » et que le fond de son cœur semblait venir à moi sans la réserve d′aucun des griefs qu′elle avait maintenant et qu′elle taisait, parce qu′elle les jugeait sans doute irréparables, impossibles à oublier, inavoués, mais qui n′en mettaient pas moins entre elle et moi la prudence significative de ses paroles ou l′intervalle d′un infranchissable silence. Between Albertine and myself there was often the obstacle of a silence based no doubt upon grievances which she kept to herself, because she supposed them to be irremediable. Charming as Albertine was on some evenings, she no longer shewed those spontaneous impulses which I remembered at Balbec when she used to say: “How good you are to me all the same!” and her whole heart seemed to spring towards me without the reservation of any of those grievances which she now felt and kept to herself because she supposed them no doubt to be irremediable, impossible to forget, unconfessed, but which set up nevertheless between her and myself the significant prudence of her speech or the interval of an impassable silence.
« Et peut-on savoir pourquoi vous avez téléphoné à Andrée ? — Pour lui demander si cela ne la contrarierait pas que je me joigne à vous demain et que j′aille ainsi faire aux Verdurin la visite que je leur promets depuis la Raspelière. — Comme vous voudrez. Mais je vous préviens qu′il y a un brouillard atroce ce soir et qu′il y en aura sûrement encore demain. Je vous dis cela parce que je ne voudrais pas que cela vous fasse mal. Vous pensez bien que pour moi je préfère que vous veniez avec nous. Du reste, ajouta-t-elle d′un air préoccupé, je ne sais pas du tout si j′irai chez les Verdurin. Ils m′ont fait tant de gentillesses qu′au fond je devraisÂ… Après vous, c′est encore les gens qui ont été les meilleurs pour moi, mais il y a des riens qui me déplaisent chez eux. Il faut absolument que j′aille au Bon Marché ou aux Trois-Quartiers acheter une guimpe blanche, car cette robe est trop noire. » “And may one be allowed to know why you telephoned to Andrée?” “To ask whether she had any objection to my joining you to-morrow, so that I may pay the Verdurins the call I promised them at la Raspelière.” “Just as you like. But I warn you, there is an appalling mist this evening, and it′s sure to last over to-morrow. I mention it, because I shouldn′t like you to make yourself ill. Personally, you can imagine I would far rather you came with us. However,” she added with a thoughtful air: “I′m not at all sure that I shall go to the Verdurins′. They′ve been so kind to me that I ought, really. . . . Next to yourself, they have been nicer to me than anybody, but there are some things about them that I don′t quite like. I simply must go to the Bon Marché and the Trois-Quartiers and get a white scarf to wear with this dress which is really too black.”
Laisser Albertine aller seule dans un grand magasin parcouru par tant de gens qu′on frôle, pourvu de tant d′issues qu′on peut dire qu′à la sortie on n′a pas réussi à trouver sa voiture qui attendait plus loin, j′étais bien décidé à n′y pas consentir, mais j′étais surtout malheureux. Et pourtant, je ne me rendais pas compte qu′il y avait longtemps que j′aurais dû cesser de voir Albertine, car elle était entrée pour moi dans cette période lamentable où un être, disséminé dans l′espace et dans le temps, n′est plus pour vous une femme, mais une suite d′événements sur lesquels nous ne pouvons faire la lumière, une suite de problèmes insolubles, une mer que nous essayons ridiculement, comme Xercès, de battre pour la punir de ce qu′elle a englouti. Une fois cette période commencée, on est forcément vaincu. Heureux ceux qui le comprennent assez tôt pour ne pas trop prolonger une lutte inutile, épuisante, enserrée de toutes parts par les limites de l′imagination, et où la jalousie se débat si honteusement que le même homme qui jadis, si seulement les regards de celle qui était toujours à côté de lui se portaient un instant sur un autre, imaginait une intrigue, éprouvait combien de tourments, se résigne plus tard à la laisser sortir seule, quelquefois avec celui qu′il sait son amant, préférant à l′inconnaissable cette torture du moins connue ! C′est une question de rythme à adopter et qu′on suit après par habitude. Des nerveux ne pourraient pas manquer un dîner, qui font ensuite des cures de repos jamais assez longues ; des femmes récemment encore légères vivent de la pénitence. Des jaloux qui, pour épier celle qu′ils aimaient, retranchaient sur leur sommeil, sur leur repos, sentant que ses désirs à elle, le monde si vaste et si secret, le temps sont plus forts qu′eux, la laissent sortir sans eux, puis voyager, puis se séparent. La jalousie finit ainsi faute d′aliments et n′a tant duré qu′à cause d′en avoir réclamé sans cesse. J′étais bien loin de cet état. Allow Albertine to go by herself into a big shop crowded with people perpetually rubbing against one, furnished with so many doors that a woman can always say that when she came out she could not find the carriage which was waiting farther along the street; I was quite determined never to consent to such a thing, but the thought of it made me extremely unhappy. And yet I did not take into account that I ought long ago to have ceased to see Albertine, for she had entered, in my life, upon that lamentable period in which a person disseminated over space and time is no longer a woman, but a series of events upon which we can throw no light, a series of insoluble problems, a sea which we absurdly attempt, Xerxes-like, to scourge, in order to punish it for what it has engulfed. Once this period has begun, we are perforce vanquished. Happy are they who understand this in time not to prolong unduly a futile, exhausting struggle, hemmed in on every side by the limits of the imagination, a struggle in which jealousy plays so sorry a part that the same man who once upon a time, if the eyes of the woman who was always by his side rested for an instant upon another man, imagined an intrigue, suffered endless torments, resigns himself in time to allowing her to go out by herself, sometimes with the man whom he knows to be her lover, preferring to the unknown this torture which at least he does know! It is a question of the rhythm to be adopted, which afterwards one follows from force of habit. Neurotics who could never stay away from a dinner-party will afterwards take rest cures which never seem to them to last long enough; women who recently were still of easy virtue live for and by acts of penitence. Jealous lovers who, in order to keep a watch upon her whom they loved, cut short their own hours of sleep, deprived themselves of rest, feeling that her own personal desires, the world, so vast and so secret, time, are stronger than they, allow her to go out without them, then to travel, and finally separate from her. Jealousy thus perishes for want of nourishment and has survived so long only by clamouring incessantly for fresh food. I was still a long way from this state.
J′étais maintenant libre de faire, aussi souvent que je voulais, des promenades avec Albertine. Comme il n′avait pas tardé à s′établir autour de Paris des hangars d′aviation, qui sont pour les aéroplanes ce que les ports sont pour les vaisseaux, et que depuis le jour où, près de la Raspelière, la rencontre quasi mythologique d′un aviateur, dont le vol avait fait se cabrer mon cheval, avait été pour moi comme une image de la liberté, j′aimais souvent qu′à la fin de la journée le but de nos sorties — agréables d′ailleurs à Albertine, passionnée pour tous les sports — fût un de ces aérodromes. Nous nous y rendions, elle et moi, attirés par cette vie incessante des départs et des arrivées qui donnent tant de charme aux promenades sur les jetées, ou seulement sur la grève pour ceux qui aiment la mer, et aux flâneries autour d′un « centre d′aviation » pour ceux qui aiment le ciel. À tout moment, parmi le repos des appareils inertes et comme à l′ancre, nous en voyions un péniblement tiré par plusieurs mécaniciens, comme est traînée sur le sable une barque demandée par un touriste qui veut aller faire une randonnée en mer. Puis le moteur était mis en marche, l′appareil courait, prenait son élan, enfin, tout à coup, à angle droit, il s′élevait lentement, dans l′extase raidie, comme immobilisée, d′une vitesse horizontale soudain transformée en majestueuse et verticale ascension. Albertine ne pouvait contenir sa joie et elle demandait des explications aux mécaniciens qui, maintenant que l′appareil était à flot, rentraient. Le passager, cependant, ne tardait pas à franchir des kilomètres ; le grand esquif, sur lequel nous ne cessions pas de fixer les yeux, n′était plus dans l′azur qu′un point presque indistinct, lequel d′ailleurs reprendrait peu à peu sa matérialité, sa grandeur, son volume, quand, la durée de la promenade approchant de sa fin, le moment serait venu de rentrer au port. Et nous regardions avec envie, Albertine et moi, au moment où il sautait à terre, le promeneur qui était allé ainsi goûter au large, dans ces horizons solitaires, le calme et la limpidité du soir. Puis, soit de l′aérodrome, soit de quelque musée, de quelque église que nous étions allés visiter, nous revenions ensemble pour l′heure du dîner. Et, pourtant, je ne rentrais pas calmé comme je l′étais à Balbec par de plus rares promenades que je m′enorgueillissais de voir durer tout un après-midi et que je contemplais ensuite se détachant en beaux massifs de fleurs sur le reste de la vie d′Albertine, comme sur un ciel vide devant lequel on rêve doucement, sans pensée. Le temps d′Albertine ne m′appartenait pas alors en quantités aussi grandes qu′aujourd′hui. Pourtant, il me semblait alors bien plus à moi, parce que je tenais compte seulement — mon amour s′en réjouissant comme d′une faveur — des heures qu′elle passait avec moi ; maintenant — ma jalousie y cherchant avec inquiétude la possibilité d′une trahison — rien que des heures qu′elle passait sans moi. I was now at liberty to go out with Albertine as often as I chose. As there had recently sprung up all round Paris a number of aerodromes, which are to aeroplanes what harbours are to ships, and as ever since the day when, on the way to la Raspelière, that almost mythological encounter with an airman, at whose passage overhead my horse had shied, had been to me like a symbol of liberty, I often chose to end our day′s excursion — with the ready approval of Albertine, a passionate lover of every form of sport — at one of these aerodromes. We went there, she and I, attracted by that incessant stir of departure and arrival which gives so much charm to a stroll along the pier, or merely upon the beach, to those who love the sea, and to loitering about an ‘aviation centre′ to those who love the sky. At any moment, amid the repose of the machines that lay inert and as though at anchor, we would see one, laboriously pushed by a number of mechanics, as a boat is pushed down over the sand at the bidding of a tourist who wishes to go for an hour upon the sea. Then the engine was started, the machine ran along the ground, gathered speed, until finally, all of a sudden, at right angles, it rose slowly, in the awkward, as it were paralysed ecstasy of a horizontal speed suddenly transformed into a majestic, vertical ascent. Albertine could not contain her joy, and demanded explanations of the mechanics who, now that the machine was in the air, were strolling back to the sheds. The passenger, meanwhile, was covering mile after mile; the huge skiff, upon which our eyes remained fixed, was nothing more now in the azure than a barely visible spot, which, however, would gradually recover its solidity, size, volume, when, as the time allowed for the excursion drew to an end, the moment came for landing. And we watched with envy, Albertine and I, as he sprang to earth, the passenger who had gone up like that to enjoy at large in those solitary expanses the calm and limpidity of evening. Then, whether from the aerodrome or from some museum, some church that we had been visiting, we would return home together for dinner. And yet, I did not return home calmed, as I used to be at Balbec by less frequent excursions which I rejoiced to see extend over a whole afternoon, used afterwards to contemplate standing out like clustering flowers from the rest of Albertine′s life, as against an empty sky, before which we muse pleasantly, without thinking. Albertine′s time did not belong to me then in such ample quantities as to-day. And yet, it had seemed to me then to be much more my own, because I took into account only — my love rejoicing in them as in the bestowal of a favour — the hours that she spent with me; now — my jealousy searching anxiously among them for the possibility of a betrayal — only those hours that she spent apart from me.
Or, demain, elle désirerait qu′il y en eût de telles. Il faudrait choisir, ou de cesser de souffrir, ou de cesser d′aimer. Car, ainsi qu′au début il est formé par le désir, l′amour n′est entretenu plus tard que par l′anxiété douloureuse. Je sentais qu′une partie de la vie d′Albertine m′échappait. L′amour, dans l′anxiété douloureuse comme dans le désir heureux, est l′exigence d′un tout. Il ne naît, il ne subsiste que si une partie reste à conquérir. On n′aime que ce qu′on ne possède pas tout entier. Albertine mentait en me disant qu′elle n′irait sans doute pas voir les Verdurin, comme je mentais en disant que je voulais aller chez eux. Elle cherchait seulement à m′empêcher de sortir avec elle, et moi, par l′annonce brusque de ce projet que je ne comptais nullement mettre à exécution, à toucher en elle le point que je devinais le plus sensible, à traquer le désir qu′elle cachait et à la forcer à avouer que ma présence auprès d′elle demain l′empêcherait de le satisfaire. Elle l′avait fait, en somme, en cessant brusquement de vouloir aller chez les Verdurin. Well, on the morrow she was looking forward to some such hours. I must choose, either to cease from suffering, or to cease from loving. For, just as in the beginning it is formed by desire, so afterwards love is kept in existence only by painful anxiety. I felt that part of Albertine′s life was escaping me. Love, in the painful anxiety as in the blissful desire, is the insistence upon a whole. It is born, it survives only if some part remains for it to conquer. We love only what we do not wholly possess. Albertine was lying when she told me that she probably would not go to the Verdurins′, as I was lying when I said that I wished to go there. She was seeking merely to dissuade me from accompanying her, and I, by my abrupt announcement of this plan, which I had no intention of putting into practice, to touch what I felt to be her most sensitive spot, to track down the desire that she was concealing and to force her to admit that my company on the morrow would prevent her from gratifying it. She had virtually made this admission by ceasing at once to wish to go to see the Verdurins.
« Si vous ne voulez pas venir chez les Verdurin, lui dis-je, il y a au Trocadéro une superbe représentation à bénéfice. » Elle écouta mon conseil d′y aller d′un air dolent. Je recommençai à être dur avec elle comme à Balbec, au temps de ma première jalousie. Son visage reflétait une déception, et j′employais à blâmer mon amie les mêmes raisons qui m′avaient été si souvent opposées par mes parents, quand j′étais petit, et qui avaient paru inintelligentes et cruelles à mon enfance incomprise. « Non, malgré votre air triste, disais-je à Albertine, je ne peux pas vous plaindre ; je vous plaindrais si vous étiez malade, s′il vous était arrivé un malheur, si vous aviez perdu un parent ; ce qui ne vous ferait peut-être aucune peine étant donné le gaspillage de fausse sensibilité que vous faites pour rien. D′ailleurs, je n′apprécie pas la sensibilité des gens qui prétendent tant nous aimer sans être capables de nous rendre le plus léger service et que leur pensée, tournée vers nous, laisse si distraits qu′ils oublient d′emporter la lettre que nous leur avons confiée et d′où notre avenir dépend. » “If you don′t want to go to the Verdurins′,” I told her, “there is a splendid charity show at the Trocadéro.” She listened to my urging her to attend it with a sorrowful air. I began to be harsh with her as at Balbec, at the time of my first jealousy. Her face reflected a disappointment, and I employed, to reproach my mistress, the same arguments that had been so often advanced against myself by my parents when I was little, and had appeared unintelligent and cruel to my misunderstood childhood. “No, for all your melancholy air,” I said to Albertine, “I cannot feel any pity for you; I should feel sorry for you if you were ill, if you were in trouble, if you had suffered some bereavement; not that you would mind that in the least, I dare say, since you pour out false sentiment over every trifle. Anyhow, I have no opinion of the feelings of people who pretend to be so fond of us and are quite incapable of doing us the slightest service, and whose minds wander so that they forget to deliver the letter we have entrusted to them, on which our whole future depends.”
Ces paroles — une grande partie de ce que nous disons n′étant qu′une récitation, — je les avais toutes entendu prononcer à ma mère, laquelle m′expliquait volontiers qu′il ne fallait pas confondre la véritable sensibilité, ce que, disait-elle, les Allemands, dont elle admirait beaucoup la langue, malgré l′horreur de mon père pour cette nation, appelaient « Empfindung », et la sensiblerie « Empfindelei ». Elle était allée, une fois que je pleurais, jusqu′à me dire que Néron était peut-être nerveux et n′était pas meilleur pour cela. Au vrai, comme ces plantes qui se dédoublent en poussant, en regard de l′enfant sensitif que j′avais uniquement été, lui faisait face maintenant un homme opposé, plein de bon sens, de sévérité pour la sensibilité maladive des autres, un homme ressemblant à ce que mes parents avaient été pour moi. Sans doute, chacun devant faire continuer en lui la vie des siens, l′homme pondéré et railleur qui n′existait pas en moi au début avait rejoint le sensible, et il était naturel que je fusse à mon tour tel que mes parents avaient été. These words — a great part of what we say being no more than a recitation from memory — I had heard spoken, all of them, by my mother, who was ever ready to explain to me that we ought not to confuse true feeling, what (she said) the Germans, whose language she greatly admired notwithstanding my father′s horror of their nation, called Empfindung, and affectation or Empfindelei. She had gone so far, once when I was in tears, as to tell me that Nero probably suffered from his nerves and was none the better for that. Indeed, like those plants which bifurcate as they grow, side by side with the sensitive boy which was all that I had been, there was now a man of the opposite sort, full of common sense, of severity towards the morbid sensibility of others, a man resembling what my parents had been to me. No doubt, as each of us is obliged to continue in himself the life of his forebears, the balanced, cynical man who did not exist in me at the start had joined forces with the sensitive one, and it was natural that I should become in my turn what my parents had been to me.
De plus, au moment où ce nouveau moi se formait, il trouvait son langage tout prêt dans le souvenir de celui, ironique et grondeur, qu′on m′avait tenu, que j′avais maintenant à tenir aux autres, et qui sortait tout naturellement de ma bouche, soit que je l′évoquasse par mimétisme et association de souvenirs, soit aussi que les délicates et mystérieuses incantations du pouvoir génésique eussent en moi, à mon insu, dessiné comme sur la feuille d′une plante les mêmes intonations, les mêmes gestes, les mêmes attitudes qu′avaient eus ceux dont j′étais sorti. Car quelquefois, en train de faire l′homme sage quand je parlais à Albertine, il me semblait entendre ma grand′mère ; du reste, n′était-il pas arrivé à ma mère (tant d′obscurs courants inconscients infléchissaient en moi jusqu′aux plus petits mouvements de mes doigts eux-mêmes entraînés dans les mêmes cycles que ceux de mes parents) de croire que c′était mon père qui entrait, tant j′avais la même manière de frapper que lui. What is more, at the moment when this new personality took shape in me, he found his language ready made in the memory of the speeches, ironical and scolding, that had been addressed to me, that I must now address to other people, and which came so naturally to my lips, whether I evoked them by mimicry and association of memories, or because the delicate and mysterious enchantments of the reproductive power had traced in me unawares, as upon the leaf of a plant, the same intonations, the same gestures, the same attitudes as had been adopted by the people from whom I sprang. For sometimes, as I was playing the wise counsellor in conversation with Albertine, I seemed to be listening to my grandmother; had it not, moreover, occurred to my mother (so many obscure unconscious currents inflected everything in me down to the tiniest movements of my fingers even, to follow the same cycles as those of my parents) to imagine that it was my father at the door, so similar was my knock to his.
D′autre part, l′accouplement des éléments contraires est la loi de la vie, le principe de la fécondation, et, comme on verra, la cause de bien des malheurs. Habituellement, on déteste ce qui nous est semblable, et nos propres défauts vus du dehors nous exaspèrent. Combien plus encore quand quelqu′un qui a passé l′âge où on les exprime naîµ¥ment et qui, par exemple, s′est fait dans les moments les plus brûlants un visage de glace, exècre-t-il les mêmes défauts, si c′est un autre, plus jeune, ou plus na ou plus sot, qui les exprime ! Il y a des sensibles pour qui la vue dans les yeux des autres des larmes qu′eux-mêmes retiennent est exaspérante. C′est la trop grande ressemblance qui fait que, malgré l′affection, et parfois plus l′affection est grande, la division règne dans les familles. On the other hand the coupling of contrary elements is the law of life, the principle of fertilisation, and, as we shall see, the cause of many disasters. As a general rule, we detest what resembles ourself, and our own faults when observed in another person infuriate us. How much the more does a man who has passed the age at which we instinctively display them, a man who, for instance, has gone through the most burning moments with an icy countenance, execrate those same faults, if it is another man, younger or simpler or stupider, that is displaying them. There are sensitive people to whom merely to see in other people′s eyes the tears which they themselves have repressed is infuriating. It is because the similarity is too great that, in spite of family affection, and sometimes all the more the greater the affection is, families are divided.
Peut-être chez moi, et chez beaucoup, le second homme que j′étais devenu était-il simplement une face du premier, exalté et sensible du côté de soi-même, sage Mentor pour les autres. Peut-être en était-il ainsi chez mes parents selon qu′on les considérait par rapport à moi ou en eux-mêmes. Et pour ma grand′mère et ma mère, il était trop visible que leur sévérité pour moi était voulue par elles, et même leur coûtait, mais peut-être, chez mon père lui-même, la froideur n′était-elle qu′un aspect extérieur de sa sensibilité ? Car c′est peut-être la vérité humaine de ce double aspect : aspect du côté de la vie intérieure, aspect du côté des rapports sociaux, qu′on exprimait dans ces mots, qui me paraissaient autrefois aussi faux dans leur contenu que pleins de banalité dans leur forme, quand on disait en parlant de mon père : « Sous sa froideur glaciale, il cache une sensibilité extraordinaire ; ce qu′il a surtout, c′est la pudeur de sa sensibilité. » Possibly in myself, and in many others, the second man that I had become was simply another aspect of the former man, excitable and sensitive in his own affairs, a sage mentor to other people. Perhaps it was so also with my parents according to whether they were regarded in relation to myself or in themselves. In the case of my grandmother and mother it was as clear as daylight that their severity towards myself was deliberate on their part and indeed cost them a serious effort, but perhaps in my father himself his coldness was but an external aspect of his sensibility. For it was perhaps the human truth of this twofold aspect: the side of private life, the side of social relations, that was expressed in a sentence which seemed to me at the time as false in its matter as it was commonplace in form, when some one remarked, speaking of my father: “Beneath his icy chill, he conceals an extraordinary sensibility; what is really wrong with him is that he is ashamed of his own feelings.”
Ne cachait-il pas, au fond, d′incessants et secrets orages, ce calme au besoin semé de réflexions sentencieuses, d′ironie pour les manifestations maladroites de la sensibilité, et qui était le sien, mais que moi aussi, maintenant, j′affectais vis-à-vis de tout le monde et dont surtout je ne me départais pas dans certaines circonstances vis-à-vis d′Albertine ? Did it not, after all, conceal incessant secret storms, that calm (interspersed if need be with sententious reflexions, irony at the maladroit exhibitions of sensibility) which was his, but which now I too was affecting in my relations with everybody and never laid aside in certain circumstances of my relations with Albertine?
Je crois que vraiment, ce jour-là, j′allais décider notre séparation et partir pour Venise. Ce qui me réenchaîna à ma liaison tint à la Normandie, non qu′elle manifestât quelque intention d′aller dans ce pays où j′avais été jaloux d′elle (car j′avais cette chance que jamais ses projets ne touchaient aux points douloureux de mon souvenir), mais parce qu′ayant dit : « C′est comme si je vous parlais de l′amie de votre tante qui habitait Infreville », elle répondit avec colère, heureuse comme toute personne qui discute et qui veut avoir pour soi le plus d′arguments possible, de me montrer que j′étais dans le faux et elle dans le vrai : « Mais jamais ma tante n′a connu personne à Infreville, et moi-même je n′y suis jamais allée. » I really believe that I came near that day to making up my mind to break with her and to start for Venice. What bound me afresh in my chains had to do with Normandy, not that she shewed any inclination to go to that region where I had been jealous of her (for it was my good fortune that her plans never impinged upon the painful spots in my memory), but because when I had said to her: “It is just as though I were to speak to you of your aunt′s friend who lived at Infreville,” she replied angrily, delighted — like everyone in a discussion, who is anxious to muster as many arguments as possible on his side — to shew me that I was in the wrong and herself in the right: “But my aunt never knew anybody at Infreville, and I have never been near the place.”
Elle avait oublié le mensonge qu′elle m′avait fait un soir sur la dame susceptible chez qui c′était de toute nécessité d′aller prendre le thé, dût-elle en allant voir cette dame perdre mon amitié et se donner la mort. Je ne lui rappelai pas son mensonge. Mais il m′accabla. Et je remis encore à une autre fois la rupture. Il n′y a pas besoin de sincérité, ni même d′adresse, dans le mensonge, pour être aimé. J′appelle ici amour une torture réciproque. Je ne trouvais nullement répréhensible, ce soir, de lui parler comme ma grand′mère, si parfaite, l′avait fait avec moi, ni, pour lui avoir dit que je l′accompagnerais chez les Verdurin, d′avoir adopté la façon brusque de mon père qui ne nous signifiait jamais une décision que de la façon qui pouvait nous causer le maximum d′une agitation en disproportion, à ce degré, avec cette décision elle-même. De sorte qu′il avait beau jeu à nous trouver absurdes de montrer pour si peu de chose une telle désolation, qui, en effet, répondait à la commotion qu′il nous avait donnée. Comme — de même que la sagesse inflexible de ma grand′mère — ces velléités arbitraires de mon père étaient venues chez moi compléter la nature sensible, à laquelle elles étaient restées si longtemps extérieures et que, pendant toute mon enfance, elles avaient fait tant souffrir, cette nature sensible les renseignait fort exactement sur les points qu′elles devaient viser efficacement : il n′y a pas de meilleur indicateur qu′un ancien voleur, ou qu′un sujet de la nation qu′on combat. Dans certaines familles menteuses, un frère venu voir son frère sans raison apparente et lui demandant dans une incidente, sur le pas de la porte, en s′en allant, un renseignement qu′il n′a même pas l′air d′écouter, signifie par cela même à son frère que ce renseignement était le but de sa visite, car le frère connaît bien ces airs détachés, ces mots dits comme entre parenthèses, à la dernière seconde, car il les a souvent employés lui-même. Or il y a aussi des familles pathologiques, des sensibilités apparentées, des tempéraments fraternels, initiés à cette tacite langue qui fait qu′en famille on se comprend sans se parler. Aussi, qui donc peut plus qu′un nerveux être énervant ? Et puis, il y avait peut-être à ma conduite, dans ces cas-là, une cause plus générale, plus profonde. C′est que, dans ces moments brefs, mais inévitables, où l′on déteste quelqu′un qu′on aime — ces moments qui durent parfois toute la vie avec les gens qu′on n′aime pas — on ne veut pas paraître bon pour ne pas être plaint, mais à la fois le plus méchant et le plus heureux possible pour que votre bonheur soit vraiment haî²³able et ulcère l′âme de l′ennemi occasionnel ou durable. Devant combien de gens ne me suis-je pas mensongèrement calomnié, rien que pour que mes « succès » leur parussent immoraux et les fissent plus enrager ! Ce qu′il faudrait, c′est suivre la voie inverse, c′est montrer sans fierté qu′on a de bons sentiments, au lieu de s′en cacher si fort. Et ce serait facile si on savait ne jamais haî°¬ aimer toujours. Car, alors, on serait si heureux de ne dire que les choses qui peuvent rendre heureux les autres, les attendrir, vous en faire aimer ! She had forgotten the lie that she had told me one afternoon about the susceptible lady with whom she simply must take tea, even if by going to visit this lady she were to forfeit my friendship and shorten her own life. I did not remind her of her lie. But it appalled me. And once again I postponed our rupture to another day. A person has no need of sincerity, nor even of skill in lying, in order to be loved. I here give the name of love to a mutual torment. I saw nothing reprehensible this evening in speaking to her as my grandmother — that mirror of perfection — used to speak to me, nor, when I told her that I would escort her to the Verdurins′, in having adopted my father′s abrupt manner, who would never inform us of any decision except in the manner calculated to cause us the maximum of agitation, out of all proportion to the decision itself. So that it was easy for him to call us absurd for appearing so distressed by so small a matter, our distress corresponding in reality to the emotion that he had aroused in us. Since — like the inflexible wisdom of my grandmother — these arbitrary moods of my father had been passed on to myself to complete the sensitive nature to which they had so long remained alien, and, throughout my whole childhood, had caused so much suffering, that sensitive nature informed them very exactly as to the points at which they must take careful aim: there is no better informer than a reformed thief, or a subject of the nation we are fighting. In certain untruthful families, a brother who has come to call upon his brother without any apparent reason and asks him, quite casually, on the doorstep, as he is going away, for some information to which he does not even appear to listen, indicates thereby to his brother that this information was the main object of his visit, for the brother is quite familiar with that air of detachment, those words uttered as though in parentheses and at the last moment, having frequently had recourse to them himself. Well, there are also pathological families, kindred sensibilities, fraternal temperaments, initiated into that mute language which enables people in the family circle to make themselves understood without speaking. And who can be more nerve-wracking than a neurotic? Besides, my conduct, in these cases, may have had a more general, a more profound cause. I mean that in those brief but inevitable moments, when we detest some one whom we love — moments which last sometimes for a whole lifetime in the case of people whom we do not love — we do not wish to appear good, so as not to be pitied, but at once as wicked and as happy as possible so that our happiness may be truly hateful and may ulcerate the soul of the occasional or permanent enemy. To how many people have I not untruthfully slandered myself, simply in order that my ‘successes′ might seem to them immoral and make them all the more angry! The proper thing to do would be to take the opposite course, to shew without arrogance that we have generous feelings, instead of taking such pains to hide them. And it would be easy if we were able never to hate, to love all the time. For then we should be so glad to say only the things that can make other people happy, melt their hearts, make them love us.
Certes, j′avais quelques remords d′être aussi irritant à l′égard d′Albertine, et je me disais : « Si je ne l′aimais pas, elle m′aurait plus de gratitude, car je ne serais pas méchant avec elle ; mais non, cela se compenserait, car je serais aussi moins gentil. » Et j′aurais pu, pour me justifier, lui dire que je l′aimais. Mais l′aveu de cet amour, outre qu′il n′eût rien appris à Albertine, l′eût peut-être plus refroidie à mon égard que les duretés et les fourberies dont l′amour était justement la seule excuse. Être dur et fourbe envers ce qu′on aime est si naturel ! Si l′intérêt que nous témoignons aux autres ne nous empêche pas d′être doux avec eux et complaisants à ce qu′ils désirent, c′est que cet intérêt est mensonger. Autrui nous est indifférent et l′indifférence n′invite pas à la méchanceté. To be sure, I felt some remorse at being so irritating to Albertine, and said to myself: “If I did not love her, she would be more grateful to me, for I should not be nasty to her; but no, it would be the same in the end, for I should also be less nice.” And I might, in order to justify myself, have told her that I loved her. But the confession of that love, apart from the fact that it could not have told Albertine anything new, would perhaps have made her colder to myself than the harshness and deceit for which love was the sole excuse. To be harsh and deceitful to the person whom we love is so natural! If the interest that we shew in other people does not prevent us from being kind to them and complying with their wishes, then our interest is not sincere. A stranger leaves us indifferent, and indifference does not prompt us to unkind actions.
La soirée passait. Avant qu′Albertine allât se coucher, il n′y avait pas grand temps à perdre si nous voulions faire la paix, recommencer à nous embrasser. Aucun de nous deux n′en avait encore pris l′initiative. Sentant qu′elle était, de toute façon, fâchée, j′en profitai pour lui parler d′Esther Lévy. « Bloch m′a dit (ce qui n′était pas vrai) que vous aviez bien connu sa cousine Esther. — Je ne la reconnaîtrais même pas », dit Albertine d′un air vague. « J′ai vu sa photographie », ajoutai-je en colère. Je ne regardais pas Albertine en disant cela, de sorte que je ne vis pas son expression, qui eût été sa seule réponse, car elle ne dit rien. The evening passed. Before Albertine went to bed, there was no time to lose if we wished to make peace, to renew our embraces. Neither of us had yet taken the initiative. Feeling that, anyhow, she was angry with me already, I took advantage of her anger to mention Esther Levy. “Bloch tells me” (this was untrue) “that you are a great friend of his cousin Esther.” “I shouldn′t know her if I saw her,” said Albertine with a vague air. “I have seen her photograph,” I continued angrily. I did not look at Albertine as I said this, so that I did not see her expression, which would have been her sole reply, for she said nothing.
Ce n′était plus l′apaisement du baiser de ma mère à Combray, que j′éprouvais auprès d′Albertine, ces soirs-là, mais, au contraire, l′angoisse de ceux où ma mère me disait à peine bonsoir, ou même ne montait pas dans ma chambre, soit qu′elle fût fâchée contre moi ou retenue par des invités. Cette angoisse — non pas seulement sa transposition dans l′amour — non, cette angoisse elle-même qui s′était un temps spécialisée dans l′amour, qui avait été affectée à lui seul quand le partage, la division des passions s′était opérée, maintenant semblait de nouveau s′étendre à toutes, redevenue indivise de même que dans mon enfance, comme si tous mes sentiments, qui tremblaient de ne pouvoir garder Albertine auprès de mon lit à la fois comme une maîtresse, comme une sœur, comme une fille, comme une mère aussi, du bonsoir quotidien de laquelle je recommençais à éprouver le puéril besoin, avaient commencé de se rassembler, de s′unifier dans le soir prématuré de ma vie, qui semblait devoir être aussi brève qu′un jour d′hiver. Mais si j′éprouvais l′angoisse de mon enfance, le changement de l′être qui me la faisait éprouver, la différence de sentiment qu′il m′inspirait, la transformation même de mon caractère, me rendaient impossible d′en réclamer l′apaisement à Albertine comme autrefois à ma mère. It was no longer the peace of my mother′s kiss at Combray that I felt when I was with Albertine on these evenings, but, on the contrary, the anguish of those on which my mother scarcely bade me good night, or even did not come up at all to my room, whether because she was vexed with me or was kept downstairs by guests. This anguish — not merely its transposition in terms of love — no, this anguish itself which had at one time been specialised in love, which had been allocated to love alone when the division, the distribution of the passions took effect, seemed now to be extending again to them all, become indivisible again as in my childhood, as though all my sentiments which trembled at the thought of my not being able to keep Albertine by my bedside, at once as a mistress, a sister, a daughter; as a mother too, of whose regular good-night kiss I was beginning again to feel the childish need, had begun to coalesce, to unify in the premature evening of my life which seemed fated to be as short as a day in winter. But if I felt the anguish of my childhood, the change of person that made me feel it, the difference of the sentiment that it inspired in me, the very transformation in my character, made it impossible for me to demand the soothing of that anguish from Albertine as in the old days from my mother.
Je ne savais plus dire : je suis triste. Je me bornais, la mort dans l′âme, à parler de choses indifférentes qui ne me faisaient faire aucun progrès vers une solution heureuse. Je piétinais sur place dans de douloureuses banalités. Et avec cet égoî²­e intellectuel qui, pour peu qu′une vérité insignifiante se rapporte à notre amour, nous en fait faire un grand honneur à celui qui l′a trouvée, peut-être aussi fortuitement que la tireuse de cartes qui nous a annoncé un fait banal, mais qui s′est depuis réalisé, je n′étais pas loin de croire Françoise supérieure à Bergotte et à Elstir parce qu′elle m′avait dit, à Balbec : « Cette fille-là ne vous causera que du chagrin. » I could no longer say: “I am unhappy.” I confined myself, with death at my heart, to speaking of unimportant things which afforded me no progress towards a happy solution. I waded knee-deep in painful platitudes. And with that intellectual egoism which, if only some insignificant fact has a bearing upon our love, makes us pay great respect to the person who has discovered it, as fortuitously perhaps as the fortune-teller who has foretold some trivial event which has afterwards come to pass, I came near to regarding Françoise as more inspired than Bergotte and Elstir because she had said to me at Balbec: “That girl will only land you in trouble.”
Chaque minute me rapprochait du bonsoir d′Albertine, qu′elle me disait enfin. Mais, ce soir, son baiser, d′où elle-même était absente et qui ne me rencontrait pas, me laissait si anxieux que, le cœur palpitant, je la regardais aller jusqu′à la porte en pensant : « Si je veux trouver un prétexte pour la rappeler, la retenir, faire la paix, il faut se hâter, elle n′a plus que quelques pas à faire pour être sortie de la chambre, plus que deux, plus qu′un, elle tourne le bouton ; elle ouvre, c′est trop tard, elle a refermé la porte ! » Peut-être pas trop tard, tout de même. Comme jadis à Combray, quand ma mère m′avait quitté sans m′avoir calmé par son baiser, je voulais m′élancer sur les pas d′Albertine, je sentais qu′il n′y aurait plus de paix pour moi avant que je l′eusse revue, que ce revoir allait devenir quelque chose d′immense qu′il n′avait pas encore été jusqu′ici, et que, si je ne réussissais pas tout seul à me débarrasser de cette tristesse, je prendrais peut-être la honteuse habitude d′aller mendier auprès d′Albertine. Je sautais hors du lit quand elle était déjà dans sa chambre, je passais et repassais dans le couloir, espérant qu′elle sortirait et m′appellerait ; je restais immobile devant sa porte pour ne pas risquer de ne pas entendre un faible appel, je rentrais un instant dans ma chambre regarder si mon amie n′aurait pas par bonheur oublié un mouchoir, un sac, quelque chose dont j′aurais pu paraître avoir peur que cela lui manquât et qui m′eût donné le prétexte d′aller chez elle. Non, rien. Je revenais me poster devant sa porte, mais dans la fente de celle-ci il n′y avait plus de lumière. Albertine avait éteint, elle était couchée, je restais là immobile, espérant je ne sais quelle chance qui ne venait pas ; et longtemps après, glacé, je revenais me mettre sous mes couvertures et pleurais tout le reste de la nuit. Every minute brought me nearer to Albertine′s good night, which at length she said. But this evening her kiss, from which she herself was absent, and which did not encounter myself, left me so anxious that, with a throbbing heart, I watched her make her way to the door, thinking: “If I am to find a pretext for calling her back, keeping her here, making peace with her, I must make haste; only a few steps and she will be out of the room, only two, now one, she is turning the handle; she is opening the door, it is too late, she has shut it behind her!” Perhaps it was not too late, all the same. As in the old days at Combray when my mother had left me without soothing me with her kiss, I wanted to dart in pursuit of Albertine, I felt that there would be no peace for me until I had seen her again, that this next meeting was to be something immense which no such meeting had ever yet been, and that — if I did not succeed by my own efforts in ridding myself of this melancholy — I might perhaps acquire the shameful habit of going to beg from Albertine. I sprang out of bed when she was already in her room, I paced up and down the corridor, hoping that she would come out of her room and call me; I stood without breathing outside her door for fear of failing to hear some faint summons, I returned for a moment to my own room to see whether my mistress had not by some lucky chance forgotten her handkerchief, her bag, something which I might have appeared to be afraid of her wanting during the night, and which would have given me an excuse for going to her room. No, there was nothing. I returned to my station outside her door, but the crack beneath it no longer shewed any light. Albertine had put out the light, she was in bed, I remained there motionless, hoping for some lucky accident but none occurred; and long afterwards, frozen, I returned to bestow myself between my own sheets and cried all night long.
Aussi parfois, certains soirs, j′eus recours à une ruse qui me donnait le baiser d′Albertine. Sachant combien, dès qu′elle était étendue, son ensommeillement était rapide (elle le savait aussi, car, instinctivement, dès qu′elle s′étendait, elle ôtait ses mules, que je lui avais données, et sa bague, qu′elle posait à côté d′elle comme elle faisait dans sa chambre avant de se coucher), sachant combien son sommeil était profond, son réveil tendre, je prenais un prétexte pour aller chercher quelque chose, je la faisais étendre sur mon lit. Quand je revenais elle était endormie, et je voyais devant moi cette autre femme qu′elle devenait dès qu′elle était entièrement de face. Mais elle changeait bien vite de personnalité, car je m′allongeais à côté d′elle et la retrouvais de profil. Je pouvais mettre ma main dans sa main, sur son épaule, sur sa joue. Albertine continuait de dormir. But there were certain evenings also when I had recourse to a ruse which won me Albertine′s kiss. Knowing how quickly sleep came to her as soon as she lay down (she knew it also, for, instinctively, before lying down, she would take off her slippers, which I had given her, and her ring which she placed by the bedside, as she did in her own room when she went to bed), knowing how heavy her sleep was, how affectionate her awakening, I would plead the excuse of going to look for something and make her lie down upon my bed. When I returned to the room she was asleep and I saw before me the other woman that she became whenever one saw her full face. But she very soon changed her identity, for I lay down by her side and recaptured her profile. I could place my hand in her hand, on her shoulder, on her cheek. Albertine continued to sleep.
Je pouvais prendre sa tête, la renverser, la poser contre mes lèvres, entourer mon cou de ses bras, elle continuait à dormir comme une montre qui ne s′arrête pas, comme une bête qui continue de vivre, quelque position qu′on lui donne, comme une plante grimpante, un volubilis qui continue de pousser ses branches quelque appui qu′on lui donne. Seul son souffle était modifié par chacun de mes attouchements, comme si elle eût été un instrument dont j′eusse joué et à qui je faisais exécuter des modulations en tirant de l′une, puis de l′autre de ses cordes, des notes différentes. Ma jalousie s′apaisait, car je sentais Albertine devenue un être qui respire, qui n′est pas autre chose, comme le signifiait ce souffle régulier par où s′exprime cette pure fonction physiologique, qui, tout fluide, n′a l′épaisseur ni de la parole, ni du silence ; et dans son ignorance de tout mal, son haleine, tirée plutôt d′un roseau creusé que d′un être humain, était vraiment paradisiaque, était le pur chant des anges pour moi qui, dans ces moments-là, sentais Albertine soustraite à tout, non pas seulement matériellement, mais moralement, Et dans ce souffle pourtant, je me disais tout à coup que peut-être bien des noms humains, apportés par la mémoire, devaient se jouer. Parfois même, à cette musique la voix humaine s′ajoutait. Albertine prononçait quelques mots. Comme j′aurais voulu en saisir le sens ! Il arrivait que le nom d′une personne dont nous avions parlé, et qui excitait ma jalousie vînt à ses lèvres, mais sans me rendre malheureux, car le souvenir qu′il y amenait semblait n′être que celui des conversations qu′elle avait eues à ce sujet avec moi. Pourtant, un soir où, les yeux fermés, elle s′éveillait à demi, elle dit tendrement en s′adressant à moi : « Andrée. » Je dissimulai mon émotion. « Tu rêves, je ne suis pas Andrée », lui dis-je en riant. Elle sourit aussi : « Mais non, je voulais te demander ce que t′avait dit tantôt Andrée. — J′aurais cru plutôt que tu avais été couchée comme cela près d′elle. — Mais non, jamais », me dit-elle. Seulement, avant de me répondre cela, elle avait un instant caché sa figure dans ses mains. Ses silences n′étaient donc que des voiles, ses tendresses de surface ne faisaient donc que retenir au fond mille souvenirs qui m′eussent déchiré, sa vie était donc pleine de ces faits dont le récit moqueur, la rieuse chronique constituent nos bavardages quotidiens au sujet des autres, des indifférents, mais qui, tant qu′un être reste fourvoyé dans notre cœur, nous semblent un éclaircissement si précieux de sa vie que, pour connaître ce monde sous-jacent, nous donnerions volontiers la nôtre. Alors son sommeil m′apparaissait comme un monde merveilleux et magique où par instant s′élève, du fond de l′élément à peine translucide, l′aveu d′un secret qu′on ne comprendra pas. Mais d′ordinaire, quand Albertine dormait, elle semblait avoir retrouvé son innocence. Dans l′attitude que je lui avais donnée, mais que dans son sommeil elle avait vite faite sienne, elle avait l′air de se confier à moi ! Sa figure avait perdu toute expression de ruse ou de vulgarité, et entre elle et moi, vers qui elle levait son bras, sur qui elle reposait sa main, il semblait y avoir un abandon entier, un indissoluble attachement. Son sommeil, d′ailleurs, ne la séparait pas de moi et laissait subsister en elle la notion de notre tendresse ; il avait plutôt pour effet d′abolir le reste ; je l′embrassais, je lui disais que j′allais faire quelques pas dehors, elle entr′ouvrait les yeux, me disait, d′un air étonné — et, en effet, c′était déjà la nuit : — « Mais où vas-tu comme cela, mon chéri ? », en me donnant mon prénom, et aussitôt se rendormait. Son sommeil n′était qu′une sorte d′effacement du reste de la vie, qu′un silence uni sur lequel prenaient de temps à autre leur vol des paroles familières de tendresse. En les rapprochant les unes des autres, on eût composé la conversation sans alliage, l′intimité secrète d′un pur amour. Ce sommeil si calme me ravissait comme ravit une mère, qui lui en fait une qualité, le bon sommeil de son enfant. Et son sommeil était d′un enfant, en effet. Son réveil aussi, et si naturel, si tendre, avant même qu′elle eût su où elle était, que je me demandais parfois avec épouvante si elle avait eu l′habitude, avant de vivre chez moi, de ne pas dormir seule et de trouver en ouvrant les yeux quelqu′un à ses côtés. Mais sa grâce enfantine était plus forte. Comme une mère encore, je m′émerveillais qu′elle s′éveillât toujours de si bonne humeur. Au bout de quelques instants, elle reprenait conscience, avait des mots charmants, non rattachés les uns aux autres, de simples pépiements. Par une sorte de chassé-croisé, son cou habituellement peu remarqué, maintenant presque trop beau, avait pris l′immense importance que ses yeux clos par le sommeil avaient perdue, ses yeux, mes interlocuteurs habituels et à qui je ne pouvais plus m′adresser depuis la retombée des paupières. De même que les yeux clos donnent une beauté innocente et grave au visage, en supprimant tout ce que n′expriment que trop les regards, il y avait dans les paroles, non sans signification, mais entrecoupées de silence, qu′Albertine avait au réveil, une pure beauté, qui n′est pas à tout moment souillée, comme est la conversation, d′habitudes verbales, de rengaines, de traces de défauts. Du reste, quand je m′étais décidé à éveiller Albertine, j′avais pu le faire sans crainte, je savais que son réveil ne serait nullement en rapport avec la soirée que nous venions de passer, mais sortirait de son sommeil comme de la nuit sort le matin. Dès qu′elle avait entr′ouvert les yeux en souriant, elle m′avait tendu sa bouche, et avant qu′elle eût encore rien dit, j′en avais goûté la fraîcheur, apaisante comme celle d′un jardin encore silencieux avant le lever du jour. I might take her head, turn it round, press it to my lips, encircle my neck in her arms, she continued to sleep like a watch that does not stop, like an animal that goes on living whatever position you assign to it, like a climbing plant, a convulvulus which continues to thrust out its tendrils whatever support you give it. Only her breathing was altered by every touch of my fingers, as though she had been an instrument on which I was playing and from which I extracted modulations by drawing from first one, then another of its strings different notes. My jealousy grew calm, for I felt that Albertine had become a creature that breathes, that is nothing else besides, as was indicated by that regular breathing in which is expressed that pure physiological function which, wholly fluid, has not the solidity either of speech or of silence; and, in its ignorance of all evil, her breath, drawn (it seemed) rather from a hollowed reed than from a human being, was truly paradisal, was the pure song of the angels to me who, at these moments, felt Albertine to be withdrawn from everything, not only materially but morally. And yet in that breathing, I said to myself of a sudden that perhaps many names of people borne on the stream of memory must be playing. Sometimes indeed to that music the human voice was added. Albertine uttered a few words. How I longed to catch their meaning! It happened that the name of a person of whom we had been speaking and who had aroused my jealousy came to her lips, but without making me unhappy, for the memory that it brought with it seemed to be only that of the conversations that she had had with me upon the subject. This evening, however, when with her eyes still shut she was half awake, she said, addressing myself: “Andrée.” I concealed my emotion. “You are dreaming, I am not Andrée,” I said to her, smiling. She smiled also. “Of course not, I wanted to ask you what Andrée was saying to you.” “I should have supposed that you were used to lying like this by her side.” “Oh no, never,” she said. Only, before making this reply, she had hidden her face for a moment in her hands. So her silences were merely screens, her surface affection merely kept beneath the surface a thousand memories which would have rent my heart, her life was full of those incidents the derisive account, the comic history of which form our daily gossip at the expense of other people, people who do not matter, but which, so long as a person remains lost in the dark forest of our heart, seem to us so precious a revelation of her life that, for the privilege of exploring that subterranean world, we would gladly sacrifice our own. Then her sleep appeared to me a marvellous and magic world in which at certain moments there rises from the depths of the barely translucent element the confession of a secret which we shall not understand. But as a rule, when Albertine was asleep, she seemed to have recovered her innocence. In the attitude which I had imposed upon her, but which in her sleep she had speedily made her own, she looked as though she were trusting herself to me! Her face had lost any expression of cunning or vulgarity, and between herself and me, towards whom she was raising her arm, upon whom her hand was resting, there seemed to be an absolute surrender, an indissoluble attachment. Her sleep moreover did not separate her from me and allowed her to retain her consciousness of our affection; its effect was rather to abolish everything else; I embraced her, told her that I was going to take a turn outside, she half-opened her eyes, said to me with an air of astonishment — indeed the hour was late: “But where are you off to, my darling —— ” calling me by my Christian name, and at once fell asleep again. Her sleep was only a sort of obliteration of the rest of her life, a continuous silence over which from time to time would pass in their flight words of intimate affection. By putting these words together, you would have arrived at the unalloyed conversation, the secret intimacy of a pure love. This calm slumber delighted me, as a mother is delighted, reckoning it among his virtues, by the sound sleep of her child. And her sleep was indeed that of a child. Her waking also, and so natural, so loving, before she even knew where she was, that I sometimes asked myself with terror whether she had been in the habit, before coming to live with me, of not sleeping by herself but of finding, when she opened her eyes, some one lying by her side. But her childish charm was more striking. Like a mother again, I marvelled that she should always awake in so good a humour. After a few moments she recovered consciousness, uttered charming words, unconnected with one another, mere bird-pipings. By a sort of ‘general post′ her throat, which as a rule passed unnoticed, now almost startlingly beautiful, had acquired the immense importance which her eyes, by being closed in sleep, had forfeited, her eyes, my regular informants to which I could no longer address myself after the lids had closed over them. Just as the closed lids impart an innocent, grave beauty to the face by suppressing all that the eyes express only too plainly, there was in the words, not devoid of meaning, but interrupted by moments of silence, which Albertine uttered as she awoke, a pure beauty that is not at every moment polluted, as is conversation, by habits of speech, commonplaces, traces of blemish. Anyhow, when I had decided to wake Albertine, I had been able to do so without fear, I knew that her awakening would bear no relation to the evening that we had passed together, but would emerge from her sleep as morning emerges from night. As soon as she had begun to open her eyes with a smile, she had offered me her lips, and before she had even uttered a word, I had tasted their fresh savour, as soothing as that of a garden still silent before the break of day.
Le lendemain de cette soirée où Albertine m′avait dit qu′elle irait peut-être, puis qu′elle n′irait pas chez les Verdurin, je m′éveillai de bonne heure, et, encore à demi endormi, ma joie m′apprit qu′il y avait, interpolé dans l′hiver, un jour de printemps. Dehors, des thèmes populaires finement écrits pour des instruments variés, depuis la corne du raccommodeur de porcelaine, ou la trompette du rempailleur de chaises, jusqu′à la flûte du chevrier, qui paraissait dans un beau jour être un pâtre de Sicile, orchestraient légèrement l′air matinal, en une « ouverture pour un jour de fête ». L′ou ce sens délicieux, nous apporte la compagnie de la rue, dont elle nous retrace toutes les lignes, dessine toutes les formes qui y passent, nous en montrant la couleur. Les rideaux de fer du boulanger, du crémier, lesquels s′étaient hier abaissés le soir sur toutes les possibilités de bonheur féminin, se levaient maintenant comme les légères poulies d′un navire qui appareille et va filer, traversant la mer transparente, sur un rêve de jeunes employées. Ce bruit du rideau de fer qu′on lève eût peut-être été mon seul plaisir dans un quartier différent. Dans celui-ci cent autres faisaient ma joie, desquels je n′aurais pas voulu perdre un seul en restant trop tard endormi. C′est l′enchantement des vieux quartiers aristocratiques d′être, à côté de cela, populaires. Comme parfois les cathédrales en eurent non loin de leur portail (à qui il arriva même d′en garder le nom, comme celui de la cathédrale de Rouen, appelé des « Libraires », parce que contre lui ceux-ci exposaient en plein vent leur marchandise) divers petits métiers, mais ambulants, passaient devant le noble hôtel de Guermantes, et faisaient penser par moments à la France ecclésiastique d′autrefois. Car l′appel qu′ils lançaient aux petites maisons voisines n′avait, à de rares exceptions près, rien d′une chanson. Il en différait autant que la déclamation — à peine colorée par des variations insensibles — de Boris Godounow et de Pelléas ; mais d′autre part rappelait la psalmodie d′un prêtre au cours d′offices dont ces scènes de la rue ne sont que la contre-partie bon enfant, foraine, et pourtant à demi liturgique. Jamais je n′y avais pris tant de plaisir que depuis qu′Albertine habitait avec moi ; elles me semblaient comme un signal joyeux de son éveil et, en m′intéressant à la vie du dehors, me faisaient mieux sentir l′apaisante vertu d′une chère présence, aussi constante que je la souhaitais. Certaines des nourritures criées dans la rue, et que personnellement je détestais, étaient fort au goût d′Albertine, si bien que Françoise en envoyait acheter par son jeune valet, peut-être un peu humilié d′être confondu dans la foule plébéienne. Bien distincts dans ce quartier si tranquille (où les bruits n′étaient plus un motif de tristesse pour Françoise et en étaient devenus un de douceur pour moi) m′arrivaient, chacun avec sa modulation différente, des récitatifs déclamés par ces gens du peuple comme ils le seraient dans la musique, si populaire, de Boris, où une intonation initiale est à peine altérée par l′inflexion d′une note qui se penche sur une autre, musique de la foule, qui est plutôt un langage qu′une musique. C′était : « ah le bigorneau, deux sous le bigorneau », qui faisait se précipiter vers les cornets où on vendait ces affreux petits coquillages, qui, s′il n′y avait pas eu Albertine, m′eussent répugné, non moins d′ailleurs que les escargots que j′entendais vendre à la même heure. Ici c′était bien encore à la déclamation à peine lyrique de Moussorgsky que faisait penser le marchand, mais pas à elle seulement. Car après avoir presque « parlé » : « les escargots, ils sont frais, ils sont beaux », c′était avec la tristesse et le vague de Maeterlinck, musicalement transposés par Debussy, que le marchand d′escargots, dans un de ces douloureux finales par où l′auteur de Pelléas s′apparente à Rameau : « Si je dois être vaincue, est-ce à toi d′être mon vainqueur ? » ajoutait avec une chantante mélancolie : « On les vend six sous la douzaineÂ… » On the morrow of that evening when Albertine had told me that she would perhaps be going, then that she would not be going to see the Verdurins, I awoke early, and, while I was still half asleep, my joy informed me that there was, interpolated in the winter, a day of spring. Outside, popular themes skilfully transposed for various instruments, from the horn of the mender of porcelain, or the trumpet of the chair weaver, to the flute of the goat driver who seemed, on a fine morning, to be a Sicilian goatherd, were lightly orchestrating the matutinal air, with an ‘Overture for a Public Holiday.′ Our hearing, that delicious sense, brings us the company of the street, every line of which it traces for us, sketches all the figures that pass along it, shewing us their colours. The iron shutters of the baker′s shop, of the dairy, which had been lowered last night over every possibility of feminine bliss, were rising now like the canvas of a ship which is setting sail and about to proceed, crossing the transparent sea, over a vision of young female assistants. This sound of the iron curtain being raised would perhaps have been my sole pleasure in a different part of the town. In this quarter a hundred other sounds contributed to my joy, of which I would not have lost a single one by remaining too long asleep. It is the magic charm of the old aristocratic quarters that they are at the same time plebeian. Just as, sometimes, cathedrals used to have them within a stone′s throw of their porches (which have even preserved the name, like the porch of Rouen styled the Booksellers′, because these latter used to expose their merchandise in the open air against its walls), so various minor trades, but peripatetic, used to pass in front of the noble Hôtel de Guermantes, and made one think at times of the ecclesiastical France of long ago. For the appeal which they launched at the little houses on either side had, with rare exceptions, nothing of a song. It differed from song as much as the declamation — barely coloured by imperceptible modulations — of Boris Godounov and Pelléas; but on the other hand recalled the psalmody of a priest chanting his office of which these street scenes are but the good-humoured, secular, and yet half liturgical counterpart. Never had I so delighted in them as since Albertine had come to live with me; they seemed to me a joyous signal of her awakening, and by interesting me in the life of the world outside made me all the more conscious of the soothing virtue of a beloved presence, as constant as I could wish. Several of the foodstuffs cried in the street, which personally I detested, were greatly to Albertine′s liking, so much so that Françoise used to send her young footman out to buy them, slightly humiliated perhaps at finding himself mingled with the plebeian crowd. Very distinct in this peaceful quarter (where the noise was no longer a cause of lamentation to Françoise and had become a source of pleasure to myself), there came to me, each with its different modulation, recitatives declaimed by those humble folk as they would be in the music — so entirely popular — of Boris, where an initial intonation is barely altered by the inflexion of one note which rests upon another, the music of the crowd which is more a language than a music. It was “ah! le bigorneau, deux sous le bigorneau,” which brought people running to the cornets in which were sold those horrid little shellfish, which, if Albertine had not been there, would have disgusted me, just as the snails disgusted me which I heard cried for sale at the same hour. Here again it was of the barely lyrical declamation of Moussorgsky that the vendor reminded me, but not of it alone. For after having almost ‘spoken′: “Les escargots, ils sont frais, ils sont beaux,” it was with the vague melancholy of Maeterlinck, transposed into music by Debussy, that the snail vendor, in one of those pathetic finales in which the composer of Pelléas shews his kinship with Rameau: “If vanquished I must be, is it for thee to be my vanquisher?” added with a singsong melancholy: “On les vend six sous la douzaine. . . . ”
Il m′a toujours été difficile de comprendre pourquoi ces mots fort clairs étaient soupirés sur un ton si peu approprié, mystérieux, comme le secret qui fait que tout le monde a l′air triste dans le vieux palais où Mélisande n′a pas réussi à apporter la joie, et profond comme une pensée du vieillard Arkel qui cherche à proférer, dans des mots très simples, toute la sagesse et la destinée. Les notes mêmes sur lesquelles s′élève, avec une douceur grandissante, la voix du vieux roi d′Allemonde ou de Goland, pour dire : « On ne sait pas ce qu′il y a ici, cela peut paraître étrange, il n′y a peut-être pas d′événements inutiles », ou bien : « Il ne faut pas s′effrayer, c′était un pauvre petit être mystérieux, comme tout le monde », étaient celles qui servaient au marchand d′escargots pour reprendre, en une cantilène indéfinie : « On les vend six sous la douzaineÂ… » Mais cette lamentation métaphysique n′avait pas le temps d′expirer au bord de l′infini, elle était interrompue par une vive trompette. Cette fois il ne s′agissait pas de mangeailles, les paroles du libretto étaient : « Tond les chiens, coupe les chats, les queues et les oreilles. » I have always found it difficult to understand why these perfectly simple words were sighed in a tone so far from appropriate, mysterious, like the secret which makes everyone look sad in the old palace to which Mélisande has not succeeded in bringing joy, and profound as one of the thoughts of the aged Arkel who seeks to utter, in the simplest words, the whole lore of wisdom and destiny. The very notes upon which rises with an increasing sweetness the voice of the old King of Allemonde or that of Goland, to say: “We know not what is happening here, it may seem strange, maybe nought that happens is in vain,” or else: “No cause here for alarm, ′twas a poor little mysterious creature, like all the world,” were those which served the snail vendor to resume, in an endless cadenza: “On les vend six sous la douzaine. . . . ” But this metaphysical lamentation had not time to expire upon the shore of the infinite, it was interrupted by a shrill trumpet. This time, it was no question of victuals, the words of the libretto were: “Tond les chiens, coupe les chats, les queues et les oreilles.”
Certes, la fantaisie, l′esprit de chaque marchand ou marchande, introduisaient souvent des variantes dans les paroles de toutes ces musiques que j′entendais de mon lit. Pourtant un arrêt rituel mettant un silence au milieu d′un mot, surtout quand il était répété deux fois, évoquait constamment le souvenir des vieilles églises. Dans sa petite voiture conduite par une ânesse, qu′il arrêtait devant chaque maison pour entrer dans les cours, le marchand d′habits, portant un fouet, psalmodiait : « Habits, marchand d′habits, haÂ… bits » avec la même pause entre les deux dernières syllabes d′habits que s′il eût entonné en plain-chant : « Per omnia saecula saeculoÂ… rum » ou : « Requiescat in paÂ… ce », bien qu′il ne dût pas croire à l′éternité de ses habits et ne les offrît pas non plus comme linceuls pour le suprême repos dans la paix. Et de même, comme les motifs commençaient à s′entre-croiser dès cette heure matinale, une marchande de quatre-saisons, poussant sa voiturette, usait pour sa litanie de la division grégorienne : It was true that the fantasy, the spirit of each vendor or vendress frequently introduced variations into the words of all these chants that I used to hear from my bed. And yet a ritual suspension interposing a silence in the middle of a word, especially when it was repeated a second time, constantly reminded me of some old church. In his little cart drawn by a she-ass which he stopped in front of each house before entering the courtyard, the old-clothes man, brandishing a whip, intoned: “Habits, marchand d′habits, ha . . . bits“ with the same pause between the final syllables as if he had been intoning in plain chant: “Per omnia saecula saeculo . . . rum“ or “requiescat in pa . . . ce“ albeit he had no reason to believe in the immortality of his clothes, nor did he offer them as cerements for the supreme repose in peace. And similarly, as the motives were beginning, even at this early hour, to become confused, a vegetable woman, pushing her little hand-cart, was using for her litany the Gregorian division:
À la tendresse, à la verduresse
Artichauts tendres et beaux
ArtiÂ… chauts,
bien qu′elle fût vraisemblablement ignorante de l′antiphonaire et des sept tons qui symbolisent, quatre les sciences du quadrivium et trois celles du trivium.
A la tendresse, à la verduresse,
Artichauts tendres et beaux,
Arti . . . chauts,
although she had probably never heard of the antiphonal, or of the seven tones that symbolise four the sciences of the quadrivium and three those of the trivium.
Tirant d′un flûtiau, d′une cornemuse, des airs de son pays méridional dont la lumière s′accordait bien avec les beaux jours, un homme en blouse, tenant à la main un nerf de bœuf et coiffé d′un béret basque, s′arrêtait devant les maisons. C′était le chevrier avec deux chiens et, devant lui, son troupeau de chèvres. Comme il venait de loin il passait assez tard dans notre quartier ; et les femmes accouraient avec un bol pour recueillir le lait qui devait donner la force à leurs petits. Mais aux airs pyrénéens de ce bienfaisant pasteur se mêlait déjà la cloche du repasseur, lequel criait : « Couteaux, ciseaux, rasoirs. » Avec lui ne pouvait lutter le repasseur de scies, car, dépourvu d′instrument, il se contentait d′appeler : « Avez-vous des scies à repasser, v′là le repasseur », tandis que, plus gai, le rétameur, après avoir énuméré les chaudrons, les casseroles, tout ce qu′il étamait, entonnait le refrain : Drawing from a penny whistle, from a bagpipe, airs of his own southern country whose sunlight harmonised well with these fine days, a man in a blouse, wielding a bull′s pizzle in his hand and wearing a basque béret on his head, stopped before each house in turn. It was the goatherd with two dogs driving before him his string of goats. As he came from a distance, he arrived fairly late in our quarter; and the women came running out with bowls to receive the milk that was to give strength to their little ones. But with the Pyrenean airs of this good shepherd was now blended the bell of the grinder, who cried: “Couteaux, ciseaux, rasoirs.” With him the saw-setter was unable to compete, for, lacking an instrument, he had to be content with calling: “Avez-vous des scies à repasser, v′ià le repasseur,” while in a gayer mood the tinker, after enumerating the pots, pans and everything else that he repaired, intoned the refrain:
« Tam, tam, tam, c′est moi qui rétame, même le macadam, c′est moi qui mets des fonds partout, qui bouche tous les trous, trou, trou, trou » ;
et de petits Italiens, portant de grandes boîtes de fer peintes en rouge où les numéros — perdants et gagnants — étaient marqués, et jouant d′une crécelle, proposaient : « Amusez-vous, mesdames, v′là le plaisir. »
Tam, tam, tam,
C′est moi qui rétame
Même le macadam,
C′est moi qui mets des fonds partout,
Qui bouche tous les trous, trou, trou;
and young Italians carrying big iron boxes painted red, upon which the numbers — winning and losing — were marked, and springing their rattles, gave the invitation: “Amusez-vous, mesdames, v′là le plaisir.”
Françoise m′apporta le Figaro. Un seul coup d′œil me permit de me rendre compte que mon article n′avait toujours pas passé. Elle me dit qu′Albertine demandait si elle ne pouvait pas entrer chez moi et me faisait dire qu′en tous cas elle avait renoncé à faire sa visite chez les Verdurin et comptait aller, comme je le lui avais conseillé, à la matinée « extraordinaire » du Trocadéro — ce qu′on appellerait aujourd′hui, en bien moins important toutefois, une matinée de gala — après une petite promenade à cheval qu′elle devait faire avec Andrée. Maintenant que je savais qu′elle avait renoncé à son désir, peut-être mauvais, d′aller voir Mme Verdurin, je dis en riant : « Qu′elle vienne », et je me dis qu′elle pouvait aller où elle voulait et que cela m′était bien égal. Je savais qu′à la fin de l′après-midi, quand viendrait le crépuscule, je serais sans doute un autre homme triste, attachant aux moindres allées et venues d′Albertine une importance qu′elles n′avaient pas à cette heure matinale et quand il faisait si beau temps. Car mon insouciance était suivie par la claire notion de sa cause, mais n′en était pas altérée. « Françoise m′a assuré que vous étiez éveillé et que je ne vous dérangerais pas », me dit Albertine en entrant. Et, comme avec celle de me faire froid en ouvrant sa fenêtre à un moment mal choisi, la plus grande peur d′Albertine était d′entrer chez moi quand je sommeillais : « J′espère que je n′ai pas eu tort, ajouta-t-elle. Je craignais que vous ne me disiez : « Quel mortel insolent vient chercher le trépas ? » Et elle rit de ce rire qui me troublait tant. Je lui répondis sur le même ton de plaisanterie : « Est-ce pour vous qu′est fait cet ordre si sévère ? » Et de peur qu′elle l′enfreignît jamais j′ajoutai : « Quoique je serais furieux que vous me réveilliez. — Je sais, je sais, n′ayez pas peur », me dit Albertine. Et pour adoucir j′ajoutai, en continuant à jouer avec elle la scène d′Esther, tandis que dans la rue continuaient les cris rendus tout à fait confus par notre conversation : « Je ne trouve qu′en vous je ne sais quelle grâce qui me charme toujours et jamais ne me lasse » (et à part moi je pensais : « si, elle me lasse bien souvent »). Et me rappelant ce qu′elle avait dit la veille, tout en la remerciant avec exagération d′avoir renoncé aux Verdurin, afin qu′une autre fois elle m′obéît de même pour telle ou telle chose, je dis : « Albertine, vous vous méfiez de moi qui vous aime et vous avez confiance en des gens qui ne vous aiment pas » (comme s′il n′était pas naturel de se méfier des gens qui vous aiment et qui seuls ont intérêt à vous mentir pour savoir, pour empêcher), et j′ajoutai ces paroles mensongères : « Vous ne croyez pas au fond que je vous aime, c′est drôle. En effet je ne vous adore pas. » Elle mentit à son tour en disant qu′elle ne se fiait qu′à moi, et fut sincère ensuite en assurant qu′elle savait bien que je l′aimais. Mais cette affirmation ne semblait pas impliquer qu′elle ne me crût pas menteur et l′épiant. Et elle semblait me pardonner, comme si elle eût vu là la conséquence insupportable d′un grand amour ou comme si elle-même se fût trouvée moins bonne. « Je vous en prie, ma petite chérie, pas de haute voltige comme vous avez fait l′autre jour. Pensez, Albertine, s′il vous arrivait un accident ! » Je ne lui souhaitais naturellement aucun mal. Mais quel plaisir si, avec ses chevaux, elle avait eu la bonne idée de partir je ne sais où, où elle se serait plu, et de ne plus jamais revenir à la maison. Comme cela eût tout simplifié qu′elle allât vivre heureuse ailleurs, je ne tenais même pas à savoir où. « Oh ! je sais bien que vous ne me survivriez pas quarante-huit heures, que vous vous tueriez. » Françoise brought in the Figaro. A glance was sufficient to shew me that my article had not yet appeared. She told me that Albertine had asked whether she might come to my room and sent word that she had quite given up the idea of calling upon the Verdurins, and had decided to go, as I had advised her, to the ‘special′ matinée at the Trocadéro — what nowadays would be called, though with considerably less significance, a ‘gala′ matinée — after a short ride which she had promised to take with Andrée. Now that I knew that she had renounced her desire, possibly evil, to go and see Mme. Verdurin, I said with a laugh: “Tell her to come in,” and told myself that she might go where she chose and that it was all the same to me. I knew that by the end of the afternoon, when dusk began to fall, I should probably be a different man, moping, attaching to every one of Albertine′s movements an importance that they did not possess at this morning hour when the weather was so fine. For my indifference was accompanied by a clear notion of its cause, but was in no way modified by it. “Françoise assured me that you were awake and that I should not be disturbing you,” said Albertine as she entered the room. And since next to making me catch cold by opening the window at the wrong moment, what Albertine most dreaded was to come into my room when I was asleep: “I hope I have not done anything wrong,” she went on. “I was afraid you would say to me: What insolent mortal comes here to meet his doom?” and she laughed that laugh which I always found so disturbing. I replied in the same vein of pleasantry: “Was it for you this stern decree was made?”— and, lest she should ever venture to break it, added: “Although I should be furious if you did wake me.” “I know, I know, don′t be frightened,” said Albertine. And, to relieve the situation, I went on, still enacting the scene from Esther with her, while in the street below the cries continued, drowned by our conversation: “I find in you alone a certain grace that charms me and of which I never tire” (and to myself I thought: “yes, she does tire me very often”). And remembering what she had said to me overnight, as I thanked her extravagantly for having given up the Verdurins, so that another time she would obey me similarly with regard to something else, I said: “Albertine, you distrust me who love you and you place your trust in other people who do not love you” (as though it were not natural to distrust the people who love us and who alone have an interest in lying to us in order to find out things, to hinder us), and added these lying words: “You don′t really believe that I love you, which is amusing. As a matter of fact, I don′t adore you.” She lied in her turn when she told me that she trusted nobody but myself and then became sincere when she assured me that she knew very well that I loved her. But this affirmation did not seem to imply that she did not believe me to be a liar and a spy. And she seemed to pardon me as though she had seen these defects to be the agonising consequence of a strong passion or as though she herself had felt herself to be less good. “I beg of you, my dearest girl, no more of that haute voltige you were practising the other day. Just think, Albertine, if you were to meet with an accident!” Of course I did not wish her any harm. But what a pleasure it would be if, with her horses, she should take it into her head to ride off somewhere, wherever she chose, and never to return again to my house. How it would simplify everything, that she should go and live happily somewhere else, I did not even wish to know where. “Oh! I know you wouldn′t survive me for more than a day; you would commit suicide.”
Ainsi échangeâmes-nous des paroles menteuses. Mais une vérité plus profonde que celle que nous dirions si nous étions sincères peut quelquefois être exprimée et annoncée par une autre voie que celle de la sincérité. « Cela ne vous gêne pas, tous ces bruits du dehors ? me demanda-t-elle, moi je les adore. Mais vous qui avez déjà le sommeil si léger ! » Je l′avais, au contraire, parfois très profond (comme je l′ai déjà dit, mais comme l′événement qui va suivre me force à le rappeler), et surtout quand je m′endormais seulement le matin. Comme un tel sommeil a été — en moyenne — quatre fois plus reposant, il paraît à celui qui vient de dormir avoir été quatre fois plus long, alors qu′il fut quatre fois plus court. Magnifique erreur d′une multiplication par seize, qui donne tant de beauté au réveil et introduit dans la vie une véritable novation, pareille à ces grands changements de rythmes qui en musique font que, dans un andante, une croche contient autant de durée qu′une blanche dans un prestissimo, et qui sont inconnus à l′état de veille. La vie y est presque toujours la même, d′où les déceptions du voyage. Il semble bien que le rêve soit fait, pourtant, avec la matière la plus grossière de la vie, mais cette matière y est traitée, malaxée de telle sorte, avec un étirement dû à ce qu′aucune des limites horaires de l′état de veille ne l′empêche de s′effiler jusqu′à des hauteurs énormes, qu′on ne la reconnaît pas. Les matins où cette fortune m′était advenue, où le coup d′éponge du sommeil avait effacé de mon cerveau les signes des occupations quotidiennes qui y sont tracés comme sur un tableau noir, il me fallait faire revivre ma mémoire ; à force de volonté on peut rapprendre ce que l′amnésie du sommeil ou d′une attaque a fait oublier et qui renaît peu à peu au fur et à mesure que les yeux s′ouvrent ou que la paralysie disparaît. J′avais vécu tant d′heures en quelques minutes que, voulant tenir à Françoise que j′appelais un langage conforme à la réalité et réglé sur l′heure, j′étais obligé d′user de tout mon pouvoir interne de compression pour ne pas dire : « Eh bien Françoise, nous voici à cinq heures du soir et je ne vous ai pas vue depuis hier après-midi. » Et pour refouler mes rêves, en contradiction avec eux et en me mentant à moi-même, je disais effrontément, et en me réduisant de toutes mes forces au silence, des paroles contraires : « Françoise il est bien dix heures ! » Je ne disais même pas dix heures du matin, mais simplement dix heures, pour que ces « dix heures » si incroyables eussent l′air prononcées d′un ton plus naturel. Pourtant dire ces paroles, au lieu de celles que continuait à penser le dormeur à peine éveillé que j′étais encore, me demandait le même effort d′équilibre qu′à quelqu′un qui, sautant d′un train en marche et courant un instant le long de la voie, réussit pourtant à ne pas tomber. Il court un instant parce que le milieu qu′il quitte était un milieu animé d′une grande vitesse, et très dissemblable du sol inerte auquel ses pieds ont quelque difficulté à se faire. So we exchanged lying speeches. But a truth more profound than that which we would utter were we sincere may sometimes be expressed and announced by another channel than that of sincerity. “You don′t mind all that noise outside,” she asked me; “I love it. But you′re such a light sleeper anyhow.” I was on the contrary an extremely heavy sleeper (as I have already said, but I am obliged to repeat it in view of what follows), especially when I did not begin to sleep until the morning. As this kind of sleep is — on an average — four times as refreshing, it seems to the awakened sleeper to have lasted four times as long, when it has really been four times as short. A splendid, sixteenfold error in multiplication which gives so much beauty to our awakening and makes life begin again on a different scale, like those great changes of rhythm which, in music, mean that in an andante a quaver has the same duration as a minim in a prestissimo, and which are unknown in our waking state. There life is almost always the same, whence the disappointments of travel. It may seem indeed that our dreams are composed of the coarsest stuff of life, but that stuff is treated, kneaded so thoroughly, with a protraction due to the fact that none of the temporal limitations of the waking state is there to prevent it from spinning itself out to heights so vast that we fail to recognise it. On the mornings after this good fortune had befallen me, after the sponge of sleep had obliterated from my brain the signs of everyday occupations that are traced upon it as upon a blackboard, I was obliged to bring my memory back to life; by the exercise of our will we can recapture what the amnesia of sleep or of a stroke has made us forget, what gradually returns to us as our eyes open or our paralysis disappears. I had lived through so many hours in a few minutes that, wishing to address Françoise, for whom I had rung, in language that corresponded to the facts of real life and was regulated by the clock, I was obliged to exert all my power of internal repression in order not to say: “Well, Françoise, here we are at five o′clock in the evening and I haven′t set eyes on you since yesterday afternoon.” And seeking to dispel my dreams, giving them the lie and lying to myself as well, I said boldly, compelling myself with all my might to silence, the direct opposite: “Françoise, it must be at least ten!” I did not even say ten o′clock in the morning, but simply ten, so that this incredible hour might appear to be uttered in a more natural tone. And yet to say these words, instead of those that continued to run in the mind of the half-awakened sleeper that I still was, demanded the same effort of equilibrium that a man requires when he jumps out of a moving train and runs for some yards along the platform, if he is to avoid falling. He runs for a moment because the environment that he has just left was one animated by great velocity, and utterly unlike the inert soil upon which his feet find it difficult to keep their balance.
De ce que le monde du rêve n′est pas le monde de la veille, il ne s′ensuit pas que le monde de la veille soit moins vrai ; au contraire. Dans le monde du sommeil, nos perceptions sont tellement surchargées, chacune épaissie par une superposée qui la double, l′aveugle inutilement, que nous ne savons même pas distinguer ce qui se passe dans l′étourdissement du réveil : était-ce Françoise qui était venue, ou moi qui, las de l′appeler, allais vers elle ? Le silence à ce moment-là était le seul moyen de ne rien révéler, comme au moment où l′on est arrêté par un juge instruit de circonstances vous concernant, mais dans la confidence desquelles on n′a pas été mis. Était-ce Françoise qui était venue, était-ce moi qui avais appelé ? N′était-ce même pas Françoise qui dormait, et moi qui venais de l′éveiller ? bien plus, Françoise n′était-elle pas enfermée dans ma poitrine, la distinction des personnes et leur interaction existant à peine dans cette brune obscurité où la réalité est aussi peu translucide que dans le corps d′un porc-épic et où la perception quasi nulle peut peut-être donner l′idée de celle de certains animaux ? Au reste, même dans la limpide folie qui précède ces sommeils plus lourds, si des fragments de sagesse flottent lumineusement, si les noms de Taine, de George Eliot n′y sont pas ignorés, il n′en reste pas moins au monde de la veille cette supériorité d′être, chaque matin, possible à continuer, et non chaque soir le rêve. Mais il est peut-être d′autres mondes plus réels que celui de la veille. Encore avons-nous vu que, même celui-là, chaque révolution dans les arts le transforme, et bien plus, dans le même temps, le degré d′aptitude ou de culture qui différencie un artiste d′un sot ignorant. Because the dream world is not the waking world, it does not follow that the waking world is less genuine, far from it. In the world of sleep, our perceptions are so overcharged, each of them increased by a counterpart which doubles its bulk and blinds it to no purpose, that we are not able even to distinguish what is happening in the bewilderment of awakening; was it Françoise that had come to me, or I that, tired of waiting, went to her? Silence at that moment was the only way not to reveal anything, as at the moment when we are brought before a magistrate cognisant of all the charges against us, when we have not been informed of them ourselves. Was it Françoise that had come, was it I that had summoned her? Was it not, indeed, Françoise that had been asleep and I that had just awoken her; nay more, was not Françoise enclosed in my breast, for the distinction between persons and their reaction upon one another barely exists in that murky obscurity in which reality is as little translucent as in the body of a porcupine, and our all but non-existent perception may perhaps furnish an idea of the perception of certain animals. Besides, in the limpid state of unreason that precedes these heavy slumbers, if fragments of wisdom float there luminously, if the names of Taine and George Eliot are not unknown, the waking life does still retain the superiority, inasmuch as it is possible to continue it every morning, whereas it is not possible to continue the dream life every night. But are there perhaps other worlds more real than the waking world? Even if we have seen transformed by every revolution in the arts, and still more, at the same time, by the degree of proficiency and culture that distinguishes an artist from an ignorant fool.
Et souvent une heure de sommeil de trop est une attaque de paralysie après laquelle il faut retrouver l′usage de ses membres, apprendre à parler. La volonté n′y réussirait pas. On a trop dormi, on n′est plus. Le réveil est à peine senti mécaniquement, et sans conscience, comme peut l′être dans un tuyau la fermeture d′un robinet. Une vie plus inanimée que celle de la méduse succède, où l′on croirait aussi bien qu′on est tiré du fond des mers ou revenu du bagne, si seulement l′on pouvait penser quelque chose. Mais alors, du haut du ciel la déesse Mnémotechnie se penche et nous tend sous la forme : « habitude de demander son café au lait » l′espoir de la résurrection. Encore le don subit de la mémoire n′est-il pas toujours aussi simple. On a souvent près de soi, dans ces premières minutes où l′on se laisse glisser au réveil, une variété de réalités diverses où l′on croit pouvoir choisir comme dans un jeu de cartes. And often an extra hour of sleep is a paralytic stroke after which we must recover the use of our limbs, learn to speak. Our will would not be adequate for this task. We have slept too long, we no longer exist. Our waking is barely felt, mechanically and without consciousness, as a water pipe might feel the turning off of a tap. A life more inanimate than that of the jellyfish follows, in which we could equally well believe that we had been drawn up from the depths of the sea or released from prison, were we but capable of thinking anything at all. But then from the highest heaven the goddess Mnemotechnia bends down and holds out to us in the formula ‘the habit of ringing for our coffee′ the hope of resurrection. However, the instantaneous gift of memory is not always so simple. Often we have before us, in those first minutes in which we allow ourself to slip into the waking state, a truth composed of different realities among which we imagine that we can choose, as among a pack of cards.
C′est vendredi matin et on rentre de promenade, ou bien c′est l′heure du thé au bord de la mer. L′idée du sommeil et qu′on est couché en chemise de nuit est souvent la dernière qui se présente à vous. It is Friday morning and we have just returned from our walk, or else it is teatime by the sea. The idea of sleep and that we are lying in bed and in our nightshirt is often the last that occurs to us.
La résurrection ne vient pas tout de suite ; on croit avoir sonné, on ne l′a pas fait, on agite des propos déments. Le mouvement seul rend la pensée, et quand on a effectivement pressé la poire électrique, on peut dire avec lenteur mais nettement : « Il est bien dix heures, Françoise, donnez-moi mon café au lait. » Ô miracle ! Françoise n′avait pu soupçonner la mer d′irréel qui me baignait encore tout entier et à travers laquelle j′avais eu l′énergie de faire passer mon étrange question. Elle me répondait en effet : « Il est dix heures dix. » Ce qui me donnait une apparence raisonnable et me permettait de ne pas laisser apercevoir les conversations bizarres qui m′avaient interminablement bercé, les jours où ce n′était pas une montagne de néant qui m′avait retiré la vie. À force de volonté, je m′étais réintégré dans le réel. Je jouissais encore des débris du sommeil, c′est-à-dire de la seule invention, du seul renouvellement qui existe dans la manière de conter, toutes les narrations à l′état de veille, fussent-elles embellies par la littérature, ne comportant pas ces mystérieuses différences d′où dérive la beauté. Il est aisé de parler de celle que crée l′opium. Mais pour un homme habitué à ne dormir qu′avec des drogues, une heure inattendue de sommeil naturel découvrira l′immensité matinale d′un paysage aussi mystérieux et plus frais. En faisant varier l′heure, l′endroit où on s′endort, en provoquant le sommeil d′une manière artificielle, ou au contraire en revenant pour un jour au sommeil naturel — le plus étrange de tous pour quiconque a l′habitude de dormir avec des soporifiques — on arrive à obtenir des variétés de sommeil mille fois plus nombreuses que, jardinier, on n′obtiendrait de variétés d′œillets ou de roses. Les jardiniers obtiennent des fleurs qui sont des rêves délicieux, d′autres aussi qui ressemblent à des cauchemars. Quand je m′endormais d′une certaine façon, je me réveillais grelottant, croyant que j′avais la rougeole ou, chose bien plus douloureuse, que ma grand′mère (à qui je ne pensais plus jamais) souffrait parce que je m′étais moqué d′elle le jour où, à Balbec, croyant mourir, elle avait voulu que j′eusse une photographie d′elle. Vite, bien que réveillé, je voulais aller lui expliquer qu′elle ne m′avait pas compris. Mais, déjà, je me réchauffais. Le pronostic de rougeole était écarté et ma grand′mère si éloignée de moi qu′elle ne faisait plus souffrir mon cœur. Parfois sur ces sommeils différents s′abattait une obscurité subite. J′avais peur en prolongeant ma promenade dans une avenue entièrement noire, où j′entendais passer des rôdeurs. Tout à coup une discussion s′élevait entre un agent et une de ces femmes qui exerçaient souvent le métier de conduire et qu′on prend de loin pour de jeunes cochers. Sur son siège entouré de ténèbres je ne la voyais pas, mais elle parlait, et dans sa voix je lisais les perfections de son visage et la jeunesse de son corps. Je marchais vers elle, dans l′obscurité, pour monter dans son coupé avant qu′elle ne repartît. C′était loin. Heureusement, la discussion avec l′agent se prolongeait. Je rattrapais la voiture encore arrêtée. Cette partie de l′avenue s′éclairait de réverbères. La conductrice devenait visible. C′était bien une femme, mais vieille, grande et forte, avec des cheveux blancs s′échappant de sa casquette, et une lèpre rouge sur la figure. Je m′éloignais en pensant : « En est-il ainsi de la jeunesse des femmes ? Celles que nous avons rencontrées, si, brusquement, nous désirons les revoir, sont-elles devenues vieilles ? La jeune femme qu′on désire est-elle comme un emploi de théâtre où, par la défaillance des créatrices du rôle, on est obligé de le confier à de nouvelles étoiles ? Mais alors ce n′est plus la même. » Our resurrection is not effected at once; we think that we have rung the bell, we have not done so, we utter senseless remarks. Movement alone restores our thought, and when we have actually pressed the electric button we are able to say slowly but distinctly: “It must be at least ten o′clock, Françoise, bring me my coffee.” Oh, the miracle! Françoise could have had no suspicion of the sea of unreality in which I was still wholly immersed and through which I had had the energy to make my strange question pass. Her answer was: “It is ten past ten.” Which made my remark appear quite reasonable, and enabled me not to let her perceive the fantastic conversations by which I had been interminably beguiled, on days when it was not a mountain of non-existence that had crushed all life out of me. By strength of will, I had reinstated myself in life. I was still enjoying the last shreds of sleep, that is to say of the only inventiveness, the only novelty that exists in story-telling, since none of our narrations in the waking state, even though they be adorned with literary graces, admit those mysterious differences from which beauty derives. It is easy to speak of the beauty created by opium. But to a man who is accustomed to sleeping only with the aid of drugs, an unexpected hour of natural sleep will reveal the vast, matutinal expanse of a country as mysterious and more refreshing. By varying the hour, the place at which we go to sleep, by wooing sleep in an artificial manner, or on the contrary by returning for once to natural sleep — the strangest kind of all to whoever is in the habit of putting himself to sleep with soporifics — we succeed in producing a thousand times as many varieties of sleep as a gardener could produce of carnations or roses. Gardeners produce flowers that are delicious dreams, and others too that are like nightmares. When I fell asleep in a certain way I used to wake up shivering, thinking that I had caught the measles, or, what was far more painful, that my grandmother (to whom I never gave a thought now) was hurt because I had laughed at her that day when, at Balbec, in the belief that she was about to die, she had wished me to have a photograph of herself. At once, albeit I was awake, I felt that I must go and explain to her that she had misunderstood me. But, already, my bodily warmth was returning. The diagnosis of measles was set aside, and my grandmother became so remote that she no longer made my heart throb. Sometimes over these different kinds of sleep there fell a sudden darkness. I was afraid to continue my walk along an entirely unlighted avenue, where I could hear prowling footsteps. Suddenly a dispute broke out between a policeman and one of those women whom one often saw driving hackney carriages, and mistook at a distance for young men. Upon her box among the shadows I could not see her, but she spoke, and in her voice I could read the perfections of her face and the youthfulness of her body. I strode towards her, in the darkness, to get into her carriage before she drove off. It was a long way. Fortunately, her dispute with the policeman continued. I overtook the carriage which was still drawn up. This part of the avenue was lighted by street lamps. The driver became visible. She was indeed a woman, but old and corpulent, with white hair tumbling beneath her hat, and a red birthmark on her face. I walked past her, thinking: Is this what happens to the youth of women? Those whom we have met in the past, if suddenly we desire to see them again, have they become old? Is the young woman whom we desire like a character on the stage, when, unable to secure the actress who created the part, the management is obliged to entrust it to a new star? But then it is no longer the same.
Puis une tristesse m′envahissait. Nous avons ainsi dans notre sommeil de nombreuses Pitiés, comme les « Pieta » de la Renaissance, mais non point comme elles exécutées dans le marbre, inconsistantes au contraire. Elles ont leur utilité cependant, qui est de nous faire souvenir d′une certaine vue plus attendrie, plus humaine des choses, qu′on est trop tenté d′oublier dans le bon sens glacé, parfois plein d′hostilité, de la veille. Ainsi m′était rappelée la promesse que je m′étais faite, à Balbec de garder toujours la pitié de Françoise. Et pour toute cette matinée au moins je saurais m′efforcer de ne pas être irrité des querelles de Françoise et du maître d′hôtel, d′être doux avec Françoise à qui les autres donnaient si peu de bonté. Cette matinée seulement, et il faudrait tâcher de me faire un code un peu plus stable ; car, de même que les peuples ne sont pas longtemps gouvernés par une politique de pur sentiment, les hommes ne le sont pas par le souvenir de leurs rêves. Déjà celui-ci commençait à s′envoler. En cherchant à me le rappeler pour le peindre je le faisais fuir plus vite. Mes paupières n′étaient plus aussi fortement scellées sur mes yeux. Si j′essayais de reconstituer mon rêve, elles s′ouvriraient tout à fait. À tout moment il faut choisir entre la santé, la sagesse d′une part, et de l′autre les plaisirs spirituels. J′ai toujours eu la lâcheté de choisir la première part. Au reste, le périlleux pouvoir auquel je renonçais l′était plus encore qu′on ne le croit. Les pitiés, les rêves ne s′envolent pas seuls. À varier ainsi les conditions dans lesquelles on s′endort ce ne sont pas les rêves seuls qui s′évanouissent ; mais pour de longs jours, pour des années quelquefois, la faculté non seulement de rêver mais de s′endormir. Le sommeil est divin mais peu stable, le plus léger choc le rend volatil. Ami des habitudes, elles le retiennent chaque soir, plus fixes que lui, à son lieu consacré, elles le préservent de tout heurt ; mais si on les déplace, s′il n′est plus assujetti, il s′évanouit comme une vapeur. Il ressemble à la jeunesse et aux amours, on ne le retrouve plus. With this a feeling of melancholy invaded me. We have thus in our sleep a number of Pities, like the ‘Pietà′ of the Renaissance, but not, like them, wrought in marble, being, rather, unsubstantial. They have their purpose, however, which is to make us remember a certain outlook upon things, more tender, more human, which we are too apt to forget in the common sense, frigid, sometimes full of hostility, of the waking state. Thus I was reminded of the vow that I had made at Balbec that I would always treat Françoise with compassion. And for the whole of that morning at least I would manage to compel myself not to be irritated by Françoise′s quarrels with the butler, to be gentle with Françoise to whom the others shewed so little kindness. For that morning only, and I would have to try to frame a code that was a little more permanent; for, just as nations are not governed for any length of time by a policy of pure sentiment, so men are not governed by the memory of their dreams. Already this dream was beginning to fade away. In attempting to recall it in order to portray it I made it fade all the faster. My eyelids were no longer so firmly sealed over my eyes. If I tried to reconstruct my dream, they opened completely. At every moment we must choose between health and sanity on the one hand, and spiritual pleasures on the other. I have always taken the cowardly part of choosing the former. Moreover, the perilous power that I was renouncing was even more perilous than we suppose. Pities, dreams, do not fly away unaccompanied. When we alter thus the conditions in which we go to sleep, it is not our dreams alone that fade, but, for days on end, for years it may be, the faculty not merely of dreaming but of going to sleep. Sleep is divine but by no means stable; the slightest shock makes it volatile. A lover of habits, they retain it every night, being more fixed than itself, in the place set apart for it, they preserve it from all injury, but if we displace it, if it is no longer subordinated, it melts away like a vapour. It is like youth and love, never to be recaptured.
Dans ces divers sommeils, comme en musique encore, c′était l′augmentation ou la diminution de l′intervalle qui créait la beauté. Je jouissais d′elle mais, en revanche, j′avais perdu dans ce sommeil, quoique bref, une bonne partie des cris où nous est rendue sensible la vie circulante des métiers, des nourritures de Paris. Aussi, d′habitude (sans prévoir, hélas ! le drame que de tels réveils tardifs et mes lois draconiennes et persanes d′Assuérus racinien devaient bientôt amener pour moi) je m′efforçais de m′éveiller de bonne heure pour ne rien perdre de ces cris. In these various forms of sleep, as likewise in music, it was the lengthening or shortening of the interval that created beauty. I enjoyed this beauty, but, on the other hand, I had lost in my sleep, however brief, a good number of the cries which render perceptible to us the peripatetic life of the tradesmen, the victuallers of Paris. And so, as a habit (without, alas, foreseeing the drama in which these late awakenings and the Draconian, Medo-Persian laws of a Racinian Assuérus were presently to involve me) I made an effort to awaken early so as to lose none of these cries.
En plus du plaisir de savoir le goût qu′Albertine avait pour eux et de sortir moi-même tout en restant couché, j′entendais en eux comme le symbole de l′atmosphère du dehors, de la dangereuse vie remuante au sein de laquelle je ne la laissais circuler que sous ma tutelle, dans un prolongement extérieur de la séquestration, et d′où je la retirais à l′heure que je voulais pour rentrer auprès de moi. Aussi fut-ce le plus sincèrement du monde que je pus répondre à Albertine : « Au contraire, ils me plaisent parce que je sais que vous les aimez. — À la barque, les huîtres, à la barque. — Oh ! des huîtres, j′en ai si envie ! » Heureusement, Albertine, moitié inconstance, moitié docilité, oubliait vite ce qu′elle avait désiré, et avant que j′eusse eu le temps de lui dire qu′elle les aurait meilleures chez Prunier, elle voulait successivement tout ce qu′elle entendait crier par la marchande de poissons : « À la crevette, à la bonne crevette, j′ai de la raie toute en vie, toute en vie. — Merlans à frire, à frire. — Il arrive le maquereau, maquereau frais, maquereau nouveau. — Voilà le maquereau, mesdames, il est beau le maquereau. — À la moule fraîche et bonne, à la moule ! » Malgré moi, l′avertissement : « Il arrive le maquereau » me faisait frémir. Mais comme cet avertissement ne pouvait s′appliquer, me semblait-il, à notre chauffeur, je ne songeais qu′au poisson que je détestais, mon inquiétude ne durait pas. « Ah ! des moules, dit Albertine, j′aimerais tant manger des moules. — Mon chéri ! c′était pour Balbec, ici ça ne vaut rien ; d′ailleurs, je vous en prie, rappelez-vous ce que vous a dit Cottard au sujet des moules. » Mais mon observation était d′autant plus malencontreuse que la marchande des quatre-saisons suivante annonçait quelque chose que Cottard défendait bien plus encore : And, more than the pleasure of knowing how fond Albertine was of them and of being out of doors myself without leaving my bed, I heard in them as it were the symbol of the atmosphere of the world outside, of the dangerous stirring life through the veins of which I did not allow her to move save under my tutelage, from which I withdrew her at the hour of my choosing to make her return home to my side. And so it was with the most perfect sincerity that I was able to say in answer to Albertine: “On the contrary, they give me pleasure because I know that you like them.” “A la barque, les huîtres, à la barque.” “Oh, oysters! I′ve been simply longing for some!” Fortunately Albertine, partly from inconsistency, partly from docility, quickly forgot the things for which she had been longing, and before I had time to tell her that she would find better oysters at Prunier′s, she wanted in succession all the things that she heard cried by the fish hawker: “A la crevette, à la bonne crevette, j′ai de la raie toute en vie, toute en vie.” “Merlans à frire, à frire.” “Il arrive le maquereau, maquereau frais, maquereau nouveau.” “Voilà le maquereau, mesdames, il est beau le maquereau.” “A la moule fraîche et bonne, à la moule!” In spite of myself, the warning: “Il arrive le maquereau“ made me shudder. But as this warning could not, I felt, apply to our chauffeur, I thought only of the fish of that name, which I detested, and my uneasiness did not last. “Ah! Mussels,” said Albertine, “I should so like some mussels.” “My darling! They were all very well at Balbec, here they′re not worth eating; besides, I implore you, remember what Cottard told you about mussels.” But my remark was all the more ill-chosen in that the vegetable woman who came next announced a thing that Cottard had forbidden even more strictly:
À la romaine, à la romaine !
On ne la vend pas, on la promène.
A la romaine, à la romaine!
On ne le vend pas, on la promène
Pourtant Albertine me consentait le sacrifice de la romaine pourvu que je lui promisse de faire acheter, dans quelques jours, à la marchande qui crie : « J′ai de la belle asperge d′Argenteuil, j′ai de la belle asperge. » Une voix mystérieuse, et de qui l′on eût attendu des propositions plus étranges, insinuait : « Tonneaux, tonneaux. » On était obligé de rester sur la déception qu′il ne fût question que de tonneaux, car ce mot même était presque entièrement couvert par l′appel : « Vitri, vitri-er, carreaux cassés, voilà le vitrier, vitri-er », division grégorienne qui me rappela moins cependant la liturgie que ne fit l′appel du marchand de chiffons, reproduisant sans le savoir une de ces brusques interruptions de sonorité, au milieu d′une prière, qui sont assez fréquentes sur le rituel de l′Église : « Praeceptis salutaribus moniti et divina institutione formati audemus dicere », dit le prêtre en terminant vivement sur « dicere ». Sans irrévérence, comme le peuple pieux du moyen âge, sur le parvis même de l′église, jouait les farces et les soties, c′est à ce « dicere » que fait penser ce marchand de chiffons, quand, après avoir traîné sur les mots, il dit la dernière syllabe avec une brusquerie digne de l′accentuation réglée par le grand pape du viie siècle : « Chiffons, ferrailles à vendre » (tout cela psalmodié avec lenteur ainsi que ces deux syllabes qui suivent, alors que la dernière finit plus vivement que « dicere »), « peaux d′ la-pins. — La Valence, la belle Valence, la fraîche orange. » Les modestes poireaux eux-mêmes : « Voilà d′beaux poireaux », les oignons : « Huit sous mon oignon », déferlaient pour moi comme un écho des vagues où, libre, Albertine eût pu se perdre, et prenaient ainsi la douceur d′un « suave mari magno ». « Voilà des carottes à deux ronds la botte. — Oh ! s′écria Albertine, des choux, des carottes, des oranges. Voilà rien que des choses que j′ai envie de manger. Faites-en acheter par Françoise. Elle fera les carottes à la crème. Et puis ce sera gentil de manger tout ça ensemble. Ce sera tous ces bruits que nous entendons, transformés en un bon repas. Albertine consented, however, to sacrifice her lettuces, on the condition that I would promise to buy for her in a few days′ time from the woman who cried: “J′ai de la belle asperge d′Argenteuil, j′ai de la belle asperge.” A mysterious voice, from which one would have expected some stranger utterance, insinuated: “Tonneaux, tonneaux!” We were obliged to remain under the disappointment that nothing more was being offered us than barrels, for the word was almost entirely drowned by the appeal: “Vitri, vitri-er, carreaux cassés, voilà le vitrier, vitri-er,” a Gregorian division which reminded me less, however, of the liturgy than did the appeal of the rag vendor, reproducing unconsciously one of those abrupt interruptions of sound, in the middle of a prayer, which are common enough in the ritual of the church: “Praeceptis salutaribus moniti et divina institutione formait audemus dicere,” says the priest, ending sharply upon ‘dicere.′ Without irreverence, as the populace of the middle ages used to perform plays and farces within the consecrated ground of the church, it is of that ‘dicere‘ that this rag vendor makes one think when, after drawling the other words, he utters the final syllable with a sharpness befitting the accentuation laid down by the great Pope of the seventh century: “Chiffons, ferrailles à vendre“ (all this chanted slowly, as are the two syllables that follow, whereas the last concludes more briskly than ‘dicere‘) “peaux d′la-pins.” “La Valence, la belle Valence, la fraîche orange.” The humble leeks even: “Voilà d′beaux poireaux,” the onions: “Huit sous mon oignon,” sounded for me as if it were an echo of the rolling waves in which, left to herself, Albertine might have perished, and thus assumed the sweetness of a “Suave mari magno.” “Voilà des carrottes à deux ronds la botte.” “Oh!” exclaimed Albertine, “cabbages, carrots, oranges. All the things I want to eat. Do make Françoise go out and buy some. She shall cook us a dish of creamed carrots. Besides, it will be so nice to eat all these things together. It will be all the sounds that we hear, transformed into a good dinner. . . .
— Ah ! je vous en prie, demandez à Françoise de faire plutôt une raie au beurre noir. C′est si bon ! — Ma petite chérie, c′est convenu, ne restez pas ; sans cela c′est tout ce que poussent les marchandes de quatre-saisons que vous demanderez. — C′est dit, je pars, mais je ne veux plus jamais pour nos dîners que des choses dont nous aurons entendu le cri. C′est trop amusant. Et dire qu′il faut attendre encore deux mois pour que nous entendions : « Haricots verts et tendres, haricots, v′là l′haricot vert. » Comme c′est bien dit : Tendres haricots ! vous savez que je les veux tout fins, tout fins, ruisselants de vinaigrette ; on ne dirait pas qu′on les mange, c′est frais comme une rosée. Hélas ! c′est comme pour les petits cœurs à la crème, c′est encore bien loin : « Bon fromage à la cré, à la cré, bon fromage. » Et le chasselas de Fontainebleau : « J′ai du beau chasselas. » Et je pensais avec effroi à tout ce temps que j′aurais à rester avec elle jusqu′au temps du chasselas. « Écoutez, je dis que je ne veux plus que les choses que nous aurons entendu crier, mais je fais naturellement des exceptions. Aussi il n′y aurait rien d′impossible à ce que je passe chez Rebattet commander une glace pour nous deux. Vous me direz que ce n′est pas encore la saison, mais j′en ai une envie ! » Je fus agité par le projet de Rebattet, rendu plus certain et suspect pour moi à cause des mots : « il n′y aurait rien d′impossible. » C′était le jour où les Verdurin recevaient, et depuis que Swann leur avait appris que c′était la meilleure maison, c′était chez Rebattet qu′ils commandaient glaces et petits fours. « Je ne fais aucune objection à une glace, mon Albertine chérie, mais laissez-moi vous la commander, je ne sais pas moi-même si ce sera chez Poiré-Blanche, chez Rebattet, au Ritz, enfin je verrai. — Vous sortez donc ? », me dit-elle d′un air méfiant. Elle prétendait toujours qu′elle serait enchantée que je sortisse davantage, mais si un mot de moi pouvait laisser supposer que je ne resterais pas à la maison, son air inquiet donnait à penser que la joie qu′elle aurait à me voir sortir sans cesse, n′était peut-être pas très sincère. « Je sortirai peut-être, peut-être pas, vous savez bien que je ne fais jamais de projets d′avance. En tous les cas, les glaces ne sont pas une chose qu′on crie, qu′on pousse dans les rues, pourquoi en voulez-vous ? » Et alors elle me répondit par ces paroles qui me montrèrent en effet combien d′intelligence et de goût latent s′étaient brusquement développés en elle depuis Balbec, par ces paroles du genre de celles qu′elle prétendait dues uniquement à mon influence, à la constante cohabitation avec moi, ces paroles que, pourtant, je n′aurais jamais dites, comme si quelque défense m′était faite par quelqu′un d′inconnu de jamais user dans la conversation de formes littéraires. Peut-être l′avenir ne devait-il pas être le même pour Albertine et pour moi. J′en eus presque le pressentiment en la voyant se hâter d′employer, en parlant, des images si écrites et qui me semblaient réservées pour un autre usage plus sacré et que j′ignorais encore. Elle me dit (et je fus, malgré tout, profondément attendri car je pensai : certes je ne parlerais pas comme elle, mais, tout de même, sans moi elle ne parlerait pas ainsi, elle a subi profondément mon influence, elle ne peut donc pas ne pas m′aimer, elle est mon œuvre) : « Ce que j′aime dans ces nourritures criées, c′est qu′une chose entendue comme une rhapsodie change de nature à table et s′adresse à mon palais. Pour les glaces (car j′espère bien que vous ne m′en commanderez que prises dans ces moules démodés qui ont toutes les formes d′architecture possible), toutes les fois que j′en prends, temples, églises, obélisques, rochers, c′est comme une géographie pittoresque que je regarde d′abord et dont je convertis ensuite les monuments de framboise ou de vanille en fraîcheur dans mon gosier. » Je trouvais que c′était un peu trop bien dit, mais elle sentit que je trouvais que c′était bien dit et elle continua, en s′arrêtant un instant, quand sa comparaison était réussie, pour rire de son beau rire qui m′était si cruel parce qu′il était si voluptueux : « Mon Dieu, à l′hôtel Ritz je crains bien que vous ne trouviez des colonnes Vendôme de glace, de glace au chocolat ou à la framboise, et alors il en faut plusieurs pour que cela ait l′air de colonnes votives ou de pylônes élevés dans une allée à la gloire de la Fraîcheur. Ils font aussi des obélisques de framboise qui se dresseront de place en place dans le désert brûlant de ma soif et dont je ferai fondre le granit rose au fond de ma gorge qu′elles désaltéreront mieux que des oasis (et ici le rire profond éclata, soit de satisfaction de si bien parler, soit par moquerie d′elle-même de s′exprimer par images si suivies, soit, hélas ! par volupté physique de sentir en elle quelque chose de si bon, de si frais, qui lui causait l′équivalent d′une jouissance). Ces pics de glace du Ritz ont quelquefois l′air du mont Rose, et même, si la glace est au citron, je ne déteste pas qu′elle n′ait pas de forme monumentale, qu′elle soit irrégulière, abrupte, comme une montagne d′Elstir. Il ne faut pas qu′elle soit trop blanche alors, mais un peu jaunâtre, avec cet air de neige sale et blafarde qu′ont les montagnes d′Elstir. La glace a beau ne pas être grande, qu′une demi-glace si vous voulez, ces glaces au citron-là sont tout de même des montagnes réduites à une échelle toute petite, mais l′imagination rétablit les proportions, comme pour ces petits arbres japonais nains qu′on sent très bien être tout de même des cèdres, des chênes, des mancenilliers ; si bien qu′en en plaçant quelques-uns le long d′une petite rigole, dans ma chambre, j′aurais une immense forêt descendant vers un fleuve et où les petits enfants se perdraient. De même, au pied de ma demi-glace jaunâtre au citron, je vois très bien des postillons, des voyageurs, des chaises de poste sur lesquels ma langue se charge de faire rouler de glaciales avalanches qui les engloutiront (la volupté cruelle avec laquelle elle dit cela excita ma jalousie) ; de même, ajouta-t-elle, que je me charge avec mes lèvres de détruire, pilier par pilier, ces églises vénitiennes d′un porphyre qui est de la fraise et de faire tomber sur les fidèles ce que j′aurai épargné. Oui, tous ces monuments passeront de leur place de pierre dans ma poitrine où leur fraîcheur fondante palpite déjà. Mais tenez, même sans glaces, rien n′est excitant et ne donne soif comme les annonces des sources thermales. À Montjouvain, chez Mlle Vinteuil, il n′y avait pas de bon glacier dans le voisinage, mais nous faisions dans le jardin notre tour de France en buvant chaque jour une autre eau minérale gazeuse, comme l′eau de Vichy qui, dès qu′on la verse, soulève des profondeurs du verre un nuage blanc qui vient s′assoupir et se dissiper si on ne boit pas assez vite. » Mais entendre parler de Montjouvain m′était trop pénible, je l′interrompais. « Je vous ennuie, adieu, mon chéri. » Quel changement depuis Balbec où je défie Elstir lui-même d′avoir pu deviner en Albertine ces richesses de poésie, d′une poésie moins étrange, moins personnelle que celle de Céleste Albaret par exemple. Jamais Albertine n′aurait trouvé ce que Céleste me disait ; mais l′amour, même quand il semble sur le point de finir, est partial. Je préférais la géographie pittoresque des sorbets, dont la grâce assez facile me semblait une raison d′aimer Albertine et une preuve que j′avais du pouvoir sur elle, qu′elle m′aimait. Oh, please, ask Françoise to give us instead a ray with black butter. It is so good!” “My dear child, of course I will, but don′t wait; if you do, you′ll be asking for all the things on the vegetable-barrows.” “Very well, I′m off, but I never want anything again for our dinners except what we′ve heard cried in the street. It is such fun. And to think that we shall have to wait two whole months before we hear: ‘Haricots verts et tendres, haricots, v′la l′haricot vert.′ How true that is: tender haricots; you know I like them as soft as soft, dripping with vinegar sauce, you wouldn′t think you were eating, they melt in the mouth like drops of dew. Oh dear, it′s the same with the little hearts of cream cheese, such a long time to wait: ‘Bon fromage à la cré, à la cré, bon fromage.′ And the water-grapes from Fontainebleau: ‘J′ai du bon chasselas.′” And I thought with dismay of all the time that I should have to spend with her before the water-grapes were in season. “Listen, I said that I wanted only the things that we had heard cried, but of course I make exceptions. And so it′s by no means impossible that I may look in at Rebattet′s and order an ice for the two of us. You will tell me that it′s not the season for them, but I do so want one!” I was disturbed by this plan of going to Rebattet′s, rendered more certain and more suspicious in my eyes by the words ‘it′s by no means impossible.′ It was the day on which the Verdurins were at home, and, ever since Swann had informed them that Rebattet′s was the best place, it was there that they ordered their ices and pastry. “I have no objection to an ice, my darling Albertine, but let me order it for you, I don′t know myself whether it will be from Poiré-Blanche′s, or Rebattet′s, or the Ritz, anyhow I shall see.” “Then you′re going out?” she said with an air of distrust. She always maintained that she would be delighted if I went out more often, but if anything that I said could make her suppose that I would not be staying indoors, her uneasy air made me think that the joy that she would feel in seeing me go out every day was perhaps not altogether sincere. “I may perhaps go out, perhaps not, you know quite well that I never make plans beforehand. In any case ices are not a thing that is cried, that people hawk in the streets, why do you want one?” And then she replied in words which shewed me what a fund of intelligence and latent taste had developed in her since Balbec, in words akin to those which, she pretended, were due entirely to my influence, to living continually in my company, words which, however, I should never have uttered, as though I had been in some way forbidden by some unknown authority ever to decorate my conversation with literary forms. Perhaps the future was not destined to be the same for Albertine as for myself. I had almost a presentiment of this when I saw her eagerness to employ in speech images so ‘written,′ which seemed to me to be reserved for another, more sacred use, of which I was still ignorant. She said to me (and I was, in spite of everything, deeply touched, for I thought to myself: Certainly I would not speak as she does, and yet, all the same, but for me she would not be speaking like this, she has come profoundly under my influence, she cannot therefore help loving me, she is my handiwork): “What I like about these foodstuffs that are cried is that a thing which we hear like a rhapsody changes its nature when it comes to our table and addresses itself to my palate. As for ices (for I hope that you won′t order me one that isn′t cast in one of those old-fashioned moulds which have every architectural shape imaginable), whenever I take one, temples, churches, obelisks, rocks, it is like an illustrated geography-book which I look at first of all and then convert its raspberry or vanilla monuments into coolness in my throat.” I thought that this was a little too well expressed, but she felt that I thought that it was well expressed, and went on, pausing for a moment when she had brought off her comparison to laugh that beautiful laugh of hers which was so painful to me because it was so voluptuous. “Oh dear, at the Ritz I′m afraid you′ll find Vendôme Columns of ice, chocolate ice or raspberry, and then you will need a lot of them so that they may look like votive pillars or pylons erected along an avenue to the glory of Coolness. They make raspberry obelisks too, which will rise up here and there in the burning desert of my thirst, and I shall make their pink granite crumble and melt deep down in my throat which they will refresh better than any oasis” (and here the deep laugh broke out, whether from satisfaction at talking so well, or in derision of herself for using such hackneyed images, or, alas, from a physical pleasure at feeling inside herself something so good, so cool, which was tantamount to a sensual satisfaction). “Those mountains of ice at the Ritz sometimes suggest Monte Rosa, and indeed, if it is a lemon ice, I do not object to its not having a monumental shape, its being irregular, abrupt, like one of Elstir′s mountains. It ought not to be too white then, but slightly yellowish, with that look of dull, dirty snow that Elstir′s mountains have. The ice need not be at all big, only half an ice if you like, those lemon ices are still mountains, reduced to a tiny scale, but our imagination restores their dimensions, like those little Japanese dwarf trees which, one knows quite well, are still cedars, oaks, manchineels; so much so that if I arranged a few of them beside a little trickle of water in my room I should have a vast forest stretching down to a river, in which children would be lost. In the same way, at the foot of my yellowish lemon ice, I can see quite clearly postilions, travellers, post chaises over which my tongue sets to work to roll down freezing avalanches that will swallow them up” (the cruel delight with which she said this excited my jealousy); “just as,” she went on, “I set my lips to work to destroy, pillar after pillar, those Venetian churches of a porphyry that is made with strawberries, and send what I spare of them crashing down upon the worshippers. Yes, all those monuments will pass from their stony state into my inside which throbs already with their melting coolness. But, you know, even without ices, nothing is so exciting or makes one so thirsty as the advertisements of mineral springs. At Montjouvain, at Mlle. Vinteuil′s, there was no good confectioner who made ices in the neighbourhood, but we used to make our own tour of France in the garden by drinking a different sparkling water every day, like Vichy water which, as soon as you pour it out, sends up from the bottom of the glass a white cloud which fades and dissolves if you don′t drink it at once.” But to hear her speak of Montjouvain was too painful, I cut her short. “I am boring you, good-bye, my dear boy.” What a change from Balbec, where I would defy Elstir himself to have been able to divine in Albertine this wealth of poetry, a poetry less strange, less personal than that of Céleste Albaret, for instance. Albertine would never have thought of the things that Céleste used to say to me, but love, even when it seems to be nearing its end, is partial. I preferred the illustrated geography-book of her ices, the somewhat facile charm of which seemed to me a reason for loving Albertine and a proof that I had an influence over her, that she was in love with me.
Une fois Albertine sortie, je sentis quelle fatigue était pour moi cette présence perpétuelle, insatiable de mouvement et de vie, qui troublait mon sommeil par ses mouvements, me faisait vivre dans un refroidissement perpétuel par les portes qu′elle laissait ouvertes, me forçait — pour trouver des prétextes qui justifiassent de ne pas l′accompagner, sans pourtant paraître trop malade, et d′autre part pour la faire accompagner — à déployer chaque jour plus d′ingéniosité que Shéhérazade. Malheureusement si, par une même ingéniosité, la conteuse persane retardait sa mort, je hâtais la mienne. Il y a ainsi dans la vie certaines situations qui ne sont pas toutes créées, comme celle-là, par la jalousie amoureuse et une santé précaire qui ne permet pas de partager la vie d′un être actif et jeune, mais où tout de même le problème de continuer la vie en commun ou de revenir à la vie séparée d′autrefois se pose d′une façon presque médicale : auquel des deux sortes de repos faut-il se sacrifier (en continuant le surmenage quotidien, ou en revenant aux angoisses de l′absence ?) à celui du cerveau ou à celui du cœur ? As soon as Albertine had gone out, I felt how tiring it was to me, this perpetual presence, insatiable of movement and life, which disturbed my sleep with its movements, made me live in a perpetual chill by that habit of leaving doors open, forced me — in order to find pretexts that would justify me in not accompanying her, without, however, appearing too unwell, and at the same time to see that she was not unaccompanied — to display every day greater ingenuity than Scheherezade. Unfortunately, if by a similar ingenuity the Persian story-teller postponed her own death, I was hastening mine. There are thus in life certain situations which are not all created, as was this, by amorous jealousy and a precarious state of health which does not permit us to share the life of a young and active person, situations in which nevertheless the problem of whether to continue a life shared with that person or to return to the separate existence of the past sets itself almost in medical terms; to which of the two sorts of repose ought we to sacrifice ourselves (by continuing the daily strain, or by returning to the agonies of separation) to that of the head or of the heart?
J′étais, en tous cas, bien content qu′Andrée accompagnât Albertine au Trocadéro, car de récents et d′ailleurs minuscules incidents faisaient qu′ayant, bien entendu, la même confiance dans l′honnêteté du chauffeur, sa vigilance, ou du moins la perspicacité de sa vigilance, ne me semblait plus tout à fait aussi grande qu′autrefois. C′est ainsi que, tout dernièrement, ayant envoyé Albertine seule avec lui à Versailles, Albertine m′avait dit avoir déjeuné aux Réservoirs ; comme le chauffeur m′avait parlé du restaurant Vatel, le jour où je relevai cette contradiction je pris un prétexte pour descendre parler au mécanicien (toujours le même, celui que nous avons vu à Balbec) pendant qu′Albertine s′habillait. « Vous m′avez dit que vous aviez déjeuné à Vatel, Mlle Albertine me parle des Réservoirs. Qu′est-ce que cela veut dire ? » Le mécanicien me répondit : « Ah ! j′ai dit que j′avais déjeuné au Vatel, mais je ne peux pas savoir où Mademoiselle a déjeuné. Elle m′a quitté en arrivant à Versailles pour prendre un fiacre à cheval, ce qu′elle préfère quand ce n′est pas pour faire de la route. » Déjà j′enrageais en pensant qu′elle avait été seule ; enfin ce n′était que le temps de déjeuner. « Vous auriez pu, dis-je d′un air de gentillesse (car je ne voulais pas paraître faire positivement surveiller Albertine, ce qui eût été humiliant pour moi, et doublement, puisque cela eût signifié qu′elle me cachait ses actions), déjeuner, je ne dis pas avec elle, mais au même restaurant ? — Mais elle m′avait demandé d′être seulement à six heures du soir à la Place d′Armes. Je ne devais pas aller la chercher à la sortie de son déjeuner. — Ah ! » fis-je en tâchant de dissimuler mon accablement. Et je remontai. Ainsi c′était plus de sept heures de suite qu′Albertine avait été seule, livrée à elle-même. Je savais bien, il est vrai, que le fiacre n′avait pas été un simple expédient pour se débarrasser de la surveillance du chauffeur. En ville, Albertine aimait mieux flâner en fiacre, elle disait qu′on voyait bien, que l′air était plus doux. Malgré cela elle avait passé sept heures sur lesquelles je ne saurais jamais rien. Et je n′osais pas penser à la façon dont elle avait dû les employer. Je trouvai que le mécanicien avait été bien maladroit, mais ma confiance en lui fut désormais complète. Car s′il eût été le moins du monde de mèche avec Albertine, il ne m′eût jamais avoué qu′il l′avait laissée libre de onze heures du matin à six heures du soir. Il n′y aurait eu qu′une autre explication, mais absurde, de cet aveu du chauffeur. C′est qu′une brouille entre lui et Albertine lui eût donné le désir, en me faisant une petite révélation, de montrer à mon amie qu′il était homme à parler et que si, après le premier avertissement tout bénin, elle ne marchait pas droit selon ce qu′il voulait, il mangerait carrément le morceau. Mais cette explication était absurde ; il fallait d′abord supposer une brouille inexistante entre Albertine et lui, et ensuite donner une nature de maître-chanteur à ce beau mécanicien qui s′était toujours montré si affable et si bon garçon. Dès le surlendemain, du reste, je vis que, plus que je ne l′avais cru un instant dans ma soupçonneuse folie, il savait exercer sur Albertine une surveillance discrète et perspicace. Car ayant pu le prendre à part et lui parler de ce qu′il m′avait dit de Versailles, je lui disais d′un air amical et dégagé : « Cette promenade à Versailles dont vous me parliez avant-hier, c′était parfait comme cela, vous avez été parfait comme toujours. Mais à titre de petite indication, sans importance du reste, j′ai une telle responsabilité depuis que Mme Bontemps a mis sa nièce sous ma garde, j′ai tellement peur des accidents, je me reproche tant de ne pas l′accompagner, que j′aime mieux que ce soit vous, vous tellement sûr, si merveilleusement adroit, à qui il ne peut pas arriver d′accident, qui conduisiez partout Mlle Albertine. Comme cela je ne crains rien. » Le charmant mécanicien apostolique sourit finement, la main posée sur sa roue en forme de croix de consécration. Puis il me dit ces paroles qui (chassant les inquiétudes de mon cœur où elles furent aussitôt remplacées par la joie) me donnèrent envie de lui sauter au cou : « N′ayez crainte, me dit-il. Il ne peut rien lui arriver car, quand mon volant ne la promène pas, mon œil la suit partout. À Versailles, sans avoir l′air de rien j′ai visité la ville pour ainsi dire avec elle. Des Réservoirs, elle est allée au Château, du Château aux Trianons, toujours moi la suivant sans avoir l′air de la voir, et le plus fort c′est qu′elle ne m′a pas vu. Oh ! elle m′aurait vu, ç′aurait été un petit malheur. C′était si naturel qu′ayant toute la journée devant moi à rien faire je visite aussi le Château. D′autant plus que Mademoiselle n′a certainement pas été sans remarquer que j′ai de la lecture et que je m′intéresse à toutes les vieilles curiosités (c′était vrai, j′aurais même été surpris si j′avais su qu′il était ami de Morel, tant il dépassait le violoniste en finesse et en goût). Mais enfin elle ne m′a pas vu. — Elle a dû rencontrer, du reste, des amies car elle en a plusieurs à Versailles. — Non, elle était toujours seule. — On doit la regarder alors, une jeune fille éclatante et toute seule ! — Sûr qu′on la regarde, mais elle n′en sait quasiment rien ; elle est tout le temps les yeux dans son guide, puis levés sur les tableaux. » Le récit du chauffeur me sembla d′autant plus exact que c′était, en effet, une « carte » représentant le Château et une autre représentant les Trianons qu′Albertine m′avait envoyées le jour de sa promenade. L′attention avec laquelle le gentil chauffeur en avait suivi chaque pas me toucha beaucoup. Comment aurais-je supposé que cette rectification — sous forme d′ample complément à son dire de l′avant-veille — venait de ce qu′entre ces deux jours Albertine, alarmée que le chauffeur m′eût parlé, s′était soumise, avait fait la paix avec lui. Ce soupçon ne me vint même pas. Il est certain que ce récit du mécanicien, en m′ôtant toute crainte qu′Albertine m′eût trompé, me refroidit tout naturellement à l′égard de mon amie et me rendit moins intéressante la journée qu′elle avait passée à Versailles. Je crois pourtant que les explications du chauffeur, qui, en innocentant Albertine, me la rendaient encore plus ennuyeuse, n′auraient peut-être pas suffi à me calmer si vite. Deux petits boutons que, pendant quelques jours, mon amie eut au front réussirent peut-être mieux encore à modifier les sentiments de mon cœur. Enfin ceux-ci se détournèrent encore plus d′elle (au point de ne me rappeler son existence que quand je la voyais) par la confidence singulière que me fit la femme de chambre de Gilberte, rencontrée par hasard. J′appris que, quand j′allais tous les jours chez Gilberte, elle aimait un jeune homme qu′elle voyait beaucoup plus que moi. J′en avais eu un instant le soupçon à cette époque, et même j′avais alors interrogé cette même femme de chambre. Mais comme elle savait que j′étais épris de Gilberte, elle avait nié, juré que jamais Mlle Swann n′avait vu ce jeune homme. Mais maintenant, sachant que mon amour était mort depuis si longtemps, que depuis des années j′avais laissé toutes ses lettres sans réponse — et peut-être aussi parce qu′elle n′était plus au service de la jeune fille — d′elle-même elle me raconta tout au long l′épisode amoureux que je n′avais pas su. Cela lui semblait tout naturel. Je crus, me rappelant ses serments d′alors, qu′elle n′avait pas été au courant. Pas du tout, c′est elle-même, sur l′ordre de Mme Swann, qui allait prévenir le jeune homme dès que celle que j′aimais était seule. Que j′aimais alorsÂ… Mais je me demandai si mon amour d′autrefois était aussi mort que je le croyais, car ce récit me fut pénible. Comme je ne crois pas que la jalousie puisse réveiller un amour mort, je supposai que ma triste impression était due, en partie du moins, à mon amour-propre blessé, car plusieurs personnes que je n′aimais pas, et qui à cette époque, et même un peu plus tard — cela a bien changé depuis — affectaient à mon endroit une attitude méprisante, savaient parfaitement, pendant que j′étais amoureux de Gilberte, que j′étais dupe. Et cela me fit même me demander rétrospectivement si dans mon amour pour Gilberte il n′y avait pas eu une part d′amour-propre, puisque je souffrais tant maintenant de voir que toutes les heures de tendresse qui m′avaient rendu si heureux étaient connues pour une véritable tromperie de mon amie à mes dépens, par des gens que je n′aimais pas. En tous cas, amour ou amour-propre, Gilberte était presque morte en moi, mais pas entièrement, et cet ennui acheva de m′empêcher de me soucier outre mesure d′Albertine, qui tenait une si étroite partie dans mon cœur. Néanmoins, pour en revenir à elle (après une si longue parenthèse) et à sa promenade à Versailles, les cartes postales de Versailles (peut-on donc avoir ainsi simultanément le cœur pris en écharpe par deux jalousies entre-croisées se rapportant chacune à une personne différente ?) me donnaient une impression un peu désagréable chaque fois qu′en rangeant des papiers mes yeux tombaient sur elles. Et je songeais que, si le mécanicien n′avait pas été un si brave homme, la concordance de son deuxième récit avec les « cartes » d′Albertine n′eût pas signifié grand′chose, car qu′est-ce qu′on vous envoie d′abord de Versailles sinon le Château et les Trianons, à moins que la carte ne soit choisie par quelque raffiné, amoureux d′une certaine statue, ou par quelque imbécile élisant comme vue la station du tramway à chevaux ou la gare des Chantiers ? Encore ai-je tort de dire un imbécile, de telles cartes postales n′ayant pas toujours été achetées par l′un d′eux au hasard, pour l′intérêt de venir à Versailles. Pendant deux ans les hommes intelligents, les artistes trouvèrent Sienne, Venise, Grenade, une scie, et disaient du moindre omnibus, de tous les wagons : « Voilà qui est beau. » Puis ce goût passa comme les autres. Je ne sais même pas si on n′en revint pas au « sacrilège qu′il y a de détruire les nobles choses du passé ». En tous cas, un wagon de première classe cessa d′être considéré a priori comme plus beau que Saint-Marc de Venise. On disait pourtant : « C′est là qu′est la vie, le retour en arrière est une chose factice », mais sans tirer de conclusion nette. À tout hasard, et tout en faisant pleine confiance au chauffeur, et pour qu′Albertine ne pût pas le plaquer sans qu′il osât refuser par crainte de passer pour espion, je ne la laissai plus sortir qu′avec le renfort d′Andrée, alors que pendant un temps le chauffeur m′avait suffi. Je l′avais même laissée alors (ce que je n′aurais plus osé faire depuis) s′absenter pendant trois jours, seule avec le chauffeur, et aller jusqu′auprès de Balbec, tant elle avait envie de faire de la route sur simple châssis, en grande vitesse. Trois jours où j′avais été bien tranquille, bien que la pluie de cartes qu′elle m′avait envoyée ne me fût parvenue, à cause du détestable fonctionnement de ces postes bretonnes (bonnes l′été, mais sans doute désorganisées l′hiver), que huit jours après le retour d′Albertine et du chauffeur, si vaillants que, le matin même de leur retour, ils reprirent, comme si de rien n′était, leur promenade quotidienne. J′étais ravi qu′Albertine allât aujourd′hui au Trocadéro, à cette matinée « extraordinaire », mais surtout rassuré qu′elle y eût une compagne, Andrée. In any event, I was very glad that Andrée was to accompany Albertine to the Trocadéro, for certain recent and for that matter entirely trivial incidents had brought it about that while I had still, of course, the same confidence in the chauffeur′s honesty, his vigilance, or at least the perspicacity of his vigilance did not seem to be quite what it had once been. It so happened that, only a short while since, I had sent Albertine alone in his charge to Versailles, and she told me that she had taken her luncheon at the Réservoirs; as the chauffeur had mentioned the restaurant Vatel, the day on which I noticed this contradiction, I found an excuse to go downstairs and speak to him (it was still the same man, whose acquaintance we had made at Balbec) while Albertine was dressing. “You told me that you had had your luncheon at the Vatel. Mlle. Albertine mentions the Réservoirs. What is the meaning of that?” The driver replied: “Oh, I said that I had had my luncheon at the Vatel, but I cannot tell where Mademoiselle took hers. She left me as soon as we reached Versailles to take a horse cab, which she prefers when it is not a question of time.” Already I was furious at the thought that she had been alone; still, it was only during the time that she spent at her luncheon. “You might surely,” I suggested mildly (for I did not wish to appear to be keeping Albertine actually under surveillance, which would have been humiliating to myself, and doubly so, for it would have shewn that she concealed her activities from me), “have had your luncheon, I do not say at her table, but in the same restaurant?” “But all she told me was to meet her at six o′clock at the Place d′Armes. I had no orders to call for her after luncheon.” “Ah!” I said, making an effort to conceal my dismay. And I returned upstairs. And so it was for more than seven hours on end that Albertine had been alone, left to her own devices. I might assure myself, it is true, that the cab had not been merely an expedient whereby to escape from the chauffeur′s supervision. In town, Albertine preferred driving in a cab, saying that one had a better view, that the air was more pleasant. Nevertheless, she had spent seven hours, as to which I should never know anything. And I dared not think of the manner in which she must have employed them. I felt that the driver had been extremely clumsy, but my confidence in him was now absolute. For if he had been to the slightest extent in league with Albertine, he would never have acknowledged that he had left her unguarded from eleven o′clock in the morning to six in the afternoon. There could be but one other explanation, and it was absurd, of the chauffeur′s admission. This was that some quarrel between Albertine and himself had prompted him, by making a minor disclosure to me, to shew my mistress that he was not the sort of man who could be hushed, and that if, after this first gentle warning, she did not do exactly as he told her, he would take the law into his own hands. But this explanation was absurd; I should have had first of all to assume a non-existent quarrel between him and Albertine, and then to label as a consummate blackmailer this good-looking motorist who had always shewn himself so affable and obliging. Only two days later, as it happened, I saw that he was more capable than I had for a moment supposed in my frenzy of suspicion of exercising over Albertine a discreet and far-seeing vigilance. For, having managed to take him aside and talk to him of what he had told me about Versailles, I said to him in a careless, friendly tone: “That drive to Versailles that you told me about the other day was everything that it should be, you behaved perfectly as you always do. But, if I may give you just a little hint, I have so much responsibility now that Mme. Bontemps has placed her niece under my charge, I am so afraid of accidents, I reproach myself so for not going with her, that I prefer that it should be yourself, you who are so safe, so wonderfully skilful, to whom no accident can ever happen, that shall take Mlle. Albertine everywhere. Then I need fear nothing.” The charming apostolic motorist smiled a subtle smile, his hand resting upon the consecration-cross of his wheel. Then he uttered these words which (banishing all the anxiety from my heart where its place was at once filled by joy) made me want to fling my arms round his neck: “Don′t be afraid,” he said to me. “Nothing can happen to her, for, when my wheel is not guiding her, my eye follows her everywhere. At Versailles, I went quietly along and visited the town with her, as you might say. From the Réservoirs she went to the Château, from the Château to the Trianons, and I following her all the time without appearing to see her, and the astonishing thing is that she never saw me. Oh, if she had seen me, the fat would have been in the fire. It was only natural, as I had the whole day before me with nothing to do that I should visit the castle too. All the more as Mademoiselle certainly hasn′t failed to notice that I′ve read a bit myself and take an interest in all those old curiosities” (this was true, indeed I should have been surprised if I had learned that he was a friend of Morel, so far more refined was his taste than the violinist′s). “Anyhow, she didn′t see me.” “She must have met some of her own friends, of course, for she knows a great many ladies at Versailles.” “No, she was alone all the time.” “Then people must have stared at her, a girl of such striking appearance, all by herself.” “Why, of course they stared at her, but she knew nothing about it; she went all the time with her eyes glued to her guide-book, or gazing up at the pictures.” The chauffeur′s story seemed to me all the more accurate in that it was indeed a ‘card′ with a picture of the Château, and another of the Trianons, that Albertine had sent me on the day of her visit. The care with which the obliging chauffeur had followed every step of her course touched me deeply. How was I to suppose that this correction — in the form of a generous amplification — of his account given two days earlier was due to the fact that in those two days Albertine, alarmed that the chauffeur should have spoken to me, had surrendered, and made her peace with him. This suspicion never even occurred to me. It is beyond question that this version of the driver′s story, as it rid me of all fear that Albertine might have deceived me, quite naturally cooled me towards my mistress and made me take less interest in the day that she had spent at Versailles. I think, however, that the chauffeur′s explanations, which, by absolving Albertine, made her even more tedious than before, would not perhaps have been sufficient to calm me so quickly. Two little pimples which for some days past my mistress had had upon her brow were perhaps even more effective in modifying the sentiments of my heart. Finally these were diverted farther still from her (so far that I was conscious of her existence only when I set eyes upon her) by the strange confidence volunteered me by Gilberte′s maid, whom I happened to meet. I learned that, when I used to go every day to see Gilberte, she was in love with a young man of whom she saw a great deal more than of myself. I had had an inkling of this for a moment at the time, indeed I had questioned this very maid. But, as she knew that I was in love with Gilberte, she had denied, sworn that never had Mlle. Swann set eyes on the young man. Now, however, knowing that my love had long since died, that for years past I had left all her letters unanswered — and also perhaps because she was no longer in Gilberte′s service — of her own accord she gave me a full account of the amorous episode of which I had known nothing. This seemed to her quite natural. I supposed, remembering her oaths at the time, that she had not been aware of what was going on. Far from it, it was she herself who used to go, at Mme. Swann′s orders, to inform the young man whenever the object of my love was alone. The object then of my love. . . . But I asked myself whether my love of those days was as dead as I thought, for this story pained me. As I do not believe that jealousy can revive a dead love, I supposed that my painful impression was due, in part at least, to the injury to my self-esteem, for a number of people whom I did not like and who at that time and even a little later — their attitude has since altered — affected a contemptuous attitude towards myself, knew perfectly well, while I was in love with Gilberte, that I was her dupe. And this made me ask myself retrospectively whether in my love for Gilberte there had not been an element of self-love, since it so pained me now to discover that all the hours of affectionate intercourse, which had made me so happy, were known to be nothing more than a deliberate hoodwinking of me by my mistress, by people whom I did not like. In any case, love or self-love, Gilberte was almost dead in me but not entirely, and the result of this annoyance was to prevent me from worrying myself beyond measure about Albertine, who occupied so small a place in my heart. Nevertheless, to return to her (after so long a parenthesis) and to her expedition to Versailles, the postcards of Versailles (is it possible, then, to have one′s heart caught in a noose like this by two simultaneous and interwoven jealousies, each inspired by a different person?) gave me a slightly disagreeable impression whenever, as I tidied my papers, my eye fell upon them. And I thought that if the driver had not been such a worthy fellow, the harmony of his second narrative with Albertine′s ‘cards′ would not have amounted to much, for what are the first things that people send you from Versailles but the Château and the Trianons, unless that is to say the card has been chosen by some person of refined taste who adores a certain statue, or by some idiot who selects as a ‘view′ of Versailles the station of the horse tramway or the goods depot. Even then I am wrong in saying an idiot, such postcards not having always been bought by a person of that sort at random, for their interest as coming from Versailles. For two whole years men of intelligence, artists, used to find Siena, Venice, Granada a ‘bore,′ and would say of the humblest omnibus, of every railway-carriage: “There you have true beauty.” Then this fancy passed like the rest. Indeed, I cannot be certain that people did not revert to the ‘sacrilege of destroying the noble relics of the past.′ Anyhow, a first class railway carriage ceased to be regarded as a priori more beautiful than St. Mark′s at Venice. People continued to say: “Here you have real life, the return to the past is artificial,” but without drawing any definite conclusion. To make quite certain, without forfeiting any of my confidence in the chauffeur, in order that Albertine might not be able to send him away without his venturing to refuse for fear of her taking him for a spy, I never allowed her to go out after this without the reinforcement of Andrée, whereas for some time past I had found the chauffeur sufficient. I had even allowed her then (a thing I would never dare do now) to stay away for three whole days by herself with the chauffeur and to go almost as far as Balbec, so great was her longing to travel at high speed in an open car. Three days during which my mind had been quite at rest, although the rain of postcards that she had showered upon me did not reach me, owing to the appalling state of the Breton postal system (good in summer, but disorganised, no doubt, in winter), until a week after the return of Albertine and the chauffeur, in such health and vigour that on the very morning of their return they resumed, as though nothing had happened, their daily outings. I was delighted that Albertine should be going this afternoon to the Trocadéro, to this ‘special′ matinée, but still more reassured that she would have a companion there in the shape of Andrée.
Laissant ces pensées, maintenant qu′Albertine était sortie, j′allai me mettre un instant à la fenêtre. Il y eut d′abord un silence, où le sifflet du marchand de tripes et la corne du tramway firent résonner l′air à des octaves différentes, comme un accordeur de piano aveugle. Puis peu à peu devinrent distincts les motifs entre-croisés auxquels de nouveaux s′ajoutaient. Il y avait aussi un autre sifflet, appel d′un marchand dont je n′ai jamais su ce qu′il vendait, sifflet qui, lui, était exactement pareil à celui d′un tramway, et comme il n′était pas emporté par la vitesse on croyait à un seul tramway, non doué de mouvement, ou en panne, immobilisé, criant à petits intervalles, comme un animal qui meurt. Et il me semblait que, si jamais je devais quitter ce quartier aristocratique — à moins que ce ne fût pour un tout à fait populaire — les rues et boulevards du centre (où la fruiterie, la poissonnerie, etcÂ… stabilisées dans de grandes maisons d′alimentation, rendraient inutiles les cris des marchands, qui n′eussent pas, du reste, réussi à se faire entendre) me sembleraient bien mornes, bien inhabitables, dépouillés, décantés de toutes ces litanies des petits métiers et des ambulantes mangeailles, privés de l′orchestre qui venait me charmer dès le matin. Sur le trottoir une femme peu élégante (ou obéissant à une mode laide) passait, trop claire dans un paletot sac en poil de chèvre ; mais non, ce n′était pas une femme, c′était un chauffeur qui, enveloppé dans sa peau de bique, gagnait à pied son garage. Échappés des grands hôtels, les chasseurs ailés, aux teintes changeantes, filaient vers les gares, au ras de leur bicyclette, pour rejoindre les voyageurs au train du matin. Le ronflement d′un violon était dû parfois au passage d′une automobile, parfois à ce que je n′avais pas mis assez d′eau dans ma bouillotte électrique. Au milieu de la symphonie détonnait un « air » démodé : remplaçant la vendeuse de bonbons qui accompagnait d′habitude son air avec une crécelle, le marchand de jouets, au mirliton duquel était attaché un pantin qu′il faisait mouvoir en tous sens, promenait d′autres pantins et, sans souci de la déclamation rituelle de Grégoire le Grand, de la déclamation réformée de Palestrina et de la déclamation lyrique des modernes, entonnait à pleine voix, partisan attardé de la pure mélodie : « Allons les papas, allons les mamans, contentez vos petits enfants ; c′est moi qui les fais, c′est moi qui les vends, et c′est moi qui boulotte l′argent. Tra la la la. Tra la la lalaire, tra la la la la la la. Allons les petits ! » De petits Italiens, coiffés d′un béret, n′essayaient pas de lutter avec cet aria vivace, et c′est sans rien dire qu′ils offraient de petites statuettes. Cependant qu′un petit fifre réduisait le marchand de jouets à s′éloigner et à chanter plus confusément, quoique presto : « Allons les papas, allons les mamans. » Le petit fifre était-il un de ces dragons que j′entendais le matin à Doncières ? Non, car ce qui suivait c′étaient ces mots : « Voilà le réparateur de face et de porcelaine. Je répare le verre, le marbre, le cristal, l′os, l′ivoire et objets d′antiquité. Voilà le réparateur. » Dans une boucherie, où à gauche était une auréole de soleil, et à droite un bœuf entier pendu, un garçon boucher, très grand et très mince, aux cheveux blonds, son cou sortant d′un col bleu ciel, mettait une rapidité vertigineuse et une religieuse conscience à mettre d′un côté les filets de bœuf exquis, de l′autre de la culotte de dernier ordre, les plaçait dans d′éblouissantes balances surmontées d′une croix, d′où retombaient de belles chaînettes, et — bien qu′il ne fît ensuite que disposer, pour l′étalage, des rognons, des tournedos, des entrecôtes — donnait en réalité beaucoup plus l′impression d′un bel ange qui, au jour du Jugement dernier, préparera pour Dieu, selon leur qualité, la séparation des bons et des méchants et la pesée des âmes. Et de nouveau le fifre grêle et fin montait dans l′air, annonciateur non plus des destructions que redoutait Françoise chaque fois que défilait un régiment de cavalerie, mais de « réparations » promises par un « antiquaire » naou gouailleur, et qui, en tous cas fort éclectique, loin de se spécialiser, avait pour objets de son art les matières les plus diverses. Les petites porteuses de pain se hâtaient d′enfiler dans leur panier les flûtes destinées au « grand déjeuner » et, à leurs crochets, les laitières attachaient vivement les bouteilles de lait. La vue nostalgique que j′avais de ces petites filles, pouvais-je la croire bien exacte ? N′eût-elle pas été autre si j′avais pu garder immobile quelques instants auprès de moi une de celles que, de la hauteur de ma fenêtre, je ne voyais que dans la boutique ou en fuite ? Pour évaluer la perte que me faisait éprouver la réclusion, c′est-à-dire la richesse que m′offrait la journée, il eût fallu intercepter dans le long déroulement de la frise animée quelque fillette portant son linge ou son lait, la faire passer un moment, comme une silhouette d′un décor mobile entre les portants, dans le cadre de ma porte, et la retenir sous mes yeux, non sans obtenir sur elle quelque renseignement qui me permît de la retrouver un jour et pareille, cette fiche signalétique que les ornithologues ou les ichtyologues attachent, avant de leur rendre la liberté, sous le ventre des oiseaux ou des poissons dont ils veulent pouvoir identifier les migrations. Dismissing these reflexions, now that Albertine had gone out, I went and took my stand for a moment at the window. There was at first a silence, amid which the whistle of the tripe vendor and the horn of the tramcar made the air ring in different octaves, like a blind piano-tuner. Then gradually the interwoven motives became distinct, and others were combined with them. There was also a new whistle, the call of a vendor the nature of whose wares I have never discovered, a whistle that was itself exactly like the scream of the tramway, and, as it was not carried out of earshot by its own velocity, one thought of a single car, not endowed with motion, or broken down, immobilised, screaming at short intervals like a dying animal. And I felt that, should I ever have to leave this aristocratic quarter — unless it were to move to one that was entirely plebeian — the streets and boulevards of central Paris (where the fruit, fish and other trades, stabilised in huge stores, rendered superfluous the cries of the street hawkers, who for that matter would not have been able to make themselves heard) would seem to me very dreary, quite uninhabitable, stripped, drained of all these litanies of the small trades and peripatetic victuals, deprived of the orchestra that returned every morning to charm me. On the pavement a woman with no pretence to fashion (or else obedient to an ugly fashion) came past, too brightly dressed in a sack overcoat of goatskin; but no, it was not a woman, it was a chauffeur who, enveloped in his ponyskin, was proceeding on foot to his garage. Escaped from the big hotels, their winged messengers, of variegated hue, were speeding towards the termini, bent over their handlebars, to meet the arrivals by the morning trains. The throb of a violin was due at one time to the passing of a motor-car, at another to my not having put enough water in my electric kettle. In the middle of the symphony there rang out an old-fashioned ‘air′; replacing the sweet seller, who generally accompanied her song with a rattle, the toy seller, to whose pipe was attached a jumping jack which he sent flying in all directions, paraded similar puppets for sale, and without heeding the ritual declamation of Gregory the Great, the reformed declamation of Palestrina or the lyrical declamation of the modern composers, entoned at the top of his voice, a belated adherent of pure melody: “Allons les papas, allons les mamans, contentez vos petits enfants, c′est moi qui les jais, c′est moi qui les vends, et c′est moi qui boulotte l′argent. Tra la la la. Tra la la la laire, tra la la la la la la. Allons les petits!” Some Italian boys in felt bérets made no attempt to compete with this lively aria, and it was without a word that they offered their little statuettes. Soon, however, a young fifer compelled the toy merchant to move on and to chant more inaudibly, though in brisk time: “Allons les papas, allons les mamans.” This young fifer, was he one of the dragoons whom I used to hear in the mornings at Doncières? No, for what followed was: “Voilà le réparateur de face et de porcelaine. Je répare le verre, le marbre, le cristal, l′os, l′ivoire et objets d′antiquité. Voilà le réparateur.” In a butcher′s shop, between an aureole of sunshine on the left and a whole ox suspended from a hook on the right, an assistant, very tall and slender, with fair hair and a throat that escaped above his sky-blue collar, was displaying a lightning speed and a religious conscientiousness in putting on one side the most exquisite fillets of beef, on the other the coarsest parts of the rump, placed them upon glittering scales surmounted by a cross, from which hung down a number of beautiful chains, and — albeit he did nothing afterwards but arrange in the window a display of kidneys, steaks, ribs — was really far more suggestive of a handsome angel who, on the day of the Last Judgment, will prepare for God, according to their quality, the separation of the good and the evil and the weighing of souls. And once again the thin crawling music of the fife rose in the air, herald no longer of the destruction that Françoise used to dread whenever a regiment of cavalry filed past, but of ‘repairs′ promised by an ‘antiquary,′ simpleton or rogue, who, in either case highly eclectic, instead of specialising, applied his art to the most diverse materials. The young bread carriers hastened to stuff into their baskets the long rolls ordered for some luncheon party, while the milk girls attached the bottles of milk to their yokes. The sense of longing with which my eyes followed these young damsels, ought I to consider it quite justified? Would it not have been different if I had been able to detain for a few moments at close quarters one of those whom from the height of my window I saw only inside her shop or in motion. To estimate the loss that I suffered by my seclusion, that is to say the wealth that the day held in store for me, I should have had to intercept in the long unrolling of the animated frieze some girl carrying her linen or her milk, make her pass for a moment, like a silhouette from some mobile scheme of decoration, from the wings to the stage, within the proscenium of my bedroom door, and keep her there under my eye, not without eliciting some information about her which would enable me to find her again some day, like the inscribed ring which ornithologists or ichthyologists attach before setting them free to the legs or bellies of the birds or fishes whose migrations they are anxious to trace.
Aussi, dis-je à Françoise que, pour une course que j′avais à faire, elle voulût m′envoyer, s′il en venait quelqu′une, telle ou telle de ces petites qui venaient sans cesse chercher et rapporter le linge, le pain, ou les carafes de lait, et par lesquelles souvent elle faisait faire des commissions. J′étais pareil en cela à Elstir qui, obligé de rester enfermé dans son atelier, certains jours de printemps où savoir que les bois étaient pleins de violettes lui donnait une telle fringale d′en regarder, envoyait sa concierge lui en acheter un bouquet ; alors ce n′est pas la table sur laquelle il avait posé le petit modèle végétal, mais tout le tapis des sous-bois où il avait vu autrefois, par milliers, les tiges serpentines, fléchissant sous leur bec bleu, qu′Elstir croyait avoir sous les yeux, comme une zone imaginaire qu′enclavait dans son atelier la limpide odeur de la fleur évocatrice. And so I asked Françoise, since I had a message that I wished taken, to be good enough to send up to my room, should any of them call, one or other of those girls who were always coming to take away the dirty or bring back the clean linen, or with bread, or bottles of milk, and whom she herself used often to send on errands. In doing so I was like Elstir, who, obliged to remain closeted in his studio, on certain days in spring when the knowledge that the woods were full of violets gave him a hunger to gaze at them, used to send his porter′s wife out to buy him a bunch; then it was not the table upon which he had posed the little vegetable model, but the whole carpet of the underwoods where he had seen in other years, in their thousands, the serpentine stems, bowed beneath the weight of their blue beaks, that Elstir would fancy that he had before his eyes, like an imaginary zone defined in his studio by the limpid odour of the sweet, familiar flower.
De blanchisseuse, un dimanche, il ne fallait pas penser qu′il en vînt. Quant à la porteuse de pain, par une mauvaise chance, elle avait sonné pendant que Françoise n′était pas là, avait laissé ses flûtes dans la corbeille, sur le palier, et s′était sauvée. La fruitière ne viendrait que bien plus tard. Une fois, j′étais entré commander un fromage chez le crémier, et au milieu des petites employées j′en avais remarqué une, vraie extravagance blonde, haute de taille bien que puérile, et qui, au milieu des autres porteuses, semblait rêver, dans une attitude assez fière. Je ne l′avais vue que de loin, et en passant si vite que je n′aurais pu dire comment elle était, sinon qu′elle avait dû pousser trop vite et que sa tête portait une toison donnant l′impression bien moins des particularités capillaires que d′une stylisation sculpturale des méandres isolés de névés parallèles. C′est tout ce que j′avais distingué, ainsi qu′un nez très dessiné (chose rare chez une enfant) dans une figure maigre et qui rappelait le bec des petits des vautours. D′ailleurs, le groupement autour d′elle de ses camarades n′avait pas été seul à m′empêcher de la bien voir, mais aussi l′incertitude des sentiments que je pouvais, à première vue et ensuite, lui inspirer, qu′ils fussent de fierté farouche, ou d′ironie, ou d′un dédain exprimé plus tard à ses amies. Ces suppositions alternatives, que j′avais faites, en une seconde, à son sujet, avaient épaissi autour d′elle l′atmosphère trouble où elle se dérobait, comme une déesse dans la nue que fait trembler la foudre. Car l′incertitude morale est une cause plus grande de difficulté à une exacte perception visuelle que ne serait un défaut matériel de l′œil. En cette trop maigre jeune personne, qui frappait aussi trop l′attention, l′excès de ce qu′un autre eût peut-être appelé les charmes était justement ce qui était pour me déplaire, mais avait tout de même eu pour résultat de m′empêcher même d′apercevoir rien, à plus forte raison de me rien rappeler, des autres petites crémières, que le nez arqué de celle-ci, et son regard — chose si peu agréable — pensif, personnel, ayant l′air de juger, avaient plongées dans la nuit, à la façon d′un éclair blond qui enténèbre le paysage environnant. Et ainsi, de ma visite pour commander un fromage chez le crémier, je ne m′étais rappelé (si on peut dire se rappeler à propos d′un visage si mal regardé qu′on adapte dix fois au néant du visage un nez différent), je ne m′étais rappelé que la petite qui m′avait déplu. Cela suffit à faire commencer un amour. Pourtant j′eusse oublié l′extravagance blonde et n′aurais jamais souhaité de la revoir si Françoise ne m′avait dit que, quoique bien gamine, cette petite était délurée et allait quitter sa patronne parce que, trop coquette, elle devait de l′argent dans le quartier. On a dit que la beauté est une promesse de bonheur. Inversement la possibilité du plaisir peut être un commencement de beauté. Of a laundry girl, on a Sunday, there was not the slightest prospect. As for the girl who brought the bread, as ill luck would have it, she had rung the bell when Françoise was not about, had left her rolls in their basket on the landing, and had made off. The fruit girl would not call until much later. Once I had gone to order a cheese at the dairy, and, among the various young assistants, had remarked one girl, extravagantly fair, tall in stature though still little more than a child, who, among the other errand girls, seemed to be dreaming, in a distinctly haughty attitude. I had seen her in the distance only, and for so brief an instant that I could not have described her appearance, except to say that she must have grown too fast and that her head supported a fleece that gave the impression far less of capillary details than of a sculptor′s conventional rendering of the separate channels of parallel drifts of snow upon a glacier. This was all that I had been able to make out, apart from a nose sharply outlined (a rare thing in a child) upon a thin face which recalled the beaks of baby vultures. Besides, this clustering of her comrades round about her had not been the only thing that prevented me from seeing her distinctly, there was also my uncertainty whether the sentiments which I might, at first sight and subsequently, inspire in her would be those of injured pride, or of irony, or of a scorn which she would express later on to her friends. These alternative suppositions which I had formed, in an instant, with regard to her, had condensed round about her the troubled atmosphere in which she disappeared, like a goddess in the cloud that is shaken by thunder. For moral uncertainty is a greater obstacle to an exact visual perception than any defect of vision would be. In this too skinny young person, who moreover attracted undue attention, the excess of what another person would perhaps have called her charms was precisely what was calculated to repel me, but had nevertheless had the effect of preventing me from perceiving even, far more from remembering anything about the other young dairymaids, whom the hooked nose of this one and her gaze — how unattractive it was! — pensive, personal, with an air of passing judgment, had plunged in perpetual night, as a white streak of lightning darkens the landscape on either side of it. And so, of my call to order a cheese, at the dairy, I had remembered (if we can say ‘remember′ in speaking of a face so carelessly observed that we adapt to the nullity of the face ten different noses in succession), I had remembered only this girl who had not attracted me. This is sufficient to engender love. And yet I should have forgotten the extravagantly fair girl and should never have wished to see her again, had not Françoise told me that, child as she was, she had all her wits about her and would shortly be leaving her employer, since she had been going too fast and owed money among the neighbours. It has been said that beauty is a promise of happiness. Inversely, the possibility of pleasure may be a beginning of beauty.
Je me mis à lire la lettre de maman. À travers ses citations de Mme de Sévigné : « Si mes pensées ne sont pas tout à fait noires à Combray, elles sont au moins d′un gris brun ; je pense à toi à tout moment ; je te souhaite ; ta santé, tes affaires, ton éloignement, que penses-tu que tout cela puisse faire entre chien et loup ? » je sentais que ma mère était ennuyée de voir que le séjour d′Albertine à la maison se prolonger et s′affermir, quoique non encore déclarées à la fiancée mes intentions de mariage. Elle ne me le disait pas plus directement parce qu′elle craignait que je laissasse traîner mes lettres. Encore, si voilées qu′elles fussent, me reprochait-elle de ne pas l′avertir immédiatement, après chacune, que je l′avais reçue : « Tu sais bien que Mme de Sévigné disait : « Quand on est loin on ne se moque plus des lettres qui commencent par : j′ai reçu la vôtre. » Sans parler de ce qui l′inquiétait le plus, elle se disait fâchée de mes grandes dépenses : « À quoi peut passer tout ton argent ? Je suis déjà assez tourmentée de ce que, comme Charles de Sévigné, tu ne saches pas ce que tu veux et que tu sois « deux ou trois hommes à la fois », mais tâche au moins de ne pas être comme lui pour la dépense, et que je ne puisse pas dire de toi : « il a trouvé le moyen de dépenser sans paraître, de perdre sans jouer et de payer sans s′acquitter. » Je venais de finir le mot de maman quand Françoise revint me dire qu′elle avait justement là la petite laitière un peu trop hardie dont elle m′avait parlé. « Elle pourra très bien porter la lettre de Monsieur, et faire les courses si ce n′est pas trop loin. Monsieur va voir, elle a l′air d′un petit Chaperon rouge. » Françoise alla la chercher et je l′entendis qui la guidait en lui disant : « Hé bien, voyons, tu as peur parce qu′il y a un couloir, bougre de truffe, je te croyais moins empruntée. Faut-il que je te mène par la main ? » Et Françoise, en bonne et honnête servante qui entendait faire respecter son maître comme elle le respecte elle-même, s′était drapée de cette majesté qui anoblit les entremetteuses dans les tableaux de vieux maîtres, où, à côté d′elles, s′effacent, presque dans l′insignifiance, la maîtresse et l′amant. Mais Elstir, quand il les regardait, n′avait pas à se préoccuper de ce que faisaient les violettes. L′entrée de la petite laitière m′ôta aussitôt mon calme de contemplateur, je ne songeai plus qu′à rendre vraisemblable la fable de la lettre à lui faire porter, et je me mis à écrire rapidement sans oser la regarder qu′à peine, pour ne pas paraître l′avoir fait entrer pour cela. Elle était parée pour moi de ce charme de l′inconnu qui ne se serait pas ajouté pour moi à une jolie fille trouvée dans ces maisons où elles vous attendent. Elle n′était ni nue ni déguisée, mais une vraie crémière, une de celles qu′on s′imagine si jolies quand on n′a pas le temps de s′approcher d′elles ; elle était un peu de ce qui fait l′éternel désir, l′éternel regret de la vie, dont le double courant est enfin détourné, amené auprès de nous. Double, car s′il s′agit d′inconnu, d′un être deviné devoir être divin d′après sa stature, ses proportions, son indifférent regard, son calme hautain, d′autre part on veut cette femme bien spécialisée dans sa profession, nous permettant de nous évader dans ce monde qu′un costume particulier nous fait romanesquement croire différent. Au reste, si l′on cherche à faire tenir dans une formule la loi de nos curiosités amoureuses, il faudrait la chercher dans le maximum d′écart entre une femme aperçue et une femme approchée, caressée. Si les femmes de ce qu′on appelait autrefois les maisons closes, si les cocottes elles-mêmes (à condition que nous sachions qu′elles sont des cocottes) nous attirent si peu, ce n′est pas qu′elles soient moins belles que d′autres, c′est qu′elles sont toutes prêtes ; que ce qu′on cherche précisément à atteindre, elles nous l′offrent déjà ; c′est qu′elles ne sont pas des conquêtes. L′écart, là, est à son minimum. Une grue nous sourit déjà dans la rue comme elle le fera près de nous. Nous sommes des sculpteurs, nous voulons obtenir d′une femme une statue entièrement différente de celle qu′elle nous a présentée. Nous avons vu une jeune fille indifférente, insolente, au bord de la mer ; nous avons vu une vendeuse sérieuse et active à son comptoir, qui nous répondra sèchement, ne fût-ce que pour ne pas être l′objet des moqueries de ses copines ; une marchande de fruits qui nous répond à peine. Hé bien ! nous n′avons de cesse que nous puissions expérimenter si la fière jeune fille au bord de la mer, si la vendeuse à cheval sur le qu′en-dira-t-on, si la distraite marchande de fruits ne sont pas susceptibles, à la suite de manèges adroits de notre part, de laisser fléchir leur attitude rectiligne, d′entourer notre cou de leurs bras qui portaient les fruits, d′incliner sur notre bouche, avec un sourire consentant, des yeux jusque-là glacés ou distraits — ô beauté des yeux sévères ! — aux heures du travail où l′ouvrière craignait tant la médisance de ses compagnes, des yeux qui fuyaient nos obsédants regards et qui maintenant que nous l′avons vue seule à seul, font plier leurs prunelles sous le poids ensoleillé du rire quand nous parlons de faire l′amour. Entre la vendeuse, la blanchisseuse attentive à repasser, la marchande de fruits, la crémière — et cette même fillette qui va devenir notre maîtresse — le maximum d′écart est atteint, tendu encore à ses extrêmes limites, et varié par ces gestes habituels de la profession qui font des bras, pendant la durée du labeur, quelque chose d′aussi différent que possible comme arabesque de ces souples liens qui déjà, chaque soir, s′enlacent à notre cou tandis que la bouche s′apprête pour le baiser. Aussi passons-nous toute notre vie en inquiètes démarches sans cesse renouvelées auprès des filles sérieuses et que leur métier semble éloigner de nous. Une fois dans nos bras, elles ne sont plus ce qu′elles étaient, cette distance que nous rêvions de franchir est supprimée. Mais on recommence avec d′autres femmes, on donne à ces entreprises tout son temps, tout son argent, toutes ses forces, on crève de rage contre le cocher trop lent qui va peut-être nous faire manquer notre premier rendez-vous, on a la fièvre. Ce premier rendez-vous, on sait pourtant qu′il accomplira l′évanouissement d′une illusion. Il n′importe tant que l′illusion dure ; on veut voir si on peut la changer en réalité, et alors on pense à la blanchisseuse dont on a remarqué la froideur. La curiosité amoureuse est comme celle qu′excitent en nous les noms de pays ; toujours déçue, elle renaît et reste toujours insatiable. I began to read Mamma′s letter. Beneath her quotations from Madame de Sévigné: “If my thoughts are not entirely black at Combray, they are at least dark grey, I think of you at every moment; I long for you; your health, your affairs, your absence, what sort of cloud do you suppose they make in my sky?” I felt that my mother was vexed to find Albertine′s stay in the house prolonged, and my intention of marriage, although not yet announced to my mistress, confirmed. She did not express her annoyance more directly because she was afraid that I might leave her letters lying about. Even then, veiled as her letters were, she reproached me with not informing her immediately, after each of them, that I had received it: “You remember how Mme. de Sévigné said: ‘When we are far apart, we no longer laugh at letters which begin with I have received yours.′” Without referring to what distressed her most, she said that she was annoyed by my lavish expenditure: “Where on earth does all your money go? It is distressing enough that, like Charles de Sévigné, you do not know what you want and are ‘two or three people at once,′ but do try at least not to be like him in spending money so that I may never have to say of you: ‘he has discovered how to spend and have nothing to shew, how to lose without staking and how to pay without clearing himself of debt.′” I had just finished Mamma′s letter when Françoise returned to tell me that she had in the house that very same slightly overbold young dairymaid of whom she had spoken to me. “She can quite well take Monsieur′s note and bring back the answer, if it′s not too far. Monsieur shall see her, she′s just like a Little Red Ridinghood.” Françoise withdrew to fetch the girl, and I could hear her leading the way and saying: “Come along now, you′re frightened because there′s a passage, stuff and nonsense, I never thought you would be such a goose. Have I got to lead you by the hand?” And Françoise, like a good and honest servant who means to see that her master is respected as she respects him herself, had draped herself in that majesty with ennobles the matchmaker in a picture by an old master where, in comparison with her, the lover and his mistress fade into insignificance. But Elstir when he gazed at them had no need to bother about what the violets were doing. The entry of the young dairymaid at once robbed me of my contemplative calm; I could think only of how to give plausibility to the fable of the letter that she was to deliver and I began to write quickly without venturing to cast more than a furtive glance at her, so that I might not seem to have brought her into my room to be scrutinised. She was invested for me with that charm of the unknown which I should not discover in a pretty girl whom I had found in one of those houses where they come to meet one. She was neither naked nor in disguise, but a genuine dairymaid, one of those whom we imagine to be so pretty, when we have not time to approach them; she possessed something of what constitutes the eternal desire, the eternal regret of life, the twofold current of which is at length diverted, directed towards us. Twofold, for if it is a question of the unknown, of a person who must, we guess, be divine, from her stature, her proportions, her indifferent glance, her haughty calm, on the other hand we wish this woman to be thoroughly specialised in her profession, allowing us to escape from ourselves into that world which a peculiar costume makes us romantically believe different. If for that matter we seek to comprise in a formula the law of our amorous curiosities, we should have to seek it in the maximum of difference between a woman of whom we have caught sight and one whom we have approached and caressed. If the women of what used at one time to be called the closed houses, if prostitutes themselves (provided that we know them to be prostitutes) attract us so little, it is not because they are less beautiful than other women, it is because they are ready and waiting; the very object that we are seeking to attain they offer us already; it is because they are not conquests. The difference there is at a minimum. A harlot smiles at us already in the street as she will smile when she is in our room. We are sculptors. We are anxious to obtain of a woman a statue entirely different from that which she has presented to us. We have seen a girl strolling, indifferent, insolent, along the seashore, we have seen a shop-assistant, serious and active, behind her counter, who will answer us stiffly, if only so as to escape the sarcasm of her comrades, a fruit seller who barely answers us at all. Well, we know no rest until we can discover by experiment whether the proud girl on the seashore, the shop-assistant on her high horse of ‘What will people say?′, the preoccupied fruit seller cannot be made, by skilful handling on our part, to relax their rectangular attitude, to throw about our neck their fruit-laden arms, to direct towards our lips, with a smile of consent, eyes hitherto frozen or absent — oh, the beauty of stern eyes — in working hours when the worker was so afraid of the gossip of her companions, eyes that avoided our beleaguering stare and, now that we have seen her alone and face to face, make their pupils yield beneath the sunlit burden of laughter when we speak of making love. Between the shopgirl, the laundress busy with her iron, the fruit seller, the dairymaid on the one hand, and the same girl when she is about to become our mistress, the maximum of difference is attained, stretched indeed to its extreme limits, and varied by those habitual gestures of her profession which make a pair of arms, during the hours of toil, something as different as possible (regarded as an arabesque pattern) from those supple bonds that already every evening are fastened about our throat while the mouth shapes itself for a kiss. And so we pass our whole life in uneasy advances, incessantly renewed, to respectable girls whom their calling seems to separate from us. Once they are in our arms, they are no longer anything more than they originally were, the gulf that we dreamed of crossing has been bridged. But we begin afresh with other women, we devote to these enterprises all our time, all our money, all our strength, our blood boils at the too cautious driver who is perhaps going to make us miss our first assignation, we work ourself into a fever. That first meeting, we know all the same that it will mean the vanishing of an illusion. It does not so much matter that the illusion still persists; we wish to see whether we can convert it into reality, and then we think of the laundress whose coldness we remarked. Amorous curiosity is like that which is aroused in us by the names of places; perpetually disappointed, it revives and remains for ever insatiable.
Hélas ! une fois auprès de moi, la blonde crémière aux mèches striées, dépouillée de tant d′imagination et de désirs éveillés en moi, se trouva réduite à elle-même. Le nuage frémissant de mes suppositions ne l′enveloppait plus d′un vertige. Elle prenait un air tout penaud de n′avoir plus (au lieu des dix, des vingt, que je me rappelais tour à tour sans pouvoir fixer mon souvenir) qu′un seul nez, plus rond que je ne l′avais cru, qui donnait une idée de bêtise et avait en tous cas perdu le pouvoir de se multiplier. Ce vol capturé, inerte, anéanti, incapable de rien ajouter à sa pauvre évidence, n′avait plus mon imagination pour collaborer avec lui. Tombé dans le réel immobile, je tâchai de rebondir ; les joues, non aperçues de la boutique, me parurent si jolies que j′en fus intimidé, et pour me donner une contenance, je dis à la petite crémière : « Seriez-vous assez bonne pour me passer le Figaro qui est là, il faut que je regarde le nom de l′endroit où je veux vous envoyer. » Aussitôt, en prenant le journal, elle découvrit jusqu′au coude la manche rouge de sa jaquette et me tendit la feuille conservatrice d′un geste adroit et gentil qui me plut par sa rapidité familière, son apparence moelleuse et sa couleur écarlate. Pendant que j′ouvrais le Figaro, pour dire quelque chose et sans lever les yeux, je demandai à la petite : « Comment s′appelle ce que vous portez là en tricot rouge, c′est très joli. » Elle me répondit : « C′est mon golf. » Car, par une déchéance habituelle à toutes les modes, les vêtements et les mots qui, il y a quelques années, semblaient appartenir au monde relativement élégant des amies d′Albertine, étaient maintenant le lot des ouvrières. « Ça ne vous gênerait vraiment pas trop, dis-je en faisant semblant de chercher dans le Figaro, que je vous envoie même un peu loin ? » Dès que j′eus ainsi l′air de trouver pénible le service qu′elle me rendrait en faisant une course, aussitôt elle commença à trouver que c′était gênant pour elle. « C′est que je dois aller tantôt me promener en vélo. Dame, nous n′avons que le dimanche. — Mais vous n′avez pas froid, nu-tête comme cela ? — Ah ! je ne serai pas nu-tête, j′aurai mon polo, et je pourrais m′en passer avec tous mes cheveux. » Je levai les yeux sur les mèches flavescentes et frisées, et je sentis que leur tourbillon m′emportait, le cœur battant, dans la lumière et les rafales d′un ouragan de beauté. Je continuais à regarder le journal, mais bien que ce ne fût que pour me donner une contenance et me faire gagner du temps, tout en ne faisant que semblant de lire, je comprenais tout de même le sens des mots qui étaient sous mes yeux, et ceux-ci me frappaient : « Au programme de la matinée que nous avons annoncée et qui sera donnée cet après-midi dans la salle des fêtes du Trocadéro, il faut ajouter le nom de Mlle Léa qui a accepté d′y paraître dans les Fourberies de Nérine. Elle tiendra, bien entendu, le rôle de Nérine où elle est étourdissante de verve et d′ensorceleuse gaîté. » Ce fut comme si on avait brutalement arraché de mon cœur le pansement sous lequel il avait commencé, depuis mon retour de Balbec, à se cicatriser. Le flux de mes angoisses s′échappa à torrents. Léa c′était la comédienne amie des deux jeunes filles de Balbec qu′Albertine, sans avoir l′air de les voir, avait un après-midi, au Casino, regardées dans la glace. Il est vrai qu′à Balbec, Albertine, au nom de Léa, avait pris un ton de componction particulier pour me dire, presque choquée qu′on pût soupçonner une telle vertu : « Oh non, ce n′est pas du tout une femme comme ça, c′est une femme très bien. » Malheureusement pour moi, quand Albertine émettait une affirmation de ce genre, ce n′était jamais que le premier stade d′affirmations différentes. Peu après la première, venait cette deuxième : « Je ne la connais pas. » En troisième lieu, quand Albertine m′avait parlé d′une telle personne « insoupçonnable » et que (secundo) elle ne connaissait pas, elle oubliait peu à peu, d′abord avoir dit qu′elle ne la connaissait pas, et, dans une phrase où elle se « coupait » sans le savoir, racontait qu′elle la connaissait. Ce premier oubli consommé et la nouvelle affirmation ayant été émise, un deuxième oubli commençait, celui que la personne était insoupçonnable. « Est-ce qu′une telle, demandais-je, n′a pas de telles mœurs ? — Mais voyons, naturellement, c′est connu comme tout ! » Aussitôt le ton de componction reprenait pour une affirmation qui était un vague écho, fort amoindri, de la toute première : « Je dois dire qu′avec moi elle a toujours été d′une convenance parfaite. Naturellement, elle savait que je l′aurais remisée et de la belle manière. Mais enfin cela ne fait rien. Je suis obligée de lui être reconnaissante du vrai respect qu′elle m′a toujours témoigné. On voit qu′elle savait à qui elle avait affaire. » On se rappelle la vérité parce qu′elle a un nom, des racines anciennes ; mais un mensonge improvisé s′oublie vite. Albertine oubliait ce dernier mensonge-là, le quatrième, et, un jour où elle voulait gagner ma confiance par des confidences, elle se laissait aller à me dire de la même personne, au début si comme il faut et qu′elle ne connaissait pas : « Elle a eu le béguin pour moi. Trois ou quatre fois elle m′a demandé de l′accompagner jusque chez elle et de monter la voir. L′accompagner, je n′y voyais pas de mal, devant tout le monde, en plein jour, en plein air. Mais, arrivée à sa porte, je trouvais toujours un prétexte et je ne suis jamais montée. » Quelque temps après, Albertine faisait allusion à la beauté des objets qu′on voyait chez la même dame. D′approximation en approximation on fût sans doute arrivé à lui faire dire la vérité, qui était peut-être moins grave que je n′étais porté à le croire, car, peut-être, facile avec les femmes, préférait-elle un amant, et, maintenant que j′étais le sien, n′eût-elle pas songé à Léa. En tous cas, pour cette dernière je n′en étais qu′à la première affirmation et j′ignorais si Albertine la connaissait. Déjà, en tous cas pour bien des femmes, il m′eût suffi de rassembler devant mon amie, en une synthèse, ses affirmations contradictoires pour la convaincre de ses fautes (fautes qui sont bien plus aisées, comme les lois astronomiques, à dégager par le raisonnement, qu′à observer, qu′à surprendre dans la réalité). Mais elle aurait encore mieux aimé dire qu′elle avait menti quand elle avait émis une de ces affirmations, dont ainsi le retrait ferait écrouler tout mon système, plutôt que de reconnaître que tout ce qu′elle avait raconté dès le début n′était qu′un tissu de contes mensongers. Il en est de semblables dans les Mille et une Nuits, et qui nous y charment. Ils nous font souffrir dans une personne que nous aimons, et à cause de cela nous permettent d′entrer un peu plus avant dans la connaissance de la nature humaine au lieu de nous contenter de nous jouer à sa surface. Le chagrin pénètre en nous et nous force par la curiosité douloureuse à pénétrer. D′où des vérités que nous ne nous sentons pas le droit de cacher, si bien qu′un athée moribond qui les a découvertes, assuré du néant, insoucieux de la gloire, use pourtant ses dernières heures à tâcher de les faire connaître. Alas! As soon as she stood before me, the fair dairymaid with the ribbed tresses, stripped of all that I had imagined and of the desire that had been aroused in me, was reduced to her own proportions. The throbbing cloud of my suppositions no longer enveloped her in a shimmering haze. She acquired an almost beggarly air from having (in place of the ten, the score that I recalled in turn without being able to fix any of them in my memory) but a single nose, rounder than I had thought, which made her appear rather a fool and had in any case lost the faculty of multiplying itself. This flyaway caught on the wing, inert, crushed, incapable of adding anything to its own paltry appearance, had no longer my imagination to collaborate with it. Fallen into the inertia of reality, I sought to rebound; her cheeks, which I had not seen in the shop, appeared to me so pretty that I became alarmed, and, to put myself in countenance, said to the young dairymaid: “Would you be so kind as to pass me the Figaro which is lying there, I must make sure of the address to which I am going to send you.” Thereupon, as she picked up the newspaper, she disclosed as far as her elbow the red sleeve of her jersey and handed me the conservative sheet with a neat and courteous gesture which pleased me by its intimate rapidity, its pliable contour and its scarlet hue. While I was opening the Figaro, in order to say something and without raising my eyes, I asked the girl: “What do you call that red knitted thing you′re wearing? It is very becoming.” She replied: “It′s my golf.” For, by a slight downward tendency common to all fashions, the garments and styles which, a few years earlier, seemed to belong to the relatively smart world of Albertine′s friends, were now the portion of working girls. “Are you quite sure it won′t be giving you too much trouble,” I said, while I pretended to be searching the columns of the Figaro, “if I send you rather a long way?” As soon as I myself appeared to find the service at all arduous that she would be performing by taking a message for me, she began to feel that it would be a trouble to her. “The only thing is, I have to be going out presently on my bike. Good lord, you know, Sunday′s the only day we′ve got.” “But won′t you catch cold, going bare-headed like that?” “Oh, I shan′t be bare-headed, I shall have my polo, and I could get on without it with all the hair I have.” I raised my eyes to the blaze of curling tresses and felt myself caught in their swirl and swept away, with a throbbing heart, amid the lightning and the blasts of a hurricane of beauty. I continued to study the newspaper, but albeit this was only to keep myself in countenance and to gain time, while I merely pretended to read, I took in nevertheless the meaning of the words that were before my eyes, and my attention was caught by the following: “To the programme already announced for this afternoon in the great hall of the Trocadéro must be added the name of Mlle. Léa who has consented to appear in Les Fourberies de Nérine. She will of course sustain the part of Nérine, in which she is astounding in her display of spirit and bewitching gaiety.” It was as though a hand had brutally torn from my heart the bandage beneath which its wound had begun since my return from Balbec to heal. The flood of my anguish escaped in torrents, Léa, that was the actress friend of the two girls at Balbec whom Albertine, without appearing to see them, had, one afternoon at the Casino, watched in the mirror. It was true that at Balbec Albertine, at the name of Léa, had adopted a special tone of compunction in order to say to me, almost shocked that anyone could suspect such a pattern of virtue: “Oh no, she is not in the least that sort of woman, she is a very respectable person.” Unfortunately for me, when Albertine made a statement of this sort, it was never anything but the first stage towards other, divergent statements. Shortly after the first, came this second: “I don′t know her.” In the third phase, after Albertine had spoken to me of somebody who was ‘above suspicion′ and whom (in the second place) she did not know, she first of all forgot that she had said that she did not know her and then, in a speech in which she contradicted herself unawares, informed me that she did know her. This first act of oblivion completed, and the fresh, statement made, a second oblivion began, to wit that the person was above suspicion. “Isn′t So-and-So,” I would ask, “one of those women?” “Why, of course, everybody knows that!” Immediately the note of compunction was sounded afresh to utter a statement which was a vague echo, greatly reduced, of the first statement of all. “I′m bound to say that she has always behaved perfectly properly with me. Of course, she knows that I would send her about her business if she tried it on. Still, that makes no difference. I am obliged to give her credit for the genuine respect she has always shewn for me. It is easy to see she knew the sort of person she had to deal with.” We remember the truth because it has a name, is rooted in the past, but a makeshift lie is quickly forgotten. Albertine forgot this latest lie, her fourth, and, one day when she was anxious to gain my confidence by confiding in me, went so far as to tell me, with regard to the same person who at the outset had been so respectable and whom she did not know. “She took quite a fancy to me at one time. She asked me, three or four times, to go home with her and to come upstairs to her room. I saw no harm in going home with her, where everybody could see us, in broad daylight, in the open air. But when we reached her front door I always made some excuse and I never went upstairs.” Shortly after this, Albertine made an allusion to the beautiful things that this lady had in her room. By proceeding from one approximation to another, I should no doubt have arrived at making her tell me the truth which was perhaps less serious than I had been led to believe, for, although perhaps easy going with women, she preferred a male lover, and now that she had myself would not have given a thought to Léa. In any case, with regard to this person, I was still at the first stage of revelation and was not aware whether Albertine knew her. Already, in the case of many women at any rate, it would have been enough for me to collect and present to my mistress, in a synthesis, her contradictory statements, in order to convict her of her misdeeds (misdeeds which, like astronomical laws, it is a great deal easier to deduce by a process of reasoning than to observe, to surprise in the act). But then she would have preferred to say that one of her statements had been a lie, the withdrawal of which would thus bring about the collapse of my whole system of evidence, rather than admit that everything which she had told me from the start was simply a tissue of falsehood. There are similar tissues in the Thousand and One Nights, which we find charming. They pain us, coming from a person whom we love, and thereby enable us to penetrate a little deeper in our knowledge of human nature instead of being content to play upon the surface. Grief penetrates into us and forces us out of painful curiosity to penetrate other people. Whence emerge truths which we feel that we have no right to keep hidden, so much so that a dying atheist who has discovered them, certain of his own extinction, indifferent to fame, will nevertheless devote his last hours on earth to an attempt to make them known.
Sans doute je n′en étais qu′à la première de ces affirmations pour Léa. J′ignorais même si Albertine la connaissait ou non. N′importe, cela revenait au même. Il fallait à tout prix éviter qu′au Trocadéro elle pût retrouver cette connaissance, ou faire la connaissance de cette inconnue. Je dis que je ne savais si elle connaissait Léa ou non ; j′avais dû pourtant l′apprendre à Balbec, d′Albertine elle-même. Car l′oubli anéantissait aussi bien chez moi que chez Albertine une grande part des choses qu′elle m′avait affirmées. La mémoire, au lieu d′un exemplaire en double, toujours présent à nos yeux, des divers faits de notre vie, est plutôt un néant d′où par instant une similitude actuelle nous permet de tirer, ressuscités, des souvenirs morts ; mais encore il y a mille petits faits qui ne sont pas tombés dans cette virtualité de la mémoire, et qui resteront à jamais incontrôlables pour nous. Tout ce que nous ignorons se rapporter à la vie réelle de la personne que nous aimons, nous n′y faisons aucune attention, nous oublions aussitôt ce qu′elle nous a dit à propos de tel fait ou de telles gens que nous ne connaissons pas, et l′air qu′elle avait en nous le disant. Aussi, quand ensuite notre jalousie est excitée par ces mêmes gens, pour savoir si elle ne se trompe pas, si c′est bien à eux qu′elle doit rapporter telle hâte que notre maîtresse a de sortir, tel mécontentement que nous l′en ayons privée en rentrant trop tôt, notre jalousie, fouillant le passé pour en tirer des indications, n′y trouve rien ; toujours rétrospective, elle est comme un historien qui aurait à faire une histoire pour laquelle il n′est aucun document ; toujours en retard, elle se précipite comme un taureau furieux là où ne se trouve pas l′être fier et brillant qui l′irrite de ses piqûres et dont la foule cruelle admire la magnificence et la ruse. La jalousie se débat dans le vide, incertaine comme nous le sommes dans ces rêves où nous souffrons de ne pas trouver dans sa maison vide une personne que nous avons bien connue dans la vie, mais qui peut-être en est ici une autre et a seulement emprunté les traits d′un autre personnage, incertaine comme nous le sommes plus encore après le réveil quand nous cherchons à identifier tel ou tel détail de notre rêve. Quel air avait notre amie en nous disant cela ; n′avait-elle pas l′air heureux, ne sifflait-elle même pas, ce qu′elle ne fait que quand elle a quelque pensée amoureuse ? Au temps de l′amour, pour peu que notre présence l′importune et l′irrite, ne nous a-t-elle pas dit une chose qui se trouve en contradiction avec ce qu′elle nous affirme maintenant, qu′elle connaît ou ne connaît pas telle personne ? Nous ne le savons pas, nous ne le saurons jamais ; nous nous acharnons à chercher les débris inconsistants d′un rêve, et pendant ce temps notre vie avec notre maîtresse continue, notre vie distraite devant ce que nous ignorons être important pour nous, attentive à ce qui ne l′est peut-être pas, encauchemardée par des êtres qui sont sans rapports réels avec nous, pleine d′oublis, de lacunes, d′anxiétés vaines, notre vie pareille à un songe. Of course, I was still at the first stage of enlightenment with regard to Léa. I was not even aware whether Albertine knew her. No matter, it all came to the same thing. I must at all costs prevent her from — at the Trocadéro — renewing this acquaintance or making the acquaintance of this stranger. I have said that I did not know whether she knew Léa; I ought, however, to have learned it at Balbec, from Albertine herself. For defective memory obliterated from my mind as well as from Albertine′s a great many of the statements that she had made to me. Memory, instead of being a duplicate always present before our eyes of the various events of our life, is rather an abyss from which at odd moments a chance resemblance enables us to draw up, restored to life, dead impressions; but even then there are innumerable little details which have not fallen into that potential reservoir of memory, and which will remain for ever beyond our control. To anything that we do not know to be related to the real life of the person whom we love we pay but scant attention, we forget immediately what she has said to us about some incident or people that we do not know, and her expression while she was saying it. And so when, in due course, our jealousy is aroused by these same people, and seeks to make sure that it is not mistaken, that it is they who are responsible for the haste which our mistress shews in leaving the house, her annoyance when we have prevented her from going out by returning earlier than usual; our jealousy ransacking the past in search of a clue can find nothing; always retrospective, it is like a historian who has to write the history of a period for which he has no documents; always belated, it dashes like a mad bull to the spot where it will not find the proud and brilliant creature who is infuriating it with his darts and whom the crowd admire for his splendour and his cunning. Jealousy fights the empty air, uncertain as we are in those dreams in which we are distressed because we cannot find in his empty house a person whom we have known well in life, but who here perhaps is really another person and has merely borrowed the features of our friend, uncertain as we are even more after we awake when we seek to identify this or that detail of our dream. What was our mistress′s expression when she told us this; did she not look happy, was she not actually whistling, a thing that she never does unless there is some amorous thought in her mind? In the time of our love, if our presence teased her and irritated her a little, has she not told us something that is contradicted by what she now affirms, that she knows or does not know such and such a person? We do not know, we shall never find out; we strain after the unsubstantial fragments of a dream, and all the time our life with our mistress continues, our life indifferent to what we do not know to be important to us, attentive to what is perhaps of no importance, hagridden by people who have no real connexion with us, full of lapses of memory, gaps, vain anxieties, our life as fantastic as a dream.
Je m′aperçus que la petite laitière était toujours là. Je lui dis que décidément ce serait bien loin, que je n′avais pas besoin d′elle. Aussitôt elle trouva aussi que ce serait trop gênant : « Il y a un beau match tantôt, je ne voudrais pas le manquer. » Je sentis qu′elle devait déjà aimer les sports et que dans quelques années elle dirait : vivre sa vie. Je lui dis que décidément je n′avais pas besoin d′elle et je lui donnai cinq francs. Aussitôt, s′y attendant si peu, et se disant que, si elle avait cinq francs pour ne rien faire, elle aurait beaucoup pour ma course, elle commença à trouver que son match n′avait pas d′importance. « J′aurais bien fait votre course. On peut toujours s′arranger. » Mais je la poussai vers la porte, j′avais besoin d′être seul, il fallait à tout prix empêcher qu′Albertine pût retrouver au Trocadéro les amies de Léa. Il le fallait, il fallait y réussir ; à vrai dire je ne savais pas encore comment, et pendant ces premiers instants j′ouvrais mes mains, les regardais, faisais craquer les jointures de mes doigts, soit que l′esprit qui ne peut trouver ce qu′il cherche, pris de paresse, s′accorde de faire halte pendant un instant, où les choses les plus indifférentes lui apparaissent distinctement, comme ces pointes d′herbe des talus qu′on voit du wagon trembler au vent, quand le train s′arrête en rase campagne — immobilité qui n′est pas toujours plus féconde que celle de la bête capturée qui, paralysée par la peur ou fascinée, regarde sans bouger — soit que je tinsse tout préparé mon corps — avec mon intelligence au dedans et en celle-ci les moyens d′action sur telle ou telle personne — comme n′étant plus qu′une arme d′où partirait le coup qui séparerait Albertine de Léa et de ses deux amies. Certes, le matin, quand Françoise était venue me dire qu′Albertine irait au Trocadéro, je m′étais dit : « Albertine peut bien faire ce qu′elle veut », et j′avais cru que jusqu′au soir, par ce temps radieux, ses actions resteraient pour moi sans importance perceptible ; mais ce n′était pas seulement le soleil matinal, comme je l′avais pensé, qui m′avait rendu si insouciant ; c′était parce que, ayant obligé Albertine à renoncer aux projets qu′elle pouvait peut-être amorcer ou même réaliser chez les Verdurin, et l′ayant réduite à aller à une matinée que j′avais choisie moi-même et en vue de laquelle elle n′avait pu rien préparer, je savais que ce qu′elle ferait serait forcément innocent. De même, si Albertine avait dit quelques instants plus tard : « Si je me tue, cela m′est bien égal », c′était parce qu′elle était persuadée qu′elle ne se tuerait pas. Devant moi, devant Albertine, il y avait en ce matin (bien plus que l′ensoleillement du jour) ce milieu que nous ne voyons pas, mais par l′intermédiaire translucide et changeant duquel nous voyions, moi ses actions, elle l′importance de sa propre vie, c′est-à-dire ces croyances que nous ne percevons pas, mais qui ne sont pas plus assimilables à un pur vide que n′est l′air qui nous entoure ; composant autour de nous une atmosphère variable, parfois excellente, souvent irrespirable, elles mériteraient d′être relevées et notées avec autant de soin que la température, la pression barométrique, la saison, car nos jours ont leur originalité, physique et morale. La croyance, non remarquée ce matin par moi et dont pourtant j′avais été joyeusement enveloppé jusqu′au moment où j′avais rouvert le Figaro, qu′Albertine ne ferait rien que d′inoffensif, cette croyance venait de disparaître. Je ne vivais plus dans la belle journée, mais dans une journée créée au sein de la première par l′inquiétude qu′Albertine renouât avec Léa, et plus facilement encore avec les deux jeunes filles, si elles allaient, comme cela me semblait probable, applaudir l′actrice au Trocadéro, où il ne leur serait pas difficile, dans un entr′acte, de retrouver Albertine. Je ne songeais plus à Mlle Vinteuil ; le nom de Léa m′avait fait revoir, pour en être jaloux, l′image d′Albertine au Casino près des deux jeunes filles. Car je ne possédais dans ma mémoire que des séries d′Albertine séparées les unes des autres, incomplètes, des profils, des instantanés ; aussi ma jalousie se confinait-elle à une expression discontinue, à la fois fugitive et fixée, et aux êtres qui l′avaient amenée sur la figure d′Albertine. Je me rappelais celle-ci quand, à Balbec, elle était trop regardée par les deux jeunes filles ou par des femmes de ce genre ; je me rappelais la souffrance que j′éprouvais à voir parcourir, par des regards actifs comme ceux d′un peintre qui veut prendre un croquis, le visage entièrement recouvert par eux et qui, à cause de ma présence sans doute, subissait ce contact sans avoir l′air de s′en apercevoir, avec une passivité peut-être clandestinement voluptueuse. Et avant qu′elle se ressaisît et me parlât, il y avait une seconde pendant laquelle Albertine ne bougeait pas, souriait dans le vide, avec le même air de naturel feint et de plaisir dissimulé que si on avait été en train de faire sa photographie ; ou même pour choisir devant l′objectif une pose plus fringante — celle même qu′elle avait prise à Doncières quand nous nous promenions avec Saint-Loup : riant et passant sa langue sur ses lèvres, elle faisait semblant d′agacer un chien. Certes, à ces moments, elle n′était nullement la même que quand c′était elle qui était intéressée par des fillettes qui passaient. Dans ce dernier cas, au contraire, son regard étroit et velouté se fixait, se collait sur la passante, si adhérent, si corrosif, qu′il semblait qu′en se retirant il aurait dû emporter la peau. Mais en ce moment ce regard-là, qui du moins lui donnait quelque chose de sérieux, jusqu′à la faire paraître souffrante, m′avait semblé doux auprès du regard atone et heureux qu′elle avait près des deux jeunes filles, et j′aurais préféré la sombre expression du désir, qu′elle ressentait peut-être quelquefois, à la riante expression causée par le désir qu′elle inspirait. Elle avait beau essayer de voiler la conscience qu′elle en avait, celle-ci la baignait, l′enveloppait, vaporeuse, voluptueuse, faisait paraître sa figure toute rose. Mais tout ce qu′Albertine tenait à ces moments-là en suspens en elle, qui irradiait autour d′elle et me faisait tant souffrir, qui sait si, hors de ma présence, elle continuerait à le taire, si aux avances des deux jeunes filles, maintenant que je n′étais pas là, elle ne répondrait pas audacieusement. Certes, ces souvenirs me causaient une grande douleur, ils étaient comme un aveu total des goûts d′Albertine, une confession générale de son infidélité contre quoi ne pouvaient prévaloir les serments particuliers qu′elle me faisait, auxquels je voulais croire, les résultats négatifs de mes incomplètes enquêtes, les assurances, peut-être faites de connivence avec elle, d′Andrée. Albertine pouvait me nier ses trahisons particulières ; par des mots qui lui échappaient, plus forts que les déclarations contraires, par ces regards seuls, elle avait fait l′aveu de ce qu′elle eût voulu cacher, bien plus que de faits particuliers, de ce qu′elle se fût fait tuer plutôt que de reconnaître : de son penchant. Car aucun être ne veut livrer son âme. Malgré la douleur que ces souvenirs me causaient, aurais-je pu nier que c′était le programme de la matinée du Trocadéro qui avait réveillé mon besoin d′Albertine ? Elle était de ces femmes à qui leurs fautes pourraient au besoin tenir lieu de charme, et autant que leurs fautes, leur bonté qui y succède et ramène en nous cette douceur qu′avec elles, comme un malade qui n′est jamais bien portant deux jours de suite, nous sommes sans cesse obligés de reconquérir. D′ailleurs, plus même que leurs fautes pendant que nous les aimons, il y a leurs fautes avant que nous les connaissions, et la première de toutes : leur nature. Ce qui rend douloureuses de telles amours, en effet, c′est qu′il leur préexiste une espèce de péché originel de la femme, un péché qui nous les fait aimer, de sorte que, quand nous l′oublions, nous avons moins besoin d′elle et que, pour recommencer à aimer, il faut recommencer à souffrir. En ce moment, qu′elle ne retrouvât pas les deux jeunes files et savoir si elle connaissait Léa ou non était ce qui me préoccupait le plus, en dépit de ce qu′on ne devrait pas s′intéresser aux faits particuliers autrement qu′à cause de leur signification générale, et malgré la puérilité qu′il y a, aussi grande que celle du voyage ou du désir de connaître des femmes, de fragmenter sa curiosité sur ce qui, du torrent invisible des réalités cruelles qui nous resteront toujours inconnues, a fortuitement cristallisé dans notre esprit. D′ailleurs, arriverions-nous à détruire cette cristallisation qu′elle serait remplacée par une autre aussitôt. Hier je craignais qu′Albertine n′allât chez Mme Verdurin. Maintenant je n′étais plus préoccupé que de Léa. La jalousie, qui a un bandeau sur les yeux, n′est pas seulement impuissante à rien découvrir dans les ténèbres qui l′enveloppent, elle est encore un de ces supplices où la tâche est à recommencer sans cesse, comme celle des Danas, comme celle d′Ixion. Même si ses amies n′étaient pas là, quelle impression pouvait faire sur elle Léa embellie par le travestissement, glorifiée par le succès ? quelles rêveries laisserait-elle à Albertine ? quels désirs qui, même refrénés, lui donneraient le dégoût d′une vie chez moi où elle ne pouvait les assouvir ? I realised that the young dairymaid was still in the room. I told her that the place was certainly a long way off, that I did not need her. Whereupon she also decided that it would be too much trouble: “There′s a fine match coming off, I don′t want to miss it.” I felt that she must already be devoted to sport and that in a few years′ time she would be talking about ‘living her own life.′ I told her that I certainly did not need her any longer, and gave her five francs. Immediately, having little expected this largesse, and telling herself that if she earned five francs for doing nothing she would have a great deal more for taking my message, she began to find that her match was of no importance. “I could easily have taken your message. I can always find time.” But I thrust her from the room, I needed to be alone, I must at all costs prevent Albertine from any risk of meeting Léa′s girl friends at the Trocadéro. I must try, and I must succeed; to tell the truth I did not yet see how, and during these first moments I opened my hands, gazed at them, cracked my knuckles, whether because the mind which cannot find what it is seeking, in a fit of laziness allows itself to halt for an instant at a spot where the most unimportant things are distinctly visible to it, like the blades of grass on the embankment which we see from the carriage window trembling in the wind, when the train halts in the open country — an immobility that is not always more fertile than that of the captured animal which, paralysed by fear or fascinated, gazes without moving a muscle — or that I might hold my body in readiness — with my mind at work inside it and, in my mind, the means of action against this or that person — as though it were no more than a weapon from which would be fired the shot that was to separate Albertine from Léa and her two friends. It is true that earlier in the morning, when Françoise had come in to tell me that Albertine was going to the Trocadéro, I had said to myself: “Albertine is at liberty to do as she pleases” and had supposed that until evening came, in this radiant weather, her actions would remain without any perceptible importance to myself; but it was not only the morning sun, as I had thought, that had made me so careless; it was because, having obliged Albertine to abandon the plans that she might perhaps have initiated or even completed at the Verdurins′, and having restricted her to attending a performance which I myself had chosen, so that she could not have made any preparations, I knew that whatever she did would of necessity be innocent. Just as, if Albertine had said a few moments later: “If I kill myself, it′s all the same to me,” it would have been because she was certain that she would not kill herself. Surrounding myself and Albertine there had been this morning (far more than the sunlight in the air) that atmosphere which we do not see, but by the translucent and changing medium of which we do see, I her actions, she the importance of her own life, that is to say those beliefs which we do not perceive but which are no more assimilable to a pure vacuum than is the air that surrounds us; composing round about us a variable atmosphere, sometimes excellent, often unbreathable, they deserve to be studied and recorded as carefully as the temperature, the barometric pressure, the weather, for our days have their own singularity, physical and moral. My belief, which I had failed to remark this morning, and yet in which I had been joyously enveloped until the moment when I had looked a second time at the Figaro, that Albertine would do nothing that was not harmless, this belief had vanished. I was living no longer in the fine sunny day, but in a day carved out of the other by my anxiety lest Albertine might renew her acquaintance with Léa and more easily still with the two girls, should they go, as seemed to me probable, to applaud the actress at the Trocadéro where it would not be difficult for them, in one of the intervals, to come upon Albertine. I no longer thought of Mlle. Vinteuil, the name of Léa had brought back to my mind, to make me jealous, the image of Albertine in the Casino watching the two girls. For I possessed in my memory only series of Albertines, separate from one another, incomplete, outlines, snapshots; and so my jealousy was restricted to an intermittent expression, at once fugitive and fixed, and to the people who had caused that expression to appear upon Albertine′s face. I remembered her when, at Balbec, she received undue attention from the two girls or from women of that sort; I remembered the distress that I used to feel when I saw her face subjected to an active scrutiny, like that of a painter preparing to make a sketch, entirely covered by them, and, doubtless on account of my presence, submitting to this contact without appearing to notice it, with a passivity that was perhaps clandestinely voluptuous. And before she recovered herself and spoke to me there was an instant during which Albertine did not move, smiled into the empty air, with the same air of feigned spontaneity and concealed pleasure as if she were posing for somebody to take her photograph; or even seeking to assume before the camera a more dashing pose — that which she had adopted at Doncières when we were walking with Saint-Loup, and, laughing and passing her tongue over her lips, she pretended to be teasing a dog. Certainly at such moments she was not at all the same as when it was she that was interested in little girls who passed us. Then, on the contrary, her narrow velvety gaze fastened itself upon, glued itself to the passer-by, so adherent, so corrosive, that you felt that when she removed it it must tear away the skin. But at that moment this other expression, which did at least give her a serious air, almost as though she were in pain, had seemed to me a pleasant relief after the toneless blissful expression she had worn in the presence of the two girls, and I should have preferred the sombre expression of the desire that she did perhaps feel at times to the laughing expression caused by the desire which she aroused. However she might attempt to conceal her consciousness of it, it bathed her, enveloped her, vaporous, voluptuous, made her whole face appear rosy. But everything that Albertine held at such moments suspended in herself, that radiated round her and hurt me so acutely, how could I tell whether, once my back was turned, she would continue to keep it to herself, whether to the advances of the two girls, now that I was no longer with her, she would not make some audacious response. Indeed, these memories caused me intense grief, they were like a complete admission of Albertine′s failings, a general confession of her infidelity against which were powerless the various oaths that she swore to me and I wished to believe, the negative results of my incomplete researches, the assurances, made perhaps in connivance with her, of Andrée. Albertine might deny specified betrayals; by words that she let fall, more emphatic than her declarations to the contrary, by that searching gaze alone, she had made confession of what she would fain have concealed, far more than any specified incident, what she would have let herself be killed sooner than admit: her natural tendency. For there is no one who will willingly deliver up his soul. Notwithstanding the grief that these memories were causing me, could I have denied that it was the programme of the matinée at the Trocadéro that had revived my need of Albertine? She was one of those women in whom their misdeeds may at a pinch take the place of absent charms, and no less than their misdeeds the kindness that follows them and restores to us that sense of comfort which in their company, like an invalid who is never well for two days in succession, we are incessantly obliged to recapture. And then, even more than their misdeeds while we are in love with them, there are their misdeeds before we made their acquaintance, and first and foremost: their nature. What makes this sort of love painful is, in fact, that there preexists a sort of original sin of Woman, a sin which makes us love them, so that, when we forget it, we feel less need of them, and to begin to love afresh we must begin to suffer afresh. At this moment, the thought that she must not meet the two girls again and the question whether or not she knew Léa were what was chiefly occupying my mind, in spite of the rule that we ought not to take an interest in particular facts except in relation to their general significance, and notwithstanding the childishness, as great as that of longing to travel or to make friends with women, of shattering our curiosity against such elements of the invisible torrent of painful realities which will always remain unknown to us as have happened to crystallise in our mind. But, even if we should succeed in destroying that crystallisation, it would at once be replaced by another. Yesterday I was afraid lest Albertine should go to see Mme. Verdurin. Now my only thought was of Léa. Jealousy, which wears a bandage over its eyes, is not merely powerless to discover anything in the darkness that enshrouds it, it is also one of those torments where the task must be incessantly repeated, like that of the Danaids, or of Ixion. Even if her friends were not there, what impression might she not form of Léa, beautified by her stage attire, haloed with success, what thoughts would she leave in Albertine′s mind, what desires which, even if she repressed them, would in my house disgust her with a life in which she was unable to gratify them.
D′ailleurs, qui sait si elle ne connaissait pas Léa et n′irait pas la voir dans sa loge ? et même, si Léa ne la connaissait pas, qui m′assurait que, l′ayant en tous cas aperçue à Balbec, elle ne la reconnaîtrait pas et ne lui ferait pas de la scène un signe qui autoriserait Albertine à se faire ouvrir la porte des coulisses ? Un danger semble très évitable quand il est conjuré. Celui-ci ne l′était pas encore, j′avais peur qu′il ne pût pas l′être, et il me semblait d′autant plus terrible. Et pourtant, cet amour pour Albertine, que je sentais presque s′évanouir quand j′essayais de le réaliser, la violence de ma douleur en ce moment semblait en quelque sorte m′en donner la preuve. Je n′avais plus souci de rien d′autre, je ne pensais qu′aux moyens de l′empêcher de rester au Trocadéro, j′aurais offert n′importe quelle somme à Léa pour qu′elle n′y allât pas. Si donc on prouve sa préférence par l′action qu′on accomplit plus que par l′idée qu′on forme, j′aurais aimé Albertine. Mais cette reprise de ma souffrance ne donnait pas plus de consistance en moi à l′image d′Albertine. Elle causait mes maux comme une divinité qui reste invisible. Faisant mille conjectures, je cherchais à parer à ma souffrance sans réaliser pour cela mon amour. D′abord il fallait être certain que Léa allât vraiment au Trocadéro. Après avoir congédié la laitière, je téléphonai à Bloch, lié lui aussi avec Léa, pour le lui demander. Il n′en savait rien et parut étonné que cela pût m′intéresser. Je pensai qu′il me fallait aller vite, que Françoise était tout habillée et moi pas, et, pendant que moi-même je me levais, je lui fis prendre une automobile ; elle devait aller au Trocadéro, prendre un billet, chercher Albertine partout dans la salle, et lui remettre un mot de moi. Dans ce mot, je lui disais que j′étais bouleversé par une lettre reçue à l′instant de la même dame à cause de qui elle savait que j′avais été si malheureux une nuit à Balbec. Je lui rappelais que le lendemain elle m′avait reproché de ne pas l′avoir fait appeler. Aussi je me permettais, lui disais-je, de lui demander de me sacrifier sa matinée et de venir me chercher pour aller prendre un peu l′air ensemble afin de tâcher de me remettre. Mais comme j′en avais pour assez longtemps avant d′être habillé et prêt, elle me ferait plaisir de profiter de la présence de Françoise pour aller acheter aux Trois-Quartiers (ce magasin, étant plus petit, m′inquiétait moins que le Bon Marché) la guimpe de tulle blanc dont elle avait besoin. Mon mot n′était probablement pas inutile. À vrai dire, je ne savais rien qu′eût fait Albertine, depuis que je la connaissais, ni même avant. Mais dans sa conversation (Albertine aurait pu, si je lui en eusse parlé, dire que j′avais mal entendu), il y avait certaines contradictions, certaines retouches qui me semblaient aussi décisives qu′un flagrant délit, mais moins utilisables contre Albertine qui, souvent, prise en fraude comme un enfant, grâce à de brusques redressements stratégiques, avait chaque fois rendu vaines mes cruelles attaques et rétabli la situation. Cruelles surtout pour moi. Elle usait, non par raffinement de style, mais pour réparer ses imprudences, de ces brusques sautes de syntaxe ressemblant un peu à ce que les grammairiens appellent anacoluthe ou je ne sais comment. S′étant laissée aller, en parlant femmes, à dire : « Je me rappelle que dernièrement je », brusquement, après un « quart de soupir », « je » devenait « elle », c′était une chose qu′elle avait aperçue en promeneuse innocente, et nullement accomplie. Ce n′était pas elle qui était le sujet de l′action. J′aurais voulu me rappeler exactement le commencement de la phrase pour conclure moi-même, puisqu′elle lâchait pied, à ce qu′en eût été la fin. Mais comme j′avais attendu cette fin, je me rappelais mal le commencement, que peut-être mon air d′intérêt lui avait fait dévier, et je restais anxieux de sa pensée vraie, de son souvenir véridique. Il en est malheureusement des commencements d′un mensonge de notre maîtresse comme des commencements de notre propre amour, ou d′une vocation. Ils se forment, se conglomèrent, ils passent, inaperçus de notre propre attention. Quand on veut se rappeler de quelle façon on a commencé d′aimer une femme, on aime déjà ; les rêveries d′avant, on ne se disait pas : c′est le prélude d′un amour, faisons attention ; et elles avançaient par surprise, à peine remarquées de nous. De même, sauf des cas relativement assez rares, ce n′est guère que pour la commodité du récit que j′ai souvent opposé ici un dire mensonger d′Albertine à son assertion première sur le même sujet. Cette assertion première, souvent, ne lisant pas dans l′avenir et ne devinant pas quelle affirmation contradictoire lui ferait pendant, elle s′était glissée inaperçue, entendue certes de mes oreilles, mais sans que je l′isolasse de la continuité des paroles d′Albertine. Plus tard, devant le mensonge parlant, ou pris d′un doute anxieux, j′aurais voulu me rappeler ; c′était en vain ; ma mémoire n′avait pas été prévenue à temps ; elle avait cru inutile de garder copie. Besides, how could I tell that she was not acquainted with Léa, and would not pay her a visit in her dressing-room; and, even if Léa did not know her, who could assure me that, having certainly seen her at Balbec, she would not recognise her and make a signal to her from the stage that would entitle Albertine to seek admission behind the scenes? A danger seems easy to avoid after it has been conjured away. This one was not yet conjured, I was afraid that it might never be, and it seemed to me all the more terrible. And yet this love for Albertine which I felt almost vanish when I attempted to realise it, seemed in a measure to acquire a proof of its existence from the intensity of my grief at this moment. I no longer cared about anything else, I thought only of how I was to prevent her from remaining at the Trocadéro, I would have offered any sum in the world to Léa to persuade her not to go there. If then we prove our choice by the action that we perform rather than by the idea that we form, I must have been in love with Albertine. But this renewal of my suffering gave no further consistency to the image that I beheld of Albertine. She caused my calamities, like a deity that remains invisible. Making endless conjectures, I sought to shield myself from suffering without thereby realising my love. First of all, I must make certain that Léa was really going to perform at the Trocadéro. After dismissing the dairymaid, I telephoned to Bloch, whom I knew to be on friendly terms with Léa, in order to ask him. He knew nothing about it and seemed surprised that the matter could be of any importance to me. I decided that I must set to work immediately, remembered that Françoise was ready to go out and that I was not, and as I rose and dressed made her take a motor-car; she was to go to the Trocadéro, engage a seat, look high and low for Albertine and give her a note from myself. In this note I told her that I was greatly upset by a letter which I had just received from that same lady on whose account she would remember that I had been so wretched one night at Balbec. I reminded her that, on the following day, she had reproached me for not having sent for her. And so I was taking the liberty, I informed her, of asking her to sacrifice her matinée and to join me at home so that we might take a little fresh air together, which might help me to recover from the shock. But as I should be a long time in getting ready, she would oblige me, seeing that she had Françoise as an escort, by calling at the Trois-Quartiers (this shop, being smaller, seemed to me less dangerous than the Bon Marché) to buy the scarf of white tulle that she required. My note was probably not superfluous. To tell the truth, I knew nothing that Albertine had done since I had come to know her, or even before. But in her conversation (she might, had I mentioned it to her, have replied that I had misunderstood her) there were certain contradictions, certain embellishments which seemed to me as decisive as catching her red-handed, but less serviceable against Albertine who, often caught out in wrongdoing like a child, had invariably, by dint of sudden, strategic changes of front, stultified my cruel onslaught and reestablished her own position. Cruel, most of all, to myself. She employed, not from any refinement of style, but in order to correct her imprudences, abrupt breaches of syntax not unlike that figure which the grammarians call anacoluthon or some such name. Having allowed herself, while discussing women, to say: “I remember, the other day, I . . .,” she would at once catch her breath, after which ‘I′ became ‘she′: it was something that she had witnessed as an innocent spectator, not a thing that she herself had done. It was not herself that was the heroine of the anecdote. I should have liked to recall how, exactly, the sentence began, so as to conclude for myself, since she had broken off in the middle, how it would have ended. But as I had heard the end, I found it hard to remember the beginning, from which perhaps my air of interest had made her deviate, and was left still anxious to know what she was really thinking, what she really remembered. The first stages of falsehood on the part of our mistress are like the first stages of our own love, or of a religious vocation. They take shape, accumulate, pass, without our paying them any attention. When we wish to remember in what manner we began to love a woman, we are already in love with her; when we dreamed about her before falling in love, we did not say to ourself: This is the prelude to a love affair, we must pay attention! — and our dreams took us by surprise, and we barely noticed them. So also, except in cases that are comparatively rare, it is only for the convenience of my narrative that I have frequently in these pages confronted one of Albertine′s false statements with her previous assertion upon the same subject. This previous assertion, as often as not, since I could not read the future and did not at the time guess what contradictory affirmation was to form a pendant to it, had slipped past unperceived, heard it is true by my ears, but without my isolating it from the continuous flow of Albertine′s speech. Later on, faced with the self-evident lie, or seized by an anxious doubt, I would fain have recalled it; but in vain; my memory had not been warned in time, and had thought it unnecessary to preserve a copy.
Je recommandai à Françoise, quand elle aurait fait sortir Albertine de la salle, de m′en avertir par téléphone et de la ramener, contente ou non. « Il ne manquerait plus que cela qu′elle ne soit pas contente de venir voir Monsieur, répondit Françoise. — Mais je ne sais pas si elle aime tant que cela me voir. — Il faudrait qu′elle soit bien ingrate », reprit Françoise, en qui Albertine renouvelait, après tant d′années, le même supplice d′envie que lui avait causé jadis Eulalie auprès de ma tante. Ignorant que la situation d′Albertine auprès de moi n′avait pas été cherchée par elle mais voulue par moi (ce que, par amour-propre et pour faire enrager Françoise, j′aimais autant lui cacher), elle admirait et exécrait son habileté, l′appelait, quand elle parlait d′elle aux autres domestiques, une « comédienne », une « enjôleuse » qui faisait de moi ce qu′elle voulait. Elle n′osait pas encore entrer en guerre contre elle, lui faisait bon visage, et se faisait mérite auprès de moi des services qu′elle me rendait dans ses relations avec moi, pensant qu′il était inutile de me rien dire et qu′elle n′arriverait à rien, mais à l′affût d′une occasion ; si jamais elle découvrait dans la situation d′Albertine une fissure, elle se promettait bien de l′élargir et de nous séparer complètement. « Bien ingrate ? Mais non, Françoise, c′est moi qui me trouve ingrat, vous ne savez pas comme elle est bonne pour moi. (Il m′était si doux d′avoir l′air d′être aimé !) Partez vite. — Je vais me cavaler et presto. » L′influence de sa fille commençait à altérer un peu le vocabulaire de Françoise. Ainsi perdent leur pureté toutes les langues par l′adjonction de termes nouveaux. Cette décadence du parler de Françoise, que j′avais connu à ses belles époques, j′en étais, du reste, indirectement responsable. La fille de Françoise n′aurait pas fait dégénérer jusqu′au plus bas jargon le langage classique de sa mère, si elle s′était contentée de parler patois avec elle. Elle ne s′en était jamais privée, et quand elles étaient toutes deux auprès de moi, si elles avaient des choses secrètes à se dire, au lieu d′aller s′enfermer dans la cuisine elles se faisaient, en plein milieu de ma chambre, une protection plus infranchissable que la porte la mieux fermée, en parlant patois. Je supposais seulement que la mère et la fille ne vivaient pas toujours en très bonne intelligence, si j′en jugeais par la fréquence avec laquelle revenait le seul mot que je pusse distinguer : m′esasperat (à moins que l′objet de cette exaspération ne fût moi). Malheureusement la langue la plus inconnue finit par s′apprendre quand on l′entend toujours parler. Je regrettai que ce fût le patois, car j′arrivais à le savoir et n′aurais pas moins bien appris si Françoise avait eu l′habitude de s′exprimer en persan. Françoise, quand elle s′aperçut de mes progrès, eut beau accélérer son débit, et sa fille pareillement, rien n′y fit. La mère fut désolée que je comprisse le patois, puis contente de me l′entendre parler. À vrai dire, ce contentement, c′était de la moquerie, car bien que j′eusse fini par le prononcer à peu près comme elle, elle trouvait entre nos deux prononciations des abîmes qui la ravissaient et se mit à regretter de ne plus voir des gens de son pays auxquels elle n′avait jamais pensé depuis bien des années et qui, paraît-il, se seraient tordus d′un rire qu′elle eût voulu entendre, en m′écoutant parler si mal le patois. Cette seule idée la remplissait de gaîté et de regret, et elle énumérait tel ou tel paysan qui en aurait eu des larmes de rire. En tous cas, aucune joie ne mélangea la tristesse que, même le prononçant mal, je le comprisse bien. Les clefs deviennent inutiles quand celui qu′on veut empêcher d′entrer peut se servir d′un passe-partout ou d′une pince-monseigneur. Le patois devenant une défense sans valeur, elle se mit à parler avec sa fille un français qui devint bien vite celui des plus basses époques. I urged Françoise, when she had got Albertine out of the hall, to let me know by telephone, and to bring her home, whether she was willing or not. “That would be the last straw, that she should not be willing to come and see Monsieur,” replied Françoise. “But I don′t know that she′s as fond as all that of seeing me.” “Then she must be an ungrateful wretch,” went on Françoise, in whom Albertine was renewing after all these years the same torment of envy that Eulalie used at one time to cause her in my aunt′s sickroom. Unaware that Albertine′s position in my household was not of her own seeking but had been decided by myself (a fact which, from motives of self-esteem and to make Françoise angry, I preferred to conceal from her), she admired and execrated the girl′s dexterity, called her when she spoke of her to the other servants a ‘play-actress,′ a wheedler who could twist me round her little finger. She dared not yet declare open war against her, shewed her a smiling countenance and sought to acquire merit in my sight by the services which she performed for her in her relations with myself, deciding that it was useless to say anything to me and that she would gain nothing by doing so; but if the opportunity ever arose, if ever she discovered a crack in Albertine′s armour, she was fully determined to enlarge it, and to part us for good and all. “Ungrateful? No, Françoise, I think it is I that am ungrateful, you don′t know how good she is to me.” (It was so soothing to give the impression that I was loved.) “Be as quick as you can.” “All right, I′ll get a move on.” Her daughter′s influence was beginning to contaminate Françoise′s vocabulary. So it is that all languages lose their purity by the admission of new words. For this decadence of Françoise′s speech, which I had known in its golden period, I was myself indirectly responsible. Françoise′s daughter would not have made her mother′s classic language degenerate into the vilest slang, had she been content to converse with her in dialect. She had never given up the use of it, and when they were both in my room at once, if they had anything private to say, instead of shutting themselves up in the kitchen, they armed themselves, right in the middle of my room, with a screen more impenetrable than the most carefully shut door, by conversing in dialect. I supposed merely that the mother and daughter were not always on the best of terms, if I was to judge by the frequency with which they employed the only word that I could make out: m′esasperate (unless it was that the object of their exasperation was myself). Unfortunately the most unfamiliar tongue becomes intelligible in time when we are always hearing it spoken. I was sorry that this should be dialect, for I succeeded in picking it up, and should have been no less successful had Françoise been in the habit of expressing herself in Persian. In vain might Françoise, when she became aware of my progress, accelerate the speed of her utterance, and her daughter likewise, it was no good. The mother was greatly put out that I understood their dialect, then delighted to hear me speak it. I am bound to admit that her delight was a mocking delight, for albeit I came in time to pronounce the words more or less as she herself did, she found between our two ways of pronunciation an abyss of difference which gave her infinite joy, and she began to regret that she no longer saw people to whom she had not given a thought for years but who, it appeared, would have rocked with a laughter which it would have done her good to hear, if they could have heard me speaking their dialect so badly. In any case, no joy came to mitigate her sorrow that, however badly I might pronounce it, I understood well. Keys become useless when the person whom we seek to prevent from entering can avail himself of a skeleton key or a jemmy. Dialect having become useless as a means of defence, she took to conversing with her daughter in a French which rapidly became that of the most debased epochs.
J′étais prêt, Françoise n′avait pas encore téléphoné ; fallait-il partir sans attendre ? Mais qui sait si elle trouverait Albertine ? si celle-ci ne serait pas dans les coulisses ? si même, rencontrée par Françoise, elle se laisserait ramener ? Une demi-heure plus tard le tintement du téléphone retentit et dans mon cœur battaient tumultueusement l′espérance et la crainte. C′étaient, sur l′ordre d′un employé de téléphone, un escadron volant de sons qui avec une vitesse instantanée m′apportaient les paroles du téléphoniste, non celles de Françoise qu′une timidité et une mélancolie ancestrales, appliquées à un objet inconnu de ses pères, empêchaient de s′approcher d′un récepteur, quitte à visiter des contagieux. Elle avait trouvé au promenoir Albertine seule, qui, étant allée seulement prévenir Andrée qu′elle ne restait pas, avait rejoint aussitôt Françoise. « Elle n′était pas fâchée ? Ah ! pardon ! Demandez à cette dame si cette demoiselle n′était pas fâchée ?Â… — Cette dame me dit de vous dire que non pas du tout, que c′était tout le contraire ; en tous cas, si elle n′était pas contente ça ne se connaissait pas. Elles partent maintenant aux Trois-Quartiers et seront rentrées à deux heures. » Je compris que deux heures signifiait trois heures, car il était plus de deux heures. Mais c′était chez Françoise un de ces défauts particuliers, permanents, inguérissables, que nous appelons maladies, de ne pouvoir jamais regarder ni dire l′heure exactement. Je n′ai jamais pu comprendre ce qui se passait dans sa tête. Quand Françoise, ayant regardé sa montre, s′il était deux heures disait : il est une heure, ou il est trois heures, je n′ai jamais pu comprendre si le phénomène qui avait lieu alors avait pour siège la vue de Françoise, ou sa pensée, ou son langage ; ce qui est certain, c′est que ce phénomène avait toujours lieu. L′humanité est très vieille. L′hérédité, les croisements ont donné une force immuable à de mauvaises habitudes, à des réflexes vicieux. Une personne éternue et râle parce qu′elle passe près d′un rosier ; une autre a une éruption à l′odeur de la peinture fraîche ; beaucoup des coliques s′il faut partir en voyage, et des petits-fils de voleurs, qui sont millionnaires et généreux, ne peuvent résister à vous voler cinquante francs. Quant à savoir en quoi consistait l′impossibilité où était Françoise de dire l′heure exactement, ce n′est pas elle qui m′a jamais fourni aucune lumière à cet égard. Car, malgré la colère où ces réponses inexactes me mettaient d′habitude, Françoise ne cherchait ni à s′excuser de son erreur, ni à l′expliquer. Elle restait muette, avait l′air de ne pas m′entendre, ce qui achevait de m′exaspérer. J′aurais voulu entendre une parole de justification, ne fût-ce que pour la battre en brèche ; mais rien, un silence indifférent. En tous cas, pour ce qui était d′aujourd′hui il n′y avait pas de doute, Albertine allait rentrer avec Françoise à trois heures, Albertine ne verrait ni Léa ni ses amies. Alors ce danger qu′elle renouât des relations avec elles étant conjuré, il perdit aussitôt à mes yeux de son importance et je m′étonnai, en voyant avec quelle facilité il l′avait été, d′avoir cru que je ne réussirais pas à ce qu′il le fût. J′éprouvai un vif mouvement de reconnaissance pour Albertine qui, je le voyais, n′était pas allée au Trocadéro pour les amies de Léa, et qui me montrait, en quittant la matinée et en rentrant sur un signe de moi, qu′elle m′appartenait plus que je ne me le figurais. Il fut plus grand encore quand un cycliste me porta un mot d′elle pour que je prisse patience, et où il y avait de ces gentilles expressions qui lui étaient familières : « Mon chéri et cher Marcel, j′arrive moins vite que ce cycliste dont je voudrais bien prendre la bécane pour être plus tôt près de vous. Comment pouvez-vous croire que je puisse être fâchée et que quelque chose puisse m′amuser autant que d′être avec vous ! ce sera gentil de sortir tous les deux, ce serait encore plus gentil de ne jamais sortir que tous les deux. Quelles idées vous faites-vous donc ? Quel Marcel ! Quel Marcel ! Toute à vous, ton Albertine. » I was now ready, but Françoise had not yet telephoned; I ought perhaps to go out without waiting for a message. But how could I tell that she would find Albertine, that the latter would not have gone behind the scenes, that even if Françoise did find her, she would allow herself to be taken away? Half an hour later the telephone bell began to tinkle and my heart throbbed tumultuously with hope and fear. There came, at the bidding of an operator, a flying squadron of sounds which with an instantaneous speed brought me the words of the telephonist, not those of Françoise whom an inherited timidity and melancholy, when she was brought face to face with any object unknown to her fathers, prevented from approaching a telephone receiver, although she would readily visit a person suffering from a contagious disease. She had found Albertine in the lobby by herself, and Albertine had simply gone to warn Andrée that she was not staying any longer and then had hurried back to Françoise. “She wasn′t angry? Oh, I beg your pardon; will you please ask the person whether the young lady was angry?” “The lady asks me to say that she wasn′t at all angry, quite the contrary, in fact; anyhow, if she wasn′t pleased, she didn′t shew it. They are starting now for the Trois-Quartiers, and will be home by two o′clock.” I gathered that two o′clock meant three, for it was past two o′clock already. But Françoise suffered from one of those peculiar, permanent, incurable defects, which we call maladies; she was never able either to read or to announce the time correctly. I have never been able to understand what went on in her head. When Françoise, after consulting her watch, if it was two o′clock, said: “It is one” or “it is three o′clock,” I have never been able to understand whether the phenomenon that occurred was situated in her vision or in her thought or in her speech; the one thing certain is that the phenomenon never failed to occur. Humanity is a very old institution. Heredity, cross-breeding have given an irresistible force to bad habits, to vicious reflexes. One person sneezes and gasps because he is passing a rosebush, another breaks out in an eruption at the smell of wet paint, has frequent attacks of colic if he has to start on a journey, and grandchildren of thieves who are themselves millionaires and generous cannot resist the temptation to rob you of fifty francs. As for knowing in what consisted Francoise′s incapacity to tell the time correctly, she herself never threw any light upon the problem. For, notwithstanding the anger that I generally displayed at her inaccurate replies, Françoise never attempted either to apologise for her mistake or to explain it. She remained silent, pretending not to hear, and thereby making me lose my temper altogether. I should have liked to hear a few words of justification, were it only that I might smite her hip and thigh; but not a word, an indifferent silence. In any case, about the timetable for to-day there could be no doubt; Albertine was coming home with Françoise at three o′clock, Albertine would not be meeting Léa or her friends. Whereupon the danger of her renewing relations with them, having been averted, at once began to lose its importance in my eyes and I was amazed, seeing with what ease it had been averted, that I should have supposed that I would not succeed in averting it. I felt a keen impulse of gratitude to Albertine, who, I could see, had not gone to the Trocadéro to meet Léa′s friends, and shewed me, by leaving the performance and coming home at a word from myself, that she belonged to me more than I had imagined. My gratitude was even greater when a bicyclist brought me a line from her bidding me be patient, and full of the charming expressions that she was in the habit of using. “My darling, dear Marcel, I return less quickly than this cyclist, whose machine I would like to borrow in order to be with you sooner. How could you imagine that I might be angry or that I could enjoy anything better than to be with you? It will be nice to go out, just the two of us together; it would be nicer still if we never went out except together. The ideas you get into your head! What a Marcel! What a Marcel! Always and ever your Albertine.”
Les robes même que je lui achetais, le yacht dont je lui avais parlé, les peignoirs de Fortuny, tout cela ayant dans cette obéissance d′Albertine, non pas sa compensation, mais son complément, m′apparaissait comme autant de privilèges que j′exerçais ; car les devoirs et les charges d′un maître font partie de sa domination, et le définissent, le prouvent tout autant que ses droits. Et ces droits qu′elle me reconnaissait donnaient précisément à mes charges leur véritable caractère : j′avais une femme à moi qui, au premier mot que je lui envoyais à l′improviste, me faisait téléphoner avec déférence qu′elle revenait, qu′elle se laissait ramener, aussitôt. J′étais plus maître que je n′avais cru. Plus maître, c′est-à-dire plus esclave. Je n′avais plus aucune impatience de voir Albertine. La certitude qu′elle était en train de faire une course avec Françoise, ou qu′elle reviendrait avec celle-ci à un moment prochain et que j′eusse volontiers prorogé, éclairait comme un astre radieux et paisible un temps que j′eusse eu maintenant bien plus de plaisir à passer seul. Mon amour pour Albertine m′avait fait lever et me préparer pour sortir, mais il m′empêcherait de jouir de ma sortie. Je pensais que par ce dimanche-là, des petites ouvrières, des midinettes, des cocottes, devaient se promener au Bois. Et avec ces mots de midinettes, de petites ouvrières (comme cela m′était souvent arrivé avec un nom propre, un nom de jeune fille lu dans le compte rendu d′un bal), avec l′image d′un corsage blanc, d′une jupe courte, parce que derrière cela je mettais une personne inconnue et qui pourrait m′aimer, je fabriquais tout seul des femmes désirables, et je me disais : « Comme elles doivent être bien ! » Mais à quoi me servirait-il qu′elles le fussent puisque je ne sortirais pas seul ? Profitant de ce que j′étais encore seul, et fermant à demi les rideaux pour que le soleil ne m′empêchât pas de lire les notes, je m′assis au piano et ouvris au hasard la sonate de Vinteuil qui y était posée, et je me mis à jouer ; parce que l′arrivée d′Albertine étant encore un peu éloignée, mais en revanche tout à fait certaine, j′avais à la fois du temps et de la tranquillité d′esprit. Baigné dans l′attente pleine de sécurité de son retour avec Françoise et la confiance en sa docilité comme dans la béatitude d′une lumière intérieure aussi réchauffante que celle du dehors, je pouvais disposer de ma pensée, la détacher un moment d′Albertine, l′appliquer à la sonate. Même en celle-ci, je ne m′attachai pas à remarquer combien la combinaison du motif voluptueux et du motif anxieux répondait davantage maintenant à mon amour pour Albertine, duquel la jalousie avait été si longtemps absente que j′avais pu confesser à Swann mon ignorance de ce sentiment. Non, prenant la sonate à un autre point de vue, la regardant en soi-même comme l′œuvre d′un grand artiste, j′étais ramené par le flot sonore vers les jours de Combray — je ne veux pas dire de Montjouvain et du côté de Méséglise, mais des promenades du côté de Guermantes — où j′avais moi-même désiré d′être un artiste. En abandonnant, en fait, cette ambition, avais-je renoncé à quelque chose de réel ? La vie pouvait-elle me consoler de l′art ? y avait-il dans l′art une réalité plus profonde où notre personnalité véritable trouve une expression que ne lui donnent pas les actions de la vie ? Chaque grand artiste semble, en effet, si différent des autres, et nous donne tant cette sensation de l′individualité que nous cherchons en vain dans l′existence quotidienne. Au moment où je pensais cela, une mesure de la sonate me frappa, mesure que je connaissais bien pourtant, mais parfois l′attention éclaire différemment des choses connues pourtant depuis longtemps et où nous remarquons ce que nous n′avions jamais vu. En jouant cette mesure, et bien que Vinteuil fût là en train d′exprimer un rêve qui fût resté tout à fait étranger à Wagner, je ne pus m′empêcher de murmurer : « Tristan », avec le sourire qu′a l′ami d′une famille retrouvant quelque chose de l′al dans une intonation, un geste du petit-fils qui ne l′a pas connu. Et comme on regarde alors une photographie qui permet de préciser la ressemblance, par-dessus la sonate de Vinteuil, j′installai sur le pupitre la partition de Tristan, dont on donnait justement cet après-midi-là des fragments au concert Lamoureux. Je n′avais, à admirer le maître de Bayreuth, aucun des scrupules de ceux à qui, comme à Nietzsche, le devoir dicte de fuir, dans l′art comme dans la vie, la beauté qui les tente, et qui s′arrachent à Tristan comme ils renient Parsifal et, par ascétisme spirituel, de mortification en mortification parviennent, en suivant le plus sanglant des chemins de croix, à s′élever jusqu′à la pure connaissance et à l′adoration parfaite du Postillon de Longjumeau. Je me rendais compte de tout ce qu′a de réel l′œuvre de Wagner, en revoyant ces thèmes insistants et fugaces qui visitent un acte, ne s′éloignent que pour revenir, et, parfois lointains, assoupis, presque détachés, sont, à d′autres moments, tout en restant vagues, si pressants et si proches, si internes, si organiques, si viscéraux qu′on dirait la reprise moins d′un motif que d′une névralgie. The frocks that I bought for her, the yacht of which I had spoken to her, the wrappers from Fortuny′s, all these things having in this obedience on Albertine′s part not their recompense but their complement, appeared to me now as so many privileges that I was enjoying; for the duties and expenditure of a master are part of his dominion, and define it, prove it, fully as much as his rights. And these rights which she recognised in me were precisely what gave my expenditure its true character: I had a woman of my own, who, at the first word that I sent to her unexpectedly, made my messenger telephone humbly that she was coming, that she was allowing herself to be brought home immediately. I was more of a master than I had supposed. More of a master, in other words more of a slave. I no longer felt the slightest impatience to see Albertine. The certainty that she was at this moment engaged in shopping with Françoise, or that she would return with her at an approaching moment which I would willingly have postponed, illuminated like a calm and radiant star a period of time which I would now have been far better pleased to spend alone. My love for Albertine had made me rise and get ready to go out, but it would prevent me from enjoying my outing. I reflected that on a Sunday afternoon like this little shopgirls, midinettes, prostitutes must be strolling in the Bois. And with the words midinettes, little shopgirls (as had often happened to me with a proper name, the name of a girl read in the account of a ball), with the image of a white bodice, a short skirt, since beneath them I placed a stranger who might perhaps come to love me, I created out of nothing desirable women, and said to myself: “How charming they must be!” But of what use would it be to me that they were charming, seeing that I was not going out alone. Taking advantage of the fact that I still was alone, and drawing the curtains together so that the sun should not prevent me from reading the notes, I sat down at the piano, turned over the pages of Vinteuil′s sonata which happened to be lying there, and began to play; seeing that Albertine′s arrival was still a matter of some time but was on the other hand certain, I had at once time to spare and tranquillity of mind. Floating in the expectation, big with security, of her return escorted by Françoise and in my confidence in her docility as in the blessedness of an inward light as warming as the light of the sun, I might dispose of my thoughts, detach them for a moment from Albertine, apply them to the sonata. In the latter, indeed, I did not take pains to remark how the combinations of the voluptuous and anxious motives corresponded even more closely now to my love for Albertine, from which jealousy had been absent for so long that I had been able to confess to Swann my ignorance of that sentiment. No, taking the sonata from another point of view, regarding it in itself as the work of a great artist, I was carried back upon the tide of sound to the days at Combray — I do not mean at Montjouvain and along the Méséglise way, but to walks along the Guermantes way — when I had myself longed to become an artist. In definitely abandoning that ambition, had I forfeited something real? Could life console me for the loss of art, was there in art a more profound reality, in which our true personality finds an expression that is not afforded it by the activities of life? Every great artist seems indeed so different from all the rest, and gives us so strongly that sensation of individuality for which we seek in vain in our everyday existence. Just as I was thinking thus, I was struck by a passage in the sonata, a passage with which I was quite familiar, but sometimes our attention throws a different light upon things which we have long known, and we remark in them what we have never seen before. As I played the passage, and for all that in it Vinteuil had been trying to express a fancy which would have been wholly foreign to Wagner, I could not help murmuring ‘Tristan,′ with the smile of an old friend of the family discovering a trace of the grandfather in an intonation, a gesture of the grandson who never set eyes on him. And as the friend then examines a photograph which enables him to estimate the likeness, so, in front of Vinteuil′s sonata, I set up on the music-rest the score of Tristan, a selection from which was being given that afternoon, as it happened, at the Lamoureux concert. I had not, in admiring the Bayreuth master, any of the scruples of those people whom, like Nietzsche, their sense of duty bids to shun in art as in life the beauty that tempts them, and who, tearing themselves from Tristan as they renounce Parsifal, and, in their spiritual asceticism, progressing from one mortification to another, arrive, by following the most bloody of viae Cruets, at exalting themselves to the pure cognition and perfect adoration of Le Postillon de Longjumeau. I began to perceive how much reality there is in the work of Wagner, when I saw in my mind′s eye those insistent, fleeting themes which visit an act, withdraw only to return, and, sometimes distant, drowsy, almost detached, are at other moments, while remaining vague, so pressing and so near, so internal, so organic, so visceral, that one would call them the resumption not so much of a musical motive as of an attack of neuralgia.
La musique, bien différente en cela de la société d′Albertine, m′aidait à descendre en moi-même, à y découvrir du nouveau : la variété que j′avais en vain cherchée dans la vie, dans le voyage, dont pourtant la nostalgie m′était donnée par ce flot sonore qui faisait mourir à côté de moi ses vagues ensoleillées. Diversité double. Comme le spectre extériorise pour nous la composition de la lumière, l′harmonie d′un Wagner, la couleur d′un Elstir nous permettent de connaître cette essence qualitative des sensations d′un autre où l′amour pour un autre être ne nous fait pas pénétrer. Puis diversité au sein de l′œuvre même, par le seul moyen qu′il y a d′être effectivement divers : réunir diverses individualités. Là où un petit musicien prétendrait qu′il peint un écuyer, un chevalier, alors qu′il leur ferait chanter la même musique, au contraire, sous chaque dénomination, Wagner met une réalité différente, et chaque fois que paraît un écuyer, c′est une figure particulière, à la fois compliquée et simpliste, qui, avec un entrechoc de lignes joyeux et féodal, s′inscrit dans l′immensité sonore. D′où la plénitude d′une musique que remplissent en effet tant de musiques dont chacune est un être. Un être ou l′impression que nous donne un aspect momentané de la nature. Même ce qui est le plus indépendant du sentiment qu′elle nous fait éprouver garde sa réalité extérieure et entièrement définie ; le chant d′un oiseau, la sonnerie du cor d′un chasseur, l′air que joue un pâtre sur son chalumeau, découpent à l′horizon leur silhouette sonore. Certes, Wagner allait la rapprocher, s′en saisir, la faire entrer dans un orchestre, l′asservir aux plus hautes idées musicales, mais en respectant toutefois son originalité première comme un huchier les fibres, l′essence particulière du bois qu′il sculpte. Music, very different in this respect from Albertine′s society, helped me to descend into myself, to make there a fresh discovery: that of the difference that I had sought in vain in life, in travel, a longing for which was given me, however, by this sonorous tide which sent its sunlit waves rolling to expire at my feet. A twofold difference. As the spectrum makes visible to us the composition of light, so the harmony of a Wagner, the colour of an Elstir enable us to know that essential quality of another person′s sensations into which love for another person does not allow us to penetrate. Then there is diversity inside the work itself, by the sole means that it has of being effectively diverse, to wit combining diverse individualities. Where a minor composer would pretend that he was portraying a squire, or a knight, whereas he would make them both sing the same music, Wagner on the contrary allots to each denomination a different reality, and whenever a squire appears, it is an individual figure, at once complicated and simplified, that, with a joyous, feudal clash of warring sounds, inscribes itself in the vast, sonorous mass. Whence the completeness of a music that is indeed filled with so many different musics, each of which is a person. A person or the impression that is given us by a momentary aspect of nature. Even what is most independent of the sentiment that it makes us feel preserves its outward and entirely definite reality; the song of a bird, the ring of a hunter′s horn, the air that a shepherd plays upon his pipe, cut out against the horizon their silhouette of sound. It is true that Wagner had still to bring these together, to make use of them, to introduce them into an orchestral whole, to make them subservient to the highest musical ideals, but always respecting their original nature, as a carpenter respects the grain, the peculiar essence of the wood that he is carving.
Mais malgré la richesse de ces œuvres où la contemplation de la nature a sa place à côté de l′action, à côté d′individus qui ne sont pas que des noms de personnages, je songeais combien tout de même ces œuvres participent à ce caractère d′être — bien que merveilleusement — toujours incomplètes, qui est le caractère de toutes les grandes œuvres du xixe siècle, du xixe siècle dont les plus grands écrivains ont manqué leurs livres, mais, se regardant travailler comme s′ils étaient à la fois l′ouvrier et le juge, ont tiré de cette autocontemplation une beauté nouvelle extérieure et supérieure à l′œuvre, lui imposant rétroactivement une unité, une grandeur qu′elle n′a pas. Sans s′arrêter à celui qui a vu après coup dans ses romans une Comédie Humaine, ni à ceux qui appelèrent des poèmes ou des essais disparates La Légende des siècles et La Bible de l′Humanité, ne peut-on pas dire, pourtant, de ce dernier qu′il incarne si bien le xixe siècle que, les plus grandes beautés de Michelet, il ne faut pas tant les chercher dans son œuvre même que dans les attitudes qu′il prend en face de son œuvre, non pas dans son Histoire de France ou dans son Histoire de la Révolution, mais dans ses préfaces à ses livres. Préfaces, c′est-à-dire pages écrites après eux, où il les considère, et auxquelles il faut joindre çà et là quelques phrases, commençant d′habitude par un « Le dirai-je » qui n′est pas une précaution de savant, mais une cadence de musicien. L′autre musicien, celui qui me ravissait en ce moment, Wagner, tirant de ses tiroirs un morceau délicieux pour le faire entrer comme thème rétrospectivement nécessaire dans une œuvre à laquelle il ne songeait pas au moment où il l′avait composé, puis ayant composé un premier opéra mythologique, puis un second, puis d′autres encore, et s′apercevant tout à coup qu′il venait de faire une tétralogie, dut éprouver un peu de la même ivresse que Balzac quand, jetant sur ses ouvrages le regard à la fois d′un étranger et d′un père, trouvant à celui-ci la pureté de Raphaël, à cet autre la simplicité de l′Évangile, il s′avisa brusquement, en projetant sur eux une illumination rétrospective, qu′ils seraient plus beaux réunis en un cycle où les mêmes personnages reviendraient, et ajouta à son œuvre, en ce raccord, un coup de pinceau, le dernier et le plus sublime. Unité ultérieure, non factice, sinon elle fût tombée en poussière comme tant de systématisations d′écrivains médiocres qui, à grand renfort de titres et de sous-titres, se donnent l′apparence d′avoir poursuivi un seul et transcendant dessein. Non factice, peut-être même plus réelle d′être ultérieure, d′être née d′un moment d′enthousiasme où elle est découverte entre des morceaux qui n′ont plus qu′à se rejoindre. Unité qui s′ignorait, donc vitale et non logique, qui n′a pas proscrit la variété, refroidi l′exécution. Elle surgit (mais s′appliquant cette fois à l′ensemble) comme tel morceau composé à part, né d′une inspiration, non exigé par le développement artificiel d′une thèse, et qui vient s′intégrer au reste. Avant le grand mouvement d′orchestre qui précède le retour d′Yseult, c′est l′œuvre elle-même qui a attiré à soi l′air de chalumeau à demi oublié d′un pâtre. Et, sans doute, autant la progression de l′orchestre à l′approche de la nef, quand il s′empare de ces notes du chalumeau, les transforme, les associe à son ivresse, brise leur rythme, éclaire leur tonalité, accélère leur mouvement, multiplie leur instrumentation, autant sans doute Wagner lui-même a eu de joie quand il découvrit dans sa mémoire l′air d′un pâtre, l′agrégea à son œuvre, lui donna toute sa signification. Cette joie, du reste, ne l′abandonne jamais. Chez lui, quelle que soit la tristesse du poète, elle est consolée, surpassée — c′est-à-dire malheureusement vite détruite — par l′allégresse du fabricateur. Mais alors, autant que par l′identité que j′avais remarquée tout à l′heure entre la phrase de Vinteuil et celle de Wagner, j′étais troublé par cette habileté vulcanienne. Serait-ce elle qui donnerait chez les grands artistes l′illusion d′une originalité foncière, irréductible en apparence, reflet d′une réalité plus qu′humaine, en fait produit d′un labeur industrieux ? Si l′art n′est que cela, il n′est pas plus réel que la vie, et je n′avais pas tant de regrets à avoir. Je continuais à jouer Tristan. Séparé de Wagner par la cloison sonore, je l′entendais exulter, m′inviter à partager sa joie, j′entendais redoubler le rire immortellement jeune et les coups de marteau de Siegfried ; du reste, plus merveilleusement frappées étaient ces phrases, plus librement l′habileté technique de l′ouvrier servait à leur faire quitter la terre, oiseaux pareils non au cygne de Lohengrin mais à cet aéroplane que j′avais vu à Balbec changer son énergie en élévation, planer au-dessus des flots, et se perdre dans le ciel. Peut-être, comme les oiseaux qui montent le plus haut, qui volent le plus vite, ont une aile plus puissante, fallait-il de ces appareils vraiment matériels pour explorer l′infini, de ces cent vingt chevaux marque Mystère, où pourtant, si haut qu′on plane, on est un peu empêché de goûter le silence des espaces par le puissant ronflement du moteur ! But notwithstanding the richness of these works in which the contemplation of nature has its place by the side of action, by the side of persons who are something more than proper names, I thought how markedly, all the same, these works participate in that quality of being — albeit marvellously — always incomplete, which is the peculiarity of all the great works of the nineteenth century, with which the greatest writers of that century have stamped their books, but, watching themselves at work as though they were at once author and critic, have derived from this self-contemplation a novel beauty, exterior and superior to the work itself, imposing upon it retrospectively a unity, a greatness which it does not possess. Without pausing to consider him who saw in his novels, after they had appeared, a Human Comedy, nor those who entitled heterogeneous poems or essays The Legend of the Ages or The Bible of Humanity, can we not say all the same of the last of these that he is so perfect an incarnation of the nineteenth century that the greatest beauties in Michelet are to be sought not so much in his work itself as in the attitudes that he adopts when he is considering his work, not in his History of France nor in his History of the Revolution, but in his prefaces to his books? Prefaces, that is to say pages written after the books themselves, in which he considers the books, and with which we must include here and there certain phrases beginning as a rule with a: “Shall I say?” which is not a scholar′s precaution but a musician′s cadence. The other musician, he who was delighting me at this moment, Wagner, retrieving some exquisite scrap from a drawer of his writing-table to make it appear as a theme, retrospectively necessary, in a work of which he had not been thinking at the moment when he composed it, then having composed a first mythological opera, and a second, and afterwards others still, and perceiving all of a sudden that he had written a tetralogy, must have felt something of the same exhilaration as Balzac, when, casting over his works the eye at once of a stranger and of a father, finding in one the purity of Raphael, in another the simplicity of the Gospel, he suddenly decided, as he shed a retrospective illumination upon them, that they would be better brought together in a cycle in which the same characters would reappear, and added to his work, in this act of joining it together, a stroke of the brush, the last and the most sublime. A unity that was ulterior, not artificial, otherwise it would have crumbled into dust like all the other systématisations of mediocre writers who with the elaborate assistance of titles and sub-titles give themselves the appearance of having pursued a single and transcendent design. Not fictitious, perhaps indeed all the more real for being ulterior, for being born of a moment of enthusiasm when it is discovered to exist among fragments which need only to be joined together. A unity that has been unaware of itself, therefore vital and not logical, that has not banned variety, chilled execution. It emerges (only applying itself this time to the work as a whole) like a fragment composed separately, born of an inspiration, not required by the artificial development of a theme, which comes in to form an integral part of the rest. Before the great orchestral movement that precedes the return of Yseult, it is the work itself that has attracted to it the half-forgotten air of a shepherd′s pipe. And, no doubt, just as the swelling of the orchestra at the approach of the ship, when it takes hold of these notes on the pipe, transforms them, infects them with its own intoxication, breaks their rhythm, clarifies their tone, accelerates their movement, multiplies their instrumentation, so no doubt Wagner himself was filled with joy when he discovered in his memory a shepherd′s air, incorporated it in his work, gave it its full wealth of meaning. This joy moreover never forsakes him. In him, however great the melancholy of the poet, it is consoled, surpassed — that is to say destroyed, alas, too soon — by the delight of the craftsman. But then, no less than by the similarity I had remarked just now between Vinteuil′s phrase and Wagner′s, I was troubled by the thought of this Vulcan-like craftsmanship. Could it be this that gave to great artists the illusory appearance of a fundamental originality, incommensurable with any other, the reflexion of a more than human reality, actually the result of industrious toil? If art be no more than that, it is not more real than life and I had less cause for regret. I went on playing Tristan. Separated from Wagner by the wall of sound, I could hear him exult, invite me to share his joy, I could hear ring out all the louder the immortally youthful laugh and the hammer-blows of Siegfried, in which, moreover, more marvellously struck were those phrases, the technical skill of the craftsman serving merely to make it easier for them to leave the earth, birds akin not to Lohengrin′s swan but to that aeroplane which I had seen at Balbec convert its energy into vertical motion, float over the sea and lose itself in the sky. Perhaps, as the birds that soar highest and fly most swiftly have a stronger wing, one required one of these frankly material vehicles to explore the infinite, one of these 120 horsepower machines, marked Mystery, in which nevertheless, however high one flies, one is prevented to some extent from enjoying the silence of space by the overpowering roar of the engine!
Je ne sais pourquoi le cours de mes rêveries, qui avait suivi jusque-là des souvenirs de musique, se détourna sur ceux qui en ont été, à notre époque, les meilleurs exécutants, et parmi lesquels, le surfaisant un peu, je faisais figurer Morel. Aussitôt ma pensée fit un brusque crochet, et c′est au caractère de Morel, à certaines des singularités de ce caractère, que je me mis à songer. Au reste — et cela pouvait se conjoindre, mais non se confondre avec la neurasthénie qui le rongeait — Morel avait l′habitude de parler de sa vie, mais en présentait une image si enténébrée qu′il était très difficile de rien distinguer. Il se mettait, par exemple, à la complète disposition de M. de Charlus à condition de garder ses soirées libres, car il désirait pouvoir, après le dîner, aller suivre un cours d′algèbre. M. de Charlus autorisait, mais demandait à le voir après. « Impossible, c′est une vieille peinture italienne » (cette plaisanterie n′a aucun sens, transcrite ainsi ; mais M. de Charlus ayant fait lire à Morel l′Éducation sentimentale, à l′avant-dernier chapitre duquel Frédéric Moreau dit cette phrase, par plaisanterie Morel ne prononçait jamais le mot « impossible » sans le faire suivre de ceux-ci : « c′est une vieille peinture italienne »), le cours dure fort tard, et c′est déjà un grand dérangement pour le professeur qui, naturellement, serait froissé. — Mais il n′y a même pas besoin de cours, l′algèbre ce n′est pas la natation ni même l′anglais, cela s′apprend aussi bien dans un livre », répliquait M. de Charlus, qui avait deviné aussitôt dans le cours d′algèbre une de ces images où on ne pouvait rien débrouiller du tout. C′était peut-être une coucherie avec une femme, ou, si Morel cherchait à gagner de l′argent par des moyens louches et s′était affilié à la police secrète, une expédition avec des agents de la sûreté, et qui sait ? pis encore, l′attente d′un gigolo dont on pourra avoir besoin dans une maison de prostitution. « Bien plus facilement même, dans un livre, répondait Morel à M. de Charlus, car on ne comprend rien à un cours d′algèbre. — Alors pourquoi ne l′étudies-tu pas plutôt chez moi où tu es tellement plus confortablement ? », aurait pu répondre M. de Charlus, mais il s′en gardait bien, sachant qu′aussitôt, gardant seulement le même caractère nécessaire de réserver les heures du soir, le cours d′algèbre imaginé se fût changé immédiatement en une obligatoire leçon de danse ou de dessin. En quoi M. de Charlus put s′apercevoir qu′il se trompait, en partie du moins, Morel s′occupant souvent chez le baron à résoudre des équations. M. de Charlus objecta bien que l′algèbre ne pouvait guère servir à un violoniste. Morel riposta qu′elle était une distraction pour passer le temps et combattre la neurasthénie. Sans doute M. de Charlus eût pu chercher à se renseigner, à apprendre ce qu′étaient, au vrai, ces mystérieux et inéluctables cours d′algèbre qui ne se donnaient que la nuit. Mais pour s′occuper de dévider l′écheveau des occupations de Morel, M. de Charlus était trop engagé dans celles du monde. Les visites reçues ou faites, le temps passé au cercle, les dîners en ville, les soirées au théâtre l′empêchaient d′y penser, ainsi qu′à cette méchanceté violente et sournoise que Morel avait à la fois, disait-on, laissé éclater et dissimulée dans les milieux successifs, les différentes villes par où il avait passé, et où on ne parlait de lui qu′avec un frisson, en baissant la voix, et sans oser rien raconter. For some reason or other the course of my musings, which hitherto had wandered among musical memories, turned now to those men who have been the best performers of music in our day, among whom, slightly exaggerating his merit, I included Morel. At once my thoughts took a sharp turn, and it was Morel′s character, certain eccentricities of his nature that I began to consider. As it happened — and this might be connected though it should not be confused with the neurasthenia to which he was a prey — Morel was in the habit of talking about his life, but always presented so shadowy a picture of it that it was difficult to make anything out. For instance, he placed himself entirely at M. de Charlus′s disposal on the understanding that he must keep his evenings free, as he wished to be able after dinner to attend a course of lectures on algebra. M. de Charlus conceded this, but insisted upon seeing him after the lectures. “Impossible, it′s an old Italian painting” (this witticism means nothing when written down like this; but M. de Charlus having made Morel read l′Éducation sentimentale, in the penultimate chapter of which Frédéric Moreau uses this expression, it was Morel′s idea of a joke never to say the word ‘impossible′ without following it up with “it′s an old Italian painting”) “the lectures go on very late, and I′ve already given a lot of trouble to the lecturer, who naturally would be annoyed if I came away in the middle.” “But there′s no need to attend lectures, algebra is not a thing like swimming, or even English, you can learn it equally well from a book,” replied M. de Charlus, who had guessed from the first that these algebra lectures were one of those images of which it was impossible to make out anything. It was perhaps some affair with a woman, or, if Morel was seeking to earn money in shady ways and had attached himself to the secret police, a nocturnal expedition with detectives, or possibly, what was even worse, an engagement as one of the young men whose services may be required in a brothel. “A great deal easier, from a book,” Morel assured M. de Charlus, “for it′s impossible to make head or tail of the lectures.” “Then why don′t you study it in my house, where you would be far more comfortable?” M. de Charlus might have answered, but took care not to do so, knowing that at once, preserving only the same essential element that the evening hours must be set apart, the imaginary algebra course would change to a compulsory lesson in dancing or in drawing. In which M. de Charlus might have seen that he was mistaken, partially at least, for Morel did often spend his time at the Baron′s in solving equations. M. de Charlus did raise the objection that algebra could be of little use to a violinist. Morel replied that it was a distraction which helped him to pass the time and to conquer his neurasthenia. No doubt M. de Charlus might have made inquiries, have tried to find out what actually were these mysterious and ineluctable lectures on algebra that were delivered only at night. But M. de Charlus was not qualified to unravel the tangled skein of Morel′s occupations, being himself too much caught in the toils of social life. The visits he received or paid, the time he spent at his club, dinner-parties, evenings at the theatre prevented him from thinking about the problem, or for that matter about the violent and vindictive animosity which Morel had (it was reported) indulged and at the same time sought to conceal in the various environments, the different towns in which his life had been spent, and where people still spoke of him with a shudder, with bated breath, never venturing to say anything definite about him.
Ce fut malheureusement un des éclats de cette nervosité méchante qu′il me fut donné, ce jour-là, d′entendre, comme, ayant quitté le piano, j′étais descendu dans la cour pour aller au-devant d′Albertine qui n′arrivait pas. En passant devant la boutique de Jupien, où Morel et celle que je croyais devoir être bientôt sa femme étaient seuls, Morel criait à tue-tête, ce qui faisait sortir de lui un accent que je ne lui connaissais pas, paysan, refoulé d′habitude, et extrêmement étrange. Les paroles ne l′étaient pas moins, fautives au point de vue du français, mais il connaissait tout imparfaitement. « Voulez-vous sortir, grand pied de grue, grand pied de grue, grand pied de grue » répétait-il à la pauvre petite qui certainement, au début, n′avait pas compris ce qu′il voulait dire, puis qui, tremblante et fière, restait immobile devant lui. « Je vous ai dit de sortir, grand pied de grue, grand pied de grue ; allez chercher votre oncle pour que je lui dise ce que vous êtes, putain. » Juste à ce moment la voix de Jupien, qui rentrait en causant avec un de ses amis, se fit entendre dans la cour, et comme je savais que Morel était extrêmement poltron, je trouvai inutile de joindre mes forces à celles de Jupien et de son ami, lesquels dans un instant seraient dans la boutique, et je remontai pour éviter Morel qui, bien qu′ayant feint de tant désirer qu′on fît venir Jupien (probablement pour effrayer et dominer la petite par un chantage ne reposant peut-être sur rien), se hâta de sortir dès qu′il l′entendit dans la cour. Les paroles rapportées ne sont rien, elles n′expliqueraient pas le battement de cœur avec lequel je remontai. Ces scènes auxquelles nous assistons dans la vie trouvent un élément de force incalculable dans ce que les militaires appellent, en matière d′offensive, le bénéfice de la surprise, et j′avais beau éprouver tant de calme douceur à savoir qu′Albertine, au lieu de rester au Trocadéro, allait rentrer auprès de moi, je n′en avais pas moins dans l′oreille l′accent de ces mots dix fois répétés : « grand pied de grue, grand pied de grue », qui m′avaient bouleversé. It was unfortunately one of the outbursts of this neurotic irritability that I was privileged to hear that day when, rising from the piano, I went down to the courtyard to meet Albertine, who still did not appear. As I passed by Jupien′s shop, in which Morel and the girl who, I supposed, was shortly to become his wife were by themselves, Morel was screaming at the top of his voice, thereby revealing an accent that I had never heard in his speech, a rustic tone, suppressed as a rule, and very strange indeed. His words were no less strange, faulty from the point of view of the French language, but his knowledge of everything was imperfect. “Will you get out of here, grand pied de grue, grand pied de grue, grand pied de grue,” he repeated to the poor girl who at first had certainly not understood what he meant, and now, trembling and indignant, stood motionless before him. “Didn′t I tell you to get out of here, grand pied de grue, grand pied de grue; go and fetch your uncle till I tell him what you are, you whore.” Just at that moment the voice of Jupien who was coming home talking to one of his friends was heard in the courtyard, and as I knew that Morel was an utter coward, I decided that it was unnecessary to join my forces with those of Jupien and his friend, who in another moment would have entered the shop, and I retired upstairs again to escape Morel, who, for all his having pretended to be so anxious that Jupien should be fetched (probably in order to frighten and subjugate the girl, an act of blackmail which rested probably upon no foundation), made haste to depart as soon as he heard his voice in the courtyard. The words I have set down here are nothing, they would not explain why my heart throbbed so as I went upstairs. These scenes of which we are witnesses in real life find an incalculable element of strength in what soldiers call, in speaking of a military offensive, the advantage of surprise, and however agreeably I might be soothed by the knowledge that Albertine, instead of remaining at the Trocadéro, was coming home to me, I still heard ringing in my ears the accent of those words ten times repeated: “Grand pied de grue, grand pied de grue,” which had so appalled me.
Peu à peu mon agitation se calma, Albertine allait rentrer. Je l′entendrais sonner à la porte dans un instant. Je sentais que ma vie n′était plus comme elle aurait pu être, et qu′avoir ainsi une femme avec qui, tout naturellement, quand elle allait être de retour, je devrais sortir, vers l′embellissement de qui allaient être de plus en plus détournées les forces et l′activité de mon être, faisait de moi comme une tige accrue, mais alourdie par le fruit opulent en qui passent toutes ses réserves. Contrastant avec l′anxiété que j′avais encore il y a une heure, le calme que me causait le retour d′Albertine était plus vaste que celui que j′avais ressenti le matin, avant son départ. Anticipant sur l′avenir, dont la docilité de mon amie me rendait à peu près maître, plus résistant, comme rempli et stabilisé par la présence imminente, importune, inévitable et douce, c′était le calme (nous dispensant de chercher le bonheur en nous-mêmes) qui naît d′un sentiment familial et d′un bonheur domestique. Familial et domestique : tel fut encore, non moins que le sentiment qui avait amené tant de paix en moi tandis que j′attendais Albertine, celui que j′éprouvai ensuite en me promenant avec elle. Elle ôta un instant son gant, soit pour toucher ma main, soit pour m′éblouir en me laissant voir à son petit doigt, à côté de celle donnée par Mme Bontemps, une bague où s′étendait la large et liquide nappe d′une claire feuille de rubis : « Encore une nouvelle bague, Albertine. Votre tante est d′une générosité ! — Non, celle-là ce n′est pas ma tante, dit-elle en riant. C′est moi qui l′ai achetée, comme, grâce à vous, je peux faire de grandes économies. Je ne sais même pas à qui elle a appartenu. Un voyageur qui n′avait pas d′argent la laissa au propriétaire d′un hôtel où j′étais descendue au Mans. Il ne savait qu′en faire et l′aurait vendue bien au-dessous de sa valeur. Mais elle était encore bien trop chère pour moi. Maintenant que, grâce à vous, je deviens une dame chic, je lui ai fait demander s′il l′avait encore. Et la voici. — Cela fait bien des bagues, Albertine. Où mettrez-vous celle que je vais vous donner ? En tous cas, celle-ci est très jolie ; je ne peux pas distinguer les ciselures autour du rubis, on dirait une tête d′homme grimaçante. Mais je n′ai pas une assez bonne vue. — Vous l′auriez meilleure que cela ne vous avancerait pas beaucoup. Je ne distingue pas non plus. » Jadis il m′était souvent arrivé, en lisant des Mémoires, un roman, où un homme sort toujours avec une femme, goûte avec elle, de désirer pouvoir faire ainsi. J′avais cru parfois y réussir, par exemple en emmenant avec moi la maîtresse de Saint-Loup, en allant dîner avec elle. Mais j′avais beau appeler à mon secours l′idée que je jouais bien à ce moment-là le personnage que j′avais envié dans le roman, cette idée me persuadait que je devais avoir du plaisir auprès de Rachel, et ne m′en donnait pas. C′est que, chaque fois que nous voulons imiter quelque chose qui fut vraiment réel, nous oublions que ce quelque chose fut produit non par la volonté d′imiter, mais par une force inconsciente, et réelle, elle aussi ; mais cette impression particulière que n′avait pu me donner tout mon désir d′éprouver un plaisir délicat à me promener avec Rachel, voici maintenant que je l′éprouvais sans l′avoir cherchée le moins du monde, mais pour des raisons tout autres, sincères, profondes ; pour citer un exemple, pour cette raison que ma jalousie m′empêchait d′être loin d′Albertine, et, du moment que je pouvais sortir, de la laisser aller se promener sans moi. Je ne l′éprouvais que maintenant parce que la connaissance est non des choses extérieures qu′on veut observer, mais des sensations involontaires ; parce qu′autrefois une femme avait beau être dans la même voiture que moi, elle n′était pas en réalité à côté de moi tant que ne l′y recréait pas à tout instant un besoin d′elle comme j′en avais un d′Albertine, tant que la caresse constante de mon regard ne lui rendait pas sans cesse ces teintes qui demandent à être perpétuellement rafraîchies, tant que les sens, même apaisés mais qui se souviennent, ne mettaient pas sous ces couleurs la saveur et la consistance, tant qu′unie aux sens et à l′imagination qui les exalte, la jalousie ne maintenait pas cette femme en équilibre auprès de moi par une attraction compensée aussi puissante que la loi de la gravitation. Notre voiture descendait vite les boulevards, les avenues, dont les hôtels en rangée, rose congélation de soleil et de froid, me rappelaient mes visites chez Mme Swann doucement éclairées par les chrysanthèmes en attendant l′heure des lampes. Gradually my agitation subsided. Albertine was on her way home. I should hear her ring the bell in a moment. I felt that my life was no longer what it might have become, and that to have a woman in the house like this with whom quite naturally, when she returned home, I should have to go out, to the adornment of whose person the strength and activity of my nature were to be ever more and more diverted, made me as it were a bough that has blossomed, but is weighed down by the abundant fruit into which all its reserves of strength have passed. In contrast to the anxiety that I had been feeling only an hour earlier, the calm that I now felt at the prospect of Albertine′s return was more ample than that which I had felt in the morning before she left the house. Anticipating the future, of which my mistress′s docility made me practically master, more resistant, as though it were filled and stabilised by the imminent, importunate, inevitable, gentle presence, it was the calm (dispensing us from the obligation to seek our happiness in ourselves) that is born of family feeling and domestic bliss. Family and domestic: such was again, no less than the sentiment that had brought me such great peace while I was waiting for Albertine, that which I felt later on when I drove out with her. She took off her glove for a moment, whether to touch my hand, or to dazzle me by letting me see on her little finger, next to the ring that Mme. Bontemps had given her, another upon which was displayed the large and liquid surface of a clear sheet of ruby. “What! Another ring, Albertine. Your aunt is generous!” “No, I didn′t get this from my aunt,” she said with a laugh. “It was I who bought it, now that, thanks to you, I can save up ever so much money. I don′t even know whose it was before. A visitor who was short of money left it with the landlord of an hotel where I stayed at Le Mans. He didn′t know what to do with it, and would have let it go for much less than it was worth. But it was still far too dear for me. Now that, thanks to you, I′m becoming a smart lady, I wrote to ask him if he still had it. And here it is.” “That makes a great many rings, Albertine. Where will you put the one that I am going to give you? Anyhow, it is a beautiful ring, I can′t quite make out what that is carved round the ruby, it looks like a man′s head grinning. But my eyes aren′t strong enough.” “They might be as strong as you like, you would be no better off. I can′t make it out either.” In the past it had often happened, as I read somebody′s memoirs, or a novel, in which a man always goes out driving with a woman, takes tea with her, that I longed to be able to do likewise. I had thought sometimes that I was successful, as for instance when I took Saint-Loup′s mistress out with me, or went to dinner with her. But in vain might I summon to my assistance the idea that I was at that moment actually impersonating the character that I had envied in the novel, that idea assured me that I ought to find pleasure in Rachel′s society, and afforded me none. For, whenever we attempt to imitate something that has really existed, we forget that this something was brought about not by the desire to imitate but by an unconscious force which itself also is real; but this particular impression which I had been unable to derive from all my desire to taste a delicate pleasure in going out with Rachel, behold I was now tasting it without having made the slightest effort to procure it, but for quite different reasons, sincere, profound; to take a single instance, for the reason that my jealousy prevented me from letting Albertine go out of my sight, and, the moment that I was able to leave the house, from letting her go anywhere without me. I tasted it only now, because our knowledge is not of the external objects which we try to observe, but of involuntary sensations, because in the past a woman might be sitting in the same carriage as myself, she was not really by my side, so long as she was not created afresh there at every moment by a need of her such as I felt of Albertine, so long as the constant caress of my gaze did not incessantly restore to her those tints that need to be perpetually refreshed, so long as my senses, appeased it might be but still endowed with memory, did not place beneath those colours savour and substance, so long as, combined with the senses and with the imagination that exalts them, jealousy was not maintaining the woman in equilibrium by my side by a compensated attraction as powerful as the law of gravity. Our motor-car passed swiftly along the boulevards, the avenues whose lines of houses, a rosy congelation of sunshine and cold, reminded me of calling upon Mme. Swann in the soft light of her chrysanthemums, before it was time to ring for the lamps.
J′avais à peine le temps d′apercevoir, aussi séparé d′elles derrière la vitre de l′auto que je l′aurais été derrière la fenêtre de ma chambre, une jeune fruitière, une crémière, debout devant sa porte, illuminée par le beau temps, comme une héroî­¥ que mon désir suffisait à engager dans des péripéties délicieuses, au seuil d′un roman que je ne connaîtrais pas. Car je ne pouvais demander à Albertine de m′arrêter, et déjà n′étaient plus visibles les jeunes femmes dont mes yeux avaient à peine distingué les traits et caressé la fraîcheur dans la blonde vapeur où elles étaient baignées. L′émotion dont je me sentais saisi en apercevant la fille d′un marchand de vins à sa caisse ou une blanchisseuse causant dans la rue était l′émotion qu′on a à reconnaître des Déesses. Depuis que l′Olympe n′existe plus, ses habitants vivent sur la terre. Et quand, faisant un tableau mythologique, les peintres ont fait poser pour Vénus ou Cérès des filles du peuple exerçant les plus vulgaires métiers, bien loin de commettre un sacrilège, ils n′ont fait que leur ajouter, que leur rendre la qualité, les attributs divins dont elles étaient dépouillées. « Comment vous a semblé le Trocadéro, petite folle ? — Je suis rudement contente de l′avoir quitté pour venir avec vous. Comme monument c′est assez moche, n′est-ce pas ? C′est de Davioud, je crois. — Mais comme ma petite Albertine s′instruit ! En effet, c′est de Davioud, mais je l′avais oublié. — Pendant que vous dormez je lis vos livres, grand paresseux. — Petite, voilà, vous changez tellement vite et vous devenez tellement intelligente (c′était vrai, mais, de plus, je n′étais pas fâché qu′elle eût la satisfaction, à défaut d′autres, de se dire que, du moins, le temps qu′elle passait chez moi n′était pas entièrement perdu pour elle) que je vous dirais, au besoin, des choses qui seraient généralement considérées comme fausses et qui correspondent à une vérité que je cherche. Vous savez ce que c′est que l′impressionnisme ? — Très bien. — Eh ! bien, voyez ce que je veux dire : vous vous rappelez l′église de Marcouville l′Orgueilleuse qu′Elstir n′aimait pas parce qu′elle était neuve ? Est-ce qu′il n′est pas en contradiction avec son propre impressionnisme quand il retire ainsi ces monuments de l′impression globale où ils sont compris pour les amener hors de la lumière où ils sont dissous et examiner en archéologue leur valeur intrinsèque ? Quand il peint, est-ce qu′un hôpital, une école, une affiche sur un mur ne sont pas de la même valeur qu′une cathédrale inestimable, qui est à côté, dans une image indivisible ? Rappelez-vous comme la façade était cuite par le soleil, comme le relief de ces saints de Marcouville surnageait dans la lumière. Qu′importe qu′un monument soit neuf s′il paraît vieux, et même s′il ne le paraît pas. Ce que les vieux quartiers contiennent de poésie a été extrait jusqu′à la dernière goutte, mais certaines maisons nouvellement bâties pour de petits bourgeois cossus, dans des quartiers neufs, où la pierre trop blanche est fraîchement sciée, ne déchirent-elles pas l′air torride de midi en juillet, à l′heure où les commerçants reviennent déjeuner dans la banlieue, d′un cri aussi acide que l′odeur des cerises attendant que le déjeuner soit servi dans la salle à manger obscure, où les prismes de verre pour poser les couteaux projettent des feux multicolores et aussi beaux que les verrières de Chartres ? — Ce que vous êtes gentil ! Si je deviens jamais intelligente, ce sera grâce à vous. — Pourquoi, dans une belle journée, détacher ses yeux du Trocadéro dont les tours en cou de girafe font penser à la Chartreuse de Pavie ? — Il m′a rappelé aussi, dominant comme cela sur son tertre, une reproduction de Mantegna que vous avez, je crois que c′est Saint-Sébastien, où il y a au fond une ville en amphithéâtre et où on jurerait qu′il y a le Trocadéro. — Vous voyez bien ! Mais comment avez-vous vu la reproduction de Mantegna ? Vous êtes renversante ? » Nous étions arrivés dans des quartiers plus populaires, et l′érection d′une Vénus ancillaire derrière chaque comptoir faisait de lui comme un autel suburbain au pied duquel j′aurais voulu passer ma vie. I had barely time to make out, being divided from them by the glass of the motor-car as effectively as I should have been by that of my bedroom window, a young fruit seller, a dairymaid, standing in the doorway of her shop, illuminated by the sunshine like a heroine whom my desire was sufficient to launch upon exquisite adventures, on the threshold of a romance which I might never know. For I could not ask Albertine to let me stop, and already the young women were no longer visible whose features my eyes had barely distinguished, barely caressed their fresh complexions in the golden vapour in which they were bathed. The emotion that I felt grip me when I caught sight of a wine-merchant′s girl at her desk or a laundress chatting in the street was the emotion that we feel on recognising a goddess. Now that Olympus no longer exists, its inhabitants dwell upon the earth. And when, in composing a mythological scene, painters have engaged to pose as Venus or Ceres young women of humble birth, who follow the most sordid callings, so far from committing sacrilege, they have merely added, restored to them the quality, the various attributes which they had forfeited. “What did you think of the Trocadéro, you little gadabout?” “I′m jolly glad I came away from it to go out with you. As architecture, it′s pretty measly, isn′t it? It′s by Davioud, I fancy.” “But how learned my little Albertine is becoming! Of course it was Davioud who built it, but I couldn′t have told you offhand.” “While you are asleep, I read your books, you old lazybones.” “Listen, child, you are changing so fast and becoming so intelligent” (this was true, but even had it not been true I was not sorry that she should have the satisfaction, failing any other, of saying to herself that at least the time which she spent in my house was not being entirely wasted) “that I don′t mind telling you things that would generally be regarded as false and which are all on the way to a truth that I am seeking. You know what is meant by impressionism?” “Of course!” “Very well then, this is what I mean: you remember the church at Marcouville l′Orgueilleuse which Elstir disliked because it was new. Isn′t it rather a denial of his own impressionism when he subtracts such buildings from the general impression in which they are contained to bring them out of the light in which they are dissolved and scrutinise like an archaeologist their intrinsic merit? When he begins to paint, have not a hospital, a school, a poster upon a hoarding the same value as a priceless cathedral which stands by their side in a single indivisible image? Remember how the façade was baked by the sun, how that carved frieze of saints swam upon the sea of light. What does it matter that a building is new, if it appears to be old, or even if it does not. All the poetry that the old quarters contain has been squeezed out to the last drop, but if you look at some of the houses that have been built lately for rich tradesmen, in the new districts, where the stone is all freshly cut and still quite white, don′t they seem to rend the torrid air of noon in July, at the hour when the shopkeepers go home to luncheon in the suburbs, with a cry as harsh as the odour of the cherries waiting for the meal to begin in the darkened dining-room, where the prismatic glass knife-rests project a multicoloured fire as beautiful as the windows of Chartres?” “How wonderful you are! If I ever do become clever, it will be entirely owing to you.” “Why on a fine day tear your eyes away from the Trocadéro, whose giraffe-neck towers remind one of the Charterhouse of Pavia?” “It reminded me also, standing up like that on its hill, of a Mantegna that you have, I think it′s of Saint Sebastian, where in the background there′s a city like an amphitheatre, and you would swear you saw the Trocadéro.” “There, you see! But how did you come across my Mantegna? You are amazing!” We had now reached a more plebeian quarter, and the installation of an ancillary Venus behind each counter made it as it were a suburban altar at the foot of which I would gladly have spent the rest of my life.
Comme on fait à la veille d′une mort prématurée, je dressais le compte des plaisirs dont me privait le point final qu′Albertine mettait à ma liberté. À Passy, ce fut sur la chaussée même, à cause de l′encombrement, que des jeunes filles se tenant par la taille m′émerveillèrent de leur sourire. Je n′eus pas le temps de le bien distinguer, mais il était peu probable que je le surfisse ; dans toute foule, en effet, dans toute foule jeune, il n′est pas rare que l′on rencontre l′effigie d′un noble profil. De sorte que ces cohues populaires des jours de fête sont pour le voluptueux aussi précieuses que pour l′archéologue le désordre d′une terre où une fouille fait apparaître des médailles antiques. Nous arrivâmes au Bois. Je pensais que, si Albertine n′était pas sortie avec moi, je pourrais en ce moment, au cirque des Champs-Élysées, entendre la tempête wagnérienne faire gémir tous les cordages de l′orchestre, attirer à elle, comme une écume légère, l′air de chalumeau que j′avais joué tout à l′heure, le faire voler, le pétrir, le déformer, le diviser, l′entraîner dans un tourbillon grandissant. Du moins je voulus que notre promenade fût courte et que nous rentrions de bonne heure, car, sans en parler à Albertine, j′avais décidé d′aller le soir chez les Verdurin. Ils m′avaient envoyé dernièrement une invitation que j′avais jetée au panier avec toutes les autres. Mais je me ravisais pour ce soir, car je voulais tâcher d′apprendre quelles personnes Albertine avait pu espérer rencontrer l′après-midi chez eux. À vrai dire, j′en étais arrivé avec Albertine à ce moment où, si tout continue de même, si les choses se passent normalement, une femme ne sert plus pour nous que de transition avec une autre femme. Elle tient à notre cœur encore, mais bien peu ; nous avons hâte d′aller chaque soir trouver des inconnues, et surtout des inconnues connues d′elle, lesquelles pourront nous raconter sa vie. Elle, en effet, nous avons possédé, épuisé tout ce qu′elle a consenti à nous livrer d′elle-même. Sa vie, c′est elle-même encore, mais justement la partie que nous ne connaissons pas, les choses sur quoi nous l′avons vainement interrogée et que nous pourrons recueillir sur des lèvres neuves. As one does on the eve of a premature death, I drew up a mental list of the pleasures of which I was deprived by Albertine′s setting a full stop to my freedom. At Passy it was in the open street, so crowded were the footways, that a group of girls, their arms encircling one another′s waist, left me marvelling at their smile. I had not time to see it clearly, but it is hardly probable that I exaggerated it; in any crowd after all, in any crowd of young people, it is not unusual to come upon the effigy of a noble profile. So that these assembled masses on public holidays are to the voluptuary as precious as is to the archaeologist the congested state of a piece of ground in which digging will bring to light ancient medals. We arrived at the Bois. I reflected that, if Albertine had not come out with me, I might at this moment, in the enclosure of the Champs-Elysées, have been hearing the Wagnerian tempest set all the rigging of the orchestra ascream, draw to itself, like a light spindrift, the tune of the shepherd′s pipe which I had just been playing to myself, set it flying, mould it, deform it, divide it, sweep it away in an ever-increasing whirlwind. I was determined, at any rate, that our drive should be short, and that we should return home early, for, without having mentioned it to Albertine, I had decided to go that evening to the Verdurins′. They had recently sent me an invitation which I had flung into the waste-paper basket with all the rest. But I changed my mind for this evening, for I meant to try to find out who the people were that Albertine might have been hoping to meet there in the afternoon. To tell the truth, I had reached that stage in my relations with Albertine when, if everything remains the same, if things go on normally, a woman ceases to serve us except as a starting point towards another woman. She still retains a corner in our heart, but a very small corner; we hasten out every evening in search of unknown women, especially unknown women who are known to her and can tell us about her life. Herself, after all, we have possessed, have exhausted everything that she has consented to yield to us of herself. Her life is still herself, but that part of herself which we do not know, the things as to which we have questioned her in vain and which we shall be able to gather from fresh lips.
Si ma vie avec Albertine devait m′empêcher d′aller à Venise, de voyager, du moins j′aurais pu tantôt, si j′avais été seul, connaître les jeunes midinettes éparses dans l′ensoleillement de ce beau dimanche, et dans la beauté de qui je faisais entrer pour une grande part la vie inconnue qui les animait. Les yeux qu′on voit ne sont-ils pas tout pénétrés par un regard dont on ne sait pas les images, les souvenirs, les attentes, les dédains qu′il porte et dont on ne peut pas les séparer ? Cette existence, qui est celle de l′être qui passe, ne donnera-t-elle pas, selon ce qu′elle est, une valeur variable au froncement de ces sourcils, à la dilatation de ces narines ? La présence d′Albertine me privait d′aller à elles, et peut-être ainsi de cesser de les désirer. Celui qui veut entretenir en soi le désir de continuer à vivre et la croyance en quelque chose de plus délicieux que les choses habituelles doit se promener, car les rues, les avenues, sont pleines de Déesses. Mais les Déesses ne se laissent pas approcher. Çà et là, entre les arbres, à l′entrée de quelque café, une servante veillait comme une nymphe à l′orée d′un bois sacré, tandis qu′au fond trois jeunes filles étaient assises à côté de l′arc immense de leurs bicyclettes posées à côté d′elles, comme trois immortelles accoudées au nuage ou au coursier fabuleux sur lesquels elles accomplissaient leurs voyages mythologiques. Je remarquais que chaque fois qu′Albertine les regardait un instant, toutes ces filles, avec une attention profonde, se retournaient aussitôt vers moi. Mais je n′étais trop tourmenté ni par l′intensité de cette contemplation, ni par sa brièveté que l′intensité compensait ; en effet, pour cette dernière, il arrivait souvent qu′Albertine, soit fatigue, soit manière de regarder particulière à un être attentif, considérait ainsi, dans une sorte de méditation, fût-ce mon père, fût-ce Françoise ; et quant à sa vitesse à se retourner vers moi, elle pouvait être motivée par le fait qu′Albertine, connaissant mes soupçons, pouvait vouloir, même s′ils n′étaient pas justifiés, éviter de leur donner prise. Cette attention, d′ailleurs, qui m′eût semblé criminelle de la part d′Albertine (et tout autant si elle avait eu pour objet des jeunes gens), je l′attachais, sans me croire un instant coupable et en trouvant presque qu′Albertine l′était en m′empêchant par sa présence, de m′arrêter et de descendre vers elles, sur toutes les midinettes. On trouve innocent de désirer et atroce que l′autre désire. Et ce contraste entre ce qui concerne ou bien nous ou bien celle que nous aimons n′a pas trait au désir seulement, mais aussi au mensonge. Quelle chose plus usuelle que lui, qu′il s′agisse de masquer, par exemple, les faiblesses quotidiennes d′une santé qu′on veut faire croire forte, de dissimuler un vice, ou d′aller, sans froisser autrui, à la chose que l′on préfère ? Il est l′instrument de conservation le plus nécessaire et le plus employé. Or c′est lui que nous avons la prétention de bannir de la vie de celle que nous aimons, c′est lui que nous épions, que nous flairons, que nous détestons partout. Il nous bouleverse, il suffit à amener une rupture, il nous semble cacher les plus grandes fautes, à moins qu′il ne les cache si bien que nous ne les soupçonnions pas. Étrange état que celui où nous sommes à ce point sensibles à un agent pathogène que son pullulement universel rend inoffensif aux autres et si grave pour le malheureux qui ne se trouve plus avoir d′immunité contre lui ! If my life with Albertine was to prevent me from going to Venice, from travelling, at least I might in the meantime, had I been alone, have made the acquaintance of the young midinettes scattered about in the sunlight of this fine Sunday, in the sum total of whose beauty I gave a considerable place to the unknown life that animated them. The eyes that we see, are they not shot through by a gaze as to which we do not know what images, memories, expectations, disdains it carries, a gaze from which we cannot separate them? The life that the person who passes by is living, will it not impart, according to what it is, a different value to the knitting of those brows, to the dilatation of those nostrils? Albertine′s presence debarred me from going to join them and perhaps also from ceasing to desire them. The man who would maintain in himself the desire to go on living, and his belief in something more delicious than the things of daily life, must go out driving; for the streets, the avenues are full of goddesses. But the goddesses do not allow us to approach them. Here and there, among the trees, at the entrance to some café, a waitress was watching like a nymph on the edge of a sacred grove, while beyond her three girls were seated by the sweeping arc of their bicycles that were stacked beside them, like three immortals leaning against the clouds or the fabulous coursers upon which they perform their mythological journeys. I remarked that, whenever Albertine looked for a moment at these girls, with a profound attention, she at once turned to gaze at myself. But I was not unduly troubled, either by the intensity of this contemplation, or by its brevity for which its intensity compensated; as for the latter, it often happened that Albertine, whether from exhaustion, or because it was an intense person′s way of looking at other people, used to gaze thus in a sort of brown study at my father, it might be, or at Françoise; and as for the rapidity with which she turned to look at myself, it might be due to the fact that Albertine, knowing my suspicions, might prefer, even if they were not justified, to avoid giving them any foothold. This attention, moreover, which would have seemed to me criminal on Albertine′s part (and quite as much so if it had been directed at young men), I fastened, without thinking myself reprehensible for an instant, almost deciding indeed that Albertine was reprehensible for preventing me, by her presence, from stopping the car and going to join them, upon all the midinettes. We consider it innocent to desire a thing and atrocious that the other person should desire it. And this contrast between what concerns ourselves on the one hand, and on the other the person with whom we are in love, is not confined only to desire, but extends also to falsehood. What is more usual than a lie, whether it is a question of masking the daily weakness of a constitution which we wish to be thought strong, of concealing a vice, or of going off, without offending the other person, to the thing that we prefer? It is the most necessary instrument of conversation, and the one that is most widely used. But it is this which we actually propose to banish from the life of her whom we love; we watch for it, scent it, detest it everywhere. It appalls us, it is sufficient to bring about a rupture, it seems to us to be concealing the most serious faults, except when it does so effectively conceal them that we do not suspect their existence. A strange state this in which we are so inordinately sensitive to a pathogenic agent which its universal swarming makes inoffensive to other people and so serious to the wretch who finds that he is no longer immune to it.
La vie de ces jolies filles (à cause de mes longues périodes de réclusion j′en rencontrais si rarement) me paraissait, ainsi qu′à tous ceux chez qui la facilité des réalisations n′a pas amorti la puissance de concevoir, quelque chose d′aussi différent de ce que je connaissais, d′aussi désirable que les villes les plus merveilleuses que promet le voyage. The life of these pretty girls (because of my long periods of seclusion, I so rarely met any) appeared to me as to everyone in whom facility of realisation has not destroyed the faculty of imagination, a thing as different from anything that I knew, as desirable as the most marvellous cities that travel holds in store for us.
La déception éprouvée auprès des femmes que j′avais connues, dans les villes où j′étais allé, ne m′empêchait pas de me laisser prendre à l′attrait des nouvelles et de croire à leur réalité ; aussi de même que voir Venise — Venise dont le temps printanier me donnait aussi la nostalgie et que le mariage avec Albertine m′empêcherait de connaître — voir Venise dans un panorama que Ski eût peut-être déclaré plus joli de tons que la ville réelle, ne m′eût en rien remplacé le voyage à Venise, dont la longueur déterminée sans que j′y fusse pour rien me semblait indispensable à franchir ; de même, si jolie fût-elle, la midinette qu′une entremetteuse m′eût artificiellement procurée n′eût nullement pu se substituer pour moi à celle qui, la taille dégingandée, passait en ce moment sous les arbres en riant avec une amie. Celle que j′eusse trouvée dans une maison de passe, eût-elle été plus jolie que cela, n′eût pas été la même chose, parce que nous ne regardons pas les yeux d′une fille que nous ne connaissons pas comme nous ferions d′une petite plaque d′opale ou d′agate. Nous savons que le petit rayon qui les irise ou les grains de brillant qui les font étinceler sont tout ce que nous pouvons voir d′une pensée, d′une volonté, d′une mémoire où résident la maison familiale que nous ne connaissons pas, les amis chers que nous envions. Arriver à nous emparer de tout cela, qui est si difficile, si rétif, c′est ce qui donne sa valeur au regard bien plus que sa seule beauté matérielle (par quoi peut être expliqué qu′un même jeune homme éveille tout un roman dans l′imagination d′une femme qui a entendu dire qu′il était le prince de Galles, alors qu′elle ne fait plus attention à lui quand elle apprend qu′elle s′est trompée) ; trouver la midinette dans la maison de passe, c′est la trouver vidée de cette vie inconnue qui la pénètre et que nous aspirons à posséder avec elle ; c′est nous approcher d′yeux devenus en effet de simples pierres précieuses, d′un nez dont le froncement est aussi dénué de signification que celui d′une fleur. Non, cette midinette inconnue et qui passait là, il me semblait aussi indispensable, si je voulais continuer à croire à sa réalité, d′essayer ses résistances — en y adaptant mes directions, en allant au-devant d′un affront, en revenant à la charge, en obtenant un rendez-vous, en l′attendant à la sortie des ateliers, en connaissant, épisode par épisode, ce qui composait la vie de cette petite, en traversant ce dont s′enveloppait pour elle le plaisir que je cherchais et la distance que ses habitudes différentes et sa vie spéciale mettaient entre moi et l′attention, la faveur que je voulais atteindre et capter — que de faire un long trajet en chemin de fer si je voulais croire à la réalité de la Venise que je verrais et qui ne serait pas qu′un spectacle d′exposition universelle. Mais ces similitudes mêmes du désir et du voyage firent que je me promis de serrer un jour d′un peu plus près la nature de cette force invisible mais aussi puissante que les croyances, ou, dans le monde physique, que la pression atmosphérique, qui portait si haut les cités, les femmes, tant que je ne les connaissais pas, et qui se dérobait sous elles dès que je les avais approchées, les faisait tomber aussitôt à plat sur le terre à terre de la plus triviale réalité. The disappointment that I had felt with the women whom I had known, in the cities which I had visited, did not prevent me from letting myself be caught by the attraction of others or from believing in their reality; thus, just as seeing Venice — that Venice for which the spring weather too filled me with longing, and which marriage with Albertine would prevent me from knowing — seeing Venice in a panorama which Ski would perhaps have declared to be more beautiful in tone than the place itself, would to me have been no substitute for the journey to Venice the length of which, determined without any reference to myself, seemed to me an indispensable preliminary; similarly, however pretty she might be, the midinette whom a procuress had artificially provided for me could not possibly be a substitute for her who with her awkward figure was strolling at this moment under the trees, laughing with a friend. The girl that I might find in a house of assignation, were she even better-looking than this one, could not be the same thing, because we do not look at the eyes of a girl whom we do not know as we should look at a pair of little discs of opal or agate. We know that the little ray which colours them or the diamond dust that makes them sparkle is all that we can see of a mind, a will, a memory in which is contained the home life that we do not know, the intimate friends whom we envy. The enterprise of taking possession of all this, which is so difficult, so stubborn, is what gives its value to the gaze far more than its merely physical beauty (which may serve to explain why the same young man can awaken a whole romance in the imagination of a woman who has heard somebody say that he is the Prince of Wales, whereas she pays no more attention to him after learning that she is mistaken); to find the midinette in the house of assignation is to find her emptied of that unknown life which permeates her and which we aspire to possess with her, it is to approach a pair of eyes that have indeed become mere precious stones, a nose whose quivering is as devoid of meaning as that of a flower. No, that unknown midinette who was passing at that moment, it seemed to me as indispensable, if I wished to continue to believe in her reality, to test her resistance by adapting my behaviour to it, challenging a rebuff, returning to the charge, obtaining an assignation, waiting for her as she came away from her work, getting to know, episode by episode, all that composed the girl′s life, traversing the space that, for her, enveloped the pleasure which I was seeking, and the distance which her different habits, her special mode of life, set between me and the attention, the favour which I wished to attain and capture, as making a long journey in the train if I wished to believe in the reality of Venice which I should see and which would not be merely a panoramic show in a World Exhibition. But this very parallel between desire and travel made me vow to myself that one day I would grasp a little more closely the nature of this force, invisible but as powerful as any faith, or as, in the world of physics, atmospheric pressure, which exalted to such a height cities and women so long as I did not know them, and slipped away from beneath them as soon as I had approached them, made them at once collapse and fall flat upon the dead level of the most commonplace reality.
Plus loin une autre fillette était agenouillée près de sa bicyclette qu′elle arrangeait. Une fois la réparation faite, la jeune coureuse monta sur sa bicyclette, mais sans l′enfourcher comme eût fait un homme. Pendant un instant la bicyclette tangua, et le jeune corps semblait s′être accru d′une voile, d′une aile immense ; et bientôt nous vîmes s′éloigner à toute vitesse la jeune créature mi-humaine, mi-ailée, ange ou péri, poursuivant son voyage. Farther along another girl was kneeling beside her bicycle, which she was putting to rights. The repair finished, the young racer mounted her machine, but without straddling it as a man would have done. For a moment the bicycle swerved, and the young body seemed to have added to itself a sail, a huge wing; and presently we saw dart away at full speed the young creature half-human, half-winged, angel or peri, pursuing her course.
Voilà ce dont une vie avec Albertine me privait justement. Dont elle me privait ? N′aurais-je pas dû penser : dont elle me gratifiait au contraire ? Si Albertine n′avait pas vécu avec moi, avait été libre, j′eusse imaginé, et avec raison, toutes ces femmes comme des objets possibles, probables, de son désir, de son plaisir. Elles me fussent apparues comme ces danseuses qui, dans un ballet diabolique, représentant les Tentations pour un être, lancent leurs flèches au cœur d′un autre être. Les midinettes, les jeunes filles, les comédiennes, comme je les aurais ha ! Objet d′horreur, elles eussent été exceptées pour moi de la beauté de l′univers. Le servage d′Albertine, en me permettant de ne plus souffrir par elles, les restituait à la beauté du monde. Inoffensives, ayant perdu l′aiguillon qui met au cœur la jalousie, il m′était loisible de les admirer, de les caresser du regard, un autre jour plus intimement peut-être. En enfermant Albertine, j′avais du même coup rendu à l′univers toutes ces ailes chatoyantes qui bruissent dans les promenades, dans les bals, dans les théâtres, et qui redevenaient tentatrices pour moi, parce qu′elles ne pouvaient plus succomber à leur tentation. Elles faisaient la beauté du monde. Elles avaient fait jadis celle d′Albertine. C′est parce que je l′avais vue comme un oiseau mystérieux, puis comme une grande actrice de la plage, désirée, obtenue peut-être, que je l′avais trouvée merveilleuse. Une fois captif chez moi l′oiseau que j′avais vu un soir marcher à pas comptés sur la digue, entouré de la congrégation des autres jeunes filles pareilles à des mouettes venues on ne sait d′où, Albertine avait perdu toutes ses couleurs, avec toutes les chances qu′avaient les autres de l′avoir à eux. Elle avait peu à peu perdu sa beauté. Il fallait des promenades comme celles-là, où je l′imaginais, sans moi, accostée par telle femme ou tel jeune homme, pour que je la revisse dans la splendeur de la plage, bien que ma jalousie fût sur un autre plan que le déclin des plaisirs de mon imagination. Mais, malgré ces brusques sursauts où, désirée par d′autres, elle me redevenait belle, je pouvais très bien diviser son séjour chez moi en deux périodes : la première où elle était encore, quoique moins chaque jour, la chatoyante actrice de la plage ; la seconde où, devenue la grise prisonnière, réduite à son terne elle-même, il lui fallait ces éclairs où je me ressouvenais du passé pour lui rendre des couleurs. This was what a life with Albertine prevented me from enjoying. Prevented me, did I say? Should I not have thought rather: what it provided for my enjoyment. If Albertine had not been living with me, had been free, I should have imagined, and with reason, every woman to be a possible, a probable object of her desire, of her pleasure. They would have appeared to me like those dancers who, in a diabolical ballet, representing the Temptations to one person, plunge their darts in the heart of another. Midinettes, schoolgirls, actresses, how I should have hated them all! Objects of horror, I should have excepted them from the beauty of the universe. My bondage to Albertine, by permitting me not to suffer any longer on their account, restored them to the beauty of the world. Inoffensive, having lost the needle that stabs the heart with jealousy, I was able to admire them, to caress them with my eyes, another day more intimately perhaps. By secluding Albertine, I had at the same time restored to the universe all those rainbow wings which sweep past us in public gardens, ballrooms, theatres, and which became tempting once more to me because she could no longer succumb to their temptation. They composed the beauty of the world. They had at one time composed that of Albertine. It was because I had beheld her as a mysterious bird, then as a great actress of the beach, desired, perhaps won, that I had thought her wonderful. As soon as she was a captive in my house, the bird that I had seen one afternoon advancing with measured step along the front, surrounded by the congregation of the other girls like seagulls alighted from who knows whence, Albertine had lost all her colours, with all the chances that other people had of securing her for themselves. Gradually she had lost her beauty. It required excursions like this, in which I imagined her, but for my presence, accosted by some woman, or by some young man, to make me see her again amid the splendour of the beach, albeit my jealousy was on a different plane from the decline of the pleasures of my imagination. But notwithstanding these abrupt reversions in which, desired by other people, she once more became beautiful in my eyes, I might very well divide her visit to me in two periods, an earlier in which she was still, although less so every day, the glittering actress of the beach, and a later period in which, become the grey captive, reduced to her dreary self, I required those flashes in which I remembered the past to make me see her again in colour.
Parfois, dans les heures où elle m′était le plus indifférente, me revenait le souvenir d′un moment lointain où sur la plage, quand je ne la connaissais pas encore, non loin de telle dame avec qui j′étais fort mal et avec qui j′étais presque certain maintenant qu′elle avait eu des relations, elle éclatait de rire en me regardant d′une façon insolente. La mer polie et bleue bruissait tout autour. Dans le soleil de la plage, Albertine, au milieu de ses amies, était la plus belle. C′était une fille magnifique, qui, dans le cadre habituel d′eaux immenses, m′avait, elle, précieux à la dame qui l′admirait, infligé ce définitif affront. Il était définitif, car la dame retournait peut-être à Balbec, constatait peut-être, sur la plage lumineuse et bruissante, l′absence d′Albertine. Mais elle ignorait que la jeune fille vécût chez moi, rien qu′à moi. Les eaux immenses et bleues, l′oubli des préférences qu′elle avait pour cette jeune fille et qui allaient à d′autres, s′étaient refermées sur l′avanie que m′avait faite Albertine, l′enfermant dans un éblouissant et infrangible écrin. Alors la haine pour cette femme mordait mon coeur ; pour Albertine aussi, mais une haine mêlée d′admiration pour la belle jeune fille adulée, à la chevelure merveilleuse, et dont l′éclat de rire sur la plage était un affront. La honte, la jalousie, le ressouvenir des désirs premiers et du cadre éclatant avaient redonné à Albertine sa beauté, sa valeur d′autrefois. Et ainsi alternait, avec l′ennui un peu lourd que j′avais auprès d′elle, un désir frémissant, plein d′orages magnifiques et de regrets ; selon qu′elle était à côté de moi dans ma chambre ou que je lui rendais sa liberté dans ma mémoire, sur la digue, dans ses gais costumes de plage, au jeu des instruments de musique de la mer, Albertine, tantôt sortie de ce milieu, possédée et sans grande valeur, tantôt replongée en lui, m′échappant dans un passé que je ne pourrais connaître, m′offensant, auprès de son amie, autant que l′éclaboussure de la vague ou l′étourdissement du soleil, Albertine remise sur la plage, ou rentrée dans ma chambre, en une sorte d′amour amphibie. Sometimes, in the hours in which I felt most indifferent towards her, there came back to me the memory of a far-off moment when upon the beach, before I had made her acquaintance, a lady being near her with whom I was on bad terms and with whom I was almost certain now that she had had relations, she burst out laughing, staring me in the face in an insolent fashion. All round her hissed the blue and polished sea. In the sunshine of the beach, Albertine, in the midst of her friends, was the most beautiful of them all. She was a splendid girl, who in her familiar setting of boundless waters, had — precious in the eyes of the lady who admired her — inflicted upon me this unpardonable insult. It was unpardonable, for the lady would perhaps return to Balbec, would notice perhaps, on the luminous and echoing beach, that Albertine was absent. But she would not know that the girl was living with me, was wholly mine. The vast expanse of blue water, her forgetfulness of the fondness that she had felt for this particular girl and would divert to others, had closed over the outrage that Albertine had done me, enshrining it in a glittering and unbreakable casket. Then hatred of that woman gnawed my heart; of Albertine also, but a hatred mingled with admiration of the beautiful, courted girl, with her marvellous hair, whose laughter upon the beach had been an insult. Shame, jealousy, the memory of my earliest desires and of the brilliant setting had restored to Albertine the beauty, the intrinsic merit of other days. And thus there alternated with the somewhat oppressive boredom that I felt in her company a throbbing desire, full of splendid storms and of regrets; according to whether she was by my side in my bedroom or I set her at liberty in my memory upon the front, in her gay seaside frocks, to the sound of the musical instruments of the sea — Albertine, now extracted from that environment, possessed and of no great value, now plunged back into it, escaping from me into a past which I should never be able to know, hurting me, in her friend′s presence, as much as the splash of the wave or the heat of the sun — Albertine restored to the beach or brought back again to my room, in a sort of amphibious love.
Ailleurs une bande nombreuse jouait au ballon. Toutes ces fillettes avaient voulu profiter du soleil, car ces journées de février, même quand elles sont si brillantes, ne durent pas tard, et la splendeur de leur lumière ne retarde pas la venue de son déclin. Avant qu′il fût encore proche, nous eûmes quelque temps de pénombre, parce qu′après avoir poussé jusqu′à la Seine, où Albertine admira, et par sa présence m′empêcha d′admirer, les reflets de voiles rouges sur l′eau hivernale et bleue, une maison blottie au loin comme un seul coquelicot dans l′horizon clair dont Saint-Cloud semblait, plus loin, la pétrification fragmentaire, friable et côtelée, nous descendîmes de voiture et marchâmes longtemps ; même pendant quelques instants je lui donnai le bras, et il me semblait que cet anneau que le sien faisait sous le mien unissait en un seul être nos deux personnes et attachait l′une à l′autre nos deux destinées. Farther on, a numerous band were playing ball. All these girls had come out to make the most of the sunshine, for these days in February, even when they are brilliant, do not last long and the splendour of their light does not postpone the hour of its decline. Before that hour drew near, we passed some time in twilight, because after we had driven as far as the Seine, where Albertine admired, and by her presence prevented me from admiring the reflexions of red sails upon the wintry blue of the water, a solitary house in the distance like a single red poppy against the clear horizon, of which Saint-Cloud seemed, farther off again, to be the fragmentary, crumbling, rugged pétrification, we left our motor-car and walked a long way together; indeed for some moments I gave her my arm, and it seemed to me that the ring which her arm formed round it united our two persons in a single self and linked our separate destinies together.
À nos pieds, nos ombres parallèles, rapprochées et jointes, faisaient un dessin ravissant. Sans doute il me semblait déjà merveilleux, à la maison, qu′Albertine habitât avec moi, que ce fût elle qui s′étendît sur mon lit. Mais c′en était comme l′exportation au dehors, en pleine nature, que devant ce lac du Bois, que j′aimais tant, au pied des arbres, ce fût justement son ombre, l′ombre pure et simplifiée de sa jambe, de son buste, que le soleil eût à peindre au lavis à côté de la mienne sur le sable de l′allée. Et je trouvais un charme plus immatériel sans doute, mais non pas moins intime, qu′au rapprochement, à la fusion de nos corps, à celle de nos ombres. Puis nous remontâmes dans la voiture. Et elle s′engagea pour le retour dans de petites allées sinueuses où les arbres d′hiver, habillés de lierre et de ronces, comme des ruines, semblaient conduire à la demeure d′un magicien. À peine sortis de leur couvert assombri, nous retrouvâmes, pour sortir du Bois, le plein jour, si clair encore que je croyais avoir le temps de faire tout ce que je voudrais avant le dîner, quand, quelques instants seulement après, au moment où notre voiture approchait de l′Arc de Triomphe, ce fut avec un brusque mouvement de surprise et d′effroi que j′aperçus au-dessus de Paris, la lune pleine et prématurée, comme le cadran d′une horloge arrêtée qui nous fait croire qu′on s′est mis en retard. Nous avions dit au cocher de rentrer. Pour Albertine, c′était aussi revenir chez moi. La présence des femmes, si aimées soient-elles, qui doivent nous quitter pour rentrer ne donne pas cette paix que je goûtais dans la présence d′Albertine assise au fond de la voiture à côté de moi, présence qui nous acheminait non au vide des heures où l′on est séparé, mais à la réunion plus stable encore et mieux enclose dans mon chez-moi, qui était aussi son chez-elle, symbole matériel de la possession que j′avais d′elle. Certes, pour posséder il faut avoir désiré. Nous ne possédons une ligne, une surface, un volume que si notre amour l′occupe. Mais Albertine n′avait pas été pour moi, pendant notre promenade, comme avait été jadis Rachel, une vaine poussière de chair et d′étoffe. L′imagination de mes yeux, de mes lèvres, de mes mains, avait, à Balbec, si solidement construit, si tendrement poli son corps que maintenant, dans cette voiture, pour toucher ce corps, pour le contenir, je n′avais pas besoin de me serrer contre Albertine, ni même de la voir, il me suffisait de l′entendre et, si elle se taisait, de la savoir auprès de moi ; mes sens tressés ensemble l′enveloppaient tout entière et quand, arrivée devant la maison, tout naturellement elle descendit, je m′arrêtai un instant pour dire au chauffeur de revenir me prendre, mais mes regards l′enveloppaient encore tandis qu′elle s′enfonçait devant moi sous la voûte, et c′était toujours ce même calme inerte et domestique que je goûtais à la voir ainsi lourde, empourprée, opulente et captive, rentrer tout naturellement avec moi, comme une femme que j′avais à moi, et, protégée par les murs, disparaître dans notre maison. Malheureusement elle semblait s′y trouver en prison et être de l′avis de cette Mme de La Rochefoucauld qui, comme on lui demandait si elle n′était pas contente d′être dans une aussi belle demeure que Liancourt, répondit qu′« il n′est pas de belle prison », si j′en jugeais par l′air triste et las qu′elle eut ce soir-là pendant notre dîner en tête à tête dans sa chambre. Je ne le remarquai pas d′abord ; et c′était moi qui me désolais de penser que, s′il n′y avait pas eu Albertine (car avec elle j′eusse trop souffert de la jalousie dans un hôtel où elle eût toute la journée subi le contact de tant d′êtres), je pourrais en ce moment dîner à Venise dans une de ces petites salles à manger surbaissées comme une cale de navire, et où on voit le grand canal par de petites fenêtres cintrées qu′entourent des moulures mauresques. At our feet, our parallel shadows, where they approached and joined, traced an exquisite pattern. No doubt it already seemed to me a marvellous thing at home that Albertine should be living with me, that it should be she that came and lay down on my bed. But it was so to speak the transportation of that marvel out of doors, into the heart of nature, that by the shore of that lake in the Bois, of which I was so fond, beneath the trees, it should be her and none but her shadow, the pure and simplified shadow of her leg, of her bust, that the sun had to depict in monochrome by the side of mine upon the gravel of the path. And I found a charm that was more immaterial doubtless, but no less intimate, than in the drawing together, the fusion of our bodies, in that of our shadows. Then we returned to our car. And it chose, for our homeward journey, a succession of little winding lanes along which the wintry trees, clothed, like ruins, in ivy and brambles, seemed to be pointing the way to the dwelling of some magician. No sooner had we emerged from their dusky cover than we found, upon leaving the Bois, the daylight still so bright that I imagined that I should still have time to do everything that I wanted to do before dinner, when, only a few minutes later, at the moment when our car approached the Arc de Triomphe, it was with a sudden start of surprise and dismay that I perceived, over Paris, the moon prematurely full, like the face of a clock that has stopped and makes us think that we are late for an engagement. We had told the driver to take us home. To Albertine, this meant also coming to my home. The company of those women, however dear to us, who are obliged to leave us and return home, does not bestow that peace which I found in the company of Albertine seated in the car by my side, a company that was conveying us not to the void in which lovers have to part but to an even more stable and more sheltered union in my home, which was also hers, the material symbol of my possession of her. To be sure, in order to possess, one must first have desired. We do not possess a line, a surface, a mass unless it is occupied by our love. But Albertine had not been for me during our drive, as Rachel had been in the past, a futile dust of flesh and clothing. The imagination of my eyes, my lips, my hands had at Balbec so solidly built, so tenderly polished her body that now in this car, to touch that body, to contain it, I had no need to press my own body against Albertine, nor even to see her; it was enough to hear her, and if she was silent to know that she was by my side; my interwoven senses enveloped her altogether and when, as we arrived at the front door, she quite naturally alighted, I stopped for a moment to tell the chauffeur to call for me later on, but my gaze enveloped her still while she passed ahead of me under the arch, and it was still the same inert, domestic calm that I felt as I saw her thus, solid, flushed, opulent and captive, returning home quite naturally with myself, as a woman who was my own property, and, protected by its walls, disappearing into our house. Unfortunately, she seemed to feel herself a prisoner there, and to share the opinion of that Mme. de La Rochefoucauld who, when somebody asked her whether she was not glad to live in so beautiful a home as Liancourt, replied: “There is no such thing as a beautiful prison”; if I was to judge by her miserable, weary expression that evening as we dined together in my room. I did not notice it at first; and it was I that was made wretched by the thought that, if it had not been for Albertine (for with her I should have suffered too acutely from jealousy in an hotel where all day long she would have been exposed to contact with a crowd of strangers), I might at that moment be dining in Venice in one of those little restaurants, barrel-vaulted like the hold of a ship, from which one looks out on the Grand Canal through arched windows framed in Moorish mouldings.
Je dois ajouter qu′Albertine admirait beaucoup chez moi un grand bronze de Barbedienne, qu′avec beaucoup de raison Bloch trouvait fort laid. Il en avait peut-être moins de s′étonner que je l′eusse gardé. Je n′avais jamais cherché comme lui à faire des ameublements artistiques, à composer des pièces, j′étais trop paresseux pour cela, trop indifférent à ce que j′avais l′habitude d′avoir sous les yeux. Puisque mon goût ne s′en souciait pas, j′avais le droit de ne pas nuancer mon intérieur. J′aurais peut-être pu malgré cela ôter le bronze. Mais les choses laides et cossues sont fort utiles, car elles ont auprès des personnes qui ne nous comprennent pas, qui n′ont pas notre goût et dont nous pouvons être amoureux, un prestige que n′aurait pas une fière chose qui ne révèle pas sa beauté. Or les êtres qui ne nous comprennent pas sont justement les seuls à l′égard desquels il puisse nous être utile d′user d′un prestige que notre intelligence suffit à nous assurer auprès d′êtres supérieurs. Albertine avait beau commencer à avoir du goût, elle avait encore un certain respect pour le bronze, et ce respect rejaillissait sur moi en une considération qui, venant d′Albertine, m′importait infiniment plus que de garder un bronze un peu déshonorant, puisque j′aimais Albertine. I ought to add that Albertine greatly admired in my room a big bronze by Barbedienne which with ample justification Bloch considered extremely ugly. He had perhaps less reason to be surprised at my having kept it. I had never sought, like him, to furnish for artistic effect, to compose my surroundings, I was too lazy, too indifferent to the things that I was in the habit of seeing every day. Since my taste was not involved, I had a right not to harmonise my interior. I might perhaps, even without that, have discarded the bronze. But ugly and expensive things are of great use, for they enjoy, among people who do not understand us, who have not our taste and with whom we cannot fall in love, a prestige that would not be shared by some proud object that does not reveal its beauty. Now the people who do not understand us are precisely the people with regard to whom alone it may be useful to us to employ a prestige which our intellect is enough, to assure us among superior people. Albertine might indeed be beginning to shew taste, she still felt a certain respect for the bronze, and this respect was reflected upon myself in a consideration which, coming from Albertine, mattered infinitely more to me than the question of keeping a bronze which was a trifle degrading, since I was in love with Albertine.
Mais la pensée de mon esclavage cessait tout d′un coup de me peser et je souhaitais de le prolonger encore, parce qu′il me semblait apercevoir qu′Albertine sentait cruellement le sien. Sans doute, chaque fois que je lui avais demandé si elle ne se déplaisait pas chez moi, elle m′avait toujours répondu qu′elle ne savait pas où elle pourrait être plus heureuse. Mais souvent ces paroles étaient démenties par un air de nostalgie, d′énervement. But the thought of my bondage ceased of a sudden to weigh upon me and I looked forward to prolonging it still further, because I seemed to perceive that Albertine was painfully conscious of her own. True that whenever I had asked her whether she was not bored in my house, she had always replied that she did not know where it would be possible to have a happier time. But often these words were contradicted by an air of nervous exhaustion, of longing to escape.
Certes, si elle avait les goûts que je lui avais crus, cet empêchement de jamais les satisfaire devait être aussi excitant pour elle qu′il était calmant pour moi, calmant au point que j′eusse trouvé l′hypothèse que je l′avais accusée injustement la plus vraisemblable si, dans celle-ci, je n′eusse eu beaucoup de peine à expliquer cette application extraordinaire que mettait Albertine à ne jamais être seule, à ne jamais être libre, à ne pas s′arrêter un instant devant la porte quand elle rentrait, à se faire accompagner ostensiblement, chaque fois qu′elle allait téléphoner, par quelqu′un qui pût me répéter ses paroles, par Françoise, par Andrée, à me laisser toujours seul, sans avoir l′air que ce fût exprès, avec cette dernière, quand elles étaient sorties ensemble, pour que je pusse me faire faire un rapport détaillé sur leur sortie. Avec cette merveilleuse docilité contrastaient certains mouvements, vite réprimés, d′impatience, qui me firent me demander si Albertine n′aurait pas formé le projet de secouer sa chaîne. Des faits accessoires étayaient ma supposition. Ainsi, un jour où j′étais sorti seul, ayant rencontré, près de Passy, Gisèle, nous causâmes de choses et d′autres. Bientôt, assez heureux de pouvoir le lui apprendre, je lui dis que je voyais constamment Albertine. Gisèle me demanda où elle pourrait la trouver, car elle avait justement quelque chose à lui dire. « Quoi donc ? — Des choses qui se rapportent à de petites camarades à elle. — Quelles camarades ? Je pourrai peut-être vous renseigner, ce qui ne vous empêchera pas de la voir. — Oh ! des camarades d′autrefois, je ne me rappelle pas les noms », répondit Gisèle d′un air vague, en battant en retraite. Elle me quitta, croyant avoir parlé avec une prudence telle que rien ne pouvait me paraître que très clair. Mais le mensonge est si peu exigeant, a besoin de si peu de chose pour se manifester ! S′il s′était agi de camarades d′autrefois, dont elle ne savait même pas les noms, pourquoi aurait-elle eu « justement » besoin d′en parler à Albertine ? Cet adverbe, assez parent d′une expression chère à Mme Cottard : « cela tombe à pic », ne pouvait s′appliquer qu′à une chose particulière, opportune, peut-être urgente, se rapportant à des êtres déterminés. D′ailleurs, rien que la façon d′ouvrir la bouche, comme quand on va bâiller, d′un air vague, en me disant (en reculant presque avec son corps, comme elle faisait machine en arrière à partir de ce moment dans notre conversation) : « Ah ! je ne sais pas, je ne me rappelle pas les noms », faisait aussi bien de sa figure, et, s′accordant avec elle, de sa voix, une figure de mensonge, que l′air tout autre, serré, animé, à l′avant, de « j′ai justement » signifiait une vérité. Je ne questionnai pas Gisèle. À quoi cela m′eût-il servi ? Certes, elle ne mentait pas de la même manière qu′Albertine. Et certes les mensonges d′Albertine m′étaient plus douloureux. Mais d′abord il y avait entre eux un point commun : le fait même du mensonge qui, dans certains cas, est une évidence. Non pas de la réalité qui se cache dans ce mensonge. On sait bien que chaque assassin, en particulier, s′imagine avoir tout si bien combiné qu′il ne sera pas pris, et, parmi les menteurs, plus particulièrement les femmes qu′on aime. On ignore où elle est allée, ce qu′elle y a fait. Mais au moment même où elle parle, où elle parle d′une autre chose sous laquelle il y a cela, qu′elle ne dit pas, le mensonge est perçu instantanément, et la jalousie redoublée puisqu′on sent le mensonge, et qu′on n′arrive pas à savoir la vérité. Chez Albertine, la sensation du mensonge était donnée par bien des particularités qu′on a déjà vues au cours de ce récit, mais principalement par ceci que, quand elle mentait, son récit péchait soit par insuffisance, omission, invraisemblance, soit par excès, au contraire, de petits faits destinés à le rendre vraisemblable. Le vraisemblable, malgré l′idée que se fait le menteur, n′est pas du tout le vrai. Dès qu′en écoutant quelque chose de vrai, on entend quelque chose qui est seulement vraisemblable, qui l′est peut-être plus que le vrai, qui l′est peut-être trop, l′oreille un peu musicienne sent que ce n′est pas cela, comme pour un vers faux, ou un mot lu à haute voix pour un autre. L′oreille le sent et, si l′on aime, le cœur s′alarme. Que ne songe-t-on alors, quand on change toute sa vie parce qu′on ne sait pas si une femme est passée rue de Berri ou rue Washington, que ne songe-t-on que ces quelques mètres de différence, et la femme elle-même, seront réduits au cent millionième (c′est-à-dire à une grandeur que nous ne pouvons percevoir) si seulement nous avons la sagesse de rester quelques années sans voir cette femme, et que ce qui était Gulliver en bien plus grand deviendra une lilliputienne qu′aucun microscope — au moins du cœur, car celui de la mémoire indifférente est plus puissant et moins fragile — ne pourra plus percevoir ! Quoi qu′il en soit, s′il y avait un point commun — le mensonge même — entre ceux d′Albertine et de Gisèle, pourtant Gisèle ne mentait pas de la même manière qu′Albertine, ni non plus de la même manière qu′Andrée, mais leurs mensonges respectifs s′emboîtaient si bien les uns dans les autres, tout en présentant une grande variété, que la petite bande avait la solidité impénétrable de certaines maisons de commerce, de librairie ou de presse par exemple, où le malheureux auteur n′arrivera jamais, malgré la diversité des personnalités composantes, à savoir s′il est ou non floué. Le directeur du journal ou de la revue ment avec une attitude de sincérité d′autant plus solennelle qu′il a besoin de dissimuler, en mainte occasion, qu′il fait exactement la même chose et se livre aux mêmes pratiques mercantiles que celles qu′il a flétries chez les autres directeurs de journaux ou de théâtres, chez les autres éditeurs, quand il a pris pour bannière, levé contre eux l′étendard de la Sincérité. Avoir proclamé (comme chef d′un parti politique, comme n′importe quoi) qu′il est atroce de mentir, oblige le plus souvent à mentir plus que les autres, sans quitter pour cela le masque solennel, sans déposer la tiare auguste de la sincérité. L′associé de l′« homme sincère » ment autrement et de façon plus ingénue. Il trompe son auteur comme il trompe sa femme, avec des trucs de vaudeville. Le secrétaire de la rédaction, honnête homme et grossier, ment tout simplement, comme un architecte qui vous promet que votre maison sera prête à une époque où elle ne sera pas commencée. Le rédacteur en chef, âme angélique, voltige au milieu des trois autres, et sans savoir de quoi il s′agit, leur porte, par scrupule fraternel et tendre solidarité, le secours précieux d′une parole insoupçonnable. Ces quatre personnes vivent dans une perpétuelle dissension, que l′arrivée de l′auteur fait cesser. Par-dessus les querelles particulières, chacun se rappelle le grand devoir militaire de venir en aide au « corps » menacé. Sans m′en rendre compte, j′avais depuis longtemps joué le rôle de cet auteur vis-à-vis de la « petite bande ». Si Gisèle avait pensé, quand elle avait dit : « justement », à telle camarade d′Albertine disposée à voyager avec elle dès que mon amie, sous un prétexte ou un autre, m′aurait quitté, et à prévenir Albertine que l′heure était venue ou sonnerait bientôt, Gisèle se serait fait couper en morceaux plutôt que de me le dire ; il était donc bien inutile de lui poser des questions. Des rencontres comme celles de Gisèle n′étaient pas seules à accentuer mes doutes. Par exemple, j′admirais les peintures d′Albertine. Les peintures d′Albertine, touchantes distractions de la captive, m′émurent tant que je la félicitai. « Non, c′est très mauvais, mais je n′ai jamais pris une seule leçon de dessin. — Mais un soir vous m′aviez fait dire, à Balbec, que vous étiez restée à prendre une leçon de dessin. » Je lui rappelai le jour et lui dis que j′avais bien compris tout de suite qu′on ne prenait pas de leçons de dessin à cette heure-là. Albertine rougit. « C′est vrai, dit-elle, je ne prenais pas de leçons de dessin, je vous ai beaucoup menti au début, cela je le reconnais. Mais je ne vous mens plus jamais. » J′aurais tant voulu savoir quels étaient les nombreux mensonges du début, mais je savais d′avance que ses aveux seraient de nouveaux mensonges. Aussi je me contentai de l′embrasser. Je lui demandai seulement un de ces mensonges. Elle répondit : « Eh bien ! par exemple que l′air de la mer me faisait mal. » Je cessai d′insister devant ce mauvais vouloir. Certainly if she had the tastes with which I had credited her, this inhibition from ever satisfying them must have been as provoking to her as it was calming to myself, calming to such an extent that I should have decided that the hypothesis of my having accused her unjustly was the most probable, had it not been so difficult to fit into this hypothesis the extraordinary pains that Albertine was taking never to be alone, never to be disengaged, never to stop for a moment outside the front door when she came in, to insist upon being accompanied, whenever she went to the telephone, by some one who would be able to repeat to me what she had said, by Françoise or Andrée, always to leave me alone (without appearing to be doing so on purpose) with the latter, after they had been out together, so that I might obtain a detailed report of their outing. With this marvellous docility were contrasted certain quickly repressed starts of impatience, which made me ask myself whether Albertine was not planning to cast off her chain. Certain subordinate incidents seemed to corroborate my supposition. Thus, one day when I had gone out by myself, in the Passy direction, and had met Gisèle, we began to talk about one thing and another. Presently, not without pride at being able to do so, I informed her that I was constantly seeing Albertine. Gisèle asked me where she could find her, since there was something that she simply must tell her. “Why, what is it?” “Something to do with some young friends of hers.” “What friends? I may perhaps be able to tell you, though that need not prevent you from seeing her.” “Oh, girls she knew years ago, I don′t remember their names,” Gisèle replied vaguely, and beat a retreat. She left me, supposing herself to have spoken with such prudence that the whole story must seem to me perfectly straightforward. But falsehood is so unexacting, needs so little help to make itself manifest! If it had been a question of friends of long ago, whose very names she no longer remembered, why must she speak about them to Albertine? This ‘must,′ akin to an expression dear to Mme. Cottard: ‘in the nick of time,′ could be applicable only to something particular, opportune, perhaps urgent, relating to definite persons. Besides, something about her way of opening her mouth, as though she were going to yawn, with a vague expression, as she said to me (almost drawing back her body, as though she began to reverse her engine at this point in our conversation): “Oh, I don′t know, I don′t remember their names,” made her face, and in harmony with it her voice, as clear a picture of falsehood as the wholly different air, tense, excited, of her previous ‘must‘ was of truth. I did not question Gisèle. Of what use would it have been to me? Certainly, she was not lying in the same fashion as Albertine. And certainly Albertine′s lies pained me more. But they had obviously a point in common: the fact of the lie itself, which in certain cases is self-evident. Not evidence of the truth that the lie conceals. We know that each murderer in turn imagines that he has arranged everything so cleverly that he will not be caught, and so it is with liars, particularly the woman with whom we are in love. We do not know where she has been, what she has been doing. But at the very moment when she speaks, when she speaks of something else beneath which lies hidden the thing that she does not mention, the lie is immediately perceived, and our jealousy increased, since we are conscious of the lie, and cannot succeed in discovering the truth. With Albertine, the impression that she was lying was conveyed by many of the peculiarities which we have already observed in the course of this narrative, but especially by this, that, when she was lying, her story broke down either from inadequacy, omission, improbability, or on the contrary from a surfeit of petty details intended to make it seem probable. Probability, notwithstanding the idea that the liar has formed of it, is by no means the same as truth. Whenever, while listening to something that is true, we hear something that is only probable, which is perhaps more so than the truth, which is perhaps too probable, the ear that is at all sensitive feels that it is not correct, as with a line that does not scan or a word read aloud in mistake for another. Our ear feels this, and if we are in love our heart takes alarm. Why do we not reflect at the time, when we change the whole course of our life because we do not know whether a woman went along the Rue de Berri or the Rue Washington, why do we not reflect that these few hundred yards of difference, and the woman herself, will be reduced to the hundred millionth part of themselves (that is to say to dimensions far beneath our perception), if we only have the wisdom to remain for a few years without seeing the woman, and that she who has out-Gullivered Gulliver in our eyes will shrink to a Lilliputian whom no microscope — of the heart, at least, for that of the disinterested memory is more powerful and less fragile — can ever again perceive! However it may be, if there was a point in common — the lie itself — between Albertine′s lies and Gisèle′s, still Gisèle did not lie in the same fashion as Albertine, nor indeed in the same fashion as Andrée, but their respective lies dovetailed so neatly into one another, while presenting a great variety, that the little band had the impenetrable solidity of certain commercial houses, booksellers′ for example or printing presses, where the wretched author will never succeed, notwithstanding the diversity of the persons employed in them, in discovering whether he is being swindled or not. The editor of the newspaper or review lies with an attitude of sincerity all the more solemn in that he is frequently obliged to conceal the fact that he himself does exactly the same things and indulges in the same commercial practices that he denounced in other editors or theatrical managers, in other publishers, when he chose as his battle-cry, when he raised against them the standard of Sincerity. The fact of a man′s having proclaimed (as leader of a political party, or in any other capacity) that it is wicked to lie, obliges him as a rule to lie more than other people, without on that account abandoning the solemn mask, doffing the august tiara of sincerity. The ‘sincere′ gentleman′s partner lies in a different and more ingenuous fashion. He deceives his author as he deceives his wife, with tricks from the vaudeville stage. The secretary of the firm, a blunt and honest man, lies quite simply, like an architect who promises that your house will be ready at a date when it will not have been begun. The head reader, an angelic soul, flutters from one to another of the three, and without knowing what the matter is, gives them, by a brotherly scruple and out of affectionate solidarity, the precious support of a word that is above suspicion. These four persons live in a state of perpetual dissension to which the arrival of the author puts a stop. Over and above their private quarrels, each of them remembers the paramount military duty of rallying to the support of the threatened ‘corps.′ Without realising it, I had long been playing the part of this author among the little band. If Gisèle had been thinking, when she used the word ‘must,′ of some one of Albertine′s friends who was proposing to go abroad with her as soon as my mistress should have found some pretext or other for leaving me, and had meant to warn Albertine that the hour had now come or would shortly strike, she, Gisèle, would have let herself be torn to pieces rather than tell me so; it was quite useless therefore to ply her with questions. Meetings such as this with Gisèle were not alone in accentuating my doubts. For instance, I admired Albertine′s sketches. Albertine′s sketches, the touching distractions of the captive, moved me so that I congratulated her upon them. “No, they′re dreadfully bad, but I′ve never had a drawing lesson in my life.” “But one evening at Balbec you sent word to me that you had stayed at home to have a drawing lesson.” I reminded her of the day and told her that I had realised at the time that people did not have drawing lessons at that hour in the evening. Albertine blushed. “It is true,” she said, “I was not having drawing lessons, I told you a great many lies at first, that I admit. But I never lie to you now.” I would so much have liked to know what were the many lies that she had told me at first, but I knew beforehand that her answers would be fresh lies. And so I contented myself with kissing her. I asked her to tell me one only of those lies. She replied: “Oh, well; for instance when I said that the sea air was bad for me.” I ceased to insist in the face of this unwillingness to reveal.
Pour lui faire paraître sa chaîne plus légère, le mieux était sans doute de lui faire croire que j′allais moi-même la rompre. En tous cas, ce projet mensonger je ne pouvais le lui confier en ce moment, elle était revenue avec trop de gentillesse du Trocadéro tout à l′heure ; ce que je pouvais faire, bien loin de l′affliger d′une menace de rupture, c′était tout au plus de taire les rêves de perpétuelle vie commune que formait mon cœur reconnaissant. En la regardant, j′avais de la peine à me retenir de les épancher en elle, et peut-être s′en apercevait-elle. Malheureusement leur expression n′est pas contagieuse. Le cas d′une vieille femme maniérée, comme M. de Charlus qui, à force de ne voir dans son imagination qu′un fier jeune homme, croit devenir lui-même fier jeune homme, et d′autant plus qu′il devient plus maniéré et plus risible, ce cas est plus général, et c′est l′infortune d′un amant épris de ne pas se rendre compte que, tandis qu′il voit une figure belle devant lui, sa maîtresse voit sa figure à lui, qui n′est pas rendue belle, au contraire, quand la déforme le plaisir qu′y fait naître la vue de la beauté. Et l′amour n′épuise même pas toute la généralité de ce cas ; nous ne voyons pas notre corps, que les autres voient, et nous « suivons » notre pensée, l′objet invisible aux autres, qui est devant nous. Cet objet-là, parfois l′artiste le fait voir dans son œuvre. De là vient que les admirateurs de celle-ci sont désillusionnés par l′auteur, dans le visage de qui cette beauté intérieure s′est imparfaitement reflétée. To make her chain appear lighter, the best thing was no doubt to make her believe that I was myself about to break it. In any case, I could not at that moment confide this mendacious plan to her, she had been too kind in returning from the Trocadéro that afternoon; what I could do, far from distressing her with the threat of a rupture, was at the most to keep to myself those dreams of a perpetual life together which my grateful heart kept forming. As I looked at her, I found it hard to restrain myself from pouring them out to her, and she may perhaps have noticed this. Unfortunately the expression of such dreams is not contagious. The case of an affected old woman like M. de Charlus who, by dint of never seeing in his imagination anything but a stalwart young man, thinks that he has himself become a stalwart young man, all the more so the more affected and ridiculous he becomes, this case is more general, and it is the tragedy of an impassioned lover that he does not take into account the fact that while he sees in front of him a beautiful face, his mistress is seeing his face which is not made any more beautiful, far from it, when it is distorted by the pleasure that is aroused in it by the sight of beauty. Nor indeed does love exhaust the whole of this case; we do not see our own body, which other people see, and we ‘follow′ our own thought, the object invisible to other people which is before our eyes. This object the artist does sometimes enable us to see in his work. Whence it arises that the admirers of his work are disappointed in its author, upon whose face that internal beauty is imperfectly reflected.
Tout être aimé, même dans une certaine mesure, tout être est pour nous comme Janus, nous présentant le front qui nous plaît si cet être nous quitte, le front morne si nous le savons à notre perpétuelle disposition. Pour Albertine, la société durable avec elle avait quelque chose de pénible d′une autre façon que je ne peux dire en ce récit. C′est terrible d′avoir la vie d′une autre personne attachée à la sienne comme une bombe qu′on tiendrait sans qu′on puisse la lâcher sans crime. Mais qu′on prenne comme comparaison les hauts et les bas, les dangers, l′inquiétude, la crainte de voir crues plus tard des choses fausses et vraisemblables qu′on ne pourra plus expliquer, sentiments éprouvés si on a dans son intimité un fou. Par exemple, je plaignais M. de Charlus de vivre avec Morel (aussitôt le souvenir de la scène de l′après-midi me fit sentir le côté gauche de ma poitrine bien plus gros que l′autre) ; en laissant de côté les relations qu′ils avaient ou non ensemble, M. de Charlus avait dû ignorer, au début, que Morel était fou. La beauté de Morel, sa platitude, sa fierté, avaient dû détourner le baron de chercher si loin, jusqu′aux jours des mélancolies où Morel accusait M. de Charlus de sa tristesse, sans pouvoir fournir d′explications, l′insultait de sa méfiance, à l′aide de raisonnements faux, mais extrêmement subtils, le menaçait de résolutions désespérées, au milieu desquelles persistait le souci le plus retors de l′intérêt le plus immédiat. Tout ceci n′est que comparaison. Albertine n′était pas folle. Every person whom we love, indeed to a certain extent every person is to us like Janus, presenting to us the face that we like if that person leaves us, the repellent face if we know him or her to be perpetually at our disposal. In the case of Albertine, the prospect of her continued society was painful to me in another fashion which I cannot explain in this narrative. It is terrible to have the life of another person attached to our own like a bomb which we hold in our hands, unable to get rid of it without committing a crime. But let us take as a parallel the ups and downs, the dangers, the anxieties, the fear of seeing believed in time to come false and probable things which one will not be able then to explain, feelings that one experiences if one lives in the intimate society of a madman. For instance, I pitied M. de Charlus for living with Morel (immediately the memory of the scene that afternoon made me feel the left side of my breast heavier than the other); leaving out of account the relations that may or may not have existed between them, M. de Charlus must have been unaware at the outset that Morel was mad. Morel′s beauty, his stupidity, his pride must have deterred the Baron from exploring so deeply, until the days of melancholy when Morel accused M. de Charlus of responsibility for his sorrows, without being able to furnish any explanation, abused him for his want of confidence, by the aid of false but extremely subtle reasoning, threatened him with desperate resolutions, while throughout all this there persisted the most cunning regard for his own most immediate interests But all this is only a comparison. Albertine was not mad.
J′appris que ce jour-là avait eu lieu une mort qui me fit beaucoup de peine, celle de Bergotte. On sait que sa maladie durait depuis longtemps. Non pas celle, évidemment, qu′il avait eue d′abord et qui était naturelle. La nature ne semble guère capable de donner que des maladies assez courtes. Mais la médecine s′est annexé l′art de les prolonger. Les remèdes, la rémission qu′ils procurent, le malaise que leur interruption fait renaître, composent un simulacre de maladie que l′habitude du patient finit par stabiliser, par styliser, de même que les enfants toussent régulièrement par quintes longtemps après qu′ils sont guéris de la coqueluche. Puis les remèdes agissent moins, on les augmente, ils ne font plus aucun bien, mais ils ont commencé à faire du mal grâce à cette indisposition durable. La nature ne leur aurait pas offert une durée si longue. C′est une grande merveille que la médecine, égalant presque la nature, puisse forcer à garder le lit, à continuer sous peine de mort l′usage d′un médicament. Dès lors, la maladie artificiellement greffée a pris racine, est devenue une maladie secondaire mais vraie, avec cette seule différence que les maladies naturelles guérissent, mais jamais celles que crée la médecine, car elle ignore le secret de la guérison. I learned that a death had occurred during the day which distressed me greatly, that of Bergotte. It was known that he had been ill for a long time past. Not, of course, with the illness from which he had suffered originally and which was natural. Nature hardly seems capable of giving us any but quite short illnesses. But medicine has annexed to itself the art of prolonging them. Remedies, the respite that they procure, the relapses that a temporary cessation of them provokes, compose a sham illness to which the patient grows so accustomed that he ends by making it permanent, just as children continue to give way to fits of coughing long after they have been cured of the whooping cough. Then remedies begin to have less effect, the doses are increased, they cease to do any good, but they have begun to do harm thanks to that lasting indisposition. Nature would not have offered them so long a tenure. It is a great miracle that medicine can almost equal nature in forcing a man to remain in bed, to continue on pain of death the use of some drug. From that moment the illness artificially grafted has taken root, has become a secondary but a genuine illness, with this difference only that natural illnesses are cured, but never those which medicine creates, for it knows not the secret of their cure.
Il y avait des années que Bergotte ne sortait plus de chez lui. D′ailleurs, il n′avait jamais aimé le monde, ou l′avait aimé un seul jour pour le mépriser comme tout le reste, et de la même façon, qui était la sienne, à savoir non de mépriser parce qu′on ne peut obtenir, mais aussitôt qu′on a obtenu. Il vivait si simplement qu′on ne soupçonnait pas à quel point il était riche, et l′eût-on su qu′on se fût trompé encore, l′ayant cru alors avare, alors que personne ne fut jamais si généreux. Il l′était surtout avec des femmes, des fillettes pour mieux dire, et qui étaient honteuses de recevoir tant pour si peu de chose. Il s′excusait à ses propres yeux parce qu′il savait ne pouvoir jamais si bien produire que dans l′atmosphère de se sentir amoureux. L′amour, c′est trop dire, le plaisir un peu enfoncé dans la chair aide au travail des lettres parce qu′il anéantit les autres plaisirs, par exemple les plaisirs de la société, ceux qui sont les mêmes pour tout le monde. Et même, si cet amour amène des désillusions, du moins agite-t-il, de cette façon-là aussi, la surface de l′âme, qui sans cela risquerait de devenir stagnante. Le désir n′est donc pas inutile à l′écrivain pour l′éloigner des autres hommes d′abord et de se conformer à eux, pour rendre ensuite quelques mouvements à une machine spirituelle qui, passé un certain âge, a tendance à s′immobiliser. On n′arrive pas à être heureux mais on fait des remarques sur les raisons qui empêchent de l′être et qui nous fussent restées invisibles sans ces brusques percées de la déception. Les rêves ne sont pas réalisables, nous le savons ; nous n′en formerions peut-être pas sans le désir, et il est utile d′en former pour les voir échouer et que leur échec instruise. Aussi Bergotte se disait-il : « Je dépense plus que des multimillionnaires pour des fillettes, mais les plaisirs ou les déceptions qu′elles me donnent me font écrire un livre qui me rapporte de l′argent. » Économiquement ce raisonnement était absurde, mais sans doute trouvait-il quelque agrément à transmuter ainsi l′or en caresses et les caresses en or. Nous avons vu, au moment de la mort de ma grand′mère, que la vieillesse fatiguée aimait le repos. Or dans le monde il n′y a que la conversation. Elle y est stupide, mais a le pouvoir de supprimer les femmes, qui ne sont plus que questions et réponses. Hors du monde les femmes redeviennent ce qui est si reposant pour le vieillard fatigué, un objet de contemplation. En tous cas, maintenant, il n′était plus question de rien de tout cela. J′ai dit que Bergotte ne sortait plus de chez lui, et quand il se levait une heure dans sa chambre, c′était tout enveloppé de châles, de plaids, de tout ce dont on se couvre au moment de s′exposer à un grand froid ou de monter en chemin de fer. Il s′en excusait auprès des rares amis qu′il laissait pénétrer auprès de lui, et montrant ses tartans, ses couvertures, il disait gaiement : « Que voulez-vous, mon cher, Anaxagore l′a dit, la vie est un voyage. » Il allait ainsi se refroidissant progressivement, petite planète qui offrait une image anticipée de la grande quand, peu à peu, la chaleur se retirera de la terre, puis la vie. Alors la résurrection aura pris fin, car, si avant dans les générations futures que brillent les œuvres des hommes, encore faut-il qu′il y ait des hommes. Si certaines espèces d′animaux résistent plus longtemps au froid envahisseur, quand il n′y aura plus d′hommes, et à supposer que la gloire de Bergotte ait duré jusque-là, brusquement elle s′éteindra à tout jamais. Ce ne sont pas les derniers animaux qui le liront, car il est peu probable que, comme les apôtres à la Pentecôte, ils puissent comprendre le langage des divers peuples humains sans l′avoir appris. For years past Bergotte had ceased to go out of doors. Anyhow, he had never cared for society, or had cared for it for a day only, to despise it as he despised everything else and in the same fashion, which was his own, namely to despise a thing not because it was beyond his reach but as soon as he had reached it. He lived so simply that nobody suspected how rich he was, and anyone who had known would still have been mistaken, for he would have thought him a miser, whereas no one was ever more generous. He was generous above all towards women — girls, one ought rather to say — who were ashamed to receive so much in return for so little. He excused himself in his own eyes because he knew that he could never produce such good work as in an atmosphere of amorous feelings. Love is too strong a word, pleasure that is at all deeply rooted in the flesh is helpful to literary work because it cancels all other pleasures, for instance the pleasures of society, those which are the same for everyone. And even if this love leads to disillusionment, it does at least stir, even by so doing, the surface of the soul which otherwise would be in danger of becoming stagnant. Desire is therefore not without its value to the writer in detaching him first of all from his fellow men and from conforming to their standards, and afterwards in restoring some degree of movement to a spiritual machine which, after a certain age, tends to become paralysed. We do not succeed in being happy but we make observation of the reasons which prevent us from being happy and which would have remained invisible to us but for these loopholes opened by disappointment. Dreams are not to be converted into reality, that we know; we would not form any, perhaps, were it not for desire, and it is useful to us to form them in order to see them fail and to be instructed by their failure. And so Bergotte said to himself: “I am spending more than a multimillionaire would spend upon girls, but the pleasures or disappointments that they give me make me write a book which brings me money.” Economically, this argument was absurd, but no doubt he found some charm in thus transmuting gold into caresses and caresses into gold. We saw, at the time of my grandmother′s death, how a weary old age loves repose. Now in society, there is nothing but conversation. It may be stupid, but it has the faculty of suppressing women who are nothing more than questions and answers. Removed from society, women become once more what is so reposeful to a weary old man, an object of contemplation. In any case, it was no longer a question of anything of this sort. I have said that Bergotte never went out of doors, and when he got out of bed for an hour in his room, he would be smothered in shawls, plaids, all the things with which a person covers himself before exposing himself to intense cold or getting into a railway train. He would apologise to the few friends whom he allowed to penetrate to his sanctuary, and, pointing to his tartan plaids, his travelling-rugs, would say merrily: “After all, my dear fellow, life, as Anaxagoras has said, is a journey.” Thus he went on growing steadily colder, a tiny planet that offered a prophetic image of the greater, when gradually heat will withdraw from the earth, then life itself. Then the resurrection will have come to an end, for if, among future generations, the works of men are to shine, there must first of all be men. If certain kinds of animals hold out longer against the invading chill, when there are no longer any men, and if we suppose Bergotte′s fame to have lasted so long, suddenly it will be extinguished for all time. It will not be the last animals that will read him, for it is scarcely probable that, like the Apostles on the Day of Pentecost, they will be able to understand the speech of the various races of mankind without having learned it.
Dans les mois qui précédèrent sa mort, Bergotte souffrait d′insomnies, et, ce qui est pire, dès qu′il s′endormait, de cauchemars, qui, s′il s′éveillait, faisaient qu′il évitait de se rendormir. Longtemps il avait aimé les rêves, même les mauvais rêves, parce que grâce à eux, grâce à la contradiction qu′ils présentent avec la réalité qu′on a devant soi à l′état de veille, ils nous donnent, au plus tard dès le réveil, la sensation profonde que nous avons dormi. Mais les cauchemars de Bergotte n′étaient pas cela. Quand il parlait de cauchemars, autrefois il entendait des choses désagréables qui se passaient dans son cerveau. Maintenant, c′est comme venus du dehors de lui qu′il percevait une main munie d′un torchon mouillé qui, passée sur sa figure par une femme méchante, s′efforçait de le réveiller ; d′intolérables chatouillements sur les hanches ; la rage — parce que Bergotte avait murmuré en dormant qu′il conduisait mal — d′un cocher fou furieux qui se jetait sur l′écrivain et lui mordait les doigts, les lui sciait. Enfin, dès que dans son sommeil l′obscurité était suffisante, la nature faisait une espèce de répétition sans costumes de l′attaque d′apoplexie qui l′emporterait : Bergotte entrait en voiture sous le porche du nouvel hôtel des Swann, voulait descendre. Un vertige foudroyant le clouait sur sa banquette, le concierge essayait de l′aider à descendre, il restait assis, ne pouvant se soulever, dresser ses jambes. Il essayait de s′accrocher au pilier de pierre qui était devant lui, mais n′y trouvait pas un suffisant appui pour se mettre debout. In the months that preceded his death, Bergotte suffered from insomnia, and what was worse, whenever he did fall asleep, from nightmares which, if he awoke, made him reluctant to go to sleep again. He had long been a lover of dreams, even of bad dreams, because thanks to them and to the contradiction they present to the reality which we have before us in our waking state, they give us, at the moment of waking if not before, the profound sensation of having slept. But Bergotte′s nightmares were not like that. When he spoke of nightmares, he used in the past to mean unpleasant things that passed through his brain. Latterly, it was as though proceeding from somewhere outside himself that he would see a hand armed with a damp cloth which, passed over his face by an evil woman, kept scrubbing him awake, an intolerable itching in his thighs, the rage — because Bergotte had murmured in his sleep that he was driving badly — of a raving lunatic of a cabman who flung himself upon the writer, biting and gnawing his fingers. Finally, as soon as in his sleep it had grown sufficiently dark, nature arranged a sort of undress rehearsal of the apoplectic stroke that was to carry him off: Bergotte arrived in a carriage beneath the porch of Swann′s new house, and tried to alight. A stunning giddiness glued him to his seat, the porter came forward to help him out of the carriage, he remained seated, unable to rise — to straighten his legs. He tried to pull himself up with the help of the stone pillar that was by his side, but did not find sufficient support in it to enable him to stand.
Il consulta les médecins qui, flattés d′être appelés par lui, virent dans ses vertus de grand travailleur (il y avait vingt ans qu′il n′avait rien fait), dans son surmenage, la cause de ses malaises. Ils lui conseillèrent de ne pas lire de contes terrifiants (il ne lisait rien), de profiter davantage du soleil « indispensable à la vie » (il n′avait dû quelques années de mieux relatif qu′à sa claustration chez lui), de s′alimenter davantage (ce qui le fit maigrir et alimenta surtout ses cauchemars). Un de ses médecins étant doué de l′esprit de contradiction et de taquinerie, dès que Bergotte le voyait en l′absence des autres et, pour ne pas le froisser, lui soumettait comme des idées de lui ce que les autres lui avaient conseillé, le médecin contredisant, croyant que Bergotte cherchait à se faire ordonner quelque chose qui lui plaisait, le lui défendait aussitôt, et souvent avec des raisons fabriquées si vite pour les besoins de la cause que, devant l′évidence des objections matérielles que faisait Bergotte, le docteur contredisant était obligé, dans la même phrase, de se contredire lui-même, mais, pour des raisons nouvelles, renforçait la même prohibition. Bergotte revenait à un des premiers médecins, homme qui se piquait d′esprit, surtout devant un des maîtres de la plume, et qui, si Bergotte insinuait : « Il me semble pourtant que le Dr XÂ… m′avait dit — autrefois bien entendu — que cela pouvait me congestionner le rein et le cerveauÂ… » souriait malicieusement, levait le doigt et prononçait : « J′ai dit user, je n′ai pas dit abuser. Bien entendu, tout remède, si on exagère, devient une arme à double tranchant. » Il y a dans notre corps un certain instinct de ce qui nous est salutaire, comme dans le cœur de ce qui est le devoir moral, et qu′aucune autorisation du docteur en médecine ou en théologie ne peut suppléer. Nous savons que les bains froids nous font mal, nous les aimons : nous trouverons toujours un médecin pour nous les conseiller, non pour empêcher qu′ils ne nous fassent mal. À chacun de ces médecins Bergotte prit ce que, par sagesse, il s′était défendu depuis des années. Au bout de quelques semaines, les accidents d′autrefois avaient reparu, les récents s′étaient aggravés. Affolé par une souffrance de toutes les minutes, à laquelle s′ajoutait l′insomnie coupée de brefs cauchemars, Bergotte ne fit plus venir de médecin et essaya avec succès, mais avec excès, de différents narcotiques, lisant avec confiance le prospectus accompagnant chacun d′eux, prospectus qui proclamait la nécessité du sommeil mais insinuait que tous les produits qui l′amènent (sauf celui contenu dans le flacon qu′il enveloppait et qui ne produisait jamais d′intoxication) étaient toxiques et par là rendaient le remède pire que le mal. Bergotte les essaya tous. Certains sont d′une autre famille que ceux auxquels nous sommes habitués, dérivés, par exemple, de l′amyle et de l′éthyle. On n′absorbe le produit nouveau, d′une composition toute différente, qu′avec la délicieuse attente de l′inconnu. Le cœur bat comme à un premier rendez-vous. Vers quels genres ignorés de sommeil, de rêves, le nouveau venu va-t-il nous conduire ? Il est maintenant en nous, il a la direction de notre pensée. De quelle façon allons-nous nous endormir ? Et une fois que nous le serons, par quels chemins étranges, sur quelles cimes, dans quels gouffres inexplorés le maître tout-puissant nous conduira-t-il ? Quel groupement nouveau de sensations allons-nous connaître dans ce voyage ? Nous mènera-t-il au malaise ? À la béatitude ? À la mort ? Celle de Bergotte survint la veille de ce jour-là où il s′était ainsi confié à un de ces amis (ami ? ennemi ?) trop puissant. Il mourut dans les circonstances suivantes : Une crise d′urémie assez légère était cause qu′on lui avait prescrit le repos. Mais un critique ayant écrit que dans la Vue de Delft de Ver Meer (prêté par le musée de La Haye pour une exposition hollandaise), tableau qu′il adorait et croyait connaître très bien, un petit pan de mur jaune (qu′il ne se rappelait pas) était si bien peint, qu′il était, si on le regardait seul, comme une précieuse œuvre d′art chinoise, d′une beauté qui se suffirait à elle-même, Bergotte mangea quelques pommes de terre, sortit et entra à l′exposition. Dès les premières marches qu′il eut à gravir, il fut pris d′étourdissements. Il passa devant plusieurs tableaux et eut l′impression de la sécheresse et de l′inutilité d′un art si factice, et qui ne valait pas les courants d′air et de soleil d′un palazzo de Venise, ou d′une simple maison au bord de la mer. Enfin il fut devant le Ver Meer, qu′il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu′il connaissait, mais où, grâce à l′article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu′il veut saisir, au précieux petit pan de mur. « C′est ainsi que j′aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. » Cependant la gravité de ses étourdissements ne lui échappait pas. Dans une céleste balance lui apparaissait, chargeant l′un des plateaux, sa propre vie, tandis que l′autre contenait le petit pan de mur si bien peint en jaune. Il sentait qu′il avait imprudemment donné le premier pour le second. « Je ne voudrais pourtant pas, se disait-il, être pour les journaux du soir le fait divers de cette exposition. » He consulted doctors who, flattered at being called in by him, saw in his virtue as an incessant worker (it was twenty years since he had written anything), in his overstrain, the cause of his ailments. They advised him not to read thrilling stories (he never read anything), to benefit more by the sunshine, which was ‘indispensable to life′ (he had owed a few years of comparative health only to his rigorous seclusion indoors), to take nourishment (which made him thinner, and nourished nothing but his nightmares). One of his doctors was blessed with the spirit of contradiction, and whenever Bergotte consulted him in the absence of the others, and, in order not to offend him, suggested to him as his own ideas what the others had advised, this doctor, thinking that Bergotte was seeking to have prescribed for him something that he himself liked, at once forbade it, and often for reasons invented so hurriedly to meet the case that in face of the material objections which Bergotte raised, this argumentative doctor was obliged in the same sentence to contradict himself, but, for fresh reasons, repeated the original prohibition. Bergotte returned to one of the first of these doctors, a man who prided himself on his cleverness, especially in the presence of one of the leading men of letters, and who, if Bergotte insinuated: “I seem to remember, though, that Dr. X—— told me — long ago, of course — that that might congest my kidneys and brain . . . ” would smile sardonically, raise his finger and enounce: “I said use, I did not say abuse. Naturally every remedy, if one takes it in excess, becomes a two-edged sword.” There is in the human body a certain instinct for what is beneficial to us, as there is in the heart for what is our moral duty, an instinct which no authorisation by a Doctor of Medicine or Divinity can replace. We know that cold baths are bad for us, we like them, we can always find a doctor to recommend them, not to prevent them from doing us harm. From each of these doctors Bergotte took something which, in his own wisdom, he had forbidden himself for years past. After a few weeks, his old troubles had reappeared, the new had become worse. Maddened by an unintermittent pain, to which was added insomnia broken only by brief spells of nightmare, Bergotte called in no more doctors and tried with success, but to excess, different narcotics, hopefully reading the prospectus that accompanied each of them, a prospectus which proclaimed the necessity of sleep but hinted that all the preparations which induce it (except that contained in the bottle round which the prospectus was wrapped, which never produced any toxic effect) were toxic, and therefore made the remedy worse than the disease. Bergotte tried them all. Some were of a different family from those to which we are accustomed, preparations for instance of amyl and ethyl. When we absorb a new drug, entirely different in composition, it is always with a delicious expectancy of the unknown. Our heart beats as at a first assignation. To what unknown forms of sleep, of dreams, is the newcomer going to lead us? He is inside us now, he has the control of our thoughts. In what fashion are we going to fall asleep? And, once we are asleep, by what strange paths, up to what peaks, into what unfathomed gulfs is he going to lead us? With what new grouping of sensations are we to become acquainted on this journey? Will it bring us in the end to illness? To blissful happiness? To death? Bergotte′s death had come to him overnight, when he had thus entrusted himself to one of these friends (a friend? or an enemy, rather?) who proved too strong for him. The circumstances of his death were as follows. An attack of uraemia, by no means serious, had led to his being ordered to rest. But one of the critics having written somewhere that in Vermeer′s Street in Delft (lent by the Gallery at The Hague for an Exhibition of Dutch painting), a picture which he adored and imagined that he knew by heart, a little patch of yellow wall (which he could not remember) was so well painted that it was, if one looked at it by itself, like some priceless specimen of Chinese art, of a beauty that was sufficient in itself, Bergotte ate a few potatoes, left the house, and went to the exhibition. At the first few steps that he had to climb he was overcome by giddiness. He passed in front of several pictures and was struck by the stiffness and futility of so artificial a school, nothing of which equalled the fresh air and sunshine of a Venetian palazzo, or of an ordinary house by the sea. At last he came to the Vermeer which he remembered as more striking, more different from anything else that he knew, but in which, thanks to the critic′s article, he remarked for the first time some small figures in blue, that the ground was pink, and finally the precious substance of the tiny patch of yellow wall. His giddiness increased; he fixed his eyes, like a child upon a yellow butterfly which it is trying to catch, upon the precious little patch of wall. “That is how I ought to have written,” he said. “My last books are too dry, I ought to have gone over them with several coats of paint, made my language exquisite in itself, like this little patch of yellow wall.” Meanwhile he was not unconscious of the gravity of his condition. In a celestial balance there appeared to him, upon one of its scales, his own life, while the other contained the little patch of wall so beautifully painted in yellow. He felt that he had rashly surrendered the former for the latter. “All the same,” he said to himself, “I have no wish to provide the ‘feature′ of this exhibition for the evening papers.”
Il se répétait : « Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune. » Cependant il s′abattit sur un canapé circulaire ; aussi brusquement il cessa de penser que sa vie était en jeu et, revenant à l′optimisme, se dit : « C′est une simple indigestion que m′ont donnée ces pommes de terre pas assez cuites, ce n′est rien. » Un nouveau coup l′abattit, il roula du canapé par terre, où accoururent tous les visiteurs et gardiens. Il était mort. Mort à jamais ? Qui peut le dire ? Certes, les expériences spirites, pas plus que les dogmes religieux, n′apportent la preuve que l′âme subsiste. Ce qu′on peut dire, c′est que tout se passe dans notre vie comme si nous y entrions avec le faix d′obligations contractées dans une vie antérieure ; il n′y a aucune raison, dans nos conditions de vie sur cette terre, pour que nous nous croyions obligés à faire le bien, à être délicats, même à être polis, ni pour l′artiste cultivé à ce qu′il se croie obligé de recommencer vingt fois un morceau dont l′admiration qu′il excitera importera peu à son corps mangé par les vers, comme le pan de mur jaune que peignit avec tant de science et de raffinement un artiste à jamais inconnu, à peine identifié sous le nom de Ver Meer. Toutes ces obligations, qui n′ont pas leur sanction dans la vie présente, semblent appartenir à un monde différent, fondé sur la bonté, le scrupule, le sacrifice, un monde entièrement différent de celui-ci, et dont nous sortons pour naître à cette terre, avant peut-être d′y retourner revivre sous l′empire de ces lois inconnues auxquelles nous avons obéi parce que nous en portions l′enseignement en nous, sans savoir qui les y avait tracées — ces lois dont tout travail profond de l′intelligence nous rapproche et qui sont invisibles seulement — et encore ! — pour les sots. De sorte que l′idée que Bergotte n′était pas mort à jamais est sans invraisemblance. He repeated to himself: “Little patch of yellow wall, with a sloping roof, little patch of yellow wall.” While doing so he sank down upon a circular divan; and then at once he ceased to think that his life was in jeopardy and, reverting to his natural optimism, told himself: “It is just an ordinary indigestion from those potatoes; they weren′t properly cooked; it is nothing.” A fresh attack beat him down; he rolled from the divan to the floor, as visitors and attendants came hurrying to his assistance. He was dead. Permanently dead? Who shall say? Certainly our experiments in spiritualism prove no more than the dogmas of religion that the soul survives death. All that we can say is that everything is arranged in this life as though we entered it carrying the burden of obligations contracted in a former life; there is no reason inherent in the conditions of life on this earth that can make us consider ourselves obliged to do good, to be fastidious, to be polite even, nor make the talented artist consider himself obliged to begin over again a score of times a piece of work the admiration aroused by which will matter little to his body devoured by worms, like the patch of yellow wall painted with so much knowledge and skill by an artist who must for ever remain unknown and is barely identified under the name Vermeer. All these obligations which have not their sanction in our present life seem to belong to a different world, founded upon kindness, scrupulosity, self-sacrifice, a world entirely different from this, which we leave in order to be born into this world, before perhaps returning to the other to live once again beneath the sway of those unknown laws which we have obeyed because we bore their precepts in our hearts, knowing not whose hand had traced them there — those laws to which every profound work of the intellect brings us nearer and which are invisible only — and still! — to fools. So that the idea that Bergotte was not wholly and permanently dead is by no means improbable.
On l′enterra, mais toute la nuit funèbre, aux vitrines éclairées, ses livres, disposés trois par trois, veillaient comme des anges aux ailes éployées et semblaient, pour celui qui n′était plus, le symbole de sa résurrection. They buried him, but all through the night of mourning, in the lighted windows, his books arranged three by three kept watch like angels with outspread wings and seemed, for him who was no more, the symbol of his resurrection.
J′appris, ai-je dit, ce jour-là que Bergotte était mort. Et j′admirais l′inexactitude des journaux qui — reproduisant les uns et les autres une même note — disaient qu′il était mort la veille. Or, la veille, Albertine l′avait rencontré, me raconta-t-elle le soir même, et cela l′avait même un peu retardée, car il avait causé assez longtemps avec elle. C′est sans doute avec elle qu′il avait eu son dernier entretien. Elle le connaissait par moi qui ne le voyais plus depuis longtemps, mais comme elle avait eu la curiosité de lui être présentée, j′avais, un an auparavant, écrit au vieux maître pour la lui amener. Il m′avait accordé ce que j′avais demandé, tout en souffrant un peu, je crois, que je ne le revisse que pour faire plaisir à une autre personne, ce qui confirmait mon indifférence pour lui. Ces cas sont fréquents : parfois, celui ou celle qu′on implore non pour le plaisir de causer de nouveau avec lui, mais pour une tierce personne, refuse si obstinément que notre protégée croit que nous nous sommes targués d′un faux pouvoir ; plus souvent, le génie ou la beauté célèbre consentent, mais humiliés dans leur gloire, blessés dans leur affection, ne nous gardent plus qu′un sentiment amoindri, douloureux, un peu méprisant. Je devinai longtemps après que j′avais faussement accusé les journaux d′inexactitude, car, ce jour-là, Albertine n′avait nullement rencontré Bergotte, mais je n′en avais point eu un seul instant le soupçon tant elle me l′avait conté avec naturel, et je n′appris que bien plus tard l′art charmant qu′elle avait de mentir avec simplicité. Ce qu′elle disait, ce qu′elle avouait avait tellement les mêmes caractères que les formes de l′évidence — ce que nous voyons, ce que nous apprenons d′une manière irréfutable — qu′elle semait ainsi dans les intervalles de la vie les épisodes d′une autre vie dont je ne soupçonnais pas alors la fausseté et dont je n′ai eu que beaucoup plus tard la perception. J′ai ajouté : « quand elle avouait », voici pourquoi. Quelquefois des rapprochements singuliers me donnaient à son sujet des soupçons jaloux où, à côté d′elle, figurait dans le passé, ou hélas dans l′avenir, une autre personne. Pour avoir l′air d′être sûr de mon fait, je disais le nom et Albertine me disait : « Oui je l′ai rencontrée, il y a huit jours, à quelques pas de la maison. Par politesse j′ai répondu à son bonjour. J′ai fait deux pas avec elle. Mais il n′y a jamais rien eu entre nous. Il n′y aura jamais rien. » Or Albertine n′avait même pas rencontré cette personne, pour la bonne raison que celle-ci n′était pas venue à Paris depuis dix mois. Mais mon amie trouvait que nier complètement était peu vraisemblable. D′où cette courte rencontre fictive, dite si simplement que je voyais la dame s′arrêter, lui dire bonjour, faire quelques pas avec elle. Le témoignage de mes sens, si j′avais été dehors à ce moment, m′aurait peut-être appris que la dame n′avait pas fait quelques pas avec Albertine. Mais si j′avais su le contraire, c′était par une de ces chaînes de raisonnement (où les paroles de ceux en qui nous avons confiance insèrent de fortes mailles) et non par le témoignage des sens. Pour invoquer ce témoignage des sens il eût fallu que j′eusse été précisément dehors, ce qui n′avait pas eu lieu. On peut imaginer pourtant qu′une telle hypothèse n′est pas invraisemblable : j′aurais pu être sorti et passer dans la rue à l′heure où Albertine m′aurait dit, ce soir (ne m′ayant pas vu), qu′elle avait fait quelques pas avec la dame, et j′aurais su alors qu′Albertine avait menti. Est-ce bien sûr encore ? Une obscurité sacrée se fût emparée de mon esprit, j′aurais mis en doute que je l′avais vue seule, à peine aurais-je cherché à comprendre par quelle illusion d′optique je n′avais pas aperçu la dame, et je n′aurais pas été autrement étonné de m′être trompé, car le monde des astres est moins difficile à connaître que les actions réelles des êtres, surtout des êtres que nous aimons, fortifiés qu′ils sont contre notre doute par des fables destinées à les protéger. Pendant combien d′années peuvent-ils laisser notre amour apathique croire que la femme aimée a à l′étranger une sœur, un frère, une belle-sœur qui n′ont jamais existé ! I learned, I have said, that day that Bergotte was dead. And I marvelled at the carelessness of the newspapers which — each of them reproducing the same paragraph — stated that he had died the day before. For, the day before, Albertine had met him, as she informed me that very evening, and indeed she had been a little late in coming home, for she had stopped for some time talking to him. She was doubtless the last person to whom he had spoken. She knew him through myself who had long ceased to see him, but, as she had been anxious to make his acquaintance, I had, a year earlier, written to ask the old master whether I might bring her to see him. He had granted my request, a trifle hurt, I fancy, that I should be visiting him only to give pleasure to another person, which was a proof of my indifference to himself. These cases are frequent: sometimes the man or woman whom we implore to receive us not for the pleasure of conversing with them again, but on behalf of a third person, refuses so obstinately that our protégée concludes that we have boasted of an influence which we do not possess; more often the man of genius or the famous beauty consents, but, humiliated in their glory, wounded in their affection, feel for us afterwards only a diminished, sorrowful, almost contemptuous attachment. I discovered long after this that I had falsely accused the newspapers of inaccuracy, since on the day in question Albertine had not met Bergotte, but at the time I had never suspected this for a single instant, so naturally had she told me of the incident, and it was not until much later that I discovered her charming skill in lying with simplicity. The things that she said, the things that she confessed were so stamped with the character of formal evidence — what we see, what we learn from an unquestionable source — that she sowed thus in the empty spaces of her life episodes of another life the falsity of which I did not then suspect and began to perceive only at a much later date. I have used the word ‘confessed,′ for the following reason. Sometimes a casual meeting gave me a jealous suspicion in which by her side there figured in the past, or alas in the future, another person. In order to appear certain of my facts, I mentioned the person′s name, and Albertine said: “Yes, I met her, a week ago, just outside the house. I had to be polite and answer her when she spoke to me. I walked a little way with her. But there never has been anything between us. There never will be.” Now Albertine had not even met this person, for the simple reason that the person had not been in Paris for the last ten months. But my mistress felt that a complete denial would sound hardly probable. Whence this imaginary brief encounter, related so simply that I could see the lady stop, bid her good day, walk a little way with her. The evidence of my senses, if I had been in the street at that moment, would perhaps have informed me that the lady had not been with Albertine. But if I had knowledge of the fact, it was by one of those chains of reasoning in which the words of people in whom we have confidence insert strong links, and not by the evidence of my senses. To invoke this evidence of the senses I should have had to be in the street at that particular moment, and I had not been. We may imagine, however, that such an hypothesis is not improbable: I might have gone out, and have been passing along the street at the time at which Albertine was to tell me in the evening (not having seen me there) that she had gone a little way with the lady, and I should then have known that Albertine was lying. But is that quite certain even then? A religious obscurity would have clouded my mind, I should have begun to doubt whether I had seen her by herself, I should barely have sought to understand by what optical illusion I had failed to perceive the lady, and should not have been greatly surprised to find myself mistaken, for the stellar universe is not so difficult of comprehension as the real actions of other people, especially of the people with whom we are in love, strengthened as they are against our doubts by fables devised for their protection. For how many years on end can they not allow our apathetic love to believe that they have in some foreign country a sister, a brother, a sister-in-law who have never existed!
Le témoignage des sens est lui aussi une opération de l′esprit où la conviction crée l′évidence. Nous avons vu bien des fois le sens de l′ouapporter à Françoise non le mot qu′on avait prononcé, mais celui qu′elle croyait le vrai, ce qui suffisait pour qu′elle n′entendît pas la rectification implicite d′une prononciation meilleure. Notre maître d′hôtel n′était pas constitué autrement. M. de Charlus portait à ce moment-là — car il changeait beaucoup — des pantalons fort clairs et reconnaissables entre mille. Or notre maître d′hôtel, qui croyait que le mot « pissotière » (le mot désignant ce que M. de Rambuteau avait été si fâché d′entendre le duc de Guermantes appeler un édicule Rambuteau) était « pistière », n′entendit jamais dans toute sa vie une seule personne dire « pissotière », bien que très souvent on prononçât ainsi devant lui. Mais l′erreur est plus entêtée que la foi et n′examine pas ses croyances. Constamment le maître d′hôtel disait : « Certainement M. le baron de Charlus a pris une maladie pour rester si longtemps dans une pistière. Voilà ce que c′est que d′être un vieux coureur de femmes. Il en a les pantalons. Ce matin, madame m′a envoyé faire une course à Neuilly. À la pistière de la rue de Bourgogne j′ai vu entrer M. le baron de Charlus. En revenant de Neuilly, bien une heure après, j′ai vu ses pantalons jaunes dans la même pistière, à la même place, au milieu, où il se met toujours pour qu′on ne le voie pas. » Je ne connais rien de plus beau, de plus noble et plus jeune qu′une nièce de Mme de Guermantes. Mais j′entendis le concierge d′un restaurant où j′allais quelquefois dire sur son passage : « Regarde-moi cette vieille rombière, quelle touche ! et ça a au moins quatre-vingts ans. » Pour l′âge il me paraît difficile qu′il le crût. Mais les chasseurs groupés autour de lui, qui ricanaient chaque fois qu′elle passait devant l′hôtel pour aller voir non loin de là ses deux charmantes grand′tantes, Mmes de Fezensac et de Bellery, virent sur le visage de cette jeune beauté les quatre-vingts ans que, par plaisanterie ou non, avait donnés le concierge à la vieille « rombière ». On les aurait fait tordre en leur disant qu′elle était plus distinguée que l′une des deux caissières de l′hôtel, qui, rongée d′eczéma, ridicule de grosseur, leur semblait belle femme. Seul peut-être le désir sexuel eût été capable d′empêcher leur erreur de se former, s′il avait joué sur le passage de la prétendue vieille rombière, et si les chasseurs avaient brusquement convoité la jeune déesse. Mais pour des raisons inconnues, et qui devaient être probablement de nature sociale, ce désir n′avait pas joué. Il y aurait du reste beaucoup à discuter. L′univers est vrai pour nous tous et dissemblable pour chacun. Si nous n′étions pas, pour l′ordre du récit, obligé de nous borner à des raisons frivoles, combien de plus sérieuses nous permettraient de montrer la minceur menteuse du début de ce volume où, de mon lit, j′entends le monde s′éveiller, tantôt par un temps, tantôt par un autre. Oui, j′ai été forcé d′amincir la chose et d′être mensonger, mais ce n′est pas un univers, c′est des millions, presque autant qu′il existe de prunelles et d′intelligences humaines, qui s′éveillent tous les matins. The evidence of the senses is also an operation of the mind in which conviction creates the evidence. We have often seen her sense of hearing convey to Françoise not the word that was uttered but what she thought to be its correct form, which was enough to prevent her from hearing the correction implied in a superior pronunciation. Our butler was cast in a similar mould. M. de Charlus was in the habit of wearing at this time — for he was constantly changing — very light trousers which were recognisable a mile off. Now our butler, who thought that the word pissotière (the word denoting what M. de Rambuteau had been so annoyed to hear the Duc de Guermantes call a Rambuteau stall) was really pistière, never once in the whole of his life heard a single person say pissotière, albeit the word was frequently pronounced thus in his hearing. But error is more obstinate than faith and does not examine the grounds of its belief. Constantly the butler would say: “I′m sure M. le Baron de Charlus must have caught a disease to stand about as long as he does in a pistière. That′s what comes of running after the girls at his age. You can tell what he is by his trousers. This morning, Madame sent me with a message to Neuilly. As I passed the pistière in the Rue de Bourgogne I saw M. le Baron de Charlus go in. When I came back from Neuilly, quite an hour later, I saw his yellow trousers in the same pistière, in the same place, in the middle stall where he always goes so that people shan′t see him.” I can think of no one more beautiful, more noble or more youthful than a certain niece of Mme. de Guermantes. But I have heard the porter of a restaurant where I used sometimes to dine say as she went by: “Just look at that old trollop, what a style! And she must be eighty, if she′s a day.” As far as age went, I find it difficult to believe that he meant what he said. But the pages clustered round him, who tittered whenever she went past the hotel on her way to visit, at their house in the neighbourhood, her charming great-aunts, Mmes. de Fezensac and de Bellery, saw upon the face of the young beauty the four-score years with which, seriously or in jest, the porter had endowed the ‘old trollop.′ You would have made them shriek with laughter had you told them that she was more distinguished than one of the two cashiers of the hotel, who, devoured by eczema, ridiculously stout, seemed to them a fine-looking woman. Perhaps sexual desire alone would have been capable of preventing their error from taking form, if it had been brought to bear upon the passage of the alleged old trollop, and if the pages had suddenly begun to covet the young goddess. But for reasons unknown, which were most probably of a social nature, this desire had not come into play. There is moreover ample room for discussion. The universe is true for us all and dissimilar to each of us. If we were not obliged, to preserve the continuity of our story, to confine ourselves to frivolous reasons, how many more serious reasons would permit us to demonstrate the falsehood and flimsiness of the opening pages of this volume in which, from my bed, I hear the world awake, now to one sort of weather, now to another. Yes, I have been forced to whittle down the facts, and to be a liar, but it is not one universe, there are millions, almost as many as the number of human eyes and brains in existence, that awake every morning.
Pour revenir à Albertine, je n′ai jamais connu de femmes douées plus qu′elle d′heureuse aptitude au mensonge animé, coloré des teintes mêmes de la vie, si ce n′est une de ses amies — une de mes jeunes filles en fleurs aussi, rose comme Albertine, mais dont le profil irrégulier, creusé, puis proéminent à nouveau, ressemblait tout à fait à certaines grappes de fleurs roses dont j′ai oublié le nom et qui ont ainsi de longs et sinueux rentrants. Cette jeune fille était, au point de vue de la fable, supérieure à Albertine, car elle n′y mêlait aucun des moments douloureux, des sous-entendus rageurs qui étaient fréquents chez mon amie. J′ai dit pourtant qu′elle était charmante quand elle inventait un récit qui ne laissait pas de place au doute, car on voyait alors devant soi la chose — pourtant imaginée — qu′elle disait, en se servant comme vue de sa parole. La vraisemblance seule inspirait Albertine, nullement le désir de me donner de la jalousie. Car Albertine, sans être intéressée peut-être, aimait qu′on lui fît des gentillesses. Or si, au cours de cet ouvrage, j′ai eu et j′aurai bien des occasions de montrer comment la jalousie redouble l′amour, c′est au point de vue de l′amant que je me suis placé. Mais pour peu que celui-ci ait un peu de fierté, et dût-il mourir d′une séparation, il ne répondra pas à une trahison supposée par une gentillesse, il s′écartera ou, sans s′éloigner, s′ordonnera de feindre la froideur. Aussi est-ce en pure perte pour elle que sa maîtresse le fait tant souffrir. Dissipe-t-elle, au contraire, d′un mot adroit, de tendres caresses, les soupçons qui le torturaient bien qu′il s′y prétendît indifférent, sans doute l′amant n′éprouve pas cet accroissement désespéré de l′amour où le hausse la jalousie, mais cessant brusquement de souffrir, heureux, attendri, détendu comme on l′est après un orage quand la pluie est tombée et qu′à peine sent-on encore sous les grands marronniers s′égoutter à longs intervalles les gouttes suspendues que déjà le soleil reparu colore, il ne sait comment exprimer sa reconnaissance à celle qui l′a guéri. Albertine savait que j′aimais à la récompenser de ses gentillesses, et cela expliquait peut-être qu′elle inventât, pour s′innocenter, des aveux naturels comme ses récits dont je ne doutais pas et dont un avait été la rencontre de Bergotte alors qu′il était déjà mort. Je n′avais su jusque-là des mensonges d′Albertine que ceux que, par exemple, à Balbec m′avait rapportés Françoise et que j′ai omis de dire bien qu′ils m′eussent fait si mal : « Comme elle ne voulait pas venir, elle m′a dit : Est-ce que vous ne pourriez pas dire à monsieur que vous ne m′avez pas trouvée, que j′étais sortie ? » Mais les « inférieurs » qui nous aiment comme Françoise m′aimait ont du plaisir à nous froisser dans notre amour-propre. To return to Albertine, I have never known any woman more amply endowed than herself with the happy aptitude for a lie that is animated, coloured with the selfsame tints of life, unless it be one of her friends — one of my blossoming girls also, rose-pink as Albertine, but one whose irregular profile, concave in one place, then convex again, was exactly like certain clusters of pink flowers the name of which I have forgotten, but which have long and sinuous concavities. This girl was, from the point of view of story-telling, superior to Albertine, for she never introduced any of those painful moments, those furious innuendoes, which were frequent with my mistress. I have said, however, that she was charming when she invented a story which left no room for doubt, for one saw then in front of her the thing — albeit imaginary — which she was saying, using it as an illustration of her speech. Probability alone inspired Albertine, never the desire to make me jealous. For Albertine, without perhaps any material interest, liked people to be polite to her. And if in the course of this work I have had and shall have many occasions to shew how jealousy intensifies love, it is the lover′s point of view that I have adopted. But if that lover be only the least bit proud, and though he were to die of a separation, he will not respond to a supposed betrayal with a courteous speech, he will turn away, or without going will order himself to assume a mask of coldness. And so it is entirely to her own disadvantage that his mistress makes him suffer so acutely. If, on the contrary, she dispels with a tactful word, with loving caresses, the suspicions that have been torturing him for all his show of indifference, no doubt the lover does not feel that despairing increase of love to which jealousy drives him, but ceasing in an instant to suffer, happy, affectionate, relieved from strain as one is after a storm when the rain has ceased and one barely hears still splash at long intervals from the tall horse-chestnut trees the clinging drops which already the reappearing sun has dyed with colour, he does not know how to express his gratitude to her who has cured him. Albertine knew that I liked to reward her for her kindnesses, and this perhaps explained why she used to invent, to exculpate herself, confessions as natural as these stories the truth of which I never doubted, one of them being that of her meeting with Bergotte when he was already dead. Previously I had never known any of Albertine′s lies save those that, at Balbec for instance, Françoise used to report to me, which I have omitted from these pages albeit they hurt me so sorely: “As she didn′t want to come, she said to me: ‘Couldn′t you say to Monsieur that you didn′t find me, that I had gone out?′” But our ‘inferiors,′ who love us as Françoise loved me, take pleasure in wounding us in our self-esteem.




CHAPITRE DEUXIèME
Les Verdurin se brouillent avec M. de Charlus.

CHAPTER TWO
THE VERDURINS QUARREL WITH M. DE CHARLUS

Après le dîner, je dis à Albertine que j′avais envie de profiter de ce que j′étais levé pour aller voir des amis, Mme de Villeparisis, Mme de Guermantes, les Cambremer, je ne savais trop, ceux que je trouverais chez eux. Je tus seulement le nom de ceux chez qui je comptais aller, les Verdurin. Je lui demandai si elle ne voulait pas venir avec moi. Elle allégua qu′elle n′avait pas de robe. « Et puis, je suis si mal coiffée. Est-ce que vous tenez à ce que je continue à garder cette coiffure ? » Et pour me dire adieu elle me tendit la main de cette façon brusque, le bras allongé, les épaules se redressant, qu′elle avait jadis sur la plage de Balbec, et qu′elle n′avait plus jamais eue depuis. Ce mouvement oublié refit du corps qu′il anima celui de cette Albertine qui me connaissait encore à peine. Il rendit à Albertine, cérémonieuse sous un air de brusquerie, sa nouveauté première, son inconnu, et jusqu′à son cadre. Je vis la mer derrière cette jeune fille que je n′avais jamais vue me saluer ainsi depuis que je n′étais plus au bord de la mer. « Ma tante trouve que cela me vieillit », ajouta-t-elle d′un air maussade. « Puisse sa tante dire vrai ! » pensai-je. Qu′Albertine, en ayant l′air d′une enfant, fasse paraître Mme Bontemps plus jeune, c′est tout ce que celle-ci demande, et qu′Albertine aussi ne lui coûte rien, en attendant le jour où, en m′épousant, elle lui rapportera. Mais qu′Albertine parût moins jeune, moins jolie, fît moins retourner les têtes dans la rue, voilà ce que moi, au contraire, je souhaitais. Car la vieillesse d′une duègne ne rassure pas tant un amant jaloux que la vieillesse du visage de celle qu′il aime. Je souffrais seulement que la coiffure que je lui avais demandé d′adopter pût paraître à Albertine une claustration de plus. Et ce fut encore ce sentiment domestique nouveau qui ne cessa, même loin d′Albertine, de m′attacher à elle comme un lien. After dinner, I told Albertine that, since I was out of bed, I might as well take the opportunity to go and see some of my friends, Mme. de Villeparisis, Mme. de Guermantes, the Cambremers, anyone in short whom I might find at home. I omitted to mention only the people whom I did intend to see, the Verdurins. I asked her if she would not come with me. She pleaded that she had no suitable clothes. “Besides, my hair is so awful. Do you really wish me to go on doing it like this?” And by way of farewell she held out her hand to me in that abrupt fashion, the arm outstretched, the shoulders thrust back, which she used to adopt on the beach at Balbec and had since then entirely abandoned. This forgotten gesture retransformed the body which it animated into that of the Albertine who as yet scarcely knew me. It restored to Albertine, ceremonious beneath an air of rudeness, her first novelty, her strangeness, even her setting. I saw the sea behind this girl whom I had never seen shake hands with me in this fashion since I was at the seaside. “My aunt thinks it makes me older,” she added with a sullen air. “Oh that her aunt may be right!” thought I. “That Albertine by looking like a child should make Mme. Bontemps appear younger than she is, is all that her aunt would ask, and also that Albertine shall cost her nothing between now and the day when, by marrying me, she will repay what has been spent on her.” But that Albertine should appear less young, less pretty, should turn fewer heads in the street, that is what I, on the contrary, hoped. For the age of a duenna is less reassuring to a jealous lover than the age of the woman′s face whom he loves. I regretted only that the style in which I had asked her to do her hair should appear to Albertine an additional bolt on the door of her prison. And it was henceforward this new domestic sentiment that never ceased, even when I was parted from Albertine, to form a bond attaching me to her.
Je dis à Albertine, peu en train, m′avait-elle dit, pour m′accompagner chez les Guermantes ou les Cambremer, que je ne savais trop où j′irais, et partis chez les Verdurin. Au moment où la pensée du concert que j′y entendrais me rappela la scène de l′après-midi : « grand pied de grue, grand pied de grue » — scène d′amour déçu, d′amour jaloux peut-être, mais alors aussi bestiale que celle que, à la parole près, peut faire à une femme un ourang-outang qui en est, si l′on peut dire, épris ; — au moment où, dans la rue, j′allais appeler un fiacre, j′entendis des sanglots qu′un homme, qui était assis sur une borne, cherchait à réprimer. Je m′approchai : l′homme, qui avait la tête dans ses mains, avait l′air d′un jeune homme, et je fus surpris de voir, à la blancheur qui sortait du manteau, qu′il était en habit et en cravate blanche. En m′entendant il découvrit son visage inondé de pleurs, mais aussitôt, m′ayant reconnu, le détourna. C′était Morel. Il comprit que je l′avais reconnu et, tâchant d′arrêter ses larmes, il me dit qu′il s′était arrêté un instant, tant il souffrait. « J′ai grossièrement insulté aujourd′hui même, me dit-il, une personne pour qui j′ai eu de très grands sentiments. C′est d′un lâche car elle m′aime. — Avec le temps elle oubliera peut-être », répondis-je, sans penser qu′en parlant ainsi j′avais l′air d′avoir entendu la scène de l′après-midi. Mais il était si absorbé dans son chagrin qu′il n′eut même pas l′idée que je pusse savoir quelque chose. « Elle oubliera peut-être, me dit-il. Mais moi je ne pourrai pas oublier. J′ai le sentiment de ma honte, j′ai un dégoût de moi ! Mais enfin c′est dit, rien ne peut faire que ce n′ait pas été dit. Quand on me met en colère, je ne sais plus ce que je fais. Et c′est si malsain pour moi, j′ai les nerfs tout entrecroisés les uns dans les autres », car, comme tous les neurasthéniques, il avait un grand souci de sa santé. Si, dans l′après-midi, j′avais vu la colère amoureuse d′un animal furieux, ce soir, en quelques heures, des siècles avaient passé, et un sentiment nouveau, un sentiment de honte, de regret et de chagrin, montrait qu′une grande étape avait été franchie dans l′évolution de la bête destinée à se transformer en créature humaine. Malgré tout j′entendais toujours « grand pied de grue » et je craignais une prochaine récurrence à l′état sauvage. Je comprenais, d′ailleurs, très mal ce qui s′était passé, et c′est d′autant plus naturel que M. de Charlus lui-même ignorait entièrement que depuis quelques jours, et particulièrement ce jour-là, même avant le honteux épisode qui ne se rapportait pas directement à l′état du violoniste, Morel était repris de neurasthénie. En effet, il avait, le mois précédent, poussé aussi vite qu′il avait pu, beaucoup plus lentement qu′il eût voulu, la séduction de la nièce de Jupien avec laquelle il pouvait, en tant que fiancé, sortir à son gré. Mais dès qu′il avait été un peu loin dans ses entreprises vers le viol, et surtout quand il avait parlé à sa fiancée de se lier avec d′autres jeunes filles qu′elle lui procurerait, il avait rencontré des résistances qui l′avaient exaspéré. Du coup (soit qu′elle eût été trop chaste, ou, au contraire, se fût donnée) son désir était tombé. Il avait résolu de rompre, mais sentant le baron bien plus moral, quoique vicieux, il avait peur que, dès sa rupture, M. de Charlus ne le mît à la porte. Aussi avait-il décidé, il y avait une quinzaine de jours, de ne plus revoir la jeune fille, de laisser M. de Charlus et Jupien se débrouiller (il employait un verbe plus cambronnesque) entre eux et, avant d′annoncer la rupture, de « fout′le camp » pour une destination inconnue. I said to Albertine, who was not dressed, or so she told me, to accompany me to the Guermantes′ or the Cambremers′, that I could not be certain where I should go, and set off for the Verdurins′. At the moment when the thought of the concert that I was going to hear brought back to my mind the scene that afternoon: “Grand pied de grue, grand pied de grue,”— a scene of disappointed love, of jealous love perhaps, but if so as bestial as the scene to which a woman might be subjected by, so to speak, an orang-outang that was, if one may use the expression, in love with her — at the moment when, having reached the street, I was just going to hail a cab, I heard the sound of sobs which a man who was sitting upon a curbstone was endeavouring to stifle. I came nearer; the man, who had buried his face in his hands, appeared to be quite young, and I was surprised to see, from the gleam of white in the opening of his cloak, that he was wearing evening clothes and a white tie. As he heard my step he uncovered a face bathed in tears, but at once, having recognised me, turned away. It was Morel. He guessed that I had recognised him and, checking his tears with an effort, told me that he had stopped to rest for a moment, he was in such pain. “I have grossly insulted, only to-day,” he said, “a person for whom I had the very highest regard. It was a cowardly thing to do, for she loves me.” “She will forget perhaps, as time goes on,” I replied, without realising that by speaking thus I made it apparent that I had overheard the scene that afternoon. But he was so much absorbed in his own grief that it never even occurred to him that I might know something about the affair. “She may forget, perhaps,” he said. “But I myself can never forget. I am too conscious of my degradation, I am disgusted with myself! However, what I have said I have said, and nothing can unsay it. When people make me lose my temper, I don′t know what I am doing. And it is so bad for me, my nerves are all on edge,” for, like all neurasthenics, he was keenly interested in his own health. If, during the afternoon, I had witnessed the amorous rage of an infuriated animal, this evening, within a few hours, centuries had elapsed and a fresh sentiment, a sentiment of shame, regret, grief, shewed that a great stage had been passed in the evolution of the beast destined to be transformed into a human being. Nevertheless, I still heard ringing in my ears his ‘grand pied de grue‘ and dreaded an imminent return to the savage state. I had only a very vague impression, however, of what had been happening, and this was but natural, for M. de Charlus himself was totally unaware that for some days past, and especially that day, even before the shameful episode which was not a direct consequence of the violinist′s condition, Morel had been suffering from a recurrence of his neurasthenia. As a matter of fact, he had, in the previous month, proceeded as rapidly as he had been able, a great deal less rapidly than he would have liked, towards the seduction of Jupien′s niece with whom he was at liberty, now that they were engaged, to go out whenever he chose. But whenever he had gone a trifle far in his attempts at violation, and especially when he suggested to his betrothed that she might make friends with other girls whom she would then procure for himself, he had met with a resistance that made him furious. All at once (whether she would have proved too chaste, or on the contrary would have surrendered herself) his desire had subsided. He had decided to break with her, but feeling that the Baron, vicious as he might be, was far more moral than himself, he was afraid lest, in the event of a rupture, M. de Charlus might turn him out of the house. And so he had decided, a fortnight ago, that he would not see the girl again, would leave M. de Charlus and Jupien to clean up the mess (he employed a more realistic term) by themselves, and, before announcing the rupture, to ‘bugger off′ to an unknown destination.
Bien que la conduite qu′il avait eue avec la nièce de Jupien fût exactement superposable, dans les moindres détails, avec celle dont il avait fait la théorie devant le baron pendant qu′ils dînaient à Saint-Mars-le-Vêtu, il est probable qu′elles étaient fort différentes, et que des sentiments moins atroces, et qu′il n′avait pas prévus dans sa conduite théorique, avaient embelli, rendu sentimentale sa conduite réelle. Le seul point où, au contraire, la réalité était pire que le projet, est que dans le projet il ne lui paraissait pas possible de rester à Paris après une telle trahison. Maintenant, au contraire, vraiment « fout′ le camp » pour une chose aussi simple lui paraissait beaucoup. C′était quitter le baron qui, sans doute, serait furieux, et briser sa situation. Il perdrait tout l′argent que lui donnait le baron. La pensée que c′était inévitable lui donnait des crises de nerfs, il restait des heures à larmoyer, prenait pour ne pas y penser de la morphine avec prudence. Puis tout à coup s′était trouvée dans son esprit une idée qui sans doute y prenait peu à peu vie et forme depuis quelque temps, et cette idée était que l′alternative, le choix entre la rupture et la brouille complète avec M. de Charlus, n′était peut-être pas forcée. Perdre tout l′argent du baron était beaucoup. Morel, incertain, fut pendant quelques jours plongé dans des idées noires, comme celles que lui donnait la vue de Bloch. Puis il décida que Jupien et sa nièce avaient essayé de le faire tomber dans un piège, qu′ils devaient s′estimer heureux d′en être quittes à si bon marché. Il trouvait, en somme, que la jeune fille était dans son tort d′avoir été si maladroite, de n′avoir pas su le garder par les sens. Non seulement le sacrifice de sa situation chez M. de Charlus lui semblait absurde, mais il regrettait jusqu′aux dîners dispendieux qu′il avait offerts à la jeune fille depuis qu′ils étaient fiancés, et desquels il eût pu dire le coût, en fils d′un valet de chambre qui venait tous les mois apporter son « livre » à mon oncle. Car livre au singulier, qui signifie ouvrage imprimé, pour le commun des mortels, perd ce sens pour les Altesses et pour les valets de chambre. Pour les seconds il signifie le livre de comptes ; pour les premières le registre où on s′inscrit. (À Balbec, un jour où la princesse de Luxembourg m′avait dit qu′elle n′avait pas emporté de livre, j′allais lui prêter Pêcheur d′Islande et Tartarin de Tarascon, quand je compris ce qu′elle avait voulu dire : non qu′elle passerait le temps moins agréablement, mais que je pourrais plus difficilement mettre mon nom chez elle.) For all that his conduct towards Jupien′s niece coincided exactly, in its minutest details, with the plan of conduct which he had outlined to the Baron as they were dining together at Saint-Mars le Vêtu, it is probable that his intention was entirely different, and that sentiments of a less atrocious nature, which he had not foreseen in his theory of conduct, had improved, had tinged it with sentiment in practice. The sole point in which, on the contrary, the practice was worse than the theory is this, that in theory it had not appeared to him possible that he could remain in Paris after such an act of betrayal. Now, on the contrary, actually to ‘b ——— off′ for so small a matter seemed to him quite unnecessary. It meant leaving the Baron who would probably be furious, and forfeiting his own position. He would lose all the money that the Baron was now giving him. The thought that this was inevitable made his nerves give away altogether, he cried for hours on end, and in order not to think about it any more dosed himself cautiously with morphine. Then suddenly he hit upon an idea which no doubt had gradually been taking shape in his mind and gaining strength there for some time, and this was that a rupture with the girl would not inevitably mean a complete break with M. de Charlus. To lose all the Baron′s money was a serious thing in itself. Morel in his uncertainty remained for some days a prey to dark thoughts, such as came to him at the sight of Bloch. Then he decided that Jupien and his niece had been trying to set a trap for him, that they might consider themselves lucky to be rid of him so cheaply. He found in short that the girl had been in the wrong in being so clumsy, in not having managed to keep him attached to her by a sensual attraction. Not only did the sacrifice of his position with M. de Charlus seem to him absurd, he even regretted the expensive dinners he had given the girl since they became engaged, the exact cost of which he knew by heart, being a true son of the valet who used to bring his ‘book′ every month for my uncle′s inspection. For the word book, in the singular, which means a printed volume to humanity in general, loses that meaning among Royal Princes and servants. To the latter it means their housekeeping book, to the former the register in which we inscribe our names. (At Balbec one day when the Princesse de Luxembourg told me that she had not brought a book with her, I was about to offer her Le Pêcheur d′Islande and Tartarîn de Tarascon, when I realised that she had meant not that she would pass the time less agreeably, but that I should find it more difficult to pay a call upon her.)
Malgré le changement de point de vue de Morel quant aux conséquences de sa conduite, bien que celle-ci lui eût semblé abominable il y a deux mois, quand il aimait passionnément la nièce de Jupien, et que depuis quinze jours il ne cessât de se répéter que cette même conduite était naturelle, louable, elle ne laissait pas d′augmenter chez lui l′état de nervosité dans lequel tantôt il avait signifié la rupture. Et il était tout prêt à « passer sa colère », sinon (sauf dans un accès momentané) sur la jeune fille envers qui il gardait ce reste de crainte, dernière trace de l′amour, du moins sur le baron. Il se garda cependant de lui rien dire avant le dîner, car, mettant au-dessus de tout sa propre virtuosité professionnelle, au moment où il avait des morceaux difficiles à jouer (comme ce soir chez les Verdurin), il évitait (autant que possible, et c′était déjà bien trop que la scène de l′après-midi) tout ce qui pouvait donner à ses mouvements quelque chose de saccadé. Tel un chirurgien passionné d′automobilisme cesse de conduire quand il a à opérer. C′est ce qui m′explique que, tout en me parlant, il faisait remuer doucement ses doigts l′un après l′autre afin de voir s′ils avaient repris leur souplesse. Un froncement de sourcils s′ébaucha qui semblait signifier qu′il y avait encore un peu de raideur nerveuse. Mais, pour ne pas l′accroître, il déplissait son visage, comme on s′empêche de s′énerver de ne pas dormir ou de ne pas posséder aisément une femme, de peur que la phobie elle-même retarde encore l′instant du sommeil ou du plaisir. Aussi, désireux de reprendre sa sérénité afin d′être comme d′habitude tout à ce qu′il jouerait chez les Verdurin, et désireux, tant que je le verrais, de me permettre de constater sa douleur, le plus simple lui parut de me supplier de partir immédiatement. La supplication était inutile et le départ m′était un soulagement. J′avais tremblé qu′allant dans la même maison, à quelques minutes d′intervalle, il ne me demandât de le conduire, et je me rappelais trop la scène de l′après-midi pour ne pas éprouver quelque dégoût à avoir Morel auprès de moi pendant le trajet. Il est très possible que l′amour, puis l′indifférence ou la haine de Morel à l′égard de la nièce de Jupien eussent été sincères. Malheureusement ce n′était pas la première fois qu′il agissait ainsi, qu′il « plaquait » brusquement une jeune fille à laquelle il avait juré de l′aimer toujours, allant jusqu′à lui montrer un revolver chargé en lui disant qu′il se ferait sauter la cervelle s′il était assez lâche pour l′abandonner. Il ne l′abandonnait pas moins ensuite et éprouvait, au lieu de remords, une sorte de rancune. Ce n′était pas la première fois qu′il agissait ainsi, ce ne devait pas être la dernière, de sorte que bien des têtes de jeunes filles — de jeunes filles moins oublieuses de lui qu′il n′était d′elles — souffrirent — comme souffrit longtemps encore la nièce de Jupien, continuant à aimer Morel tout en le méprisant — souffrirent, prêtes à éclater sous l′élancement d′une douleur interne, parce qu′en chacune d′elles — comme le fragment d′une sculpture grecque — un aspect du visage de Morel, dur comme le marbre et beau comme l′antique, était enclos dans leur cervelle, avec ses cheveux en fleurs, ses yeux fins, son nez droit, formant protubérance pour un crâne non destiné à le recevoir, et qu′on ne pouvait pas opérer. Mais à la longue ces fragments si durs finissent par glisser jusqu′à une place où ils ne causent pas trop de déchirements, n′en bougent plus ; on ne sent plus leur présence : c′est l′oubli, ou le souvenir indifférent. Notwithstanding the change in Morel′s point of view with regard to the consequences of his behaviour, albeit that behaviour would have seemed to him abominable two months earlier, when he was passionately in love with Jupien′s niece, whereas during the last fortnight he had never ceased to assure himself that the same behaviour was natural, praiseworthy, it continued to intensify the state of nervous unrest in which, finally, he had announced the rupture that afternoon. And he was quite prepared to vent his anger, if not (save in a momentary outburst) upon the girl, for whom he still felt that lingering fear, the last trace of love, at any rate upon the Baron. He took care, however, not to say anything to him before dinner, for, valuing his own professional skill above everything, whenever he had any difficult music to play (as this evening at the Verdurins′) he avoided (as far as possible, and the scene that afternoon was already more than ample) anything that might impair the flexibility of his wrists. Similarly a surgeon who is an enthusiastic motorist, does not drive when he has an operation to perform. This accounts to me for the fact that, while he was speaking to me, he kept bending his fingers gently one after another to see whether they had regained their suppleness. A slight frown seemed to indicate that there was still a trace of nervous stiffness. But, so as not to increase it, he relaxed his features, as we forbid ourself to grow irritated at not being able to sleep or to prevail upon a woman, for fear lest our rage itself may retard the moment of sleep or of satisfaction. And so, anxious to regain his serenity so that he might, as was his habit, absorb himself entirely in what he was going to play at the Verdurins′, and anxious, so long as I was watching him, to let me see how unhappy he was, he decided that the simplest course was to beg me to leave him immediately. His request was superfluous, and it was a relief to me to get away from him. I had trembled lest, as we were due at the same house, within a few minutes, he might ask me to take him with me, my memory of the scene that afternoon being too vivid not to give me a certain distaste for the idea of having Morel by my side during the drive. It is quite possible that the love, and afterwards the indifference or hatred felt by Morel for Jupien′s niece had been sincere. Unfortunately, it was not the first time that he had behaved thus, that he had suddenly ‘dropped′ a girl to whom he had sworn undying love, going so far as to produce a loaded revolver, telling her that he would blow out his brains if ever he was mean enough to desert her. He did nevertheless desert her in time, and felt instead of remorse, a sort of rancour against her. It was not the first time that he had behaved thus, it was not to be the last, with the result that the heads of many girls — girls less forgetful of him than he was of them — suffered — as Jupien′s niece′s head continued long afterwards to suffer, still in love with Morel although she despised him — suffered, ready to burst with the shooting of an internal pain because in each of them — like a fragment of a Greek carving — an aspect of Morel′s face, hard as marble and beautiful as an antique sculpture, was embedded in her brain, with his blossoming hair, his fine eyes, his straight nose, forming a protuberance in a cranium not shaped to receive it, upon which no operation was possible. But in the fulness of time these stony fragments end by slipping into a place where they cause no undue discomfort, from which they never stir again; we are no longer conscious of their presence: I mean forgetfulness, or an indifferent memory.
J′avais en moi deux produits de ma journée. C′était, d′une part, grâce au calme apporté par la docilité d′Albertine, la possibilité et, en conséquence, la résolution de rompre avec elle. C′était, d′autre part, fruit de mes réflexions pendant le temps que je l′avais attendue, assis devant mon piano, l′idée que l′Art, auquel je tâcherais de consacrer ma liberté reconquise, n′était pas quelque chose qui valût la peine d′un sacrifice, quelque chose d′en dehors de la vie, ne participant pas à sa vanité et son néant, l′apparence d′individualité réelle obtenue dans les œuvres n′étant due qu′au trompe-l′œil de l′habileté technique. Si mon après-midi avait laissé en moi d′autres résidus, plus profonds peut-être, ils ne devaient venir à ma connaissance que bien plus tard. Quant aux deux que je soupesais clairement, ils n′allaient pas être durables ; car, dès cette soirée même, mes idées sur l′art allaient se relever de la diminution qu′elles avaient éprouvée l′après-midi, tandis qu′en revanche le calme, et par conséquent la liberté qui me permettrait de me consacrer à lui, allait m′être de nouveau retiré. Meanwhile I had gained two things in the course of the day. On the one hand, thanks to the calm that was produced in me by Albertine′s docility, I found it possible, and therefore made up my mind, to break with her. There was on the other hand, the fruit of my reflexions during the interval that I had spent waiting for her, at the piano, the idea that Art, to which I would try to devote my reconquered liberty, was not a thing that justified one in making a sacrifice, a thing above and beyond life, that did not share in its fatuity and futility; the appearance of real individuality obtained in works of art being due merely to the illusion created by the artist′s technical skill. If my afternoon had left behind it other deposits, possibly more profound, they were not to come to my knowledge until much later. As for the two which I was able thus to weigh, they were not to be permanent; for, from this very evening my ideas about art were to rise above the depression to which they had been subjected in the afternoon, while on the other hand my calm, and consequently the freedom that would enable me to devote myself to it, was once again to be withdrawn from me.
Comme ma voiture, longeant le quai, approchait de chez les Verdurin, je la fis arrêter. Je venais en effet de voir Brichot descendre de tramway au coin de la rue Bonaparte, essuyer ses souliers avec un vieux journal, et passer des gants gris perle. J′allai à lui. Depuis quelque temps, son affection de la vue ayant empiré, il avait été doté — aussi richement qu′un laboratoire — de lunettes nouvelles puissantes et compliquées qui, comme des instruments astronomiques, semblaient vissées à ses yeux ; il braqua sur moi leurs feux excessifs et me reconnut. Elles étaient en merveilleux état. Mais derrière elles j′aperçus, minuscule, pâle, convulsif, expirant, un regard lointain placé sous ce puissant appareil, comme dans les laboratoires trop richement subventionnés pour les besognes qu′on y fait, on place une insignifiante bestiole agonisante sous les appareils les plus perfectionnés. J′offris mon bras au demi-aveugle pour assurer sa marche. « Ce n′est plus cette fois près du grand Cherbourg que nous nous rencontrons, me dit-il, mais à côté du petit Dunkerque », phrase qui me parut fort ennuyeuse, car je ne compris pas ce qu′elle voulait dire ; et cependant je n′osai pas le demander à Brichot, par crainte moins encore de son mépris que de ses explications. Je lui répondis que j′étais assez curieux de voir le salon où Swann rencontrait jadis tous les soirs Odette. « Comment, vous connaissez ces vieilles histoires ? me dit-il. Il y a pourtant de cela jusqu′à la mort de Swann ce que le poète appelle à bon droit : grande spatium mortalis œvi. » As my cab, following the line of the embankment, was coming near the Verdurins′ house, I made the driver pull up. I had just seen Brichot alighting from the tram at the foot of the Rue Bonaparte, after which he dusted his shoes with an old newspaper and put on a pair of pearl grey gloves. I went up to him on foot. For some time past, his sight having grown steadily weaker, he had been endowed — as richly as an observatory — with new spectacles of a powerful and complicated kind, which, like astronomical instruments, seemed to be screwed into his eyes; he focussed their exaggerated blaze upon myself and recognised me. They — the spectacles — were in marvellous condition. But behind them I could see, minute, pallid, convulsive, expiring, a remote gaze placed under this powerful apparatus, as, in a laboratory equipped out of all proportion to the work that is done in it, you may watch the last throes of some insignificant animalcule through the latest and most perfect type of microscope. I offered him my arm to guide him on his way. “This time it is not by great Cherbourg that we meet,” he said to me, “but by little Dunkerque,” a remark which I found extremely tiresome, as I failed to understand what he meant; and yet I dared not ask Brichot, dreading not so much his scorn as his explanations. I replied that I was longing to see the room in which Swann used to meet Odette every evening. “What, so you know that old story, do you?” he said. “And yet from those days to the death of Swann is what the poet rightly calls: ‘Grande spatium mortalis aevi.′”
La mort de Swann m′avait à l′époque bouleversé. La mort de Swann ! Swann ne joue pas dans cette phrase le rôle d′un simple génitif. J′entends par là la mort particulière, la mort envoyée par le destin au service de Swann. Car nous disons la mort pour simplifier, mais il y en a presque autant que de personnes. Nous ne possédons pas de sens qui nous permette de voir, courant à toute vitesse, dans toutes les directions, les morts, les morts actives dirigées par le destin vers tel ou tel. Souvent ce sont des morts qui ne seront entièrement libérées de leur tâche que deux, trois ans après. Elles courent vite poser un cancer au flanc d′un Swann, puis repartent pour d′autres besognes, ne revenant que quand, l′opération des chirurgiens ayant eu lieu, il faut poser le cancer à nouveau. Puis vient le moment où on lit dans le Gaulois que la santé de Swann a inspiré des inquiétudes, mais que son indisposition est en parfaite voie de guérison. Alors, quelques minutes avant le dernier souffle, la mort, comme une religieuse qui vous aurait soigné au lieu de vous détruire, vient assister à vos derniers instants, couronne d′une auréole suprême l′être à jamais glacé dont le cœur a cessé de battre. Et c′est cette diversité des morts, le mystère de leurs circuits, la couleur de leur fatale écharpe qui donnent quelque chose de si impressionnant aux lignes des journaux : The death of Swann had been a crushing blow to me at the time. The death of Swann! Swann, in this phrase, is something more than a noun in the possessive case. I mean by it his own particular death, the death allotted by destiny to the service of Swann. For we talk of ‘death′ for convenience, but there are almost as many different deaths as there are people. We are not equipped with a sense that would enable us to see, moving at every speed in every direction, these deaths, the active deaths aimed by destiny at this person or that. Often there are deaths that will not be entirely relieved of their duties until two or even three years later. They come in haste to plant a tumour in the side of a Swann, then depart to attend to their other duties, returning only when, the surgeons having performed their operation, it is necessary to plant the tumour there afresh. Then comes the moment when we read in the Gaulois that Swann′s health has been causing anxiety but that he is now making an excellent recovery. Then, a few minutes before the breath leaves our body, death, like a sister of charity who has come to nurse, rather than to destroy us, enters to preside over our last moments, crowns with a supreme halo the cold and stiffening creature whose heart has ceased to beat. And it is this diversity among deaths, the mystery of their circuits, the colour of their fatal badge, that makes so impressive a paragraph in the newspapers such as this:
« Nous apprenons avec un vif regret que M. Charles Swann a succombé hier à Paris, dans son hôtel, des suites d′une douloureuse maladie. Parisien dont l′esprit était apprécié de tous, comme la sûreté de ses relations choisies mais fidèles, il sera unanimement regretté, aussi bien dans les milieux artistiques et littéraires, où la finesse avisée de son goût le faisait se plaire et être recherché de tous, qu′au Jockey-Club dont il était l′un des membres les plus anciens et les plus écoutés. Il appartenait aussi au Cercle de l′Union et au Cercle Agricole. Il avait donné depuis peu sa démission de membre du Cercle de la rue Royale. Sa physionomie spirituelle comme sa notoriété marquante ne laissaient pas d′exciter la curiosité du public dans tout great event de la musique et de la peinture, et notamment aux « vernissages », dont il avait été l′habitué fidèle jusqu′à ces dernières années, où il n′était plus sorti que rarement de sa demeure. Les obsèques auront lieu, etc. » “We regret to learn that M. Charles Swann passed away yesterday at his residence in Paris, after a long and painful illness. A Parisian whose intellectual gifts were widely appreciated, a discriminating but steadfastly loyal friend, he will be universally regretted, in those literary and artistic circles where the soundness and refinement of his taste made him a willing and a welcome guest, as well as at the Jockey Club of which he was one of the oldest and most respected members. He belonged also to the Union and Agricole. He had recently resigned his membership of the Rue Royale. His personal appearance and eminently distinguished bearing never failed to arouse public interest at all the great events of the musical and artistic seasons, especially at private views, at which he was a regular attendant until, during the last years of his life, he became almost entirely confined to the house. The funeral will take place, etc.”
À ce point de vue, si l′on n′est pas « quelqu′un », l′absence de titre connu rend plus rapide encore la décomposition de la mort. Sans doute c′est d′une façon anonyme, sans distinction d′individualité, qu′on demeure le duc d′Uzès. Mais la couronne ducale en tient quelque temps ensemble les éléments, comme ceux de ces glaces aux formes bien dessinées qu′appréciait Albertine, tandis que les noms de bourgeois ultra-mondains, aussitôt qu′ils sont morts, se désagrègent et fondent, « démoulés ». Nous avons vu Mme de Guermantes parler de Cartier comme du meilleur ami du duc de La Trémoe, comme d′un homme très recherché dans les milieux aristocratiques. Pour la génération suivante, Cartier est devenu quelque chose de si informe qu′on le grandirait presque en l′apparentant au bijoutier Cartier, avec lequel il eût souri que des ignorants pussent le confondre ! Swann était, au contraire, une remarquable personnalité intellectuelle et artistique ; et bien qu′il n′eût rien « produit » il eut la chance de durer un peu plus. Et pourtant, cher Charles Swann, que j′ai connu quand j′étais encore si jeune et vous près du tombeau, c′est parce que celui que vous deviez considérer comme un petit imbécile a fait de vous le héros d′un de ses romans, qu′on recommence à parler de vous et que peut-être vous vivrez ». Si dans le tableau de Tissot représentant le balcon du Cercle de la rue Royale, où vous êtes entre Galliffet, Edmond de Polignac et Saint-Maurice, on parle tant de vous, c′est parce qu′on voit qu′il y a quelques traits de vous dans le personnage de Swann. From this point of view, if one is not ‘somebody,′ the absence of a well known title makes the process of decomposition even more rapid. No doubt it is more or less anonymously, without any personal identity, that a man still remains Duc d′Uzès. But the ducal coronet does for some time hold the elements together, as their moulds keep together those artistically designed ices which Albertine admired, whereas the names of ultra-fashionable commoners, as soon as they are dead, dissolve and lose their shape. We have seen M. de Bréauté speak of Cartier as the most intimate friend of the Duc de La Trémoe, as a man greatly in demand in aristocratic circles. To a later generation, Cartier has become something so formless that it would almost be adding to his importance to make him out as related to the jeweller Cartier, with whom he would have smiled to think that anybody could be so ignorant as to confuse him! Swann on the contrary was a remarkable personality, in both the intellectual and the artistic worlds; and even although he had ‘produced′ nothing, still he had a chance of surviving a little longer. And yet, my dear Charles ——, whom I used to know when I was still so young and you were nearing your grave, it is because he whom you must have regarded as a little fool has made you the hero of one of his volumes that people are beginning to speak of you again and that your name will perhaps live. If in Tissot′s picture representing the balcony of the Rue Royale club, where you figure with Galliffet, Edmond Polignac and Saint-Maurice, people are always drawing attention to yourself, it is because they know that there are some traces of you in the character of Swann.
Pour revenir à des réalités plus générales, c′est de cette mort prédite et pourtant imprévue de Swann que je l′avais entendu parler lui-même à la duchesse de Guermantes, le soir où avait eu lieu la fête chez la cousine de celle-ci. C′est la même mort dont j′avais retrouvé l′étrangeté spécifique et saisissante, un soir où j′avais parcouru le journal et où son annonce m′avait arrêté net, comme tracée en mystérieuses lignes inopportunément interpolées. Elles avaient suffi à faire d′un vivant quelqu′un qui ne peut plus répondre à ce qu′on lui dit, qu′un nom, un nom écrit, passé tout à coup du monde réel dans le royaume du silence. C′étaient elles qui me donnaient encore maintenant le désir de mieux connaître la demeure où avaient autrefois résidé les Verdurin et où Swann, qui alors n′était pas seulement quelques lettres passées dans un journal, avait si souvent dîné avec Odette. Il faut ajouter aussi (et cela me rendit longtemps la mort de Swann plus douloureuse qu′une autre, bien que ces motifs n′eussent pas trait à l′étrangeté individuelle de sa mort) que je n′étais pas allé voir Gilberte comme je le lui avais promis chez la princesse de Guermantes ; qu′il ne m′avait pas appris cette « autre raison » à laquelle il avait fait allusion ce soir-là, pour laquelle il m′avait choisi comme confident de son entretien avec le prince ; que mille questions me revenaient (comme des bulles montant du fond de l′eau), que je voulais lui poser sur les sujets les plus disparates : sur Ver Meer, sur M. de Mouchy, sur lui-même, sur une tapisserie de Boucher, sur Combray, questions sans doute peu pressantes puisque je les avais remises de jour en jour, mais qui me semblaient capitales depuis que, ses lèvres s′étant scellées, la réponse ne viendrait plus. To return to more general realities, it was of this foretold and yet unforeseen death of Swann that I had heard him speak himself to the Duchesse de Guermantes, on the evening of her cousin′s party. It was the same death whose striking and specific strangeness had recurred to me one evening when, as I ran my eye over the newspaper, my attention was suddenly arrested by the announcement of it, as though traced in mysterious lines interpolated there out of place. They had sufficed to make of a living man some one who can never again respond to what you say to him, to reduce him to a mere name, a written name, that has passed in a moment from the real world to the realm of silence. It was they that even now made me anxious to make myself familiar with the house in which the Verdurins had lived, and where Swann, who at that time was not merely a row of five letters printed in a newspaper, had dined so often with Odette. I must add also (and this is what for a long time made Swann′s death more painful than any other, albeit these reasons bore no relation to the individual strangeness of his death) that I had never gone to see Gilberte, as I promised him at the Princesse de Guermantes′s, that he had never told me what the ‘other reason′ was, to which he alluded that evening, for his selecting me as the recipient of his conversation with the Prince, that a thousand questions occurred to me (as bubbles rise from the bottom of a pond) which I longed to ask him about the most different subjects: Vermeer, M. de Mouchy, Swann himself, a Boucher tapestry, Combray, questions that doubtless were not very vital since I had put off asking them from day to day, but which seemed to me of capital importance now that, his lips being sealed, no answer would ever come.
« Mais non, reprit Brichot, ce n′était pas ici que Swann rencontrait sa future femme, ou du moins ce ne fut ici que dans les tout à fait derniers temps, après le sinistre qui détruisit partiellement la première habitation de Madame Verdurin. » “No,” Brichot went on, “it was not here that Swann met his future wife, or rather it was here only in the very latest period, after the disaster that partially destroyed Mme. Verdurin′s former home.”
Malheureusement, dans la crainte d′étaler aux yeux de Brichot un luxe qui me semblait déplacé puisque l′universitaire n′en prenait pas sa part, j′étais descendu trop précipitamment de la voiture, et le cocher n′avait pas compris ce que je lui avais jeté à toute vitesse pour avoir le temps de m′éloigner de lui avant que Brichot m′aperçût. La conséquence fut que le cocher vint nous accoster et me demanda s′il devait venir me reprendre ; je lui dis en hâte que oui et redoublai d′autant plus de respect à l′égard de l′universitaire venu en omnibus. Unfortunately, in my fear of displaying before the eyes of Brichot an extravagance which seemed to me out of place, since the professor had no share in its enjoyment, I had alighted too hastily from the carriage and the driver had not understood the words I had flung at him over my shoulder in order that I might be well clear of the carriage before Brichot caught sight of me. The consequence was that the driver followed us and asked me whether he was to call for me later; I answered hurriedly in the affirmative, and was regarded with a vastly increased respect by the professor who had come by omnibus.
« Ah ! vous étiez en voiture, me dit-il d′un air grave. — Mon Dieu, par le plus grand des hasards ; cela ne m′arrive jamais. Je suis toujours en omnibus ou à pied. Mais cela me vaudra peut-être le grand honneur de vous reconduire ce soir si vous consentez pour moi à entrer dans cette guimbarde ; nous serons un peu serrés. Mais vous êtes si bienveillant pour moi. » Hélas, en lui proposant cela, je ne me prive de rien, pensai-je, puisque je serai toujours obligé de rentrer à cause d′Albertine. Sa présence chez moi, à une heure où personne ne pouvait venir la voir, me laissait disposer aussi librement de mon temps que l′après-midi quand, au piano, je savais qu′elle allait revenir du Trocadéro, et que je n′étais pas pressé de la revoir. Mais enfin, comme l′après-midi aussi, je sentais que j′avais une femme et qu′en rentrant je ne connaîtrais pas l′exaltation fortifiante de la solitude. « J′accepte de grand cœur, me répondit Brichot. À l′époque à laquelle vous faites allusion nos amis habitaient, rue Montalivet, un magnifique rez-de-chaussée avec entresol donnant sur un jardin, moins somptueux évidemment, et que pourtant je préfère à l′hôtel des Ambassadeurs de Venise. » Brichot m′apprit qu′il y avait ce soir, au « Quai Conti » (c′est ainsi que les fidèles disaient en parlant du salon Verdurin depuis qu′il s′était transporté là), grand « tra la la » musical, organisé par M. de Charlus. Il ajouta qu′au temps ancien dont je parlais, le petit noyau était autre et le ton différent, pas seulement parce que les fidèles étaient plus jeunes. Il me raconta des farces d′Elstir (ce qu′il appelait de « pures pantalonnades »), comme un jour où celui-ci, ayant feint de lâcher au dernier moment, était venu déguisé en maître d′hôtel extra et, tout en passant les plats, avait dit des gaillardises à l′oreille de la très prude baronne Putbus, rouge d′effroi et de colère ; puis, disparaissant avant la fin du dîner, avait fait apporter dans le salon une baignoire pleine d′eau, d′où, quand on était sorti de table, il était émergé tout nu en poussant des jurons ; et aussi des soupers où on venait dans des costumes en papier, dessinés, coupés, peints par Elstir, qui étaient des chefs-d′œuvre, Brichot ayant porté une fois celui d′un grand seigneur de la cour de Charles VII, avec des souliers à la poulaine, et une autre fois celui de Napoléon Ier, où Elstir avait fait le grand cordon de la Légion d′honneur avec de la cire à cacheter. Bref Brichot, revoyant dans sa pensée le salon d′alors, avec ses grandes fenêtres, ses canapés bas mangés par le soleil de midi et qu′il avait fallu remplacer, déclarait pourtant qu′il le préférait à celui d′aujourd′hui. Certes, je comprenais bien que par « salon » Brichot entendait — comme le mot église ne signifie pas seulement l′édifice religieux mais la communauté des fidèles — non pas seulement l′entresol, mais les gens qui le fréquentaient, les plaisirs particuliers qu′ils venaient chercher là, et auxquels dans sa mémoire avaient donné leur forme ces canapés sur lesquels, quand on venait voir Mme Verdurin l′après-midi, on attendait qu′elle fût prête, cependant que les fleurs des marronniers, dehors, et sur la cheminée des œillets dans des vases, semblaient, dans une pensée de gracieuse sympathie pour le visiteur, que traduisait la souriante bienvenue de ces couleurs roses, épier fixement la venue tardive de la maîtresse de maison. Mais si le salon lui semblait supérieur à l′actuel, c′était peut-être parce que notre esprit est le vieux Protée, qui ne peut rester esclave d′aucune forme, et, même dans le domaine mondain, se dégage soudain d′un salon arrivé lentement et difficilement à son point de perfection pour préférer un salon moins brillant, comme les photographies « retouchées » qu′Odette avait fait faire chez Otto, où, élégante, elle était en grande robe princesse et ondulée par Lenthéric, ne plaisaient pas tant à Swann qu′une petite « carte album » faite à Nice, où, en capeline de drap, les cheveux mal arrangés dépassant un chapeau de paille brodé de pensées avec un nœud de velours noir, de vingt ans plus jeune (les femmes ayant généralement l′air d′autant plus vieux que les photographies sont plus anciennes), elle avait l′air d′une petite bonne qui aurait eu vingt ans de plus. Peut-être aussi avait-il plaisir à me vanter ce que je ne connaîtrais pas, à me montrer qu′il avait goûté des plaisirs que je ne pourrais pas avoir ? Il y réussissait, du reste, car rien qu′en citant les noms de deux ou trois personnes qui n′existaient plus et à chacune desquelles il donnait quelque chose de mystérieux par sa manière d′en parler, de ces intimités délicieuses je me demandais ce qu′il avait pu être ; je sentais que tout ce qu′on m′avait raconté des Verdurin était beaucoup trop grossier ; et même Swann, que j′avais connu, je me reprochais de ne pas avoir fait assez attention à lui, de n′y avoir pas fait attention avec assez de désintéressement, de ne pas l′avoir bien écouté quand il me recevait en attendant que sa femme rentrât déjeuner et qu′il me montrait de belles choses, maintenant que je savais qu′il était comparable à l′un des plus beaux causeurs d′autrefois. Au moment d′arriver chez Mme Verdurin, j′aperçus M. de Charlus naviguant vers nous de tout son corps énorme, traînant sans le vouloir à sa suite un de ces apaches ou mendigots que son passage faisait maintenant infailliblement surgir même des coins en apparence les plus déserts, et dont ce monstre puissant était, bien malgré lui, toujours escorté quoique à quelque distance, comme le requin par son pilote, enfin contrastant tellement avec l′étranger hautain de la première année de Balbec, à l′aspect sévère, à l′affectation de virilité, qu′il me sembla découvrir, accompagné de son satellite, un astre à une tout autre période de sa révolution et qu′on commence à voir dans son plein, ou un malade envahi maintenant par le mal qui n′était, il y a quelques années, qu′un léger bouton qu′il dissimulait aisément et dont on ne soupçonnait pas la gravité. Bien que l′opération qu′avait subie Brichot lui eût rendu un tout petit peu de cette vue qu′il avait cru perdre pour jamais, je ne sais s′il avait aperçu le voyou attaché aux pas du baron. Il importait peu, du reste, car depuis la Raspelière, et malgré l′amitié que l′universitaire avait pour lui, la présence de M. de Charlus lui causait un certain malaise. Sans doute pour chaque homme la vie de tout autre prolonge, dans l′obscurité, des sentiers qu′on ne soupçonne pas. Le mensonge, pourtant, si souvent trompeur, et dont toutes les conversations sont faites, cache moins parfaitement un sentiment d′inimitié, ou d′intérêt, ou une visite qu′on veut avoir l′air de ne pas avoir faite, ou une escapade avec une maîtresse d′un jour et qu′on veut cacher à sa femme, qu′une bonne réputation ne recouvre — à ne pas les laisser deviner — des mœurs mauvaises. Elles peuvent être ignorées toute la vie ; le hasard d′une rencontre sur une jetée, le soir, les révèle ; encore ce hasard est-il souvent mal compris, et il faut qu′un tiers averti vous fournisse l′introuvable mot que chacun ignore. Mais, sues, elles effrayent parce qu′on y sent affluer la folie, bien plus que par moralité. Mme de Surgis n′avait pas un sentiment moral le moins du monde développé, et elle eût admis de ses fils n′importe quoi qu′eût avili et expliqué l′intérêt, qui est compréhensible à tous les hommes. Mais elle leur défendit de continuer à fréquenter M. de Charlus quand elle apprit que, par une sorte d′horlogerie à répétition, il était comme fatalement amené, à chaque visite, à leur pincer le menton et à le leur faire pincer l′un l′autre. Elle éprouva ce sentiment inquiet du mystère physique qui fait se demander si le voisin avec qui on avait de bons rapports n′est pas atteint d′anthropophagie et aux questions répétées du baron : « Est-ce que je ne verrai pas bientôt les jeunes gens ? » elle répondit, sachant les foudres qu′elle accumulait sur elle, qu′ils étaient très pris par leurs cours, les préparatifs d′un voyage, etc. L′irresponsabilité aggrave les fautes et même les crimes, quoi qu′on en dise. Landru, à supposer qu′il ait réellement tué ses femmes, s′il l′a fait par intérêt, à quoi l′on peut résister, peut être gracié, mais non si ce fut par un sadisme irrésistible. “Ah! So you were in a carriage,” he said in solemn tones. “Only by the purest accident. I never take one as a rule. I always travel by omnibus or on foot. However, it may perhaps entitle me to the great honour of taking you home to-night if you will oblige me by consenting to enter that rattletrap; we shall be packed rather tight. But you are always so considerate to me.” Alas, in making him this offer, I am depriving myself of nothing (I reflected) since in any case I shall be obliged to go home for Albertine′s sake. Her presence in my house, at an hour when nobody could possibly call to see her, allowed me to dispose as freely of my time as I had that afternoon, when, seated at the piano, I knew that she was on her way back from the Trocadéro and that I was in no hurry to see her again. But furthermore, as also in the afternoon, I felt that I had a woman in the house and that on returning home I should not taste the fortifying thrill of solitude. “I accept with great good will,” replied Brichot. “At the period to which you allude, our friends occupied in the Rue Montalivet a magnificent ground floor apartment with an upper landing, and a garden behind, less sumptuous of course, and yet to my mind preferable to the old Venetian Embassy.” Brichot informed me that this evening there was to be at ‘Quai Conti′ (thus it was that the faithful spoke of the Verdurin drawing-room since it had been transferred to that address) a great musical ‘tow-row-row′ got up by M. de Charlus. He went on to say that in the old days to which I had referred, the little nucleus had been different, and its tone not at all the same, not only because the faithful had then been younger. He told me of elaborate jokes played by Elstir (what he called ‘pure buffooneries′), as for instance one day when the painter, having pretended to fail at the last moment, had come disguised as an extra waiter and, as he handed round the dishes, whispered gallant speeches in the ear of the extremely proper Baroness Putbus, crimson with anger and alarm; then disappearing before the end of dinner he had had a hip-bath carried into the drawing-room, out of which, when the party left the table, he had emerged stark naked uttering fearful oaths; and also of supper parties to which the guests came in paper costumes, designed, cut out and coloured by Elstir, which were masterpieces in themselves, Brichot having worn on one occasion that of a great nobleman of the court of Charles VII, with long turned-up points to his shoes, and another time that of Napoleon I, for which Elstir had fashioned a Grand Cordon of the Legion of Honour out of sealing-wax. In short Brichot, seeing again with the eyes of memory the drawing-room of those days with its high windows, its low sofas devoured by the midday sun which had had to be replaced, declared that he preferred it to the drawing-room of to-day. Of course, I quite understood that by ‘drawing-room′ Brichot meant — as the word church implies not merely the religious edifice but the congregation of worshippers — not merely the apartment, but the people who visited it, the special pleasures that they came to enjoy there, to which, in his memory, those sofas had imparted their form upon which, when you called to see Mme. Verdurin in the afternoon, you waited until she was ready, while the blossom on the horse chestnuts outside, and on the mantelpiece carnations in vases seemed, with a charming and kindly thought for the visitor expressed in the smiling welcome of their rosy hues, to be watching anxiously for the tardy appearance of the lady of the house. But if the drawing-room seemed to him superior to what it was now, it was perhaps because our mind is the old Proteus who cannot remain the slave of any one shape and, even in the social world, suddenly abandons a house which has slowly and with difficulty risen to the pitch of perfection to prefer another which is less brilliant, just as the ‘touched-up′ photographs which Odette had had taken at Otto′s, in which she queened it in a ‘princess′ gown, her hair waved by Lenthéric, did not appeal to Swann so much as a little ‘cabinet picture′ taken at Nice, in which, in a cloth cape, her loosely dressed hair protruding beneath a straw hat trimmed with pansies and a bow of black ribbon, instead of being twenty years younger (for women as a rule look all the older in a photograph, the earlier it is), she looked like a little servant girl twenty years older than she now was. Perhaps too he derived some pleasure from praising to me what I myself had never known, from shewing me that he had tasted delights that I could never enjoy. If so, he was successful, for merely by mentioning the names of two or three people who were no longer alive and to each of whom he imparted something mysterious by his way of referring to them, to that delicious intimacy, he made me ask myself what it could have been like; I felt that everything that had been told me about the Verdurins was far too coarse; and indeed, in the case of Swann whom I had known, I reproached myself with not having paid him sufficient attention, with not having paid attention to him in a sufficiently disinterested spirit, with not having listened to him properly when he used to entertain me while we waited for his wife to come home for luncheon and he shewed me his treasures, now that I knew that he was to be classed with the most brilliant talkers of the past. Just as we were coming to Mme. Verdurin′s doorstep, I caught sight of M. de Charlus, steering towards us the bulk of his huge body, drawing unwillingly in his wake one of those blackmailers or mendicants who nowadays, whenever he appeared, sprang up without fail even in what were to all appearance the most deserted corners, by whom this powerful monster was, evidently against his will, invariably escorted, although at a certain distance, as is the shark by its pilot, in short contrasting so markedly with the haughty stranger of my first visit to Balbec, with his stern aspect, his affectation of virility, that I seemed to be discovering, accompanied by its satellite, a planet at a wholly different period of its revolution, when one begins to see it full, or a sick man now devoured by the malady which a few years ago was but a tiny spot which was easily concealed and the gravity of which was never suspected. Although the operation that Brichot had undergone had restored a tiny portion of the sight which he had thought to be lost for ever, I do not think he had observed the ruffian following in the Baron′s steps. Not that this mattered, for, ever since la Raspelière, and notwithstanding the professor′s friendly regard for M. de Charlus, the sight of the latter always made him feel ill at ease. No doubt to every man the life of every other extends along shadowy paths which he does not suspect. Falsehood, however, so often treacherous, upon which all conversation is based, conceals less perfectly a feeling of hostility, or of sordid interest, or a visit which we wish to look as though we had not paid, or an escapade with the mistress of a day which we are anxious to keep from our wife, than a good reputation covers up — so as not to let their existence be guessed — evil habits. They may remain unknown to us for a lifetime; an accidental encounter upon a pier, at night, will disclose them; even then this accidental discovery is frequently misunderstood and we require a third person, who is in the secret, to supply the unimaginable clue of which everyone is unaware. But, once we know about them, they alarm us because we feel that that way madness lies, far more than by their immorality. Mme. de Surgis did not possess the slightest trace of any moral feeling, and would have admitted anything of her sons that could be degraded and explained by material interest, which is comprehensible to all mankind! But she forbade them to go on visiting M. de Charlus when she learned that, by a sort of internal clockwork, he was inevitably drawn upon each of their visits, to pinch their chins and to make each of them pinch his brother′s. She felt that uneasy sense of a physical mystery which makes us ask ourself whether the neighbour with whom we have been on friendly terms is not tainted with cannibalism, and to the Baron′s repeated inquiry: “When am I going to see your sons again?” she would reply, conscious of the thunderbolts that she was attracting to her defenceless head, that they were very busy working for examinations, preparing to go abroad, and so forth. Irresponsibility aggravates faults, and even crimes, whatever anyone may say. Landru (assuming that he really did kill his wives) if he did so from a financial motive, which it is possible to resist, may be pardoned, but not if his crime was due to an irresistible Sadism.
Les grosses plaisanteries de Brichot, au début de son amitié avec le baron, avaient fait place chez lui, dès qu′il s′était agi non plus de débiter des lieux communs, mais de comprendre, à un sentiment pénible que voilait la gaîté. Il se rassurait en récitant des pages de Platon, des vers de Virgile, parce qu′aveugle d′esprit aussi, il ne comprenait pas qu′alors aimer un jeune homme était comme aujourd′hui (les plaisanteries de Socrate le révèlent mieux que les théories de Platon) entretenir une danseuse, puis se fiancer. M. de Charlus lui-même ne l′eût pas compris, lui qui confondait sa manie avec l′amitié, qui ne lui ressemble en rien, et les athlètes de Praxitèle avec de dociles boxeurs. Il ne voulait pas voir que, depuis dix-neuf cents ans (« un courtisan dévot sous un prince dévot eût été athée sous un prince athée », a dit La Bruyère), toute l′homosexualité de coutume — celle des jeunes gens de Platon comme des bergers de Virgile — a disparu, que seule surnage et se multiplie l′involontaire, la nerveuse, celle qu′on cache aux autres et qu′on travestit à soi-même. Et M. de Charlus aurait eu tort de ne pas renier franchement la généalogie pane. En échange d′un peu de beauté plastique, que de supériorité morale ! Le berger de Théocrite qui soupire pour un jeune garçon, plus tard n′aura aucune raison d′être moins dur de cœur, et d′esprit plus fin, que l′autre berger dont la flûte résonne pour Amaryllis. Car le premier n′est pas atteint d′un mal, il obéit aux modes du temps. C′est l′homosexualité survivante malgré les obstacles, honteuse, flétrie, qui est la seule vraie, la seule à laquelle puisse correspondre chez le même être un affinement des qualités morales. On tremble au rapport que le physique peut avoir avec celles-ci quand on songe au petit déplacement de goût purement physique, à la tare légère d′un sens, qui expliquent que l′univers des poètes et des musiciens, si fermé au duc de Guermantes, s′entr′ouvre pour M. de Charlus. Que ce dernier ait du goût dans son intérieur, qui est d′une ménagère bibeloteuse, cela ne surprend pas ; mais l′étroite brèche qui donne jour sur Beethoven et sur Véronèse ! Cela ne dispense pas les gens sains d′avoir peur quand un fou qui a composé un sublime poème, leur ayant expliqué par les raisons les plus justes qu′il est enfermé par erreur, par la méchanceté de sa femme, les suppliant d′intervenir auprès du directeur de l′asile, gémissant sur les promiscuités qu′on lui impose, conclut ainsi : « Tenez, celui qui va venir me parler dans le préau, dont je suis obligé de subir le contact, croit qu′il est Jésus-Christ. Or cela seul suffit à me prouver avec quels aliénés on m′enferme, il ne peut pas être Jésus-Christ, puisque Jésus-Christ c′est moi ! » Un instant auparavant on était prêt à aller dénoncer l′erreur au médecin aliéniste. Sur ses derniers mots, et même si on pense à l′admirable poème auquel travaille chaque jour le même homme on s′éloigne, comme les fils de Mme de Surgis s′éloignaient de M. de Charlus, non qu′il leur eût fait aucun mal, mais à cause du luxe d′invitations dont le terme était de leur pincer le menton. Le poète est à plaindre, et qui n′est guidé par aucun Virgile, d′avoir à traverser les cercles d′un enfer de soufre et de poix, de se jeter dans le feu qui tombe du ciel pour en ramener quelques habitants de Sodome ! Aucun charme dans son œuvre ; la même sévérité dans sa vie qu′aux défroqués qui suivent la règle du célibat le plus chaste pour qu′on ne puisse pas attribuer à autre chose qu′à la perte d′une croyance d′avoir quitté la soutane. Brichot′s coarse pleasantries, in the early days of his friendship with the Baron, had given place, as soon as it was a question, not of uttering commonplaces, but of understanding, to an awkward feeling which concealed a certain merriment. He reassured himself by recalling pages of Plato, lines of Virgil, because, being mentally as well as physically blind, he did not understand that in those days to fall in love with a young man was like, in our day (Socrates′s jokes reveal this more clearly than Plato′s theories), keeping a dancing girl before one marries and settles down. M. de Charlus himself would not have understood, he who confused his mania with friendship, which does not resemble it in the least, and the athletes of Praxiteles with obliging boxers. He refused to see that for the last nineteen hundred years (“a pious courtier under a pious prince would have been an atheist under an atheist prince,” as Labruyère reminds us) all conventional homosexuality — that of Plato′s young friends as well as that of Virgil′s shepherds — has disappeared, that what survives and increases is only the involuntary, the neurotic kind, which we conceal from other people and disguise to ourselves. And M. de Charlus would have been wrong in not denying frankly the pagan genealogy. In exchange for a little plastic beauty, how vast the moral superiority! The shepherd in Theocritus who sighs for love of a boy, later on will have no reason to be less hard of heart, less dull of wit than the other shepherd whose flute sounds for Amaryllis. For the former is not suffering from a malady, he is conforming to the customs of his time. It is the homosexuality that survives in spite of obstacles, a thing of scorn and loathing, that is the only true form, the only form that can be found conjoined in a person with an enhancement of his moral qualities. We are appalled at the apparently close relation between these and our bodily attributes, when we think of the slight dislocation of a purely physical taste, the slight blemish in one of the senses, which explain why the world of poets and musicians, so firmly barred against the Duc de Guermantes, opens its portals to M. de Charlus. That the latter should shew taste in the furnishing of his home, which is that of an eclectic housewife, need not surprise us; but the narrow loophole that opens upon Beethoven and Veronese! This does not exempt the sane from a feeling of alarm when a madman who has composed a sublime poem, after explaining to them in the most logical fashion that he has been shut up by mistake, through his wife′s machinations, imploring them to intercede for him with the governor of the asylum, complaining of the promiscuous company that is forced upon him, concludes as follows: “You see that man who is waiting to speak to me on the lawn, whom I am obliged to put up with; he thinks that he is Jesus Christ. That alone will shew you the sort of lunatics that I have to live among; he cannot be Christ, for I am Christ myself!” A moment earlier, you were on the point of going to assure the governor that a mistake had been made. At this final speech, even if you bear in mind the admirable poem at which this same man is working every day, you shrink from him, as Mme. de Surgis′s sons shrank from M. de Charlus, not that he would have done them any harm, but because of his ceaseless invitations, the ultimate purpose of which was to pinch their chins. The poet is to be pitied, who must, with no Virgil to guide him, pass through the circles of an inferno of sulphur and brimstone, to cast himself into the fire that falls from heaven, in order to rescue a few of the inhabitants of Sodom! No charm in his work; the same severity in his life as in those of the unfrocked priests who follow the strictest rule of celibacy so that no one may be able to ascribe to anything but loss of faith their discarding of the cassock.
Faisant semblant de ne pas voir le louche individu qui lui avait emboîté le pas (quand le baron se hasardait sur les boulevards, ou traversait la salle des Pas-Perdus de la gare Saint-Lazare, ces suiveurs se comptaient par douzaines qui, dans l′espoir d′avoir une thune, ne le lâchaient pas) et de peur que l′autre ne s′enhardît à lui parler, le baron baissait dévotement ses cils noircis qui, contrastant avec ses joues poudrerizées, le faisaient ressembler à un grand inquisiteur peint par le Greco. Mais ce prêtre faisait peur et avait l′air d′un prêtre interdit, diverses compromissions auxquelles l′avait obligé la nécessité d′exercer son goût et d′en protéger le secret ayant eu pour effet d′amener à la surface du visage précisément ce que le baron cherchait à cacher, une vie crapuleuse racontée par la déchéance morale. Celle-ci, en effet, quelle qu′en soit la cause, se lit aisément, car elle ne tarde pas à se matérialiser, et prolifère sur un visage, particulièrement dans les joues et autour des yeux, aussi physiquement que s′y accumulent les jaunes ocreux dans une maladie de foie ou les répugnantes rougeurs dans une maladie de peau. Ce n′était pas, d′ailleurs, seulement dans les joues, ou mieux les bajoues de ce visage fardé, dans la poitrine tétonnière, la croupe rebondie de ce corps livré au laisser-aller et envahi par l′embonpoint, que surnageait maintenant, étalé comme de l′huile, le vice jadis si intimement renfoncé par M. de Charlus au plus secret de lui-même. Il débordait maintenant dans ses propos. Making a pretence of not seeing the seedy individual who was following in his wake (whenever the Baron ventured into the Boulevards or crossed the waiting-room in Saint-Lazarre station, these followers might be counted by the dozen who, in the hope of ‘touching him for a dollar,′ never let him out of their sight), and afraid at the same time that the other might have the audacity to accost him, the Baron had devoutly lowered his darkened eyelids which, in contrast to his rice-powdered cheeks, gave him the appearance of a Grand Inquisitor painted by El Greco. But this priestly expression caused alarm, and he looked like an unfrocked priest, various compromises to which he had been driven by the need to apologise for his taste and to keep it secret having had the effect of bringing to the surface of his face precisely what the Baron sought to conceal, a debauched life indicated by moral decay. This last, indeed, whatever be its cause, is easily detected, for it is never slow in taking bodily form and proliferates upon a face, especially on the cheeks and round the eyes, as physically as the ochreous yellows accumulate there in a case of jaundice or repulsive reds in a case of skin disease. Nor was it merely in the cheeks, or rather the chaps of this painted face, in the mammiferous chest, the aggressive rump of this body allowed to deteriorate and invaded by obesity, upon which there now floated iridescent as a film of oil, the vice at one time so jealously confined by M. de Charlus in the most secret chamber of his heart. Now it overflowed in all his speech.
« C′est comme ça, Brichot, que vous vous promenez la nuit avec un beau jeune homme, dit-il en nous abordant, cependant que le voyou désappointé s′éloignait. C′est du beau. On le dira à vos petits élèves de la Sorbonne que vous n′êtes pas plus sérieux que cela. Du reste, la compagnie de la jeunesse vous réussit, Monsieur le Professeur, vous êtes frais comme une petite rose. Je vous ai dérangés, vous aviez l′air de vous amuser comme deux petites folles, et vous n′aviez pas besoin d′une vieille grand′maman rabat-joie comme moi. Je n′irai pas à confesse pour cela, puisque vous étiez presque arrivés. » Le baron était d′humeur d′autant plus gaie qu′il ignorait entièrement la scène de l′après-midi, Jupien ayant jugé plus utile de protéger sa nièce contre un retour offensif que d′aller prévenir M. de Charlus. Aussi celui-ci croyait-il toujours au mariage et s′en réjouissait-il. On dirait que c′est une consolation pour ces grands solitaires que de donner à leur célibat tragique l′adoucissement d′une paternité fictive. « Mais, ma parole, Brichot, ajouta-t-il, en se tournant en riant vers nous, j′ai du scrupule en vous voyant en si galante compagnie. Vous aviez l′air de deux amoureux. Bras dessus, bras dessous, dites donc, Brichot, vous en prenez des libertés ! » Fallait-il attribuer pour cause à de telles paroles le vieillissement d′une telle pensée, moins maîtresse que jadis de ses réflexes, et qui, dans des instants d′automatisme, laisse échapper un secret si soigneusement enfoui pendant quarante ans ? Ou bien était-ce dédain pour l′opinion des roturiers qu′avaient au fond tous les Guermantes et dont le frère de M. de Charlus, le duc, présentait une autre forme quand, fort insoucieux que ma mère pût le voir, il se faisait la barbe en chemise de nuit ouverte, à sa fenêtre ? M. de Charlus avait-il contracté, durant les trajets brûlants de Doncières à Doville, la dangereuse habitude de se mettre à l′aise et, comme il y rejetait en arrière son chapeau de paille pour rafraîchir son énorme front, de desserrer, au début, pour quelques instants seulement, le masque depuis trop longtemps rigoureusement attaché à son vrai visage ? Les manières conjugales de M. de Charlus avec Morel auraient à bon droit étonné qui les aurait entièrement connues. Mais il était arrivé à M. de Charlus que la monotonie des plaisirs qu′offre son vice l′avait lassé. Il avait instinctivement cherché de nouvelles performances, et après s′être fatigué des inconnus qu′il rencontrait, était passé au pôle opposé, à ce qu′il avait cru qu′il détesterait toujours, à l′imitation d′un « ménage » ou d′une « paternité ». Parfois cela ne lui suffisait même plus, il lui fallait du nouveau, il allait passer la nuit avec une femme de la même façon qu′un homme normal peut, une fois dans sa vie, avoir voulu coucher avec un garçon, par une curiosité semblable, inverse, et dans les deux cas également malsaine. L′existence de « fidèle » du baron, ne vivant, à cause de Charlie, que dans le petit clan, avait eu, pour briser les efforts qu′il avait faits longtemps pour garder des apparences menteuses, la même influence qu′un voyage d′exploration ou un séjour aux colonies chez certains Européens, qui y perdent les principes directeurs qui les guidaient en France. Et pourtant la révolution interne d′un esprit, ignorant au début de l′anomalie qu′il portait en soi, puis épouvanté devant elle quand il l′avait reconnue, et enfin s′étant familiarisé avec elle jusqu′à ne plus s′apercevoir qu′on ne pouvait sans danger avouer aux autres ce qu′on avait fini par s′avouer sans honte à soi-même, avait été plus efficace encore, pour détacher M. de Charlus des dernières contraintes sociales, que le temps passé chez les Verdurin. Il n′est pas, en effet, d′exil au pôle Sud, ou au sommet du Mont-Blanc, qui nous éloigne autant des autres qu′un séjour prolongé au sein d′un vice intérieur, c′est-à-dire d′une pensée différente de la leur. Vice (ainsi M. de Charlus le qualifiait-il autrefois) auquel le baron prêtait maintenant la figure débonnaire d′un simple défaut, fort répandu, plutôt sympathique et presque amusant, comme la paresse, la distraction ou la gourmandise. Sentant les curiosités que la particularité de son personnage excitait, M. de Charlus éprouvait un certain plaisir à les satisfaire, à les piquer, à les entretenir. De même que tel publiciste juif se fait chaque jour le champion du catholicisme, non pas probablement avec l′espoir d′être pris au sérieux, mais pour ne pas décevoir l′attente des rieurs bienveillants, M. de Charlus flétrissait plaisamment les mauvaises mœurs dans le petit clan, comme il eût contrefait l′anglais ou imité Mounet-Sully, sans attendre qu′on l′en priât, et pour payer son écot avec bonne grâce, en exerçant en société un talent d′amateur ; de sorte que M. de Charlus menaçait Brichot de dénoncer à la Sorbonne qu′il se promenait maintenant avec des jeunes gens de la même façon que le chroniqueur circoncis parle à tout propos de la « fille aînée de l′Église » et du « Sacré-Cœur de Jésus », c′est-à-dire sans ombre de tartuferie, mais avec une pointe de cabotinage. Ce n′est pas seulement du changement des paroles elles-mêmes, si différentes de celles qu′il se permettait autrefois, qu′il serait curieux de chercher l′explication, mais encore de celui survenu dans les intonations, les gestes, qui les uns et les autres ressemblaient singulièrement maintenant à ce que M. de Charlus flétrissait le plus âprement autrefois ; il poussait maintenant, involontairement, presque les mêmes petits cris (chez lui involontaires et d′autant plus profonds) que jettent, volontairement, eux, les invertis qui s′interpellent en s′appelant « ma chère » ; comme si ce « chichi » voulu, dont M. de Charlus avait pris si longtemps le contrepied, n′était en effet qu′une géniale et fidèle imitation des manières qu′arrivent à prendre, quoi qu′ils en aient, les Charlus, quand ils sont arrivés à une certaine phase de leur mal, comme un paralytique général ou un ataxique finissent fatalement par présenter certains symptômes. En réalité — et c′est ce que ce chichi tout intérieur révélait — il n′y avait entre le sévère Charlus tout de noir habillé, aux cheveux en brosse, que j′avais connu, et les jeunes gens fardés, chargés de bijoux, que cette différence purement apparente qu′il y a entre une personne agitée qui parle vite, remue tout le temps, et un névropathe qui parle lentement, conserve un flegme perpétuel, mais est atteint de la même neurasthénie aux yeux du clinicien qui sait que celui-ci comme l′autre est dévoré des mêmes angoisses et frappé des mêmes tares. Du reste, on voyait que M. de Charlus avait vieilli à des signes tout différents, comme l′extension extraordinaire qu′avaient prise dans sa conversation certaines expressions qui avaient proliféré et qui revenaient maintenant à tout moment (par exemple : « l′enchaînement des circonstances ») et auxquelles la parole du baron s′appuyait de phrase en phrase comme à un tuteur nécessaire. « Est-ce que Charlie est déjà arrivé ? » demanda Brichot à M. de Charlus comme nous apercevions la porte de l′hôtel. « Ah ! je ne sais pas », dit le baron en levant les mains et en fermant à demi les yeux, de l′air d′une personne qui ne veut pas qu′on l′accuse d′indiscrétion, d′autant plus qu′il avait eu probablement des reproches de Morel pour des choses qu′il avait dites et que celui-ci, froussard autant que vaniteux, et reniant M. de Charlus aussi volontiers qu′il se parait de lui, avait cru graves quoique en réalité insignifiantes. « Vous savez que je ne sais rien de ce qu′il fait. » Si des conversations de deux personnes qui ont entre elles une liaison sont pleines de mensonges, ceux-ci ne naissent pas moins naturellement dans les conversations qu′un tiers a avec un amant au sujet de la personne que ce dernier aime, quel que soit, d′ailleurs, le sexe de cette personne. “So this is how you prowl the streets at night, Brichot, with a good-looking young man,” he said as he joined us, while the disappointed ruffian made off. “A fine example. We must tell your young pupils at the Sorbonne that this is how you behave. But, I must say, the society of youth seems to be good for you, Monsieur le Professeur, you are as fresh as a rosebud. I have interrupted you, you looked as though you were enjoying yourselves like a pair of giddy girls, and had no need of an old Granny Killjoy like myself. I shan′t take it to the confessional, since you are almost at your destination.” The Baron′s mood was all the more blithe since he knew nothing whatever about the scene that afternoon, Jupien having decided that it was better to protect his niece against a repetition of the onslaught than to inform M. de Charlus. And so the Baron was still looking forward to the marriage, and delighting in the thought of it. One would suppose that it is a consolation to these great solitaries to give their tragic celibacy the relief of a fictitious fatherhood. “But, upon my word, Brichot,” he went on, turning with a laugh to gaze at us, “I feel quite awkward when I see you in such gallant company. You were like a pair of lovers. Going along arm in arm, I say, Brichot, you do go the pace!” Ought one to ascribe this speech to the senility of a particular state of mind, less capable than in the past of controlling its reflexes, which in moments of automatism lets out a secret that has been so carefully hidden for forty years? Or rather to that contempt for plebeian opinion which all the Guermantes felt in their hearts, and of which M. de Charlus′s brother, the Duke, was displaying a variant form when, regardless of the fact that my mother could see him, he used to shave standing by his bedroom window in his unbuttoned nightshirt. Had M. de Charlus contracted, during the roasting journeys between Doncières and Douville, the dangerous habit of making himself at ease, and, just as he would push back his straw hat in order to cool his huge forehead, of unfastening — at first, for a few moments only — the mask that for too long had been rigorously imposed upon his true face? His conjugal attitude towards Morel might well have astonished anyone who had observed it in its full extent. But M. de Charlus had reached the stage when the monotony of the pleasures that his vice has to offer became wearying. He had sought instinctively for novel displays, and, growing tired of the strangers whom he picked up, had passed to the opposite pole, to what he used to imagine that he would always loathe, the imitation of family life, or of fatherhood. Sometimes even this did not suffice him, he required novelty, and would go and spend the night with a woman, just as a normal man may, once in his life, have wished to go to bed with a boy, from a curiosity similar though inverse, and in either case equally unhealthy. The Baron′s existence as one of the ‘faithful,′ living, for Charlie′s sake, entirely among the little clan, had had, in stultifying the efforts that he had been making for years to keep up lying appearances, the same influence that a voyage of exploration or residence in the colonies has upon certain Europeans who discard the ruling principles by which they were guided at home. And yet, the internal revolution of a mind, ignorant at first of the anomaly contained in its body, then appalled at it after the discovery, and finally growing so used to it as to fail to perceive that it is not safe to confess to other people what the sinner has come in time to confess without shame to himself, had been even more effective in liberating M. de Charlus from the last vestiges of social constraint than the time that he spent at the Verdurins′. No banishment, indeed, to the South Pole, or to the summit of Mont Blanc, can separate us so entirely from our fellow creatures as a prolonged residence in the seclusion of a secret vice, that is to say of a state of mind that is different from theirs. A vice (so M. de Charlus used at one time to style it) to which the Baron now gave the genial aspect of a mere failing, extremely common, attractive on the whole and almost amusing, like laziness, absent-mindedness or greed. Conscious of the curiosity that his own striking personality aroused, M. de Charlus derived a certain pleasure from satisfying, whetting, sustaining it. Just as a Jewish journalist will come forward day after day as the champion of Catholicism, not, probably, with any hope of being taken seriously, but simply in order not to disappoint the good-natured amusement of his readers, M. de Charlus would genially denounce evil habits among the little clan, as he would have mimicked a person speaking English or imitated Mounet-Sully, without waiting to be asked, so as to pay his scot with a good grace, by displaying an amateur talent in society; so that M. de Charlus now threatened Brichot that he would report to the Sorbonne that he was in the habit of walking about with young men, exactly as the circumcised scribe keeps referring in and out of season to the ‘Eldest Daughter of the Church′ and the ‘Sacred Heart of Jesus,′ that is to say without the least trace of hypocrisy, but with a distinctly histrionic effect. It was not only the change in the words themselves, so different from those that he allowed himself to use in the past, that seemed to require some explanation, there was also the change that had occurred in his intonations, his gestures, all of which now singularly resembled the type M. de Charlus used most fiercely to castigate; he would now utter unconsciously almost the same little cries (unconscious in him, and all the more deep-rooted) as are uttered consciously by the inverts who refer to one another as ‘she′; as though this deliberate ‘camping,′ against which M. de Charlus had for so long set his face, were after all merely a brilliant and faithful imitation of the manner that men of the Charlus type, whatever they may say, are compelled to adopt when they have reached a certain stage in their malady, just as sufferers from general paralysis or locomotor ataxia inevitably end by displaying certain symptoms. As a matter of fact — and this is what this purely unconscious ‘camping′ revealed — the difference between the stern Charlus, dressed all in black, with his stiffly brushed hair, whom I had known, and the painted young men, loaded with rings, was no more than the purely imaginary difference that exists between an excited person who talks fast, keeps moving all the time, and a neurotic who talks slowly, preserves a perpetual phlegm, but is tainted with the same neurasthenia in the eyes of the physician who knows that each of the two is devoured by the same anguish and marred by the same defects. At the same time one could tell that M. de Charlus had aged from wholly different signs, such as the extraordinary frequency in his conversation of certain expressions that had taken root in it and used now to crop up at every moment (for instance: ‘the chain of circumstances′) upon which the Baron′s speech leaned in sentence after sentence as upon a necessary prop. “Is Charlie here yet?” Brichot asked M. de Charlus as we came in sight of the door. “Oh, I don′t know,” said the Baron, raising his arms and half-shutting his eyes with the air of a person who does not wish anyone to accuse him of being indiscreet, all the more so as he had probably been reproached by Morel for things which he had said and which the other, as timorous as he was vain, and as ready to deny M. de Charlus as he was to boast of his friendship, had considered serious albeit they were quite unimportant. “You know, he never tells me what he′s going to do.” If the conversations of two people bound by a tie of intimacy are full of falsehood, this occurs no less spontaneously in the conversations that a third person holds with a lover on the subject of the person with whom the latter is in love, whatever be the sex of that person.
« Il y a longtemps que vous l′avez vu ? » demandai-je à M. de Charlus, pour avoir l′air à la fois de ne pas craindre de lui parler de Morel et de ne pas croire qu′il vivait complètement avec lui. « Il est venu par hasard cinq minutes ce matin, pendant que j′étais encore à demi endormi, s′asseoir sur le coin de mon lit, comme s′il voulait me violer. » J′eus aussitôt l′idée que M. de Charlus avait vu Charlie il y a une heure, car quand on demande à une maîtresse quand elle a vu l′homme qu′on sait — et qu′elle suppose peut-être qu′on croit — être son amant, si elle a goûté avec lui, elle répond : « Je l′ai vu un instant avant déjeuner. » Entre ces deux faits la seule différence est que l′un est mensonger et l′autre vrai, mais l′un est aussi innocent, ou, si l′on préfère, aussi coupable. Aussi ne comprendrait-on pas pourquoi la maîtresse (et ici M. de Charlus) choisit toujours le fait mensonger, si l′on ne savait pas que les réponses sont déterminées, à l′insu de la personne qui les fait, par un nombre de facteurs qui semble en disproportion telle avec la minceur du fait qu′on s′excuse d′en faire état. Mais pour un physicien la place qu′occupe la plus petite balle de sureau s′explique par la concordance d′action, le conflit ou l′équilibre, de lois d′attraction ou de répulsion qui gouvernent des mondes bien plus grands. Ne mentionnons ici que pour mémoire le désir de paraître naturel et hardi, le geste instinctif de cacher un rendez-vous secret, un mélange de pudeur et d′ostentation, le besoin de confesser ce qui vous est si agréable et de montrer qu′on est aimé, une pénétration de ce que sait ou suppose — et ne dit pas — l′interlocuteur, pénétration qui, allant au delà ou en deçà de la sienne, le fait tantôt sur- et tantôt sous-estimer le désir involontaire de jouer avec le feu et la volonté de faire la part du feu. Tout autant de lois différentes, agissant en sens contraire, dictent les réponses plus générales touchant l′innocence, le « platonisme », ou, au contraire, la réalité charnelle des relations qu′on a avec la personne qu′on dit avoir vue le matin quand on l′a vue le soir. Toutefois, d′une façon générale, disons que M. de Charlus, malgré l′aggravation de son mal qui le poussait perpétuellement à révéler, à insinuer, parfois tout simplement à inventer des détails compromettants, cherchait, pendant cette période de sa vie, à affirmer que Charlie n′était pas de la même sorte d′homme que lui, Charlus, et qu′il n′existait entre eux que de l′amitié. Cela n′empêchait pas (et bien que ce fût peut-être vrai) que parfois il se contredît (comme pour l′heure où il l′avait vu en dernier lieu), soit qu′il dît alors, en s′oubliant, la vérité, ou proférât un mensonge, pour se vanter, ou par sentimentalisme, ou trouvant spirituel d′égarer l′interlocuteur. « Vous savez qu′il est pour moi, continua le baron, un bon petit camarade, pour qui j′ai la plus grande affection, comme je suis sûr (en doutait-il donc, qu′il éprouvât le besoin de dire qu′il en était sûr ?) qu′il a pour moi, mais il n′y a entre nous rien d′autre, pas ça, vous entendez bien, pas ça, dit le baron aussi naturellement que s′il avait parlé d′une femme. Oui, il est venu ce matin me tirer par les pieds. Il sait pourtant que je déteste qu′on me voie couché. Pas vous ? Oh ! c′est une horreur, ça dérange, on est laid à faire peur, je sais bien que je n′ai plus vingt-cinq ans et je ne pose pas pour la rosière, mais on garde sa petite coquetterie tout de même. » “Have you seen him lately?” I asked M. de Charlus, with the object of seeming at once not to be afraid of mentioning Morel to him and not to believe that they were actually living together. “He came in, as it happened, for five minutes this morning while I was still half asleep, and sat down on the side of my bed, as though he wanted to ravish me.” I guessed at once that M. de Charlus had seen Charlie within the last hour, for if we ask a woman when she last saw the man whom we know to be — and whom she may perhaps suppose that we suspect of being — her lover, if she has just taken tea with him, she replies: “I saw him for an instant before luncheon.” Between these two incidents the only difference is that one is false and the other true, but both are equally innocent, or, if you prefer it, equally culpable. And so we should be unable to understand why the mistress (in this case, M. de Charlus) always chooses the false version, did we not know that such replies are determined, unknown to the person who utters them, by a number of factors which appear so out of proportion to the triviality of the incident that we do not take the trouble to consider them. But to a physicist the space occupied by the tiniest ball of pith is explained by the harmony of action, the conflict or equilibrium, of laws of attraction or repulsion which govern far greater worlds. Just as many different laws acting in opposite directions dictate the more general responses with regard to the innocence, the ‘platonism,′ or on the contrary the carnal reality of the relations that one has with the person whom one says one saw in the morning when one has seen him or her in the evening. Here we need merely record, without pausing to consider them, the desire to appear natural and fearless, the instinctive impulse to conceal a secret assignation, a blend of modesty and ostentation, the need to confess what one finds so delightful and to shew that one is loved, a divination of what the other person knows or guesses — but does not say — a divination which, exceeding or falling short of the other person′s, makes one now exaggerate, now under-estimate it, the spontaneous longing to play with fire and the determination to rescue something from the blaze. At the same time, speaking generally, let us say that M. de Charlus, notwithstanding the aggravation of his malady which perpetually urged him to reveal, to insinuate, sometimes boldly to invent compromising details, did intend, during this period in his life, to make it known that Charlie was not a man of the same sort as himself and that they were friends and nothing more. This did not prevent him (even though it may quite possibly have been true) from contradicting himself at times (as with regard to the hour at which they had last met), whether he forgot himself at such moments and told the truth, or invented a lie, boastingly or from a sentimental affectation or because he thought it amusing to baffle his questioner. “You know that he is to me,” the Baron went on, “the best of comrades, for whom I have the greatest affection, as I am certain” (was he uncertain of it, then, that he felt the need to say that he was certain?) “he has for me, but there is nothing at all between us, nothing of that sort, you understand, nothing of that sort,” said the Baron, as naturally as though he had been speaking of a woman. “Yes, he came in this morning to pull me out of bed. Though he knows that I hate anybody to see me in bed. You don′t mind? Oh, it′s horrible, it′s so disturbing, one looks so perfectly hideous, of course I′m no longer five-and-twenty, they won′t choose me to be Queen of the May, still one does like to feel that one is looking one′s best.”
Il est possible que le baron fût sincère quand il parlait de Morel comme d′un bon petit camarade, et qu′il dît la vérité plus encore qu′il ne croyait en disant : « Je ne sais pas ce qu′il fait, je ne connais pas sa vie. » It is possible that the Baron was in earnest when he spoke of Morel as a good comrade, and that he was being even more truthful than he supposed when he said: “I never know what he′s doing; he tells me nothing about his life.”
En effet, disons (en interrompant pendant quelques instants ce récit, que nous reprendrons aussitôt après cette parenthèse que nous ouvrons au moment où M. de Charlus, Brichot et moi nous nous dirigeons vers la demeure de Mme Verdurin), disons que, peu de temps avant cette soirée, le baron fut plongé dans la douleur et dans la stupéfaction par une lettre qu′il ouvrit par mégarde et qui était adressée à Morel. Cette lettre, laquelle devait, par contre-coup, me causer de cruels chagrins, était écrite par l′actrice Léa, célèbre pour le goût exclusif qu′elle avait pour les femmes. Or sa lettre à Morel (que M. de Charlus ne soupçonnait même pas la connaître) était écrite sur le ton le plus passionné. Sa grossièreté empêche qu′elle soit reproduite ici, mais on peut mentionner que Léa ne lui parlait qu′au féminin en lui disant : « grande sale, va ! », « ma belle chérie, toi tu en es au moins, etc. ». Et dans cette lettre il était question de plusieurs autres femmes qui ne semblaient pas être moins amies de Morel que de Léa. D′autre part, la moquerie de Morel à l′égard de M. de Charlus, et de Léa à l′égard d′un officier qui l′entretenait et dont elle disait : « Il me supplie dans ses lettres d′être sage ! Tu parles ! mon petit chat blanc », ne révélait pas à M. de Charlus une réalité moins insoupçonnée de lui que n′étaient les rapports si particuliers de Morel avec Léa. Le baron était surtout troublé par ces mots « en être ». Après l′avoir d′abord ignoré, il avait enfin, depuis un temps bien long déjà, appris que lui-même « en était ». Or voici que cette notion qu′il avait acquise se trouvait remise en question. Quand il avait découvert qu′il « en était » il avait cru par là apprendre que son goût, comme dit Saint-Simon, n′était pas celui des femmes. Or voici que, pour Morel, cette expression « en être » prenait une extension que M. de Charlus n′avait pas connue, tant et si bien que Morel prouvait, d′après cette lettre, qu′il « en était » en ayant le même goût que des femmes pour des femmes mêmes. Dès lors la jalousie de M. de Charlus n′avait plus de raison de se borner aux hommes que Morel connaissait, mais allait s′étendre aux femmes elles-mêmes. Ainsi les êtres qui « en étaient » n′étaient pas seulement ceux qu′il avait crus, mais toute une immense partie de la planète, composée aussi bien de femmes que d′hommes, aimant non seulement les hommes mais les femmes, et le baron, devant la signification nouvelle d′un mot qui lui était si familier, se sentait torturé par une inquiétude de l′intelligence autant que du cœur, née de ce double mystère, où il y avait à la fois de l′agrandissement de sa jalousie et de l′insuffisance soudaine d′une définition. Indeed we may mention (interrupting for a few moments our narrative, which shall be resumed immediately after the closure of this parenthesis which opens at the moment when M. de Charlus, Brichot and myself are arriving at Mme. Verdurin′s front door), we may mention that shortly before this evening the Baron had been plunged in grief and stupefaction by a letter which he had opened by mistake and which was addressed to Morel. This letter, which by a repercussion was to cause intense misery to myself also, was written by the actress Léa, notorious for her exclusive interest in women. And yet her letter to Morel (whom M. de Charlus had never suspected of knowing her, even) was written in the most impassioned tone. Its indelicacy prevents us from reproducing it here, but we may mention that Léa addressed him throughout in the feminine gender, with such expressions as: “Go on, you bad woman!” or “Of course you are so, my pretty, you know you are.” And in this letter reference was made to various other women who seemed to be no less Morel′s friends than Léa′s. On the other hand, Morel′s sarcasm at the Baron′s expense and Léa′s at that of an officer who was keeping her, and of whom she said: “He keeps writing me letters begging me to be careful! What do you say to that, my little white puss,” revealed to M. de Charlus a state of things no less unsuspected by him than were Morel′s peculiar and intimate relations with Léa. What most disturbed the Baron was the word ‘so.′ Ignorant at first of its application, he had eventually, at a time already remote in the past, learned that he himself was ‘so.′ And now the notion that he had acquired of this word was again put to the challenge. When he had discovered that he was ‘so,′ he had supposed this to mean that his tastes, as Saint-Simon says, did not lie in the direction of women. And here was this word ‘so′ applied to Morel with an extension of meaning of which M. de Charlus was unaware, so much so that Morel gave proof, according to this letter, of his being ‘so′ by having the same taste as certain women for other women. From that moment the Baron′s jealousy had no longer any reason to confine itself to the men of Morel′s acquaintance, but began to extend to the women also. So that the people who were ‘so′ were not merely those that he had supposed to be ‘so,′ but a whole and vast section of the inhabitants of the planet, consisting of women as well as of men, loving not merely men but women also, and the Baron, in the face of this novel meaning of a word that was so familiar to him, felt himself tormented by an anxiety of the mind as well as of the heart, born of this twofold mystery which combined an extension of the field of his jealousy with the sudden inadequacy of a definition.
M. de Charlus n′avait jamais été, dans la vie, qu′un amateur. C′est dire que des incidents de ce genre ne pouvaient lui être d′aucune utilité. Il faisait dériver l′impression pénible qu′il en pouvait ressentir, en scènes violentes où il savait être éloquent, ou en intrigues sournoises. Mais pour un être de la valeur d′un Bergotte, par exemple, ils eussent pu être précieux. C′est même peut-être ce qui explique en partie (puisque nous agissons à l′aveuglette, mais en choisissant comme les bêtes la plante qui nous est favorable) que des êtres comme Bergotte aient vécu généralement dans la compagnie de personnes médiocres, fausses et méchantes. La beauté de celles-ci suffit à l′imagination de l′écrivain, exalte sa bonté, mais ne transforme en rien la nature de sa compagne, dont, par éclairs, la vie située des milliers de mètres au-dessous, les relations invraisemblables, les mensonges poussés au delà et surtout dans une direction différente de ce qu′on aurait pu croire, apparaissent de temps à autre. Le mensonge, le mensonge parfait, sur les gens que nous connaissons, sur les relations que nous avons eues avec eux, sur notre mobile dans telle action formulé par nous d′une façon toute différente, le mensonge sur ce que nous sommes, sur ce que nous aimons, sur ce que nous éprouvons à l′égard de l′être qui nous aime, et qui croit nous avoir façonné semblable à lui parce qu′il nous embrasse toute la journée, ce mensonge-là est une des seules choses au monde qui puisse nous ouvrir des perspectives sur du nouveau, sur de l′inconnu, qui puisse éveiller en nous des sens endormis pour la contemplation d′univers que nous n′aurions jamais connus. Il faut dire, pour ce qui concerne M. de Charlus, que, s′il fut stupéfait d′apprendre, relativement à Morel, un certain nombre de choses que celui-ci lui avait soigneusement cachées, il eut tort d′en conclure que c′est une erreur de se lier avec des gens du peuple. On verra, en effet, dans le dernier volume de cet ouvrage, M. de Charlus lui-même en train de faire des choses qui eussent encore plus stupéfié les personnes de sa famille et de ses amis, que n′avait pu faire pour lui la vie révélée par Léa. (La révélation qui lui avait été le plus pénible avait été celle d′un voyage que Morel avait fait avec Léa, alors qu′il avait assuré à M. de Charlus qu′il était en ce moment-là à étudier la musique en Allemagne. Il s′était servi, pour échafauder son mensonge, de personnes bénévoles à qui il avait envoyé ses lettres en Allemagne, d′où on les réexpédiait à M. de Charlus qui, d′ailleurs, était tellement convaincu que Morel y était qu′il n′eût même pas regardé le timbre de la poste.) Mais il est temps de rattraper le baron qui s′avance, avec Brichot et moi, vers la porte des Verdurin. M. de Charlus had never in his life been anything but an amateur. That is to say, incidents of this sort could never be of any use to him. He worked off the painful impression that they might make upon him in violent scenes in which he was a past-master of eloquence, or in crafty intrigues. But to a person endowed with the qualities of a Bergotte, for instance, they might have been of inestimable value. This may indeed explain, to a certain extent (since we have to grope blindfold, but choose, like the lower animals, the herb that is good for us), why men like Bergotte have generally lived in the company of persons who were ordinary, false and malicious. Their beauty is sufficient for the writer′s imagination, enhances his generosity, but does not in any way alter the nature of his companion, whose life, situated thousands of feet below the level of his own, her incredible stories, her lies carried farther, and, what is more, in another direction than what might have been expected, appear in occasional flashes. The lie, the perfect lie, about people whom we know, about the relations that we have had with them, about our motive for some action, a motive which we express in totally different terms, the lie as to what we are, whom we love, what we feel with regard to the person who loves us and believes that she has fashioned us in her own image because she keeps on kissing us morning, noon and night, that lie is one of the only things in the world that can open a window for us upon what is novel, unknown, that can awaken in us sleeping senses to the contemplation of universes that otherwise we should never have known. We are bound to say, in so far as M. de Charlus is concerned, that, if he was stupefied to learn with regard to Morel a certain number of things which the latter had carefully concealed from him, he was not justified in concluding from this that it was a mistake to associate too closely with the lower orders. We shall indeed see, in the concluding section of this work, M. de Charlus himself engaged in doing things which would have stupefied the members of his family and his friends far more than he could possibly have been stupefied by the revelations of Léa. (The revelation that he had found most painful had been that of a tour which Morel had made with Léa, whereas at the time he had assured M. de Charlus that he was studying music in Germany. He had found support for this falsehood in obliging friends in Germany to whom he had sent his letters, to be forwarded from there to M. de Charlus, who, as it happened, was so positive that Morel was there that he had not even looked at the postmark.) But it is time to rejoin the Baron as he advances with Brichot and myself towards the Verdurins′ door.
« Et qu′est devenu, ajouta-t-il en se tournant vers moi, votre jeune ami hébreu que nous voyions à Doville ? J′avais pensé que si cela vous faisait plaisir on pourrait peut-être l′inviter un soir. » En effet, M. de Charlus, se contentant de faire espionner sans vergogne les faits et les gestes de Morel par une agence policière, absolument comme un mari ou un amant, ne laissait pas de faire attention aux autres jeunes gens. La surveillance qu′il chargeait un vieux domestique de faire exercer par une agence sur Morel était si peu discrète, que les valets de pied se croyaient filés et qu′une femme de chambre ne vivait plus, n′osait plus sortir dans la rue, croyant toujours avoir un policier à ses trousses. « Elle peut bien faire ce qu′elle veut ! On irait perdre son temps et son argent à la pister ! Comme si sa conduite nous intéressait en quelque chose ! » s′écriait ironiquement le vieux serviteur, car il était si passionnément attaché à son maître que, bien que ne partageant nullement les goûts du baron, il finissait, tant il mettait de chaleureuse ardeur à les servir, par en parler comme s′ils étaient siens. « C′est la crème des braves gens », disait de ce vieux serviteur M. de Charlus, car on n′apprécie jamais personne autant que ceux qui joignent à de grandes vertus celle de les mettre sans compter à la disposition de nos vices. C′était, d′ailleurs, des hommes seulement que M. de Charlus était capable d′éprouver de la jalousie en ce qui concernait Morel. Les femmes ne lui en inspiraient aucune. C′est d′ailleurs la règle presque générale pour les Charlus. L′amour de l′homme qu′ils aiment pour une femme est quelque chose d′autre, qui se passe dans une autre espèce animale (le lion laisse les tigres tranquilles), ne les gêne pas et les rassure plutôt. Quelquefois, il est vrai, chez ceux qui font de l′inversion un sacerdoce, cet amour les dégoûte. Ils en veulent alors à leur ami de s′y être livré, non comme d′une trahison, mais comme d′une déchéance. Un Charlus, autre que n′était le baron, eût été indigné de voir Morel avoir des relations avec une femme, comme il l′eût été de lire sur une affiche que lui, l′interprète de Bach et de Haendel, allait jouer du Puccini. C′est, d′ailleurs, pour cela que les jeunes gens qui, par intérêt, condescendent à l′amour des Charlus leur affirment que les femmes ne leur inspirent que du dégoût, comme ils diraient au médecin qu′ils ne prennent jamais d′alcool et n′aiment que l′eau de source. Mais M. de Charlus, sur ce point, s′écartait un peu de la règle habituelle. Admirant tout chez Morel, ses succès féminins ne lui portaient pas ombrage, lui causaient une même joie que ses succès au concert ou à l′écarté. « Mais, mon cher, vous savez, il fait des femmes », disait-il d′un air de révélation, de scandale, peut-être d′envie, surtout d′admiration. « Il est extraordinaire, ajoutait-il. Partout les putains les plus en vue n′ont d′yeux que pour lui. On le remarque partout, aussi bien dans le métro qu′au théâtre. C′en est embêtant ! Je ne peux pas aller avec lui au restaurant sans que le garçon lui apporte les billets doux d′au moins trois femmes. Et toujours des jolies encore. Du reste, ça n′est pas extraordinaire. Je le regardais hier, je le comprends, il est devenu d′une beauté, il a l′air d′une espèce de Bronzino, il est vraiment admirable. » Mais si M. de Charlus aimait à montrer qu′il aimait Morel, il aimait à persuader les autres, peut-être à se persuader lui-même, qu′il en était aimé. Il mettait à l′avoir tout le temps auprès de lui (et malgré le tort que ce petit jeune homme pouvait faire à la situation mondaine du baron) une sorte d′amour-propre. Car (et le cas est fréquent des hommes bien posés et snobs, qui, par vanité, brisent toutes leurs relations pour être vus partout avec une maîtresse, demi-mondaine ou dame tarée, qu′on ne reçoit pas, et avec laquelle pourtant il leur semble flatteur d′être lié) il était arrivé à ce point où l′amour-propre met toute sa persévérance à détruire les buts qu′il a atteints, soit que, sous l′influence de l′amour, on trouve un prestige, qu′on est seul à percevoir, à des relations ostentatoires avec ce qu′on aime, soit que, par le fléchissement des ambitions mondaines atteintes et la marée montante des curiosités ancillaires, d′autant plus absorbantes qu′elles sont plus platoniques, celles-ci n′eussent pas seulement atteint mais dépassé le niveau où avaient peine à se maintenir les autres. “And what,” he went on, turning to myself, “has become of your young Hebrew friend, whom we met at Douville? It occurred to me that, if you liked, one might perhaps invite him to the house one evening.” For M. de Charlus, who did not shrink from employing a private detective to spy upon every word and action of Morel, for all the world like a husband or a lover, had not ceased to pay attention to other young men. The vigilance which he made one of his old servants maintain, through an agency, upon Morel, was so indiscreet that his footmen thought they were being watched, and one of the housemaids could not endure the suspense, never ventured into the street, always expecting to find a policeman at her heels. “She can do whatever she likes! It would be a waste of time and money to follow her! As if her goings on mattered to us!” the old servant ironically exclaimed, for he was so passionately devoted to his master that, albeit he in no way shared the Baron′s tastes, he had come in time, with such ardour did he employ himself in their service, to speak of them as though they were his own. “He is the very best of good fellows,” M. de Charlus would say of this old servant, for we never appreciate anyone so much as those who combine with other great virtues that of placing themselves unconditionally at the disposal of our vices. It was moreover of men alone that M. de Charlus was capable of feeling any jealousy so far as Morel was concerned. Women inspired in him no jealousy whatever. This is indeed an almost universal rule with the Charlus type. The love of the man with whom they are in love for women is something different, which occurs in another animal species (a lion does not interfere with tigers); does not distress them; if anything, reassures them. Sometimes, it is true, in the case of those who exalt their inversion to the level of a priesthood, this love creates disgust. These men resent their friends′ having succumbed to it, not as a betrayal but as a lapse from virtue. A Charlus, of a different variety from the Baron, would have been as indignant at the discovery of Morel′s relations with a woman as upon reading in a newspaper that he, the interpreter of Bach and Handel, was going to play Puccini. It is, by the way, for this reason that the young men who, with an eye to their own personal advantage, condescend to the love of men like Charlus, assure them that women inspire them only with disgust, just as they would tell a doctor that they never touch alcohol, and care only for spring water. But M. de Charlus, in this respect, departed to some extent from the general rule. Since he admired everything about Morel, the latter′s successes with women caused him no annoyance, gave him the same joy as his successes on the platform, or at écarté. “But do you know, my dear fellow, he has women,” he would say, with an air of disclosure, of scandal, possibly of envy, above all of admiration. “He is extraordinary,” he would continue. “Everywhere, the most famous whores can look at nobody but him. They stare at him everywhere, whether, it′s on the underground or in the theatre. It′s becoming a nuisance! I can′t go out with him to a restaurant without the waiter bringing him notes from at least three women. And always pretty women too. Not that there′s anything surprising in that. I was watching him yesterday, I can quite understand it, he has become so beautiful, he looks just like a Bronzino, he is really marvellous.” But M. de Charlus liked to shew that he was in love with Morel, to persuade other people, possibly to persuade himself, that Morel was in love with him. He applied to the purpose of having Morel always with him (notwithstanding the harm that the young fellow might do to the Baron′s social position) a sort of self-esteem. For (and this is frequent among men of good position, who are snobs, and, in their vanity, sever all their social ties in order to be seen everywhere with a mistress, a person of doubtful or a lady of tarnished reputation, whom nobody will invite, and with whom nevertheless it seems to them flattering to be associated) he had arrived at that stage at which self-esteem devotes all its energy to destroying the goals to which it has attained, whether because, under the influence of love, a man finds a prestige which he is alone in perceiving in ostentatious relations with the beloved object, or because, by the waning of social ambitions that have been gratified, and the rising of a tide of subsidiary curiosities all the more absorbing the more platonic they are, the latter have not only reached but have passed the level at which the former found it difficult to remain.
Quant aux autres jeunes gens, M. de Charlus trouvait qu′à son goût pour eux l′existence de Morel n′était pas un obstacle, et que même sa réputation éclatante de violoniste ou sa notoriété naissante de compositeur et de journaliste pourrait, dans certains cas, leur être un appât. Présentait-on au baron un jeune compositeur de tournure agréable, c′était dans les talents de Morel qu′il cherchait l′occasion de faire une politesse au nouveau venu. « Vous devriez, lui disait-il, m′apporter de vos compositions pour que Morel les joue au concert ou en tournée. Il y a si peu de musique agréable écrite pour le violon ! C′est une aubaine que d′en trouver de nouvelle. Et les étrangers apprécient beaucoup cela. Même en province il y a des petits cercles musicaux où on aime la musique avec une ferveur et une intelligence admirables. » Sans plus de sincérité (car tout cela ne servait que d′amorce et il était rare que Morel se prêtât à des réalisations), comme Bloch avait avoué qu′il était un peu poète, « à ses heures », avait-il ajouté, avec le rire sarcastique dont il accompagnait une banalité quand il ne pouvait pas trouver une parole originale, M. de Charlus me dit : « Dites donc à ce jeune Israélite, puisqu′il fait des vers, qu′il devrait bien m′en apporter pour Morel. Pour un compositeur c′est toujours l′écueil, trouver quelque chose de joli à mettre en musique. On pourrait même penser à un livret. Cela ne serait pas inintéressant et prendrait une certaine valeur à cause du mérite du poète, de ma protection, de tout un enchaînement de circonstances auxiliatrices, parmi lesquelles le talent de Morel tient la première place, car il compose beaucoup maintenant et il écrit aussi et très joliment, je vais vous en parler. Quant à son talent d′exécutant (là vous savez qu′il est tout à fait un maître déjà), vous allez voir ce soir comme ce gosse joue bien la musique de Vinteuil ; il me renverse ; à son âge, avoir une compréhension pareille tout en restant si gamin, si potache ! Oh ! ce n′est ce soir qu′une petite répétition. La grande machine doit avoir lieu dans quelques jours. Mais ce sera bien plus élégant aujourd′hui. Aussi nous sommes ravis que vous soyez venu, dit-il — en employant ce nous, sans doute parce que le Roi dit : nous voulons. À cause du magnifique programme, j′ai conseillé à Mme Verdurin d′avoir deux fêtes : l′une dans quelques jours, où elle aura toutes ses relations ; l′autre ce soir, où la Patronne est, comme on dit en termes de justice, dessaisie. C′est moi qui ai fait les invitations et j′ai convoqué quelques personnes d′un autre milieu, qui peuvent être utiles à Charlie et qu′il sera agréable pour les Verdurin de connaître. N′est-ce pas, c′est très bien de faire jouer les choses les plus belles avec les plus grands artistes, mais la manifestation reste étouffée comme dans du coton, si le public est composé de la mercière d′en face et de l′épicier du coin. Vous savez ce que je pense du niveau intellectuel des gens du monde, mais ils peuvent jouer certains rôles assez importants, entre autres le rôle dévolu pour les événements publics à la presse et qui est d′être un organe de divulgation. Vous comprenez ce que je veux dire ; j′ai, par exemple, invité ma belle-sœur Oriane ; il n′est pas certain qu′elle vienne, mais il est certain en revanche, si elle vient, qu′elle ne comprendra absolument rien. Mais on ne lui demande pas de comprendre, ce qui est au-dessus de ses moyens, mais de parler ce qui y est approprié admirablement et ce dont elle ne se fait pas faute. Conséquence : dès demain, au lieu du silence de la mercière et de l′épicier, conversation animée chez les Mortemart où Oriane raconte qu′elle a entendu des choses merveilleuses, qu′un certain Morel, etc., rage indescriptible des personnes non conviées qui diront : « Palamède avait sans doute jugé que nous étions indignes ; d′ailleurs, qu′est-ce que c′est que ces gens chez qui la chose se passait », contre-partie aussi utile que les louanges d′Oriane, parce que le nom de Morel revient tout le temps et finit par se graver dans la mémoire comme une leçon qu′on relit dix fois de suite. Tout cela forme un enchaînement de circonstances qui peut avoir son prix pour l′artiste, pour la maîtresse de maison, servir en quelque sorte de mégaphone à une manifestation qui sera ainsi rendue audible à un public lointain. Vraiment ça en vaut la peine ; vous verrez les progrès qu′a faits Charlie. Et, d′ailleurs, on lui a découvert un nouveau talent, mon cher, il écrit comme un ange. Comme un ange je vous dis. » M. de Charlus négligeait de dire que depuis quelque temps il faisait faire à Morel, comme ces grands seigneurs du xviie siècle qui dédaignaient de signer et même d′écrire leurs libelles, des petits entrefilets bassement calomniateurs et dirigés contre la comtesse Molé. Semblant déjà insolents à ceux qui les lisaient, combien étaient-ils plus cruels pour la jeune femme, qui retrouvait, si adroitement glissés que personne d′autre qu′elle n′y voyait goutte, des passages de lettres d′elle, textuellement cités, mais pris dans un sens où ils pouvaient l′affoler comme la plus cruelle vengeance. La jeune femme en mourut. Mais il se fait tous les jours à Paris, dirait Balzac, une sorte de journal parlé, plus terrible que l′autre. On verra plus tard que cette presse verbale réduisit à néant la puissance d′un Charlus devenu démodé et, bien au-dessus de lui, érigea un Morel qui ne valait pas la millionième partie de son ancien protecteur. Du moins cette mode intellectuelle est-elle naîµ¥ et croit-elle de bonne foi au néant d′un génial Charlus, à l′incontestable autorité d′un stupide Morel. Le baron était moins innocent dans ses vengeances implacables. De là sans doute ce venin amer de la bouche, dont l′envahissement semblait donner aux joues la jaunisse quand il était en colère. « Vous qui connaissiez Bergotte, reprit M. de Charlus, j′avais jadis pensé que vous auriez pu peut-être, en lui rafraîchissant la mémoire au sujet des proses du jouvenceau, collaborer en somme avec moi, m′aider à favoriser un talent double, de musicien et d′écrivain, qui peut un jour acquérir le prestige de celui de Berlioz. Vous savez, les Illustres ont souvent autre chose à penser, ils sont adulés, ils ne s′intéressent guère qu′à eux-mêmes. Mais Bergotte, qui était vraiment simple et serviable, m′avait promis de faire passer au Gaulois, ou je ne sais plus où, ces petites chroniques, moitié d′un humoriste et d′un musicien, qui sont maintenant très jolies, et je suis vraiment très content que Charlie ajoute à son violon ce petit brin de plume d′Ingres. Je sais bien que j′exagère facilement, quand il s′agit de lui, comme toutes les vieilles mamans-gâteau du Conservatoire. Comment, mon cher, vous ne le saviez pas ? Mais c′est que vous ne connaissez pas mon côté gobeur. Je fais le pied de grue pendant des heures à la porte des jurys d′examen. Je m′amuse comme une reine. Quant à la prose de Charlie, Bergotte m′avait assuré que c′était vraiment tout à fait très bien. » As for young men in general, M. de Charlus found that to his fondness for them Morel′s existence was not an obstacle, and that indeed his brilliant reputation as a violinist or his growing fame as a composer and journalist might in certain instances prove an attraction. Did anyone introduce to the Baron a young composer of an agreeable type, it was in Morel′s talents that he sought an opportunity of doing the stranger a favour. “You must,” he would tell him, “bring me some of your work so that Morel can play it at a concert or on tour. There is hardly any decent music written, now, for the violin. It is a godsend to find anything new. And abroad they appreciate that sort of thing enormously. Even in the provinces there are little musical societies where they love music with a fervour and intelligence that are quite admirable.” Without any greater sincerity (for all this could serve only as a bait and it was seldom that Morel condescended to fulfil these promises), Bloch having confessed that he was something of a poet (when he was ‘in the mood,′ he had added with the sarcastic laugh with which he would accompany a platitude, when he could think of nothing original), M. de Charlus said to me: “You must tell your young Israelite, since he writes verses, that he must really bring me some for Morel. For a composer, that is always the stumbling block, to find something decent to set to music. One might even consider a libretto. It would not be without interest, and would acquire a certain value from the distinction of the poet, from my patronage, from a whole chain of auxiliary circumstances, among which Morel′s talent would take the chief place, for he is composing a lot just now, and writing too, and very pleasantly, I must talk to you about it. As for his talent as a performer (there, as you know, he is already a past-master), you shall see this evening how well the lad plays Vinteuil′s music; he overwhelms me; at his age, to have such an understanding while he is still such a boy, such a kid! Oh, this evening is only to be a little rehearsal. The big affair is to come off in two or three days. But it will be much more distinguished this evening. And so we are delighted that you have come,” he went on, employing the plural pronoun doubtless because a King says: “It is our wish.” “The programme is so magnificent that I have advised Mme. Verdurin to give two parties. One in a few days′ time, at which she will have all her own friends, the other to-night at which the hostess is, to use a legal expression, ‘disseized.′ It is I who have issued the invitations, and I have collected a few people from another sphere, who may be useful to Charlie, and whom it will be nice for the Verdurins to meet. Don′t you agree, it is all very well to have the finest music played by the greatest artists, the effect of the performance remains muffled in cotton-wool, if the audience is composed of the milliner from across the way and the grocer from round the corner. You know what I think of the intellectual level of people in society, still they can play certain quite important parts, among others that which in public events devolves upon the press, and which is that of being an organ of publicity. You know what I mean; I have for instance invited my sister-in-law Oriane; it is not certain that she will come, but it is on the other hand certain that, if she does come, she will understand absolutely nothing. But one does not ask her to understand, which is beyond her capacity, but to talk, a task which is admirably suited to her, and which she never fails to perform. What is the result? To-morrow as ever is, instead of the silence of the milliner and the grocer, an animated conversation at the Mortemarts′ with Oriane telling everyone that she has heard the most marvellous music, that a certain Morel, and so forth; unspeakable rage of the people not invited, who will say: ‘Palamède thought, no doubt, that we were unworthy; anyhow, who are these people who were giving the party?′ a counterblast quite as useful as Oriane′s praises, because Morel′s name keeps cropping up all the time and is finally engraved in the memory like a lesson that one has read over a dozen times. All this forms a chain of circumstances which may be of value to the artist, to the hostess, may serve as a sort of megaphone for a performance which will thus be made audible to a remote public. Really, it is worth the trouble; you shall see what progress Charlie has made. And what is more, we have discovered a new talent in him, my dear fellow, he writes like an angel. Like an angel, I tell you.” M. de Charlus omitted to say that for some time past he had been employing Morel, like those great noblemen of the seventeenth century who scorned to sign and even to write their own slanderous attacks, to compose certain vilely calumnious little paragraphs at the expense of Comtesse Mole. Their insolence apparent even to those who merely glanced at them, how much more cruel were they to the young woman herself, who found in them, so skilfully introduced that nobody but herself saw the point, certain passages from her own correspondence, textually quoted, but interpreted in a sense which made them as deadly as the cruellest revenge. They killed the lady. But there is edited every day in Paris, Balzac would tell us, a sort of spoken newspaper, more terrible than its printed rivals. We shall see later on that this verbal press reduced to nothing the power of a Charlus who had fallen out of fashion, and exalted far above him a Morel who was not worth the millionth part of his former patron. Is this intellectual fashion really so simple, and does it sincerely believe in the nullity of a Charlus of genius, in the incontestable authority of a crass Morel? The Baron was not so innocent in his implacable vengeance. Whence, no doubt, that bitter venom on his tongue, the spreading of which seemed to dye his cheeks with jaundice when he was in a rage. “You who knew Bergotte,” M. de Charlus went on, “I thought at one time that you might, perhaps, by refreshing his memory with regard to the youngster′s writings, collaborate in short with myself, help me to assist a twofold talent, that of a musician and a writer, which may one day acquire the prestige of that of Berlioz. As you know, the Illustrious have often other things to think about, they are smothered in flattery, they take little interest except in themselves. But Bergotte, who was genuinely unpretentious and obliging, promised me that he would get into the Gaulois, or some such paper, those little articles, a blend of the humourist and the musician, which he really does quite charmingly now, and I am really very glad that Charlie should combine with his violin this little stroke of Ingres′s pen. I know that I am prone to exaggeration, when he is concerned, like all the old fairy godmothers of the Conservatoire. What, my dear fellow, didn′t you know that? You have never observed my little weakness. I pace up and down for hours on end outside the examination hall. I′m as happy as a queen. As for Charlie′s prose, Bergotte assured me that it was really very good indeed.”
M. de Charlus, qui l′avait connu depuis longtemps par Swann, était en effet allé voir Bergotte quelques jours avant sa mort et lui demander qu′il obtînt pour Morel d′écrire dans un journal des sortes de chroniques, en partie humoristiques, sur la musique. En y allant, M. de Charlus avait un certain remords, car grand admirateur de Bergotte, il s′était rendu compte qu′il n′allait jamais le voir pour lui-même, mais pour, grâce à la considération mi-intellectuelle, mi-sociale que Bergotte avait pour lui, pouvoir faire une grande politesse à Morel, ou à tel autre de ses amis. Qu′il ne se servît plus du monde que pour cela ne choquait pas M. de Charlus, mais de Bergotte cela lui avait paru plus mal, parce qu′il sentait que Bergotte n′était pas utilitaire comme les gens du monde et méritait mieux. Seulement sa vie était prise et il ne trouvait du temps de libre que quand il avait très envie d′une chose, par exemple si elle se rapportait à Morel. De plus, très intelligent, la conversation d′un homme intelligent lui était assez indifférente, surtout celle de Bergotte, qui était trop homme de lettres pour son goût et d′un autre clan, ne se plaçant pas à son point de vue. Quant à Bergotte, il s′était rendu compte de cet utilitarisme des visites de M. de Charlus, mais ne lui en avait pas voulu, car il était été toute sa vie incapable d′une bonté suivie, mais désireux de faire plaisir, compréhensif, insensible au plaisir de donner une leçon. Quant au vice de M. de Charlus, il ne l′avait partagé à aucun degré, mais y avait trouvé plutôt un élément de couleur dans le personnage, le « fas et nefas », pour un artiste, consistant non dans des exemples moraux, mais dans des souvenirs de Platon ou de Sodome. « Mais vous, belle jeunesse, on ne vous voit guère quai Conti. Vous n′en abusez pas ! » Je dis que je sortais surtout avec ma cousine. « Voyez-vous ça ! ça sort avec sa cousine, comme c′est pur ! » dit M. de Charlus à Brichot. Et s′adressant de nouveau à moi : « Mais nous ne vous demandons pas de comptes sur ce que vous faites, mon enfant. Vous êtes libre de faire tout ce qui vous amuse. Nous regrettons seulement de ne pas y avoir de part. Du reste, vous avez très bon goût, elle est charmante votre cousine, demandez à Brichot, il en avait la tête farcie à Doville. On la regrettera ce soir. Mais vous avez peut-être aussi bien fait de ne pas l′amener. C′est admirable, la musique de Vinteuil. Mais j′ai appris qu′il devait y avoir la fille de l′auteur et son amie, qui sont deux personnes d′une terrible réputation. C′est toujours embêtant pour une jeune fille. Elles seront là, à moins que ces deux demoiselles n′aient pas pu venir, car elles devaient sans faute être tout l′après-midi à une répétition d′études que Mme Verdurin donnait tantôt et où elle n′avait convié que les raseurs, la famille, les gens qu′il ne fallait pas avoir ce soir. Or tout à l′heure, avant le dîner, Charlie nous a dit que ce que nous appelons les deux demoiselles Vinteuil, absolument attendues, n′étaient pas venues. » Malgré l′affreuse douleur que j′avais à rapprocher subitement de l′effet, seul connu d′abord, la cause, enfin découverte, de l′envie d′Albertine de venir tantôt, la présence annoncée (mais que j′avais ignorée) de Mlle Vinteuil et de son amie, je gardai la liberté d′esprit de noter que M. de Charlus, qui nous avait dit, il y avait quelques minutes, n′avoir pas vu Charlie depuis le matin, confessait étourdiment l′avoir vu avant dîner. Ma souffrance devenait visible : « Mais qu′est-ce que vous avez ? me dit le baron, vous êtes vert ; allons, entrons, vous prenez froid, vous avez mauvaise mine. » Ce n′était pas mon doute relatif à la vertu d′Albertine que les paroles de M. de Charlus venaient d′éveiller en moi. Beaucoup d′autres y avaient déjà pénétré ; à chaque nouveau doute on croit que la mesure est comble, qu′on ne pourra pas le supporter, puis on lui trouve tout de même de la place, et une fois qu′il est introduit dans notre milieu vital, il y entre en concurrence avec tant de désirs de croire, avec tant de raisons d′oublier, qu′assez vite on s′en accommode, on finit par ne plus s′occuper de lui. Il reste seulement comme une douleur à demi guérie, une simple menace de souffrir et qui, envers du désir, de même ordre que lui, et comme lui devenu centre de nos pensées, irradie en elles, à des distances infinies, de subtiles tristesses, comme le désir des plaisirs d′une origine méconnaissable, partout où quelque chose peut s′associer à l′idée de celle que nous aimons. Mais la douleur se réveille quand un doute nouveau entre en nous ; on a beau se dire presque tout de suite : « Je m′arrangerai, il y aura un système pour ne pas souffrir, ça ne doit pas être vrai », pourtant il y a eu un premier instant où on a souffert comme si on croyait. Si nous n′avions que des membres, comme les jambes et les bras, la vie serait supportable ; malheureusement nous portons en nous ce petit organe que nous appelons cœur, lequel est sujet à certaines maladies au cours desquelles il est infiniment impressionnable pour tout ce qui concerne la vie d′une certaine personne et où un mensonge — cette chose inoffensive et au milieu de laquelle nous vivons si allégrement, qu′il soit fait par nous-même ou par les autres — venu de cette personne, donne à ce petit cœur, qu′on devrait pouvoir nous retirer chirurgicalement, des crises intolérables. Ne parlons pas du cerveau, car notre pensée a beau raisonner sans fin au cours de ces crises, elle ne les modifie pas plus que notre attention une rage de dents. Il est vrai que cette personne est coupable de nous avoir menti, car elle nous avait juré de nous dire toujours la vérité. Mais nous savons par nous-même, pour les autres, ce que valent les serments. Et nous avons voulu y ajouter foi quand ils venaient d′elle, qui avait justement tout intérêt à nous mentir et n′a pas été choisie par nous, d′autre part, pour ses vertus. Il est vrai que plus tard elle n′aurait presque plus besoin de nous mentir — justement quand le cœur sera devenu indifférent au mensonge — parce que nous ne nous intéresserons plus à sa vie. Nous le savons, et malgré cela nous sacrifions volontiers la nôtre, soit que nous nous tuions pour cette personne, soit que nous nous fassions condamner à mort en l′assassinant, soit simplement que nous dépensions en quelques soirées pour elle toute notre fortune, ce qui nous oblige à nous tuer ensuite parce que nous n′avons plus rien. D′ailleurs, si tranquille qu′on se croie quand on aime, on a toujours l′amour dans son cœur en état d′équilibre instable. Un rien suffit pour le mettre dans la position du bonheur ; on rayonne, on couvre de tendresses non point celle qu′on aime, mais ceux qui nous ont fait valoir à ses yeux, qui l′ont gardée contre toute tentation mauvaise ; on se croit tranquille, et il suffit d′un mot : « Gilberte ne viendra pas », « Mademoiselle Vinteuil est invitée », pour que tout le bonheur préparé vers lequel on s′élançait s′écroule, pour que le soleil se cache, pour que tourne la rose des vents et que se déchaîne la tempête intérieure à laquelle, un jour, on ne sera plus capable de résister. Ce jour-là, le jour où le cœur est devenu si fragile, des amis qui nous admirent souffrent que de tels néants, que certains êtres puissent nous faire du mal, nous faire mourir. Mais qu′y peuvent-ils ? Si un poète est mourant d′une pneumonie infectieuse, se figure-t-on ses amis expliquant au pneumocoque que ce poète a du talent et qu′il devrait le laisser guérir ? Le doute, en tant qu′il avait trait à Mlle Vinteuil, n′était pas absolument nouveau. Mais, même dans cette mesure, ma jalousie de l′après-midi, excitée par Léa et ses amies, l′avait aboli. Une fois ce danger du Trocadéro écarté, j′avais éprouvé, j′avais cru avoir reconquis à jamais une paix complète. Mais ce qui était surtout nouveau pour moi, c′était une certaine promenade où Andrée m′avait dit : « Nous sommes allées ici et là, nous n′avons rencontré personne », et où, au contraire, Mlle Vinteuil avait évidemment donné rendez-vous à Albertine chez Mme Verdurin. Maintenant j′eusse laissé volontiers Albertine sortir seule, aller partout où elle voudrait, pourvu que j′eusse pu chambrer quelque part Mlle Vinteuil et son amie et être certain qu′Albertine ne les vît pas. C′est que la jalousie est généralement partielle, à localisations intermittentes, soit parce qu′elle est le prolongement douloureux d′une anxiété qui est provoquée tantôt par une personne, tantôt par une autre que notre amie pourrait aimer, soit par l′exigueacute; de notre pensée, qui ne peut réaliser que ce qu′elle se représente et laisse le reste dans un vague dont on ne peut relativement souffrir. M. de Charlus, who had long been acquainted with Bergotte through Swann, had indeed gone to see him a few days before his death, to ask him to find an opening for Morel in some newspaper for a sort of commentary, half humorous, upon the music of the day. In doing so, M. de Charlus had felt some remorse, for, himself a great admirer of Bergotte, he was conscious that he never went to see him for his own sake, but in order, thanks to the respect, partly intellectual, partly social, that Bergotte felt for him, to be able to do a great service to Morel, or to some other of his friends. That he no longer made use of people in society for any other purpose did not shock M. de Charlus, but to treat Bergotte thus had appeared to him more offensive, for he felt that Bergotte had not the calculating nature of people in society, and deserved better treatment. Only, his was a busy life, and he could never find time for anything except when he was greatly interested in something, when, for instance, it affected Morel. What was more, as he was himself extremely intelligent, the conversation of an intelligent man left him comparatively cold, especially that of Bergotte who was too much the man of letters for his liking and belonged to another clan, did not share his point of view. As for Bergotte, he had observed the calculated motive of M. de Charlus′s visits, but had felt no resentment, for he had been incapable, throughout his life, of any consecutive generosity, but anxious to give pleasure, broadminded, insensitive to the pleasure of administering a rebuke. As for M. de Charlus′s vice, he had never partaken of it to the smallest extent, but had found in it rather an element of colour in the person affected, fas et nefas, for an artist, consisting not in moral examples but in memories of Plato or of Sodom. “But you, fair youth, we never see you at Quai Conti. You don′t abuse their hospitality!” I explained that I went out as a rule with my cousin. “Do you hear that! He goes out with his cousin! What a most particularly pure young man!” said M. de Charlus to Brichot. Then, turning again to myself: “But we are not asking you to give an account of your life, my boy. You are free to do anything that amuses you. We merely regret that we have no share in it. Besides, you shew very good taste, your cousin is charming, ask Brichot, she quite turned his head at Douville. We shall regret her absence this evening. But you did just as well, perhaps, not to bring her with you. Vinteuil′s music is delightful. But I have heard that we are to meet the composer′s daughter and her friend, who have a terrible reputation. That sort of thing is always awkward for a girl. They are sure to be there, unless the ladies have been detained in the country, for they were to have been present without fail all afternoon at a rehearsal which Mme. Verdurin was giving to-day, to which she had invited only the bores, her family, the people whom she could not very well have this evening. But a moment ago, before dinner, Charlie told us that the sisters Vinteuil, as we call them, for whom they were all waiting, never came.” Notwithstanding the intense pain that I had felt at the sudden association with its effect, of which alone I had been aware, of the cause, at length discovered, of Albertine′s anxiety to be there that afternoon, the presence publicly announced (but of which I had been ignorant) of Mlle. Vinteuil and her friend, my mind was still sufficiently detached to remark that M. de Charlus, who had told us, a few minutes earlier, that he had not seen Charlie since the morning, was now brazenly admitting that he had seen him before dinner. My pain became visible. “Why, what is the matter with you?” said the Baron. “You are quite green; come, let us go in, you will catch cold, you don′t look at all well.” It was not any doubt as to Albertine′s virtue that M. de Charlus′s words had awakened in me. Many other doubts had penetrated my mind already; at each fresh doubt we feel that the measure is heaped full, that we cannot cope with it, then we manage to find room for it all the same, and once it is introduced into our vital essence it enters into competition there with so many longings to believe, so many reasons to forget, that we speedily become accustomed to it, and end by ceasing to pay it any attention. There remains only, like a partly healed pain, the menace of possible suffering, which, the counterpart of desire, a feeling of the same order, and like it become the centre of our thoughts, radiates through them to an infinite circumference a wistful melancholy, as desire radiates pleasures whose origin we fail to perceive, wherever anything may suggest the idea of the person with whom we are in love. But pain revives as soon as a fresh doubt enters our mind complete; even if we assure ourself almost immediately: “I shall deal with this, there must be some method by which I need not suffer, it cannot be true,” nevertheless there has been a first moment in which we suffered as though we believed it. If we had merely members, such as legs and arms, life would be endurable; unfortunately we carry inside us that little organ which we call the heart, which is subject to certain maladies in the course of which it is infinitely impressionable by everything that concerns the life of a certain person, so that a lie — that most harmless of things, in the midst of which we live so unconcernedly, if the lie be told by ourselves or by strangers — coming from that person, causes the little heart, which surgeons ought really to be able to excise from us, intolerable anguish. Let us not speak of the brain, for our mind may go on reasoning interminably in the course of this ansuish, it does no more to mitigate it than by taking thought can we soothe an aching tooth. It is true that this person is to blame for having lied to us, for she had sworn to us that she would always tell us the truth. But we know from our own shortcomings, towards other people, how little an oath is worth. And we have deliberately believed them when they came from her, the very person to whose interest it has always been to lie to us, and whom, moreover, we did not select for her virtues. It is true that, later on, she would almost cease to have any need to lie to us — at the moment when our heart will have grown indifferent to her falsehood — because then we shall not feel any interest in her life. We know this, and, notwithstanding, we deliberately sacrifice our own lives, either by killing ourselves for her sake, or by letting ourselves be sentenced to death for having murdered her, or simply by spending, in the course of a few evenings, our whole fortune upon her, which will oblige us presently to commit suicide because we have not a penny in the world. Besides, however calm we may imagine ourselves when we are in love, we always have love in our heart in a state of unstable equilibrium. A trifle is sufficient to exalt it to the position of happiness, we radiate happiness, we smother in our affection not her whom we love, but those who have given us merit in her eyes, who have protected her from every evil temptation; we think that our mind is at ease, and a word is sufficient: ‘Gilberte is not coming,′ ‘Mademoiselle Vinteuil is expected,′ to make all the preconceived happiness towards which we were rising collapse, to make the sun hide his face, to open the bag of the winds and let loose the internal tempest which one day we shall be incapable of resisting. That day, the day upon which the heart has become so frail, our friends who respect us are pained that such trifles, that certain persons, can so affect us, can bring us to death′s door. But what are they to do? If a poet is dying of septic pneumonia, can one imagine his friends explaining to the pneumococcus that the poet is a man of talent and that it ought to let him recover? My doubt, in so far as it referred to Mlle. Vinteuil, was not entirely novel. But to a certain extent, my jealousy of the afternoon, inspired by Léa and her friends, had abolished it. Once that peril of the Trocadéro was removed, I had felt that I had recaptured for all time complete peace of mind. But what was entirely novel to me was a certain excursion as to which Andrée had told me: “We went to this place and that, we didn′t meet anyone,” and during which, on the contrary, Mlle. Vinteuil had evidently arranged to meet Albertine at Mme. Verdurin′s. At this moment I would gladly have allowed Albertine to go out by herself, to go wherever she might choose, provided that I might lock up Mlle. Vinteuil and her friend somewhere and be certain that Albertine would not meet them. The fact is that jealousy is, as a rule, partial, of intermittent application, whether because it is the painful extension of an anxiety which is provoked now by one person, now by another with whom our mistress may be in love, or because of the exiguity of our thought which is able to realise only what it can represent to itself and leaves everything else in an obscurity which can cause us only a proportionately modified anguish.
Au moment où nous allions sonner à la porte de l′hôtel, nous fûmes rattrapés par Saniette qui nous apprit que la princesse Sherbatoff était morte à six heures et nous dit qu′il ne nous avait pas reconnus tout de suite. « Je vous envisageais pourtant depuis un moment, nous dit-il d′une voix essoufflée. Est-ce pas curieux que j′aie hésité ? » « N′est-il pas curieux » lui eût semblé une faute et il devenait avec les formes anciennes du langage d′une exaspérante familiarité. « Vous êtes pourtant gens qu′on peut avouer pour ses amis. » Sa mine grisâtre semblait éclairée par le reflet plombé d′un orage. Son essoufflement, qui ne se produisait, cet été encore, que quand M. Verdurin l′« engueulait », était maintenant constant. « Je sais qu′une œuvre inédite de Vinteuil va être exécutée par d′excellents artistes, et singulièrement par Morel. — Pourquoi singulièrement ? » demanda le baron, qui vit dans cet adverbe une critique. « Notre ami Saniette, se hâta d′expliquer Brichot qui joua le rôle d′interprète, parle volontiers, en excellent lettré qu′il est, le langage d′un temps où « singulièrement » équivaut à notre « tout particulièrement ». Just as we were about to ring the bell we were overtaken by Saniette who informed us that Princess Sherbatoff had died at six o′clock, and added that he had not at first recognised us. “I envisaged you, however, for some time,” he told us in a breathless voice. “Is it aught but curious that I should have hesitated?” To say “Is it not curious” would have seemed to him wrong, and he had acquired a familiarity with obsolete forms of speech that was becoming exasperating. “Not but what you are people whom one may acknowledge as friends.” His grey complexion seemed to be illuminated by the livid glow of a storm. His breathlessness, which had been noticeable, as recently as last summer, only when M. Verdurin ‘jumped down his throat,′ was now continuous. “I understand that an unknown work of Vinteuil is to be performed by excellent artists, and singularly by Morel.” “Why singularly?” inquired the Baron who detected a criticism in the adverb. “Our friend Saniette,” Brichot made haste to exclaim, acting as interpreter, “is prone to speak, like the excellent scholar that he is, the language of an age in which ‘singularly′ was equivalent to our ‘especially.′”
Comme nous entrions dans l′antichambre de Madame Verdurin, M. de Charlus me demanda si je travaillais, et comme je lui disais que non, mais que je m′intéressais beaucoup en ce moment aux vieux services d′argenterie et de porcelaine, il me dit que je ne pourrais pas en voir de plus beaux que chez les Verdurin ; que, d′ailleurs, j′avais pu les voir à la Raspelière, puisque, sous prétexte que les objets sont aussi des amis, ils faisaient la folie de tout emporter avec eux ; que ce serait moins commode de tout me sortir un jour de soirée, mais que pourtant il demanderait qu′on me montrât ce que je voudrais. Je le priai de n′en rien faire. M. de Charlus déboutonna son pardessus, ôta son chapeau, et je vis que le sommet de sa tête s′argentait maintenant par places. Mais tel un arbuste précieux que non seulement l′automne colore mais dont on protège certaines feuilles par des enveloppements d′ouate ou des applications de plâtre, M. de Charlus ne recevait de ces quelques cheveux blancs placés à sa cime qu′un bariolage de plus venant s′ajouter à ceux du visage. Et pourtant, même sous les couches d′expressions différentes, de fards et d′hypocrisie, qui le maquillaient si mal, le visage de M. de Charlus continuait à taire à presque tout le monde le secret qu′il me paraissait crier. J′étais presque gêné par ses yeux où j′avais peur qu′il ne me surprît à le lire à livre ouvert, par sa voix qui me paraissait le répéter sur tous les tons, avec une inlassable indécence. Mais les secrets sont bien gardés par ces êtres, car tous ceux qui les approchent sont sourds et aveugles. Les personnes qui apprenaient la vérité par l′un ou l′autre, par les Verdurin par exemple, la croyaient, mais cependant seulement tant qu′elles ne connaissaient pas M. de Charlus. Son visage, loin de répandre, dissipait les mauvais bruits. Car nous nous faisons de certaines entités une idée si grande que nous ne pourrions l′identifier avec les traits familiers d′une personne de connaissance. Et nous croirons difficilement aux vices, comme nous ne croirons jamais au génie d′une personne avec qui nous sommes encore allés la veille à l′Opéra. As we entered the Verdurins′ hall, M. de Charlus asked me whether I was engaged upon any work and as I told him that I was not, but that I was greatly interested at the moment in old dinner-services of plate and porcelain, he assured me that I could not see any finer than those that the Verdurins had; that moreover I might have seen them at la Raspelière, since, on the pretext that one′s possessions are also one′s friends, they were so silly as to cart everything down there with them; it would be less convenient to bring everything out for my benefit on the evening of a party; still, he would tell them to shew me anything that I wished to see. I begged him not to do anything of the sort. M. de Charlus unbuttoned his greatcoat, took off his hat, and I saw that the top of his head had now turned silver in patches. But like a precious shrub which is not only coloured with autumn tints but certain leaves of which are protected by bandages of wadding or incrustations of plaster, M. de Charlus received from these few white hairs at his crest only a further variegation added to those of his face. And yet, even beneath the layers of different expressions, paint and hypocrisy which formed such a bad ‘make-up,′ his face continued to hide from almost everyone the secret that it seemed to me to be crying aloud. I was almost put to shame by his eyes in which I was afraid of his surprising me in the act of reading it, as from an open book, by his voice which seemed to me to be repeating it in every tone, with an untiring indecency. But secrets are well kept by such people, for everyone who comes in contact with them is deaf and blind. The people who learned the truth from some one else, from the Verdurins for instance, believed it, but only for so long as they had not met M. de Charlus. His face, so far from spreading, dissipated every scandalous rumour. For we form so extravagant an idea of certain characters that we would be incapable of identifying one of them with the familiar features of a person of our acquaintance. And we find it difficult to believe in such a person′s vices, just as we can never believe in the genius of a person with whom we went to the Opera last night.
M. de Charlus était en train de donner son pardessus avec des recommandations d′habitué. Mais le valet de pied auquel il le tendait était un nouveau, tout jeune. Or M. de Charlus perdait souvent maintenant ce qu′on appelle « le Nord » et ne se rendait plus compte de ce qui se fait et ne se fait pas. Le louable désir qu′il avait, à Balbec, de montrer que certains sujets ne l′effrayaient pas, de ne pas avoir peur de déclarer à propos de quelqu′un : « Il est joli garçon », de dire, en un mot, les mêmes choses qu′aurait pu dire quelqu′un qui n′aurait pas été comme lui, il lui arrivait maintenant de traduire ce désir en disant, au contraire, des choses que n′aurait jamais pu dire quelqu′un qui n′aurait pas été comme lui, choses devant lesquelles son esprit était si constamment fixé qu′il en oubliait qu′elles ne font pas partie de la préoccupation habituelle de tout le monde. Aussi, regardant le nouveau valet de pied, il leva l′index en l′air d′un air menaçant, et croyant faire une excellente plaisanterie : « Vous, je vous défends de me faire de l′œil comme ça », dit le baron, et se tournant vers Brichot : « Il a une figure drôlette ce petit-là, il a un nez amusant », et complétant sa facétie, ou cédant à un désir, il rabattit son index horizontalement, hésita un instant, puis, ne pouvant plus se contenir, le poussa irrésistiblement droit au valet de pied et lui toucha le bout du nez en disant : « Pif ». « Quelle drôle de boîte », se dit le valet de pied, qui demanda à ses camarades si le baron était farce ou marteau. « Ce sont des manières qu′il a comme ça, lui répondit le maître d′hôtel (qui le croyait un peu « piqué », un peu « dingo »), mais c′est un des amis de Madame que j′ai toujours le mieux estimé, c′est un bon cœur. » M. de Charlus was engaged in handing over his greatcoat with the instructions of a familiar guest. But the footman to whom he was handing it was a newcomer, and quite young. Now M. de Charlus had by this time begun, as people say, to ‘lose his bearings′ and did not always remember what might and what might not be done. The praiseworthy desire that he had felt at Balbec to shew that certain topics did not alarm him, that he was not afraid to declare with regard to some one or other: “He is a nice-looking boy,” to utter, in short, the same words as might have been uttered by somebody who was not like himself, this desire he had now begun to express by saying on the contrary things which nobody could ever have said who was not like him, things upon which his mind was so constantly fixed that he forgot that they do not form part of the habitual preoccupation of people in general. And so, as he gazed at the new footman, he raised his forefinger in the air in a menacing fashion and, thinking that he was making an excellent joke: “You are not to make eyes at me like that, do you hear?” said the Baron, and, turning to Brichot: “He has a quaint little face, that boy, his nose is rather fun,” and, completing his joke, or yielding to a desire, he lowered his forefinger horizontally, hesitated for an instant, then, unable to control himself any longer, thrust it irresistibly forwards at the footman and touched the tip of his nose, saying “Pif!” “That′s a rum card,” the footman said to himself, and inquired of his companions whether it was a joke or what it was. “It is just a way he has,” said the butler (who regarded the Baron as slightly ‘touched,′ ‘a bit balmy′), “but he is one of Madame′s friends for whom I have always had the greatest respect, he has a good heart.”
« Est-ce que vous retournerez, cette année, à Incarville ? me demanda Brichot. Je crois que notre Patronne a reloué la Raspelière, bien qu′elle ait eu maille à partir avec ses propriétaires. Mais tout cela n′est rien, ce sont nuages qui se dissipent », ajouta-t-il, du même ton optimiste que les journaux qui disent : « Il y a eu des fautes de commises, c′est entendu, mais qui ne commet des fautes ? » Or je me rappelais dans quel état de souffrance j′avais quitté Balbec, et je ne désirais nullement y retourner. Je remettais toujours au lendemain mes projets avec Albertine. « Mais bien sûr qu′il y reviendra, nous le voulons, il nous est indispensable », déclara M. de Charlus avec l′égoî²­e autoritaire et incompréhensif de l′amabilité. “Are you coming back this year to Incarville?” Brichot asked me. “I believe that our hostess has taken la Raspelière again, for all that she has had a crow to pick with her landlords. But that is nothing, it is a cloud that passes,” he added in the optimistic tone of the newspapers that say: “Mistakes have been made, it is true, but who does not make mistakes at times?” But I remembered the state of anguish in which I had left Balbec, and felt no desire to return there. I kept putting off to the morrow my plans for Albertine. “Why, of course he is coming back, we need him, he is indispensable to us,” declared M. de Charlus with the authoritative and uncomprehending egoism of friendliness.
À ce moment M. Verdurin vint à notre rencontre. M. Verdurin, à qui nous fîmes nos condoléances pour la princesse Sherbatoff, nous dit : « Oui, je sais qu′elle est très mal. — Mais non, elle est morte à six heures », s′écria Saniette. « Vous, vous exagérez toujours », dit brutalement à Saniette M. Verdurin, qui, la soirée n′étant pas décommandée, préférait l′hypothèse de la maladie, imitant ainsi sans le savoir le prince de Guermantes. Saniette, non sans craindre d′avoir froid, car la porte extérieure s′ouvrait constamment, attendait avec résignation qu′on lui prît ses affaires. « Qu′est-ce que vous faites là, dans cette pose de chien couchant ? lui demanda M. Verdurin. — J′attendais qu′une des personnes qui surveillent aux vêtements puisse prendre mon pardessus et me donner un numéro. — Qu′est-ce que vous dites ? demanda d′un air sévère M. Verdurin : « qui surveillent aux vêtements ». Est-ce que vous devenez gâteux ? on dit : « surveiller les vêtements », s′il vous faut apprendre le français comme aux gens qui ont eu une attaque. — Surveiller à quelque chose est la vraie forme, murmura Saniette d′une voix entrecoupée ; l′abbé Le BatteuxÂ… — Vous m′agacez, vous, cria M. Verdurin d′une voix terrible. Comme vous soufflez ! Est-ce que vous venez de monter six étages ? » La grossièreté de M. Verdurin eut pour effet que les hommes du vestiaire firent passer d′autres personnes avant Saniette et, quand il voulut tendre ses affaires, lui répondirent : « Chacun son tour, monsieur, ne soyez pas si pressé. » « Voilà des hommes d′ordre, voilà des compétences. Très bien, mes braves », dit, avec un sourire de sympathie, M. Verdurin, afin de les encourager dans leurs dispositions à faire passer Saniette après tout le monde. « Venez, dit-il, cet animal-là veut nous faire prendre la mort dans son cher courant d′air. Nous allons nous chauffer un peu au salon. Surveiller aux vêtements ! reprit-il quand nous fûmes au salon, quel imbécile ! — Il donne dans la préciosité, ce n′est pas un mauvais garçon, dit Brichot. — Je n′ai pas dit que c′était un mauvais garçon, j′ai dit que c′était un imbécile », riposta avec aigreur M. Verdurin. At this moment M. Verdurin appeared to welcome us. When we expressed our sympathy over Princess Sherbatoff, he said: “Yes, I believe she is rather ill.” “No, no, she died at six o′clock,” exclaimed Saniette. “Oh, you exaggerate everything,” was M. Verdurin′s brutal retort, for, since he had not cancelled his party, he preferred the hypothesis of illness, imitating unconsciously the Duc de Guermantes. Saniette, not without fear of catching cold, for the outer door was continually being opened, stood waiting resignedly for some one to take his hat and coat. “What are you hanging about there for, like a whipped dog?” M. Verdurin asked him. “I am waiting until one of the persons who are charged with the cloakroom can take my coat and give me a number.” “What is that you say?” demanded M. Verdurin with a stern expression. “‘Charged with the cloakroom?′ Are you going off your head? ‘In charge of the cloakroom,′ is what we say, if we′ve got to teach you to speak your own language, like a man who has had a stroke.” “Charged with a thing is the correct form,” murmured Saniette in a stifled tone; “the abbé Le Batteux. . . . ” “You make me tired, you do,” cried M. Verdurin in a voice of thunder. “How you do wheeze! Have you been running upstairs to an attic?” The effect of M. Verdurin′s rudeness was that the servants in the cloakroom allowed other guests to take precedence of Saniette and, when he tried to hand over his things, replied: “Wait for your turn, Sir, don′t be in such a hurry.” “There′s system for you, competent fellows, that′s right, my lads,” said M. Verdurin with an approving smile, in order to encourage them in their tendency to keep Saniette waiting till the end. “Come along,” he said to us, “the creature wants us all to catch our death hanging about in his beloved draught. Come and get warm in the drawing-room. ‘Charged with the cloakroom,′ indeed, what an idiot!” “He is inclined to be a little precious, but he′s not a bad fellow,” said Brichot. “I never said that he was a bad fellow, I said that he was an idiot,” was M. Verdurin′s harsh retort.
Cependant Mme Verdurin était en grande conférence avec Cottard et Ski. Morel venait de refuser (parce que M. de Charlus ne pouvait s′y rendre) une invitation chez des amis auxquels elle avait pourtant promis le concours du violoniste. La raison du refus de Morel de jouer à la soirée des amis des Verdurin raison à laquelle nous allons tout à l′heure en voir s′ajouter de bien plus graves, avait pu prendre sa force grâce à une habitude propre, en général, aux milieux oisifs, mais tout particulièrement au petit noyau. Certes, si Mme Verdurin surprenait, entre un nouveau et un fidèle, un mot dit à mi-voix et pouvant faire supposer qu′ils se connaissaient, ou avaient envie de se lier (« Alors, à vendredi chez les un Tel » ou : « Venez à l′atelier le jour que vous voudrez, j′y suis toujours jusqu′à cinq heures, vous me ferez vraiment plaisir »), agitée, supposant au nouveau une « situation » qui pouvait faire de lui une recrue brillante pour le petit clan, la Patronne, tout en faisant semblant de n′avoir rien entendu et en conservant à son beau regard, cerné par l′habitude de Debussy plus que n′aurait fait celle de la cocaî­¥, l′air exténué que lui donnaient les seules ivresses de la musique, n′en roulait pas moins, sous son front magnifique, bombé par tant de quatuors et les migraines consécutives, des pensées qui n′étaient pas exclusivement polyphoniques, et, n′y tenant plus, ne pouvant plus attendre une seconde sa piqûre, elle se jetait sur les deux causeurs, les entraînait à part, et disait au nouveau en désignant le fidèle : « Vous ne voulez pas venir dîner avec lui, samedi par exemple, ou bien le jour que vous voudrez, avec des gens gentils ? N′en parlez pas trop fort parce que je ne convoquerai pas toute cette tourbe » (terme désignant pour cinq minutes le petit noyau, dédaigné momentanément pour le nouveau en qui on mettait tant d′espérances). Meanwhile Mme. Verdurin was busily engaged with Cottard and Ski. Morel had just declined (because M. de Charlus could not be present) an invitation from some friends of hers to whom she had promised the services of the violinist. The reason for Morel′s refusal to perform at the party which the Verdurins′ friends were giving, a reason which we shall presently see reinforced by others of a far more serious kind, might have found its justification in a habit common to the leisured classes in general but specially distinctive of the little nucleus. To be sure, if Mme. Verdurin intercepted between a newcomer and one of the faithful a whispered speech which might let it be supposed that they were already acquainted, or wished to become more intimate (“On Friday, then, at So-and-So′s,” or “Come to the studio any day you like; I am always there until five o′clock, I shall look forward to seeing you”), agitated, supposing the newcomer to occupy a ‘position′ which would make him a brilliant recruit to the little clan, the Mistress, while pretending not to have heard anything, and preserving in her fine eyes, shadowed by the habit of listening to Debussy more than they would have been by that of sniffing cocaine, the extenuated expression that they derived from musical intoxication alone, revolved nevertheless behind her splendid brow, inflated by all those quartets and the headaches that were their consequence, thoughts which were not exclusively polyphonic, and unable to contain herself any longer, unable to postpone the injection for another instant, flung herself upon the speakers, drew them apart, and said to the newcomer, pointing to the ‘faithful′ one: “You wouldn′t care to come and dine to meet him, next Saturday, shall we say, or any day you like, with some really nice people! Don′t speak too loud, as I don′t want to invite all this mob” (a word used to denote for five minutes the little nucleus, disdained for the moment in favour of the newcomer in whom so many hopes were placed).
Mais ce besoin de s′engouer, de faire aussi des rapprochements, avait sa contre-partie. L′assiduité aux mercredis faisait naître chez les Verdurin une disposition opposée. C′était le désir de brouiller, d′éloigner. Il avait été fortifié, rendu presque furieux par les mois passés à la Raspelière, où l′on se voyait du matin au soir. M. Verdurin s′y ingéniait à prendre quelqu′un en faute, à tendre des toiles où il pût passer à l′araignée sa compagne quelque mouche innocente. Faute de griefs, on inventait des ridicules. Dès qu′un fidèle était sorti une demi-heure, on se moquait de lui devant les autres, on feignait d′être surpris qu′ils n′eussent pas remarqué combien il avait toujours les dents sales, ou, au contraire, qu′il les brossât, par manie, vingt fois par jour. Si l′un se permettait d′ouvrir la fenêtre, ce manque d′éducation faisait que le Patron et la Patronne échangeaient un regard révolté. Au bout d′un instant, Mme Verdurin demandait un châle, ce qui donnait le prétexte à M. Verdurin de dire, d′un air furieux : « Mais non, je vais fermer la fenêtre, je me demande qu′est-ce qui s′est permis de l′ouvrir », devant le coupable, qui rougissait jusqu′aux oreilles. On vous reprochait indirectement la quantité de vin qu′on avait bue. « Ça ne vous fait pas mal ? C′est bon pour un ouvrier. » Les promenades ensemble de deux fidèles qui n′avaient pas préalablement demandé son autorisation à la Patronne avaient pour conséquence des commentaires infinis, si innocentes que fussent ces promenades. Celles de M. de Charlus avec Morel ne l′étaient pas. Seul le fait que le baron n′habitait pas la Raspelière (à cause de la vie de garnison de Morel) retarda le moment de la satiété, des dégoûts, des vomissements. Il était pourtant prêt à venir. But this infatuated impulse, this need to make friendly overtures, had its counterpart. Assiduous attendance at their Wednesdays aroused in the Verdurins an opposite tendency. This was the desire to quarrel, to hold aloof. It had been strengthened, had almost been wrought to a frenzy during the months spent at la Raspelière, where they were all together morning, noon and night. M. Verdurin went out of his way to prove one of his guests in the wrong, to spin webs in which he might hand over to his comrade spider some innocent fly. Failing a grievance, he would invent some absurdity. As soon as one of the faithful had been out of the house for half an hour, they would make fun of him in front of the others, would feign surprise that their guests had not noticed how his teeth were never clean, or how on the contrary he had a mania for brushing them twenty times a day. If any one took the liberty of opening a window, this want of breeding would cause a glance of disgust to pass between host and hostess. A moment later Mme. Verdurin would ask for a shawl, which gave M. Verdurin an excuse for saying in a tone of fury: “No, I shall close the window, I wonder who had the impertinence to open it,” in the hearing of the guilty wretch who blushed to the roots of his hair. You were rebuked indirectly for the quantity of wine that you had drunk. “It won′t do you any harm. Navvies thrive on it!” If two of the faithful went out together without first obtaining permission from the Mistress, their excursions led to endless comments, however innocent they might be. Those of M. de Charlus with Morel were not innocent. It was only the fact that M. de Charlus was not staying at la Raspelière (because Morel was obliged to live near his barracks) that retarded the hour of satiety, disgust, retching. That hour was, however, about to strike.
Mme Verdurin était furieuse et décidée à « éclairer » Morel sur le rôle ridicule et odieux que lui faisait jouer M. de Charlus. « J′ajoute, continua-t-elle (Mme Verdurin, quand elle se sentait devoir à quelqu′un une reconnaissance qui allait lui peser, et ne pouvait le tuer pour la peine, lui découvrait un défaut grave qui dispensait honnêtement de la lui témoigner), j′ajoute qu′il se donne des airs chez moi qui ne me plaisent pas. » C′est qu′en effet Mme Verdurin avait encore une raison plus grave que le lâchage de Morel à la soirée de ses amis d′en vouloir à M. de Charlus. Celui-ci, pénétré de l′honneur qu′il faisait à la Patronne en amenant quai Conti des gens qui, en effet, n′y seraient pas venus pour elle, avait, dès les premiers noms que Mme Verdurin avait proposés comme ceux de personnes qu′on pourrait inviter, prononcé la plus catégorique exclusive, sur un ton péremptoire où se mêlait à l′orgueil rancunier du grand seigneur quinteux, le dogmatisme de l′artiste expert en matière de fêtes et qui retirerait sa pièce et refuserait son concours plutôt que de condescendre à des concessions qui, selon lui, compromettraient le résultat d′ensemble. M. de Charlus n′avait donné son permis, en l′entourant de réserves, qu′à Saintine, à l′égard duquel, pour ne pas s′encombrer de sa femme, Mme de Guermantes avait passé, d′une intimité quotidienne, à une cessation complète des relations, mais que M. de Charlus, le trouvant intelligent, voyait toujours. Certes, c′est dans un milieu bourgeois mâtiné de petite noblesse, où tout le monde est très riche seulement, et apparenté à une aristocratie que la grande aristocratie ne connaît pas, que Saintine, jadis la fleur du milieu Guermantes, était allé chercher fortune, et, croyait-il, point d′appui. Mais Mme Verdurin, sachant les prétentions nobiliaires du milieu de la femme, et ne se rendant pas compte de la situation du mari (car c′est ce qui est presque immédiatement au-dessus de nous qui nous donne l′impression de la hauteur et non ce qui nous est presque invisible tant cela se perd dans le ciel), crut devoir justifier une invitation pour Saintine en faisant valoir qu′il connaissait beaucoup de monde, « ayant épousé Mlle *** ». L′ignorance dont cette assertion, exactement contraire à la réalité, témoignait chez Mme Verdurin, fit s′épanouir en un rire d′indulgent mépris et de large compréhension les lèvres peintes du baron. Il dédaigna de répondre directement, mais comme il échafaudait volontiers, en matière mondaine, des théories où se retrouvaient la fertilité de son intelligence et la hauteur de son orgueil, avec la frivolité héréditaire de ses préoccupations : « Saintine aurait dû me consulter avant de se marier, dit-il ; il y a une eugénique sociale comme il y en a une physiologique, et j′en suis peut-être le seul docteur. Le cas de Saintine ne soulevait aucune discussion, il était clair qu′en faisant le mariage qu′il a fait, il s′attachait un poids mort, et mettait sa flamme sous le boisseau. Sa vie sociale était finie. Je le lui aurais expliqué, et il m′aurait compris car il est intelligent. Inversement, il y avait telle personne qui avait tout ce qu′il fallait pour avoir une situation élevée, dominante, universelle ; seulement un terrible câble la retenait à terre. Je l′ai aidée, mi par pression, mi par force, à rompre l′amarre, et maintenant elle a conquis, avec une joie triomphante, la liberté, la toute-puissance qu′elle me doit ; il a peut-être fallu un peu de volonté, mais quelle récompense elle a ! On est ainsi soi-même, quand on sait m′écouter, l′accoucheur de son destin. » Il était trop évident que M. de Charlus n′avait pas su agir sur le sien ; agir est autre chose que parler, même avec éloquence, et que penser, même avec ingéniosité. « Mais en ce qui me concerne, je vis en philosophe qui assiste avec curiosité aux réactions sociales que j′ai prédites, mais n′y aide pas. Aussi ai-je continué à fréquenter Saintine, qui a toujours eu pour moi la déférence chaleureuse qui convenait. J′ai même dîné chez lui, dans sa nouvelle demeure, où on s′assomme autant, au milieu du plus grand luxe, qu′on s′amusait jadis quand, tirant le diable par la queue, il assemblait la meilleure compagnie dans un petit grenier. Vous pouvez donc l′inviter, j′autorise, mais je frappe de mon veto tous les autres noms que vous me proposez. Et vous me remercierez, car, si je suis expert en fait de mariages, je ne le suis pas moins en matière de fêtes. Je sais les personnalités ascendantes qui soulèvent une réunion, lui donnent de l′essor, de la hauteur ; et je sais aussi le nom qui rejette à terre, qui fait tomber à plat. » Ces exclusions de M. de Charlus n′étaient pas toujours fondées sur des ressentiments de toqué ou des raffinements d′artiste, mais sur des habiletés d′acteur. Quand il tenait sur quelqu′un, sur quelque chose, un couplet tout à fait réussi, il désirait le faire entendre au plus grand nombre de personnes possible, mais en ayant soin de ne pas admettre, dans la seconde fournée, des invités de la première qui eussent pu constater que le morceau n′avait pas changé. Il refaisait sa salle à nouveau, justement parce qu′il ne renouvelait pas son affiche, et quand il tenait, dans la conversation, un succès, il eût au besoin organisé des tournées et donné des représentations en province. Quoi qu′il en fût des motifs variés de ces exclusions, celles de M. de Charlus ne froissaient pas seulement Mme Verdurin, qui sentait atteinte son autorité de Patronne, elles lui causaient encore un grand tort mondain, et cela pour deux raisons. La première est que M. de Charlus, plus susceptible encore que Jupien, se brouillait, sans qu′on sût même pourquoi, avec les personnes le mieux faites pour être de ses amies. Naturellement, une des premières punitions qu′on pouvait leur infliger était de ne pas les laisser inviter à une fête qu′il donnait chez les Verdurin. Or ces parias étaient souvent des gens qui tiennent ce qu′on appelle « le haut du pavé », mais qui, pour M. de Charlus, avaient cessé de le tenir du jour qu′il avait été brouillé avec eux. Car son imagination, autant qu′à supposer des torts aux gens pour se brouiller avec eux, était ingénieuse à leur ôter toute importance dès qu′ils n′étaient plus ses amis. Si, par exemple, le coupable était un homme d′une famille extrêmement ancienne mais dont le duché ne date que du xixe siècle, les Montesquiou par exemple, du jour au lendemain ce qui comptait pour M. de Charlus c′était l′ancienneté du duché, la famille n′était rien. « Ils ne sont même pas ducs, s′écriait-il. C′est le titre de l′abbé de Montesquiou qui a indûment passé à un parent, il n′y a même pas quatre-vingts ans. Le duc actuel, si duc il y a, est le troisième. Parlez-moi des gens comme les Uzès, les La Trémoe, les Luynes, qui sont les 10e, les 14e ducs, comme mon frère qui est 12e duc de Guermantes et 17e prince de Cordoue. Les Montesquiou descendent d′une ancienne famille, qu′est-ce que ça prouverait, même si c′était prouvé ? Ils descendent tellement qu′ils sont dans le quatorzième dessous. » Était-il brouillé, au contraire, avec un gentilhomme possesseur d′un duché ancien, ayant les plus magnifiques alliances, apparenté aux familles souveraines, mais à qui ce grand éclat est venu très vite sans que la famille remonte très haut, un Luynes par exemple, tout était changé, la famille seule comptait. « Je vous demande un peu, Monsieur Alberti qui ne se décrasse que sous Louis XIII. Qu′est-ce que ça peut nous fiche que des faveurs de cour leur aient permis d′entasser des duchés auxquels ils n′avaient aucun droit ? » De plus, chez M. de Charlus, la chute suivait de près la faveur à cause de cette disposition propre aux Guermantes d′exiger de la conversation, de l′amitié, ce qu′elle ne peut donner, plus la crainte symptomatique d′être l′objet de médisances. Et la chute était d′autant plus profonde que la faveur avait été plus grande. Or personne n′en avait joui auprès du baron d′une pareille à celle qu′il avait ostensiblement marquée à la comtesse Molé. Par quelle marque d′indifférence montra-t-elle, un beau jour, qu′elle en avait été indigne ? La comtesse déclara toujours qu′elle n′avait jamais pu arriver à le découvrir. Toujours est-il que son nom seul excitait chez le baron les plus violentes colères, les philippiques les plus éloquentes mais les plus terribles. Mme Verdurin, pour qui Mme Molé avait été très aimable, et qui fondait, on va le voir, de grands espoirs sur elle et s′était réjouie à l′avance de l′idée que la comtesse verrait chez elle les gens les plus nobles, comme la Patronne disait, « de France et de Navarre », proposa tout de suite d′inviter « Madame de Molé ». « Ah ! mon Dieu, tous les goûts sont dans la nature, avait répondu M. de Charlus, et si vous avez, Madame, du goût pour causer avec Mme Pipelet, Mme Gibout et Mme Joseph Prudhomme, je ne demande pas mieux, mais alors que ce soit un soir où je ne serai pas là. Je vois, dès les premiers mots, que nous ne parlons pas la même langue, puisque je parlais de noms de l′aristocratie et que vous me citez le plus obscur des noms de gens de robe, de petits roturiers retors, cancaniers, malfaisants, de petites dames qui se croient des protectrices des arts parce qu′elles reprennent, une octave au-dessous, les manières de ma belle-sœur Guermantes, à la façon du geai qui croit imiter le paon. J′ajoute qu′il y aurait une espèce d′indécence à introduire dans une fête que je veux bien donner chez Mme Verdurin une personne que j′ai retranchée à bon escient de ma familiarité, une pécore sans naissance, sans loyauté, sans esprit, qui a la folie de croire qu′elle est capable de jouer les duchesses de Guermantes et les princesses de Guermantes, cumul qui en lui-même est une sottise, puisque la duchesse de Guermantes et la princesse de Guermantes c′est juste le contraire. C′est comme une personne qui prétendrait être à la fois Reichenberg et Sarah Bernhardt. En tous cas, même si ce n′était pas contradictoire, ce serait profondément ridicule. Que je puisse, moi, sourire quelquefois des exagérations de l′une et m′attrister des limites de l′autre, c′est mon droit. Mais cette petite grenouille bourgeoise voulant s′enfler pour égaler les deux grandes dames qui, en tous cas, laissent toujours paraître l′incomparable distinction de la race, c′est, comme on dit, faire rire les poules. La Molé ! Voilà un nom qu′il ne faut plus prononcer, ou bien je n′ai qu′à me retirer », ajouta-t-il avec un sourire, sur le ton d′un médecin qui, voulant le bien de son malade malgré ce malade lui-même, entend bien ne pas se laisser imposer la collaboration d′un homéopathe. D′autre part, certaines personnes, jugées négligeables par M. de Charlus, pouvaient en effet l′être pour lui et non pour Mme Verdurin. M. de Charlus, de haute naissance, pouvait se passer des gens les plus élégants dont l′assemblée eût fait du salon de Mme Verdurin un des premiers de Paris. Or celle-ci commençait à trouver qu′elle avait déjà bien des fois manqué le coche, sans compter l′énorme retard que l′erreur mondaine de l′affaire Dreyfus lui avait infligé, non sans lui rendre service pourtant. Je ne sais si j′ai dit combien la duchesse de Guermantes avait vu avec déplaisir des personnes de son monde qui, subordonnant tout à l′Affaire, excluaient des femmes élégantes et en recevaient qui ne l′étaient pas, pour cause de révisionnisme ou d′antirévisionnisme, puis avait été critiquée à son tour, par ces mêmes dames, comme tiède, mal pensante et subordonnant aux étiquettes mondaines les intérêts de la Patrie ; pourrais-je le demander au lecteur comme à un ami à qui on ne se rappelle plus, après tant d′entretiens, si on a pensé ou trouvé l′occasion de le mettre au courant d′une certaine chose ? Que je l′aie fait ou non, l′attitude, à ce moment-là, de la duchesse de Guermantes peut facilement être imaginée, et même, si on se reporte ensuite à une période ultérieure, sembler, du point de vue mondain, parfaitement juste. M. de Cambremer considérait l′affaire Dreyfus comme une machine étrangère destinée à détruire le Service des Renseignements, à briser la discipline, à affaiblir l′armée, à diviser les Français, à préparer l′invasion. La littérature étant, hors quelques fables de La Fontaine, étrangère au marquis, il laissait à sa femme le soin d′établir que la littérature, cruellement observatrice, en créant l′irrespect, avait procédé à un chambardement parallèle. M. Reinach et M. Hervieu sont « de mèche », disait-elle. On n′accusera pas l′affaire Dreyfus d′avoir prémédité d′aussi noirs desseins à l′encontre du monde. Mais là certainement elle a brisé les cadres. Les mondains qui ne veulent pas laisser la politique s′introduire dans le monde sont aussi prévoyants que les militaires qui ne veulent pas laisser la politique pénétrer dans l′armée. Il en est du monde comme du goût sexuel, où l′on ne sait pas jusqu′à quelles perversions il peut arriver quand une fois on a laissé des raisons esthétiques dicter son choix. La raison qu′elles étaient nationalistes donna au faubourg Saint-Germain l′habitude de recevoir des dames d′une autre société ; la raison disparut avec le nationalisme, l′habitude subsista. Mme Verdurin, à la faveur du dreyfusisme, avait attiré chez elle des écrivains de valeur qui, momentanément, ne lui furent d′aucun usage mondain parce qu′ils étaient dreyfusards. Mais les passions politiques sont comme les autres, elles ne durent pas. De nouvelles générations viennent qui ne les comprennent plus. La génération même qui les a éprouvées change, éprouve des passions politiques qui, n′étant pas exactement calquées sur les précédentes, lui font réhabiliter une partie des exclus, la cause de l′exclusivisme ayant changé. Les monarchistes ne se soucièrent plus, pendant l′affaire Dreyfus, que quelqu′un eût été républicain, voire radical, voire anticlérical, s′il était antisémite et nationaliste. Si jamais il devait survenir une guerre, le patriotisme prendrait une autre forme, et d′un écrivain chauvin on ne s′occuperait même pas s′il avait été ou non dreyfusard. C′est ainsi que, à chaque crise politique, à chaque rénovation artistique, Mme Verdurin avait arraché petit à petit, comme l′oiseau fait son nid, les bribes successives, provisoirement inutilisables, de ce qui serait un jour son salon. L′affaire Dreyfus avait passé, Anatole France lui restait. La force de Mme Verdurin, c′était l′amour sincère qu′elle avait de l′art, la peine qu′elle se donnait pour les fidèles, les merveilleux dîners qu′elle donnait pour eux seuls, sans qu′il y eût des gens du monde conviés. Chacun d′eux était traité chez elle comme Bergotte l′avait été chez Mme Swann. Quand un familier de cet ordre devenait, un beau jour, un homme illustre que le monde désire voir, sa présence chez une Mme Verdurin n′avait rien du côté factice, frelaté, d′une cuisine de banquet officiel ou de Saint-Charlemagne faite par Potel et Chabot, mais tout au contraire d′un délicieux ordinaire qu′on eût trouvé aussi parfait un jour où il n′y aurait pas eu de monde. Chez Mme Verdurin la troupe était parfaite, entraînée, le répertoire de premier ordre, il ne manquait que le public. Et depuis que le goût de celui-ci se détournait de l′art raisonnable et français d′un Bergotte et s′éprenait surtout de musiques exotiques, Mme Verdurin, sorte de correspondant attitré à Paris de tous les artistes étrangers, allait bientôt, à côté de la ravissante princesse Yourbeletief, servir de vieille fée Carabosse, mais toute-puissante, aux danseurs russes. Cette charmante invasion, contre les séductions de laquelle ne protestèrent que les critiques dénués de goût, amena à Paris, on le sait, une fièvre de curiosité moins âpre, plus purement esthétique, mais peut-être aussi vive que l′affaire Dreyfus. Là encore Mme Verdurin, mais pour un tout autre résultat mondain, allait être au premier rang. Comme on l′avait vue à côté de Mme Zola, tout au pied du tribunal, aux séances de la Cour d′assises, quand l′humanité nouvelle, acclamatrice des ballets russes, se pressa à l′Opéra, ornée d′aigrettes inconnues, toujours on vit dans une première loge Mme Verdurin à côté de la princesse Yourbeletief. Et comme après les émotions du Palais de Justice on avait été le soir chez Mme Verdurin voir de près Picquart ou Labori, et surtout apprendre les dernières nouvelles, savoir ce qu′on pouvait espérer de Zurlinden, de Loubet, du colonel Jouaust, du Règlement, de même, peu disposé à aller se coucher après l′enthousiasme déchaîné par Shéhérazade ou les danses du prince Igor, on allait chez Mme Verdurin, où, présidés par la princesse Yourbeletief et par la Patronne, des soupers exquis réunissaient, chaque soir, les danseurs, qui n′avaient pas dîné pour être plus bondissants, leur directeur, leurs décorateurs, les grands compositeurs Igor Stravinski et Richard Strauss, petit noyau immuable, autour duquel, comme aux soupers de M. et Mme Helvétius, les plus grandes dames de Paris et les Altesses étrangères ne dédaignèrent pas de se mêler. Même ceux des gens du monde qui faisaient profession d′avoir du goût et faisaient entre les ballets russes des distinctions oiseuses, trouvant la mise en scène des Sylphides quelque chose de plus « fin » que celle de Shéhérazade, qu′ils n′étaient pas loin de faire relever de l′art nègre, étaient enchantés de voir de près les grands rénovateurs du goût du théâtre, qui, dans un art peut-être un peu plus factice que la peinture, firent une révolution aussi profonde que l′impressionnisme. Mme. Verdurin was furious and determined to ‘enlighten′ Morel as to the ridiculous and detestable part that M. de Charlus was making him play. “I must add,” she went on (Mme. Verdurin, when she felt that she owed anyone a debt of gratitude which would be a burden to him, and was unable to rid herself of it by killing him, would discover a serious defect in him which would honourably dispense her from shewing her gratitude), “I must add that he gives himself airs in my house which I do not at all like.” The truth was that Mme. Verdurin had another more serious reason than Morel′s refusal to play at her friends′ party for picking a quarrel with M. de Charlus. The latter, overcome by the honour he was doing the Mistress in bringing to Quai Conti people who after all would never have come there for her sake, had, on hearing the first names that Mme. Verdurin had suggested as those of people who ought to be invited, pronounced the most categorical ban upon them in a peremptory tone which blended the rancorous pride of a crotchety nobleman with the dogmatism of the expert artist in questions of entertainment who would cancel his programme and withhold his collaboration sooner than agree to concessions which, in his opinion, would endanger the success of the whole. M. de Charlus had given his approval, hedging it round with reservations, to Saintine alone, with whom, in order not to be bothered with his wife, Mme. de Guermantes had passed, from a daily intimacy, to a complete severance of relations, but whom M. de Charlus, finding him intelligent, continued to see. True, it was among a middle-class set, with a cross-breeding of the minor nobility, where people are merely very rich and connected with an aristocracy whom the true aristocracy does not know, that Saintine, at one time the flower of the Guermantes set, had gone to seek his fortune and, he imagined, a social foothold. But Mme. Verdurin, knowing the blue-blooded pretensions of the wife′s circle, and failing to take into account the husband′s position (for it is what is immediately over our head that gives us the impression of altitude and not what is almost invisible to us, so far is it lost in the clouds), felt that she ought to justify an invitation of Saintine by pointing out that he knew a great many people, “having married Mlle. ——.” The ignorance which this assertion, the direct opposite of the truth, revealed in Mme. Verdurin caused the Baron′s painted lips to part in a smile of indulgent scorn and wide comprehension. He disdained a direct answer, but as he was always ready to express in social examples theories which shewed the fertility of his mind and the arrogance of his pride, with the inherited frivolity of his occupations: “Saintine ought to have come to me before marrying,” he said, “there is such a thing as social as well as physiological eugenics, and I am perhaps the only specialist in existence. Saintine′s case aroused no discussion, it was clear that, in making the marriage that he made, he was tying a stone to his neck, and hiding his light under a bushel. His social career was at an end. I should have explained this to him, and he would have understood me, for he is quite intelligent. On the other hand, there was a person who had everything that he required to make his position exalted, predominant, world-wide, only a terrible cable bound him to the earth. I helped him, partly by pressure, partly by force, to break his bonds and now he has won, with a triumphant joy, the freedom, the omnipotence that he owes to me; it required, perhaps, a little determination on his part, but what a reward! Thus a man can himself, when he has the sense to listen to me, become the midwife of his destiny.” It was only too clear that M. de Charlus had not been able to influence his own; action is a different thing from speech, even eloquent speech, and from thought, even the thoughts of genius. “But, so far as I am concerned, I live the life of a philosopher who looks on with interest at the social reactions which I have foretold, but who does not assist them. And so I have continued to visit Saintine, who has always received me with the whole-hearted deference which is my due. I have even dined with him in his new abode, where one is heavily bored, in the midst of the most sumptuous splendour, as one used to be amused in the old days when, living from hand to mouth, he used to assemble the best society in a wretched attic. Him, then, you may invite, I give you leave, but I rule out with my veto all the other names that you have mentioned. And you will thank me for it, for, if I am an expert in arranging marriages, I am no less an expert in arranging parties. I know the rising people who give tone to a gathering, make it go; and I know also the names that will bring it down to the ground, make it fall flat.” These exclusions were not always founded upon the Baron′s personal resentments nor upon his artistic refinements, but upon his skill as an actor. When he had perfected, at the expense of somebody or something, an entirely successful epigram, he was anxious to let it be heard by the largest possible audience, but took care not to admit to the second performance the audience of the first who could have borne witness that the novelty was not novel. He would then rearrange his drawing-room, simply because he did not alter his programme, and, when he had scored a success in conversation, would, if need be, have organised a tour, and given exhibitions in the provinces. Whatever may have been the various motives for these exclusions, they did not merely annoy Mme. Verdurin, who felt her authority as a hostess impaired, they also did her great damage socially, and for two reasons. The first was that M. de Charlus, even more susceptible than Jupien, used to quarrel, without anyone′s ever knowing why, with the people who were most suited to be his friends. Naturally, one of the first punishments that he could inflict upon them was that of not allowing them to be invited to a party which he was giving at the Verdurins′. Now these pariahs were often people who are in the habit of ruling the roost, as the saying is, but who in M. de Charlus′s eyes had ceased to rule it from the day on which he had quarrelled with them. For his imagination, in addition to finding people in the wrong in order to quarrel with them, was no less ingenious in stripping them of all importance as soon as they ceased to be his friends. If, for instance, the guilty person came of an extremely old family, whose dukedom, however, dates only from the nineteenth century, such a family as the Montesquieu, from that moment all that counted for M. de Charlus was the precedence of the dukedom, the family becoming nothing. “They are not even Dukes,” he would exclaim. “It is the title of the abbé de Montesquieu which passed most irregularly to a collateral, less than eighty years ago. The present Duke, if Duke he can be called, is the third. You may talk to me if you like of people like the Uzès, the La Trémoe, the Luynes, who are tenth or fourteenth Dukes, or my brother who is twelfth Duc de Guermantes and seventeenth Prince of Cordova. The Montesquieu are descended from an old family, what would that prove, supposing that it were proved? They have descended so far that they have reached the fourteenth storey below stairs.” Had he on the contrary quarrelled with a gentleman who possessed an ancient dukedom, who boasted the most magnificent connexions, was related to ruling princes, but to whose line this distinction had come quite suddenly without any length of pedigree, a Luynes for instance, the case was altered, pedigree alone counted. “I ask you — M. Alberti, who does not emerge from the mire until Louis XIII. What can it matter to us that favouritism at court allowed them to pick up dukedoms to which they have no right?” What was more, with M. de Charlus, the fall came immediately after the exaltation because of that tendency peculiar to the Guermantes to expect from conversation, from friendship, something that these are incapable of giving, as well as the symptomatic fear of becoming the objects of slander. And the fall was all the greater, the higher the exaltation had been. Now nobody had ever found such favour with the Baron as he had markedly shewn for Comtesse Mole. By what sign of indifference did she reveal, one fine day, that she had been unworthy of it? The Comtesse always maintained that she had never been able to solve the problem. The fact remains that the mere sound of her name aroused in the Baron the most violent rage, provoked the most eloquent but the most terrible philippics. Mme. Verdurin, to whom Mme. Molé had been very kind, and who was founding, as we shall see, great hopes upon her and had rejoiced in anticipation at the thought that the Comtesse would meet in her house all the noblest names, as the Mistress said, “of France and Navarre,” at once proposed to invite “Madame de Molé.” “Oh, my God! Everyone has his own taste,” M. de Charlus had replied, “and if you, Madame, feel a desire to converse with Mme. Pipelet, Mme. Gibout and Mme. Joseph Prudhomme, I ask nothing better, but let it be on an evening when I am not present. I could see as soon as you opened your mouth that we do not speak the same language, since I was mentioning the names of the nobility, and you retort with the most obscure names of professional and tradespeople, dirty scandalmongering little bounders, little women who imagine themselves patronesses of the arts because they repeat, an octave lower, the manners of my Guermantes sister-in-law, like a jay that thinks it is imitating a peacock. I must add that it would be positively indecent to admit to a party which I am pleased to give at Mme. Verdurin′s a person whom I have with good reason excluded from my society, a sheep devoid of birth, loyalty, intelligence, who is so idiotic as to suppose that she is capable of playing the Duchesse de Guermantes and the Princesse de Guermantes, a combination which is in itself idiotic, since the Duchesse de Guermantes and the Princesse de Guermantes are poles apart. It is as though a person should pretend to be at once Reichenberg and Sarah Bernhardt. In any case, even if it were not impossible, it would be extremely ridiculous. Even though I may, myself, smile at times at the exaggeration of one and regret the limitations of the other, that is my right. But that upstart little frog trying to blow herself out to the magnitude of two great ladies who, at all events, always reveal the incomparable distinction of blood, it is enough, as the saying is, to make a cat laugh. The Molé! That is a name which must not be uttered in my hearing, or else I must simply withdraw,” he concluded with a smile, in the tone of a doctor, who, thinking of his patient′s interests in spite of that same patient′s opposition, lets it be understood that he will not tolerate the collaboration of a homoeopath. On the other hand, certain persons whom M. de Charlus regarded as negligible might indeed be so for him but not for Mme. Verdurin. M. de Charlus, with his exalted birth, could afford to dispense with people in the height of fashion, the assemblage of whom would have made Mme. Verdurin′s drawing-room one of the first in Paris. She, at the same time, was beginning to feel that she had already on more than one occasion missed the coach, not to mention the enormous retardation that the social error of the Dreyfus case had inflicted upon her, not without doing her a service all the same. I forget whether I have mentioned the disapproval with which the Duchesse de Guermantes had observed certain persons of her world who, subordinating everything else to the Case, excluded fashionable women from their drawing-rooms and admitted others who were not fashionable, because they were for or against the fresh trial, and had then been criticised in her turn by those same ladies, as lukewarm, unsound in her views, and guilty of placing social distinctions above the national interests; may I appeal to the reader, as to a friend with regard to whom one completely forgets, at the end of a conversation, whether one has remembered, or had an opportunity to tell him something important? Whether I have done so or not, the attitude of the Duchesse de Guermantes can easily be imagined, and indeed if we look at it in the light of subsequent history may appear, from the social point of view, perfectly correct. M. de Cambremer regarded the Dreyfus case as a foreign machination intended to destroy the Intelligence Service, to undermine discipline, to weaken the army, to divide the French people, to pave the way for invasion. Literature being, apart from a few of La Fontaine′s fables, a sealed book to the Marquis, he left it to his wife to prove that the cruelly introspective writers of the day had, by creating a spirit of irreverence, arrived by a parallel course at a similar result. “M. Reinach and M. Hervieu are in the plot,” she would say. Nobody will accuse the Dreyfus case of having premeditated such dark designs upon society. But there it certainly has broken down the hedges. The social leaders who refuse to allow politics into society are as foreseeing as the soldiers who refuse to allow politics to permeate the army. Society is like the sexual appetite; one does not know at what forms of perversion it may not arrive, once we have allowed our choice to be dictated by aesthetic considerations. The reason that they were Nationalists gave the Faubourg Saint-Germain the habit of entertaining ladies from another class of society; the reason vanished with Nationalism, the habit remained. Mme. Verdurin, by the bond of Dreyfusism, had attracted to her house certain writers of distinction who for the moment were of no advantage to her socially, because they were Dreyfusards. But political passions are like all the rest, they do not last. Fresh generations arise which are incapable of understanding them. Even the generation that felt them changes, feels political passions which, not being modelled exactly upon their predecessors, make it rehabilitate some of the excluded, the reason for exclusion having altered. Monarchists no longer cared, at the time of the Dreyfus case, whether a man had been a Republican, that is to say a Radical, that is to say Anticlerical, provided that he was an anti-Semite and a Nationalist. Should a war ever come, patriotism would assume another form and if a writer was chauvinistic nobody would stop to think whether he had or had not been a Dreyfusard. It was thus that, at each political crisis, at each artistic revival, Mme. Verdurin had collected one by one, like a bird building its nest, the several items, useless for the moment, of what would one day be her Salon. The Dreyfus case had passed, Anatole France remained. Mme. Verdurin′s strength lay in her genuine love of art, the trouble that she used to take for her faithful, the marvellous dinners that she gave for them alone, without inviting anyone from the world of fashion. Each of the faithful was treated at her table as Bergotte had been treated at Mme. Swann′s. When a boon companion of this sort had turned into an illustrious man whom everybody was longing to meet, his presence at Mme. Verdurin′s had none of the artificial, composite effect of a dish at an official or farewell banquet, cooked by Potel or Chabot, but was merely a delicious ‘ordinary′ which you would have found there in the same perfection on a day when there was no party at all. At Mme. Verdurin′s the cast was trained to perfection, the repertory most select, all that was lacking was an audience. And now that the public taste had begun to turn from the rational and French art of a Bergotte, and to go in, above all things, for exotic forms of music, Mme. Verdurin, a sort of official representative in Paris of all foreign artists, was not long in making her appearance, by the side of the exquisite Princess Yourbeletief, an aged Fairy Godmother, grim but all-powerful, to the Russian dancers. This charming invasion, against whose seductions only the stupidest of critics protested, infected Paris, as we know, with a fever of curiosity less burning, more purely aesthetic, but quite as intense perhaps as that aroused by the Dreyfus case. There again Mme. Verdurin, but with a very different result socially, was to take her place in the front row. Just as she had been seen by the side of Mme. Zola, immediately under the bench, during the trial in the Assize Court, so when the new generation of humanity, in their enthusiasm for the Russian ballet, thronged to the Opera, crowned with the latest novelty in aigrettes, they invariably saw in a stage box Mme. Verdurin by the side of Princess Yourbeletief. And just as, after the emotions of the law courts, people used to go in the evening to Mme. Verdurin′s, to meet Picquart or Labori in the flesh and what was more to hear the latest news of the Case, to learn what hopes might be placed in Zurlinden, Loubet, Colonel Jouaust, the Regulations, so now, little inclined for sleep after the enthusiasm aroused by the Scheherazade or Prince Igor, they repaired to Mme. Verdurin′s, where under the auspices of Princess Yourbeletief and their hostess an exquisite supper brought together every night the dancers themselves, who had abstained from dinner so as to be more resilient, their director, their designers, the great composers Igor Stravinski and Richard Strauss, a permanent little nucleus, around which, as round the supper-table of M. and Mme. Helvétius, the greatest ladies in Paris and foreign royalties were not too proud to gather. Even those people in society who professed to be endowed with taste and drew unnecessary distinctions between the various Russian ballets, regarding the setting of the Sylphides as somehow ‘purer′ than that of Scheherazade, which they were almost prepared to attribute to Negro inspiration, were enchanted to meet face to face the great revivers of theatrical taste, who in an art that is perhaps a little more artificial than that of the easel had created a revolution as profound as Impressionism itself.
Pour en revenir à M. de Charlus, Mme Verdurin n′eût pas trop souffert s′il n′avait mis à l′index que la comtesse Molé, et Mme Bontemps, qu′elle avait distinguée chez Odette à cause de son amour des arts, et qui, pendant l′affaire Dreyfus, était venue quelquefois dîner avec son mari, que Mme Verdurin appelait un tiède, parce qu′il n′introduisait pas le procès en révision, mais qui, fort intelligent, et heureux de se créer des intelligences dans tous les partis, était enchanté de montrer son indépendance en dînant avec Labori, qu′il écoutait sans rien dire de compromettant, mais glissant au bon endroit un hommage à la loyauté, reconnue dans tous les partis, de Jaurès. Mais le baron avait également proscrit quelques dames de l′aristocratie avec lesquelles Mme Verdurin était, à l′occasion de solennités musicales, de collections, de charité, entrée récemment en relations et qui, quoi que M. de Charlus pût penser d′elles, eussent été, beaucoup plus que lui-même, des éléments essentiels pour former chez Mme Verdurin un nouveau noyau, aristocratique celui-là. Mme Verdurin avait justement compté sur cette fête, où M. de Charlus lui amènerait des femmes du même monde, pour leur adjoindre ses nouvelles amies, et avait joui d′avance de la surprise qu′elles auraient à rencontrer quai Conti leurs amies ou parentes invitées par le baron. Elle était déçue et furieuse de son interdiction. Restait à savoir si la soirée, dans ces conditions, se traduirait pour elle par un profit ou par une perte. Celle-ci ne serait pas trop grave si, du moins, les invitées de M. de Charlus venaient avec des dispositions si chaleureuses pour Mme Verdurin qu′elles deviendraient pour elle les amies d′avenir. Dans ce cas, il n′y aurait que demi-mal, et un jour prochain, ces deux moitiés du grand monde, que le baron avait voulu tenir isolées, on les réunirait, quitte à ne pas l′avoir, lui, ce soir-là. Mme Verdurin attendait donc les invitées du baron avec une certaine émotion. Elle n′allait pas tarder à savoir l′état d′esprit où elles venaient et les relations que la Patronne pouvait espérer avoir avec elles. En attendant, Mme Verdurin se consultait avec les fidèles, mais, voyant M. de Charlus qui entrait avec Brichot et moi, elle s′arrêta net. À notre grand étonnement, quand Brichot lui dit sa tristesse de savoir que sa grande amie était si mal, Mme Verdurin répondit : « Écoutez, je suis obligée d′avouer que de tristesse je n′en éprouve aucune. Il est inutile de feindre les sentiments qu′on ne ressent pas. » Sans doute elle parlait ainsi par manque d′énergie, parce qu′elle était fatiguée à l′idée de se faire un visage triste pour toute sa réception ; par orgueil, pour ne pas avoir l′air de chercher des excuses à ne pas avoir décommandé celle-ci ; par respect humain pourtant et habileté, parce que le manque de chagrin dont elle faisait preuve était plus honorable s′il devait être attribué à une antipathie particulière, soudain révélée, envers la princesse, plutôt qu′à une insensibilité universelle, et parce qu′on ne pouvait s′empêcher d′être désarmé par une sincérité qu′il n′était pas question de mettre en doute. Si Mme Verdurin n′avait pas été vraiment indifférente à la mort de la princesse, eût-elle été, pour expliquer qu′elle reçût, s′accuser d′une faute bien plus grave ? D′ailleurs, on oubliait que Mme Verdurin eût avoué, en même temps que son chagrin, qu′elle n′avait pas eu le courage de renoncer à un plaisir ; or la dureté de l′amie était quelque chose de plus choquant, de plus immoral, mais de moins humiliant, par conséquent de plus facile à avouer que la frivolité de la maîtresse de maison. En matière de crime, là où il y a danger pour le coupable, c′est l′intérêt qui dicte les aveux. Pour les fautes sans sanction, c′est l′amour-propre. Soit que, trouvant sans doute bien usé le prétexte des gens qui, pour ne pas laisser interrompre par les chagrins leur vie de plaisirs, vont répétant qu′il leur semble vain de porter extérieurement un deuil qu′ils ont dans le cœur, Mme Verdurin préférât imiter ces coupables intelligents, à qui répugnent les clichés de l′innocence, et dont la défense — demi-aveu sans qu′ils s′en doutent — consiste à dire qu′ils n′auraient vu aucun mal à commettre ce qui leur est reproché et que par hasard, du reste, ils n′ont pas eu l′occasion de faire ; soit qu′ayant adopté, pour expliquer sa conduite, la thèse de l′indifférence, elle trouvât, une fois lancée sur la pente de son mauvais sentiment, qu′il y avait quelque originalité à l′éprouver, une perspicacité rare à avoir su le démêler, et un certain « culot » à le proclamer, ainsi Mme Verdurin tint à insister sur son manque de chagrin, non sans une certaine satisfaction orgueilleuse de psychologue paradoxal et de dramaturge hardi. « Oui, c′est très drôle, dit-elle, ça ne m′a presque rien fait. Mon Dieu, je ne peux pas dire que je n′aurais pas mieux aimé qu′elle vécût, ce n′était pas une mauvaise personne. — Si, interrompit M. Verdurin. — Ah ! lui ne l′aime pas parce qu′il trouvait que cela me faisait du tort de la recevoir, mais il est aveuglé par ça. — Rends-moi cette justice, dit M. Verdurin, que je n′ai jamais approuvé cette fréquentation. Je t′ai toujours dit qu′elle avait mauvaise réputation. — Mais je ne l′ai jamais entendu dire, protesta Saniette. — Mais comment ? s′écria Mme Verdurin, c′était universellement connu ; pas mauvaise, mais honteuse, déshonorante. Non, mais ce n′est pas à cause de cela. Je ne saurais pas moi-même expliquer mon sentiment ; je ne la détestais pas, mais elle m′était tellement indifférente que, quand nous avons appris qu′elle était très mal, mon mari lui-même a été étonné et m′a dit : « On dirait que cela ne te fait rien. » Mais tenez, ce soir, il m′avait offert de décommander la répétition, et j′ai tenu, au contraire, à la donner, parce que j′aurais trouvé une comédie de témoigner un chagrin que je n′éprouve pas. » Elle disait cela parce qu′elle trouvait que c′était curieusement théâtre libre, et aussi que c′était joliment commode ; car l′insensibilité ou l′immoralité avouée simplifie autant la vie que la morale facile ; elle fait des actions blâmables, et pour lesquelles on n′a plus alors besoin de chercher d′excuses, un devoir de sincérité. Et les fidèles écoutaient les paroles de Mme Verdurin avec le mélange d′admiration et de malaise que certaines pièces cruellement réalistes et d′une observation pénible causaient parfois ; et tout en s′émerveillant de voir leur chère Patronne donner une forme nouvelle de sa droiture et de son indépendance, plus d′un, tout en se disant qu′après tout ce ne serait pas la même chose, pensait à sa propre mort et se demandait si, le jour qu′elle surviendrait, on pleurerait ou on donnerait une fête quai Conti. « Je suis bien content que la soirée n′ait pas été décommandée, à cause de mes invités », dit M. de Charlus, qui ne se rendait pas compte qu′en s′exprimant ainsi il froissait Mme Verdurin. Cependant j′étais frappé, comme chaque personne qui approcha ce soir-là Mme Verdurin, par une odeur assez peu agréable de rhino-goménol. Voici à quoi cela tenait. On sait que Mme Verdurin n′exprimait jamais ses émotions artistiques d′une façon morale, mais physique, pour qu′elles semblassent plus inévitables et plus profondes. Or, si on lui parlait de la musique de Vinteuil, sa préférée, elle restait indifférente, comme si elle n′en attendait aucune émotion. Mais après quelques minutes de regard immobile, presque distrait, sur un ton précis, pratique, presque peu poli (comme si elle vous avait dit : « Cela me serait égal que vous fumiez mais c′est à cause du tapis, il est très beau — ce qui me serait encore égal — mais il est très inflammable, j′ai très peur du feu et je ne voudrais pas vous faire flamber tous, pour un bout de cigarette mal éteinte que vous auriez laissé tomber par terre »), elle vous répondait : « Je n′ai rien contre Vinteuil ; à mon sens, c′est le plus grand musicien du siècle, seulement je ne peux pas écouter ces machines-là sans cesser de pleurer un instant (elle ne disait nullement « pleurer » d′un air pathétique, elle aurait dit d′un air aussi naturel « dormir » ; certaines méchantes langues prétendaient même que ce dernier verbe eût été plus vrai, personne ne pouvant, du reste, décider, car elle écoutait cette musique-là la tête dans ses mains, et certains bruits ronfleurs pouvaient, après tout, être des sanglots). Pleurer ça ne me fait pas mal, tant qu′on voudra, seulement ça me fiche, après, des rhumes à tout casser. Cela me congestionne la muqueuse, et quarante-huit heures après, j′ai l′air d′une vieille poivrote et, pour que mes cordes vocales fonctionnent, il me faut faire des journées d′inhalation. Enfin un élève de Cottard, un être délicieux, m′a soignée pour ça. Il professe un axiome assez original : « Mieux vaut prévenir que guérir. » Et il me graisse le nez avant que la musique commence. C′est radical. Je peux pleurer comme je ne sais pas combien de mères qui auraient perdu leurs enfants, pas le moindre rhume. Quelquefois un peu de conjonctivite, mais c′est tout. L′efficacité est absolue. Sans cela je n′aurais pu continuer à écouter du Vinteuil. Je ne faisais plus que tomber d′une bronchite dans une autre. » Je ne pus plus me retenir de parler de Mlle Vinteuil. « Est-ce que la fille de l′auteur n′est pas là, demandai-je à Mme Verdurin, ainsi qu′une de ses amies ? — Non, je viens justement de recevoir une dépêche, me dit évasivement Mme Verdurin ; elles ont été obligées de rester à la campagne. » J′eus un instant l′espérance qu′il n′avait peut-être jamais été question qu′elles la quittassent, et que Mme Verdurin n′avait annoncé ces représentants de l′auteur que pour impressionner favorablement les interprètes et le public. « Comment, alors, elles ne sont même pas venues à la répétition de tantôt ? » dit avec une fausse curiosité le baron qui voulut paraître ne pas avoir vu Charlie. Celui-ci vint me dire bonjour. Je l′interrogeai à l′oreille, relativement à Mlle Vinteuil ; il me sembla fort peu au courant. Je lui fis signe de ne pas parler haut et l′avertis que nous en recauserions. Il s′inclina en me promettant qu′il serait trop heureux d′être à ma disposition entière. Je remarquai qu′il était beaucoup plus poli, beaucoup plus respectueux qu′autrefois. Je fis compliment de lui — de lui qui pourrait peut-être m′aider à éclaircir mes soupçons — à M. de Charlus, qui me répondit : « Il ne fait que ce qu′il doit, ce ne serait pas la peine qu′il vécût avec des gens comme il faut pour avoir de mauvaises manières. » Les bonnes, selon M. de Charlus, étaient les vieilles manières françaises, sans ombre de raideur britannique. Aussi, quand Charlie, revenant de faire une tournée en province ou à l′étranger, débarquait en costume de voyage chez le baron, celui-ci, s′il n′y avait pas trop de monde, l′embrassait sans façon sur les deux joues, peut-être un peu pour ôter, par tant d′ostentation de sa tendresse, toute idée qu′elle pût être coupable, peut-être pour ne pas se refuser un plaisir, mais plus encore sans doute par littérature, pour maintien et illustration des anciennes manières de France, et comme il aurait protesté contre le style munichois ou le modern style en gardant de vieux fauteuils de son arrière-grand′mère, opposant au flegme britannique la tendresse d′un père sensible du XVIIIe siècle qui ne dissimule pas sa joie de revoir un fils. Y avait-il enfin une pointe d′inceste, dans cette affection paternelle ? Il est plus probable que la façon dont M. de Charlus contentait habituellement son vice, et sur laquelle nous recevrons ultérieurement quelques éclaircissements, ne suffisait pas à ses besoins affectifs, restés vacants depuis la mort de sa femme ; toujours est-il qu′après avoir songé plusieurs fois à se remarier, il était travaillé maintenant d′une maniaque envie d′adopter. On disait qu′il allait adopter Morel, et ce n′est pas extraordinaire. L′inverti qui n′a pu nourrir sa passion qu′avec une littérature écrite pour les hommes à femmes, qui pensait aux hommes en lisant les Nuits de Musset, éprouve le besoin d′entrer de même dans toutes les fonctions sociales de l′homme qui n′est pas inverti, d′entretenir un amant, comme le vieil habitué de l′Opéra des danseuses, d′être rangé, d′épouser ou de se coller, d′être père To revert to M. de Charlus, Mme. Verdurin would not have minded so much if he had placed on his Index only Comtesse Molé and Mme. Bontemps, whom she had picked out at Odette′s on the strength of her love of the fine arts, and who during the Dreyfus case had come to dinner occasionally bringing her husband, whom Mme. Verdurin called ‘lukewarm,′ because he was not making any move for a fresh trial, but who, being extremely intelligent, and glad to form relations in every camp, was delighted to shew his independence by dining at the same table as Labori, to whom he listened without uttering a word that might compromise himself, but managed to slip in at the right moment a tribute to the loyalty, recognised by all parties, of Jaurès. But the Baron had similarly proscribed several ladies of the aristocracy whose acquaintance Mme. Verdurin, on the occasion of some musical festivity or a collection for charity, had recently formed and who, whatever M. de Charlus might think of them, would have been, far more than himself, essential to the formation of a fresh nucleus at Mme. Verdurin′s, this time aristocratic. Mme. Verdurin had indeed been reckoning upon this party, to which M. de Charlus would be bringing her women of the same set, to mix her new friends with them, and had been relishing in anticipation the surprise that the latter would feel upon meeting at Quai Conti their own friends or relatives invited there by the Baron. She was disappointed and furious at his veto. It remained to be seen whether the evening, in these conditions, would result in profit or loss to herself. The loss would not be too serious if only M. de Charlus′s guests came with so friendly a feeling for Mme. Verdurin that they would become her friends in the future. In this case the mischief would be only half done, these two sections of the fashionable world, which the Baron had insisted upon keeping apart, would be united later on, he himself being excluded, of course, when the time came. And so Mme. Verdurin was awaiting the Baron′s guests with a certain emotion. She would not be slow in discovering the state of mind in which they came, and the degree of intimacy to which she might hope to attain. While she waited, Mme. Verdurin took counsel with the faithful, but, upon seeing M. de Charlus enter the room with Brichot and myself, stopped short. Greatly to our astonishment, when Brichot told her how sorry he was to learn that her dear friend was so seriously ill, Mme. Verdurin replied: “Listen, I am obliged to confess that I am not at all sorry. It is useless to pretend to feel what one does not feel.” No doubt she spoke thus from want of energy, because she shrank from the idea of wearing a long face throughout her party, from pride, in order not to appear to be seeking excuses for not having cancelled her invitations, from self-respect also and social aptitude, because the absence of grief which she displayed was more honourable if it could be attributed to a peculiar antipathy, suddenly revealed, to the Princess, rather than to a universal insensibility, and because her hearers could not fail to be disarmed by a sincerity as to which there could be no doubt. If Mme. Verdurin had not been genuinely unaffected by the death of the Princess, would she have gone on to excuse herself for giving the party, by accusing herself of a far more serious fault? Besides, one was apt to forget that Mme. Verdurin would thus have admitted, while confessing her grief, that she had not had the strength of mind to forego a pleasure; whereas the indifference of the friend was something more shocking, more immoral, but less humiliating, and consequently easier to confess than the frivolity of the hostess. In matters of crime, where the culprit is in danger, it is his material interest that prompts the confession. Where the fault incurs no penalty, it is self-esteem. Whether it was that, doubtless feeling the pretext to be too hackneyed of the people who, so as not to allow a bereavement to interrupt their life of pleasure, go about saying that it seems to them useless to display the outward signs of a grief which they feel in their hearts, Mme. Verdurin preferred to imitate those intelligent culprits who are revolted by the commonplaces of innocence and whose defence — a partial admission, though they do not know it — consists in saying that they would see no harm in doing what they are accused of doing, although, as it happens, they have had no occasion to do it; or that, having adopted, to explain her conduct, the theory of indifference, she found, once she had started upon the downward slope of her unnatural feeling, that it was distinctly original to have felt it, that she displayed a rare perspicacity in having managed to diagnose her own symptoms, and a certain ‘nerve′ in proclaiming them; anyhow, Mme. Verdurin kept dwelling upon her want of grief, not without a certain proud satisfaction, as of a paradoxical psychologist and daring dramatist. “Yes, it is very funny,” she said, “I hardly felt it. Of course, I don′t mean to say that I wouldn′t rather she were still alive, she was not a bad person.” “Yes, she was,” put in M. Verdurin. “Ah! He doesn′t approve of her because he thought that I was doing myself harm by having her here, but he is quite pig-headed about that.” “Do me the justice to admit,” said M. Verdurin, “that I never approved of your having her. I always told you that she had a bad reputation.” “But I have never heard a thing against her,” protested Saniette. “What!” exclaimed Mme. Verdurin, “everybody knew; bad isn′t the word, it was scandalous, appalling. No, it has nothing to do with that. I couldn′t explain, myself, what I felt; I didn′t dislike her, but I took so little interest in her that, when we heard that she was seriously ill, my husband himself was quite surprised, and said: ‘Anyone would think that you didn′t mind.′ Why, this evening, he offered to put off the party, and I insisted upon having it, because I should have thought it a farce to shew a grief which I do not feel.” She said this because she felt that it had a curious smack of the ‘independent theatre,′ and was at the same time singularly convenient; for an admitted insensibility or immorality simplifies life as much as does easy virtue; it converts reproachable actions, for which one no longer need seek any excuse, into a duty imposed by sincerity. And the faithful listened to Mme. Verdurin′s speech with the blend of admiration and misgiving which certain cruelly realistic plays, that shewed a profound observation, used at one time to cause, and, while they marvelled to see their beloved Mistress display a novel aspect of her rectitude and independence, more than one of them, albeit he assured himself that after all it would not be the same thing, thought of his own death, and asked himself whether, on the day when death came to him, they would draw the blinds or give a party at Quai Conti. “I am very glad that the party has not been put off, for my guests′ sake,” said M. de Charlus, not realising that in expressing himself thus he was offending Mme. Verdurin. Meanwhile I was struck, as was everybody who approached Mme. Verdurin that evening, by a far from pleasant odour of rhinogomenol. The reason was as follows. We know that Mme. Verdurin never expressed her artistic feelings in a moral, but always in a physical fashion, so that they might appear more inevitable and more profound. So, if one spoke to her of Vinteuil′s music, her favourite, she remained unmoved, as though she expected to derive no emotion from it. But after a few minutes of a fixed, almost abstracted gaze, in a sharp, matter of fact, scarcely civil tone (as though she had said to you: “I don′t in the least mind your smoking, it′s because of the carpet; it′s a very fine one [not that that matters either], but it′s highly inflammable, I′m dreadfully afraid of fire, and I shouldn′t like to see you all roasted because some one had carelessly dropped a cigarette end on it”), she replied: “I have no fault to find with Vinteuil; to my mind, he is the greatest composer of the age, only I can never listen to that sort of stuff without weeping all the time” (she did not apply any pathos to the word ‘weeping,′ she would have used precisely the same tone for ‘sleeping′; certain slandermongers used indeed to insist that the latter verb would have been more applicable, though no one could ever be certain, for she listened to the music with her face buried in her hands, and certain snoring sounds might after all have been sobs). “I don′t mind weeping, not in the least; only I get the most appalling colds afterwards. It stuffs up my mucous membrane, and the day after I look like nothing on earth. I have to inhale for days on end before I can utter. However, one of Cottard′s pupils, a charming person, has been treating me for it. He goes by quite an original rule: ‘Prevention is better than cure.′ And he greases my nose before the music begins. It is radical. I can weep like all the mothers who ever lost a child, not a trace of a cold. Sometimes a little conjunctivitis, that′s all. It is absolutely efficacious. Otherwise I could never have gone on listening to Vinteuil. I was just going from one bronchitis to another.” I could not refrain from alluding to Mlle. Vinteuil. “Isn′t the composer′s daughter to be here,” I asked Mme. Verdurin, “with one of her friends?” “No, I have just had a telegram,” Mme. Verdurin said evasively, “they have been obliged to remain in the country.” I felt a momentary hope that there might never have been any question of their leaving it and that Mme. Verdurin had announced the presence of these representatives of the composer only in order to make a favourable impression upon the performers and their audience. “What, didn′t they come, then, to the rehearsal this afternoon?” came with a feigned curiosity from the Baron who was anxious to let it appear that he had not seen Charlie. The latter came up to greet me. I whispered a question in his ear about Mlle. Vinteuil; he seemed to me to know little or nothing about her. I signalled to him not to let himself be heard and told him that we should discuss the question later on. He bowed, and assured me that he would be delighted to place himself entirely at my disposal. I observed that he was far more polite, more respectful, than he had been in the past. I spoke warmly of him — who might perhaps be able to help me to clear up my suspicions — to M. de Charlus who replied: “He only does what is natural, there would be no point in his living among respectable people if he didn′t learn good manners.” These, according to M. de Charlus, were the old manners of France, untainted by any British bluntness. Thus when Charlie, returning from a tour in the provinces or abroad, arrived in his travelling suit at the Baron′s, the latter, if there were not too many people present, would kiss him without ceremony upon both cheeks, perhaps a little in order to banish by so ostentatious a display of his affection any idea of its being criminal, perhaps because he could not deny himself a pleasure, but still more, doubtless, from a literary sense, as upholding and illustrating the traditional manners of France, and, just as he would have countered the Munich or modern style of furniture by keeping in his rooms old armchairs that had come to him from a great-grandmother, countering the British phlegm with the affection of a warm-hearted father of the eighteenth century, unable to conceal his joy at beholding his son once more. Was there indeed a trace of incest in this paternal affection? It is more probable that the way in which M. de Charlus habitually appeased his vicious cravings, as to which we shall learn something in due course, was not sufficient for the need of affection, which had remained unsatisfied since the death of his wife; the fact remains that after having thought more than once of a second marriage, he was now devoured by a maniacal desire to adopt an heir. People said that he was going to adopt Morel, and there was nothing extraordinary in that. The invert who has been unable to feed his passion save on a literature written for women-loving men, who used to think of men when he read Mussel′s Nuits, feels the need to partake, nevertheless, in all the social activities of the man who is not an invert, to keep a lover, as the old frequenter of the Opera keeps ballet-girls, to settle down, to marry or form a permanent tie, to become a father.
M. de Charlus s′éloigna avec Morel, sous prétexte de se faire expliquer ce qu′on allait jouer, trouvant surtout une grande douceur, tandis que Charlie lui montrait sa musique, à étaler ainsi publiquement leur intimité secrète. Pendant ce temps-là j′étais charmé. Car, bien que le petit clan comportât peu de jeunes filles, on en invitait pas mal, par compensation, les jours de grandes soirées. Il y en avait plusieurs, et de fort belles, que je connaissais. Elles m′envoyaient de loin un sourire de bienvenue. L′air était ainsi décoré de moment en moment d′un beau sourire de jeune fille. C′est l′ornement multiple et épars des soirées, comme des jours. On se souvient d′une atmosphère parce que des jeunes filles y ont souri. M. de Charlus took Morel aside on the pretext of making him tell him what was going to be played, but above all finding a great consolation, while Charlie shewed him his music, in displaying thus publicly their secret intimacy. In the meantime I myself felt a certain charm. For albeit the little clan included few girls, on the other hand girls were abundantly invited on the big evenings. There were a number present, and very pretty girls too, whom I knew. They wafted smiles of greeting to me across the room. The air was thus decorated at every moment with the charming smile of some girl. That is the manifold, occasional ornament of evening parties, as it is of days. We remember an atmosphere because girls were smiling in it.
On eût été bien étonné si l′on avait noté les propos furtifs que M. de Charlus avait échangés avec plusieurs hommes importants de cette soirée. Ces hommes étaient deux ducs, un général éminent, un grand écrivain, un grand médecin, un grand avocat. Or les propos avaient été : « À propos, avez-vous vu le valet de pied ? je parle du petit qui monte sur la voiture. Et chez notre cousine Guermantes, vous ne connaissez rien ? — Actuellement non. — Dites donc, devant la porte d′entrée aux voitures, il y avait une jeune personne blonde, en culotte courte, qui m′a semblé tout à fait sympathique. Elle m′a appelé très gracieusement ma voiture, j′aurais volontiers prolongé la conversation. — Oui, mais je la crois tout à fait hostile, et puis ça fait des façons ; vous qui aimez que les choses réussissent du premier coup, vous seriez dégoûté. Du reste, je sais qu′il n′y a rien à faire, un de mes amis a essayé. — C′est regrettable, j′avais trouvé le profil très fin et les cheveux superbes. — Vraiment, vous trouvez ça si bien que ça ? Je crois que si vous l′aviez vue un peu plus, vous auriez été désillusionné. Non, c′est au buffet qu′il y a encore deux mois vous auriez vu une vraie merveille, un grand gaillard de deux mètres, une peau idéale, et puis aimant ça. Mais c′est parti pour la Pologne. — Ah ! c′est un peu loin. — Qui sait ? ça reviendra peut-être. On se retrouve toujours dans la vie. » Il n′y a pas de grande soirée mondaine, si, pour en avoir une coupe, on sait la prendre à une profondeur suffisante, qui ne soit pareille à ces soirées où les médecins invitent leurs malades, lesquels tiennent des propos fort sensés, ont de très bonnes manières, et ne montreraient pas qu′ils sont fous s′ils ne vous glissaient à l′oreille, en vous montrant un vieux monsieur qui passe : « C′est Jeanne d′Arc. » Many people might have been greatly surprised had they overheard the furtive remarks which M. de Charlus exchanged with a number of important gentlemen at this party. These were two Dukes, a distinguished General, a great writer, a great physician, a great barrister. And the remarks in question were: “By the way, did you notice the footman, I mean the little fellow they take on the carriage? At our cousin Guermantes′, you don′t know of anyone?” “At the moment, no.” “I say, though, outside the door, where the carriages stop, there used to be a fair little person, in breeches, who seemed to me most attractive. She called my carriage most charmingly, I would gladly have prolonged the conversation.” “Yes, but I believe she′s altogether against it, besides, she puts on airs, you like to get to business at once, you would loathe her. Anyhow, I know there′s nothing doing, a friend of mine tried.” “That is a pity, I thought the profile very fine, and the hair superb.” “Really, as much as that? I think, if you had seen a little more of her, you would have been disillusioned. No, in the supper-room, only two months ago you would have seen a real marvel, a great fellow six foot six, a perfect skin, and loves it, too. But he′s gone off to Poland.” “Ah, that is rather a long way.” “You never know, he may come back, perhaps. One always meets again somewhere.” There is no great social function that does not, if, in taking a section of it, we contrive to cut sufficiently deep, resemble those parties to which doctors invite their patients, who utter the most intelligent remarks, have perfect manners, and would never shew that they were mad did they not whisper in our ear, pointing to some old gentleman who goes past: “That′s Joan of Arc.”
« Je trouve que ce serait de notre devoir de l′éclairer, dit Mme Verdurin à Brichot. Ce que je fais n′est pas contre Charlus ; au contraire. Il est agréable, et quant à sa réputation, je vous dirai qu′elle est d′un genre qui ne peut pas me nuire ! Même moi, qui pour notre petit clan, pour nos dîners de conversation, déteste les flirts, les hommes disant des inepties à une femme dans un coin au lieu de traiter des sujets intéressants, avec Charlus je n′avais pas à craindre ce qui m′est arrivé avec Swann, avec Elstir, avec tant d′autres. Avec lui j′étais tranquille, il arrivait là à mes dîners, il pouvait y avoir toutes les femmes du monde, on était sûr que la conversation générale n′était pas troublée par des flirts, des chuchotements. Charlus c′est à part, on est tranquille, c′est comme un prêtre. Seulement, il ne faut pas qu′il se permette de régenter les jeunes gens qui viennent ici et de porter le trouble dans notre petit noyau, sans cela ce sera encore pire qu′un homme à femmes. » Et Mme Verdurin était sincère en proclamant ainsi son indulgence pour le Charlisme. Comme tout pouvoir ecclésiastique, elle jugeait les faiblesses humaines moins graves que ce qui pouvait affaiblir le principe d′autorité, nuire à l′orthodoxie, modifier l′antique credo, dans sa petite Église. « Sans cela, moi je montre les dents. Voilà un Monsieur qui a voulu empêcher Charlie de venir à une répétition parce qu′il n′y était pas convié. Aussi il va avoir un avertissement sérieux, j′espère que cela lui suffira, sans cela il n′aura qu′à prendre la porte. Il le chambre, ma parole. » Et usant exactement des mêmes expressions que presque tout le monde aurait employées, car il en est certaines, pas habituelles, que tel sujet particulier, telle circonstance donnée font affluer presque nécessairement à la mémoire du causeur, qui croit exprimer librement sa pensée et ne fait que répéter machinalement la leçon universelle, elle ajouta : « On ne peut plus voir Morel sans qu′il soit affublé de ce grand escogriffe, de cette espèce de garde du corps. » M. Verdurin proposa d′emmener un instant Charlie pour lui parler, sous prétexte de lui demander quelque chose. Mme Verdurin craignit qu′il ne fût ensuite troublé et jouât mal. « Il vaudrait mieux retarder cette exécution jusqu′après celle des morceaux. Et peut-être même jusqu′à une autre fois. » Car Mme Verdurin avait beau tenir à la délicieuse émotion qu′elle éprouverait quand elle saurait son mari en train d′éclairer Charlie dans une pièce voisine, elle avait peur, si le coup ratait, qu′il ne se fâchât et lâchât le 16. “I feel that it is our duty to enlighten him,” Mme. Verdurin said to Brichot. “Not that I have anything against Charlus, far from it. He is a pleasant fellow and as for his reputation, I don′t mind saying that it is not of a sort that can do me any harm! As far as I′m concerned, in our little clan, in our table-talk, as I detest flirts, the men who talk nonsense to a woman in a corner instead of discussing interesting topics, I′ve never had any fear with Charlus of what happened to me with Swann, and Elstir, and lots of them. With him I was quite safe, he would come to my dinners, all the women in the world might be there, you could be certain that the general conversation would not be disturbed by flirtations and whisperings. Charlus is in a class of his own, one doesn′t worry, he might be a priest. Only, he must not be allowed to take it upon himself to order about the young men who come to the house and make a nuisance of himself in our little nucleus, or he′ll be worse than a man who runs after women.” And Mme. Verdurin was sincere in thus proclaiming her indulgence towards Charlism. Like every ecclesiastical power she regarded human frailties as less dangerous than anything that might undermine the principle of authority, impair the orthodoxy, modify the ancient creed of her little Church. “If he does, then I shall bare my teeth. What do you say to a gentleman who tried to prevent Charlie from coming to a rehearsal because he himself was not invited? So he′s going to be taught a lesson, I hope he′ll profit by it, otherwise he can simply take his hat and go. He keeps the boy under lock and key, upon my word he does.” And, using exactly the same expressions that almost anyone else might have used, for there are certain not in common currency which some particular subject, some given circumstance recalls almost inevitably to the mind of the speaker, who imagines that he is giving free expression to his thought when he is merely repeating mechanically the universal lesson, she went on: “It′s impossible to see Morel nowadays without that great lout hanging round him, like an armed escort.” M. Verdurin offered to take Charlie out of the room for a minute to explain things to him, on the pretext of asking him a question. Mme. Verdurin was afraid that this might upset him, and that he would play badly in consequence. It would be better to postpone this performance until after the other. Perhaps even until a later occasion. For however Mme. Verdurin might look forward to the delicious emotion that she would feel when she knew that her husband was engaged in enlightening Charlie in the next room, she was afraid, if the shot missed fire, that he would lose his temper and would fail to reappear on the sixteenth.
Ce qui perdit M. de Charlus ce soir-là fut la mauvaise éducation — si fréquente dans ce monde — des personnes qu′il avait invitées et qui commençaient à arriver. Venues à la fois par amitié pour M. de Charlus, et avec la curiosité de pénétrer dans un endroit pareil, chaque duchesse allait droit au baron, comme si c′était lui qui avait reçu, et disait, juste à un pas des Verdurin, qui entendaient tout : « Montrez-moi où est la mère Verdurin ; croyez-vous que ce soit indispensable que je me fasse présenter ? J′espère, au moins, qu′elle ne fera pas mettre mon nom dans le journal demain, il y aurait de quoi me brouiller avec tous les miens. Comment ! comment, c′est cette femme à cheveux blancs ? mais elle n′a pas trop mauvaise façon. » Entendant parler de Mlle Vinteuil, d′ailleurs absente, plus d′une disait : « Ah ! la fille de la Sonate ? Montrez-moi-la » et, retrouvant beaucoup d′amies, elles faisaient bande à part, épiaient, pétillantes de curiosité ironique, l′entrée des fidèles, trouvaient tout au plus à se montrer du doigt la coiffure un peu singulière d′une personne qui, quelques années plus tard, devait la mettre à la mode dans le plus grand monde, et, somme toute, regrettaient de ne pas trouver ce salon aussi dissemblable de ceux qu′elles connaissaient, qu′elles avaient espéré, éprouvant le désappointement de gens du monde qui, étant allés dans la boîte à Bruant dans l′espoir d′être engueulés par le chansonnier, se seraient vus, à leur entrée, accueillis par un salut correct au lieu du refrain attendu : What ruined M. de Charlus that evening was the ill-breeding — so common in their class — of the people whom he had invited and who were now beginning to arrive. Having come there partly out of friendship for M. de Charlus and also out of curiosity to explore these novel surroundings, each Duchess made straight for the Baron as though it were he who was giving the party and said, within a yard of the Verdurins, who could hear every word: “Shew me which is mother Verdurin; do you think I really need speak to her? I do hope at least, that she won′t put my name in the paper to-morrow, nobody would ever speak to me again. What! That woman with the white hair, but she looks quite presentable.” Hearing some mention of Mlle. Vinteuil, who, however, was not in the room, more than one of them said: “Ah! The sonata-man′s daughter? Shew me her” and, each finding a number of her friends, they formed a group by themselves, watched, sparkling with ironical curiosity, the arrival of the faithful, able at the most to point a finger at the odd way in which a person had done her hair, who, a few years later, was to make this the fashion in the very best society, and, in short, regretted that they did not find this house as different from the houses that they knew, as they had hoped to find it, feeling the disappointment of people in society who, having gone to the Boîte à Bruant in the hope that the singer would make a butt of them, find themselves greeted on their arrival with a polite bow instead of the expected:
Ah! voyez c′te gueule, c′te binette.
Ah! voyez c′te gueule qu′elle a.
Ah! voyez c′te gueule, c′te binette.
Ah! voyez c′te gueule qu′elle a.
M. de Charlus avait, à Balbec, finement critiqué devant moi Mme de Vaugoubert qui, malgré sa grande intelligence, avait causé, après la fortune inespérée, l′irrémédiable disgrâce de son mari. Les souverains auprès desquels M. de Vaugoubert était accrédité, le roi Théodose et la reine Eudoxie, étant revenus à Paris, mais cette fois pour un séjour de quelque durée, des fêtes quotidiennes avaient été données en leur honneur, au cours desquelles la Reine, liée avec Mme de Vaugoubert qu′elle voyait depuis dix ans dans sa capitale, et ne connaissant ni la femme du Président de la République, ni les femmes des Ministres, s′était détournée de celles-ci pour faire bande à part avec l′Ambassadrice. Celle-ci, croyant sa position hors de toute atteinte — M. de Vaugoubert étant l′auteur de l′alliance entre le roi Théodose et la France — avait conçu, de la préférence que lui marquait la Reine, une satisfaction d′orgueil, mais nulle inquiétude du danger qui la menaçait et qui se réalisa quelques mois plus tard en l′événement, jugé à tort impossible par le couple trop confiant, de la brutale mise à la retraite de M. de Vaugoubert. M. de Charlus, commentant dans le « tortillard » la chute de son ami d′enfance, s′étonnait qu′une femme intelligente n′eût pas, en pareille circonstance, fait servir toute son influence sur les souverains à obtenir d′eux qu′elle parût n′en posséder aucune, et à leur faire reporter sur les femmes du Président de la République et des Ministres une amabilité dont elles eussent été d′autant plus flattées, c′est-à-dire dont elles eussent été plus près, dans leur contentement, de savoir gré aux Vaugoubert, qu′elles eussent cru que cette amabilité était spontanée et non pas dictée par eux. Mais qui voit le tort des autres, pour peu que les circonstances le grisent, y succombe souvent lui-même. Et M. de Charlus, pendant que ses invités se frayaient un chemin pour venir le féliciter, le remercier comme s′il avait été le maître de maison, ne songea pas à leur demander de dire quelques mots à Mme Verdurin. Seule la reine de Naples, en qui vivait le même noble sang qu′en ses sœurs l′impératrice Élisabeth et la duchesse d′Alençon, se mit à causer avec Mme Verdurin comme si elle était venue pour le plaisir de la voir plus que pour la musique et pour M. de Charlus, fit mille déclarations à la Patronne, ne tarit pas sur l′envie qu′elle avait depuis si longtemps de faire sa connaissance, la complimenta sur sa maison et lui parla des sujets les plus divers comme si elle était en visite. Elle eût tant voulu amener sa nièce Élisabeth, disait-elle (celle qui devait peu après épouser le prince Albert de Belgique), et qui regretterait tant ! Elle se tut en voyant les musiciens s′installer sur l′estrade et se fit montrer Morel. Elle ne devait guère se faire d′illusion sur les motifs qui portaient M. de Charlus à vouloir qu′on entourât le jeune virtuose de tant de gloire. Mais sa vieille sagesse de souveraine en qui coulait un des sangs les plus nobles de l′histoire, les plus riches d′expérience, de scepticisme et d′orgueil, lui faisait seulement considérer les tares inévitables des gens qu′elle aimait le mieux, comme son cousin Charlus (fils comme elle d′une duchesse de Bavière), comme des infortunes qui leur rendaient plus précieux l′appui qu′ils pouvaient trouver en elle et faisaient, en conséquence, qu′elle avait plus de plaisir encore à le leur fournir. Elle savait que M. de Charlus serait doublement touché qu′elle se fût dérangée en pareille circonstance. Seulement, aussi bonne qu′elle s′était jadis montrée brave, cette femme héroî°µe qui, reine-soldat, avait fait elle-même le coup de feu sur les remparts de Gaète, toujours prête à aller chevaleresquement du côté des faibles, voyant Mme Verdurin seule et délaissée, et qui ignorait, d′ailleurs, qu′elle n′eût pas dû quitter la Reine, avait cherché à feindre que pour elle, reine de Naples, le centre de cette soirée, le point attractif qui l′avait fait venir c′était Mme Verdurin. Elle s′excusa sur ce qu′elle ne pourrait pas rester jusqu′à la fin, devant, quoiqu′elle ne sortît jamais, aller à une autre soirée, et demandant que surtout, quand elle s′en irait, on ne se dérangeât pas pour elle, tenant ainsi Mme Verdurin quitte d′honneurs que celle-ci ne savait du reste pas qu′on avait à lui rendre. M. de Charlus had, at Balbec, given me a perspicacious criticism of Mme. de Vaugoubert who, notwithstanding her keen intellect, had brought about, after his unexpected prosperity, the irremediable disgrace of her husband. The rulers to whose Court M. de Vaugoubert was accredited, King Theodosius and Queen Eudoxia, having returned to Paris, but this time for a prolonged visit, daily festivities had been held in their honour, in the course of which the Queen, on the friendliest terms with Mme. de Vaugoubert, whom she had seen for the last ten years in her own capital, and knowing neither the wife of the President of the Republic nor those of his Ministers, had neglected these ladies and kept entirely aloof with the Ambassadress. This lady, believing her own position to be unassailable — M. de Vaugoubert having been responsible for the alliance between King Theodosius and France — had derived from the preference that the Queen shewed for her society a proud satisfaction but no anxiety at the peril that threatened her, which took shape a few months later in the fact, wrongly considered impossible by the too confident couple, of the brutal dismissal from the Service of M. de Vaugoubert. M. de Charlus, remarking in the ‘crawler′ upon the downfall of his lifelong friend, expressed his astonishment that an intelligent woman had not, in such circumstances, brought all her influence with the King and Queen to bear, so as to secure that she might not seem to possess any influence, and to make them transfer to the wives of the President and his Ministers a civility by which those ladies would have been all the more flattered, that is to say which would have made them more inclined, in their satisfaction, to be grateful to the Vaugouberts, inasmuch as they would have supposed that civility to be spontaneous, and not dictated by them. But the man who can see the mistakes of others need only be exhilarated by circumstances in order to succumb to them himself. And M. de Charlus, while his guests fought their way towards him, to come and congratulate him, thank him, as though he were the master of the house, never thought of asking them to say a few words to Mme. Verdurin. Only the Queen of Naples, in whom survived the same noble blood that had flowed in the veins of her sisters the Empress Elisabeth and the Duchesse d′Alençon, made a point of talking to Mme. Verdurin as though she had come for the pleasure of meeting her rather than for the music and for M. de Charlus, made endless pretty speeches to her hostess, could not cease from telling her for how long she had been wishing to make her acquaintance, expressed her admiration for the house and spoke to her of all manner of subjects as though she were paying a call. She would so much have liked to bring her niece Elisabeth, she said (the niece who shortly afterwards was to marry Prince Albert of Belgium), who would be so sorry. She stopped talking when she saw the musicians mount the platform, asking which of them was Morel. She can scarcely have been under any illusion as to the motives that led M. de Charlus to desire that the young virtuoso should be surrounded with so much glory. But the venerable wisdom of a sovereign in whose veins flowed the blood of one of the noblest races in history, one of the richest in experience, scepticism and pride, made her merely regard the inevitable defects of the people whom she loved best, such as her cousin Charlus (whose mother had been, like herself, a ‘Duchess in Bavaria′), as misfortunes that rendered more precious to them the support that they might find in herself and consequently made it even more pleasant to her to provide that support. She knew that M. de Charlus would be doubly touched by her having taken the trouble to come, in the circumstances. Only, being as good as she had long ago shewn herself brave, this heroic woman who, a soldier-queen, had herself fired her musket from the ramparts of Gaeta, always ready to take her place chivalrously by the weaker side, seeing Mme. Verdurin alone and abandoned, and unaware (for that matter) that she ought not to leave the Queen, had sought to pretend that for her, the Queen of Naples, the centre of this party, the lodestone that had made her come was Mme. Verdurin. She expressed her regret that she would not be able to remain until the end, as she had, although she never went anywhere, to go on to another party, and begged that on no account, when she had to go, should any fuss be made for her, thus discharging Mme. Verdurin of the honours which the latter did not even know that she ought to render.
Il faut rendre pourtant cette justice à M. de Charlus que, s′il oublia entièrement Mme Verdurin et la laissa oublier, jusqu′au scandale, par les gens « de son monde » à lui qu′il avait invités, il comprit, en revanche, qu′il ne devait pas laisser ceux-ci garder, en face de la « manifestation musicale » elle-même, les mauvaises façons dont ils usaient à l′égard de la Patronne.. Morel était déjà monté sur l′estrade, les artistes se groupaient, que l′on entendait encore des conversations, voire des rires, des « il paraît qu′il faut être initié pour comprendre ». Aussitôt M. de Charlus, redressant sa taille en arrière, comme entré dans un autre corps que celui que j′avais vu, tout à l′heure, arriver en traînaillant chez Mme Verdurin, prit une expression de prophète et regarda l′assemblée avec un sérieux qui signifiait que ce n′était pas le moment de rire, et dont on vit rougir brusquement le visage de plus d′une invitée prise en faute, comme une élève par son professeur, en pleine classe. Pour moi, l′attitude, si noble d′ailleurs, de M. de Charlus avait quelque chose de comique ; car tantôt il foudroyait ses invités de regards enflammés, tantôt, afin de leur indiquer comme un vade mecum le religieux silence qu′il convenait d′observer, le détachement de toute préoccupation mondaine, il présentait lui-même, élevant vers son beau front ses mains gantées de blanc, un modèle (auquel on devait se conformer) de gravité, presque déjà d′extase, sans répondre aux saluts des retardataires assez indécents pour ne pas comprendre que l′heure était maintenant au Grand Art. Tous furent hypnotisés ; on n′osa plus proférer un son, bouger une chaise ; le respect pour la musique — de par le prestige de Palamède — avait été subitement inculqué à une foule aussi mal élevée qu′élégante. One must, however, do M. de Charlus the justice of saying that, if he entirely forgot Mme. Verdurin and allowed her to be ignored, to a scandalous extent, by the people ‘of his own world′ whom he had invited, he did, on the other hand, realise that he must not allow these people to display, during the ‘symphonic recital′ itself, the bad manners which they were exhibiting towards the Mistress. Morel had already mounted the platform, the musicians were assembling, and one could still hear conversations, not to say laughter, speeches such as “it appears, one has to be initiated to understand it.” Immediately M. de Charlus, drawing himself erect, as though he had entered a different body from that which I had seen, not an hour ago, crawling towards Mme. Verdurin′s door, assumed a prophetic expression and regarded the assembly with an earnestness which indicated that this was not the moment for laughter, whereupon one saw a rapid blush tinge the cheeks of more than one lady thus publicly rebuked, like a schoolgirl scolded by her teacher in front of the whole class. To my mind, M. de Charlus′s attitude, noble as it was, was somehow slightly comic; for at one moment he pulverised his guests with a flaming glare, at another, in order to indicate to them as with a vade mecum the religious silence that ought to be observed, the detachment from every worldly consideration, he furnished in himself, as he raised to his fine brow his white-gloved hands, a model (to which they must conform) of gravity, already almost of ecstasy, without acknowledging the greetings of late-comers so indelicate as not to understand that it was now the time for High Art. They were all hypnotised; no one dared utter a sound, move a chair; respect for music — by virtue of Palamède′s prestige — had been instantaneously inculcated in a crowd as ill-bred as it was exclusive.
En voyant se ranger sur la petite estrade non pas seulement Morel et un pianiste, mais d′autres instrumentistes, je crus qu′on commençait par des œuvres d′autres musiciens que Vinteuil. Car je croyais qu′on ne possédait de lui que sa sonate pour piano et violon. When I saw appear on the little platform, not only Morel and a pianist, but performers upon other instruments as well, I supposed that the programme was to begin with works of composers other than Vinteuil. For I imagined that the only work of his in existence was his sonata for piano and violin.
Mme Verdurin s′assit à part, les hémisphères de son front blanc et légèrement rosé magnifiquement bombés, les cheveux écartés, moitié en imitation d′un portrait du xviiie siècle, moitié par besoin de fraîcheur d′une fiévreuse qu′une pudeur empêche de dire son état, isolée, divinité qui présidait aux solennités musicales, déesse du wagnérisme et de la migraine, sorte de Norne presque tragique, évoquée par le génie au milieu de ces ennuyeux, devant qui elle allait dédaigner plus encore que de coutume d′exprimer des impressions en entendant une musique qu′elle connaissait mieux qu′eux. Le concert commença, je ne connaissais pas ce qu′on jouait, je me trouvais en pays inconnu. Où le situer ? Dans l′œuvre de quel auteur étais-je ? J′aurais bien voulu le savoir et, n′ayant près de moi personne à qui le demander, j′aurais bien voulu être un personnage de ces Mille et une Nuits que je relisais sans cesse et où, dans les moments d′incertitude, surgit soudain un génie ou une adolescente d′une ravissante beauté, invisible pour les autres, mais non pour le héros embarrassé, à qui elle révèle exactement ce qu′il désire savoir. Or, à ce moment, je fus précisément favorisé d′une telle apparition magique. Comme, dans un pays qu′on ne croit pas connaître et qu′en effet on a abordé par un côté nouveau, lorsque, après avoir tourné un chemin, on se trouve tout d′un coup déboucher dans un autre dont les moindres coins vous sont familiers, mais seulement où on n′avait pas l′habitude d′arriver par là, on se dit : « Mais c′est le petit chemin qui mène à la petite porte du jardin de mes amis XÂ… ; je suis à deux minutes de chez eux », et leur fille est en effet là qui est venue vous dire bonjour au passage ; ainsi, tout d′un coup, je me reconnus, au milieu de cette musique nouvelle pour moi, en pleine sonate de Vinteuil ; et, plus merveilleuse qu′une adolescente, la petite phrase, enveloppée, harnachée d′argent, toute ruisselante de sonorités brillantes, légères et douces comme des écharpes, vint à moi, reconnaissable sous ces parures nouvelles. Ma joie de l′avoir retrouvée s′accroissait de l′accent si amicalement connu qu′elle prenait pour s′adresser à moi, si persuasif, si simple, non sans laisser éclater pourtant cette beauté chatoyante dont elle resplendissait. La signification, d′ailleurs, n′était cette fois que de me montrer le chemin, et qui n′était pas celui de la sonate, car c′était une œuvre inédite de Vinteuil où il s′était seulement amusé, par une allusion que justifiait à cet endroit un mot du programme, qu′on aurait dû avoir en même temps sous les yeux, à faire apparaître un instant la petite phrase. À peine rappelée ainsi, elle disparut et je me retrouvai dans un monde inconnu ; mais je savais maintenant, et tout ne cessa plus de me confirmer, que ce monde était un de ceux que je n′avais même pu concevoir que Vinteuil eût créés, car quand, fatigué de la sonate, qui était un univers épuisé pour moi, j′essayais d′en imaginer d′autres aussi beaux mais différents, je faisais seulement comme ces poètes qui remplissent leur prétendu paradis de prairies, de fleurs, de rivières, qui font double emploi avec celles de la Terre. Ce qui était devant moi me faisait éprouver autant de joie qu′aurait fait la sonate si je ne l′avais pas connue ; par conséquent, en étant aussi beau, était autre. Tandis que la sonate s′ouvrait sur une aube liliale et champêtre, divisant sa candeur légère pour se suspendre à l′emmêlement léger et pourtant consistant d′un berceau rustique de chèvrefeuilles sur des géraniums blancs, c′était sur des surfaces unies et planes comme celles de la mer que, par un matin d′orage déjà tout empourpré, commençait, au milieu d′un aigre silence, dans un vide infini, l′œuvre nouvelle, et c′est dans un rose d′aurore que, pour se construire progressivement devant moi, cet univers inconnu était tiré du silence et de la nuit. Ce rouge si nouveau, si absent de la tendre, champêtre et candide sonate, teignait tout le ciel, comme l′aurore, d′un espoir mystérieux. Et un chant perçait déjà l′air, chant de sept notes, mais le plus inconnu, le plus différent de tout ce que j′eusse jamais imaginé, de tout ce que j′eusse jamais pu imaginer, à la fois ineffable et criard, non plus un roucoulement de colombe comme dans la sonate, mais déchirant l′air, aussi vif que la nuance écarlate dans laquelle le début était noyé, quelque chose comme un mystique chant du coq, un appel ineffable, mais suraigu, de l′éternel matin. L′atmosphère froide, lavée de pluie, électrique — d′une qualité si différente, à des pressions tout autres, dans un monde si éloigné de celui, virginal et meublé de végétaux, de la sonate — changeait à tout instant, effaçant la promesse empourprée de l′Aurore. À midi pourtant, dans un ensoleillement brûlant et passager, elle semblait s′accomplir en un bonheur lourd, villageois et presque rustique, où la titubation de cloches retentissantes et déchaînées (pareilles à celles qui incendiaient de chaleur la place de l′église à Combray, et que Vinteuil, qui avait dû souvent les entendre, avait peut-être trouvées à ce moment-là dans sa mémoire comme une couleur qu′on a à portée de sa main sur une palette) semblait matérialiser la plus épaisse joie. À vrai dire, esthétiquement, ce motif de joie ne me plaisait pas, je le trouvais presque laid, le rythme s′en traînait si péniblement à terre qu′on aurait pu en imiter presque tout l′essentiel, rien qu′avec des bruits, en frappant d′une certaine manière des baguettes sur une table. Il me semblait que Vinteuil avait manqué là d′inspiration, et, en conséquence, je manquai aussi là un peu de force d′attention. Mme. Verdurin sat in a place apart, the twin hemispheres of her pale, slightly roseate brow magnificently curved, her hair drawn back, partly in imitation of an eighteenth century portrait, partly from the desire for coolness of a fever-stricken patient whom modesty forbids to reveal her condition, aloof, a deity presiding over musical rites, patron saint of Wagnerism and sick-headaches, a sort of almost tragic Norn, evoked by the spell of genius in the midst of all these bores, in whose presence she would more than ordinarily scorn to express her feelings upon hearing a piece of music which she knew better than they. The concert began, I did not know what they were playing, I found myself in a strange land. Where was I to locate it? Into what composer′s country had I come? I should have been glad to know, and, seeing nobody near me whom I might question, I should have liked to be a character in those Arabian Nights which I never tired of reading and in which, in moments of uncertainty, there arose a genie or a maiden of ravishing beauty, invisible to everyone else but not to the embarrassed hero to whom she reveals exactly what he wishes to learn. Well, at this very moment I was favoured with precisely such a magical apparition. As, in a stretch of country which we suppose to be strange to us and which as a matter of fact we have approached from a new angle, when after turning out of one road we find ourself emerging suddenly upon another every inch of which is familiar only we have not been in the habit of entering it from that end, we say to ourself immediately: “Why, this is the lane that leads to the garden gate of my friends the X—— I shall be there in a minute,” and there, indeed, is their daughter at the gate, come out to greet us as we pass; so, all of a sudden, I found myself, in the midst of this music that was novel to me, right in the heart of Vinteuil′s sonata; and, more marvellous than any maiden, the little phrase, enveloped, harnessed in silver, glittering with brilliant effects of sound, as light and soft as silken scarves, came towards me, recognisable in this new guise. My joy at having found it again was enhanced by the accent, so friendlily familiar, which it adopted in addressing me, so persuasive, so simple, albeit without dimming the shimmering beauty with which it was resplendent. Its intention, however, was, this time, merely to shew me the way, which was not the way of the sonata, for this was an unpublished work of Vinteuil in which he had merely amused himself, by an allusion which was explained at this point by a sentence in the programme which one ought to have been reading simultaneously, in making the little phrase reappear for a moment. No sooner was it thus recalled than it vanished, and I found myself once more in an unknown world, but I knew now, and everything that followed only confirmed my knowledge, that this world was one of those which I had never even been capable of imagining that Vinteuil could have created, for when, weary of the sonata which was to me a universe thoroughly explored, I tried to imagine others equally beautiful but different, I was merely doing what those poets do who fill their artificial paradise with meadows, flowers and streams which duplicate those existing already upon Earth. What was now before me made me feel as keen a joy as the sonata would have given me if I had not already known it, and consequently, while no less beautiful, was different. Whereas the sonata opened upon a dawn of lilied meadows, parting its slender whiteness to suspend itself over the frail and yet consistent mingling of a rustic bower of honeysuckle with white geraniums, it was upon continuous, level surfaces like those of the sea that, in the midst of a stormy morning beneath an already lurid sky, there began, in an eery silence, in an infinite void, this hew masterpiece, and it was into a roseate dawn that, in order to construct itself progressively before me, this unknown universe was drawn from silence and from night. This so novel redness, so absent from the tender, rustic, pale sonata, tinged all the sky, as dawn does, with a mysterious hope. And a song already thrilled the air, a song on seven notes, but the strangest, the most different from any that I had ever imagined, from any that I could ever have been able to imagine, at once ineffable and piercing, no longer the cooing of a dove as in the sonata, but rending the air, as vivid as the scarlet tinge in which the opening bars had been bathed, something like the mystical crow of a cock, an ineffable but over-shrill appeal of the eternal morning. The cold atmosphere, soaked in rain, electric — of a quality so different, feeling wholly other pressures, in a world so remote from that, virginal and endowed only with vegetable life, of the sonata — changed at every moment, obliterating the empurpled promise of the Dawn. At noon, however, beneath a scorching though transitory sun, it seemed to fulfil itself in a dull, almost rustic bliss in which the peal of clanging, racing bells (like those which kindled the blaze of the square outside the church of Combray, which Vinteuil, who must often have heard them, had perhaps discovered at that moment in his memory like a colour which the painter′s hand has conveyed to his palette) seemed to materialise the coarsest joy. To be honest, from the aesthetic point of view, this joyous motive did not appeal to me, I found it almost ugly, its rhythm dragged so laboriously along the ground that one might have succeeded in imitating almost everything that was essential to it by merely making a noise, sounds, by the tapping of drumsticks upon a table. It seemed to me that Vinteuil had been lacking, here, in inspiration, and consequently I was a little lacking also in the power of attention.
Je regardai la Patronne, dont l′immobilité farouche semblait protester contre les battements de mesure exécutés par les têtes ignorantes des dames du Faubourg. Mme Verdurin ne disait pas : « Vous comprenez que je la connais un peu cette musique, et un peu encore ! S′il me fallait exprimer tout ce que je ressens, vous n′en auriez pas fini ! » Elle ne le disait pas. Mais sa taille droite et immobile, ses yeux sans expression, ses mèches fuyantes, le disaient pour elle. Ils disaient aussi son courage, que les musiciens pouvaient y aller, ne pas ménager ses nerfs, qu′elle ne flancherait pas à l′andante, qu′elle ne crierait pas à l′allegro. Je regardai ces musiciens. Le violoncelliste dominait l′instrument qu′il serrait entre ses genoux, inclinant sa tête à laquelle des traits vulgaires donnaient, dans les instants de maniérisme, une expression involontaire de dégoût ; il se penchait sur sa contrebasse, la palpait avec la même patience domestique que s′il eût épluché un chou, tandis que, près de lui, la harpiste (encore enfant) en jupe courte, dépassée de tous côtés par les rayons horizontaux du quadrilatère d′or, pareils à ceux qui, dans la chambre magique d′une sibylle, figureraient arbitrairement l′éther selon les formes consacrées, semblait aller y chercher, çà et là, au point exigé, un son délicieux, de la même manière que, petite déesse allégorique, dressée devant le treillage d′or de la voûte céleste, elle y aurait cueilli, une à une, des étoiles. Quant à Morel, une mèche, jusque-là invisible et confondue dans sa chevelure, venait de se détacher et de faire boucle sur son front. Je tournai imperceptiblement la tête vers le public pour me rendre compte de ce que M. de Charlus avait l′air de penser de cette mèche. Mais mes yeux ne rencontrèrent que le visage, ou plutôt que les mains, de Mme Verdurin, car celui-là était entièrement enfoui dans celles-ci. I looked at the Mistress, whose sullen immobility seemed to be protesting against the noddings — in time with the music — of the empty heads of the ladies of the Faubourg. She did not say: “You understand that I know something about this music, and more than a little! If I had to express all that I feel, you would never hear the end of it!” She did not say this. But her upright, motionless body, her expressionless eyes, her straying locks said it for her. They spoke also of her courage, said that the musicians might go on, need not spare her nerves, that she would not flinch at the andante, would not cry out at the allegro. I looked at the musicians. The violoncellist dominated the instrument which he clutched between his knees, bowing his head to which its coarse features gave, in moments of mannerism, an involuntary expression of disgust; he leaned over it, fingered it with the same domestic patience with which he might have plucked a cabbage, while by his side the harpist (a mere girl) in a short skirt, bounded on either side by the lines of her golden quadrilateral like those which, in the magic chamber of a Sibyl, would arbitrarily denote the ether, according to the consecrated rules, seemed to be going in quest, here and there, at the point required, of an exquisite sound, just as though, a little allegorical deity, placed in front of the golden trellis of the heavenly vault, she were gathering, one by one, its stars. As for Morel, a lock, hitherto invisible and lost in the rest of his hair, had fallen loose and formed a curl upon his brow. I turned my head slightly towards the audience to discover what M. de Charlus might be feeling at the sight of this curl. But my eyes encountered only the face, or rather the hands of Mme. Verdurin, for the former was entirely buried in the latter.
Mais bien vite, le motif triomphant des cloches ayant été chassé, dispersé par d′autres, je fus repris par cette musique ; et je me rendais compte que, si, au sein de ce septuor, des éléments différents s′exposaient tour à tour pour se combiner à la fin, de même, la sonate de Vinteuil et, comme je le sus plus tard, ses autres œuvres n′avaient toutes été, par rapport à ce septuor, que de timides essais, délicieux mais bien frêles, auprès du chef-d′œuvre triomphal et complet qui m′était en ce moment révélé. Et de même encore, je ne pouvais m′empêcher, par comparaison, de me rappeler que j′avais pensé aux autres mondes qu′avait pu créer Vinteuil comme à des univers aussi complètement clos qu′avait été chacun de mes amours ; mais, en réalité, je devais bien m′avouer qu′au sein de mon dernier amour — celui pour Albertine — mes premières velléités de l′aimer (à Balbec tout au début, puis après la partie de furet, puis la nuit où elle avait couché à l′hôtel, puis à Paris le dimanche de brume, puis le soir de la fête Guermantes, puis de nouveau à Balbec, et enfin à Paris où ma vie était étroitement unie à la sienne) n′avaient été que des appels ; de même, si je considérais maintenant, non plus mon amour pour Albertine, mais toute ma vie, mes autres amours eux aussi n′y avaient été que de minces et timides essais, des appels, qui préparaient ce plus vaste amour : l′amour pour Albertine. Et je cessai de suivre la musique pour me redemander si Albertine avait vu ou non Mlle Vinteuil ces jours-ci, comme on interroge de nouveau une souffrance interne que la distraction vous a fait un moment oublier. Car c′est en moi que se passaient les actions possibles d′Albertine. De tous les êtres que nous connaissons, nous possédons un double, mais habituellement situé à l′horizon de notre imagination, de notre mémoire ; il nous reste relativement extérieur, et ce qu′il a fait ou pu faire ne comporte pas plus, pour nous, d′élément douloureux qu′un objet placé à quelque distance et qui ne nous procure que les sensations indolores de la vue. Ce qui affecte ces êtres-là, nous le percevons d′une façon contemplative, nous pouvons le déplorer en termes appropriés qui donnent aux autres l′idée de notre bon cœur, nous ne le ressentons pas ; mais depuis ma blessure de Balbec, c′était dans mon cœur, à une grande profondeur, difficile à extraire, qu′était le double d′Albertine. Ce que je voyais d′elle me lésait comme un malade dont les sens seraient si fâcheusement transposés que la vue d′une couleur serait intérieurement éprouvée par lui comme une incision en pleine chair. Heureusement que je n′avais pas cédé à la tentation de rompre encore avec Albertine ; cet ennui d′avoir à la retrouver tout à l′heure, quand je rentrerais, était bien peu de chose auprès de l′anxiété que j′aurais eue si la séparation s′était effectuée à ce moment où j′avais un doute sur elle, avant qu′elle eût eu le temps de me devenir indifférente. Au moment où je me la représentais ainsi m′attendant à la maison, comme une femme bien aimée trouvant le temps long, s′étant peut-être endormie un instant dans sa chambre, je fus caressé au passage par une tendre phrase familiale et domestique du septuor. Peut-être — tant tout s′entrecroise et se superpose dans notre vie intérieure — avait-elle été inspirée à Vinteuil par le sommeil de sa fille — de sa fille, cause aujourd′hui de tous mes troubles — quand il enveloppait de sa douceur, dans les paisibles soirées, le travail du musicien, cette phrase qui me calma tant par le même moelleux arrière-plan de silence qui pacifie certaines rêveries de Schumann, durant lesquelles, même quand « le Poète parle », on devine que « l′enfant dort ». Endormie, éveillée, je la retrouverais ce soir, quand il me plairait de rentrer, Albertine, ma petite enfant. Et pourtant, me dis-je, quelque chose de plus mystérieux que l′amour d′Albertine semblait promis au début de cette œuvre, dans ces premiers cris d′aurore. J′essayai de chasser la pensée de mon amie pour ne plus songer qu′au musicien. Aussi bien semblait-il être là. On aurait dit que, réincarné, l′auteur vivait à jamais dans sa musique ; on sentait la joie avec laquelle il choisissait la couleur de tel timbre, l′assortissait aux autres. Car à des dons plus profonds, Vinteuil joignait celui que peu de musiciens, et même peu de peintres ont possédé, d′user de couleurs non seulement si stables mais si personnelles que, pas plus que le temps n′altère leur fraîcheur, les élèves qui imitent celui qui les a trouvées, et les maîtres mêmes qui le dépassent, ne font pâlir leur originalité. La révolution que leur apparition a accomplie ne voit pas ses résultats s′assimiler anonymement aux époques suivantes ; elle se déchaîne, elle éclate à nouveau, et seulement quand on rejoue les œuvres du novateur à perpétuité. Chaque timbre se soulignait d′une couleur que toutes les règles du monde, apprises par les musiciens les plus savants, ne pourraient pas imiter, en sorte que Vinteuil, quoique venu à son heure et fixé à son rang dans l′évolution musicale, le quitterait toujours pour venir prendre la tête dès qu′on jouerait une de ses productions, qui devrait de paraître éclose après celle de musiciens plus récents, à ce caractère, en apparence contradictoire et en effet trompeur, de durable nouveauté. Une page symphonique de Vinteuil, connue déjà au piano et qu′on entendait à l′orchestre, comme un rayon de jour d′été que le prisme de la fenêtre décompose avant son entrée dans une salle à manger obscure, dévoilait comme un trésor insoupçonné et multicolore toutes les pierreries des Mille et une Nuits. Mais comment comparer à cet immobile éblouissement de la lumière ce qui était vie, mouvement perpétuel et heureux ? Ce Vinteuil, que j′avais connu si timide et si triste, avait, quand il fallait choisir un timbre, lui en unir un autre, des audaces, et, dans tout le sens du mot, un bonheur sur lequel l′audition d′une œuvre de lui ne laissait aucun doute. La joie que lui avaient causée telles sonorités, les forces accrues qu′elle lui avait données pour en découvrir d′autres, menaient encore l′auditeur de trouvaille en trouvaille, ou plutôt c′était le créateur qui le conduisait lui-même, puisant, dans les couleurs qu′il venait de trouver, une joie éperdue qui lui donnait la puissance de découvrir, de se jeter sur celles qu′elles semblaient appeler, ravi, tressaillant comme au choc d′une étincelle, quand le sublime naissait de lui-même de la rencontre des cuivres, haletant, grisé, affolé, vertigineux, tandis qu′il peignait sa grande fresque musicale, comme Michel-Ange attaché à son échelle et lançant, la tête en bas, de tumultueux coups de brosse au plafond de la chapelle Sixtine. Vinteuil était mort depuis nombre d′années ; mais, au milieu de ces instruments qu′il avait animés, il lui avait été donné de poursuivre, pour un temps illimité, une part au moins de sa vie. De sa vie d′homme seulement ? Si l′art n′était vraiment qu′un prolongement de la vie, valait-il de lui rien sacrifier ? n′était-il pas aussi irréel qu′elle-même ? À mieux écouter ce septuor, je ne le pouvais pas penser. Sans doute le rougeoyant septuor différait singulièrement de la blanche sonate ; la timide interrogation, à laquelle répondait la petite phrase, de la supplication haletante pour trouver l′accomplissement de l′étrange promesse qui avait retenti, si aigre, si surnaturelle, si brève, faisant vibrer la rougeur encore inerte du ciel matinal, au-dessus de la mer. Et pourtant, ces phrases si différentes étaient faites des mêmes éléments, car, de même qu′il y avait un certain univers, perceptible pour nous, en ces parcelles dispersées çà et là, dans telles demeures, dans tels musées, et qui était l′univers d′Elstir, celui qu′il voyait, celui où il vivait, de même la musique de Vinteuil étendait, notes par notes, touches par touches, les colorations inconnues d′un univers inestimable, insoupçonné, fragmenté par les lacunes que laissaient entre elles les auditions de son œuvre ; ces deux interrogations si dissemblables qui commandaient les mouvements si différents de la sonate et du septuor, l′une brisant en courts appels une ligne continue et pure, l′autre ressoudant en une armature indivisible des fragments épars, c′était pourtant, l′une si calme et timide, presque détachée et comme philosophique, l′autre si pressante, anxieuse, implorante, une même prière, jaillie devant différents levers de soleil intérieurs, et seulement réfractée à travers les milieux différents de pensées autres, de recherches d′art en progrès au cours d′années où il avait voulu créer quelque chose de nouveau. Prière, espérance qui était au fond la même, reconnaissable sous ces déguisements dans les diverses œuvres de Vinteuil, et, d′autre part, qu′on ne trouvait que dans les œuvres de Vinteuil. Ces phrases-là, les musicographes pourraient bien trouver leur apparentement, leur généalogie, dans les œuvres d′autres grands musiciens, mais seulement pour des raisons accessoires, des ressemblances extérieures, des analogies plutôt ingénieusement trouvées par le raisonnement que senties par l′impression directe. Celle que donnaient ces phrases de Vinteuil était différente de toute autre, comme si, en dépit des conclusions qui semblent se dégager de la science, l′individuel existait. Et c′était justement quand il cherchait puissamment à être nouveau, qu′on reconnaissait, sous les différences apparentes, les similitudes profondes et les ressemblances voulues qu′il y avait au sein d′une œuvre, quand Vinteuil reprenait à diverses reprises une même phrase, la diversifiait, s′amusait à changer son rythme, à la faire reparaître sous sa forme première, ces ressemblances-là voulues, œuvre de l′intelligence, forcément superficielles, n′arrivaient jamais à être aussi frappantes que ces ressemblances dissimulées, involontaires, qui éclataient sous des couleurs différentes, entre les deux chefs-d′œuvre distincts ; car alors Vinteuil, cherchant puissamment à être nouveau, s′interrogeait lui-même ; de toute la puissance de son effort créateur il atteignait sa propre essence à ces profondeurs où, quelque question qu′on lui pose, c′est du même accent, le sien propre, qu′elle répond. Un accent, cet accent de Vinteuil, séparé de l′accent des autres musiciens par une différence bien plus grande que celle que nous percevons entre la voix de deux personnes, même entre le beuglement et le cri de deux espèces animales : par la différence même qu′il y a entre la pensée de ces autres musiciens et les éternelles investigations de Vinteuil, la question qu′il se posait sous tant de formes, son habituelle spéculation, mais aussi débarrassée des formes analytiques du raisonnement que si elle s′exerçait dans le monde des anges, de sorte que nous pouvons en mesurer la profondeur, mais sans plus la traduire en langage humain que ne le peuvent les esprits désincarnés quand, évoqués par un médium, celui-ci les interroge sur les secrets de la mort. Et, même en tenant compte de cette originalité acquise qui m′avait frappé dès l′après-midi, de cette parenté que les musicographes pourraient trouver entre eux, c′est bien un accent unique auquel s′élèvent, auquel reviennent malgré eux ces grands chanteurs que sont les musiciens originaux, et qui est une preuve de l′existence irréductiblement individuelle de l′âme. Que Vinteuil essayât de faire plus solennel, plus grand, ou de faire plus vif et plus gai, de faire ce qu′il apercevait se reflétant en beau dans l′esprit du public, Vinteuil, malgré lui, submergeait tout cela sous une lame de fond qui rend son chant éternel et aussitôt reconnu. Ce chant, différent de celui des autres, semblable à tous les siens, où Vinteuil l′avait-il appris, entendu ? Chaque artiste semble ainsi comme le citoyen d′une patrie inconnue, oubliée de lui-même, différente de celle d′où viendra, appareillant pour la terre, un autre grand artiste. Tout au plus, de cette patrie Vinteuil, dans ses dernières œuvres, semblait s′être rapproché. L′atmosphère n′y était plus la même que dans la sonate, les phrases interrogatives s′y faisaient plus pressantes, plus inquiètes, les réponses plus mystérieuses ; l′air délavé du matin et du soir semblait y influencer jusqu′aux cordes des instruments. Morel avait beau jouer merveilleusement, les sons que rendait son violon me parurent singulièrement perçants, presque criards. Cette âcreté plaisait et, comme dans certaines voix, on y sentait une sorte de qualité morale et de supériorité intellectuelle. Mais cela pouvait choquer. Quand la vision de l′univers se modifie, s′épure, devient plus adéquate au souvenir de la patrie intérieure, il est bien naturel que cela se traduise par une altération générale des sonorités chez le musicien, comme de la couleur chez le peintre. Au reste, le public le plus intelligent ne s′y trompe pas puisque l′on déclara plus tard les dernières œuvres de Vinteuil les plus profondes. Or aucun programme, aucun sujet n′apportait un élément intellectuel de jugement. On devinait donc qu′il s′agissait d′une transposition, dans l′ordre sonore, de la profondeur. But very soon, the triumphant motive of the bells having been banished, dispersed by others, I succumbed once again to the music; and I began to realise that if, in the body of this septet, different elements presented themselves in turn, to combine at the close, so also Vinteuil′s sonata, and, as I was to find later on, his other works as well, had been no more than timid essays, exquisite but very slight, towards the triumphant and complete masterpiece which was revealed to me at this moment. And so too, I could not help recalling how I had thought of the other worlds which Vinteuil might have created as of so many universes as hermetically sealed as each of my own love-affairs, whereas in reality I was obliged to admit that in the volume of my latest love — that is to say, my love for Albertine — my first inklings of love for her (at Balbec at the very beginning, then after the game of ferret, then on the night when she slept at the hotel, then in Paris on the foggy afternoon, then on the night of the Guermantes′ party, then at Balbec again, and finally in Paris where my life was now closely linked to her own) had been nothing more than experiments; indeed, if I were to consider, not my love for Albertine, but my life as a whole, my earlier love-affairs had themselves been but slight and timid essays, experiments, which paved the way to this vaster love: my love for Albertine. And I ceased to follow the music, in order to ask myself once again whether Albertine had or had not seen Mlle. Vinteuil during the last few days, as we interrogate afresh an internal pain, from which we have been distracted for a moment. For it was in myself that Albertine′s possible actions were performed. Of each of the people whom we know we possess a double, but it is generally situated on the horizon of our imagination, of our memory; it remains more or less external to ourselves, and what it has done or may have done has no greater capacity to cause us pain than an object situated at a certain distance, which provides us with only the painless sensations of vision. The things that affect these people we perceive in a contemplative fashion, we are able to deplore them in appropriate language which gives other people a sense of our kindness of heart, we do not feel them; but since the wound inflicted on me at Balbec, it was in my heart, at a great depth, difficult to extract, that Albertine′s double was lodged. What I saw of her hurt me, as a sick man would be hurt whose senses were so seriously deranged that the sight of a colour would be felt by him internally like a knife-thrust in his living flesh. It was fortunate that I had not already yielded to the temptation to break with Albertine; the boring thought that I should have to see her again presently, when I went home, was a trifling matter compared with the anxiety that I should have felt if the separation had been permanent at this moment when I felt a doubt about her before she had had time to become immaterial to me. At the moment when I pictured her thus to myself waiting for me at home, like a beloved wife who found the time of waiting long, and had perhaps fallen asleep for a moment in her room, I was caressed by the passage of a tender phrase, homely and domestic, of the septet. Perhaps — everything is so interwoven and superimposed in our inward life — it had been inspired in Vinteuil by his daughter′s sleep — his daughter, the cause to-day of all my troubles — when it enveloped in its quiet, on peaceful evenings, the work of the composer, this phrase which calmed me so, by the same soft background of silence which pacifies certain of Schumann′s reveries, during which, even when ‘the Poet is speaking,′ one can tell that ‘the child is asleep.′ Asleep, awake, I should find her again this evening, when I chose to return home, Albertine, my little child. And yet, I said to myself, something more mysterious than Albertine′s love seemed to be promised at the outset of this work, in those first cries of dawn. I endeavoured to banish the thought of my mistress, so as to think only of the composer. Indeed, he seemed to be present. One would have said that, reincarnate, the composer lived for all time in his music; one could feel the joy with which he was choosing the colour of some sound, harmonising it with the rest. For with other and more profound gifts Vinteuil combined that which few composers, and indeed few painters have possessed, of using colours not merely so lasting but so personal that, just as time has been powerless to fade them, so the disciples who imitate him who discovered them, and even the masters who surpass him do not pale their originality. The revolution that their apparition has effected does not live to see its results merge unacknowledged in the work of subsequent generations; it is liberated, it breaks out again, and alone, whenever the innovator′s works are performed in all time to come. Each note underlined itself in a colour which all the rules in the world could not have taught the most learned composers to imitate, with the result that Vinteuil, albeit he had appeared at his hour and was fixed in his place in the evolution of music, would always leave that place to stand in the forefront, whenever any of his compositions was performed, which would owe its appearance of having blossomed after the works of other more recent composers to this quality, apparently paradoxical and actually deceiving, of permanent novelty. A page of symphonic music by Vinteuil, familiar already on the piano, when one heard it rendered by an orchestra, like a ray of summer sunlight which the prism of the window disintegrates before it enters a dark dining-room, revealed like an unsuspected, myriad-hued treasure all the jewels of the Arabian Nights. But how can one compare to that motionless brilliance of light what was life, perpetual and blissful motion? This Vinteuil, whom I had known so timid and sad, had been capable — when he had to select a tone, to blend another with it — of audacities, had enjoyed a good fortune, in the full sense of the word, as to which the hearing of any of his works left one in no doubt. The joy that such chords had aroused in him, the increase of strength that it had given him wherewith to discover others led the listener on also from one discovery to another, or rather it was the composer himself who guided him, deriving from the colours that he had invented a wild joy which gave him the strength to discover, to fling himself upon the others which they seemed to evoke, enraptured, quivering, as though from the shock of an electric spark, when the sublime came spontaneously to life at the clang of the brass, panting, drunken, maddened, dizzy, while he painted his great musical fresco, like Michelangelo strapped to his scaffold and dashing, from his supine position, tumultuous brush-strokes upon the ceiling of the Sistine Chapel. Vinteuil had been dead for many years; but in the sound of these instruments which he had animated, it had been given him to prolong, for an unlimited time, a part at least of his life. Of his life as a man merely? If art was indeed but a prolongation of life, was it worth while to sacrifice anything to it, was it not as unreal as life itself? If I was to listen properly to this septet, I could not pause to consider the question. No doubt the glowing septet differed singularly from the candid sonata; the timid question to which the little phrase replied, from the breathless supplication to find the fulfilment of the strange promise that had resounded, so harsh, so supernatural, so brief, setting athrob the still inert crimson of the morning sky, above the sea. And yet these so widely different phrases were composed of the same elements, for just as there was a certain universe, perceptible by us in those fragments scattered here and there, in private houses, in public galleries, which were Elstir′s universe, the universe which he saw, in which he lived, so to the music of Vinteuil extended, note by note, key by key, the unknown colourings of an inestimable, unsuspected universe, made fragmentary by the gaps that occurred between the different occasions of hearing his work performed; those two so dissimilar questions which commanded the so different movements of the sonata and the septet, the former breaking into short appeals a line continuous and pure, the latter welding together into an indivisible structure a medley of scattered fragments, were nevertheless, one so calm and timid, almost detached and as though philosophic, the other so anxious, pressing, imploring, were nevertheless the same prayer, poured forth before different risings of the inward sun and merely refracted through the different mediums of other thoughts, of artistic researches carried on through the years in which he had tried to create something new. A prayer, a hope which was at heart the same, distinguishable beneath these disguises in the various works of Vinteuil, and on the other hand not to be found elsewhere than in his works. For these phrases historians of music might indeed find affinities, a pedigree in the works of other great composers, but merely for subordinate reasons, from external resemblances, from analogies which were ingeniously discovered by reasoning rather than felt by a direct impression. The impression that these phrases of Vinteuil imparted was different from any other, as though, notwithstanding the conclusions to which science seems to point, the individual did really exist. And it was precisely when he was seeking vigorously to be something new that one recognised beneath the apparent differences the profound similarities; and the deliberate resemblances that existed in the body of a work, when Vinteuil repeated once and again a single phrase, diversified it, amused himself by altering its rhythm, by making it reappear in its original form, these deliberate resemblances, the work of the intellect, inevitably superficial, never succeeded in being as striking as those resemblances, concealed, involuntary, which broke out in different colours, between the two separate masterpieces; for then Vinteuil, seeking to do something new, questioned himself, with all the force of his creative effort, reached his own essential nature at those depths, where, whatever be the question asked, it is in the same accent, that is to say its own, that it replies. Such an accent, the accent of Vinteuil, is separated from the accents of other composers by a difference far greater than that which we perceive between the voices of two people, even between the cries of two species of animal: by the difference that exists between the thoughts of those other composers and the eternal investigations of Vinteuil, the question that he put to himself in so many forms, his habitual speculation, but as free from analytical formulas of reasoning as if it were being carried out in the world of the angels, so that we can measure its depth, but without being any more able to translate it into human speech than are disincarnate spirits when, evoked by a medium, he questions them as to the mysteries of death. And even when I bore in mind the acquired originality which had struck me that afternoon, that kinship which musical critics might discover among them, it is indeed a unique accent to which rise, and return in spite of themselves those great singers that original composers are, which is a proof of the irreducibly individual existence of the soul. Though Vinteuil might try to make more solemn, more grand, or to make more sprightly and gay what he saw reflected in the mind of his audience, yet, in spite of himself, he submerged it all beneath an undercurrent which makes his song eternal and at once recognisable. This song, different from those of other singers, similar to all his own, where had Vinteuil learned, where had he heard it? Each artist seems thus to be the native of an unknown country, which he himself has forgotten, different from that from which will emerge, making for the earth, another great artist. When all is said, Vinteuil, in his latest works, seemed to have drawn nearer to that unknown country. The atmosphere was no longer the same as in the sonata, the questioning phrases became more pressing, more uneasy, the answers more mysterious; the clean-washed air of morning and evening seemed to influence even the instruments. Morel might be playing marvellously, the sounds that came from his violin seemed to me singularly piercing, almost blatant. This harshness was pleasing, and, as in certain voices, one felt in it a sort of moral virtue and intellectual superiority. But this might give offence. When his vision of the universe is modified, purified, becomes more adapted to his memory of the country of his heart, it is only natural that this should be expressed by a general alteration of sounds in the musician, as of colours in the painter. Anyhow, the more intelligent section of the public is not misled, since people declared later on that Vinteuil′s last compositions were the most profound. Now no programme, no subject supplied any intellectual basis for judgment. One guessed therefore that it was a question of transposition, an increasing profundity of sound.
Cette patrie perdue, les musiciens ne se la rappellent pas, mais chacun d′eux reste toujours inconsciemment accordé en un certain unisson avec elle ; il délire de joie quand il chante selon sa patrie, la trahit parfois par amour de la gloire, mais alors en cherchant la gloire il la fuit, et ce n′est qu′en la dédaignant qu′il la trouve quand il entonne, quel que soit le sujet qu′il traite, ce chant singulier dont la monotonie — car quel que soit le sujet traité, il reste identique à soi-même — prouve la fixité des éléments composants de son âme. Mais alors, n′est-ce pas que, de ces éléments, tout le résidu réel que nous sommes obligés de garder pour nous-mêmes, que la causerie ne peut transmettre même de l′ami à l′ami, du maître au disciple, de l′amant à la maîtresse, cet ineffable qui différencie qualitativement ce que chacun a senti et qu′il est obligé de laisser au seuil des phrases où il ne peut communiquer avec autrui qu′en se limitant à des points extérieurs communs à tous et sans intérêt, l′art, l′art d′un Vinteuil comme celui d′un Elstir, le fait apparaître, extériorisant dans les couleurs du spectre la composition intime de ces mondes que nous appelons les individus, et que sans l′art nous ne connaîtrions jamais ? Des ailes, un autre appareil respiratoire, et qui nous permissent de traverser l′immensité, ne nous serviraient à rien, car, si nous allions dans Mars et dans Vénus en gardant les mêmes sens, ils revêtiraient du même aspect que les choses de la Terre tout ce que nous pourrions voir. Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d′aller vers de nouveaux paysages, mais d′avoir d′autres yeux, de voir l′univers avec les yeux d′un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d′eux voit, que chacun d′eux est ; et cela, nous le pouvons avec un Elstir, avec un Vinteuil ; avec leurs pareils, nous volons vraiment d′étoiles en étoiles. L′andante venait de finir sur une phrase remplie d′une tendresse à laquelle je m′étais donné tout entier ; alors il y eut, avant le mouvement suivant, un instant de repos où les exécutants posèrent leurs instruments et les auditeurs échangèrent quelques impressions. Un duc, pour montrer qu′il s′y connaissait, déclara : « C′est très difficile à bien jouer. » Des personnes plus agréables causèrent un moment avec moi. Mais qu′étaient leurs paroles, qui, comme toute parole humaine extérieure, me laissaient si indifférent, à côté de la céleste phrase musicale avec laquelle je venais de m′entretenir ? J′étais vraiment comme un ange qui, déchu des ivresses du Paradis, tombe dans la plus insignifiante réalité. Et de même que certains êtres sont les derniers témoins d′une forme de vie que la nature a abandonnée, je me demandais si la musique n′était pas l′exemple unique de ce qu′aurait pu être — s′il n′y avait pas eu l′invention du langage, la formation des mots, l′analyse des idées — la communication des âmes. Elle est comme une possibilité qui n′a pas eu de suites ; l′humanité s′est engagée en d′autres voies, celle du langage parlé et écrit. Mais ce retour à l′inanalysé était si enivrant, qu′au sortir de ce paradis, le contact des êtres plus ou moins intelligents me semblait d′une insignifiance extraordinaire. Les êtres, j′avais pu, pendant la musique, me souvenir d′eux, les mêler à elle ; ou plutôt à la musique je n′avais guère mêlé le souvenir que d′une seule personne, celui d′Albertine. Et la phrase qui finissait l′andante me semblait si sublime que je me disais qu′il était malheureux qu′Albertine ne sût pas, et, si elle avait su, n′eût pas compris quel honneur c′était pour elle d′être mêlée à quelque chose de si grand qui nous réunissait et dont elle avait semblé emprunter la voix pathétique. Mais, une fois la musique interrompue, les êtres qui étaient là semblaient trop fades. On passa quelques rafraîchissements. M. de Charlus interpellait de temps en temps un domestique : « Comment allez-vous ? Avez-vous reçu mon pneumatique ? Viendrez-vous ? » Sans doute il y avait, dans ces interpellations, la liberté du grand seigneur qui croit flatter et qui est plus peuple que le bourgeois, mais aussi la rouerie du coupable qui croit que ce dont on fait étalage est par cela même jugé innocent. Et il ajoutait, sur le ton Guermantes de Mme de Villeparisis : « C′est un brave petit, c′est une bonne nature, je l′emploie souvent chez moi. » Mais ses habiletés tournaient contre le baron, car on trouvait extraordinaires ses amabilités si intimes et ses pneumatiques à des valets de pied. Ceux-ci en étaient, d′ailleurs, moins flattés que gênés pour leurs camarades. Cependant le septuor, qui avait recommencé, avançait vers sa fin ; à plusieurs reprises telle ou telle phrase de la sonate revenait, mais chaque fois changée, sur un rythme, un accompagnement différents, la même et pourtant autre, comme renaissent les choses dans la vie ; et c′était une de ces phrases qui, sans qu′on puisse comprendre quelle affinité leur assigne comme demeure unique et nécessaire le passé d′un certain musicien, ne se trouvent que dans son œuvre, et apparaissent constamment dans celle-ci, dont elles sont les fées, les dryades, les divinités familières ; j′en avais d′abord distingué dans le septuor deux ou trois qui me rappelaient la sonate. Bientôt — baignée dans le brouillard violet qui s′élevait, surtout dans la dernière période de l′œuvre de Vinteuil, si bien que, même quand il introduisait quelque part une danse, elle restait captive dans une opale — j′aperçus une autre phrase de la sonate, restant si lointaine encore que je la reconnaissais à peine ; hésitante, elle s′approcha, disparut comme effarouchée, puis revint, s′enlaça à d′autres, venues, comme je le sus plus tard, d′autres œuvres, en appela d′autres qui devenaient à leur tour attirantes et persuasives aussitôt qu′elles étaient apprivoisées, et entraient dans la ronde, dans la ronde divine mais restée invisible pour la plupart des auditeurs, lesquels, n′ayant devant eux qu′un voile épais au travers duquel ils ne voyaient rien, ponctuaient arbitrairement d′exclamations admiratives un ennui continu dont ils pensaient mourir. Puis elles s′éloignèrent, sauf une que je vis repasser jusqu′à cinq et six fois, sans que je pusse apercevoir son visage, mais si caressante, si différente — comme sans doute la petite phrase de la sonate pour Swann — de ce qu′aucune femme m′avait jamais fait désirer, que cette phrase-là, qui m′offrait, d′une voix si douce, un bonheur qu′il eût vraiment valu la peine d′obtenir, c′est peut-être — cette créature invisible dont je ne connaissais pas le langage et que je comprenais si bien — la seule Inconnue qu′il m′ait été jamais donné de rencontrer. Puis cette phrase se défit, se transforma, comme faisait la petite phrase de la sonate, et devint le mystérieux appel du début. Une phrase d′un caractère douloureux s′opposa à lui, mais si profonde, si vague, si interne, presque si organique et viscérale qu′on ne savait pas, à chacune de ses reprises si c′était celles d′un thème ou d′une névralgie. Bientôt les deux motifs luttèrent ensemble dans un corps à corps où parfois l′un disparaissait entièrement, où ensuite on n′apercevait plus qu′un morceau de l′autre. Corps à corps d′énergies seulement, à vrai dire ; car si ces êtres s′affrontaient, c′était débarrassés de leur corps physique, de leur apparence, de leur nom, et trouvant chez moi un spectateur intérieur, insoucieux lui aussi des noms et du particulier, pour s′intéresser à leur combat immatériel et dynamique et en suivre avec passion les péripéties sonores. Enfin le motif joyeux resta triomphant ; ce n′était plus un appel presque inquiet lancé derrière un ciel vide, c′était une joie ineffable qui semblait venir du Paradis, une joie aussi différente de celle de la sonate que, d′un ange doux et grave de Bellini, jouant du théorbe, pourrait être, vêtu d′une robe écarlate, quelque archange de Mantegna sonnant dans un buccin. Je savais que cette nuance nouvelle de la joie, cet appel vers une joie supra-terrestre, je ne l′oublierais jamais. Mais serait-elle jamais réalisable pour moi ? Cette question me paraissait d′autant plus importante que cette phrase était ce qui aurait pu le mieux caractériser — comme tranchant avec tout le reste de ma vie, avec le monde visible — ces impressions qu′à des intervalles éloignés je retrouvais dans ma vie comme les points de repère, les amorces, pour la construction d′une vie véritable : l′impression éprouvée devant les clochers de Martainville, devant une rangée d′arbres près de Balbec. En tous cas, pour en revenir à l′accent particulier de cette phrase, comme il était singulier que le pressentiment le plus différent de ce qu′assigne la vie terre à terre, l′approximation la plus hardie des allégresses de l′au-delà se fussent justement matérialisés dans le triste petit bourgeois bienséant que nous rencontrions au mois de Marie à Combray ! Mais, surtout, comment se faisait-il que cette révélation, la plus étrange que j′eusse encore reçue, d′un type inconnu de joie, j′eusse pu la recevoir de lui, puisque, disait-on, quand il était mort il n′avait laissé que sa sonate, que le reste demeurait inexistant en d′indéchiffrables notations ? Indéchiffrables, mais qui pourtant avaient fini par être déchiffrées, à force de patience, d′intelligence et de respect, par la seule personne qui avait assez vécu auprès de Vinteuil pour bien connaître sa manière de travailler, pour deviner ses indications d′orchestre : l′amie de Mlle Vinteuil. Du vivant même du grand musicien, elle avait appris de la fille le culte que celle-ci avait pour son père. C′est à cause de ce culte que, dans ces moments où l′on va à l′opposé de ses inclinations véritables, les deux jeunes filles avaient pu trouver un plaisir dément aux profanations qui ont été racontées. (L′adoration pour son père était la condition même du sacrilège de sa fille. Et sans doute, la volupté de ce sacrilège, elles eussent dû se la refuser, mais celle-ci ne les exprimait pas tout entières.) Et d′ailleurs, elles étaient allées se raréfiant jusqu′à disparaître tout à fait, au fur et à mesure que les relations charnelles et maladives, ce trouble et fumeux embrasement avait fait place à la flamme d′une amitié haute et pure. L′amie de Mlle Vinteuil était quelquefois traversée par l′importune pensée qu′elle avait peut-être précipité la mort de Vinteuil. Du moins, en passant des années à débrouiller le grimoire laissé par Vinteuil, en établissant la lecture certaine de ces hiéroglyphes inconnus, l′amie de Mlle Vinteuil eut la consolation d′assurer au musicien dont elle avait assombri les dernières années une gloire immortelle et compensatrice. De relations qui ne sont pas consacrées par les lois découlent des liens de parenté aussi multiples, aussi complexes, plus solides seulement, que ceux qui naissent du mariage. Sans même s′arrêter à des relations d′une nature aussi particulière, ne voyons-nous pas tous les jours que l′adultère, quand il est fondé sur l′amour véritable, n′ébranle pas le sentiment de famille, les devoirs de parenté, mais les revivifie ? L′adultère introduit l′esprit dans la lettre que bien souvent le mariage eût laissée morte. Une bonne fille qui portera, par simple convenance, le deuil du second mari de sa mère n′aura pas assez de larmes pour pleurer l′homme que sa mère avait entre tous choisi comme amant. Du reste, Mlle Vinteuil n′avait agi que par sadisme, ce qui ne l′excusait pas, mais j′eus plus tard une certaine douceur à le penser. Elle devait bien se rendre compte, me disais-je, au moment où elle profanait avec son amie la photographie de son père, que tout cela n′était que maladif, de la folie, et pas la vraie et joyeuse méchanceté qu′elle aurait voulue. Cette idée que c′était une simulation de méchanceté seulement gâtait son plaisir. Mais si cette idée a pu lui revenir plus tard, comme elle avait gâté son plaisir elle a dû diminuer sa souffrance. « Ce n′était pas moi, dut-elle se dire, j′étais aliénée. Moi, je veux encore prier pour mon père, ne pas désespérer de sa bonté. » Seulement il est possible que cette idée, qui s′était certainement présentée à elle dans le plaisir, ne se soit pas présentée à elle dans la souffrance. J′aurais voulu pouvoir la mettre dans son esprit. Je suis sûr que je lui aurais fait du bien et que j′aurais pu rétablir entre elle et le souvenir de son père une communication assez douce. This lost country composers do not actually remember, but each of them remains all his life somehow attuned to it; he is wild with joy when he is singing the airs of his native land, betrays it at times in his thirst for fame, but then, in seeking fame, turns his back upon it, and it is only when he despises it that he finds it when he utters, whatever the subject with which he is dealing, that peculiar strain the monotony of which — for whatever its subject it remains identical in itself — proves the permanence of the elements that compose his soul. But is it not the fact then that from those elements, all the real residuum which we are obliged to keep to ourselves, which cannot be transmitted in talk, even by friend to friend, by master to disciple, by lover to mistress, that ineffable something which makes a difference in quality between what each of us has felt and what he is obliged to leave behind at the threshold of the phrases in which he can communicate with his fellows only by limiting himself to external points common to us all and of no interest, art, the art of a Vinteuil like that of an Elstir, makes the man himself apparent, rendering externally visible in the colours of the spectrum that intimate composition of those worlds which we call individual persons and which, without the aid of art, we should never know? A pair of wings, a different mode of breathing, which would enable us to traverse infinite space, would in no way help us, for, if we visited Mars or Venus keeping the same senses, they would clothe in the same aspect as the things of the earth everything that we should be capable of seeing. The only true voyage of discovery, the only fountain of Eternal Youth, would be not to visit strange lands but to possess other eyes, to behold the universe through the eyes of another, of a hundred others, to behold the hundred universes that each of them beholds, that each of them is; and this we can contrive with an Elstir, with a Vinteuil; with men like these we do really fly from star to star. The andante had just ended upon a phrase filled with a tenderness to which I had entirely abandoned myself; there followed, before the next movement, a short interval during which the performers laid down their instruments and the audience exchanged impressions. A Duke, in order to shew that he knew what he was talking about, declared: “It is a difficult thing to play well.” Other more entertaining people conversed for a moment with myself. But what were their words, which like every human and external word, left me so indifferent, compared with the heavenly phrase of music with which I had just been engaged? I was indeed like an angel who, fallen from the inebriating bliss of paradise, subsides into the most humdrum reality. And, just as certain creatures are the last surviving testimony to a form of life which nature has discarded, I asked myself if music were not the unique example of what might have been — if there had not come the invention of language, the formation of words, the analysis of ideas — the means of communication between one spirit and another. It is like a possibility which has ended in nothing; humanity has developed along other lines, those of spoken and written language. But this return to the unanalysed was so inebriating, that on emerging from that paradise, contact with people who were more or less intelligent seemed to me of an extraordinary insignificance. People — I had been able during the music to remember them, to blend them with it; or rather I had blended with the music little more than the memory of one person only, which was Albertine. And the phrase that ended the andante seemed to me so sublime that I said to myself that it was a pity that Albertine did not know it, and, had she known it, would not have understood what an honour it was to be blended with anything so great as this phrase which brought us together, and the pathetic voice of which she seemed to have borrowed. But, once the music was interrupted, the people who were present seemed utterly lifeless. Refreshments were handed round. M. de Charlus accosted a footman now and then with: “How are you? Did you get my note? Can you come?” No doubt there was in these remarks the freedom of the great nobleman who thinks he is flattering his hearer and is himself more one of the people than a man of the middle classes; there was also the cunning of the criminal who imagines that anything which he volunteers is on that account regarded as innocent. And he added, in the Guermantes tone of Mme. de Villeparisis: “He′s a good young fellow, such a good sort, I often employ him at home.” But his adroitness turned against the Baron, for people thought his intimate conversation and correspondence with footmen extraordinary. The footmen themselves were not so much flattered as embarrassed, in the presence of their comrades. Meanwhile the septet had begun again and was moving towards its close; again and again one phrase or another from the sonata recurred, but always changed, its rhythm and harmony different, the same and yet something else, as things recur in life; and they were phrases of the sort which, without our being able to understand what affinity assigns to them as their sole and necessary home the past life of a certain composer, are to be found only in his work, and appear constantly in it, where they are the fairies, the dryads, the household gods; I had at the start distinguished in the septet two or three which reminded me of the sonata. Presently — bathed in the violet mist which rose particularly in Vinteuil′s later work, so much so that, even when he introduced a dance measure, it remained captive in the heart of an opal — I caught the sound of another phrase from the sonata, still hovering so remote that I barely recognised it; hesitating, it approached, vanished as though in alarm, then returned, joined hands with others, come, as I learned later on, from other works, summoned yet others which became in their turn attractive and persuasive, as soon as they were tamed, and took their places in the ring, a ring divine but permanently invisible to the bulk of the audience, who, having before their eyes only a thick veil through which they saw nothing, punctuated arbitrarily with admiring exclamations a continuous boredom which was becoming deadly. Then they withdrew, save one which I saw reappear five times or six, without being able to distinguish its features, but so caressing, so different — as was no doubt the little phrase in Swann′s sonata — from anything that any woman had ever made me desire, that this phrase which offered me in so sweet a voice a happiness which would really have been worth the struggle to obtain it, is perhaps — this invisible creature whose language I did not know and whom I understood so well — the only Stranger that it has ever been my good fortune to meet. Then this phrase broke up, was transformed, like the little phrase in the sonata, and became the mysterious appeal of the start. A phrase of a plaintive kind rose in opposition to it, but so profound, so vague, so internal, almost so organic and visceral that one could not tell at each of its repetitions whether they were those of a theme or of an attack of neuralgia. Presently these two motives were wrestling together in a close fight in which now one disappeared entirely, and now the listener could catch only a fragment of the other. A wrestling match of energies only, to tell the truth; for if these creatures attacked one another, it was rid of their physical bodies, of their appearance, of their names, and finding in me an inward spectator, himself indifferent also to their names and to all details, interested only in their immaterial and dynamic combat and following with passion its sonorous changes. In the end the joyous motive was left triumphant; it was no longer an almost anxious appeal addressed to an empty sky, it was an ineffable joy which seemed to come from paradise, a joy as different from that of the sonata as from a grave and gentle angel by Bellini, playing the theorbo, would be some archangel by Mantegna sounding a trump. I might be sure that this new tone of joy, this appeal to a super-terrestrial joy, was a thing that I would never forget. But should I be able, ever, to realise it? This question seemed to me all the more important, inasmuch as this phrase was what might have seemed most definitely to characterise — from its sharp contrast with all the rest of my life, with the visible world — those impressions which at remote intervals I recaptured in my life as starting-points, foundation-stones for the construction of a true life: the impression that I had felt at the sight of the steeples of Martinville, or of a line of trees near Balbec. In any case, to return to the particular accent of this phrase, how strange it was that the presentiment most different from what life assigns to us on earth, the boldest approximation to the bliss of the world beyond should have been materialised precisely in the melancholy, respectable little old man whom we used to meet in the Month of Mary at Combray; but, stranger still, how did it come about that this revelation, the strangest that I had yet received, of an unknown type of joy, should have come to me from him, since, it was understood, when he died he left nothing behind him but his sonata, all the rest being non-existent in indecipherable scribbljngs. Indecipherable they may have been, but they had nevertheless been in the end deciphered, by dint of patience, intelligence and respect, by the only person who had lived sufficiently in Vinteuil′s company to understand his method of working, to interpret his orchestral indications: Mlle. Vinteuil′s friend. Even in the lifetime of the great composer, she had acquired from his daughter the reverence that the latter felt for her father. It was because of this reverence that, in those moments in which people run counter to their natural inclinations, the two girls had been able to find an insane pleasure in the profanations which have already been narrated. (Her adoration of her father was the primary condition of his daughter′s sacrilege. And no doubt they ought to have foregone the delight of that sacrilege, but it did not express the whole of their natures.) And, what is more, the profanations had become rarefied until they disappeared altogether, in proportion as their morbid carnal relations, that troubled, smouldering fire, had given place to the flame of a pure and lofty friendship. Mlle. Vinteuil′s friend was sometimes worried by the importunate thought that she had perhaps hastened the death of Vinteuil. At any rate, by spending years in poring over the cryptic scroll left by him, in establishing the correct reading of those illegible hieroglyphs, Mlle. Vinteuil′s friend had the consolation of assuring the composer whose grey hairs she had sent in sorrow to the grave an immortal and compensating glory. Relations which are not consecrated by the laws establish bonds of kinship as manifold, as complex, even more solid than those which spring from marriage. Indeed, without pausing to consider relations of so special a nature, do we not find every day that adultery, when it is based upon genuine love, does not upset the family sentiment, the duties of kinship, but rather revivifies them. Adultery brings the spirit into what marriage would often have left a dead letter. A good-natured girl who merely from convention will wear mourning for her mother′s second husband has not tears enough to shed for the man whom her mother has chosen out of all the world as her lover. Anyhow, Mlle. Vinteuil had acted only in a spirit of Sadism, which did not excuse her, but it gave me a certain consolation to think so later on. She must indeed have realised, I told myself, at the moment when she and her friend profaned her father′s photograph, that what they were doing was merely morbidity, silliness, and not the true and joyous wickedness which she would have liked to feel. This idea that it was merely a pretence of wickedness spoiled her pleasure. But if this idea recurred to her mind later on, as it had spoiled her pleasure, so it must then have diminished her grief. “It was not I,” she must have told herself, “I was out of my mind. I myself mean still to pray for my father′s soul, not to despair of his forgiveness.” Only it is possible that this idea, which had certainly presented itself to her in her pleasure, may not have presented itself in her grief. I would have liked to be able to put it into her mind. I am sure that I should have done her good and that I should have been able to reestablish between her and the memory of her father a pleasant channel of communication.
Comme dans les illisibles carnets où un chimiste de génie, qui ne sait pas la mort si proche, note des découvertes qui resteront peut-être à jamais ignorées, l′amie de Mlle Vinteuil avait dégagé, de papiers plus illisibles que des papyrus ponctués d′écriture cunéiforme, la formule éternellement vraie, à jamais féconde, de cette joie inconnue, l′espérance mystique de l′Ange écarlate du matin. Et moi pour qui, moins pourtant que pour Vinteuil peut-être, elle avait été aussi, elle venait d′être ce soir même encore, en réveillant à nouveau ma jalousie d′Albertine, elle devait, surtout dans l′avenir, être cause de tant de souffrances, c′était grâce à elle, par compensation, qu′avait pu venir jusqu′à moi l′étrange appel que je ne cesserais plus jamais d′entendre comme la promesse et la preuve qu′il existait autre chose, réalisable par l′art sans doute, que le néant que j′avais trouvé dans tous les plaisirs et dans l′amour même, et que si ma vie me semblait si vaine, du moins n′avait-elle pas tout accompli. As in the illegible note-books in which a chemist of genius, who does not know that death is at hand, jots down discoveries which will perhaps remain forever unknown, Mlle. Vinteuil′s friend had disentangled, from papers more illegible than strips of papyrus, dotted with a cuneiform script, the formula eternally true, forever fertile, of this unknown joy, the mystic hope of the crimson Angel of the dawn. And I to whom, albeit not so much perhaps as to Vinteuil, she had been also, she had been once more this very evening, by reviving afresh my jealousy of Albertine, she was above all in the future to be the cause of so many sufferings, it was thanks to her, in compensation, that there had been able to come to my ears the strange appeal which I should never for a moment cease to hear, as the promise and proof that there existed something other, realisable no doubt by art, than the nullity that I had found in all my pleasures and in love itself, and that if my life seemed to me so empty, at least there were still regions unexplored.
Ce qu′elle avait permis, grâce à son labeur, qu′on connût de Vinteuil, c′était à vrai dire toute l′œuvre de Vinteuil. À côté de ce Septuor, certaines phrases de la sonate, que seules le public connaissait, apparaissaient comme tellement banales qu′on ne pouvait pas comprendre comment elles avaient pu exciter tant d′admiration. C′est ainsi que nous sommes surpris que, pendant des années, des morceaux aussi insignifiants que la Romance à l′Étoile, la Prière d′Élisabeth aient pu soulever, au concert, des amateurs fanatiques qui s′exténuaient à applaudir et à crier bis quand venait de finir ce qui pourtant n′est que fade pauvreté pour nous qui connaissons Tristan, l′Or du Rhin, les Maîtres Chanteurs. Il faut supposer que ces mélodies sans caractère contenaient déjà cependant, en quantités infinitésimales, et par cela même, peut-être, plus assimilables, quelque chose de l′originalité des chefs-d′œuvre qui rétrospectivement comptent seuls pour nous, mais que leur perfection même eût peut-être empêchés d′être compris ; elles ont pu leur préparer le chemin dans les cœurs. Toujours est-il que, si elles donnaient un pressentiment confus des beautés futures, elles laissaient celles-ci dans un inconnu complet. Il en était de même pour Vinteuil ; si, en mourant, il n′avait laissé — en exceptant certaines parties de la sonate — que ce qu′il avait pu terminer, ce qu′on eût connu de lui eût été, auprès de sa grandeur véritable, aussi peu de chose que pour Victor Hugo, par exemple, s′il était mort après le Pas d′Armes du roi Jean, la Fiancée du Timbalier et Sarah la baigneuse, sans avoir rien écrit de la Légende des siècles et des Contemplations : ce qui est pour nous son œuvre véritable fût resté purement virtuel, aussi inconnu que ces univers jusqu′auxquels notre perception n′atteint pas, dont nous n′aurons jamais une idée. What she had enabled us, thanks to her labour, to know of Vinteuil was, to tell the truth, the whole of Vinteuil′s work. Compared with this septet, certain phrases from the sonata which alone the public knew appeared so commonplace that one failed to understand how they could have aroused so much admiration. Similarly we are surprised that for years past, pieces as trivial as the Evening Star or Elisabeth′s Prayer can have aroused in the concert-hall fanatical worshippers who wore themselves out in applause and in crying encore at the end of what after all is poor and trite to us who know Tristan, the Rheingold and the Meistersinger. We are left to suppose that those featureless melodies contained already nevertheless in infinitesimal, and for that reason, perhaps, more easily assimilable quantities, something of the originality of the masterpieces which, in retrospect, are alone of importance to us, but which their very perfection may perhaps have prevented from being understood; they have been able to prepare the way for them in our hearts. Anyhow it is true that, if they gave a confused presentiment of the beauties to come, they left these in a state of complete obscurity. It was the same with Vinteuil; if at his death he had left behind him — excepting certain parts of the sonata — only what he had been able to complete, what we should have known of him would have been, in relation to his true greatness, as little as, in the case of, say, Victor Hugo, if he had died after the Pas d′Armes du Roi Jean, the Fiancée du Timbalier and Sarah la Baigneuse, without having written a line of the Légende des Siècles or the Contemplations: what is to us his real work would have remained purely potential, as unknown as those universes to which our perception does not attain, of which we shall never form any idea.
Au reste, le contraste apparent, cette union profonde entre le génie (le talent aussi et même la vertu) et la gaine de vices où, comme il était arrivé pour Vinteuil, il est si fréquemment contenu, conservé, étaient lisibles, comme en une vulgaire allégorie, dans la réunion même des invités au milieu desquels je me retrouvai quand la musique fut finie. Cette réunion, bien que limitée cette fois au salon de Mme Verdurin, ressemblait à beaucoup d′autres, dont le gros public ignore les ingrédients qui y entrent, et que les journalistes philosophes, s′ils sont un peu informés, appellent parisiennes, ou panamistes, ou dreyfusardes, sans se douter qu′elles peuvent se voir aussi bien à Pétersbourg, à Berlin, à Madrid et dans tous les temps ; si, en effet, le sous-secrétaire d′État aux Beaux-Arts, homme véritablement artiste, bien élevé et snob, quelques duchesses et trois ambassadeurs avec leurs femmes étaient ce soir chez Mme Verdurin, le motif proche, immédiat, de cette présence résidait dans les relations qui existaient entre M. de Charlus et Morel, relations qui faisaient désirer au baron de donner le plus de retentissement possible aux succès artistiques de sa jeune idole, et d′obtenir pour lui la croix de la Légion d′honneur ; la cause plus lointaine qui avait rendu cette réunion possible était qu′une jeune fille entretenant avec Mlle Vinteuil des relations parallèles à celles de Charlie et du baron avait mis au jour toute une série d′œuvres géniales et qui avaient été une telle révélation qu′une souscription n′allait pas tarder à être ouverte, sous le patronage du Ministre de l′Instruction publique, en vue de faire élever une statue à Vinteuil. D′ailleurs, à ces œuvres, tout autant que les relations de Mlle Vinteuil avec son amie, avaient été utiles celles du baron avec Charlie, sorte de chemin de traverse, de raccourci, grâce auquel le monde allait rejoindre ces œuvres sans le détour, sinon d′une incompréhension qui persisterait longtemps, du moins d′une ignorance totale qui eût pu durer des années. Chaque fois que se produit un événement accessible à la vulgarité d′esprit du journaliste philosophe, c′est-à-dire généralement un événement politique, les journalistes philosophes sont persuadés qu′il y a quelque chose de changé en France, qu′on ne reverra plus de telles soirées, qu′on n′admirera plus Ibsen, Renan, Dostoski, d′Annunzio, Tolstoíª Wagner, Strauss. Car les journalistes philosophes tirent argument des dessous équivoques de ces manifestations officielles pour trouver quelque chose de décadent à l′art qu′elles glorifient, et qui bien souvent est le plus austère de tous. Mais il n′est pas de nom, parmi les plus révérés de ces journalistes philosophes, qui n′ait tout naturellement donné lieu à de telles fêtes étranges, quoique l′étrangeté en fût moins flagrante et mieux cachée. Pour cette fête-ci, les éléments impurs qui s′y conjuguaient me frappaient à un autre point de vue ; certes, j′étais aussi à même que personne de les dissocier, ayant appris à les connaître séparément, mais surtout il arrivait que les uns, ceux qui se rattachaient à Mlle Vinteuil et à son amie, me parlant de Combray me parlaient aussi d′Albertine, c′est-à-dire de Balbec, puisque c′est parce que j′avais vu jadis Mlle Vinteuil à Montjouvain et que j′avais appris l′intimité de son amie avec Albertine, que j′allais tout à l′heure, en rentrant chez moi, trouver, au lieu de la solitude, Albertine qui m′attendait, et que les autres, ceux qui concernaient Morel et M. de Charlus, en me parlant de Balbec où j′avais vu, sur le quai de Doncières, se nouer leurs relations, me parlaient de Combray et de ses deux côtés, car M. de Charlus c′était un de ces Guermantes, comtes de Combray, habitant Combray sans y avoir de logis, entre ciel et terre, comme Gilbert le Mauvais dans son vitrail ; enfin Morel était le fils de ce vieux valet de chambre qui m′avait fait connaître la dame en rose et permis, tant d′années après, de reconnaître en elle Mme Swann. Anyhow, the apparent contrast, that profound union between genius (talent too and even virtue) and the sheath of vices in which, as had happened in the case of Vinteuil, it is so frequently contained, preserved, was legible, as in a popular allegory, in the mere assembly of the guests among whom I found myself once again when the music had come to an end. This assembly, albeit limited this time to Mme. Verdurin′s drawing-room, resembled many others, the ingredients of which are unknown to the general public, and which philosophical journalists, if they are at all well-informed, call Parisian, or Panamist, or Dreyfusard, never suspecting that they may equally well be found in Petersburg, Berlin, Madrid, and at every epoch; if as a matter of fact the Under Secretary of State for Fine Arts, an artist to his fingertips, well-bred and smart, several Duchesses and three Ambassadors with their wives were present this evening at Mme. Verdurin′s, the proximate, immediate cause of their presence lay in the relations that existed between M. de Charlus and Morel, relations which made the Baron anxious to give as wide a celebrity as possible to the artistic triumphs of his young idol, and to obtain for him the Cross of the Legion of Honour; the remoter cause which had made this assembly possible was that a girl living with Mlle. Vinteuil in the same way as the Baron was living with Charlie had brought to light a whole series of works of genius which had been such a revelation that before long a subscription was to be opened under the patronage of the Minister of Education, with the object of erecting a statue of Vinteuil. Moreover, these works had been assisted, no less than by Mlle. Vinteuil′s relations with her friend, by the Baron′s relations with Charlie, a sort of cross-road, a short cut, thanks to which the world was enabled to overtake these works without the preliminary circuit, if not of a want of comprehension which would long persist, at least of a complete ignorance which might have lasted for years. Whenever an event occurs which is within the range of the vulgar mind of the moralising journalist, a political event as a rule, the moralising journalists are convinced that there has been some great change in France, that we shall never see such evenings again, that no one will ever again admire Ibsen, Renan, Dostoski, D′Annunzio, Tolstoi, Wagner, Strauss. For moralising journalists take their text from the equivocal undercurrents of these official manifestations, in order to find something decadent in the art which is there celebrated and which as often as not is more austere than any other. But there is no name among those most revered by these moralising journalists which has not quite naturally given rise to some such strange gathering, although its strangeness may have been less flagrant and better concealed. In the case of this gathering, the impure elements that associated themselves with it struck me from another aspect; to be sure, I was as well able as anyone to dissociate them, having learned to know them separately, but anyhow it came to pass that some of them, those which concerned Mlle. Vinteuil and her friend, speaking to me of Combray, spoke to me also of Albertine, that is to say of Balbec, since it was because I had long ago seen Mlle. Vinteuil at Montjouvain and had learned of her friend′s intimacy with Albertine, that I was presently, when I returned home, to find, instead of solitude, Albertine awaiting me, and that the others, those which concerned Morel and M. de Charlus, speaking to me of Balbec, where I had seen, on the platform at Doncières, their intimacy begin, spoke to me of Combray and of its two ‘ways,′ for M. de Charlus was one of those Guermantes, Counts of Combray, inhabiting Combray without having any dwelling there, between earth and heaven, like Gilbert the Bad in his window: while, after all, Morel was the son of that old valet who had enabled me to know the lady in pink, and had permitted me, years after, to identify her with Mme. Swann.
M. de Charlus recommença, au moment où, la musique finie, ses invités prirent congé de lui, la même erreur qu′à leur arrivée. Il ne leur demanda pas d′aller vers la Patronne, de l′associer, elle et son mari, à la reconnaissance qu′on lui témoignait. Ce fut un long défilé, mais un défilé devant le baron seul, et non même sans qu′il s′en rendît compte, car ainsi qu′il me le dit quelques minutes après : « La forme même de la manifestation artistique a revêtu ensuite un côté « sacristie » assez amusant. » On prolongeait même les remerciements par des propos différents qui permettaient de rester un instant de plus auprès du baron, pendant que ceux qui ne l′avaient pas encore félicité de la réussite de sa fête stagnaient, piétinaient. Plus d′un mari avait envie de s′en aller ; mais sa femme, snob bien que duchesse, protestait : « Non, non, quand nous devrions attendre une heure, il ne faut pas partir sans avoir remercié Palamède qui s′est donné tant de peine. Il n′y a que lui qui puisse à l′heure actuelle donner des fêtes pareilles. » Personne n′eût plus pensé à se faire présenter à Mme Verdurin qu′à l′ouvreuse d′un théâtre où une grande dame a, pour un soir, amené toute l′aristocratie. « Étiez-vous hier chez Éliane de Montmorency, mon cousin ? demandait Mme de Mortemart, désireuse de prolonger l′entretien. M. de Charlus repeated, when, the music at an end, his guests came, to say good-bye to him, the same error that he had made when they arrived. He did not ask them to shake hands with their hostess, to include her and her husband in the gratitude that was being showered on himself. There was a long queue waiting, but a queue that led to the Baron alone, a fact of which he must have been conscious, for as he said to me a little later: “The form of the artistic celebration ended in a ‘few-words-in-the-vestry′ touch that was quite amusing.” The guests even prolonged their expressions of gratitude with indiscriminate remarks which enabled them to remain for a moment longer in the Baron′s presence, while those who had not yet congratulated him on the success of his party hung wearily in the rear. A stray husband or two may have announced his intention of going; but his wife, a snob as well as a Duchess, protested: “No, no, even if we are kept waiting an hour, we cannot go away without thanking Palamède, who has taken so much trouble. There is nobody else left now who can give entertainments like this.” Nobody would have thought of asking to be introduced to Mme. Verdurin any more than to the attendant in a theatre to which some great lady has for one evening brought the whole aristocracy. “Were you at Eliane de Montmorency′s yesterday, cousin?” asked Mme. de Mortemart, seeking an excuse to prolong their conversation.
— Eh bien, mon Dieu non ; j′aime bien Éliane, mais je ne comprends pas le sens de ses invitations. Je suis un peu bouché sans doute », ajoutait-il avec un large sourire épanoui, Â… cependant que Mme de Mortemart sentait qu′elle allait avoir la primeur d′une de « Palamède » comme elle en avait souvent d′« Oriane ». « J′ai bien reçu, il y a une quinzaine de jours, une carte de l′agréable Éliane. Au-dessus du nom contesté de Montmorency, il y avait cette aimable invitation : « Mon cousin, faites-moi la grâce de penser à moi vendredi prochain à 9 h. ½. » Au-dessous étaient écrits ces deux mots moins gracieux : « Quatuor Tchèque. » Ils me semblèrent fort inintelligibles, sans plus de rapport, en tous cas, avec la phrase précédente que ces lettres au dos desquelles on voit que l′épistolier en avait commencé une autre par les mots : « Cher ami », la suite manquant, et n′a pas pris une autre feuille, soit distraction, soit économie de papier. J′aime bien Éliane : aussi je ne lui en voulus pas, je me contentai de ne pas tenir compte des mots étranges et déplacés de « quatuor tchèque », et comme je suis un homme d′ordre, je mis au-dessus de ma cheminée l′invitation de penser à Madame de Montmorency le vendredi à 9 h. ½. Bien que connu pour ma nature obéissante, ponctuelle et douce, comme Buffon dit du chameau — et le rire s′épanouit plus largement autour de M. de Charlus, qui savait qu′au contraire on le tenait pour l′homme le plus difficile à vivre — je fus en retard de quelques minutes (le temps d′ôter mes vêtements de jour), et sans en avoir trop de remords, pensant que 9 h. ½ était mis pour 10, à dix heures tapant, dans une bonne robe de chambre, les pieds en d′épais chaussons, je me mis au coin de mon feu à penser à Éliane comme elle me l′avait demandé, et avec une intensité qui ne commença à décroître qu′à dix heures et demie. Dites-lui bien, je vous prie, que j′ai strictement obéi à son audacieuse requête. Je pense qu′elle sera contente. » Mme de Mortemart se pâma de rire, et M. de Charlus tout ensemble. « Et demain, ajouta-t-elle, sans penser qu′elle avait dépassé, et de beaucoup, le temps qu′on pouvait lui concéder, irez-vous chez nos cousins La Rochefoucauld ? — Oh ! cela, c′est impossible, ils m′ont convié comme vous, je le vois, à la chose la plus importante à concevoir et à réaliser et qui s′appelle, si j′en crois la carte d′invitation : « Thé dansant. » Je passais pour fort adroit quand j′étais jeune, mais je doute que j′eusse pu, sans manquer à la décence, prendre mon thé en dansant. Or je n′ai jamais aimé manger ni boire d′une façon malpropre. Vous me direz qu′aujourd′hui je n′ai plus à danser. Mais, même assis confortablement à boire du thé — de la qualité duquel, d′ailleurs, je me méfie puisqu′il s′intitule dansant — je craindrais que des invités plus jeunes que moi, et moins adroits peut-être que je n′étais à leur âge, renversassent sur mon habit leur tasse, ce qui interromprait pour moi le plaisir de vider la mienne. » Et M. de Charlus ne se contentait même pas d′omettre dans la conversation Mme Verdurin et de parler de sujets de toute sorte qu′il semblait avoir plaisir à développer et varier, pour le cruel plaisir, qui avait toujours été le sien, de faire rester indéfiniment sur leurs jambes à « faire la queue » les amis qui attendaient avec une épuisante patience que leur tour fût venu ; il faisait même des critiques sur toute la partie de la soirée dont Mme Verdurin était responsable : « Mais, à propos de tasse, qu′est-ce que c′est que ces étranges demi-bols, pareils à ceux où, quand j′étais jeune homme, on faisait venir des sorbets de chez Poiré Blanche ? Quelqu′un m′a dit tout à l′heure que c′était pour du « café glacé ». Mais en fait de café glacé, je n′ai vu ni café ni glace. Quelles curieuses petites choses à destination mal définie ! » Pour dire cela, M. de Charlus avait placé verticalement sur sa bouche ses mains gantées de blanc et arrondi prudemment son regard désignateur, comme s′il craignait d′être entendu et même vu des maîtres de maison. Mais ce n′était qu′une feinte, car dans quelques instants il allait dire les mêmes critiques à la Patronne elle-même, et un peu plus tard lui enjoindre insolemment. « Et surtout plus de tasses à café glacé ! Donnez-les à celle de vos amies dont vous désirez enlaidir la maison. Mais surtout qu′elle ne les mette pas dans le salon, car on pourrait s′oublier et croire qu′on s′est trompé de pièce puisque ce sont exactement des pots de chambre. — Mais mon cousin, disait l′invitée — en baissant elle aussi la voix et en regardant d′un air interrogateur M. de Charlus, non par crainte de fâcher Mme Verdurin, mais de le fâcher lui — peut-être qu′elle ne sait pas encore tout très bienÂ… — On le lui apprendra. — Oh ! riait l′invitée, elle ne peut pas trouver un meilleur professeur ! Elle a de la chance ! Avec vous on est sûr qu′il n′y aura pas de fausse note. — En tous cas, il n′y en a pas eu dans la musique. — Oh ! c′était sublime. Ce sont de ces joies qu′on n′oublie pas. À propos de ce violoniste de génie, continuait-elle, croyant, dans sa naîµ¥té, que M. de Charlus s′intéressait au violon « en soi », en connaissez-vous un que j′ai entendu l′autre jour jouer merveilleusement une sonate de Fauré, il s′appelle FrankÂ… — Oui, c′est une horreur, répondait M. de Charlus, sans se soucier de la grossièreté d′un démenti qui impliquait que sa cousine n′avait aucun goût. En fait de violoniste je vous conseille de vous en tenir au mien. » Les regards allaient recommencer à s′échanger entre M. de Charlus et sa cousine, à la fois baissés et épieurs, car, rougissante et cherchant par son zèle à réparer sa gaffe, Mme de Mortemart allait proposer à M. de Charlus de donner une soirée pour faire entendre Morel. Or, pour elle, cette soirée n′avait pas le but de mettre en lumière un talent, but qu′elle allait pourtant prétendre être le sien, et qui était réellement celui de M. de Charlus. Elle ne voyait là qu′une occasion de donner une soirée particulièrement élégante, et déjà calculait qui elle inviterait et qui elle laisserait de côté. Ce triage, préoccupation dominante des gens qui donnent des fêtes (ceux-là mêmes que les journaux mondains ont le toupet ou la bêtise d′appeler « l′élite »), altère aussitôt le regard — et l′écriture — plus profondément que ne ferait la suggestion d′un hypnotiseur. Avant même d′avoir pensé à ce que Morel jouerait (préoccupation jugée secondaire et avec raison, car si même tout le monde, à cause de M. de Charlus, avait eu la convenance de se taire pendant la musique, personne, en revanche, n′aurait eu l′idée de l′écouter), Mme de Mortemart, ayant décidé que Mme de Valcourt ne serait pas des « élues », avait pris, par ce fait même, l′air de conjuration, de complot qui ravale si bas celles mêmes des femmes du monde qui pourraient le plus aisément se moquer du qu′en-dira-t-on. « N′y aurait-il pas moyen que je donne une soirée pour faire entendre votre ami ? » dit à voix basse Mme de Mortemart, qui, tout en s′adressant uniquement à M. de Charlus, ne put s′empêcher, comme fascinée, de jeter un regard sur Mme de Valcourt (l′exclue) afin de s′assurer que celle-ci était à une distance suffisante pour ne pas entendre. « Non, elle ne peut pas distinguer ce que je dis », conclut mentalement Mme de Mortemart, rassurée par son propre regard, lequel avait eu, en revanche, sur Mme de Valcourt, un effet tout différent de celui qu′il avait pour but : « Tiens, se dit Mme de Valcourt en voyant ce regard, Marie-Thérèse arrange avec Palamède quelque chose dont je ne dois pas faire partie. » « Vous voulez dire mon protégé », rectifiait M. de Charlus, qui n′avait pas plus de pitié pour le savoir grammatical que pour les dons musicaux de sa cousine. Puis, sans tenir aucun compte des muettes prières de celle-ci, qui s′excusait elle-même en souriant : « Mais siÂ…, dit-il d′une voix forte et capable d′être entendue de tout le salon, bien qu′il y ait toujours danger à ce genre d′exportation d′une personnalité fascinante dans un cadre qui lui fait forcément subir une déperdition de son pouvoir transcendantal et qui resterait en tout cas à approprier. » Madame de Mortemart se dit que le mezzo-voce, le pianissimo de sa question avaient été peine perdue, après le « gueuloir » par où avait passé la réponse. Elle se trompa. Mme de Valcourt n′entendit rien, pour la raison qu′elle ne comprit pas un seul mot. Ses inquiétudes diminuèrent, et se fussent rapidement éteintes, si Mme de Mortemart, craignant de se voir déjouée et craignant d′avoir à inviter Mme de Valcourt, avec qui elle était trop liée pour la laisser de côté si l′autre savait « avant », n′eût de nouveau levé les paupières dans la direction d′Édith, comme pour ne pas perdre de vue un danger menaçant, non sans les rabaisser vivement de façon à ne pas trop s′engager. Elle comptait, le lendemain de la fête, lui écrire une de ces lettres, complément du regard révélateur, lettres qu′on croit habiles et qui sont comme un aveu sans réticences et signé. Par exemple : « Chère Édith, je m′ennuie après vous, je ne vous attendais pas trop hier soir (comment m′aurait-elle attendue, se serait dit Édith, puisqu′elle ne m′avait pas invitée ?) car je sais que vous n′aimez pas extrêmement ce genre de réunions, qui vous ennuient plutôt. Nous n′en aurions pas moins été très honorés de vous avoir (jamais Mme de Mortemart n′employait ce terme « honoré », excepté dans les lettres où elle cherchait à donner à un mensonge une apparence de vérité). Vous savez que vous êtes toujours chez vous à la maison. Du reste, vous avez bien fait, car cela a été tout à fait raté, comme toutes les choses improvisées en deux heures, etc. » Mais déjà le nouveau regard furtif lancé sur elle avait fait comprendre à Édith tout ce que cachait le langage compliqué de M. de Charlus. Ce regard fut même si fort qu′après avoir frappé Mme de Valcourt, le secret évident et l′intention de cachotterie qu′il contenait rebondirent sur un jeune Péruvien que Mme de Mortemart comptait, au contraire, inviter. Mais, soupçonneux, voyant jusqu′à l′évidence les mystères qu′on faisait, sans prendre garde qu′ils n′étaient pas pour lui, il éprouva aussitôt, à l′endroit de Mme de Mortemart, une haine atroce et se jura de lui faire mille mauvaises farces, comme de faire envoyer cinquante cafés glacés chez elle le jour où elle ne recevrait pas, de faire insérer, celui où elle recevrait, une note dans les journaux disant que la fête était remise, et de publier des comptes rendus mensongers des suivantes, dans lesquels figureraient les noms connus de toutes de personnes que, pour des raisons variées, on ne tient pas à recevoir, même pas à se laisser présenter. Mme Mortemart avait tort de se préoccuper de Mme de Valcourt. M. de Charlus allait se charger de dénaturer, bien davantage que n′eût fait la présence de celle-ci, la fête projetée. « Mais mon cousin, dit-elle en réponse à la phrase du « cadre à approprier », dont son état momentané d′hyperesthésie lui avait permis de deviner le sens, nous vous éviterons toute peine. Je me charge très bien de demander à Gilbert de s′occuper de tout. — Non, surtout pas, d′autant plus qu′il ne sera pas invité. Rien ne se fera que par moi. Il s′agit avant tout d′exclure les personnes qui ont des oreilles pour ne pas entendre. » La cousine de M. de Charlus, qui avait compté sur l′attrait de Morel pour donner une soirée où elle pourrait dire qu′à la différence de tant de parentes, « elle avait eu Palamède », reporta brusquement sa pensée, de ce prestige de M. de Charlus, sur tant de personnes avec lesquelles il allait la brouiller s′il se mêlait d′exclure et d′inviter. La pensée que le prince de Guermantes (à cause duquel, en partie, elle désirait exclure Mme de Valcourt, qu′il ne recevait pas) ne serait pas convié, l′effrayait. Ses yeux prirent une expression inquiète. « Est-ce que la lumière un peu trop vive vous fait mal ? » demanda M. de Charlus avec un sérieux apparent dont l′ironie foncière ne fut pas comprise. « Non, pas du tout, je songeais à la difficulté, non à cause de moi, naturellement, mais des miens, que cela pourrait créer si Gilbert apprend que j′ai eu une soirée sans l′inviter, lui qui n′a jamais quatre chats sansÂ… — Mais justement, on commencera par supprimer les quatre chats qui ne pourraient que miauler ; je crois que le bruit des conversations vous a empêchée de comprendre qu′il s′agissait non de faire des politesses grâce à une soirée, mais de procéder aux rites habituels à toute véritable célébration. » Puis, jugeant, non que la personne suivante avait trop attendu, mais qu′il ne seyait pas d′exagérer les faveurs faites à celle qui avait eu en vue beaucoup moins Morel que ses propres « listes » d′invitation, M. de Charlus, comme un médecin qui arrête la consultation quand il juge être resté le temps suffisant, signifia à sa cousine de se retirer, non en lui disant au revoir, mais en se tournant vers la personne qui venait immédiatement après. « Bonsoir, Madame de Montesquiou, c′était merveilleux, n′est-ce pas ? Je n′ai pas vu Hélène, dites-lui que toute abstention générale, même la plus noble, autant dire la sienne, comporte des exceptions, si celles-ci sont éclatantes, comme c′était ce soir le cas. Se montrer rare, c′est bien, mais faire passer avant le rare, qui n′est que négatif, le précieux, c′est mieux encore. Pour votre sœur, dont je prise plus que personne la systématique absence là où ce qui l′attend ne la vaut pas, au contraire, à une manifestation mémorable comme celle-ci sa présence eût été une préséance et eût apporté à votre sœur, déjà si prestigieuse, un prestige supplémentaire. » Puis il passa à une troisième personne, M. d′Argencourt. Je fus très étonné de voir, là, aussi aimable et flagorneur avec M. de Charlus qu′il était sec avec lui autrefois, se faisant présenter Morel et lui disant qu′il espérait qu′il viendrait le voir, M. d′Argencourt, cet homme si terrible pour l′espèce d′hommes dont était M. de Charlus. Or il en vivait maintenant entouré. Ce n′était certes pas qu′il fût devenu à cet égard un des pareils de M. de Charlus. Mais, depuis quelque temps, il avait à peu près abandonné sa femme pour une jeune femme du monde qu′il adorait. Intelligente, elle lui faisait partager son goût pour les gens intelligents et souhaitait fort d′avoir M. de Charlus chez elle. Mais, surtout, M. d′Argencourt fort jaloux et un peu impuissant, sentant qu′il satisfaisait mal sa conquête et voulant à la fois la préserver et la distraire, ne le pouvait sans danger qu′en l′entourant d′hommes inoffensifs, à qui il faisait ainsi jouer le rôle de gardiens du sérail. Ceux-ci le trouvaient devenu très aimable et le déclaraient beaucoup plus intelligent qu′ils n′avaient cru, ce dont sa maîtresse et lui étaient ravis. “Good gracious, no; I like Eliane, but I never can understand her invitations. I must be very stupid, I′m afraid,” he went on, parting his lips in a broad smile, while Mme. de Mortemart realised that she was to be made the first recipient of ‘one of Palamède′s′ as she had often been of ‘one of Oriane′s.′“I did indeed receive a card a fortnight ago from the charming Eliane. Above the questionably authentic name of ‘Montmorency′ was the following kind invitation: ‘My dear cousin, will you please remember me next Friday at half-past nine.′ Beneath were written two less gratifying words: ‘Czech Quartet.′ These seemed to me incomprehensible, and in any case to have no more connexion with the sentence above than the words ‘My dear ——,′ which you find on the back of a letter, with nothing else after them, when the writer has already begun again on the other side, and has not taken a fresh sheet, either from carelessness or in order to save paper. I am fond of Eliane: and so I felt no annoyance, I merely ignored the strange and inappropriate allusion to a Czech Quartet, and, as I am a methodical man, I placed on my chimney-piece the invitation to remember Madame de Montmorency on Friday at half-past nine. Although renowned for my obedient, punctual and meek nature, as Buffon says of the camel”— at this, laughter seemed to radiate from M. de Charlus who knew that on the contrary he was regarded as the most impossible person to live with —“I was a few minutes late (it took me a few minutes to change my clothes), and without any undue remorse, thinking that half-past nine meant ten, at the stroke of ten in a comfortable dressing-gown, with warm slippers on my feet, I sat down in my chimney corner to remember Eliane as she had asked me and with a concentration which began to relax only at half-past ten. Tell her please that I complied strictly with her audacious request. I am sure she will be gratified.” Mme. de Mortemart was helpless with laughter, in which M. de Charlus joined. “And to-morrow,” she went on, forgetting that she had already long exceeded the time that might be allotted to her, “are you going to our La Rochefoucauld cousins?” “Oh, that, now, is quite impossible, they have invited me, and you too, I see, to a thing it is utterly impossible to imagine, which is called, if I am to believe their card of invitation, a ‘dancing tea.′ I used to be considered pretty nimble when I was young, but I doubt whether I could ever decently have drunk a cup of tea while I was dancing. No, I have never cared for eating or drinking in unnatural positions. You will remind me that my dancing days are done. But even sitting down comfortably to drink my tea — of the quality of which I am suspicious since it is called ‘dancing′— I should be afraid lest other guests younger than myself, and less nimble possibly than I was at their age, might spill their cups over my clothes which would interfere with my pleasure in draining my own.” Nor indeed was M. de Charlus content with leaving Mme. Verdurin out of the conversation while he spoke of all manner of subjects which he seemed to be taking pleasure in developing and varying, that cruel pleasure which he had always enjoyed of keeping indefinitely on their feet the friends who were waiting with an excruciating patience for their turn to come; he even criticised all that part of the entertainment for which Mme. Verdurin was responsible. “But, talking about cups, what in the world are those strange little bowls which remind me of the vessels in which, when I was a young man, people used to get sorbets from Poiré-Blanche. Somebody said to me just now that they were for ‘iced coffee.′ But if it comes to that, I have seen neither coffee nor ice. What curious little objects — so very ambiguous.” In saying this M. de Charlus had placed his white-gloved hands vertically over his lips and had modestly circumscribed his indicative stare as though he were afraid of being heard, or even seen by his host and hostess. But this was a mere feint, for in a few minutes he would be offering the same criticisms to the Mistress herself, and a little later would be insolently enjoining: “No more iced-coffee cups, remember! Give them to one of your friends whose house you wish to disfigure. But warn her not to have them in the drawing-room, or people might think that they had come into the wrong room, the things are so exactly like chamberpots.” “But, cousin,” said the guest, lowering her own voice also, and casting a questioning glance at M. de Charlus, for she was afraid of offending not Mme. Verdurin but him, “perhaps she doesn′t quite know yet. . . . ” “She shall be taught.” “Oh!” laughed the guest, “she couldn′t have a better teacher! She is lucky! If you are in charge, one can be sure there won′t be a false note.” “There wasn′t one, if it comes to that, in the music.” “Oh! It was sublime. One of those pleasures which can never be forgotten. Talking of that marvellous violinist,” she went on, imagining in her innocence that M. de Charlus was interested in the violin ‘pure and simple,′“do you happen to know one whom I heard the other day playing too wonderfully a sonata by Fauré, his name is Frank. . . . ” “Oh, he′s a horror,” replied M. de Charlus, overlooking the rudeness of a contradiction which implied that his cousin was lacking in taste. “As far as violinists are concerned, I advise you to confine yourself to mine.” This paved the way to a fresh exchange of glances, at once furtive and scrutinous, between M. de Charlus and his cousin, for, blushing and seeking by her zeal to atone for her blunder, Mme. de Mortemart went on to suggest to M. de Charlus that she might give a party, to hear Morel play. Now, so far as she was concerned, this party had not the object of bringing an unknown talent into prominence, an object which she would, however, pretend to have in mind, and which was indeed that of M. de Charlus. She regarded it only as an opportunity for giving a particularly smart party and was calculating already whom she would invite and whom she would reject. This business of selection, the chief preoccupation of people who give parties (even the people whom ‘society′ journalists are so impudent or so foolish as to call ‘the élite′), alters at once the expression — and the handwriting — of a hostess more profoundly than any hypnotic suggestion. Before she had even thought of what Morel was to play (which she regarded, and rightly, as a secondary consideration, for even if everybody this evening, from fear of M. de Charlus, had observed a polite silence during the music, it would never have occurred to anyone to listen to it), Mme. de Mortemart, having decided that Mme. de Valcourt was not to be one of the elect, had automatically assumed that air of conspiracy, of a secret plotting which so degrades even those women in society who can most easily afford to ignore what ‘people will say.′“Wouldn′t it be possible for me to give a party, for people to hear your friend play?” murmured Mme. de Mortemart, who, while addressing herself exclusively to M. de Charlus, could not refrain, as though under a fascination, from casting a glance at Mme. de Valcourt (the rejected) in order to make certain that the other was too far away to hear her. “No she cannot possibly hear what I am saying,” Mme. de Mortemart concluded inwardly, reassured by her own glance which as a matter of fact had had a totally different effect upon Mme. de Valcourt from that intended: “Why,” Mme. de Valcourt had said to herself when she caught this glance, “Marie-Thérèse is planning something with Palamède which I am not to be told.” “You mean my protégé,” M. de Charlus corrected, as merciless to his cousin′s choice of words as he was to her musical endowments. Then without paying the slightest attention to her silent prayers, as she made a smiling apology: “Why, yes . . . ” he said in a loud tone, audible throughout the room, “although there is always a risk in that sort of exportation of a fascinating personality into surroundings that must inevitably diminish his transcendent gifts and would in any case have to be adapted to them.” Madame de Mortemart told herself that the aside, the pianissimo of her question had been a waste of trouble, after the megaphone through which the answer had issued. She was mistaken. Mme. de Valcourt heard nothing, for the simple reason that she did not understand a single word. Her anxiety diminished and would rapidly have been extinguished had not Mme. de Mortemart, afraid that she might have been given away and afraid of having to invite Mme. de Valcourt, with whom she was on too intimate terms to be able to leave her out if the other knew about her party beforehand, raised her eyelids once again in Edith′s direction, as though not to lose sight of a threatening peril, lowering them again briskly so as not to commit herself. She intended, on the morning after the party, to write her one of those letters, the complement of the revealing glance, letters which people suppose to be subtle and which are tantamount to a full and signed confession. For instance: “Dear Edith, I am so sorry about you, I did not really expect you last night” (“How could she have expected me,” Edith would ask herself, “since she never invited me?”) “as I know that you are not very fond of parties of that sort, which rather bore you. We should have been greatly honoured, all the same, by your company” (never did Mme. de Mortemart employ the word ‘honoured,′ except in the letters in which she attempted to cloak a lie in the semblance of truth). “You know that you are always at home in our house, however, you were quite right, as it was a complete failure, like everything that is got up at a moment′s notice.” But already the second furtive glance darted at her had enabled Edith to grasp everything that was concealed by the complicated language of M. de Charlus. This glance was indeed so violent that, after it had struck Mme. de Valcourt, the obvious secrecy and mischievous intention that it embodied rebounded upon a young Peruvian whom Mme. de Mortemart intended, on the contrary, to invite. But being of a suspicious nature, seeing all too plainly the mystery that was being made without realising that it was not intended to mystify him, he at once conceived a violent hatred of Mme. de Mortemart and determined to play all sorts of tricks upon her, such as ordering fifty iced coffees to be sent to her house on a day when she was not giving a party, or, when she was, inserting a paragraph in the newspapers announcing that the party was postponed, and publishing false reports of her other parties, in which would figure the notorious names of all the people whom, for various reasons, a hostess does not invite or even allow to be introduced to her. Mme. de Mortemart need not have bothered herself about Mme. de Valcourt. M. de Charlus was about to spoil, far more effectively than the other′s presence could spoil it, the projected party. “But, my dear cousin,” she said in response to the expression ‘adapting the surroundings,′ the meaning of which her momentary state of hyperaesthesia had enabled her to discern, “we shall save you all the trouble. I undertake to ask Gilbert to arrange everything.” “Not on any account, all the more as he must not be invited to it. Nothing can be arranged except by myself. The first thing is to exclude all the people who have ears and hear not.” M. de Charlus′s cousin, who had been reckoning upon Morel as an attraction in order to give a party at which she could say that, unlike so many of her kinswomen, she had ‘had Palamède,′ carried her thoughts abruptly, from this prestige of M. de Charlus, to all sorts of people with whom he would get her into trouble if he began interfering with the list of her guests. The thought that the Prince de Guermantes (on whose account, partly, she was anxious to exclude Mme. de Valcourt, whom he declined to meet) was not to be invited, alarmed her. Her eyes assumed an uneasy expression. “Is the light, which is rather too strong, hurting you?” inquired M. de Charlus with an apparent seriousness the underlying irony of which she failed to perceive. “No, not at all, I was thinking of the difficulty, not for myself of course, but for my family, if Gilbert were to hear that I had given a party without inviting him, when he never has a cat on his housetop without. . . . ” “Why of course, we must begin by eliminating the cat on the housetop, which could only miaow; I suppose that the din of talk has prevented you from realising that it was a question not of doing the civilities of a hostess but of proceeding to the rites customary at every true celebration.” Then, deciding, not that the next person had been kept waiting too long, but that it did not do to exaggerate the favours shewn to one who had in mind not so much Morel as her own visiting-list, M. de Charlus, like a physician who cuts short a consultation when he considers that it has lasted long enough, gave his cousin a signal to withdraw, not by bidding her good night but by turning to the person immediately behind her. “Good evening, Madame de Montesquieu, marvellous, wasn′t it? I have not seen Hélène, tell her that every general abstention, even the most noble, that is to say her own, must include exceptions, if they are brilliant, as has been the case to-night. To shew that one is rare is all very well, but to subordinate one′s rarity, which is only negative, to what is precious is better still. In your sister′s case, and I value more than anyone her systematic absence from places where what is in store for her is not worthy of her, here to-night, on the contrary, her presence at so memorable an exhibition as this would have been a présidence, and would have given your sister, already so distinguished, an additional distinction.” Then he turned to a third person, M. d′Argencourt. I was greatly astonished to see in this room, as friendly and flattering towards M. de Charlus as he was severe with him elsewhere, insisting upon Morel′s being introduced to him and telling him that he hoped he would come and see him, M. d′Argencourt, that terrible scourge of men such as M. de Charlus. At the moment he was living in the thick of them. It was certainly not because he had in any sense become one of them himself. But for some time past he had practically deserted his wife for a young woman in society whom he adored. Being intelligent herself, she made him share her taste for intelligent people, and was most anxious to have M. de Charlus in her house. But above all M. d′Argencourt, extremely jealous and not unduly potent, feeling that he was failing to satisfy his captive and anxious at once to introduce her to people and to keep her amused, could do so without risk to himself only by surrounding her with innocuous men, whom he thus cast for the part of guardians of his seraglio. These men found that he had become quite pleasant and declared that he was a great deal more intelligent than they had supposed, a discovery that delighted him and his mistress.
Les autres invitées de M. de Charlus s′en allèrent assez rapidement. Beaucoup disaient : « Je ne voudrais pas aller à la sacristie (le petit salon où le baron, ayant Charlie à côté de lui, recevait les félicitations, et qu′il appelait ainsi lui-même), il faudrait pourtant que Palamède me voie pour qu′il sache que je suis restée jusqu′à la fin. » Aucune ne s′occupait de Mme Verdurin. Plusieurs feignirent de ne pas la reconnaître et de dire adieu par erreur à Mme Cottard, en me disant de la femme du docteur : « C′est bien Mme Verdurin, n′est-ce pas ? » Mme d′Arpajon me demanda, à portée des oreilles de la maîtresse de maison : « Est-ce qu′il y a seulement jamais eu un M. Verdurin ? » Les duchesses, ne trouvant rien des étrangetés auxquelles elles s′étaient attendues, dans ce lieu qu′elles avaient espéré plus différent de ce qu′elles connaissaient, se rattrapaient, faute de mieux, en étouffant des fous rires devant les tableaux d′Elstir ; pour le reste, qu′elles trouvaient plus conforme qu′elles n′avaient cru à ce qu′elles connaissaient déjà, elles en faisaient honneur à M. de Charlus en disant : « Comme Palamède sait bien arranger les choses ! il monterait une féerie dans une remise ou dans un cabinet de toilette que ça n′en serait pas moins ravissant. » Les plus nobles étaient celles qui félicitaient avec le plus de ferveur M. de Charlus de la réussite d′une soirée dont certaines n′ignoraient pas le ressort secret, sans en être embarrassées d′ailleurs, cette société — par souvenir peut-être de certaines époques de l′histoire où leur famille était déjà arrivée à un degré identique d′impudeur pleinement consciente — poussant le mépris des scrupules presque aussi loin que le respect de l′étiquette. Plusieurs d′entre elles engagèrent sur place Charlie pour des soirs où il viendrait jouer le septuor de Vinteuil, mais aucune n′eut même l′idée d′y convier Mme Verdurin. Celle-ci était au comble de la rage quand M. de Charlus qui, porté sur un nuage, ne pouvait s′en apercevoir, voulut, par décence, inviter la Patronne à partager sa joie. Et ce fut peut-être plutôt en se livrant à son goût de littérature qu′à un débordement d′orgueil que ce doctrinaire des fêtes artistes dit à Mme Verdurin : « Hé bien, êtes-vous contente ? Je pense qu′on le serait à moins ; vous voyez que, quand je me mêle de donner une fête, cela n′est pas réussi à moitié. Je ne sais pas si vos notions héraldiques vous permettent de mesurer exactement l′importance de la manifestation, le poids que j′ai soulevé, le volume d′air que j′ai déplacé pour vous. Vous avez eu la reine de Naples, le frère du roi de Bavière, les trois plus anciens pairs. Si Vinteuil est Mahomet, nous pouvons dire que nous avons déplacé pour lui les moins amovibles des montagnes. Pensez que, pour assister à votre fête, la reine de Naples est venue de Neuilly, ce qui est beaucoup plus difficile pour elle que de quitter les Deux-Siciles, dit-il avec une intention de rosserie, malgré son admiration pour la Reine. C′est un événement historique. Pensez qu′elle n′était peut-être jamais sortie depuis la prise de Gaète. Il est probable que, dans les dictionnaires, on mettra comme dates culminantes le jour de la prise de Gaète et celui de la soirée Verdurin. L′éventail qu′elle a posé pour mieux applaudir Vinteuil mérite de rester plus célèbre que celui que Mme de Metternich a brisé parce qu′on sifflait Wagner. — Elle l′a même oublié, son éventail », dit Mme Verdurin, momentanément apaisée par le souvenir de la sympathie que lui avait témoignée la Reine, et elle montra à M. de Charlus l′éventail sur un fauteuil. « Oh ! comme c′est émouvant ! s′écria M. de Charlus en s′approchant avec vénération de la relique. Il est d′autant plus touchant qu′il est affreux ; la petite violette est incroyable ! » Et des spasmes d′émotion et d′ironie le parcouraient alternativement. « Mon Dieu, je ne sais pas si vous ressentez ces choses-là comme moi. Swann serait simplement mort de convulsions s′il avait vu cela. Je sais bien qu′à quelque prix qu′il doive monter, j′achèterai cet éventail à la vente de la Reine. Car elle sera vendue, comme elle n′a pas le sou », ajouta-t-il, la cruelle médisance ne cessant jamais chez le baron de se mêler à la vénération la plus sincère, bien qu′elles partissent de deux natures opposées, mais réunies en lui. Elles pouvaient même se porter tour à tour sur un même fait. Car M. de Charlus qui, du fond de son bien-être d′homme riche, raillait la pauvreté de la Reine, était le même qui souvent exaltait cette pauvreté et qui, quand on parlait de la princesse Murat, reine des Deux-Siciles, répondait : « Je ne sais pas de qui vous voulez parler. Il n′y a qu′une seule reine de Naples, qui est sublime, celle-là, et n′a pas de voiture. Mais de son omnibus elle anéantit tous les équipages et on se mettrait à genoux dans la poussière en la voyant passer. » « Je le léguerai à un musée. — En attendant, il faudra le lui rapporter pour qu′elle n′ait pas à payer un fiacre pour le faire chercher. Le plus intelligent, étant donné l′intérêt historique d′un pareil objet, serait de voler cet éventail. Mais cela la gênerait — parce qu′il est probable qu′elle n′en possède pas d′autre ! ajouta-t-il en éclatant de rire. Enfin vous voyez que pour moi elle est venue. Et ce n′est pas le seul miracle que j′aie fait. Je ne crois pas que personne, à l′heure qu′il est, ait le pouvoir de déplacer les gens que j′ai fait venir. Du reste, il faut faire à chacun sa part, Charlie et les autres musiciens ont joué comme des Dieux. Et, ma chère Patronne, ajouta-t-il avec condescendance, vous-même avez eu votre part de rôle dans cette fête. Votre nom n′en sera pas absent. L′histoire a retenu celui du page qui arma Jeanne d′Arc quand elle partit combattre ; en somme, vous avez servi de trait d′union, vous avez permis la fusion entre la musique de Vinteuil et son génial exécutant, vous avez eu l′intelligence de comprendre l′importance capitale de tout l′enchaînement de circonstances qui ferait bénéficier l′exécutant de tout le poids d′une personnalité considérable, et s′il ne s′agissait pas de moi, je dirais providentielle, à qui vous avez eu le bon esprit de demander d′assurer le prestige de la réunion, d′amener devant le violon de Morel les oreilles directement attachées aux langues les plus écoutées ; non, non, ce n′est pas rien. Il n′y a pas de rien dans une réalisation aussi complète. Tout y concourt. La Duras était merveilleuse. Enfin, tout ; c′est pour cela, conclut-il, comme il aimait à morigéner, que je me suis opposé à ce que vous invitiez de ces personnes-diviseurs qui, devant les êtres prépondérants que je vous amenais, eussent joué le rôle de virgules dans un chiffre, les autres réduites à n′être que de simples dixièmes. J′ai le sentiment très juste de ces choses-là. Vous comprenez, il faut éviter les gaffes quand nous donnons une fête qui doit être digne de Vinteuil, de son génial interprète, de vous, et, j′ose le dire, de moi. Vous auriez invité la Molé que tout était raté. C′était la petite goutte contraire, neutralisante, qui rend une potion sans vertu. L′électricité se serait éteinte, les petits fours ne seraient pas arrivés à temps, l′orangeade aurait donné la colique à tout le monde. C′était la personne à ne pas avoir. À son nom seul, comme dans une féerie, aucun son ne serait sorti des cuivres ; la flûte et le hautbois auraient été pris d′une extinction de voix subite. Morel lui-même, même s′il était parvenu à donner quelques sons, n′aurait plus été en mesure, et au lieu du septuor de Vinteuil, vous auriez eu sa parodie par Beckmesser, finissant au milieu des huées. Moi qui crois beaucoup à l′influence des personnes, j′ai très bien senti, dans l′épanouissement de certain largo, qui s′ouvrait jusqu′au fond comme une fleur, dans le surcroît de satisfaction du finale, qui n′était pas seulement allegro mais incomparablement allègre, que l′absence de la Molé inspirait les musiciens et dilatait de joie jusqu′aux instruments de musique eux-mêmes. D′ailleurs, le jour où on reçoit les souverains on n′invite pas sa concierge. » En l′appelant la Molé (comme il disait, d′ailleurs très sympathiquement, la Duras), M. de Charlus lui faisait justice. Car toutes ces femmes étaient des actrices du monde, et il est vrai aussi que, même en considérant ce point de vue, la comtesse Molé n′était pas égale à l′extraordinaire réputation d′intelligence qu′on lui faisait, et qui donnait à penser à ces acteurs ou à ces romanciers médiocres qui, à certaines époques, ont une situation de génies, soit à cause de la médiocrité de leurs confrères, parmi lesquels aucun artiste supérieur n′est capable de montrer ce qu′est le vrai talent, soit à cause de la médiocrité du public, qui, existât-il une individualité extraordinaire, serait incapable de la comprendre. Dans le cas de Mme Molé, il est préférable, sinon entièrement exact, de s′arrêter à cette première explication. Le monde étant le royaume du néant, il n′y a, entre les mérites des différentes femmes du monde, que des degrés insignifiants, que peuvent seulement follement majorer les rancunes ou l′imagination de M. de Charlus. Et certes, s′il parlait, comme il venait de le faire, dans ce langage qui était un ambigu précieux des choses de l′art et du monde, c′est parce que ses colères de vieille femme et sa culture de mondain ne fournissaient à l′éloquence véritable qui était la sienne que des thèmes insignifiants. Le monde des différences n′existant pas à la surface de la terre, parmi tous les pays que notre perception uniformise, à plus forte raison n′existe-t-il pas dans le « monde ». Existe-t-il, d′ailleurs, quelque part ? Le septuor de Vinteuil avait semblé me dire que oui. Mais où ? Comme M. de Charlus aimait aussi à répéter de l′un à l′autre, cherchant à brouiller, à diviser pour régner, il ajouta : « Vous avez, en ne l′invitant pas, enlevé à Mme Molé l′occasion de dire : « Je ne sais pas pourquoi cette Mme Verdurin m′a invitée. Je ne sais pas ce que c′est que ces gens-là, je ne les connais pas. » Elle a déjà dit l′an passé que vous la fatiguiez de vos avances. C′est une sotte, ne l′invitez plus. En somme, elle n′est pas une personne si extraordinaire. Elle peut bien venir chez vous sans faire d′histoires puisque j′y viens bien. En somme, conclut-il, il me semble que vous pouvez me remercier, car, tel que ça a marché, c′était parfait. La duchesse de Guermantes n′est pas venue, mais on ne sait pas, c′était peut-être mieux ainsi. Nous ne lui en voudrons pas et nous penserons tout de même à elle pour une autre fois ; d′ailleurs on ne peut pas ne pas se souvenir d′elle, ses yeux mêmes nous disent : ne m′oubliez pas, puisque ce sont deux myosotis (et je pensais à part moi combien il fallait que l′esprit des Guermantes — la décision d′aller ici et pas là — fût fort pour l′avoir emporté chez la duchesse sur la crainte de Palamède). Devant une réussite aussi complète, on est tenté, comme Bernardin de Saint-Pierre, de voir partout la main de la Providence. La duchesse de Duras était enchantée. Elle m′a même chargé de vous le dire », ajouta M. de Charlus en appuyant sur les mots, comme si Mme Verdurin devait considérer cela comme un honneur suffisant. Suffisant et même à peine croyable, car il trouva nécessaire, pour être cru, de dire : « Parfaitement », emporté par la démence de ceux que Jupiter veut perdre. « Elle a engagé Morel chez elle où on redonnera le même programme, et je pense même à demander une invitation pour M. Verdurin. » Cette politesse au mari seul était, sans que M. de Charlus en eût même l′idée, le plus sanglant outrage pour l′épouse, laquelle se croyant, à l′égard de l′exécutant, en vertu d′une sorte de décret de Moscou en vigueur dans le petit clan, le droit de lui interdire de jouer au dehors sans son autorisation expresse, était bien résolue à interdire sa participation à la soirée de Mme de Duras. The remainder of M. de Charlus′s guests drifted away fairly rapidly. Several of them said: “I don′t want to call at the vestry” (the little room in which the Baron, with Charlie by his side, was receiving congratulations, and to which he himself had given the name), “but I must let Palamède see me so that he shall know that I stayed to the end.” Nobody paid the slightest attention to Mme. Verdurin. Some pretended not to know which was she and said good night by mistake to Mme. Cottard, appealing to me for confirmation with a “That is Mme. Verdurin, ain′t it?” Mme. d′Arpajon asked me, in the hearing of our hostess: “Tell me, has there ever been a Monsieur Verdurin?” The Duchesses, finding none of the oddities that they expected in this place which they had hoped to find more different from anything that they already knew, made the best of a bad job by going into fits of laughter in front of Elstir′s paintings; for all the rest of the entertainment, which they found more in keeping than they had expected with the style with which they were familiar, they gave the credit to M. de Charlus, saying: “How clever Palamède is at arranging things; if he were to stage an opera in a stable or a bathroom, it would still be perfectly charming.” The most noble ladies were those who shewed most fervour in congratulating M. de Charlus upon the success of a party, of the secret motive of which some of them were by no means unaware, without, however, being embarrassed by the knowledge, this class of society — remembering perhaps certain epochs in history when their own family had already arrived at an identical stage of brazenly conscious effrontery — carrying their contempt for scruples almost as far as their respect for etiquette. Several of them engaged Charlie on the spot for different evenings on which he was to come and play them Vinteuil′s septet, but it never occurred to any of them to invite Mme. Verdurin. This last was already blind with fury when M. de Charlus who, his head in the clouds, was incapable of perceiving her condition, decided that it would be only decent to invite the Mistress to share his joy. And it was perhaps yielding to his literary preciosity rather than to an overflow of pride that this specialist in artistic entertainments said to Mme. Verdurin: “Well, are you satisfied? I think you have reason to be; you see that when I set to work to give a party there are no half-measures. I do not know whether your heraldic knowledge enables you to gauge the precise importance of the display, the weight that I have lifted, the volume of air that I have displaced for you. You have had the Queen of Naples, the brother of the King of Bavaria, the three premier peers. If Vinteuil is Mahomet, we may say that we have brought to him some of the least movable of mountains. Bear in mind that to attend your party the Queen of Naples has come up from Neuilly, which is a great deal more difficult for her than evacuating the Two Sicilies,” he went on, with a deliberate sneer, notwithstanding his admiration for the Queen. “It is an historic event. Just think that it is perhaps the first time she has gone anywhere since the fall of Gaeta. It is probable that the dictionaries of dates will record as culminating points the day of the fall of Gaeta and that of the Verdurins′ party. The fan that she laid down, the better to applaud Vinteuil, deserves to become more famous than the fan that Mme. de Metternich broke because the audience hissed Wagner.” “Why, she has left it here,” said Mme. Verdurin, momentarily appeased by the memory of the Queen′s kindness to herself, and she shewed M. de Charlus the fan which was lying upon a chair. “Oh! What a touching spectacle!” exclaimed M. de Charlus, approaching the relic with veneration. “It is all the more touching, it is so hideous; poor little Violette is incredible!” And spasms of emotion and irony coursed through him alternately. “Oh dear, I don′t know whether you feel this sort of thing as I do. Swann would positively have died of convulsions if he had seen it. I am sure, whatever price it fetches, I shall buy the fan at the Queen′s sale. For she is bound to be sold up, she hasn′t a penny,” he went on, for he never ceased to intersperse the cruellest slanders with the most sincere veneration, albeit these sprang from two opposing natures, which, however, were combined in himself. They might even be brought to bear alternately upon the same incident. For M. de Charlus who in his comfortable state as a wealthy man ridiculed the poverty of the Queen was himself often to be heard extolling that poverty and, when anyone spoke of Princesse Murât, Queen of the Two Sicilies, would reply: “I do not know to whom you are alluding. There is only one Queen of Naples, who is a sublime person and does not keep a carriage. But from her omnibus she annihilates every vehicle on the street and one could kneel down in the dust on seeing her drive past.” “I shall bequeath it to a museum. In the meantime, it must be sent back to her, so that she need not hire a cab to come and fetch it. The wisest thing, in view of the historical interest of such an object, would be to steal the fan. But that would be awkward for her — since it is probable that she does not possess another!” he added, with a shout of laughter. “Anyhow, you see that for my sake she came. And that is not the only miracle that I have performed. I do not believe that anyone at the present day has the power to move the people whom I have brought here. However, everyone must be given his due. Charlie and the rest of the musicians played divinely. And, my dear Mistress,” he added condescendingly, “you yourself have played your part on this occasion. Your name will not be unrecorded. History has preserved that of the page who armed Joan of Arc when she set out for battle; indeed you have served as a connecting link, you have made possible the fusion between Vinteuil′s music and its inspired interpreter, you have had the intelligence to appreciate the capital importance of the whole chain of circumstances which would enable the interpreter to benefit by the whole weight of a considerable — if I were not referring to myself, I would say providential — personage, whom you were clever enough to ask to ensure the success of the gathering, to bring before Morel′s violin the ears directly attached to the tongues that have the widest hearing; no, no, it is not a small matter. There can be no small matter in so complete a realisation. Everything has its part. The Duras was marvellous. In fact, everything; that is why,” he concluded, for he loved to administer a rebuke, “I set my face against your inviting those persons — divisors who, among the overwhelming people whom I brought you would have played the part of the decimal points in a sum, reducing the others to a merely fractional value. I have a very exact appreciation of that sort of thing. You understand, we must avoid blunders when we are giving a party which ought to be worthy of Vinteuil, of his inspired interpreter, of yourself, and, I venture to say, of me. You were prepared to invite the Molé, and everything would have been spoiled. It would have been the little contrary, neutralising drop which deprives a potion of its virtue. The electric lights would have fused, the pastry would not have come in time, the orangeade would have given everybody a stomachache. She was the one person not to invite. At the mere sound of her name, as in a fairy-tale, not a note would have issued from the brass; the flute and the hautboy would have been stricken with a sudden silence. Morel himself, even if he had succeeded in playing a few bars, would not have been in tune, and instead of Vinteuil′s septet you would have had a parody of it by Beckmesser, ending amid catcalls. I, who believe strongly in personal influence, could feel quite plainly in the expansion of a certain largo, which opened itself right out like a flower, in the supreme satisfaction of the finale, which was not merely allegro but incomparably allegro, that the absence of the Molé was inspiring the musicians and was diffusing joy among the very instruments themselves. In any case, when one is at home to Queens one does not invite one′s hall-portress.” In calling her ‘the Molé′ (as for that matter he said quite affectionately ‘the Duras′) M. de Charlus was doing the lady justice. For all these women were the actresses of society and it is true also that, even regarding her from this point of view, Comtesse Molé did not justify the extraordinary reputation for intelligence that she had acquired, which made one think of those mediocre actors or novelists who, at certain periods, are hailed as men of genius, either because of the mediocrity of their competitors, among whom there is no artist capable of revealing what is meant by true talent, or because of the mediocrity of the public, which, did there exist an extraordinary individuality, would be incapable of understanding it. In Mme. Molé‘s case it is preferable, if not absolutely fair, to stop at the former explanation. The social world being the realm of nullity, there exist between the merits of women in society only insignificant degrees, which are at best capable of rousing to madness the rancours or the imagination of M. de Charlus. And certainly, if he spoke as he had just been speaking in this language which was a precious alloy of artistic and social elements, it was because his old-womanly anger and his culture as a man of the world furnished the genuine eloquence that he possessed with none but insignificant themes. Since the world of differences does not exist on the surface of the earth, among all the countries which our perception renders uniform, all the more reason why it should not exist in the social ‘world.′ Does it exist anywhere else? Vinteuil′s septet had seemed to tell me that it did. But where? As M. de Charlus also enjoyed repeating what one person had said of another, seeking to stir up quarrels, to divide and reign, he added: “You have, by not inviting her, deprived Mme. Molé of the opportunity of saying: ‘I can′t think why this Mme. Verdurin should invite me. I can′t imagine who these people are, I don′t know them.′ She was saying a year ago that you were boring her with your advances. She′s a fool, never invite her again. After all, she′s nothing so very wonderful. She can come to your house without making a fuss about it, seeing that I come here. In short,” he concluded, “it seems to me that you have every reason to thank me, for, so far as it went, everything has been perfect. The Duchesse de Guermantes did not come, but one can′t tell, it was better perhaps that she didn′t. We shan′t bear her any grudge, and we shall remember her all the same another time, not that one can help remembering her, her very eyes say to us ‘Forget me not!′, for they are a pair of myosotes” (here I thought to myself how strong the Guermantes spirit — the decision to go to one house and not to another — must be, to have outweighed in the Duchess′s mind her fear of Palamède). “In the face of so complete a success, one is tempted like Bernardin de Saint-Pierre to see everywhere the hand of Providence. The Duchesse de Duras was enchanted. She even asked me to tell you so,” added M. de Charlus, dwelling upon the words as though Mme. Verdurin must regard this as a sufficient honour. Sufficient and indeed barely credible, for he found it necessary, if he was to be believed, to add, completely carried away by the madness of those whom Jupiter has decided to ruin: “She has engaged Morel to come to her house, where the same programme will be repeated, and I even think of asking her for an invitation for M. Verdurin.” This civility to the husband alone was, although no such idea even occurred to M. de Charlus, the most wounding outrage to the wife who, believing herself to possess, with regard to the violinist, by virtue of a sort of ukase which prevailed in the little clan, the right to forbid him to perform elsewhere without her express authorisation, was fully determined to forbid his appearance at Mme. de Duras′s party.
Rien qu′en parlant avec cette faconde, M. de Charlus irritait Mme Verdurin, qui n′aimait pas qu′on fît bande à part dans leur petit clan. Que de fois, et déjà à la Raspelière, entendant le baron parler sans cesse à Charlie au lieu de se contenter de tenir sa partie dans l′ensemble concertant du clan, s′était-elle écriée, en montrant le baron : « Quelle tapette il a ! Quelle tapette ! Ah ! pour une tapette, c′est une fameuse tapette ! » Mais cette fois c′était bien pis. Enivré de ses paroles, M. de Charlus ne comprenait pas qu′en raccourcissant le rôle de Mme Verdurin et en lui fixant d′étroites frontières, il déchaînait ce sentiment haineux qui n′était chez elle qu′une forme particulière, une forme sociale de la jalousie. Mme Verdurin aimait vraiment les habitués, les fidèles du petit clan, elle les voulait tout à leur Patronne. Faisant la part du feu, comme ces jaloux qui permettent qu′on les trompe, mais sous leur toit et même sous leurs yeux, c′est-à-dire qu′on ne les trompe pas, elle concédait aux hommes d′avoir une maîtresse, un amant, à condition que tout cela n′eût aucune conséquence sociale hors de chez elle, se nouât et se perpétuât à l′abri des mercredis. Tout éclat de rire furtif d′Odette auprès de Swann lui avait jadis rongé le cœur, depuis quelque temps tout aparté entre Morel et le baron ; elle trouvait à ses chagrins une seule consolation, qui était de défaire le bonheur des autres. Elle n′eût pu supporter longtemps celui du baron. Voici que cet imprudent précipitait la catastrophe en ayant l′air de restreindre la place de la Patronne dans son propre petit clan. Déjà elle voyait Morel allant dans le monde sans elle, sous l′égide du baron. Il n′y avait qu′un remède, donner à choisir à Morel entre le baron et elle, et, profitant de l′ascendant qu′elle avait pris sur Morel en faisant preuve à ses yeux d′une clairvoyance extraordinaire, grâce à des rapports qu′elle se faisait faire, à des mensonges qu′elle inventait, et qu′elle lui servait, les uns et les autres, comme corroborant ce qu′il était porté à croire lui-même, et ce qu′il allait voir à l′évidence, grâce aux panneaux qu′elle préparait et où les na venaient tomber, profitant de cet ascendant, la faire choisir, elle, de préférence au baron. Quant aux femmes du monde qui étaient là et qui ne s′étaient même pas fait présenter, dès qu′elle avait compris leurs hésitations ou leur sans-gêne, elle avait dit : « Ah ! je vois ce que c′est, c′est un genre de vieilles grues qui ne nous convient pas, elles voient ce salon pour la dernière fois. » Car elle serait morte plutôt que de dire qu′on avait été moins aimable avec elle qu′elle n′avait espéré. « Ah ! mon cher général », s′écria brusquement M. de Charlus en lâchant Mme Verdurin parce qu′il apercevait le général Deltour, secrétaire de la Présidence de la République, lequel pouvait avoir une grande importance pour la croix de Charlie, et qui, après avoir demandé un conseil à Cottard, s′éclipsait rapidement : « Bonsoir, cher et charmant ami. Hé bien, c′est comme ça que vous vous tirez des pattes sans me dire adieu », dit le baron avec un sourire de bonhomie et de suffisance, car il savait bien qu′on était toujours content de lui parler un moment de plus. Et comme, dans l′état d′exaltation où il était, il faisait à lui tout seul, sur un ton suraigu, les demandes et les réponses : « Eh bien, êtes-vous content ? N′est-ce pas que c′était bien beau ? L′andante, n′est-ce pas ? C′est ce qu′on a jamais écrit de plus touchant. Je défie de l′écouter jusqu′au bout sans avoir les larmes aux yeux. Vous êtes charmant d′être venu. Dites-moi, j′ai reçu ce matin un télégramme parfait de Froberville, qui m′annonce que, du côté de la Grande Chancellerie, les difficultés sont aplanies, comme on dit. » La voix de M. de Charlus continuait à s′élever, aussi perçante, aussi différente de la voix habituelle, que celle d′un avocat, qui plaide avec emphase, de son débit ordinaire, phénomène d′amplification vocale par surexcitation et euphorie nerveuse, analogue à celle qui, dans les dîners qu′elle donnait, montait à un diapason si élevé la voix comme le regard de Mme de Guermantes. « Je comptais vous envoyer demain matin un mot par un garde pour vous dire mon enthousiasme, en attendant que je puisse vous l′exprimer de vive voix, mais vous étiez si entouré ! L′appui de Froberville sera loin d′être à dédaigner, mais, de mon côté, j′ai la promesse du Ministre, dit le général. — Ah ! parfait. Du reste, vous avez vu que c′est bien ce que mérite un talent pareil. Hoyos était enchanté, je n′ai pas pu voir l′Ambassadrice ; était-elle contente ? Qui ne l′aurait pas été, excepté ceux qui ont des oreilles pour ne pas entendre, ce qui ne fait rien, du moment qu′ils ont des langues pour parler. » Profitant de ce que le baron s′était éloigné pour parler au général, Mme Verdurin fit signe à Brichot. Celui-ci, qui ne savait pas ce que Mme Verdurin allait lui dire, voulut l′amuser et, sans se douter combien il me faisait souffrir, dit à la Patronne : « Le baron est enchanté que Mlle Vinteuil et son amie ne soient pas venues. Elles le scandalisent énormément. Il a déclaré que leurs mœurs étaient à faire peur. Vous n′imaginez pas comme le baron est pudibond et sévère sur le chapitre des mœurs. » Contrairement à l′attente de Brichot, Mme Verdurin ne s′égaya pas : « Il est immonde, répondit-elle. Proposez-lui de venir fumer une cigarette avec vous, pour que mon mari puisse emmener sa Dulcinée sans que le Charlus s′en aperçoive, et l′éclaire sur l′abîme où il roule. » Brichot semblait avoir quelques hésitations. « Je vous dirai, reprit Mme Verdurin pour lever les derniers scrupules de Brichot, que je ne me sens pas en sûreté avec ça chez moi. Je sais qu′il a eu de sales histoires et que la police l′a à l′œil. » Et comme elle avait un certain don d′improvisation quand la malveillance l′inspirait, Mme Verdurin ne s′arrêta pas là : « Il paraît qu′il a fait de la prison. Oui, oui, ce sont des personnes très renseignées qui me l′ont dit. Je sais, du reste, par quelqu′un qui demeure dans sa rue, qu′on n′a pas idée des bandits qu′il fait venir chez lui. » Et comme Brichot, qui allait souvent chez le baron, protestait, Mme Verdurin, s′animant, s′écria : « Mais je vous en réponds ! c′est moi qui vous le dis », expression par laquelle elle cherchait d′habitude à étayer une assertion jetée un peu au hasard. « Il mourra assassiné un jour ou l′autre, comme tous ses pareils d′ailleurs. Il n′ira peut-être même pas jusque-là parce qu′il est dans les griffes de ce Jupien, qu′il a eu le toupet de m′envoyer et qui est un ancien forçat, je le sais, vous savez, oui, et de façon positive. Il tient Charlus par des lettres qui sont quelque chose d′effrayant, il paraît. Je le sais par quelqu′un qui les a vues et qui m′a dit : « Vous vous trouveriez mal si vous voyiez cela. » C′est comme ça que ce Jupien le fait marcher au bâton et lui fait cracher tout l′argent qu′il veut. J′aimerais mille fois mieux la mort que de vivre dans la terreur où vit Charlus. En tous cas, si la famille de Morel se décide à porter plainte contre lui, je n′ai pas envie d′être accusée de complicité. S′il continue, ce sera à ses risques et périls, mais j′aurai fait mon devoir. Qu′est-ce que vous voulez. Ce n′est pas toujours folichon. » Et déjà agréablement enfiévrée par l′attente de la conversation que son mari allait avoir avec le violoniste, Mme Verdurin me dit : « Demandez à Brichot si je ne suis pas une amie courageuse, et si je ne sais pas me dévouer pour sauver les camarades. » (Elle faisait allusion aux circonstances dans lesquelles elle l′avait, juste à temps, brouillé avec sa blanchisseuse d′abord, avec Mme de Cambremer ensuite, brouilles à la suite desquelles Brichot était devenu presque complètement aveugle et, disait-on, morphinomane). « Une amie incomparable, perspicace et vaillante », répondit l′universitaire avec une émotion naîµ¥. « Mme Verdurin m′a empêché de commettre une grande sottise, me dit Brichot, quand celle-ci se fut éloignée. Elle n′hésite pas à couper dans le vif. Elle est interventionniste, comme dit notre ami Cottard. J′avoue pourtant que la pensée que le pauvre baron ignore encore le coup qui va le frapper me fait une grande peine. Il est complètement fou de ce garçon. Si Mme Verdurin réussit, voilà un homme qui sera bien malheureux. Du reste, il n′est pas certain qu′elle n′échoue pas. Je crains qu′elle ne réussisse qu′à semer des mésintelligences entre eux, qui, finalement, sans les séparer, n′aboutiront qu′à les brouiller avec elle. » C′était arrivé souvent entre Mme Verdurin et les fidèles. Mais il était visible qu′en elle le besoin de conserver leur amitié était de plus en plus dominé par celui que cette amitié ne fût jamais tenue en échec par celle qu′ils pouvaient avoir les uns pour les autres. L′homosexualité ne lui déplaisait pas, tant qu′elle ne touchait pas à l′orthodoxie, mais, comme l′Église, elle préférait tous les sacrifices à une concession sur l′orthodoxie. Je commençais à craindre que son irritation contre moi ne vînt de ce qu′elle avait su que j′avais empêché Albertine d′aller chez elle dans la journée, et qu′elle n′entreprît auprès d′elle, si elle n′avait déjà commencé, le même travail pour la séparer de moi que son mari allait, à l′égard de Charlus, opérer auprès du musicien. « Voyons, allez chercher Charlus, trouvez un prétexte, il est temps, dit Mme Verdurin, et tâchez surtout de ne pas le laisser revenir avant que je vous fasse chercher. Ah ! quelle soirée, ajouta Mme Verdurin, qui dévoila ainsi la vraie raison de sa rage. Avoir fait jouer ces chefs-d′œuvre devant ces cruches ! Je ne parle pas de la reine de Naples, elle est intelligente, c′est une femme agréable (lisez : elle a été très aimable avec moi). Mais les autres. Ah ! c′est à vous rendre enragée. Qu′est-ce que vous voulez, moi je n′ai plus vingt ans. Quand j′étais jeune, on me disait qu′il fallait savoir s′ennuyer, je me forçais ; mais maintenant, ah ! non, c′est plus fort que moi, j′ai l′âge de faire ce que je veux, la vie est trop courte ; m′ennuyer, fréquenter des imbéciles, feindre, avoir l′air de les trouver intelligents ? Ah ! non, je ne peux pas. Allons, voyons, Brichot, il n′y a pas de temps à perdre. — J′y vais, Madame, j′y vais », finit par dire Brichot comme le général Deltour s′éloignait. Mais d′abord l′universitaire me prit un instant à part : « Le devoir moral, me dit-il, est moins clairement impératif que ne l′enseignent nos Éthiques. Que les cafés théosophiques et les brasseries kantiennes en prennent leur parti, nous ignorons déplorablement la nature du Bien. Moi-même qui, sans nulle vantardise, ai commenté pour mes élèves, en toute innocence, la philosophie du prénommé Emmanuel Kant, je ne vois aucune indication précise, pour le cas de casuistique mondaine devant lequel je suis placé, dans cette critique de la Raison pratique où le grand défroqué du protestantisme platonisa, à la mode de Germanie, pour une Allemagne préhistoriquement sentimentale et aulique, à toutes fins utiles d′un mysticisme poméranien. C′est encore le « Banquet », mais donné cette fois à Kœnigsberg, à la façon de là-bas, indigeste et assaisonné avec choucroute, et sans gigolos. Il est évident, d′une part, que je ne puis refuser à notre excellente hôtesse le léger service qu′elle me demande, en conformité pleinement orthodoxe avec la morale traditionnelle. Il faut éviter, avant toute chose, car il n′y en a pas beaucoup qui fasse dire plus de sottises, de se laisser piper avec des mots. Mais enfin, n′hésitons pas à avouer que, si les mères de famille avaient part au vote, le baron risquerait d′être lamentablement blackboulé comme professeur de vertu. C′est malheureusement avec le tempérament d′un roué qu′il suit sa vocation de pédagogue ; remarquez que je ne dis pas de mal du baron ; ce doux homme, qui sait découper un rôti comme personne, possède, avec le génie de l′anathème, des trésors de bonté. Il peut être amusant comme un pitre supérieur, alors qu′avec tel de mes confrères, académicien, s′il vous plaît, je m′ennuie, comme dirait Xénophon, à 100 drachmes l′heure. Mais je crains qu′il n′en dépense, à l′égard de Morel, un peu plus que la saine morale ne commande, et sans savoir dans quelle mesure le jeune pénitent se montre docile ou rebelle aux exercices spéciaux que son catéchiste lui impose en manière de mortification, il n′est pas besoin d′être grand clerc pour savoir que nous pécherions, comme dit l′autre, par mansuétude à l′égard de ce Rose-Croix qui semble nous venir de Pétrone, après avoir passé par Saint-Simon, si nous lui accordions, les yeux fermés, en bonne et due forme, le permis de sataniser. Et pourtant, en occupant cet homme pendant que Mme Verdurin, pour le bien du pécheur et bien justement tentée par une telle cure, va — en parlant au jeune étourdi sans ambages — lui retirer tout ce qu′il aime, lui porter peut-être un coup fatal, il me semble que je l′attire comme qui dirait dans un guet-apens, et je recule comme devant une manière de lâcheté. » Ceci dit, il n′hésita pas à la commettre, et le prenant par le bras : « Allons, baron, si nous allions fumer une cigarette, ce jeune homme ne connaît pas encore toutes les merveilles de l′Hôtel. » Je m′excusai en disant que j′étais obligé de rentrer. « Attendez encore un instant, dit Brichot. Vous savez que vous devez me ramener et je n′oublie pas votre promesse. — Vous ne voulez vraiment pas que je vous fasse sortir l′argenterie ? rien ne serait plus simple, me dit M. de Charlus. Comme vous me l′avez promis, pas un mot de la question décoration à Morel. Je veux lui faire la surprise de le lui annoncer tout à l′heure, quand on sera un peu parti, bien qu′il dise que ce n′est pas important pour un artiste, mais que son oncle le désire (je rougis car, pensai-je, par mon grand-père les Verdurin savaient qui était l′oncle de Morel). Alors, vous ne voulez pas que je vous fasse sortir les plus belles pièces ? me dit M. de Charlus. Du reste, vous les connaissez, vous les avez vues dix fois à la Raspelière. » Je n′osai pas lui dire que ce qui eût pu m′intéresser, ce n′était pas le médiocre d′une argenterie bourgeoise, même la plus riche, mais quelque spécimen, fût-ce seulement sur une belle gravure, de celle de Mme Du Barry. J′étais beaucoup trop préoccupé — et ne l′eussé-je pas été par cette révélation relative à la venue de Mlle Vinteuil ? — toujours, dans le monde, beaucoup trop distrait et agité pour arrêter mon attention sur des objets plus ou moins jolis. Elle n′eût pu être fixée que par l′appel de quelque réalité s′adressant à mon imagination, comme eût pu le faire, ce soir, une vue de cette Venise à laquelle j′avais tant pensé l′après-midi, ou quelque élément général, commun à plusieurs apparences et plus vrai qu′elles, qui, de lui-même, éveillait toujours en moi un esprit intérieur et habituellement ensommeillé, mais dont la remontée à la surface de ma conscience me donnait une grande joie. Or, comme je sortais du salon appelé salle de théâtre, et traversais, avec Brichot et M. de Charlus, les autres salons, en retrouvant, transposés au milieu d′autres, certains meubles vus à la Raspelière et auxquels je n′avais prêté aucune attention, je saisis, entre l′arrangement de l′hôtel et celui du château, un certain air de famille, une identité permanente, et je compris Brichot quand il me dit en souriant : « Tenez, voyez-vous ce fond de salon, cela du moins peut, à la rigueur, vous donner l′idée de la rue Montalivet il y a vingt-cinq ans. » À son sourire, dédié au salon défunt qu′il revoyait, je compris que ce que Brichot, peut-être sans s′en rendre compte, préférait dans l′ancien salon, plus que les grandes fenêtres, plus que la gaie jeunesse des Patrons et de leurs fidèles, c′était cette partie irréelle (que je dégageais moi-même de quelques similitudes entre la Raspelière et le quai Conti) de laquelle, dans un salon comme en toutes choses, la partie extérieure, actuelle, contrôlable pour tout le monde, n′est que le prolongement ; c′était cette partie devenue purement morale, d′une couleur qui n′existait plus que pour mon vieil interlocuteur, qu′il ne pouvait pas me faire voir, cette partie qui s′est détachée du monde extérieur pour se réfugier dans notre âme, à qui elle donne une plus-value où elle s′est assimilée à sa substance habituelle, s′y muant — maisons détruites, gens d′autrefois, compotiers de fruits des soupers que nous nous rappelons — en cet albâtre translucide de nos souvenirs, duquel nous sommes incapables de montrer la couleur qu′il n′y a que nous qui voyons, ce qui nous permet de dire véridiquement aux autres, au sujet de ces choses passées, qu′ils n′en peuvent avoir une idée, que cela ne ressemble pas à ce qu′ils ont vu, et ce qui fait que nous ne pouvons considérer en nous-même sans une certaine émotion, en songeant que c′est de l′existence de notre pensée que dépend pour quelque temps encore leur survie, le reflet des lampes qui se sont éteintes et l′odeur des charmilles qui ne fleuriront plus. Et sans doute par là le salon de la rue Montalivet faisait, pour Brichot, tort à la demeure actuelle des Verdurin. Mais, d′autre part, il ajoutait à celle-ci, pour les yeux du professeur, une beauté qu′elle ne pouvait avoir pour un nouveau venu. Ceux de ses anciens meubles qui avaient été replacés ici, en un même arrangement parfois conservé, et que moi-même je retrouvais de la Raspelière, intégraient dans le salon actuel des parties de l′ancien qui, par moments, l′évoquaient jusqu′à l′hallucination et ensuite semblaient presque irréelles d′évoquer, au sein de la réalité ambiante, des fragments d′un monde détruit qu′on croyait voir ailleurs. Canapé surgi du rêve entre les fauteuils nouveaux et bien réels, petites chaises revêtues de soie rose, tapis broché de table à jeu élevé à la dignité de personne depuis que, comme une personne, il avait un passé, une mémoire, gardant dans l′ombre froide du quai Conti le hâle de l′ensoleillement par les fenêtres de la rue Montalivet (dont il connaissait l′heure aussi bien que Mme Verdurin elle-même) et par les baies des portes vitrées de Doville, où on l′avait emmené et où il regardait tout le jour, au delà du jardin fleuri, la profonde vallée, en attendant l′heure où Cottard et le flûtiste feraient ensemble leur partie ; bouquet de violettes et de pensées au pastel, présent d′un grand artiste ami, mort depuis, seul fragment survivant d′une vie disparue sans laisser de traces, résumant un grand talent et une longue amitié, rappelant son regard attentif et doux, sa belle main grasse et triste pendant qu′il peignait ; incohérent et joli désordre des cadeaux de fidèles, qui ont suivi partout la maîtresse de la maison et ont fini par prendre l′empreinte et la fixité d′un trait de caractère, d′une ligne de la destinée ; profusion des bouquets de fleurs, des boîtes de chocolat, qui systématisait, ici comme là-bas, son épanouissement suivant un mode de floraison identique ; interpolation curieuse des objets singuliers et superflus qui ont encore l′air de sortir de la boîte où ils ont été offerts et qui restent toute la vie ce qu′ils ont été d′abord, des cadeaux du Premier Janvier ; tous ces objets enfin qu′on ne saurait isoler des autres, mais qui pour Brichot, vieil habitué des fêtes des Verdurin, avaient cette patine, ce velouté des choses auxquelles, leur donnant une sorte de profondeur, vient s′ajouter leur double spirituel ; tout cela éparpillait, faisait chanter devant lui comme autant de touches sonores qui éveillaient dans son cœur des ressemblances aimées, des réminiscences confuses et qui, à même le salon tout actuel, qu′elles marquetaient çà et là, découpaient, délimitaient, comme fait par un beau jour un cadre de soleil sectionnant l′atmosphère, les meubles et les tapis, et la poursuivant d′un coussin à un porte-bouquets, d′un tabouret au relent d′un parfum, d′un mode d′éclairage à une prédominance de couleurs, sculptaient, évoquaient, spiritualisaient, faisaient vivre une forme qui était comme la figure idéale, immanente à leurs logis successifs, du salon des Verdurin. « Nous allons tâcher, me dit Brichot à l′oreille, de mettre le baron sur son sujet favori. Il y est prodigieux. » D′une part, je désirais pouvoir tâcher d′obtenir de M. de Charlus les renseignements relatifs à la venue de Mlle Vinteuil et de son amie. D′autre part, je ne voulais pas laisser Albertine seule trop longtemps, non qu′elle pût (incertaine de l′instant de mon retour, et, d′ailleurs, à des heures pareilles où une visite venue pour elle ou bien une sortie d′elle eussent été trop remarquées) faire un mauvais usage de mon absence, mais pour qu′elle ne la trouvât pas trop prolongée. Aussi dis-je à Brichot et à M. de Charlus que je ne les suivais pas pour longtemps. « Venez tout de même », me dit le baron, dont l′excitation mondaine commençait à tomber, mais qui éprouvait ce besoin de prolonger, de faire durer les entretiens, que j′avais déjà remarqué chez la duchesse de Guermantes aussi bien que chez lui, et qui, tout en étant particulier à cette famille, s′étend, plus généralement, à tous ceux qui, n′offrant à leur intelligence d′autre réalisation que la conversation, c′est-à-dire une réalisation imparfaite, restent inassouvis même après des heures passées ensemble et se suspendent de plus en plus avidement à l′interlocuteur épuisé, dont ils réclament, par erreur, une satiété que les plaisirs sociaux sont impuissants à donner. « Venez, reprit-il, n′est-ce pas, voilà le moment agréable des fêtes, le moment où tous les invités sont partis, l′heure de Doña Sol ; espérons que celle-ci finira moins tristement. Malheureusement vous êtes pressé, pressé probablement d′aller faire des choses que vous feriez mieux de ne pas faire. Tout le monde est toujours pressé, et on part au moment où on devrait arriver. Nous sommes là comme les philosophes de Couture, ce serait le moment de récapituler la soirée, de faire ce qu′on appelle, en style militaire, la critique des opérations. On demanderait à Mme Verdurin de nous faire apporter un petit souper auquel on aurait soin de ne pas l′inviter, et on prierait Charlie — toujours Hernani — de rejouer pour nous seuls le sublime adagio. Est-ce assez beau, cet adagio ! Mais où est-il le jeune violoniste ? je voudrais pourtant le féliciter, c′est le moment des attendrissements et des embrassades. Avouez, Brichot, qu′ils ont joué comme des Dieux, Morel surtout. Avez-vous remarqué le moment où la mèche se détache ? Ah ! bien alors, mon cher, vous n′avez rien vu. On a eu un fa dièze qui peut faire mourir de jalousie Enesco, Capet et Thibaut ; j′ai beau être très calme, je vous avoue qu′à une sonorité pareille, j′avais le cœur tellement serré que je retenais mes sanglots. La salle haletait ; Brichot, mon cher, s′écria le baron en secouant violemment l′universitaire par le bras, c′était sublime. Seul le jeune Charlie gardait une immobilité de pierre, on ne le voyait même pas respirer, il avait l′air d′être comme ces choses du monde inanimé dont parle Théodore Rousseau, qui font penser mais ne pensent pas. Et alors, tout d′un coup, s′écria M. de Charlus avec emphase et en mimant comme un coup de théâtre, alorsÂ… la Mèche ! Et pendant ce temps-là, gracieuse petite contredanse de l′allegro vivace. Vous savez, cette mèche a été le signe de la révélation, même pour les plus obtus. La princesse de Taormine, sourde jusque-là, car il n′est pas pires sourdes que celles qui ont des oreilles pour ne pas entendre, la princesse de Taormine, devant l′évidence de la mèche miraculeuse, a compris que c′était de la musique et qu′on ne jouerait pas au poker. Oh ! ça a été un moment bien solennel. — Pardonnez-moi, Monsieur, de vous interrompre, dis-je à M. de Charlus pour l′amener au sujet qui m′intéressait, vous me disiez que la fille de l′auteur devait venir. Cela m′aurait beaucoup intéressé. Est-ce que vous êtes certain qu′on comptait sur elle ? — Ah ! je ne sais pas. » M. de Charlus obéissait ainsi, peut-être sans le vouloir, à cette consigne universelle qu′on a de ne pas renseigner les jaloux, soit pour se montrer absurdement « bon camarade », par point d′honneur, et la détestât-on, envers celle qui l′excite, soit par méchanceté pour elle en devinant que la jalousie ne ferait que redoubler l′amour, soit par ce besoin d′être désagréable aux autres, qui consiste à dire la vérité à la plupart des hommes mais, aux jaloux, à la leur taire, l′ignorance augmentant leur supplice, du moins à ce qu′on se figurent, et, pour faire de la peine aux gens, on se guide d′après ce qu′on croit soi-même, peut-être à tort, le plus douloureux. « Vous savez, reprit-il, ici c′est un peu la maison des exagérations, ce sont des gens charmants, mais enfin on aime bien annoncer des célébrités d′un genre ou d′un autre. Mais vous n′avez pas l′air bien et vous allez avoir froid dans cette pièce si humide, dit-il en poussant près de moi une chaise. Puisque vous êtes souffrant, il faut faire attention, je vais aller vous chercher votre pelure. Non, n′y allez pas vous-même, vous vous perdrez et vous aurez froid. Voilà comme on fait des imprudences, vous n′avez pourtant pas quatre ans, il vous faudrait une vieille bonne comme moi pour vous soigner. — Ne vous dérangez pas baron, j′y vais », dit Brichot, qui s′éloigna aussitôt : ne se rendant peut-être pas exactement compte de l′amitié très vive que M. de Charlus avait pour moi et des rémissions charmantes de simplicité et de dévouement que comportaient ses crises délirantes de grandeur et de persécution, il avait craint que M. de Charlus, que Mme Verdurin avait confié comme un prisonnier à sa vigilance, eût cherché simplement, sous le prétexte de demander mon pardessus, à rejoindre Morel et fît manquer ainsi le plan de la Patronne. The Baron′s volubility was in itself an irritation to Mme. Verdurin who did not like people to form independent groups within their little clan. How often, even at la Raspelière, hearing M. de Charlus talking incessantly to Charlie instead of being content with taking his part in the so harmonious chorus of the clan, she had pointed to him and exclaimed: “What a rattle [Mme. Verdurin uses here the word tapette, being probably unaware of its popular meaning. C. K. S. M.] he is! What a rattle! Oh, if it comes to rattles, he′s a famous rattle!” But this time it was far worse. Inebriated with the sound of his own voice, M. de Charlus failed to realise that by cutting down the part assigned to Mme. Verdurin and confining it within narrow limits, he was calling forth that feeling of hatred which was in her only a special, social form of jealousy. Mme. Verdurin was genuinely fond of her regular visitors, the faithful of the little clan, but wished them to be entirely devoted to their Mistress. Willing to make some sacrifice, like those jealous lovers who will tolerate a betrayal, but only under their own roof and even before their eyes, that is to say when there is no betrayal, she would allow the men to have mistresses, lovers, on condition that the affair had no social consequence outside her own house, that the tie was formed and perpetuated in the shelter of her Wednesdays. In the old days, every furtive peal of laughter that came from Odette when she conversed with Swann had gnawed her heartstrings, and so of late had every aside exchanged by Morel and the Baron; she found one consolation alone for her griefs which was to destroy the happiness of other people. She had not been able to endure for long that of the Baron. And here was this rash person precipitating the catastrophe by appearing to be restricting the Mistress′s place in her little clan. Already she could see Morel going into society, without her, under the Baron′s aegis. There was but a single remedy, to make Morel choose between the Baron and herself, and, relying upon the ascendancy that she had acquired over Morel by the display that she made of an extraordinary perspicacity, thanks to reports which she collected, to falsehoods which she invented, all of which served to corroborate what he himself was led to believe, and what would in time be made plain to him, thanks to the pitfalls which she was preparing, into which her unsuspecting victims would fall, relying upon this ascendancy, to make him choose herself in preference to the Baron. As for the society ladies who had been present and had not even asked to be introduced to her, as soon as she grasped their hesitations or indifference, she had said: “Ah! I see what they are, the sort of old good-for-nothings that are not our style, it′s the last time they shall set foot in this house.” For she would have died rather than admit that anyone had been less friendly to her than she had hoped. “Ah! My dear General,” M. de Charlus suddenly exclaimed, abandoning Mme. Verdurin, as he caught sight of General Deltour, Secretary to the President of the Republic, who might be of great value in securing Charlie his Cross, and who, after asking some question of Cottard, was rapidly withdrawing: “Good evening, my dear, delightful friend. So this is how you slip away without saying good-bye to me,” said the Baron with a genial, self-satisfied smile, for he knew quite well that people were always glad to stay behind for a moment to talk to himself. And as, in his present state of excitement, he would answer his own questions in a shrill tone: “Well, did you enjoy it? Wasn′t it really fine? The andante, what? It′s the most touching thing that was ever written. I defy anyone to listen to the end without tears in his eyes. Charming of you to have come. Listen, I had the most perfect telegram this morning from Froberville, who tells me that as far as the Grand Chancery goes the difficulties have been smoothed away, as the saying is.” M. de Charlus′s voice continued to soar at this piercing pitch, as different from his normal voice as is that of a barrister making an emphatic plea from his ordinary utterance, a phenomenon of vocal amplification by over-excitement and nervous tension analogous to that which, at her own dinner-parties, raised to so high a diapason the voice and gaze alike of Mme. de Guermantes. “I intended to send you a note to-morrow by a messenger to tell you of my enthusiasm, until I could find an opportunity of speaking to you, but you have been so surrounded! Froberville′s support is not to be despised, but for my own part, I have the Minister′s promise,” said the General. “Ah! Excellent. Besides, you have seen for yourself that it is only what such talent deserves. Hoyos was delighted, I didn′t manage to see the Ambassadress, was she pleased? Who would not have been, except those that have ears and hear not, which does not matter so long as they have tongues and can speak.” Taking advantage of the Baron′s having withdrawn to speak to the General, Mme. Verdurin made a signal to Brichot. He, not knowing what Mme. Verdurin was going to say, sought to amuse her, and never suspecting the anguish that he was causing me, said to the Mistress: “The Baron is delighted that Mlle. Vinteuil and her friend did not come. They shock him terribly. He declares that their morals are appalling. You can′t imagine how prudish and severe the Baron is on moral questions.” Contrary to Brichot′s expectation, Mme. Verdurin was not amused: “He is obscene,” was her answer. “Take him out of the room to smoke a cigarette with you, so that my husband can get hold of his Dulcinea without his noticing it and warn him of the abyss that is yawning at his feet.” Brichot seemed to hesitate. “I don′t mind telling you,” Mme. Verdurin went on, to remove his final scruples, “that I do not feel at all safe with a man like that in the house. I know, there are all sorts of horrible stories about him, and the police have him under supervision.” And, as she possessed a certain talent of improvisation when inspired by malice, Mme. Verdurin did not stop at this: “It seems, he has been in prison. Yes, yes, I have been told by people who knew all about it. I know, too, from a person who lives in his street, that you can′t imagine the ruffians that go to his house.” And as Brichot, who often went to the Baron′s, began to protest, Mme. Verdurin, growing animated, exclaimed: “But I can assure you! It is I who am telling you,” an expression with which she habitually sought to give weight to an assertion flung out more or less at random. “He will be found murdered in his bed one of these days, as those people always are. He may not go quite as far as that perhaps, because he is in the clutches of that Jupien whom he had the impudence to send to me, and who is an ex-convict, I know it, you yourself know it, yes, for certain. He has a hold on him because of some letters which are perfectly appalling, it seems. I know it from somebody who has seen them, and told me: ‘You would be sick on the spot if you saw them.′ That is how Jupien makes him toe the line and gets all the money he wants out of him. I would sooner die a thousand times over than live in a state of terror like Charlus. In any case, if Morel′s family decides to bring an action against him, I have no desire to be dragged in as an accomplice. If he goes on, it will be at his own risk, but I shall have done my duty. What is one to do? It′s no joke, I can tell you.” And, agreeably warmed already by the thought of her husband′s impending conversation with the violinist, Mme. Verdurin said to me: “Ask Brichot whether I am not a courageous friend, and whether I am not capable of sacrificing myself to save my comrades.” (She was alluding to the circumstances in which she had, just in time, made him quarrel, first of all with his laundress, and then with Mme. de Cambremer, quarrels as a result of which Brichot had become almost completely blind, and [people said] had taken to morphia.) “An incomparable friend, far-sighted and valiant,” replied the Professor with an innocent emotion. “Mme. Verdurin prevented me from doing something extremely foolish,” Brichot told me when she had left us. “She never hesitates to operate without anaesthetics. She is an interventionist, as our friend Cottard says. I admit, however, that the thought that the poor Baron is still unconscious of the blow that is going to fall upon him distresses me deeply. He is quite mad about that boy. If Mme. Verdurin should prove successful, there is a man who is going to be very miserable. However, it is not certain that she will not fail. I am afraid that she may only succeed in creating a misunderstanding between them, which, in the end, without parting them, will only make them quarrel with her.” It was often thus with Mme. Verdurin and her faithful. But it was evident that in her the need to preserve their friendship was more and more dominated by the requirement that this friendship should never be challenged by that which they might feel for one another. Homosexuality did not disgust her so long as it did not tamper with orthodoxy, but like the Church she preferred any sacrifice rather than a concession of orthodoxy. I was beginning to be afraid lest her irritation with myself might be due to her having heard that I had prevented Albertine from going to her that afternoon, and that she might presently set to work, if she had not already begun, upon the same task of separating her from me which her husband, in the case of Charlus, was now going to attempt with the musician. “Come along, get hold of Charlus, find some excuse, there′s no time to lose,” said Mme. Verdurin, “and whatever you do, don′t let him come back here until I send for you. Oh! What an evening,” Mme. Verdurin went on, revealing thus the true cause of her anger. “Performing a masterpiece in front of those wooden images. I don′t include the Queen of Naples, she is intelligent, she is a nice woman” (which meant: “She has been kind to me”). “But the others. Oh! It′s enough to drive anyone mad. What can you expect, I′m no longer a girl. When I was young, people told me that one must put up with boredom, I made an effort, but now, oh no, it′s too much for me, I am old enough to please myself, life is too short; bore myself, listen to idiots, smile, pretend to think them intelligent. No, I can′t do it. Get along, Brichot, there′s no time to lose.” “I am going, Madame, I am going,” said Brichot, as General Deltour moved away. But first of all the Professor took me aside for a moment: “Moral Duty,” he said, “is less clearly imperative than our Ethics teach us. Whatever the Theosophical cafés and the Kantian beer-houses may say, we are deplorably ignorant of the nature of Good. I myself who, without wishing to boast, have lectured to my pupils, in all innocence, upon the philosophy of the said Immanuel Kant, I can see no precise ruling for the case of social casuistry with which I am now confronted in that Critique of Practical Reason in which the great renegade of Protestantism platonised in the German manner for a Germany prehistorically sentimental and aulic, ringing all the changes of a Pomeranian mysticism. It is still the Symposium, but held this time at Kônigsberg, in the local style, indigestible and reeking of sauerkraut, and without any good-looking boys. It is obvious on the one hand that I cannot refuse our excellent hostess the small service that she asks of me, in a fully orthodox conformity with traditional morals. One ought to avoid, above all things, for there are few that involve one in more foolish speeches, letting oneself be lured by words. But after all, let us not hesitate to admit that if the mothers of families were entitled to vote, the Baron would run the risk of being lamentably blackballed for the Chair of Virtue. It is unfortunately with the temperament of a rake that he pursues the vocation of a pedagogue; observe that I am not speaking evil of the Baron; that good man, who can carve a joint like nobody in the world, combines with a genius for anathema treasures of goodness. He can be most amusing as a superior sort of wag, whereas with a certain one of my colleagues, an Academician, if you please, I am bored, as Xenophon would say, at a hundred drachmae to the hour. But I am afraid that he is expending upon Morel rather more than a wholesome morality enjoins, and without knowing to what extent the young penitent shews himself docile or rebellious to the special exercises which his catechist imposes upon him by way of mortification, one need not be a learned clerk to be aware that we should be erring, as the other says, on the side of clemency with regard to this Rosicrucian who seems to have come down to us from Petronius, by way of Saint-Simon, if we granted him with our eyes shut, duly signed and sealed, permission to satanise. And yet, in keeping the man occupied while Mme. Verdurin, for the sinner′s good and indeed rightly tempted by such a cure of souls, proceeds — by speaking to the young fool without any concealment — to remove from him all that he loves, to deal him perhaps a fatal blow, it seems to me that I am leading him into what one might call a man-trap, and I recoil as though from a base action.” This said, he did not hesitate to commit it, but, taking him by the arm, began: “Come, Baron, let us go and smoke a cigarette, this young man has not yet seen all the marvels of the house.” I made the excuse that I was obliged to go home. “Just wait a moment,” said Brichot. “You remember, you are giving me a lift, and I have not forgotten your promise.” “Wouldn′t you like me, really, to make them bring out their plate, nothing could be simpler,” said M. de Charlus. “You promised me, remember, not a word about Morel′s decoration. I mean to give him the surprise of announcing it presently when people have begun to leave, although he says that it is of no importance to an artist, but that his uncle would like him to have it” (I blushed, for, I thought to myself, the Verdurins would know through my grandfather what Morel′s uncle was). “Then you wouldn′t like me to make them bring out the best pieces,” said M. de Charlus. “Of course, you know them already, you have seen them a dozen times at la Raspelière.” I dared not tell him that what might have interested me was not the mediocrity of even the most splendid plate in a middle-class household, but some specimen, were it only reproduced in a fine engraving, of Mme. Du Barry′s. I was far too gravely preoccupied — even if I had not been by this revelation as to Mlle. Vinteuil′s expected presence — always, in society, far too much distracted and agitated to fasten my attention upon objects that were more or less beautiful. It could have been arrested only by the appeal of some reality that addressed itself to my imagination, as might have been, this evening, a picture of that Venice of which I had thought so much during the afternoon, or some general element, common to several forms and more genuine than they, which, of its own accord, never failed to arouse in me an inward appreciation, normally lulled in slumber, the rising of which to the surface of my consciousness filled me with great joy. Well, as I emerged from the room known as the concert-room, and crossed the other drawing-rooms with Brichot and M. de Charlus, on discovering, transposed among others, certain pieces of furniture which I had seen at la Raspelière and to which I had paid no attention, I perceived, between the arrangement of the town house and that of the country house, a certain common air of family life, a permanent identity, and I understood what Brichot meant when he said to me with a smile: “There, look at this room, it may perhaps give you an idea of what things were like in Rue Montalivet, twenty-five years ago.” From his smile, a tribute to the defunct drawing-room which he saw with his mind′s eye, I understood that what Brichot, perhaps without realising it, preferred in the old room, more than the large windows, more than the gay youth of his hosts and their faithful, was that unreal part (which I myself could discern from some similarities between la Raspelière and Quai Conti) of which, in a drawing-room as in everything else, the external, actual part, liable to everyone′s control, is but the prolongation, was that part become purely imaginary, of a colour which no longer existed save for my elderly guide, which he was incapable of making me see, that part which has detached itself from the outer world, to take refuge in our soul, to which it gives a surplus value, in which it is assimilated to its normal substance, transforming itself — houses that have been pulled down, people long dead, bowls of fruit at the suppers which we recall — into that translucent alabaster of our memories, the colour of which we are incapable of displaying, since we alone see it, which enables us to say truthfully to other people, speaking of things past, that they cannot form any idea of them, that they do not resemble anything that they have seen, while we are unable to think of them ourselves without a certain emotion, remembering that it is upon the existence of our thoughts that there depends, for a little time still, their survival, the brilliance of the lamps that have been extinguished and the fragrance of the arbours that will never bloom again. And possibly, for this reason, the drawing-room in Rue Montalivet disparaged, for Brichot, the Verdurins′ present home. But on the other hand it added to this home, in the Professor′s eyes, a beauty which it could not have in those of a stranger. Those pieces of the original furniture that had been transported here, and sometimes arranged in the same groups, and which I myself remembered from la Raspelière, introduced into the new drawing-room fragments of the old which, at certain moments, recalled it so vividly as to create a hallucination and then seemed themselves scarcely real from having evoked in the midst of the surrounding reality fragments of a vanished world which seemed to extend round about them. A sofa that had risen up from dreamland between a pair of new and thoroughly substantial armchairs, smaller chairs upholstered in pink silk, the cloth surface of a card-table raised to the dignity of a person since, like a person, it had a past, a memory, retaining in the chill and gloom of Quai Conti the tan of its roasting by the sun through the windows of Rue Montalivet (where it could tell the time of day as accurately as Mme. Verdurin herself) and through the glass doors at la Raspelière, where they had taken it and where it used to gaze out all day long over the flower-beds of the garden at the valley far below, until it was time for Cottard and the musician to sit down to their game; a posy of violets and pansies in pastel, the gift of a painter friend, now dead, the sole fragment that survived of a life that had vanished without leaving any trace, summarising a great talent and a long friendship, recalling his keen, gentle eyes, his shapely hand, plump and melancholy, while he was at work on it; the incoherent, charming disorder of the offerings of the faithful, which have followed the lady of the house on all her travels and have come in time to assume the fixity of a trait of character, of a line of destiny; a profusion of cut flowers, of chocolate-boxes which here as in the country systematised their growth in an identical mode of blossoming; the curious interpolation of those singular and superfluous objects which still appear to have been just taken from the box in which they were offered and remain for ever what they were at first, New Year′s Day presents; all those things, in short, which one could not have isolated from the rest, but which for Brichot, an old frequenter of the Verdurin parties, had that patina, that velvety bloom of things to which, giving them a sort of profundity, an astral body has been added; all these things scattered before him, sounded in his ear like so many resonant keys which awakened cherished likenesses in his heart, confused reminiscences which, here in this drawing-room of the present day that was littered with them, cut out, defined, as on a fine day a shaft of sunlight cuts a section in the atmosphere, the furniture and carpets, and pursuing it from a cushion to a flower-stand, from a footstool to a lingering scent, from the lighting arrangements to the colour scheme, carved, evoked, spiritualised, called to life a form which might be called the ideal aspect, immanent in each of their successive homes, of the Verdurin drawing-room. “We must try,” Brichot whispered in my ear, “to get the Baron upon his favourite topic. He is astounding.” Now on the one hand I was glad of an opportunity to try to obtain from M. de Charlus information as to the coming of Mlle. Vinteuil and her friend. On the other hand, I did not wish to leave Albertine too long by herself, not that she could (being uncertain of the moment of my return, not to mention that, at so late an hour, she could not have received a visitor or left the house herself without arousing comment) make any evil use of my absence, but simply so that she might not find it too long. And so I told Brichot and M. de Charlus that I must shortly leave them. “Come with us all the same,” said the Baron, whose social excitement was beginning to flag, but feeling that need to prolong, to spin out a conversation, which I had already observed in the Duchesse de Guermantes as well as in himself, and which, while distinctive of their family, extends in a more general fashion to all those people who, offering their minds no other realisation than talk, that is to say an imperfect realisation, remain unassuaged even after hours spent in one′s company, and attach themselves more and more hungrily to their exhausted companion, from whom they mistakenly expect a satiety which social pleasures are incapable of giving. “Come, won′t you,” he repeated, “this is the pleasant moment at a party, the moment when all the guests have gone, the hour of Dona Sol; let us hope that it will end less tragically. Unfortunately you are in a hurry, in a hurry probably to go and do things which you would much better leave undone. People are always in a hurry and leave at the time when they ought to be arriving. We are here like Couture′s philosophers, this is the moment in which to go over the events of the evening, to make what is called in military language a criticism of the operations. We might ask Mme. Verdurin to send us in a little supper to which we should take care not to invite her, and we might request Charlie — still Hernani — to play for ourselves alone the sublime adagio. Isn′t it fine, that adagio? But where is the young violinist, I would like to congratulate him, this is the moment for tender words and embraces. Admit, Brichot, that they played like gods, Morel especially. Did you notice the moment when that lock of hair came loose? Ah, then, my dear fellow, you saw nothing at all. There was an F sharp at which Enesco, Capet and Thibaut might have died of jealousy; I may have appeared calm enough, I can tell you that at such a sound my heart was so wrung that I could barely control my tears. The whole room sat breathless; Brichot, my dear fellow,” cried the Baron, gripping the other′s arm which he shook violently, “it was sublime. Only young Charlie preserved a stony immobility, you could not even see him breathe, he looked like one of those objects of the inanimate world of which Théodore Rousseau speaks, which make us think, but do not think themselves. And then, all of a sudden,” cried M. de Charlus with enthusiasm, making a pantomime gesture, “then . . . the Lock! And all the time, the charming little country-dance of the allegro vivace. You know, that lock was the symbol of the revelation, even to the most obtuse. The Princess of Taormina, deaf until then, for there are none so deaf as those that have ears and hear not, the Princess of Taormina, confronted by the message of the miraculous lock, realised that it was music that they were playing and not poker. Oh, that was indeed a solemn moment.” “Excuse me, Sir, for interrupting you,” I said to M. de Charlus, hoping to bring him to the subject in which I was interested, “you told me that the composer′s daughter was to be present. I should have been most interested to meet her. Are you certain that she was expected?” “Oh, that I can′t say.” M. de Charlus thus complied, perhaps unconsciously, with that universal rule by which people withhold information from a jealous lover, whether in order to shew an absurd ‘comradeship,′ as a point of honour, and even if they detest her, with the woman who has excited his jealousy, or out of malice towards her, because they guess that jealousy can only intensify love, or from that need to be disagreeable to other people which consists in revealing the truth to the rest of the world but concealing it from the jealous, ignorance increasing their torment, or so at least the tormentors suppose, who, in their desire to hurt other people are guided by what they themselves believe, wrongly perhaps, to be most painful. “You know,” he went on, “in this house they are a trifle prone to exaggerate, they are charming people, still they do like to catch celebrities of one sort or another. But you are not looking well, and you will catch cold in this damp room,” he said, pushing a chair towards me. “Since you have not been well, you must take care of yourself, let me go and find you your coat. No, don′t go for it yourself, you will lose your way and catch cold. How careless people are; you might be an infant in arms, you want an old nurse like me to look after you.” “Don′t trouble, Baron, let me go,” said Brichot, and left us immediately; not being precisely aware perhaps of the very warm affection that M. de Charlus felt for me and of the charming lapses into simplicity and devotion that alternated with his delirious crises of grandeur and persecution, he was afraid that M. de Charlus, whom Mme. Verdurin had entrusted like a prisoner to his vigilance, might simply be seeking, under the pretext of asking for my greatcoat, to return to Morel and might thus upset the Mistress′s plan.
Cependant Ski s′était assis au piano, où personne ne lui avait demandé de se mettre, et se composant — avec un froncement souriant des sourcils, un regard lointain et une légère grimace de la bouche — ce qu′il croyait être un air artiste, insistait auprès de Morel pour que celui-ci jouât quelque chose de Bizet. « Comment, vous n′aimez pas cela, ce côté gosse de la musique de Bizet ? Mais, mon cher, dit-il, avec ce roulement d′r qui lui était particulier, c′est ravissant. » Morel, qui n′aimait pas Bizet, le déclara avec exagération et (comme il passait dans le petit clan pour avoir, ce qui était vraiment incroyable, de l′esprit) Ski, feignant de prendre les diatribes du violoniste pour des paradoxes, se mit à rire. Son rire n′était pas, comme celui de M. Verdurin, l′étouffement d′un fumeur. Ski prenait d′abord un air fin, puis laissait échapper comme malgré lui un seul son de rire, comme un premier appel de cloches, suivi d′un silence où le regard fin semblait examiner à bon escient la drôlerie de ce qu′on disait, puis une seconde cloche de rire s′ébranlait, et c′était bientôt un hilare angelus. Meanwhile Ski had sat down, uninvited, at the piano, and assuming — with a playful knitting of his brows, a remote gaze and a slight twist of his lips — what he imagined to be an artistic air, was insisting that Morel should play something by Bizet. “What, you don′t like it, that boyish music of Bizet. Why, my dear fellow,” he said, with that rolling of the letter r which was one of his peculiarities, “it′s rravishing.” Morel, who did not like Bizet, said so in exaggerated terms and (as he had the reputation in the little clan of being, though it seems incredible, a wit) Ski, pretending to take the violinist′s diatribes as paradoxes, burst out laughing. His laugh was not, like M. Verdurin′s, the stifled gasp of a smoker. Ski first of all assumed a subtle air, then allowed to escape, as though against his will, a single note of laughter, like the first clang from a belfry, followed by a silence in which the subtle gaze seemed to be making a competent examination of the absurdity of what had been said, then a second peal of laughter shook the air, followed presently by a merry angelus.
Je dis à M. de Charlus mon regret que M. Brichot se fût dérangé. « Mais non, il est très content, il vous aime beaucoup, tout le monde vous aime beaucoup. On disait l′autre jour : mais on ne le voit plus, il s′isole ! D′ailleurs, c′est un si brave homme que Brichot », continua M. de Charlus qui ne se doutait sans doute pas, en voyant la manière affectueuse et franche dont lui parlait le professeur de morale, qu′en son absence, il ne se gênait pas pour dauber sur lui. « C′est un homme d′une grande valeur, qui sait énormément, et cela ne l′a pas racorni, n′a pas fait de lui un rat de bibliothèque comme tant d′autres qui sentent l′encre. Il a gardé une largeur de vues, une tolérance, rares chez ses pareils. Parfois, en voyant comme il comprend la vie, comme il sait rendre à chacun avec grâce ce qui lui est dû, on se demande où un simple petit professeur de Sorbonne, un ancien régent de collège a pu apprendre tout cela. J′en suis moi-même étonné. » Je l′étais davantage en voyant la conversation de ce Brichot, que le moins raffiné des convives de Mme de Guermantes eût trouvé si bête et si lourd, plaire au plus difficile de tous, M. de Charlus. Mais à ce résultat avaient collaboré entre autres influences, distinctes d′ailleurs, celles en vertu desquelles Swann, d′une part, s′était plu si longtemps dans le petit clan, quand il était amoureux d′Odette, et d′autre part, lorsqu′il fut marié, trouva agréable Mme Bontemps qui, feignant d′adorer le ménage Swann, venait tout le temps voir la femme et se délectait aux histoires du mari. Comme un écrivain donne la palme de l′intelligence, non pas à l′homme le plus intelligent, mais au viveur faisant une réflexion hardie et tolérante sur la passion d′un homme pour une femme, réflexion qui fait que la maîtresse bas-bleu de l′écrivain s′accorde avec lui pour trouver que de tous les gens qui viennent chez elle le moins bête était encore ce vieux beau qui a l′expérience des choses de l′amour, de même M. de Charlus trouvait plus intelligent que ses autres amis, Brichot, qui non seulement était aimable pour Morel, mais cueillait à propos dans les philosophes grecs, les poètes latins, les conteurs orientaux, des textes qui décoraient le goût du baron d′un florilège étrange et charmant. M. de Charlus était arrivé à cet âge où un Victor Hugo aime à s′entourer surtout de Vacqueries et de Meurices. Il préférait à tous, ceux qui admettaient son point de vue sur la vie. « Je le vois beaucoup, ajouta-t-il d′une voix piaillante et cadencée, sans qu′un mouvement de ses lèvres, fît bouger son masque grave et enfariné, sur lequel étaient à demi abaissées ses paupières d′ecclésiastique. Je vais à ses cours, cette atmosphère de quartier latin me change, il y a une adolescence studieuse, pensante, de jeunes bourgeois plus intelligents, plus instruits que n′étaient, dans un autre milieu, mes camarades. C′est autre chose, que vous connaissez probablement mieux que moi, ce sont de jeunes bourgeois », dit-il en détachant le mot qu′il fit précéder de plusieurs b, et en le soulignant par une sorte d′habitude d′élocution, correspondant elle-même à un goût des nuances dans la pensée qui lui était propre, mais peut-être aussi pour ne pas résister au plaisir de me témoigner quelque insolence. Celle-ci ne diminua en rien la grande et affectueuse pitié que m′inspirait M. de Charlus (depuis que Mme Verdurin avait dévoilé son dessein devant moi), m′amusa seulement, et, même en une circonstance où je ne me fusse pas senti pour lui tant de sympathie, ne m′eût pas froissé. Je tenais de ma grand′mère d′être dénué d′amour-propre à un degré qui ferait aisément manquer de dignité. Sans doute je ne m′en rendais guère compte, et à force d′avoir entendu, depuis le collège, les plus estimés de mes camarades ne pas souffrir qu′on leur manquât, ne pas pardonner un mauvais procédé, j′avais fini par montrer dans mes paroles et dans mes actions une seconde nature qui était assez fière. Elle passait même pour l′être extrêmement, parce que, n′étant nullement peureux, j′avais facilement des duels, dont je diminuais pourtant le prestige moral en m′en moquant moi-même, ce qui persuadait aisément qu′ils étaient ridicules ; mais la nature que nous refoulons n′en habite pas moins en nous. C′est ainsi que parfois, si nous lisons le chef-d′œuvre nouveau d′un homme de génie, nous y retrouvons avec plaisir toutes celles de nos réflexions que nous avions méprisées, des gaietés, des tristesses que nous avions contenues, tout un monde de sentiments dédaigné par nous et dont le livre où nous les reconnaissons nous apprend subitement la valeur. J′avais fini par apprendre, de l′expérience de la vie, qu′il était mal de sourire affectueusement quand quelqu′un se moquait de moi et de ne pas lui en vouloir. Mais cette absence d′amour-propre et de rancune, si j′avais cessé de l′exprimer jusqu′à en être arrivé à ignorer à peu près complètement qu′elle existât chez moi, n′en était pas moins le milieu vital primitif dans lequel je baignais. La colère et la méchanceté ne me venaient que de toute autre manière, par crises furieuses. De plus, le sentiment de la justice m′était inconnu jusqu′à une complète absence de sens moral. J′étais, au fond de mon cœur, tout acquis à celui qui était le plus faible et qui était malheureux. Je n′avais aucune opinion sur la mesure dans laquelle le bien et le mal pouvaient être engagés dans les relations de Morel et de M. de Charlus, mais l′idée des souffrances qu′on préparait à M. de Charlus m′était intolérable. J′aurais voulu le prévenir, ne savais comment le faire. « La vue de tout ce petit monde laborieux est fort plaisante pour un vieux trumeau comme moi. Je ne les connais pas », ajouta-t-il en levant la main d′un air de réserve — pour ne pas avoir l′air de se vanter, pour attester sa pureté et ne pas faire planer de soupçon sur celle des étudiants — « mais ils sont très polis, ils vont souvent jusqu′à me garder une place comme je suis un très vieux monsieur. Mais si, mon cher, ne protestez pas, j′ai plus de quarante ans, dit le baron, qui avait dépassé la soixantaine. Il fait un peu chaud dans cet amphithéâtre où parle Brichot, mais c′est toujours intéressant. » Quoique le baron aimât mieux être mêlé à la jeunesse des écoles, voire bousculé par elle, quelquefois, pour lui épargner les longues attentes, Brichot le faisait entrer avec lui. Brichot avait beau être chez lui à la Sorbonne, au moment où l′appariteur chargé de chaînes le précédait et où s′avançait le maître admiré de la jeunesse, il ne pouvait retenir une certaine timidité, et tout en désirant profiter de cet instant où il se sentait si considérable pour témoigner de l′amabilité à Charlus, il était tout de même un peu gêné ; pour que l′appariteur le laissât passer, il lui disait, d′une voix factice et d′un air affairé : « Vous me suivez, baron, on vous placera », puis, sans plus s′occuper de lui, pour faire son entrée, s′avançait seul allégrement dans le couloir. De chaque côté, une double haie de jeunes professeurs le saluait ; Brichot, désireux de ne pas avoir l′air de poser pour ces jeunes gens, aux yeux de qui il se savait un grand pontife, leur envoyait mille clins d′œil, mille hochements de tête de connivence, auxquels son souci de rester martial et bon Français donnait l′air d′une sorte d′encouragement cordial d′un vieux grognard qui dit : « Nom de Dieu on saura se battre. » Puis les applaudissements des élèves éclataient. Brichot tirait parfois de cette présence de M. de Charlus à ses cours l′occasion de faire un plaisir, presque de rendre des politesses. Il disait à quelque parent, ou à quelqu′un de ses amis bourgeois : « Si cela pouvait amuser votre femme ou votre fille, je vous préviens que le baron de Charlus, prince d′Agrigente, le descendant des Condé, assistera à mon cours. C′est un souvenir à garder que d′avoir vu un des derniers descendants de notre aristocratie qui ait du type. Si elles sont là, elles le reconnaîtront à ce qu′il sera placé à côté de ma chaise. D′ailleurs, ce sera le seul, un homme fort, avec des cheveux blancs, la moustache noire, et la médaille militaire. — Ah ! je vous remercie », disait le père. Et, quoi que sa femme eût à faire, pour ne pas désobliger Brichot, il la forçait à aller à ce cours, tandis que la jeune fille, incommodée par la chaleur et la foule, dévorait pourtant curieusement des yeux le descendant de Condé, tout en s′étonnant qu′il ne portât pas de fraise et ressemblât aux hommes de nos jours. Lui, cependant, n′avait pas d′yeux pour elle ; mais plus d′un étudiant, qui ne savait pas qui il était, s′étonnait de son amabilité, devenait important et sec, et le baron sortait plein de rêves et de mélancolie. « Pardonnez-moi de revenir à mes moutons, dis-je rapidement à M. de Charlus en entendant le pas de Brichot, mais pourriez-vous me prévenir par un pneumatique si vous appreniez que Mlle Vinteuil ou son amie dussent venir à Paris, en me disant exactement la durée de leur séjour, et sans dire à personne que je vous l′ai demandé ? » Je ne croyais plus guère qu′elle eût dû venir, mais je voulais ainsi me garer pour l′avenir. « Oui, je ferai ça pour vous, d′abord parce que je vous dois une grande reconnaissance. En n′acceptant pas autrefois ce que je vous avais proposé, vous m′avez, à vos dépens, rendu un immense service, vous m′avez laissé ma liberté. Il est vrai que je l′ai abdiquée d′une autre manière, ajouta-t-il d′un ton mélancolique où perçait le désir de faire des confidences ; il y a là ce que je considère toujours comme le fait majeur, toute une réunion de circonstances que vous avez négligé de faire tourner à votre profit, peut-être parce que la destinée vous a averti, à cette minute précise, de ne pas contrarier ma Voie. Car toujours l′homme s′agite et Dieu le mène. Qui sait ? si, le jour où nous sommes sortis ensemble de chez Mme de Villeparisis, vous aviez accepté, peut-être bien des choses qui se sont passées depuis n′auraient jamais eu lieu. » Embarrassé, je fis dériver la conversation en m′emparant du nom de Mme de Villeparisis, et je cherchai à savoir de lui, si qualifié à tous égards, pour quelles raisons Mme de Villeparisis semblait tenue à l′écart par le monde aristocratique. Non seulement il ne me donna pas la solution de ce petit problème mondain, mais il ne me parut même pas le connaître. Je compris alors que la situation de Mme de Villeparisis, si elle devait plus tard paraître grande à la postérité, et même, du vivant de la marquise, à l′ignorante roture, n′avait pas paru moins grande tout à fait à l′autre extrémité du monde, à celle qui touchait Mme de Villeparisis, aux Guermantes. C′était leur tante, ils voyaient surtout la naissance, les alliances, l′importance gardée dans la famille par l′ascendant sur telle ou telle belle-sœur. Ils voyaient cela moins côté monde que côté famille. Or celui-ci était plus brillant pour Mme de Villeparisis que je n′avais cru. J′avais été frappé en apprenant que le nom de Villeparisis était faux. Mais il est d′autres exemples de grandes dames ayant fait un mariage inégal et ayant gardé une situation prépondérante. M. de Charlus commença par m′apprendre que Mme de Villeparisis était la nièce de la fameuse duchesse de ***, la personne la plus célèbre de la grande aristocratie pendant la monarchie de Juillet, mais qui n′avait pas voulu fréquenter le Roi Citoyen et sa famille. J′avais tant désiré avoir des récits sur cette Duchesse ! Et Mme de Villeparisis, la bonne Mme de Villeparisis, aux joues qui me représentaient des joues de bourgeoise, Mme de Villeparisis qui m′envoyait tant de cadeaux et que j′aurais si facilement pu voir tous les jours, Mme de Villeparisis était sa nièce, élevée par elle, chez elle, à l′hôtel de ***. « Elle demandait au duc de Doudeauville, me dit M. de Charlus, en parlant des trois sœurs : « Laquelle des trois sœurs préférez-vous ? » Et Doudeauville ayant dit : « Mme de Villeparisis », la duchesse de *** lui répondit : « Cochon ! » Car la duchesse était très spirituelle », dit M. de Charlus en donnant au mot l′importance et la prononciation d′usage chez les Guermantes. Qu′il trouvât d′ailleurs que le mot fût si « spirituel », je ne m′en étonnai pas, ayant, dans bien d′autres occasions, remarqué la tendance centrifuge, objective, des hommes qui les pousse à abdiquer, quand ils goûtent l′esprit des autres, les sévérités qu′ils auraient pour le leur, et à observer, à noter précieusement, ce qu′ils dédaigneraient de créer. « Mais qu′est-ce qu′il a ? c′est mon pardessus qu′il apporte, dit-il en voyant que Brichot avait si longtemps cherché pour un tel résultat. J′aurais mieux fait d′y aller moi-même. Enfin vous allez le mettre sur vos épaules. Savez-vous que c′est très compromettant, mon cher ? c′est comme de boire dans le même verre, je saurai vos pensées. Mais non, pas comme ça, voyons, laissez-moi faire », et tout en me mettant son paletot, il me le collait contre les épaules, me le montait le long du cou, relevait le col, et de sa main frôlait mon menton, en s′excusant. « À son âge, ça ne sait pas mettre une couverture, il faut le bichonner ; j′ai manqué ma vocation, Brichot, j′étais né pour être bonne d′enfants. » Je voulais m′en aller, mais M. de Charlus ayant manifesté l′intention d′aller chercher Morel, Brichot nous retint tous les deux. D′ailleurs, la certitude qu′à la maison je retrouverais Albertine, certitude égale à celle que, dans l′après-midi, j′avais qu′Albertine rentrât du Trocadéro, me donnait en ce moment aussi peu d′impatience de la voir que j′avais eu le même jour tandis que j′étais assis au piano, après que Françoise m′eut téléphoné. Et c′est ce calme qui me permit, chaque fois qu′au cours de cette conversation je voulus me lever, d′obéir à l′injonction de Brichot, qui craignait que mon départ empêchât Charlus de rester jusqu′au moment où Mme Verdurin viendrait nous appeler. « Voyons, dit-il au baron, restez un peu avec nous, vous lui donnerez l′accolade tout à l′heure », ajouta Brichot en fixant sur moi son œil presque mort, auquel les nombreuses opérations qu′il avait subies avait fait recouvrer un peu de vie, mais qui n′avait plus pourtant la mobilité nécessaire à l′expression oblique de la malignité. « L′accolade, est-il bête ! s′écria le baron, d′un ton aigu et ravi. Mon cher, je vous dis qu′il se croit toujours à une distribution de prix, il rêve de ses petits élèves. Je me demande s′il ne couche pas avec. — Vous désirez voir Mlle Vinteuil, me dit Brichot, qui avait entendu la fin de notre conversation. Je vous promets de vous avertir si elle vient, je le saurai par Mme Verdurin », car il prévoyait sans doute que le baron risquait fort d′être, de façon imminente, exclu du petit clan. « Eh bien, vous me croyez donc moins bien que vous avec Mme Verdurin, dit M. de Charlus, pour être renseigné sur la venue de ces personnes d′une terrible réputation. Vous savez que c′est archi-connu. Mme Verdurin a tort de les laisser venir, c′est bon pour les milieux interlopes. Elles sont amies de toute une bande terrible. Tout ça doit se réunir dans des endroits affreux. » À chacune de ces paroles, ma souffrance s′accroissait d′une souffrance nouvelle, changeant de forme. « Certes non pas, je ne me crois pas mieux que vous avec Mme Verdurin », proclama Brichot en ponctuant les mots, car il craignait d′avoir éveillé les soupçons du baron. Et comme il voyait que je voulais prendre congé, voulant me retenir par l′appât du divertissement promis : « Il y a une chose à quoi le baron me semble ne pas avoir songé quand il parle de la réputation de ces deux dames, c′est qu′une réputation peut être tout à la fois épouvantable et imméritée. Ainsi, par exemple, dans la série plus notoire que j′appellerai parallèle, il est certain que les erreurs judiciaires sont nombreuses et que l′histoire a enregistré des arrêts de condamnation pour sodomie flétrissant des hommes illustres qui en étaient tout à fait innocents. La récente découverte d′un grand amour de Michel-Ange pour une femme est un fait nouveau qui mériterait à l′ami de Léon X le bénéfice d′une instance en révision posthume. L′affaire Michel-Ange me semble tout indiquée pour passionner les snobs et mobiliser la Villette, quand une autre affaire, où l′anarchie fut bien portée et devint le péché à la mode de nos bons dilettantes, mais dont il n′est point permis de prononcer le nom, par crainte de querelles, aura fini son temps. » Depuis que Brichot avait commencé à parler des réputations masculines, M. de Charlus avait trahi dans tout son visage le genre particulier d′impatience qu′on voit à un expert médical ou militaire quand des gens du monde qui n′y connaissent rien se mettent à dire des bêtises sur des points de thérapeutique ou de stratégie. « Vous ne savez pas le premier mot des choses dont vous parlez, finit-il par dire à Brichot. Citez-moi une seule réputation imméritée. Dites des noms. Oui, je connais tout, riposta violemment M. de Charlus à une interruption timide de Brichot, les gens qui ont fait cela autrefois par curiosité, ou par affection unique pour un ami mort, et celui qui, craignant de s′être trop avancé, si vous lui parlez de la beauté d′un homme vous répond que c′est du chinois pour lui, qu′il ne sait pas plus distinguer un homme beau d′un laid qu′entre deux moteurs d′auto, comme la mécanique n′est pas dans ses cordes. Tout cela c′est des blagues. Mon Dieu, remarquez, je ne veux pas dire qu′une réputation mauvaise (ou ce qu′il est convenu d′appeler ainsi) et injustifiée soit une chose absolument impossible. C′est tellement exceptionnel, tellement rare, que pratiquement cela n′existe pas. Cependant, moi qui suis un curieux, un fureteur, j′en ai connu, et qui n′étaient pas des mythes. Oui, au cours de ma vie, j′ai constaté (j′entends scientifiquement constaté, je ne me paie pas de mots) deux réputations injustifiées. Elles s′établissent d′habitude grâce à une similitude de noms, ou d′après certains signes extérieurs, l′abondance des bagues par exemple, que les gens incompétents s′imaginent absolument être caractéristiques de ce que vous dites, comme ils croient qu′un paysan ne dit pas deux mots sans ajouter : jarniguié, ou un Anglais : goddam. C′est de la conversation pour théâtre des boulevards. Ce qui vous étonnera, c′est que les réputations injustifiées sont les plus établies aux yeux du public. Vous-même, Brichot, qui mettriez votre main au feu de la vertu de tel ou tel homme qui vient ici et que les renseignés connaissent comme le loup blanc, vous devez croire, comme tout le monde, à ce qu′on dit de tel homme en vue qui incarne ces goûts-là pour la masse, alors qu′il « n′en est pas » pour deux sous. Je dis pour deux sous, parce que, si nous y mettions vingt-cinq louis, nous verrions le nombre des petits saints diminuer jusqu′à zéro. Sans cela le taux des saints, si vous voyez de la sainteté là dedans, se tient, en règle générale, entre 3 et 4 sur 10. » Si Brichot avait transposé dans le sexe masculin la question des mauvaises réputations, à mon tour et inversement c′est au sexe féminin, et en pensant à Albertine, que je reportais les paroles de M. de Charlus. J′étais épouvanté par la statistique, même en tenant compte qu′il devait enfler les chiffres au gré de ce qu′il souhaitait, et aussi d′après les rapports d′êtres cancaniers, peut-être menteurs, en tous cas trompés par leur propre désir qui, s′ajoutant à celui de M. de Charlus, faussait sans doute les calculs du baron. « Trois sur dix, s′écria Brichot ! En renversant la proportion, j′aurais eu encore à multiplier par cent le nombre des coupables. S′il est celui que vous dites, baron, et si vous ne vous trompez pas, confessons alors que vous êtes un de ces rares voyants d′une vérité que personne ne soupçonnait autour d′eux. C′est ainsi que Barrès a fait, sur la corruption parlementaire, des découvertes qui ont été vérifiées après coup, comme l′existence de la planète de Leverrier. Mme Verdurin citerait de préférence des hommes que j′aime mieux ne pas nommer et qui ont deviné au Bureau des Renseignements, dans l′État-Major, des agissements, inspirés, je le crois, par un zèle patriotique, mais qu′enfin je n′imaginais pas. Sur la franc-maçonnerie, l′espionnage allemand, la morphinomanie, Léon Daudet écrit au jour le jour un prodigieux conte de fées qui se trouve être la réalité même. Trois sur dix ! », reprit Brichot stupéfait. Il est vrai de dire que M. de Charlus taxait d′inversion la grande majorité de ses contemporains, en exceptant toutefois les hommes avec qui il avait eu des relations et dont, pour peu qu′elles eussent été mêlées d′un peu de romanesque, le cas lui paraissait plus complexe. C′est ainsi qu′on voit des viveurs, ne croyant pas à l′honneur des femmes, en rendre un peu seulement à telle qui fut leur maîtresse et dont ils protestent sincèrement et d′un air mystérieux : « Mais non, vous vous trompez, ce n′est pas une fille. » Cette estime inattendue leur est dictée, partie par leur amour-propre, pour qui il est plus flatteur que de telles faveurs aient été réservées à eux seuls, partie par leur naîµ¥té qui gobe aisément tout ce que leur maîtresse a voulu leur faire croire, partie par ce sentiment de la vie qui fait que, dès qu′on s′approche des êtres, des existences, les étiquettes et les compartiments faits d′avance sont trop simples. « Trois sur dix ! mais prenez-y garde, moins heureux que ces historiens que l′avenir ratifiera, baron, si vous vouliez présenter à la postérité le tableau que vous nous dites, elle pourrait la trouver mauvaise. Elle ne juge que sur pièces et voudrait prendre connaissance de votre dossier. Or aucun document ne venant authentiquer ce genre de phénomènes collectifs que les seuls renseignés sont trop intéressés à laisser dans l′ombre, on s′indignerait fort dans le camp des belles âmes, et vous passeriez tout net pour un calomniateur ou pour un fol. Après avoir, au concours des élégances, obtenu le maximum et le principal, sur cette terre, vous connaîtriez les tristesses d′un blackboulage d′outre-tombe. Ça n′en vaut pas le coup, comme dit, Dieu me pardonne ! notre Bossuet. — Je ne travaille pas pour l′histoire, répondit M. de Charlus, la vie me suffit, elle est bien assez intéressante, comme disait le pauvre Swann. — Comment ? Vous avez connu Swann, baron, mais je ne savais pas. Est-ce qu′il avait ces goûts-là ? demanda Brichot d′un air inquiet. — Mais est-il grossier ! Vous croyez donc que je ne connais que des gens comme ça. Mais non, je ne crois pas », dit Charlus les yeux baissés et cherchant à peser le pour et le contre. Et pensant que puisqu′il s′agissait de Swann, dont les tendances si opposées avaient été toujours connues, un demi-aveu ne pouvait qu′être inoffensif pour celui qu′il visait et flatteur pour celui qui le laissait échapper dans une insinuation : « Je ne dis pas qu′autrefois, au collège, une fois par hasard », dit le baron comme malgré lui, et comme s′il pensait tout haut, puis se reprenant : « Mais il y a deux cents ans ; comment voulez-vous que je me rappelle ? vous m′embêtez », conclut-il en riant. « En tous cas il n′était pas joli, joli ! » dit Brichot, lequel, affreux, se croyait bien et trouvait facilement les autres laids. « Taisez-vous, dit le baron, vous ne savez pas ce que vous dites ; dans ce temps-là il avait un teint de pêche et, ajouta-t-il en mettant chaque syllabe sur une autre note, il était joli comme les amours. Du reste, il était resté charmant. Il a été follement aimé des femmes. — Mais est-ce que vous avez connu la sienne ? — Mais, voyons, c′est par moi qu′il l′a connue. Je l′avais trouvée charmante dans son demi-travesti, un soir qu′elle jouait Miss Sacripant ; j′étais avec des camarades de club, nous avions tous ramené une femme et, bien que je n′eusse envie que de dormir, les mauvaises langues avaient prétendu, car c′est affreux ce que le monde est méchant, que j′avais couché avec Odette. Seulement, elle en avait profité pour venir m′embêter, et j′avais cru m′en débarrasser en la présentant à Swann. De ce jour-là elle ne cessa plus de me cramponner, elle ne savait pas un mot d′orthographe, c′est moi qui faisais ses lettres. Et puis c′est moi qui ensuite ai été chargé de la promener. Voilà, mon enfant, ce que c′est que d′avoir une bonne réputation, vous voyez. Du reste, je ne la méritais qu′à moitié. Elle me forçait à lui faire faire des parties terribles, à cinq, à six. » Et les amants qu′avait eus successivement Odette (elle avait été avec un tel, puis avec un pauvre Swann aveuglé par la jalousie et par l′amour, tels ces hommes dont pas un seul n′avait été deviné par lui tour à tour, supputant les chances et croyant aux serments plus affirmatifs qu′une contradiction qui échappe à la coupable, contradiction bien plus insaisissable, et pourtant bien plus significative, et dont le jaloux pourrait se prévaloir plus logiquement que de renseignements qu′il prétend faussement avoir eus, pour inquiéter sa maîtresse), ces amants, M. de Charlus se mit à les énumérer avec autant de certitude que s′il avait récité la liste des Rois de France. Et en effet, le jaloux est, comme les contemporains, trop près, il ne sait rien, et c′est pour les étrangers que le comique des adultères prend la précision de l′histoire, et s′allonge en listes, d′ailleurs indifférentes, et qui ne deviennent tristes que pour un autre jaloux, comme j′étais, qui ne peut s′empêcher de comparer son cas à celui dont il entend parler et qui se demande si, pour la femme dont il doute, une liste aussi illustre n′existe pas. Mais il n′en peut rien savoir, c′est comme une conspiration universelle, une brimade à laquelle tous participent cruellement et qui consiste, tandis que son amie va de l′un à l′autre, à lui tenir sur les yeux un bandeau qu′il fait perpétuellement effort pour arracher, sans y réussir, car tout le monde le tient aveuglé, le malheureux, les êtres bons par bonté, les êtres méchants par méchanceté, les êtres grossiers par goût des vilaines farces, les êtres bien élevés par politesse et bonne éducation, et tous par une de ces conventions qu′on appelle principe. « Mais est-ce que Swann a jamais su que vous aviez eu ses faveurs ? — Mais voyons, quelle horreur ! Raconter cela à Charles ! C′est à faire dresser les cheveux sur la tête. Mais, mon cher, il m′aurait tué tout simplement, il était jaloux comme un tigre. Pas plus que je n′ai avoué à Odette, à qui ça aurait, du reste, été bien égal, queÂ… allons, ne me faites pas dire de bêtises. Et le plus fort c′est que c′est elle qui lui a tiré des coups de revolver que j′ai failli recevoir. Ah ! j′ai eu de l′agrément avec ce ménage-là ; et, naturellement, c′est moi qui ai été obligé d′être son témoin contre d′Osmond, qui ne me l′a jamais pardonné. D′Osmond avait enlevé Odette, et Swann, pour se consoler, avait pris pour maîtresse, ou fausse maîtresse, la sœur d′Odette. Enfin, vous n′allez pas commencer à me faire raconter l′histoire de Swann, nous en aurions pour dix ans, vous comprenez, je connais ça comme personne. C′était moi qui sortais Odette quand elle ne voulait pas voir Charles. Cela m′embêtait d′autant plus que j′ai un très proche parent qui porte le nom de Crécy, sans y avoir naturellement aucune espèce de droit, mais qu′enfin cela ne charmait pas. Car elle se faisait appeler Odette de Crécy, et le pouvait parfaitement, étant seulement séparée d′un Crécy dont elle était la femme, très authentique celui-là, un monsieur très bien, qu′elle avait ratissé jusqu′au dernier centime. Mais voyons, pourquoi me faire parler de ce Crécy ? je vous ai vu avec lui dans le tortillard, vous lui donniez des dîners à Balbec. Il devait en avoir besoin, le pauvre, il vivait d′une toute petite pension que lui faisait Swann ; je me doute bien que, depuis la mort de mon ami, cette rente a dû cesser complètement d′être payée. Ce que je ne comprends pas, me dit M. de Charlus, c′est que, puisque vous avez été souvent chez Charles, vous n′ayez pas désiré tout à l′heure que je vous présente à la reine de Naples. En somme, je vois que vous ne vous intéressez pas aux personnes en tant que curiosités, et cela m′étonne toujours de quelqu′un qui a connu Swann, chez qui ce genre d′intérêt était si développé, au point qu′on ne peut pas dire si c′est moi qui ai été à cet égard son initiateur ou lui le mien. Cela m′étonne autant que si je voyais quelqu′un avoir connu Whistler et ne pas savoir ce que c′est que le goût. Mon Dieu, c′est surtout pour Morel que c′était important de la connaître, il le désirait, du reste, passionnément, car il est tout ce qu′il y a de plus intelligent. C′est ennuyeux qu′elle soit partie. Mais enfin je ferai la conjonction ces jours-ci. C′est immanquable qu′il la connaisse. Le seul obstacle possible serait si elle mourait demain. Or il est à espérer que cela n′arrivera pas. » Tout à coup, Brichot, comme il était resté sous le coup de la proportion de « trois sur dix » que lui avait révélée M. de Charlus, Brichot, qui n′avait pas cessé de poursuivre son idée, avec une brusquerie qui rappelait celle d′un juge d′instruction voulant faire avouer un accusé, mais qui, en réalité, était le résultat du désir qu′avait le professeur de paraître perspicace et du trouble qu′il éprouvait à lancer une accusation si grave : « Est-ce que Ski n′est pas comme cela ? » demanda-t-il à M. de Charlus, d′un air sombre. Pour faire admirer ses prétendus dons d′intuition, il avait choisi Ski, se disant que, puisqu′il n′y avait que trois innocents sur dix, il risquait peu de se tromper en nommant Ski qui lui semblait un peu bizarre, avait des insomnies, se parfumait, bref était en dehors de la normale. « Mais pas du tout, s′écria le baron avec une ironie amère, dogmatique et exaspérée. Ce que vous dites est d′un faux, d′un absurde, d′un à côté ! Ski est justement « cela » pour les gens qui n′y connaissent rien ; s′il l′était, il n′en aurait pas tellement l′air, ceci soit dit sans aucune intention de critique, car il a du charme et je lui trouve même quelque chose de très attachant. — Mais dites-nous donc quelques noms », reprit Brichot avec insistance. M. de Charlus se redressa d′un air de morgue : « Ah ! mon cher, moi, vous savez je vis dans l′abstrait, tout cela ne m′intéresse qu′à un point de vue transcendantal », répondit-il avec la susceptibilité ombrageuse particulière à ses pareils, et l′affectation de grandiloquence qui caractérisait sa conversation. « Moi, vous comprenez, il n′y a que les généralités qui m′intéressent, je vous parle de cela comme de la loi de la pesanteur. » Mais ces moments de réaction agacée, où le baron cherchait à cacher sa vraie vie, duraient bien peu auprès des heures de progression continue où il la faisait deviner, l′étalait avec une complaisance agaçante, le besoin de la confidence étant chez lui plus fort que la crainte de la divulgation. « Ce que je voulais dire, reprit-il, c′est que pour une mauvaise réputation qui est injustifiée, il y en a des centaines de bonnes qui ne le sont pas moins. Évidemment le nombre de ceux qui ne les méritent pas varie selon que vous vous en rapportez aux dires de leurs pareils ou des autres. Et il est vrai que, si la malveillance de ces derniers est limitée par la trop grande difficulté qu′ils auraient à croire un vice aussi horrible pour eux que le vol ou l′assassinat pratiqué par des gens dont ils connaissent la délicatesse et le cœur, la malveillance des premiers est exagérément stimulée par le désir de croire, comment dirais-je, accessibles, des gens qui leur plaisent, par des renseignements que leur ont donnés des gens qu′a trompés un semblable désir, enfin par l′écart même où ils sont généralement tenus. J′ai vu un homme, assez mal vu à cause de ce goût, dire qu′il supposait qu′un certain homme du monde avait le même. Et sa seule raison de le croire est que cet homme du monde avait été aimable avec lui ! Autant de raisons d′optimisme, dit naîµ¥ment le baron, dans la supputation du nombre. Mais la vraie raison de l′écart énorme qu′il y a entre ce nombre calculé par les profanes, et celui calculé par les initiés, vient du mystère dont ceux-ci entourent leurs agissements, afin de les cacher aux autres, qui, dépourvus d′aucun moyen d′information, seraient littéralement stupéfaits s′ils apprenaient seulement le quart de la vérité. — Alors, à notre époque, c′est comme chez les Grecs, dit Brichot. — Mais comment ? comme chez les Grecs ? Vous vous figurez que cela n′a pas continué depuis ? Regardez, sous Louis XIV, le petit Vermandois, Molière, le prince Louis de Baden, Brunswick, Charolais, Boufflers, le Grand Condé, le duc de Brissac. — Je vous arrête, je savais Monsieur, je savais Brissac par Saint-Simon, Vendôme naturellement et d′ailleurs, bien d′autres. Mais cette vieille peste de Saint-Simon parle souvent du Grand Condé et du prince Louis de Baden et jamais il ne le dit. — C′est tout de même malheureux que ce soit à moi d′apprendre son histoire à un professeur de Sorbonne. Mais, cher maître, vous êtes ignorant comme une carpe. — Vous êtes dur, baron, mais juste. Et, tenez, je vais vous faire plaisir, je me souviens maintenant d′une chanson de l′époque qu′on fit en latin macaronique sur certain orage qui surprit le Grand Condé comme il descendait le Rhône en compagnie de son ami le marquis de La Moussaye. Condé dit : I expressed to M. de Charlus my regret that M. Brichot should be taking so much trouble. “Not at all, he is delighted, he is very fond of you, everyone is fond of you. Somebody was saying only the other day: ‘We never see him now, he is isolating himself!′ Besides, he is such a good fellow, is Brichot,” M. de Charlus went on, never suspecting probably, in view of the affectionate, frank manner in which the Professor of Moral Philosophy conversed with him, that he had no hesitation is slandering him behind his back. “He is a man of great merit, immensely learned, and not a bit spoiled, his learning hasn′t turned him into a bookworm, like so many of them who smell of ink. He has retained a breadth of outlook, a tolerance, rare in his kind. Sometimes, when one sees how well he understands life, with what a natural grace he renders everyone his due, one asks oneself where a humble little Sorbonne professor, an ex-schoolmaster, can have picked up such breeding. I am astonished at it myself.” I was even more astonished when I saw the conversation of this Brichot, which the least refined of Mme. de Guermantes′s friends would have found so dull, so heavy, please the most critical of them all, M. de Charlus. But to achieve this result there had collaborated, among other influences, themselves distinct also, those by virtue of which Swann, on the one hand, had so long found favour with the little clan, when he was in love with Odette, and on the other hand, after he married, found an attraction in Mme. Bontemps who, pretending to adore the Swann couple, came incessantly to call upon the wife and revelled in all the stories about the husband. Just as a writer gives the palm for intelligence, not to the most intelligent man, but to the worldling who utters a bold and tolerant comment upon the passion of a man for a woman, a comment which makes the writer′s bluestocking mistress agree with him in deciding that of all the people who come to her house the least stupid is after all this old beau who shews experience in the things of love, so M. de Charlus found more intelligent than the rest of his friends Brichot, who was not merely kind to Morel, but would cull from the Greek philosophers, the Latin poets, the authors of Oriental tales, appropriate texts which decorated the Baron′s propensity with a strange and charming anthology. M. de Charlus had reached the age at which a Victor Hugo chooses to surround himself, above all, with Vacqueries and Meurices. He preferred to all others those men who tolerated his outlook upon life. “I see a great deal of him,” he went on, in a balanced, sing-song tone, allowing no movement of his lips to stir his grave, powdered mask over which were purposely lowered his prelatical eyelids. “I attend his lectures, that atmosphere of the Latin Quarter refreshes me, there is a studious, thoughtful adolescence of young bourgeois, more intelligent, better read than were, in a different sphere, my own contemporaries. It is a different world, which you know probably better than I, they are young bourgeois,” he said, detaching the last word to which he prefixed a string of bs, and emphasising it from a sort of habit of elocution, corresponding itself to a taste for fine distinctions in past history, which was peculiar to him, but perhaps also from inability to resist the pleasure of giving me a flick of his insolence. This did not in any way diminish the great and affectionate pity that was inspired in me by M. de Charlus (after Mme. Verdurin had revealed her plan in my hearing), it merely amused me, and indeed on any other occasion, when I should not have felt so kindly disposed towards him, would not have offended me. I derived from my grandmother such an absence of any self-importance that I might easily be found wanting in dignity. Doubtless, I was scarcely aware of this, and by dint of having seen and heard, from my schooldays onwards, my most esteemed companions take offence if anyone failed to keep an appointment, refuse to overlook any disloyal behaviour, I had come in time to exhibit in my speech and actions a second nature which was stamped with pride. I was indeed considered extremely proud, because, as I had never been timid, I had been easily led into duels, the moral prestige of which, however, I diminished by making little of them, which easily persuaded other people that they were absurd; but the true nature which we trample underfoot continues nevertheless to abide within us. Thus it is that at times, if we read the latest masterpiece of a man of genius, we are delighted to find in it all those of our own reflexions which we have always despised, joys and sorrows which we have repressed, a whole world of feelings scorned by us, the value of which the book in which we discover them afresh at once teaches us. I had come in time to learn from my experience of life that it was a mistake to smile a friendly smile when somebody made a fool of me, instead of feeling annoyed. But this want of self-importance and resentment, if I had so far ceased to express it as to have become almost entirely unaware that it existed in me, was nevertheless the primitive, vital element in which I was steeped. Anger and spite came to me only in a wholly different manner, in furious crises. What was more, the sense of justice was so far lacking in me as to amount to an entire want of moral sense. I was in my heart of hearts entirely won over to the side of the weaker party, and of anyone who was in trouble. I had no opinion as to the proportion in which good and evil might be blended in the relations between Morel and M. de Charlus, but the thought of the sufferings that were being prepared for M. de Charlus was intolerable to me. I would have liked to warn him, but did not know how to do it. “The spectacle of all that laborious little world is very pleasant to an old stick like myself. I do not know them,” he went on, raising his hand with an air of reserve — so as not to appear to be boasting of his own conquests, to testify to his own purity and not to allow any suspicion to rest upon that of the students —“but they are most civil, they often go so far as to keep a place for me, since I am a very old gentleman. Yes indeed, my dear boy, do not protest, I am past forty,” said the Baron, who was past sixty. “It is a trifle stuffy in the hall in which Brichot lectures, but it is always interesting.” Albeit the Baron preferred to mingle with the youth of the schools, in other words to be jostled by them, sometimes, to save him a long wait in the lecture-room, Brichot took him in by his own door. Brichot might well be at home in the Sorbonne, at the moment when the janitor, loaded with chains of office, stepped out before him, and the master admired by his young pupils followed, he could not repress a certain timidity, and much as he desired to profit by that moment in which he felt himself so important to shew consideration for Charlus, he was nevertheless slightly embarrassed; so that the janitor should allow him to pass, he said to him, in an artificial tone and with a preoccupied air: “Follow me, Baron, they′ll find a place for you,” then, without paying any more attention to him, to make his own entry, he advanced by himself briskly along the corridor. On either side, a double hedge of young lecturers greeted him; Brichot, anxious not to appear to be posing in the eyes of these young men to whom he knew that he was a great pontiff, bestowed on them a thousand glances, a thousand little nods of connivance, to which his desire to remain martial, thoroughly French, gave the effect of a sort of cordial encouragement by an old soldier saying: “Damn it all, we can face the foe.” Then the applause of his pupils broke out. Brichot sometimes extracted from this attendance by M. de Charlus at his lectures an opportunity for giving pleasure, almost for returning hospitality. He would say to some parent, or to one of his middle-class friends: “If it would interest your wife or daughter, I may tell you that the Baron de Charlus, Prince de Carency, a scion of the House of Condé, attends my lectures. It is something to remember, having seen one of the last descendants of our aristocracy who preserves the type. If they care to come, they will know him because he will be sitting next to my chair. Besides he will be alone there, a stout man, with white hair and black moustaches, wearing the military medal.” “Oh, thank you,” said the father. And, albeit his wife had other engagements, so as not to disoblige Brichot, he made her attend the lecture, while the daughter, troubled by the heat and the crowd, nevertheless devoured eagerly with her eyes the descendant of Condé, marvelling all the same that he was not crowned with strawberry-leaves and looked just like anybody else of the present day. He meanwhile had no eyes for her, but more than one student, who did not know who he was, was amazed at his friendly glances, became self-conscious and stiff, and the Baron left the room full of dreams and melancholy. “Forgive me if I return to the subject,” I said quickly to M. de Charlus, for I could hear Brichot returning, “but could you let me know by wire if you should hear that Mlle. Vinteuil or her friend is expected in Paris, letting me know exactly how long they will be staying and without telling anybody that I asked you.” I had almost ceased to believe that she had been expected, but I wished to guard myself thus for the future. “Yes, I will do that for you, first of all because I owe you a great debt of gratitude. By not accepting what, long ago, I had offered you, you rendered me, to your own loss, an immense service, you left me my liberty. It is true that I have abdicated it in another fashion,” he added in a melancholy tone beneath which was visible a desire to take me into his confidence; “that is what I continue to regard as the important fact, a whole combination of circumstances which you failed to turn to your own account, possibly because fate warned you at that precise minute not to cross my Path. For always man proposes and God disposes. Who knows whether if, on the day when we came away together from Mme. de Villeparisis′s, you had accepted, perhaps many things that have since happened would never have occurred?” In some embarrassment, I turned the conversation, seizing hold of the name of Mme. de Villeparisis, and sought to find out from him, so admirably qualified in every respect, for what reasons Mme. de Villeparisis seemed to be held aloof by the aristocratic world. Not only did he not give me the solution of this little social problem, he did not even appear to me to be aware of its existence. I then realised that the position of Mme. de Villeparisis, if it was in later years to appear great to posterity, and even in the Marquise′s lifetime to the ignorant rich, had appeared no less great at the opposite extremity of society, that which touched Mme. de Villeparisis, that of the Guermantes. She was their aunt; they saw first and foremost birth, connexions by marriage, the opportunity of impressing some sister-in-law with the importance of their own family. They regarded this less from the social than from the family point of view. Now this was more brilliant in the case of Mme. de Villeparisis than I had supposed. I had been impressed when I heard that the title Villeparisis was falsely assumed. But there are other examples of great ladies who have made degrading marriages and preserved a predominant position. M. de Charlus began by informing me that Mme. de Villeparisis was a niece of the famous Duchesse de ——, the most celebrated member of the great aristocracy during the July Monarchy, albeit she had refused to associate with the Citizen King and his family. I had so longed to hear stories about this Duchess! And Mme. de Villeparisis, the kind Mme. de Villeparisis, with those cheeks that to me had been the cheeks of an ordinary woman, Mme. de Villeparisis who sent me so many presents and whom I could so easily have seen every day, Mme. de Villeparisis was her niece brought up by her, in her home, at the Hôtel de ——. “She asked the Duc de Doudeauville,” M. de Charlus told me, “speaking of the three sisters, ‘Which of the sisters do you prefer?′ And when Doudeauville said: ‘Madame de Villeparisis,′ the Duchesse de ——— replied ‘Pig!′ For the Duchess was extremely witty,” said M. de Charlus, giving the word the importance and the special pronunciation in use among the Guermantes. That he should have thought the expression so ‘witty′ did not, however, surprise me, for I had on many other occasions remarked the centrifugal, objective tendency which leads men to abdicate, when they are relishing the wit of others, the severity with which they would criticise their own, and to observe, to record faithfully, what they would have scorned to create. “But what on earth is he doing, that is my greatcoat he is bringing,” he said, on seeing that Brichot had made so long a search to no better result. “I would have done better to go for it myself. However, you can put it on now. Are you aware that it is highly compromising, my dear boy, it is like drinking out of the same glass, I shall be able to read your thoughts. No, not like that, come, let me do it,” and as he put me into his greatcoat, he pressed it down on my shoulders, fastened it round my throat, and brushed my chin with his hand, making the apology: “At his age, he doesn′t know how to put on a coat, one has to titivate him, I have missed my vocation, Brichot, I was born to be a nursery-maid.” I wanted to go home, but as M. de Charlus had expressed his intention of going in search of Morel, Brichot detained us both. Moreover, the certainty that when I went home I should find Albertine there, a certainty as absolute as that which I had felt in the afternoon that Albertine would return home from the Trocadéro, made me at this moment as little impatient to see her as I had been then when I was sitting at the piano, after Françoise had sent me her telephone message. And it was this calm that enabled me, whenever, in the course of this conversation, I attempted to rise, to obey Brichot′s injunctions who was afraid that my departure might prevent Charlus from remaining with him until the moment when Mme. Verdurin was to come and fetch us. “Come,” he said to the Baron, “stay a little here with us, you shall give him the accolade presently,” Brichot added, fastening upon myself his almost sightless eyes to which the many operations that he had undergone had restored some degree of life, but which had not all the same the mobility necessary to the sidelong expression of malice. “The accolade, how absurd!” cried the Baron, in a shrill and rapturous tone. “My boy, I tell you, he imagines he is at a prize-giving, he is dreaming of his young pupils. I ask myself whether he don′t sleep with them.” “You wish to meet Mlle. Vinteuil,” said Brichot, who had overheard the last words of our conversation. “I promise to let you know if she comes, I shall hear of it from Mme. Verdurin,” for he doubtless foresaw that the Baron was in peril of an immediate exclusion from the little clan. “I see, so you think that I have less claim than yourself upon Mme. Verdurin,” said M. de Charlus, “to be informed of the coming of these terribly disreputable persons. You know that they are quite notorious. Mme. Verdurin is wrong to allow them to come here, they are all very well for the fast set. They are friends with a terrible band of women. They meet in the most appalling places.” At each of these words, my suffering was increased by the addition of a fresh suffering, changing in form. “Certainly not, I don′t suppose that I have any better claim than yourself upon Mme. Verdurin,” Brichot protested, punctuating his words, for he was afraid that he might have aroused the Baron′s suspicions. And as he saw that I was determined to go, seeking to detain me with the bait of the promised entertainment: “There is one thing which the Baron seems to me not to have taken into account when he speaks of the reputation of these two ladies, namely that a person′s reputation may be at the same time appalling and undeserved. Thus for instance, in the more notorious group which I shall call parallel, it is certain that the errors of justice are many and that history has registered convictions for sodomy against illustrious men who were wholly innocent of the charge. The recent discovery of Michelangelo′s passionate love for a woman is a fresh fact which should entitle the friend of Leo X to the benefit of a posthumous retrial. The Michelangelo case seems to me clearly indicated to excite the snobs and mobilise the Villette, when another case in which anarchism reared its head and became the fashionable sin of our worthy dilettantes, but which must not even be mentioned now for fear of stirring up quarrels, shall have run its course.” From the moment when Brichot began to speak of masculine reputations, M. de Charlus betrayed on every one of his features that special sort of impatience which one sees on the face of a medical or military expert when society people who know nothing about the subject begin to talk nonsense about points of therapeutics or strategy. “You know absolutely nothing about the matter,” he said at length to Brichot. “Quote me a single reputation that is undeserved. Mention names. Oh yes, I know the whole story,” was his brutal retort to a timid interruption by Brichot, “the people who tried it once long ago out of curiosity, or out of affection for a dead friend, and the man who, afraid he has gone too far, if you speak to him of the beauty of a man, replies that that is Chinese to him, that he can no more distinguish between a beautiful man and an ugly one than between the engines of two motorcars, mechanics not being in his line. That′s all stuff and nonsense. Mind you, I don′t mean to say that a bad (or what is conventionally so called) and yet undeserved reputation is absolutely impossible. It is so exceptional, so rare, that for practical purposes it does not exist. At the same time I, who have a certain curiosity in ferreting things out, have known cases which were not mythical. Yes, in the course of my life, I have established (scientifically speaking, of course, you mustn′t take me too literally) two unjustified reputations. They generally arise from a similarity of names, or from certain outward signs, a profusion of rings, for instance, which persons who are not qualified to judge imagine to be characteristic of what you were mentioning, just as they think that a peasant never utters a sentence without adding: ‘Jarnignié,′ or an Englishman: ‘Goddam.′ Dialogue for the boulevard theatres. What will surprise you is that the unjustified are those most firmly established in the eyes of the public. You yourself, Brichot, who would thrust your hand in the flames to answer for the virtue of some man or other who comes to this house and whom the enlightened know to be a wolf in sheep′s clothing, you feel obliged to believe like every Tom, Dick and Harry in what is said about some man in the public eye who is the incarnation of those propensities to the common herd, when as a matter of fact, he doesn′t care twopence for that sort of thing. I say twopence, because if we were to offer five-and-twenty louis, we should see the number of plaster saints dwindle down to nothing. As things are, the average rate of sanctity, if you see any sanctity in that sort of thing, is somewhere between thirty and forty per cent.” If Brichot had transferred to the male sex the question of evil reputations, with me it was, inversely, to the female sex that, thinking of Albertine, I applied the Baron′s words. I was appalled at his statistics, even when I bore in mind that he was probably enlarging his figures to reach the total that he would like to believe true, and had based them moreover upon the reports of persons who were scandalmongers and possibly liars, and had in any case been led astray by their own desire, which, coming in addition to that of M. de Charlus, doubtless falsified the Baron′s calculations. “Thirty per cent!” exclaimed Brichot. “Why, even if the proportions were reversed I should still have to multiply the guilty a hundredfold. If it is as you say, Baron, and you are not mistaken, then we must confess that you are one of those rare visionaries who discern a truth which nobody round them has ever suspected. Just as Barrés made discoveries as to parliamentary corruption, the truth of which was afterwards established, like the existence of Leverrier′s planet. Mme. Verdurin would prefer to cite men whom I would rather not name who detected in the Intelligence Bureau, in the General Staff, activities inspired, I am sure, by patriotic zeal, which I had never imagined. Upon free-masonry, German espionage, morphinomania, Léon Daudet builds up, day by day, a fantastic fairy-tale which turns out to be the barest truth. Thirty per cent!” Brichot repeated in stupefaction. It is only fair to say that M. de Charlus taxed the great majority of his contemporaries with inversion, always excepting those men with whom he himself had had relations, their case, provided that they had introduced the least trace of romance into those relations, appearing to him more complex. So it is that we see men of the world, who refuse to believe in women′s honour, allow some remnants of honour only to the woman who has been their mistress, as to whom they protest sincerely and with an air of mystery: “No, you are mistaken, she is not that sort of girl.” This unlooked-for tribute is dictated partly by their own self-respect which is flattered by the supposition that such favours have been reserved for them alone, partly by their simplicity which has easily swallowed everything that their mistress has given them to believe, partly from that sense of the complexity of life which brings it about that, as soon as we approach other people, other lives, ready-made labels and classifications appear unduly crude. “Thirty per cent! But have a care; less fortunate than the historians whose conclusions the future will justify, Baron, if you were to present to posterity the statistics that you offer us, it might find them erroneous. Posterity judges only from documentary evidence, and will insist on being assured of your facts. But as no document would be forthcoming to authenticate this sort of collective phenomena which the few persons who are enlightened are only too ready to leave in obscurity, the best minds would be moved to indignation, and you would be regarded as nothing more than a slanderer or a lunatic. After having, in the social examination, obtained top marks and the primacy upon this earth, you would taste the sorrows of a blackball beyond the grave. That is not worth powder and shot, to quote — may God forgive me — our friend Bossuet.” “I am not interested in history,” replied M. de Charlus, “this life is sufficient for me, it is quite interesting enough, as poor Swann used to say.” “What, you knew Swann, Baron, I was not aware of that. Tell me, was he that way inclined?” Brichot inquired with an air of misgiving. “What a mind the man has! So you suppose that I only know men like that. No, I don′t think so,” said Charlus, looking to the ground and trying to weigh the pros and cons. And deciding that, since he was dealing with Swann whose hostility to that sort of thing had always been notorious, a half-admission could only be harmless to him who was its object and flattering to him who allowed it to escape in an insinuation: “I don′t deny that long ago in our schooldays, once by accident,” said the Baron, as though unwillingly and as though he were thinking aloud, then recovering himself: “But that was centuries ago, how do you expect me to remember, you are making a fool of me,” he concluded with a laugh. “In any case, he was never what you′d call a beauty!” said Brichot who, himself hideous, thought himself good-looking and was always ready to believe that other men were ugly. “Hold your tongue,” said the Baron, “you don′t know what you′re talking about, in those days he had a peach-like complexion, and,” he added, finding a fresh note for each syllable, “he was as beautiful as Cupid himself. Besides he was always charming. The women were madly in love with him.” “But did you ever know his wife?” “Why, it was through me that he came to know her. I thought her charming in her disguise one evening when she played Miss Sacripant; I was with some fellows from the club, each of us took a woman home with him, and, although all that I wanted was to go to sleep, slanderous tongues alleged, for it is terrible how malicious people are, that I went to bed with Odette. Only she took advantage of the slanders to come and worry me, and I thought I might get rid of her by introducing her to Swann. From that moment she never let me go, she couldn′t spell the simplest word, it was I who wrote all her letters for her. And it was I who, afterwards, had to take her out. That, my boy, is what comes of having a good reputation, you see. Though I only half deserved it. She forced me to help her to betray him, with five, with six other men.” And the lovers whom Odette had had in succession (she had been with this man, then with that, those men not one of whose names had ever been guessed by poor Swann, blinded in turn by jealousy and by love, reckoning the chances and believing in oaths more affirmative than a contradiction which escapes from the culprit, a contradiction far more unseizable, and at the same time far more significant, of which the jealous lover might take advantage more logically than of the information which he falsely pretends to have received, in the hope of confusing his mistress), these lovers M. de Charlus began to enumerate with as absolute a certainty as if he had been repeating the list of the Kings of France. And indeed the jealous lover is, like the contemporaries of an historical event, too close, he knows nothing, and it is in the eyes of strangers that the comic aspect of adultery assumes the precision of history, and prolongs itself in lists of names which are, for that matter, unimportant and become painful only to another jealous lover, such as myself, who cannot help comparing his own case with that which he hears mentioned and asks himself whether the woman of whom he is suspicious cannot boast an equally illustrious list. But he can never know anything more, it is a sort of universal conspiracy, a ‘blindman′s buff′ in which everyone cruelly participates, and which consists, while his mistress flits from one to another, in holding over his eyes a bandage which he is perpetually attempting to tear off without success, for everyone keeps him blindfold, poor wretch, the kind out of kindness, the wicked out of malice, the coarse-minded out of their love of coarse jokes, the well-bred out of politeness and good-breeding, and all alike respecting one of those conventions which are called principles. “But did Swann never know that you had enjoyed her favours?” “What an idea! If you had suggested such a thing to Charles! It′s enough to make one′s hair stand up on end. Why, my dear fellow, he would have killed me on the spot, he was as jealous as a tiger. Any more than I ever confessed to Odette, not that she would have minded in the least, that . . . but you must not make my tongue run away with me. And the joke of it is that it was she who fired a revolver at him, and nearly hit me. Oh! I used to have a fine time with that couple; and naturally it was I who was obliged to act as his second against d′Osmond, who never forgave me. D′Osmond had carried off Odette and Swann, to console himself, had taken as his mistress, or make-believe mistress, Odette′s sister. But really you must not begin to make me tell you Swann′s story, we should be here for ten years, don′t you know, nobody knows more about him than I do. It was I who used to take Odette out when she did not wish to see Charles. It was all the more awkward for me as I have a quite near relative who bears the name Crécy, without of course having any manner of right to it, but still he was none too well pleased. For she went by the name of Odette de Crécy, as she very well might, being merely separated from a Crécy whose wife she still was, and quite an authentic person, a highly respectable gentleman out of whom she had drained his last farthing. But why should I have to tell you about this Crécy, I have seen you with him on the crawler, you used to have him to dinner at Balbec. He must have needed those dinners, poor fellow, he lived upon a tiny allowance that Swann made him; I am greatly afraid that, since my friend′s death, that income must have stopped altogether. What I do not understand,” M. de Charlus said to me, “is that, since you used often to go to Charles′s, you did not ask me this evening to present you to the Queen of Naples. In fact I can see that you are less interested in people than in curiosities, and that continues to surprise me in a person who knew Swann, in whom that sort of interest was so far developed that it is impossible to say whether it was I who initiated him in these matters or he myself. It surprises me as much as if I met a person who had known Whistler and remained ignorant of what is meant by taste. By Jove, it is Morel that ought really to have been presented to her, he was passionately keen on it too, for he is the most intelligent fellow you could imagine. It is a nuisance that she has left. However, I shall effect the conjunction one of these days. It is indispensable that he should know her. The only possible obstacle would be if she were to die in the night. Well, we may hope that it will not happen.” All of a sudden Brichot, who was still suffering from the shock of the proportion ‘thirty per cent′ which M. de Charlus had revealed to him, Brichot who had continued all this time in the pursuit of his idea, with an abruptness which suggested that of an examining magistrate seeking to make a prisoner confess, but which was in reality the result of the Professor′s desire to appear perspicacious and of the misgivings that he felt about launching so grave an accusation, spoke. “Isn′t Ski like that?” he inquired of M. de Charlus with a sombre air. To make us admire his alleged power of intuition, he had chosen Ski, telling himself that since there were only three innocent men in every ten, he ran little risk of being mistaken if he named Ski who seemed to him a trifle odd, suffered from insomnia, scented himself, in short was not entirely normal. “Nothing of the sort!” exclaimed the Baron with a bitter, dogmatic, exasperated irony. “What you say is utterly false, absurd, fantastic. Ski is like that precisely to the people who know nothing about it; if he was, he would not look so like it, be it said without any intention to criticise, for he has a certain charm, indeed I find something very attractive about him.” “But give us a few names, then,” Brichot pursued with insistence. M. de Charlus drew himself up with a forbidding air. “Ah! my dear Sir, I, as you know, live in a world of abstraction, all that sort of thing interests me only from a transcendental point of view,” he replied with the touchy susceptibility peculiar to men of his kind, and the affectation of grandiloquence that characterised his conversation. “To me, you understand, it is only general principles that are of any interest, I speak to you of this as I might of the law of gravitation.” But these moments of irritable reaction in which the Baron sought to conceal his true life lasted but a short time compared with the hours of continual progression in which he allowed it to be guessed, displayed it with an irritating complacency, the need to confide being stronger in him than the fear of divulging his secret. “What I was trying to say,” he went on, “is that for one evil reputation that is unjustified there are hundreds of good ones which are no less so. Obviously, the number of those who do not merit their reputations varies according to whether you rely upon what is said by men of their sort or by the others. And it is true that if the malevolence of the latter is limited by the extreme difficulty which they would find in believing that a vice as horrible to them as robbery or murder is being practised by men whom they know to be sensitive and sincere, the malevolence of the former is stimulated to excess by the desire to regard as — what shall I say? — accessible, men who appeal to them, upon the strength of information given them by people who have been led astray by a similar desire, in fact by the very aloofness with which they are generally regarded. I have heard a man, viewed with considerable disfavour on account of these tastes, say that he supposed that a certain man in society shared them. And his sole reason for believing it was that this other man had been polite to him! So many reasons for optimism,” said the Baron artlessly, “in the computation of the number. But the true reason of the enormous difference that exists between the number calculated by the profane, and that calculated by the initiated, arises from the mystery with which the latter surround their actions, in order to conceal them from the rest, who, lacking any source of information, would be literally stupefied if they were to learn merely a quarter of the truth.” “Then in our days, things are as they were among the Greeks,” said Brichot. “What do you mean, among the Greeks? Do you suppose that it has not been going on ever since? Take the reign of Louis XIV, you have young Vermandois, Molière, Prince Louis of Baden, Brunswick, Charolais, Boufflers, the Great Condé, the Duc de Brissac.” “Stop a moment, I knew about Monsieur, I knew about Brissac from Saint-Simon, Vendôme of course, and many, others as well. But that old pest Saint-Simon often refers to the Great Condé and Prince Louis of Baden and never mentions it.” “It seems a pity, I must say, that it should fall to me to teach a Professor of the Sorbonne his history. But, my dear Master, you are as ignorant as a carp.” “You are harsh, Baron, but just. And, wait a moment, now this will please you, I remember now a song of the period composed in macaronic verse about a certain storm which surprised the Great Condé as he was going down the Rhône in the company of his friend, the Marquis de La Moussaye. Condé says:

Ah ! Deus bonus quod tempus
Landerirette
Imbre sumus perituri.
Carus Amicus Mussexus,
Ah ! Deus bonus quod tempus
Landerirette
Imbre sumus perituri.
Et La Moussaye le rassure en lui disant : And La Moussaye reassures him with:
Securæ sunt nostræ vitæ
Sumus enim Sodomitæ
Igne tantum perituri
Landeriri.
Securæ sunt nostræ vitæ
Sumus enim Sodomitæ
Igne tantum perituri
Landeriri.
— Je retire ce que j′ai dit, dit Charlus d′une voix aiguë et maniérée, vous êtes un puits de science ; vous me l′écrirez n′est-ce pas, je veux garder cela dans mes archives de famille, puisque ma bisale au troisième degré était la sœur de M. le Prince. — Oui, mais, baron, sur le prince Louis de Baden je ne vois rien. Du reste, à cette époque-là, je crois qu′en général l′art militaireÂ… — Quelle bêtise ! Vendôme, Villars, le prince Eugène, le prince de Conti, et si je vous parlais de tous nos héros du Tonkin, du Maroc, et je parle des vraiment sublimes, et pieux, et « nouvelle génération », je vous étonnerais bien. Ah ! j′en aurais à apprendre aux gens qui font des enquêtes sur la nouvelle génération, qui a rejeté les vaines complications de ses aînés ! dit M. Bourget. J′ai un petit ami là-bas, dont on parle beaucoup, qui a fait des choses admirablesÂ… mais enfin je ne veux pas être méchant, revenons au xviie siècle ; vous savez que Saint-Simon dit du maréchal d′Huxelles, entre tant d′autres : « Voluptueux en débauches grecques, dont il ne prenait pas la peine de se cacher, et accrochait de jeunes officiers qu′il adomestiquait, outre de jeunes valets très bien faits, et cela sans voile, à l′armée et à Strasbourg. » Vous avez probablement lu les lettres de Madame, les hommes ne l′appelaient que « Putain ». Elle en parle assez clairement. Et elle était à bonne source pour savoir, avec son mari. C′est un personnage si intéressant que Madame, dit M. de Charlus. On pourrait faire d′après elle la synthèse lyrique de la « Femme d′une Tante ». D′abord hommasse ; généralement la femme d′une Tante est un homme, c′est ce qui lui rend si facile de lui faire des enfants. Puis Madame ne parle pas des vices de Monsieur, mais elle parle sans cesse de ce même vice chez les autres, en femme renseignée et par ce pli que nous avons d′aimer à trouver, dans les familles des autres, les mêmes tares dont nous souffrons dans la nôtre, pour nous prouver à nous-même que cela n′a rien d′exceptionnel ni de déshonorant. Je vous disais que cela a été tout le temps comme cela. Cependant le nôtre se distingue tout spécialement à ce point de vue. Et malgré les exemples que j′empruntais au xviie siècle, si mon grand al François C. de La Rochefoucauld vivait de notre temps, il pourrait en dire, avec plus de raison que du sien, voyons, Brichot, aidez-moi : « Les vices sont de tous les temps ; mais si des personnes que tout le monde connaît avaient paru dans les premiers siècles, parlerait-on présentement des prostitutions d′Héliogabale ? » Que tout le monde connaît me plaît beaucoup. Je vois que mon sagace parent connaissait « le boniment » de ses plus célèbres contemporains comme je connais celui des miens. Mais des gens comme cela, il n′y en a pas seulement davantage aujourd′hui. Ils ont aussi quelque chose de particulier. » Je vis que M. de Charlus allait nous dire de quelle façon ce genre de mœurs avait évolué. L′insistance avec laquelle M. de Charlus revenait toujours sur le sujet — à l′égard duquel, d′ailleurs, son intelligence, toujours exercée dans le même sens, possédait une certaine pénétration — avait quelque chose d′assez complexement pénible. Il était raseur comme un savant qui ne voit rien au delà de sa spécialité, agaçant comme un renseigné qui tire vanité des secrets qu′il détient et brûle de divulguer, antipathique comme ceux qui, dès qu′il s′agit de leurs défauts, s′épanouissent sans s′apercevoir qu′ils déplaisent, assujetti comme un maniaque et irrésistiblement imprudent comme un coupable. Ces caractéristiques qui, dans certains moments, devenaient aussi saisissantes que celles qui marquent un fou ou un criminel m′apportaient, d′ailleurs, un certain apaisement. Car, leur faisant subir la transposition nécessaire pour pouvoir tirer d′elles des déductions à l′égard d′Albertine et me rappelant l′attitude de celle-ci avec Saint-Loup, avec moi, je me disais, si pénible que fût pour moi l′un de ces souvenirs, et si mélancolique l′autre, je me disais qu′ils semblaient exclure le genre de déformation si accusée, de spécialisation forcément exclusive, semblait-il, qui se dégageait avec tant de force de la conversation comme de la personne de M. de Charlus. Mais celui-ci, malheureusement, se hâta de ruiner ces raisons d′espérer, de la même manière qu′il me les avait fournies, c′est-à-dire sans le savoir. « Oui, dit-il, je n′ai plus vingt-cinq ans et j′ai déjà vu changer bien des choses autour de moi, je ne reconnais plus ni la société où les barrières sont rompues, où une cohue, sans élégance et sans décence, danse le tango jusque dans ma famille, ni les modes, ni la politique, ni les arts, ni la religion, ni rien. Mais j′avoue que ce qui a encore le plus changé, c′est ce que les Allemands appellent l′homosexualité. Mon Dieu, de mon temps, en mettant de côté les hommes qui détestaient les femmes, et ceux qui, n′aimant qu′elles, ne faisaient autre chose que par intérêt, les homosexuels étaient de bons pères de famille et n′avaient guère de maîtresses que par couverture. J′aurais eu une fille à marier que c′est parmi eux que j′aurais cherché mon gendre si j′avais voulu être assuré qu′elle ne fût pas malheureuse. Hélas ! tout est changé. Maintenant ils se recrutent aussi parmi les hommes qui sont les plus enragés pour les femmes. Je croyais avoir un certain flair, et quand je m′étais dit : sûrement non, n′avoir pas pu me tromper. Eh bien j′en donne ma langue aux chats. Un de mes amis, qui est bien connu pour cela, avait un cocher que ma belle-sœur Oriane lui avait procuré, un garçon de Combray qui avait fait un peu tous les métiers, mais surtout celui de retrousseur de jupons, et que j′aurais juré aussi hostile que possible à ces choses-là. Il faisait le malheur de sa maîtresse en la trompant avec deux femmes qu′il adorait, sans compter les autres, une actrice et une fille de brasserie. Mon cousin le prince de Guermantes, qui a justement l′intelligence agaçante des gens qui croient tout trop facilement, me dit un jour : « Mais pourquoi est-ce que XÂ… ne couche pas avec son cocher ? Qui sait si ça ne lui ferait pas plaisir à Théodore (c′est le nom du cocher) et s′il n′est même pas très piqué de voir que son patron ne lui fait pas d′avances ? » Je ne pus m′empêcher d′imposer silence à Gilbert ; j′étais énervé à la fois de cette prétendue perspicacité qui, quand elle s′exerce indistinctement, est un manque de perspicacité, et aussi de la malice cousue de fil blanc de mon cousin qui aurait voulu que notre ami XÂ… essayât de se risquer sur la planche pour, si elle était viable, s′y avancer à son tour. — Le prince de Guermantes a donc ces goûts ? demanda Brichot avec un mélange d′étonnement et de malaise. — Mon Dieu, répondit M. de Charlus ravi, c′est tellement connu que je ne crois pas commettre une indiscrétion en vous disant que oui. Eh bien, l′année suivante, j′allai à Balbec, et là j′appris, par un matelot qui m′emmenait quelquefois à la pêche, que mon Théodore, lequel, entre parenthèses, a pour sœur la femme de chambre d′une amie de Mme Verdurin, la baronne Putbus, venait sur le port lever tantôt un matelot, tantôt un autre, avec un toupet d′enfer, pour aller faire un tour en barque et « autre chose itou ». » Ce fut à mon tour de demander si le patron dans lequel j′avais reconnu le Monsieur qui, à Balbec, jouait aux cartes toute la journée avec sa maîtresse, et qui était le chef de la petite Société des quatre amis, était comme le prince de Guermantes. « Mais, voyons, c′est connu de tout le monde, il ne s′en cache même pas. — Mais il avait avec lui sa maîtresse. — Eh bien, qu′est-ce que ça fait ? sont-ils na, ces enfants ? me dit-il d′un ton paternel, sans se douter de la souffrance que j′extrayais de ses paroles en pensant à Albertine. Elle est charmante, sa maîtresse. — Mais alors ses trois amis sont comme lui. — Mais pas du tout, s′écria-t-il en se bouchant les oreilles comme si, en jouant d′un instrument, j′avais fait une fausse note. Voilà maintenant qu′il est à l′autre extrémité. Alors on n′a plus le droit d′avoir des amis ? Ah ! la jeunesse, ça confond tout. Il faudra refaire votre éducation, mon enfant. Or, reprit-il, j′avoue que ce cas, et j′en connais bien d′autres, si ouvert que je tâche de garder mon esprit à toutes les hardiesses, m′embarrasse. Je suis bien vieux jeu, mais je ne comprends pas, dit-il du ton d′un vieux gallican parlant de certaines formes d′ultramontanisme, d′un royaliste libéral parlant de l′Action Française ou d′un disciple de Claude Monet, des cubistes. Je ne blâme pas ces novateurs, je les envie plutôt, je cherche à les comprendre, mais je n′y arrive pas. S′ils aiment tant la femme, pourquoi, et surtout dans ce monde ouvrier où c′est mal vu, où ils se cachent par amour-propre, ont-ils besoin de ce qu′ils appellent un môme ? C′est que cela leur représente autre chose. Quoi ? » « Qu′est-ce que la femme peut représenter d′autre à Albertine ? » pensais-je, et c′était bien là en effet ma souffrance. « Décidément, baron, dit Brichot, si jamais le Conseil des Facultés propose d′ouvrir une chaire d′homosexualité, je vous fais proposer en première ligne. Ou plutôt non, un institut de psycho-physiologie spéciale vous conviendrait mieux. Et je vous vois surtout pourvu d′une chaire au Collège de France, vous permettant de vous livrer à des études personnelles dont vous livreriez les résultats, comme fait le professeur de tamoul ou de sanscrit devant le très petit nombre de personnes que cela intéresse. Vous auriez deux auditeurs et l′appariteur, soit dit sans vouloir jeter le plus léger soupçon sur notre corps d′huissiers, que je crois insoupçonnable. — Vous n′en savez rien, répliqua le baron d′un ton dur et tranchant. D′ailleurs vous vous trompez en croyant que cela intéresse si peu de personnes. C′est tout le contraire. » Et sans se rendre compte de la contradiction qui existait entre la direction que prenait invariablement sa conversation et le reproche qu′il allait adresser aux autres : « C′est, au contraire, effrayant, dit-il à Brichot d′un air scandalisé et contrit, on ne parle plus que de cela. C′est une honte, mais c′est comme je vous le dis, mon cher ! Il paraît qu′avant-hier, chez la duchesse d′Agen, on n′a pas parlé d′autre chose pendant deux heures ; vous pensez, si maintenant les femmes se mettent à parler de ça, c′est un véritable scandale ! Ce qu′il y a de plus ignoble c′est qu′elles sont renseignées, ajouta-t-il avec un feu et une énergie extraordinaires, par des pestes, de vrais salauds, comme le petit Châtellerault, sur qui il y a plus à dire que sur personne, et qui leur racontent les histoires des autres. On m′a dit qu′il disait pis que pendre de moi, mais je n′en ai cure ; je pense que la boue et les saletés jetées par un individu qui a failli être renvoyé du Jockey pour avoir truqué un jeu de cartes ne peut retomber que sur lui. Je sais bien que, si j′étais Jane d′Agen, je respecterais assez mon salon pour qu′on n′y traite pas des sujets pareils et qu′on ne traîne pas chez moi mes propres parents dans la fange. Mais il n′y a plus de société, plus de règles, plus de convenances, pas plus pour la conversation que pour la toilette. Ah ! mon cher, c′est la fin du monde. Tout le monde est devenu si méchant. C′est à qui dira le plus de mal des autres. C′est une horreur. » “I take back what I said,” said Charlus in a shrill and mannered tone, “you are a well of learning, you will write it down for me, won′t you, I must preserve it in my family archives, since my great-great-great-grandmother was a sister of M. le Prince.” “Yes, but, Baron, with regard to Prince Louis of Baden I can think of nothing. However, at that period, I suppose that generally speaking the art of war. . . . ” “What nonsense, Vendôme, Villars, Prince Eugène, the Prince de Conti, and if I were to tell you of all the heroes of Tonkin, Morocco, and I am thinking of men who are truly sublime, and pious, and ‘new generation,′ I should astonish you greatly. Ah! I should have something to teach the people who are making inquiries about the new generation which has rejected the futile complications of its elders, M. Bourget tells us! I have a young friend out there, who is highly spoken of, who has done great things, however, I am not going to tell tales out of school, let us return to the seventeenth century, you know that Saint-Simon says of the Maréchal d′Huxelles — one among many: ‘Voluptuous in Grecian debaucheries which he made no attempt to conceal, he used to get hold of young officers whom he trained to his purpose, not to mention stalwart young valets, and this openly, in the army and at Strasbourg.′ You have probably read Madame′s Letters, all his men called him ‘Putain.′ She is quite outspoken about it.” “And she was in a good position to know, with her husband.” “Such an interesting character, Madame,” said M. de Charlus. “One might base upon her the lyrical synthesis of ‘Wives of Aunties.′ First of all, the masculine type; generally the wife of an Auntie is a man, that is what makes it so easy for her to bear him children. Then Madame does not mention Monsieur′s vices, but she does mention incessantly the same vice in other men, writing as a well-informed woman, from that tendency which makes us enjoy finding in other people′s families the same defects as afflict us in our own, in order to prove to ourselves that there is nothing exceptional or degrading in them. I was saying that things have been much the same in every age. Nevertheless, our own is quite remarkable in that respect. And notwithstanding the instances that I have borrowed from the seventeenth century, if my great ancestor François C. de La Rochefoucauld were alive in these days, he might say of them with even more justification than of his own — come, Brichot, help me out: ‘Vices are common to every age; but if certain persons whom everyone knows had appeared in the first centuries of our era, would anyone speak to-day of the prostitutions of Heliogabalus?′ ‘Whom everyone knows′ appeals to me immensely. I see that my sagacious kinsman understood the tricks of his most illustrious contemporaries as I understand those of my own. But men of that sort are not only far more frequent to-day. They have also special characteristics.” I could see that M. de Charlus was about to tell us in what fashion these habits had evolved. The insistence with which M. de Charlus kept on reverting to this topic — into which, moreover, his intellect, constantly trained in the same direction, had acquired a certain penetration — was, in a complicated way, distinctly trying. He was as boring as a specialist who can see nothing outside his own subject, as irritating as a well-informed man whose vanity is flattered by the secrets which he possesses and is burning to divulge, as repellent as those people who, whenever their own defects are mentioned, spread themselves without noticing that they are giving offence, as obsessed as a maniac and as uncontrollably imprudent as a criminal. These characteristics which, at certain moments, became as obvious as those that stamp a madman or a criminal, brought me, as it happened, a certain consolation. For, making them undergo the necessary transposition in order to be able to draw from them deductions with regard to Albertine, and remembering her attitude towards Saint-Loup, and towards myself, I said to myself, painful as one of these memories and melancholy as the other was to me, I said to myself that they seemed to exclude the kind of deformity so plainly denounced, the kind of specialisation inevitably exclusive, it appeared, which was so vehemently apparent in the conversation as in the person of M. de Charlus. But he, as ill luck would have it, made haste to destroy these grounds for hope in the same way as he had furnished me with them, that is to say unconsciously. “Yes,” he said, “I am no longer in my teens, and I have already seen many things change round about me, I no longer recognise either society, in which the barriers are broken down, in which a mob, devoid of elegance and decency, dance the tango even in my own family, or fashions, or politics, or the arts, or religion, or anything. But I must admit that the thing which has changed most of all is what the Germans call homosexuality. Good God, in my day, apart from the men who loathed women, and those who, caring only for women, did the other thing merely with an eye to profit, the homosexuals were sound family men and never kept mistresses except to screen themselves. If I had had a daughter to give away, it is among them that I should have looked for my son-in-law if I had wished to be certain that she would not be unhappy. Alas! Things have changed entirely. Nowadays they are recruited also from the men who are the most insatiable with women. I thought I possessed a certain instinct, and that when I said to myself: ‘Certainly not,′ I could not have been mistaken. Well, I give it up. One of my friends, who is well-known for that sort of thing, had a coachman whom my sister-in-law Oriane found for him, a lad from Combray who was something of a jack of all trades, but particularly in trading with women, and who, I would have sworn, was as hostile as possible to anything of that sort. He broke his mistress′s heart by betraying her with two women whom he adored, not to mention the others, an actress and a girl from a bar. My cousin the Prince de Guermantes, who has that irritating intelligence of people who are too ready to believe anything, said to me one day: ‘But why in the world does not X—— have his coachman? It might be a pleasure to Théodore′ (which is the coachman′s name) ‘and he may be annoyed at finding that his master does not make advances to him.′ I could not help telling Gilbert to hold his tongue; I was overwrought both by that boasted perspicacity which, when it is exercised indiscriminately, is a want of perspicacity, and also by the silver-lined malice of my cousin who would have liked X—— to risk taking the first steps so that, if the going was good, he might follow.” “Then the Prince de Guermantes is like that, too?” asked Brichot with a blend of astonishment and dismay. “Good God,” replied M. de Charlus, highly delighted, “it is so notorious that I don′t think I am guilty of an indiscretion if I tell you that he is. Very well, the year after this, I went to Balbec, where I heard from a sailor who used to take me out fishing occasionally, that my Théodore, whose sister, I may mention, is the maid of a friend of Mme. Verdurin, Baroness Putbus, used to come down to the harbour to pick up now one sailor, now another, with the most infernal cheek, to go for a trip on the sea ‘with extras.′” It was now my turn to inquire whether his employer, whom I had identified as the gentleman who at Balbec used to play cards all day long with his mistress, and who was the leader of the little group of four boon companions, was like the Prince of Guermantes. “Why, of course, everyone knows about him, he makes no attempt to conceal it.” “But he had his mistress there with him.” “Well, and what difference does that make? How innocent these children are,” he said to me in a fatherly tone, little suspecting the grief that I extracted from his words when I thought of Albertine. “She is charming, his mistress.” “But then his three friends are like himself.” “Not at all,” he cried, stopping his ears as though, in playing some instrument, I had struck a wrong note. “Now he has gone to the other extreme. So a man has no longer the right to have friends? Ah! Youth, youth; it gets everything wrong. We shall have to begin your education over again, my boy. Well,” he went on, “I admit that this case, and I know of many others, however open a mind I may try to keep for every form of audacity, does embarrass me. I may be very old-fashioned, but I fail to understand,” he said in the tone of an old Gallican speaking of some development of Ultramontanism, of a Liberal Royalist speaking of the Action Française or of a disciple of Claude Monet speaking of the Cubists. “I do not reproach these innovators, I envy them if anything, I try to understand them, but I do not succeed. If they are so passionately fond of woman, why, and especially in this workaday world where that sort of thing is so frowned upon, where they conceal themselves from a sense of shame, have they any need of what they call ‘a bit of brown′? It is because it represents to them something else. What?” “What else can a woman represent to Albertine,” I thought, and there indeed lay the cause of my anguish. “Decidedly, Baron,” said Brichot, “should the Board of Studies ever think of founding a Chair of Homosexuality, I shall see that your name is the first to be submitted. Or rather, no; an Institute of Psycho-physiology would suit you better. And I can see you, best of all, provided with a Chair in the Collège de France, which would enable you to devote yourself to personal researches the results of which you would deliver, like the Professor of Tamil or Sanskrit, to the handful of people who are interested in them. You would have an audience of two, with your assistant, not that I mean to cast the slightest suspicion upon our corps of janitors, whom I believe to be above suspicion.” “You know nothing about them,” the Baron retorted in a harsh and cutting tone. “Besides you are wrong in thinking that so few people are interested in the subject. It is just the opposite.” And without stopping to consider the incompatibility between the invariable trend of his own conversation and the reproach which he was about to heap upon other people: “It is, on the contrary, most alarming,” said the Baron, with a scandalised and contrite air, “people are talking about nothing else. It is a scandal, but I am not exaggerating, my dear fellow! It appears that, the day before yesterday, at the Duchesse d′Agen′s, they talked about nothing else for two hours on end; you can imagine, if women have taken to discussing that sort of thing, it is a positive scandal! What is vilest of all is that they get their information,” he went on with an extraordinary fire and emphasis, “from pests, regular harlots like young Châtellerault, who has the worst reputation in the world, who tell them stories about other men. I have been told that he said more than enough to hang me, but I don′t care, I am convinced that the mud and filth flung by an individual who barely escaped being turned out of the Jockey for cheating at cards can only fall back upon himself. I am sure that if I were Jane d′Agen, I should have sufficient respect for my drawing-room not to allow such subjects to be discussed in it, nor to allow my own flesh and blood to be dragged through the mire in my house. But there is no longer any society, any rules, any conventions, in conversation any more than in dress. Ah, my dear fellow, it is the end of the world. Everyone has become so malicious. The prize goes to the man who can speak most evil of his fellows. It is appalling.”
Lâche comme je l′étais déjà dans mon enfance à Combray, quand je m′enfuyais pour ne pas voir offrir du cognac à mon grand-père et les vains efforts de ma grand′mère, le suppliant de ne pas le boire, je n′avais plus qu′une pensée, partir de chez les Verdurin avant que l′exécution de Charlus ait eu lieu. « Il faut absolument que je parte, dis-je à Brichot. — Je vous suis, me dit-il, mais nous ne pouvons pas partir à l′anglaise. Allons dire au revoir à Mme Verdurin », conclut le professeur qui se dirigea vers le salon de l′air de quelqu′un qui, aux petits jeux, va voir « si on peut revenir ». As cowardly still as I had been long ago in my boyhood at Combray when I used to run away in order not to see my grandfather tempted with brandy and the vain efforts of my grandmother imploring him not to drink it, I had but one thought in my mind, which was to leave the Verdurins′ house before the execution of M. de Charlus occurred. “I simply must go,” I said to Brichot. “I am coming with you,” he replied, “but we cannot slip away, English fashion. Come and say good-bye to Mme. Verdurin,” the Professor concluded, as he made his way to the drawing-room with the air of a man who, in a guessing game, goes to find out whether he may ‘come back.′
Pendant que nous causions, M. Verdurin, sur un signe de sa femme, avait emmené Morel. Mme Verdurin, du reste, eût-elle, toutes réflexions faites, trouvé qu′il était plus sage d′ajourner les révélations à Morel qu′elle ne l′eût plus pu. Il y a certains désirs, parfois circonscrits à la bouche, qui, une fois qu′on les a laissés grandir, exigent d′être satisfaits, quelles que doivent en être les conséquences ; on ne peut plus résister à embrasser une épaule décolletée qu′on regarde depuis trop longtemps et sur laquelle les lèvres tombent comme le serpent sur l′oiseau, à manger un gâteau d′une dent que la fringale fascine, à se refuser l′étonnement, le trouble, la douleur ou la gaieté qu′on va déchaîner dans une âme par des propos imprévus. Telle, ivre de mélodrame, Mme Verdurin avait enjoint à son mari d′emmener Morel et de parler coûte que coûte au violoniste. Celui-ci avait commencé par déplorer que la reine de Naples fût partie sans qu′il eût pu lui être présenté. M. de Charlus lui avait tant répété qu′elle était la sœur de l′impératrice Élisabeth et de la duchesse d′Alençon, que la souveraine avait pris aux yeux de Morel une importance extraordinaire. Mais le Patron lui avait expliqué que ce n′était pas pour parler de la reine de Naples qu′ils étaient là, et était entré dans le vif du sujet. « Tenez, avait-il conclu au bout de quelque temps, tenez, si vous voulez, nous allons demander conseil à ma femme. Ma parole d′honneur, je ne lui en ai rien dit. Nous allons voir comment elle juge la chose. Mon avis n′est peut-être pas le bon, mais vous savez quel jugement sûr elle a, et puis elle a pour vous une immense amitié, allons lui soumettre la cause. » Et tandis que Mme Verdurin attendait avec impatience les émotions qu′elle allait savourer en parlant au virtuose, puis, quand il serait parti, à se faire rendre un compte exact du dialogue qui avait été échangé entre lui et son mari, et ne cessait de répéter : « Mais qu′est-ce qu′ils peuvent faire ; j′espère au moins qu′Auguste, en le tenant un temps pareil, aura su convenablement le styler », M. Verdurin était redescendu avec Morel, lequel paraissait fort ému. « Il voudrait te demander un conseil », dit M. Verdurin à sa femme, de l′air de quelqu′un qui ne sait pas si sa requête sera exaucée. Au lieu de répondre à M. Verdurin, dans le feu de la passion c′est à Morel que s′adressa Mme Verdurin : « Je suis absolument du même avis que mon mari, je trouve que vous ne pouvez pas tolérer cela plus longtemps », s′écria-t-elle avec violence, oubliant, comme fiction futile, qu′il avait été convenu entre elle et son mari qu′elle était censée ne rien savoir de ce qu′il avait dit au violoniste. « Comment ? Tolérer quoi ? » balbutia M. Verdurin, qui essayait de feindre l′étonnement et cherchait, avec une maladresse qu′expliquait son trouble, à défendre son mensonge. « Je l′ai deviné, ce que tu lui as dit », répondit Mme Verdurin, sans s′embarrasser du plus ou moins de vraisemblance de l′explication, et se souciant peu de ce que, quand il se rappellerait cette scène, le violoniste pourrait penser de la véracité de sa Patronne. « Non, reprit Mme Verdurin, je trouve que vous ne devez pas souffrir davantage cette promiscuité honteuse avec un personnage flétri, qui n′est reçu nulle part, ajouta-t-elle, n′ayant cure que ce ne fût pas vrai et oubliant qu′elle le recevait presque chaque jour. Vous êtes la fable du Conservatoire, ajouta-t-elle, sentant que c′était l′argument qui porterait le plus ; un mois de plus de cette vie et votre avenir artistique est brisé, alors que, sans le Charlus, vous devriez gagner plus de cent mille francs par an. — Mais je n′avais jamais rien entendu dire, je suis stupéfait, je vous suis bien reconnaissant », murmura Morel les larmes aux yeux. Mais, obligé à la fois de feindre l′étonnement et de dissimuler la honte, il était plus rouge et suait plus que s′il avait joué toutes les sonates de Beethoven à la file, et dans ses yeux montaient des pleurs que le maître de Bonn ne lui aurait certainement pas arrachés. « Si vous n′avez rien entendu dire, vous êtes le seul. C′est un Monsieur qui a une sale réputation et qui a de vilaines histoires. Je sais que la police l′a à l′œil, et c′est, du reste, ce qui peut lui arriver de plus heureux pour ne pas finir comme tous ses pareils, assassiné par des apaches », ajouta-t-elle, car en pensant à Charlus le souvenir de Mme de Duras lui revenait et, dans la rage dont elle s′enivrait, elle cherchait à aggraver encore les blessures qu′elle faisait au malheureux Charlie et à venger celles qu′elle-même avait reçues ce soir. « Du reste, même matériellement, il ne peut vous servir à rien, il est entièrement ruiné depuis qu′il est la proie de gens qui le font chanter et qui ne pourront même pas tirer de lui les frais de leur musique, vous encore moins les frais de la vôtre, car tout est hypothéqué, hôtel, château, etc. » Morel ajouta d′autant plus aisément foi à ce mensonge que M. de Charlus aimait à le prendre pour confident de ses relations avec des apaches, race pour qui un fils de valet de chambre, si crapuleux qu′il soit lui-même, professe un sentiment d′horreur égal à son attachement aux idées bonapartistes. While we conversed, M. Verdurin, at a signal from his wife, had taken Morel aside. Indeed, had Mme. Verdurin decided, after considering the matter in all its aspects, that it was wiser to postpone Morel′s enlightenment, she was powerless now to prevent it. There are certain desires, some of them confined to the mouth, which, as soon as we have allowed them to grow, insist upon being gratified, whatever the consequences may be; we are unable to resist the temptation to kiss a bare shoulder at which we have been gazing for too long and at which our lips strike like a serpent at a bird, to bury our sweet tooth in a cake that has fascinated and famished it, nor can we forego the delight of the amazement, anxiety, grief or mirth to which we can move another person by some unexpected communication. So, in a frenzy of melodrama, Mme. Verdurin had ordered her husband to take Morel out of the room and, at all costs, to explain matters to him. The violinist had begun by deploring the departure of the Queen of Naples before he had had a chance of being presented to her. M. de Charlus had told him so often that she was the sister of the Empress Elisabeth and of the Duchesse d′Alençon that Her Majesty had assumed an extraordinary importance in his eyes. But the Master explained to him that it was not to talk about the Queen of Naples that they had withdrawn from the rest, and then went straight to the root of the matter. “Listen,” he had concluded after a long explanation; “listen; if you like, we can go and ask my wife what she thinks. I give you my word of honour, I′ve said nothing to her about it. We shall see how she looks at it. My advice is perhaps not the best, but you know how sound her judgment is; besides, she is extremely attached to yourself, let us go and submit the case to her.” And while Mme. Verdurin, awaiting with impatience the emotions that she would presently be relishing as she talked to the musician, and again, after he had gone, when she made her husband give her a full report of their conversation, continued to repeat: “But what in the world can they be doing? I do hope that my husband, in keeping him all this time, has managed to give him his cue,” M. Verdurin reappeared with Morel who seemed greatly moved. “He would like to ask your advice,” M. Verdurin said to his wife, in the tone of a man who does not know whether his prayer will be heard. Instead of replying to M. Verdurin, it was to Morel that, in the heat of her passion, Mme. Verdurin addressed herself. “I agree entirely with my husband, I consider that you cannot tolerate this sort of thing for another instant,” she exclaimed with violence, discarding as a useless fiction her agreement with her husband that she was supposed to know nothing of what he had been saying to the violinist. “How do you mean? Tolerate what?” stammered M. Verdurin, endeavouring to feign astonishment and seeking, with an awkwardness that was explained by his dismay, to defend his falsehood. “I guessed what you were saying to him,” replied Mme. Verdurin, undisturbed by the improbability of this explanation, and caring little what, when he recalled this scene, the violinist might think of the Mistress′s veracity. “No,” Mme. Verdurin continued, “I feel that you ought not to endure any longer this degrading promiscuity with a tainted person whom nobody will have in her house,” she went on, regardless of the fact that this was untrue and forgetting that she herself entertained him almost daily. “You are the talk of the Conservatoire,” she added, feeling that this was the argument that carried most weight; “another month of this life and your artistic future is shattered, whereas, without Charlus, you ought to be making at least a hundred thousand francs a year.” “But I have never heard anyone utter a word, I am astounded, I am very grateful to you,” Morel murmured, the tears starting to his eyes. But, being obliged at once to feign astonishment and to conceal his shame, he had turned redder and was perspiring more abundantly than if he had played all Beethoven′s sonatas in succession, and tears welled from his eyes which the Bonn Master would certainly not have drawn from him. “If you have never heard anything, you are unique in that respect. He is a gentleman with a vile reputation and the most shocking stories are told about him. I know that the police are watching him and that is perhaps the best thing for him if he is not to end like all those men, murdered by hooligans,” she went on, for as she thought of Charlus the memory of Mme. de Duras recurred to her, and in her frenzy of rage she sought to aggravate still further the wounds that she was inflicting on the unfortunate Charlie, and to avenge herself for those that she had received in the course of the evening. “Anyhow, even financially, he can be of no use to you, he is completely ruined since he has become the prey of people who are blackmailing him, and who can′t even make him fork out the price of the tune they call, still less can he pay you for your playing, for it is all heavily mortgaged, town house, country house, everything.” Morel was all the more ready to believe this lie since M. de Charlus liked to confide in him his relations with hooligans, a race for which the son of a valet, however debauched he may be, professes a feeling of horror as strong as his attachment to Bonapartist principles.
Déjà, dans l′esprit rusé de Morel, avait germé une combinaison analogue à ce qu′on appela, au xviiie siècle, le renversement des alliances. Décidé à ne jamais reparler à M. de Charlus, il retournerait le lendemain soir auprès de la nièce de Jupien, se chargeant de tout arranger. Malheureusement pour lui, ce projet devait échouer, M. de Charlus ayant le soir même avec Jupien un rendez-vous auquel l′ancien giletier n′osa manquer malgré les événements. D′autres, qu′on va voir, s′étant précipités du fait de Morel, quand Jupien en pleurant raconta ses malheurs au baron, celui-ci, non moins malheureux, lui déclara qu′il adoptait la petite abandonnée, qu′elle prendrait un des titres dont il disposait, probablement celui de Mlle d′Oléron, lui ferait donner un complément parfait d′instruction et faire un riche mariage. Promesses qui réjouirent profondément Jupien et laissèrent indifférente sa nièce, car elle aimait toujours Morel, lequel, par sottise ou cynisme, entrait en plaisantant dans la boutique quand Jupien était absent. « Qu′est-ce que vous avez, disait-il en riant, avec vos yeux cernés ? Des chagrins d′amour ? Dame, les années se suivent et ne se ressemblent pas. Après tout, on est bien libre d′essayer une chaussure, à plus forte raison une femme, et si cela n′est pas à votre piedÂ… » Il ne se fâcha qu′une fois parce qu′elle pleura, ce qu′il trouva lâche, un indigne procédé. On ne supporte pas toujours bien les larmes qu′on fait verser. Already, in the cunning mind of Morel, a plan was beginning to take shape similar to what was called in the eighteenth century the reversal of alliances. Determined never to speak to M. de Charlus again, he would return on the following evening to Jupien′s niece, and see that everything was made straight with her. Unfortunately for him this plan was doomed to failure, M. de Charlus having made an appointment for that very evening with Jupien, which the ex-tailor dared not fail to keep, in spite of recent events. Other events, as we shall see, having followed upon Morel′s action, when Jupien in tears told his tale of woe to the Baron, the latter, no less wretched, assured him that he would adopt the forsaken girl, that she should assume one of the titles that were at his disposal, probably that of Mlle. d′Oloron, that he would see that she received a thorough education, and furnish her with a rich husband. Promises which filled Jupien with joy and left his niece unmoved, for she was still in love with Morel, who, from stupidity or cynicism, used to come into the shop and tease her in Jupien′s absence. “What is the matter with you,” he would say with a laugh, “with those black marks under your eyes? A broken heart? Gad, the years pass and people change. After all, a man is free to try on a shoe, all the more a woman, and if she doesn′t fit him. . . . ” He lost his temper once only, because she cried, which he considered cowardly, unworthy of her. People are not always very tolerant of the tears which they themselves have provoked.
Mais nous avons trop anticipé, car tout ceci ne se passa qu′après la soirée Verdurin, que nous avons interrompue et qu′il faut reprendre où nous en étions. « Je ne me serais jamais douté, soupira Morel, en réponse à Mme Verdurin. — Naturellement on ne vous le dit pas en face, ça n′empêche pas que vous êtes la fable du Conservatoire, reprit méchamment Mme Verdurin, voulant montrer à Morel qu′il ne s′agissait pas uniquement de M. de Charlus, mais de lui aussi. Je veux bien croire que vous l′ignorez, et pourtant on ne se gêne guère. Demandez à Ski ce qu′on disait l′autre jour chez Chevillard, à deux pas de nous, quand vous êtes entré dans ma loge. C′est-à-dire qu′on vous montre du doigt. Je vous dirai que, pour moi, je n′y fais pas autrement attention ; ce que je trouve surtout c′est que ça rend un homme prodigieusement ridicule et qu′il est la risée de tous pour toute sa vie. — Je ne sais pas comment vous remercier », dit Charlie du ton dont on le dit à un dentiste qui vient de vous faire affreusement mal sans qu′on ait voulu le laisser voir, ou à un témoin trop sanguinaire qui vous a forcé à un duel pour une parole insignifiante dont il vous a dit : « Vous ne pouvez pas empocher ça. » « Je pense que vous avez du caractère, que vous êtes un homme, répondit Mme Verdurin, et que vous saurez parler haut et clair, quoiqu′il dise à tout le monde que vous n′oserez pas, qu′il vous tient. » Charlie, cherchant une dignité d′emprunt pour couvrir la sienne en lambeaux, trouva dans sa mémoire, pour l′avoir lu ou bien entendu dire, et proclama aussitôt : « Je n′ai pas été élevé à manger de ce pain-là. Dès ce soir je romprai avec M. de Charlus. La reine de Naples est bien partie, n′est-ce pas ?Â… Sans cela, avant de rompre avec lui, je lui aurais demandéÂ… — Ce n′est pas nécessaire de rompre entièrement avec lui, dit Mme Verdurin, désireuse de ne pas désorganiser le petit noyau. Il n′y a pas d′inconvénients à ce que vous le voyiez ici, dans notre petit groupe, où vous êtes apprécié, où on ne dira pas de mal de vous. Mais exigez votre liberté, et puis ne vous laissez pas traîner par lui chez toutes ces pécores, qui sont aimables par devant ; j′aurais voulu que vous entendiez ce qu′elles disaient par derrière. D′ailleurs, n′en ayez pas de regrets, non seulement vous vous enlevez une tache qui vous resterait toute la vie, mais au point de vue artistique, même s′il n′y avait pas cette honteuse présentation par Charlus, je vous dirais que de vous galvauder ainsi dans ce milieu de faux monde, cela vous donnerait un air pas sérieux, une réputation d′amateur, de petit musicien de salon, qui est terrible à votre âge. Je comprends que, pour toutes ces belles dames, c′est très commode de rendre des politesses à leurs amies en vous faisant venir à l′œil, mais c′est votre avenir d′artiste qui en ferait les frais. Je ne dis pas chez une ou deux. Vous parliez de la reine de Naples — qui est partie, en effet elle avait une soirée — celle-là, c′est une brave femme, et je vous dirai que je crois qu′elle fait peu de cas de Charlus et que c′est surtout pour moi qu′elle venait. Oui, oui, je sais qu′elle avait envie de nous connaître, M. Verdurin et moi. Cela c′est un endroit où vous pourrez jouer. Et puis je vous dirai qu′amené par moi, que les artistes connaissent, vous savez, pour qui ils ont toujours été très gentils, qu′ils considèrent un peu comme des leurs, comme leur Patronne, c′est tout différent. Mais gardez-vous surtout comme du feu d′aller chez Mme de Duras ! N′allez pas faire une boulette pareille ! Je connais des artistes qui sont venus me faire leurs confidences sur elle. Ils savent qu′ils peuvent se fier à moi, dit-elle du ton doux et simple qu′elle savait prendre subitement, en donnant à ses traits un air de modestie, à ses yeux un charme approprié, ils viennent comme ça me raconter leurs petites histoires ; ceux qu′on prétend le plus silencieux, ils bavardent quelquefois des heures avec moi et je ne peux pas vous dire ce qu′ils sont intéressants. Le pauvre Chabrier disait toujours : « Il n′y a que Mme Verdurin qui sache les faire parler. » Eh bien, vous savez, tous, mais je vous dis sans exception, je les ai vus pleurer d′avoir été jouer chez Mme de Duras. Ce n′est pas seulement les humiliations qu′elle s′amuse à leur faire faire par ses domestiques, mais ils ne pouvaient plus trouver d′engagement nulle part. Les directeurs disaient : « Ah ! oui, c′est celui qui joue chez Mme de Duras. » C′était fini. Il n′y a rien pour vous couper un avenir comme ça. Vous savez, les gens du monde ça ne donne pas l′air sérieux, on peut avoir tout le talent qu′on veut, c′est triste à dire, mais il suffit d′une Mme de Duras pour vous donner la réputation d′un amateur. Et pour les artistes, vous savez, moi, vous comprenez que je les connais, depuis quarante ans que je les fréquente, que je les lance, que je m′intéresse à eux, eh bien, vous savez, pour eux, quand ils ont dit « un amateur », ils ont tout dit. Et au fond on commençait à le dire de vous. Ce que de fois j′ai été obligée de me gendarmer, d′assurer que vous ne joueriez pas dans tel salon ridicule ! Savez-vous ce qu′on me répondait : « Mais il sera bien forcé, Charlus ne le consultera même pas, il ne lui demande pas son avis. » Quelqu′un a cru lui faire plaisir en lui disant : « Nous admirons beaucoup votre ami Morel. » Savez-vous ce qu′il a répondu, avec cet air insolent que vous connaissez : « Mais comment voulez-vous qu′il soit mon ami, nous ne sommes pas de la même classe, dites qu′il est ma créature, mon protégé. » À ce moment s′agitait sous le front bombé de la Déesse musicienne la seule chose que certaines personnes ne peuvent pas conserver pour elles, un mot qu′il est non seulement abject, mais imprudent de répéter. Mais le besoin de le répéter est plus fort que l′honneur, que la prudence. C′est à ce besoin que, après quelques mouvements convulsifs du front sphérique et chagrin, céda la Patronne : « On a même répété à mon mari qu′il avait dit : « mon domestique », mais cela je ne peux pas l′affirmer », ajouta-t-elle. C′est un besoin pareil qui avait contraint M. de Charlus, peu après avoir juré à Morel que personne ne saurait jamais d′où il était sorti, à dire à Mme Verdurin : « C′est le fils d′un valet de chambre. » Un besoin pareil encore, maintenant que le mot était lâché, le ferait circuler de personnes en personnes, qui se le confieraient sous le sceau d′un secret qui serait promis et non gardé comme elles avaient fait elles-mêmes. Ces mots finissaient, comme au jeu du furet, par revenir à Mme Verdurin, la brouillant avec l′intéressé, qui aurait fini par l′apprendre. Elle le savait, mais ne pouvait retenir le mot qui lui brûlait la langue. « Domestique » ne pouvait, d′ailleurs, que froisser Morel. Elle dit pourtant « domestique », et si elle ajouta qu′elle ne pouvait l′affirmer, ce fut à la fois pour paraître certaine du reste, grâce à cette nuance, et pour montrer de l′impartialité. Cette impartialité qu′elle montrait la toucha elle-même tellement, qu′elle commença à parler tendrement à Charlie : « Car voyez-vous, dit-elle, moi je ne lui fais pas de reproches, il vous entraîne dans son abîme, c′est vrai, mais ce n′est pas sa faute, puisqu′il y roule lui-même, puisqu′il y roule, répéta-t-elle assez fort, émerveillée de la justesse de l′image qui était partie plus vite que son attention ne la rattrapait que maintenant et tâchait de la mettre en valeur. Non, ce que je lui reproche, dit-elle d′un ton tendre — comme une femme ivre de son succès — c′est de manquer de délicatesse envers vous. Il y a des choses qu′on ne dit pas à tout le monde. Ainsi, tout à l′heure, il a parié qu′il allait vous faire rougir de plaisir en vous annonçant (par blague naturellement, car sa recommandation suffirait à vous empêcher de l′avoir) que vous auriez la croix de la Légion d′honneur. Cela passe encore, quoique je n′aie jamais beaucoup aimé, reprit-elle d′un air délicat et digne, qu′on dupe ses amis ; mais vous savez, il y a des riens qui nous font de la peine. C′est, par exemple, quand il nous raconte, en se tordant, que, si vous désirez la croix, c′est pour votre oncle et que votre oncle était larbin. — Il vous a dit cela » s′écria Charlie croyant, d′après ces mots habilement rapportés, à la vérité de tout ce qu′avait dit Mme Verdurin ! Mme Verdurin fut inondée de la joie d′une vieille maîtresse qui, sur le point d′être lâchée par son jeune amant, réussit à rompre son mariage. Et peut-être n′avait-elle pas calculé son mensonge ni même menti sciemment. Une sorte de logique sentimentale, peut-être, plus élémentaire encore, une sorte de réflexe nerveux, qui la poussait, pour égayer sa vie et préserver son bonheur, à « brouiller les cartes » dans le petit clan, faisait-elle monter impulsivement à ses lèvres, sans qu′elle eût le temps d′en contrôler la vérité, ces assertions diaboliquement utiles, sinon rigoureusement exactes. « Il nous l′aurait dit à nous seuls que cela ne ferait rien, reprit la Patronne, nous savons qu′il faut prendre et laisser de ce qu′il dit, et puis il n′y a pas de sot métier, vous avez votre valeur, vous êtes ce que vous valez ; mais qu′il aille faire tordre avec cela Mme de Portefin (Mme Verdurin la citait exprès parce qu′elle savait que Charlie aimait Mme de Portefin), c′est ce qui nous rend malheureux ; mon mari me disait en l′entendant : « j′aurais mieux aimé recevoir une gifle. » Car il vous aime autant que moi, vous savez, Gustave (on apprit ainsi que M. Verdurin s′appelait Gustave). Au fond c′est un sensible. — Mais je ne t′ai jamais dit que je l′aimais, murmura M. Verdurin faisant le bourru bienfaisant. C′est le Charlus qui l′aime. — Oh ! non, maintenant je comprends la différence, j′étais trahi par un misérable, et vous, vous êtes bon, s′écria avec sincérité Charlie. — Non, non, murmura Mme Verdurin pour garder sa victoire, car elle sentait ses mercredis sauvés, sans en abuser, misérable est trop dire ; il fait du mal, beaucoup de mal, inconsciemment ; vous savez, cette histoire de Légion d′honneur n′a pas duré très longtemps. Et il me serait désagréable de vous répéter tout ce qu′il a dit sur votre famille, dit Mme Verdurin, qui eût été bien embarrassée de le faire. — Oh ! cela a beau n′avoir duré qu′un instant, cela prouve que c′est un traître », s′écria Morel. C′est à ce moment que nous rentrâmes au salon. « Ah ! » s′écria M. de Charlus en voyant que Morel était là et en marchant vers le musicien avec le genre d′allégresse des hommes qui ont organisé savamment toute la soirée en vue d′un rendez-vous avec une femme, et qui, tout enivrés, ne se doutent guère qu′ils ont dressé eux-mêmes le piège où vont les saisir et, devant tout le monde, les rosser des hommes apostés par le mari : « Eh bien, enfin, ce n′est pas trop tôt ; êtes-vous content, jeune gloire et bientôt jeune chevalier de la Légion d′honneur ? Car bientôt vous pourrez montrer votre croix », dit M. de Charlus à Morel d′un air tendre et triomphant, mais, par ces mots mêmes de décoration, contresignant les mensonges de Mme Verdurin, qui apparurent une vérité indiscutable à Morel. « Laissez-moi, je vous défends de m′approcher, cria Morel au baron. Vous ne devez pas être à votre coup d′essai, je ne suis pas le premier que vous essayez de pervertir ! » Ma seule consolation était de penser que j′allais voir Morel et les Verdurin pulvérisés par M. de Charlus. Pour mille fois moins que cela j′avais essuyé ses colères de fou, personne n′était à l′abri d′elles, un roi ne l′eût pas intimidé. Or il se produisit cette chose extraordinaire. On vit M. de Charlus muet, stupéfait, mesurant son malheur sans en comprendre la cause, ne trouvant pas un mot, levant les yeux successivement sur toutes les personnes présentes, d′un air interrogateur, indigné, suppliant, et qui semblait leur demander moins encore ce qui s′était passé que ce qu′il devait répondre. Pourtant M. de Charlus possédait toutes les ressources, non seulement de l′éloquence, mais de l′audace, quand, pris d′une rage qui bouillonnait depuis longtemps contre quelqu′un, il le clouait de désespoir, par les mots les plus sanglants, devant les gens du monde scandalisés et qui n′avaient jamais cru qu′on pût aller si loin. M. de Charlus, dans ces cas-là, brûlait, se démenait en de véritables attaques nerveuses, dont tout le monde restait tremblant. Mais c′est que, dans ces cas-là, il avait l′initiative, il attaquait, il disait ce qu′il voulait (comme Bloch savait plaisanter des Juifs et rougissait si on prononçait leur nom devant lui). Peut-être, ce qui le rendait muet était-ce — en voyant que M. et Mme Verdurin détournaient les yeux et que personne ne lui porterait secours — la souffrance présente et l′effroi surtout des souffrances à venir ; ou bien que, ne s′étant pas d′avance, par l′imagination, monté la tête et forgé une colère, n′ayant pas de rage toute prête en mains, il avait été saisi et brusquement frappé, au moment où il était sans ses armes (car, sensitif, nerveux, hystérique, il était un vrai impulsif, mais un faux brave ; même, comme je l′avais toujours cru, et ce qui me le rendait assez sympathique, un faux méchant : les gens qu′il haî²³ait, il les haî²³ait parce qu′il s′en croyait méprisé ; eussent-ils été gentils pour lui, au lieu de se griser de colère contre eux il les eût embrassés, et il n′avait pas les réactions normales de l′homme d′honneur outragé) ; ou bien que, dans un milieu qui n′était pas le sien, il se sentait moins à l′aise et moins courageux qu′il n′eût été dans le Faubourg. Toujours est-il que, dans ce salon qu′il dédaignait, ce grand seigneur (à qui n′était pas plus essentiellement inhérente la supériorité sur les roturiers qu′elle ne le fut à tel de ses ancêtres angoissés devant le Tribunal révolutionnaire) ne sut, dans une paralysie de tous les membres et de la langue, que jeter de tous côtés des regards épouvantés, indignés par la violence qu′on lui faisait, aussi suppliants qu′interrogateurs. Dans une circonstance si cruellement imprévue, ce grand discoureur ne sut que balbutier : « Qu′est-ce que cela veut dire, qu′est-ce qu′il y a ? » On ne l′entendait même pas. Et la pantomime éternelle de la terreur panique a si peu changé, que ce vieux Monsieur, à qui il arrivait une aventure désagréable dans un salon parisien, répétait à son insu les quelques attitudes schématiques dans lesquelles la sculpture grecque des premiers âges stylisait l′épouvante des nymphes poursuivies par le Dieu Pan. But we have looked too far ahead, for all this did not happen until after the Verdurins′ party which we have interrupted, and we must go back to the point at which we left off. “I should never have suspected it,” Morel groaned, in answer to Mme. Verdurin. “Naturally people do not say it to your face, that does not prevent your being the talk of the Conservatoire,” Mme. Verdurin went on wickedly, seeking to make it plain to Morel that it was not only M. de Charlus that was being criticised, but himself also. “I can well believe that you know nothing about it; all the same, people are quite outspoken. Ask Ski what they were saying the other day at Chevillard′s within a foot of us when you came into my box. I mean to say, people point you out. As far as I′m concerned, I don′t pay the slightest attention, but what I do feel is that it makes a man supremely ridiculous and that he becomes a public laughing-stock for the rest of his life.” “I don′t know how to thank you,” said Charlie in the tone we use to a dentist who has just caused us terrible pain while we tried not to let him see it, or to a too bloodthirsty second who has forced us into a duel on account of some casual remark of which he has said: “You can′t swallow that.” “I believe that you have plenty of character, that you are a man,” replied Mme. Verdurin, “and that you will be capable of speaking out boldly, although he tells everybody that you would never dare, that he holds you fast.” Charlie, seeking a borrowed dignity in which to cloak the tatters of his own, found in his memory something that he had read or, more probably, heard quoted, and at once proclaimed: “I was not brought up to eat that sort of bread. This very evening I will break with M. de Charlus. The Queen of Naples has gone, hasn′t she? Otherwise, before breaking with him, I should like to ask him. . . . ” “It is not necessary to break with him altogether,” said Mme. Verdurin, anxious to avoid a disruption of the little nucleus. “There is no harm in your seeing him here, among our little group, where you are appreciated, where no one speaks any evil of you. But insist upon your freedom, and do not let him drag you about among all those sheep who are friendly to your face; I wish you could have heard what they were saying behind your back. Anyhow, you need feel no regret, not only are you wiping off a stain which would have marked you for the rest of your life, from the artistic point of view, even if there had not been this scandalous presentation by Charlus, I don′t mind telling you that wasting yourself like this in this sham society will make people suppose that you aren′t serious, give you an amateur reputation, as a little drawing-room performer, which is a terrible thing at your age. I can understand that to all those fine ladies it is highly convenient to be able to return their friends′ hospitality by making you come and play for nothing, but it is your future as an artist that would foot the bill. I don′t say that you shouldn′t go to one or two of them. You were speaking of the Queen of Naples — who has left, for she had to go on to another party — now she is a splendid woman, and I don′t mind saying that I think she has a poor opinion of Charlus and came here chiefly to please me. Yes, yes, I know she was longing to meet us, M. Verdurin and myself. That is a house in which you might play. And then I may tell you that if I take you — because the artists all know me, you understand, they have always been most obliging to me, and regard me almost as one of themselves, as their Mistress — that is a very different matter. But whatever you do, you must never go near Mme. de Duras! Don′t go and make a stupid blunder like that! I know several artists who have come here and told me all about her. They know they can trust me,” she said, in the sweet and simple tone which she knew how to adopt in an instant, imparting an appropriate air of modesty to her features, an appropriate charm to her eyes, “they come here, just like that, to tell me all their little troubles; the ones who are said to be most silent, go on chatting to me sometimes for hours on end and I can′t tell you how interesting they are. Poor Chabrier used always to say: ‘There′s nobody like Mme. Verdurin for getting them to talk.′ Very well, don′t you know, all of them, without one exception, I have seen them in tears because they had gone to play for Mme. de Duras. It is not only the way she enjoys making her servants humiliate them, they could never get an engagement anywhere else again. The agents would say: ‘Oh yes, the fellow who plays at Mme. de Duras′s.′ That settled it. There is nothing like that for ruining a man′s future. You know what society people are like, it′s not taken seriously, you may have all the talent in the world, it′s a dreadful thing to have to say, but one Mme. de Duras is enough to give you the reputation of an amateur. And among artists, don′t you know, well I, you can ask yourself whether I know them, when I have been moving among them for forty years, launching them, taking an interest in them; very well, when they say that somebody is an amateur, that finishes it. And people were beginning to say it of you. Indeed, at times I have been obliged to take up the cudgels, to assure them that you would not play in some absurd drawing-room! Do you know what the answer was: ‘But he will be forced to go, Charlus won′t even consult him, he never asks him for his opinion.′ Somebody thought he would pay him a compliment and said: ‘We greatly admire your friend Morel.′ Can you guess what answer he made, with that insolent air which you know? ‘But what do you mean by calling him my friend, we are not of the same class, say rather that he is my creature, my protégé.′” At this moment there stirred beneath the convex brows of the musical deity the one thing that certain people cannot keep to themselves, a saying which it is not merely abject but imprudent to repeat. But the need to repeat it is stronger than honour, than prudence. It was to this need that, after a few convulsive movements of her spherical and sorrowful brows, the Mistress succumbed: “Some one actually told my husband that he had said ‘my servant,′ but for that I cannot vouch,” she added. It was a similar need that had compelled M. de Charlus, shortly after he had sworn to Morel that nobody should ever know the story of his birth, to say to Mme. Verdurin: “His father was a flunkey.” A similar need again, now that the story had been started, would make it circulate from one person to another, each of whom would confide it under the seal of a secrecy which would be promised and not kept by the hearer, as by the informant himself. These stories would end, as in the game called hunt-the-thimble, by being traced back to Mme. Verdurin, bringing down upon her the wrath of the person concerned, who would at last have learned the truth. She knew this, but could not repress the words that were burning her tongue. Anyhow, the word ‘servant′ was bound to annoy Morel. She said ‘servant′ nevertheless, and if she added that she could not vouch for the word, this was so as at once to appear certain of the rest, thanks to this hint of uncertainty, and to shew her impartiality. This impartiality that she shewed, she herself found so touching that she began to speak affectionately to Charlie: “For, don′t you see,” she went on, “I am not blaming him, he is dragging you down into his abyss, it is true, but it is not his fault, since he wallows in it himself, since he wallows in it,” she repeated in a louder tone, having been struck by the aptness of the image which had taken shape so quickly that her attention only now overtook it and was trying to give it prominence. “No, the fault that I do find with him,” she said in a melting tone — like a woman drunken with her own success —“is a want of delicacy towards yourself. There are certain things which one does not say in public. Well, this evening, he was betting that he would make you blush with joy, by telling you (stuff and nonsense, of course, for his recommendation would be enough to prevent your getting it) that you were to have the Cross of the Legion of Honour. Even that I could overlook, although I have never quite liked,” she went on with a delicate, dignified air, “hearing a person make a fool of his friends, but, don′t you know, there are certain little things that one does resent. Such as when he told us, with screams of laughter, that if you want the Cross it′s to please your uncle and that your uncle was a footman.” “He told you that!” cried Charlie, believing, on the strength of this adroitly interpolated quotation, in the truth of everything that Mme. Verdurin had said! Mme. Verdurin was overwhelmed with the joy of an old mistress who, just as her young lover was on the point of deserting her, has succeeded in breaking off his marriage, and it is possible that she had not calculated her lie, that she was not even consciously lying. A sort of sentimental logic, something perhaps more elementary still, a sort of nervous reflex urging her, in order to brighten her life and preserve her happiness, to stir up trouble in the little clan, may have brought impulsively to her lips, without giving her time to check their veracity, these assertions diabolically effective if not rigorously exact. “If he had only repeated it to us, it wouldn′t matter,” the Mistress went on, “we know better than to listen to what he says, besides, what does a man′s origin matter, you have your own value, you are what you make yourself, but that he should use it to make Mme. de Portefin laugh” (Mme. Verdurin named this lady on purpose because she knew that Charlie admired her) “that is what vexes us: my husband said to me when he heard him: ‘I would sooner he had struck me in the face.′ For he is as fond of you as I am, don′t you know, is Gustave” (from this we learn that M. Verdurin′s name was Gustave). “He is really very sensitive.” “But I never told you I was fond of him,” muttered M. Verdurin, acting the kind-hearted curmudgeon. “It is Charlus that is fond of him.” “Oh, no! Now I realise the difference, I was betrayed by a scoundrel and you, you are good,” Charlie exclaimed in all sincerity. “No, no,” murmured Mme. Verdurin, seeking to retain her victory, for she felt that her Wednesdays were safe, but not to abuse it: “scoundrel is too strong; he does harm, a great deal of harm, unconsciously; you know that tale about the Legion of Honour was the affair of a moment. And it would be painful to me to repeat all that he said about your family,” said Mme. Verdurin, who would have been greatly embarrassed had she been asked to do so. “Oh, even if it only took a moment, it proves that he is a traitor,” cried Morel. It was at this moment that we returned to the drawing-room. “Ah!” exclaimed M. de Charlus when he saw that Morel was in the room, advancing upon him with the alacrity of the man who has skillfully organised a whole evening′s entertainment with a view to an assignation with a woman, and in his excitement never imagines that he has with his own hands set the snare in which he will presently be caught and publicly thrashed by bravoes stationed in readiness by her husband. “Well, after all it is none too soon; are you satisfied, young glory, and presently young knight of the Legion of Honour? For very soon you will be able to sport your Cross,” M. de Charlus said to Morel with a tender and triumphant air, but by the very mention of the decoration endorsed Mme. Verdurin′s lies, which appeared to Morel to be indisputable truth. “Leave me alone, I forbid you to come near me,” Morel shouted at the Baron. “You know what I mean, all right, I′m not the first young man you′ve tried to corrupt!” My sole consolation lay in the thought that I was about to see Morel and the Verdurins pulverised by M. de Charlus. For a thousand times less an offence I had been visited with his furious rage, no one was safe from it, a king would not have intimidated him. Instead of which, an extraordinary thing happened. One saw M. de Charlus dumb, stupefied, measuring the depths of his misery without understanding its cause, finding not a word to utter, raising his eyes to stare at each of the company in turn, with a questioning, outraged, suppliant air, which seemed to be asking them not so much what had happened as what answer he ought to make. And yet M. de Charlus possessed all the resources, not merely of eloquence but of audacity, when, seized by a rage which had long been simmering against some one, he reduced him to desperation, with the most outrageous speeches, in front of a scandalised society which had never imagined that anyone could go so far. M. de Charlus, on these occasions, burned, convulsed with a sort of epilepsy, which left everyone trembling. But in these instances he had the initiative, he launched the attack, he said whatever came into his mind (just as Bloch was able to make fun of Jews and blushed if the word Jew was uttered in his hearing). Perhaps what struck him speechless was — when he saw that M. and Mme. Verdurin turned their eyes from him and that no one was coming to his rescue — his anguish at the moment and, still more, his dread of greater anguish to come; or else that, not having lost his temper in advance, in imagination, and forged his thunderbolt, not having his rage ready as a weapon in his hand, he had been seized and dealt a mortal blow at the moment when he was unarmed (for, sensitive, neurotic, hysterical, his impulses were genuine, but his courage was a sham; indeed, as I had always thought, and this was what made me like him, his malice was a sham also: the people whom he hated, he hated because he thought that they looked down upon him; had they been civil to him, instead of flying into a furious rage with them, he would have taken them to his bosom, and he did not shew the normal reactions of a man of honour who has been insulted); or else that, in a sphere which was not his own, he felt himself less at his ease and less courageous than he would have been in the Faubourg. The fact remains that, in this drawing-room which he despised, this great nobleman (in whom his sense of superiority to the middle classes was no less essentially inherent than it had been in any of his ancestors who had stood in the dock before the Revolutionary Tribunal) could do nothing, in a paralysis of all his members, including his tongue, but cast in every direction glances of terror, outraged by the violence that had been done to him, no less suppliant than questioning. In a situation so cruelly unforeseen, this great talker could do no more than stammer: “What does it all mean, what has happened?” His question was not even heard. And the eternal pantomime of panic terror has so little altered, that this elderly gentleman, to whom a disagreeable incident had just occurred in a Parisian drawing-room, unconsciously repeated the various formal attitudes in which the Greek sculptors of the earliest times symbolised the terror of nymphs pursued by the Great Pan.
L′ambassadeur disgracié, le chef de bureau mis brusquement à la retraite, le mondain à qui on bat froid, l′amoureux éconduit examinent, parfois pendant des mois, l′événement qui a brisé leurs espérances ; ils le tournent et le retournent comme un projectile tiré on ne sait d′où ni on ne sait par qui, pour un peu comme un aérolithe. Ils voudraient bien connaître les éléments composants de cet étrange engin qui a fondu sur eux, savoir quelles volontés mauvaises on peut y reconnaître. Les chimistes, au moins, disposent de l′analyse ; les malades souffrant d′un mal dont ils ne savent pas l′origine peuvent faire venir le médecin ; les affaires criminelles sont plus ou moins débrouillées par le juge d′instruction. Mais les actions déconcertantes de nos semblables, nous en découvrons rarement les mobiles. Ainsi, M. de Charlus — pour anticiper sur les jours qui suivirent cette soirée à laquelle nous allons revenir — ne vit dans l′attitude de Charlie qu′une seule chose claire. Charlie, qui avait souvent menacé le baron de raconter quelle passion il lui inspirait, avait dû profiter pour le faire de ce qu′il se croyait maintenant suffisamment « arrivé » pour voler de ses propres ailes. Et il avait dû tout raconter, par pure ingratitude, à Mme Verdurin. Mais comment celle-ci s′était-elle laissé tromper (car le baron, décidé à nier, était déjà persuadé lui-même que les sentiments qu′on lui reprocherait étaient imaginaires) ? Des amis de Mme Verdurin, peut-être ayant eux-mêmes une passion pour Charlie, avaient préparé le terrain. En conséquence, M. de Charlus, les jours suivants, écrivit des lettres terribles à plusieurs « fidèles » entièrement innocents et qui le crurent fou ; puis il alla faire à Mme Verdurin un long récit attendrissant, lequel n′eut d′ailleurs nullement l′effet qu′il souhaitait. Car, d′une part, Mme Verdurin répétait au baron : « Vous n′avez qu′à ne plus vous occuper de lui, dédaignez-le, c′est un enfant. » Or le baron ne soupirait qu′après une réconciliation. D′autre part, pour amener celle-ci en supprimant à Charlie tout ce dont il s′était cru assuré, il demandait à Mme Verdurin de ne plus le recevoir ; ce à quoi elle opposa un refus qui lui valut des lettres irritées et sarcastiques de M. de Charlus. Allant d′une supposition à l′autre, le baron ne fit jamais la vraie : à savoir, que le coup n′était nullement parti de Morel. Il est vrai qu′il eût pu l′apprendre en lui demandant quelques minutes d′entretien. Mais il jugeait cela contraire à sa dignité et aux intérêts de son amour. Il avait été offensé, il attendait des explications. Il y a, d′ailleurs presque toujours, attachée à l′idée d′un entretien qui pourrait éclaircir un malentendu, une autre idée qui, pour quelque raison que ce soit, nous empêche de nous prêter à cet entretien. Celui qui s′est abaissé et a montré sa faiblesse dans vingt circonstances fera preuve de fierté la vingt et unième fois, la seule où il serait utile de ne pas s′entêter dans une attitude arrogante et de dissiper une erreur qui va s′enracinant chez l′adversaire faute de démenti. Quant au côté mondain de l′incident, le bruit se répandit que M. de Charlus avait été mis à la porte de chez les Verdurin au moment où il cherchait à violer un jeune musicien. Ce bruit fit qu′on ne s′étonna pas de voir M. de Charlus ne plus reparaître chez les Verdurin, et quand par hasard il rencontrait quelque part un des fidèles qu′il avait soupçonnés et insultés, comme celui-ci gardait rancune au baron, qui lui-même ne lui disait pas bonjour, les gens ne s′étonnaient pas, comprenant que personne dans le petit clan ne voulût plus saluer le baron. The ambassador who has been recalled, the undersecretary placed suddenly on the retired list, the man about town whom people began to cut, the lover who has been shewn the door examine sometimes for months on end the event that has shattered their hopes; they turn it over and over like a projectile fired at them they know not whence or by whom, almost as though it were a meteorite. They would fain know the elements that compose this strange engine which has burst upon them, learn what hostilities may be detected in them. Chemists have at least the power of analysis; sick men suffering from a malady the origin of which they do not know can send for the doctor; criminal mysteries are more or less solved by the examining magistrate. But when it comes to the disconcerting actions of our fellow-men, we rarely discover their motives. Thus M. de Charlus, to anticipate the days that followed this party to which we shall presently return, could see in Charlie′s attitude one thing alone that was self-evident. Charlie, who had often threatened the Baron that he would tell people of the passion that he inspired in him, must have seized the opportunity to do so when he considered that he had now sufficiently ‘arrived′ to be able to fly unaided. And he must, out of sheer ingratitude, have told Mme. Verdurin everything. But how had she allowed herself to be taken in (for the Baron, having made up his mind to deny the story, had already persuaded himself that the sentiments for which he was blamed were imaginary)? Some friends of Mme. Verdurin, who themselves perhaps felt a passion for Charlie, must have prepared the ground. Accordingly, M. de Charlus during the next few days wrote terrible letters to a number of the faithful, who were entirely innocent and concluded that he must be mad; then he went to Mme. Verdurin with a long and moving tale, which had not at all the effect that he desired. For in the first place Mme. Verdurin repeated to the Baron: “All you need do is not to bother about him, treat him with scorn, he is a mere boy.” Now the Baron longed only for a reconciliation. In the second place, to bring this about, by depriving Charlie of everything of which he had felt himself assured, he asked Mme. Verdurin not to invite him again; a request which she met with a refusal that brought upon her angry and sarcastic letters from M. de Charlus. Flitting from one supposition to another, the Baron never arrived at the truth, which was that the blow had not come from Morel. It is true that he might have learned this by asking him for a few minutes′ conversation. But he felt that this would injure his dignity and would be against the interests of his love. He had been insulted, he awaited an explanation. There is, for that matter, almost invariably, attached to the idea of a conversation which might clear up a misunderstanding, another idea which, whatever the reason, prevents us from agreeing to that conversation. The man who is abased and has shewn his weakness on a score of occasions, will furnish proofs of pride on the twenty-first, the only occasion on which it would serve him not to adopt a headstrong and arrogant attitude but to dispel an error which will take root in his adversary failing a contradiction. As for the social side of the incident, the rumour spread abroad that M. de Charlus had been turned out of the Verdurins′ house at the moment when he was attempting to rape a young musician. The effect of this rumour was that nobody was surprised when M. de Charlus did not appear again at the Verdurins′, and whenever he happened by chance to meet, anywhere else, one of the faithful whom he had suspected and insulted, as this person had a grudge against the Baron who himself abstained from greeting him, people were not surprised, realising that no member of the little clan would ever wish to speak to the Baron again.
Tandis que M. de Charlus, assommé sur le coup par les paroles que venait de prononcer Morel et l′attitude de la Patronne, prenait la pose de la nymphe en proie à la terreur panique, M. et Mme Verdurin s′étaient retirés vers le premier salon, comme en signe de rupture diplomatique, laissant seul M. de Charlus tandis que, sur l′estrade, Morel enveloppait son violon. « Tu vas nous raconter comment cela s′est passé, dit avidement Mme Verdurin à son mari. — Je ne sais pas ce que vous lui avez dit, il avait l′air tout ému, dit Ski, il a des larmes dans les yeux. » Feignant de ne pas avoir compris : « Je crois que ce que j′ai dit lui a été tout à fait indifférent », dit Mme Verdurin par un de ces manèges qui ne trompent pas, du reste, tout le monde, et pour forcer le sculpteur à répéter que Charlie pleurait, pleurs qui enivraient la Patronne de trop d′orgueil pour qu′elle voulût risquer que tel ou tel fidèle, qui pouvait avoir mal entendu, les ignorât. « Mais non, ce ne lui a pas été indifférent, puisque je voyais de grosses larmes qui brillaient dans ses yeux », dit le sculpteur sur un ton bas et souriant de confidence malveillante, tout en regardant de côté pour s′assurer que Morel était toujours sur l′estrade et ne pouvait pas écouter la conversation. Mais il y avait une personne qui l′entendait et dont la présence, aussitôt qu′on l′aurait remarquée, allait rendre à Morel une des espérances qu′il avait perdues. C′était la reine de Naples, qui, ayant oublié son éventail, avait trouvé plus aimable, en quittant une autre soirée où elle s′était rendue, de venir le rechercher elle-même. Elle était entrée tout doucement, comme confuse, s′apprêtant à s′excuser et à faire une courte visite maintenant qu′il n′y avait plus personne. Mais on ne l′avait pas entendue entrer, dans le feu de l′incident, qu′elle avait compris tout de suite et qui l′enflamma d′indignation. « Ski dit qu′il avait des larmes dans les yeux, as-tu remarqué cela ? Je n′ai pas vu de larmes. Ah ! si pourtant, je me rappelle, corrigea-t-elle dans la crainte que sa dénégation ne fût crue. Quant au Charlus, il n′en mène pas large, il devrait prendre une chaise, il tremble sur ses jambes, il va s′étaler », dit-elle avec un ricanement sans pitié. À ce moment Morel accourut vers elle : « Est-ce que cette dame n′est pas la reine de Naples ? demanda-t-il (bien qu′il sût que c′était elle) en montrant la souveraine qui se dirigeait vers Charlus. Après ce qui vient de se passer, je ne peux plus, hélas ! demander au baron de me présenter. — Attendez, je vais le faire », dit Mme Verdurin, et suivie de quelques fidèles, mais non de moi et de Brichot qui nous empressâmes d′aller demander nos affaires et de sortir, elle s′avança vers la Reine qui causait avec M. de Charlus. Celui-ci avait cru que la réalisation de son grand désir que Morel fût présenté à la reine de Naples ne pouvait être empêchée que par la mort improbable de la souveraine. Mais nous nous représentons l′avenir comme un reflet du présent projeté dans un espace vide, tandis qu′il est le résultat, souvent tout prochain, de causes qui nous échappent pour la plupart. Il n′y avait pas une heure de cela, et M. de Charlus eût tout donné pour que Morel ne fût pas présenté à la Reine. Mme Verdurin fit une révérence à la Reine. Voyant que celle-ci n′avait pas l′air de la reconnaître : « Je suis Mme Verdurin. Votre Majesté ne me reconnaît pas. — Très bien », dit la Reine en continuant si naturellement à parler à M. de Charlus, et d′un air si parfaitement absent que Mme Verdurin douta si c′était à elle que s′adressait ce « très bien » prononcé sur une intonation merveilleusement distraite, qui arracha à M. de Charlus, au milieu de sa douleur d′amant, un sourire de reconnaissance expert et friand en matière d′impertinence. Morel, voyant de loin les préparatifs de la présentation, s′était rapproché. La Reine tendit son bras à M. de Charlus. Contre lui aussi elle était fâchée, mais seulement parce qu′il ne faisait pas face plus énergiquement à de vils insulteurs. Elle était rouge de honte pour lui que les Verdurin osassent le traiter ainsi. La sympathie pleine de simplicité qu′elle leur avait témoignée, il y a quelques heures, et l′insolente fierté avec laquelle elle se dressait devant eux prenaient leur source au même point de son cœur. La Reine, en femme pleine de bonté, concevait la bonté d′abord sous la forme de l′inébranlable attachement aux gens qu′elle aimait, aux siens, à tous les princes de sa famille, parmi lesquels était M. de Charlus, ensuite à tous les gens de la bourgeoisie ou du plus humble peuple qui savaient respecter ceux qu′elle aimait et avoir pour eux de bons sentiments. C′était en tant qu′à une femme douée de ces bons instincts qu′elle avait manifesté de la sympathie à Mme Verdurin. Et, sans doute, c′est là une conception étroite, un peu tory et de plus en plus surannée de la bonté. Mais cela ne signifie pas que la bonté fût moins sincère et moins ardente chez elle. Les anciens n′aimaient pas moins fortement le groupement humain auquel ils se dévouaient parce que celui-ci n′excédait pas les limites de la cité, ni les hommes d′aujourd′hui la patrie, que ceux qui aimeront les États-Unis de toute la terre. Tout près de moi, j′ai eu l′exemple de ma mère que Mme de Cambremer et Mme de Guermantes n′ont jamais pu décider à faire partie d′aucune œuvre philanthropique, d′aucun patriotique ouvroir, à être jamais vendeuse ou patronnesse. Je suis loin de dire qu′elle ait eu raison de n′agir que quand son cœur avait d′abord parlé et de réserver à sa famille, à ses domestiques, aux malheureux que le hasard mit sur son chemin, ses richesses d′amour et de générosité ; mais je sais bien que celles-là, comme celles de ma grand′mère, furent inépuisables et dépassèrent de bien loin tout ce que purent et firent jamais Mme de Guermantes ou de Cambremer. Le cas de la reine de Naples était entièrement différent, mais enfin il faut reconnaître que les êtres sympathiques n′étaient pas du tout conçus par elle comme ils le sont dans ces romans de Dostoski qu′Albertine avait pris dans ma bibliothèque et accaparés, c′est-à-dire sous les traits de parasites flagorneurs, voleurs, ivrognes, tantôt plats et tantôt insolents, débauchés, au besoin assassins. D′ailleurs, les extrêmes se rejoignent, puisque l′homme noble, le proche, le parent outragé que la Reine voulait défendre, était M. de Charlus, c′est-à-dire, malgré sa naissance et toutes les parentés qu′il avait avec la Reine, quelqu′un dont la vertu s′entourait de beaucoup de vices. « Vous n′avez pas l′air bien, mon cher cousin, dit-elle à M. de Charlus. Appuyez-vous sur mon bras. Soyez sûr qu′il vous soutiendra toujours. Il est assez solide pour cela. » Puis levant fièrement les yeux devant elle (en face de qui, me raconta Ski, se trouvaient alors Mme Verdurin et Morel) : « Vous savez qu′autrefois à Gaète il a déjà tenu en respect la canaille. Il saura vous servir de rempart. » Et c′est ainsi, emmenant à son bras le baron, et sans s′être laissé présenter Morel, que sortit la glorieuse sœur de l′impératrice Élisabeth. On pouvait croire, avec le caractère terrible de M. de Charlus, les persécutions dont il terrorisait jusqu′à ses parents, qu′il allait, à la suite de cette soirée, déchaîner sa fureur et exercer des représailles contre les Verdurin. Nous avons vu pourquoi il n′en fut rien tout d′abord. Puis le baron, ayant pris froid à quelque temps de là et contracté une de ces pneumonies infectieuses qui furent très fréquentes alors, fut longtemps jugé par ses médecins, et se jugea lui-même, comme à deux doigts de la mort, et resta plusieurs mois suspendu entre elle et la vie. Y eut-il simplement une métastase physique, et le remplacement par un mal différent de la névrose, qui l′avait jusque-là fait s′oublier jusque dans des orgies de colère ? Car il est trop simple de croire que, n′ayant jamais pris au sérieux, du point de vue social, les Verdurin, mais ayant fini par comprendre le rôle qu′ils avaient joué, il ne pouvait leur en vouloir comme à ses pairs ; trop simple aussi de rappeler que les nerveux, irrités à tout propos, contre des ennemis imaginaires et inoffensifs, deviennent, au contraire, inoffensifs dès que quelqu′un prend contre eux l′offensive, et qu′on les calme mieux en leur jetant de l′eau froide à la figure qu′en tâchant de leur démontrer l′inanité de leurs griefs. Ce n′est probablement pas dans une métastase qu′il faut chercher l′explication de cette absence de rancune, bien plutôt dans la maladie elle-même. Elle causait de si grandes fatigues au baron qu′il lui restait peu de loisir pour penser aux Verdurin. Il était à demi mourant. Nous parlions d′offensive ; même celles qui n′auront que des effets posthumes requièrent, si on les veut « monter » convenablement, le sacrifice d′une partie de ses forces. Il en restait trop peu à M. de Charlus pour l′activité d′une préparation. On parle souvent d′ennemis mortels qui rouvrent les yeux pour se voir réciproquement à l′article de la mort et qui les referment heureux. Ce cas doit être rare, excepté quand la mort nous surprend en pleine vie. C′est, au contraire, au moment où on n′a plus rien à perdre qu′on ne s′embarrasse pas des risques que, plein de vie, on eût assumés légèrement. L′esprit de vengeance fait partie de la vie, il nous abandonne le plus souvent — malgré des exceptions qui, au sein d′un même caractère, on le verra, sont d′humaines contradictions — au seuil de la mort. Après avoir pensé un instant aux Verdurin, M. de Charlus se sentait trop fatigué, se retournait contre son mur et ne pensait plus à rien. S′il se taisait souvent ainsi, ce n′est pas qu′il eût perdu son éloquence. Elle coulait encore de source, mais avait changé. Détachée des violences qu′elle avait ornées si souvent, ce n′était plus qu′une éloquence quasi mystique qu′embellissaient des paroles de douceur, des paraboles de l′Évangile, une apparente résignation à la mort. Il parlait surtout les jours où il se croyait sauvé. Une rechute le faisait taire. Cette chrétienne douceur, où s′était transposée sa magnifique violence (comme en Esther le génie si différent d′Andromaque), faisait l′admiration de ceux qui l′entouraient. Elle eût fait celle des Verdurin eux-mêmes, qui n′auraient pu s′empêcher d′adorer un homme que ses défauts leur avaient fait haî°® Certes, des pensées qui n′avaient de chrétien que l′apparence surnageaient. Il implorait l′Archange Gabriel de venir lui annoncer, comme au prophète, dans combien de temps lui viendrait le Messie. Et s′interrompant d′un doux sourire douloureux, il ajoutait : « Mais il ne faudrait pas que l′Archange me demandât, comme à Daniel, de patienter « sept semaines et soixante-deux semaines », car je serai mort avant. » Celui qu′il attendait ainsi était Morel. Aussi demandait-il aussi à l′Archange Raphaël de le lui ramener comme le jeune Tobie. Et, mêlant des moyens plus humains (comme les Papes malades qui, tout en faisant dire des messes, ne négligent pas de faire appeler leur médecin), il insinuait à ses visiteurs que si Brichot lui ramenait rapidement son jeune Tobie, peut-être l′Archange Raphaël consentirait-il à lui rendre la vue comme au père de Tobie, ou comme dans la piscine probatique de Bethsa. Mais, malgré ces retours humains, la pureté morale des propos de M. de Charlus n′en était pas moins devenue délicieuse. Vanité, médisance, folie de méchanceté et d′orgueil, tout cela avait disparu. Moralement M. de Charlus s′était élevé bien au-dessus du niveau où il vivait naguère. Mais ce perfectionnement moral, sur la réalité duquel son art oratoire était, du reste, capable de tromper quelque peu ses auditeurs attendris, ce perfectionnement disparut avec la maladie qui avait travaillé pour lui. M. de Charlus redescendit sa pente avec une vitesse que nous verrons progressivement croissante. Mais l′attitude des Verdurin envers lui n′était déjà plus qu′un souvenir un peu éloigné que des colères plus immédiates empêchèrent de se raviver. While M. de Charlus, rendered speechless by Morel′s words and by the attitude of the Mistress, stood there in the pose of the nymph a prey to Panic terror, M. and Mme. Verdurin had retired to the outer drawing-room, as a sign of diplomatic rupture, leaving M. de Charlus by himself, while on the platform Morel was putting his violin in its case. “Now you must tell us exactly what happened,” Mme. Verdurin appealed avidly to her husband. “I don′t know what you can have said to him, he looked quite upset,” said Ski, “there are tears in his eyes.” Pretending not to have understood: “I′m sure, nothing that I said could make any difference to him,” said Mme. Verdurin, employing one of those stratagems which do not deceive everybody, so as to force the sculptor to repeat that Charlie was in tears, tears which filled the Mistress with too much pride for her to be willing to run the risk that one or other of the faithful, who might not have heard what was said, remained in ignorance of them. “No, it has made a difference, for I saw big tears glistening in his eyes,” said the sculptor in a low tone with a smile of malicious connivance, and a sidelong glance to make sure that Morel was still on the platform and could not overhear the conversation. But there was somebody who did overhear, and whose presence, as soon as it was observed, was to restore to Morel one of the hopes that he had forfeited. This was the Queen of Naples, who, having left her fan behind, had thought it more polite, on coming away from another party to which she had gone on, to call for it in person. She had entered the room quite quietly, as though she were ashamed of herself, prepared to make apologies for her presence, and to pay a little call upon her hostess now that all the other guests had gone. But no one had heard her come in, in the heat of the incident the meaning of which she had at once gathered, and which set her ablaze with indignation. “Ski says that he had tears in his eyes, did you notice that? I did not see any tears. Ah, yes, I remember now,” she corrected herself, in the fear that her denial might not be believed. “As for Charlus, he′s not far off them, he ought to take a chair, he′s tottering on his feet, he′ll be on the floor in another minute,” she said with a pitiless laugh. At that moment Morel hastened towards her: “Isn′t that lady the Queen of Naples?” he asked (albeit he knew quite well that she was), pointing to Her Majesty who was making her way towards Charlus. “After what has just happened, I can no longer, I′m afraid, ask the Baron to present me.” “Wait, I shall take you to her myself,” said Mme. Verdurin, and, followed by a few of the faithful, but not by myself and Brichot who made haste to go and call for our hats and coats, she advanced upon the Queen who was talking to M. de Charlus. He had imagined that the realisation of his great desire that Morel should be presented to the Queen of Naples could be prevented only by the improbable demise of that lady. But we picture the future as a reflexion of the present projected into empty space, whereas it is the result, often almost immediate, of causes which for the most part escape our notice. Not an hour had passed, and now M. de Charlus would have given everything he possessed in order that Morel should not be presented to the Queen. Mme. Verdurin made the Queen a curtsey. Seeing that the other appeared not to recognise her: “I am Mme. Verdurin. Your Majesty does not remember me.” “Quite well,” said the Queen as she continued so naturally to converse with M. de Charlus and with an air of such complete indifference that Mme. Verdurin doubted whether it was to herself that this ‘Quite well′ had been addressed, uttered with a marvellously detached intonation, which wrung from M. de Charlus, despite his broken heart, a smile of expert and delighted appreciation of the art of impertinence. Morel, who had watched from the distance the preparations for his presentation, now approached. The Queen offered her arm to M. de Charlus. With him, too, she was vexed, but only because he did not make a more energetic stand against vile detractors. She was crimson with shame for him whom the Verdurins dared to treat in this fashion. The entirely simple civility which she had shewn them a few hours earlier, and the arrogant pride with which she now stood up to face them, had their source in the same region of her heart. The Queen, as a woman full of good nature, regarded good nature first and foremost in the form of an unshakable attachment to the people whom she liked, to her own family, to all the Princes of her race, among whom was M. de Charlus, and, after them, to all the people of the middle classes or of the humblest populace who knew how to respect those whom she liked and felt well-disposed towards them. It was as to a woman endowed with these sound instincts that she had shewn kindness to Mme. Verdurin. And, no doubt, this is a narrow conception, somewhat Tory, and increasingly obsolete, of good nature. But this does not mean that her good nature was any less genuine or ardent. The ancients were no less strongly attached to the group of humanity to which they devoted themselves because it did not exceed the limits of their city, nor are the men of to-day to their country than will be those who in the future love the United States of the World. In my own immediate surroundings, I have had an example of this in my mother whom Mme. de Cambremer and Mme. de Guermantes could never persuade to take part in any philanthropic undertaking, to join any patriotic workroom, to sell or to be a patroness at any bazaar. I do not go so far as to say that she was right in doing good only when her heart had first spoken, and in reserving for her own family, for her servants, for the unfortunate whom chance brought in her way, her treasures of love and generosity, but I do know that these, like those of my grandmother, were unbounded and exceeded by far anything that Mme. de Guermantes or Mme. de Cambremer ever could have done or did. The case of the Queen of Naples was altogether different, but even here it must be admitted that her conception of deserving people was not at all that set forth in those novels of Dostoievski which Albertine had taken from my shelves and devoured, that is to say in the guise of wheedling parasites, thieves, drunkards, at one moment stupid, at another insolent, debauchees, at a pinch murderers. Extremes, however, meet, since the noble man, the brother, the outraged kinsman whom the Queen sought to defend, was M. de Charlus, that is to say, notwithstanding his birth and all the family ties that bound him to the Queen, a man whose virtue was hedged round by many vices. “You do not look at all well, my dear cousin,” she said to M. de Charlus. “Lean upon my arm. Be sure that it will still support you. It is firm enough for that.” Then, raising her eyes proudly to face her adversaries (at that moment, Ski told me, there were in front of her Mme. Verdurin and Morel), “You know that, in the past, at Gaeta, it held the mob in defiance. It will be able to serve you as a rampart.” And it was thus, taking the Baron on her arm and without having allowed Morel to be presented to her, that the splendid sister of the Empress Elisabeth left the house. It might be supposed, in view of M. de Charlus′s terrible nature, the persecutions with which he terrorised even his own family, that he would, after the events of this evening, let loose his fury and practise reprisals upon the Verdurins. We have seen why nothing of this sort occurred at first. Then the Baron, having caught cold shortly afterwards, and contracted the septic pneumonia which was very rife that winter, was for long regarded by his doctors, and regarded himself, as being at the point of death, and lay for many months suspended between it and life. Was there simply a physical change, and the substitution of a different malady for the neurosis that had previously made him lose all control of himself in his outbursts of rage? For it is too obvious to suppose that, having never taken the Verdurins seriously, from the social point of view, but having come at last to understand the part that they had played, he was unable to feel the resentment that he would have felt for any of his equals; too obvious also to remember that neurotics, irritated on the slightest provocation by imaginary and inoffensive enemies, become on the contrary inoffensive as soon as anyone takes the offensive against them, and that we can calm them more easily by flinging cold water in their faces than by attempting to prove to them the inanity of their grievances. It is probably not in a physical change that we ought to seek the explanation of this absence of rancour, but far more in the malady itself. It exhausted the Baron so completely that he had little leisure left in which to think about the Verdurins. He was almost dead. We mentioned offensives; even those which have only a posthumous effect require, if we are to ‘stage′ them properly, the sacrifice of a part of our strength. M. de Charlus had too little strength left for the activity of a preparation. We hear often of mortal enemies who open their eyes to gaze upon one another in the hour of death and close them again, made happy. This must be a rare occurrence, except when death surprises us in the midst of life. It is, on the contrary, at the moment when we have nothing left to lose, that we are not bothered by the risks which, when full of life, we would lightly have undertaken. The spirit of vengeance forms part of life, it abandons us as a rule — notwithstanding certain exceptions which, occurring in the heart of the same person, are, as we shall see, human contradictions — on the threshold of death. After having thought for a moment about the Verdurins, M. de Charlus felt that he was too weak, turned his face to the wall, and ceased to think about anything. If he often lay silent like this, it was not that he had lost his eloquence. It still flowed from its source, but it had changed. Detached from the violence which it had so often adorned, it was no more now than an almost mystic eloquence decorated with words of meekness, words from the Gospel, an apparent resignation to death. He talked especially on the days when he thought that he would live. A relapse made him silent. This Christian meekness into which his splendid violence was transposed (as is in Esther the so different genius of Andromaque) provoked the admiration of those who came to his bedside. It would have provoked that of the Verdurins themselves, who could not have helped adoring a man whom his weakness had made them hate. It is true that thoughts which were Christian only in appearance rose to the surface. He implored the Archangel Gabriel to appear and announce to him, as to the Prophet, at what time the Messiah would come to him. And, breaking off with a sweet and sorrowful smile, he would add: “But the Archangel must not ask me, as he asked Daniel, to have patience for ‘seven weeks, and threescore and two weeks,′ for I should be dead before then.” The person whom he awaited thus was Morel. And so he asked the Archangel Raphael to bring him to him, as he had brought the young Tobias. And, introducing more human methods (like sick Popes who, while ordering masses to be said, do not neglect to send for their doctors), he insinuated to his visitors that if Brichot were to bring him without delay his young Tobias, perhaps the Archangel Raphael would consent to restore Brichot′s sight, as he had done to the father of Tobias, or as had happened in the sheep-pool of Bethesda. But, notwithstanding these human lapses, the moral purity of M. de Charlus′s conversation had none the less become alarming. Vanity, slander, the insanity of malice and pride, had alike disappeared. Morally M. de Charlus had been raised far above the level at which he had lived in the past. But this moral perfection, as to the reality of which his oratorical art was for that matter capable of deceiving more than one of his compassionate audience, this perfection vanished with the malady which had laboured on its behalf. M. de Charlus returned along the downward slope with a rapidity which, as we shall see, continued steadily to increase. But the Verdurins′ attitude towards him was by that time no more than a somewhat distant memory which more immediate outbursts prevented from reviving.
Pour revenir en arrière, à la soirée Verdurin, quand les maîtres de maison furent seuls, M. Verdurin dit à sa femme : « Tu sais où est allé Cottard ? Il est auprès de Saniette dont le coup de bourse pour se rattraper a échoué. En arrivant chez lui tout à l′heure, après nous avoir quittés, en apprenant qu′il n′avait plus un franc et qu′il avait près d′un million de dettes, Saniette a eu une attaque. — Mais aussi pourquoi a-t-il joué, c′est idiot, il est l′être le moins fait pour ça. De plus fins que lui y laissent leurs plumes, et lui était destiné à se laisser rouler par tout le monde. — Mais, bien entendu, il y a longtemps que nous savons qu′il est idiot, dit M. Verdurin. Mais enfin le résultat est là. Voilà un homme qui sera mis demain à la porte par son propriétaire, qui va se trouver dans la dernière misère ; ses parents ne l′aiment pas, ce n′est pas Forcheville qui fera quelque chose pour lui. Alors j′avais pensé, je ne veux rien faire qui te déplaise, mais nous aurions peut-être pu lui faire une petite rente pour qu′il ne s′aperçoive pas trop de sa ruine, qu′il puisse se soigner chez lui. — Je suis tout à fait de ton avis, c′est très bien de ta part d′y avoir pensé. Mais tu dis « chez lui » ; cet imbécile a gardé un appartement trop cher, ce n′est plus possible, il faudrait lui louer quelque chose avec deux pièces. Je crois qu′actuellement il a encore un appartement de six à sept mille francs. — Six mille cinq cents. Mais il tient beaucoup à son chez lui. En somme, il a eu une première attaque, il ne pourra guère vivre plus de deux ou trois ans. Mettons que nous dépensions dix mille francs pour lui pendant trois ans. Il me semble que nous pourrions faire cela. Nous pourrions, par exemple, cette année, au lieu de relouer la Raspelière, prendre quelque chose de plus modeste. Avec nos revenus, il me semble que sacrifier chaque année dix mille francs pendant trois ans ce n′est pas impossible. — Soit, seulement l′ennui c′est que ça se saura, ça obligera à le faire pour d′autres. — Tu peux croire que j′y ai pensé. Je ne le ferai qu′à la condition expresse que personne ne le sache. Merci, je n′ai pas envie que nous soyons obligés de devenir les bienfaiteurs du genre humain. Pas de philanthropie ! Ce qu′on pourrait faire, c′est de lui dire que cela lui a été laissé par la princesse Sherbatoff. — Mais le croira-t-il ? Elle a consulté Cottard pour son testament. — À l′extrême rigueur, on peut mettre Cottard dans la confidence, il a l′habitude du secret professionnel, il gagne énormément d′argent, ce ne sera jamais un de ces officieux pour qui on est obligé de casquer. Il voudra même peut-être se charger de dire que c′est lui que la princesse avait pris comme intermédiaire. Comme ça nous ne paraîtrions même pas. Ça éviterait l′embêtement des scènes de remerciements, des manifestations, des phrases. » M. Verdurin ajouta un mot qui signifiait évidemment ce genre de scènes touchantes et de phrases qu′ils désiraient éviter. Mais il n′a pu m′être dit exactement, car ce n′était pas un mot français, mais un de ces termes comme on en a dans certaines familles pour désigner certaines choses, surtout des choses agaçantes, probablement parce qu′on veut pouvoir les signaler devant les intéressés sans être compris ! Ce genre d′expressions est généralement un reliquat contemporain d′un état antérieur de la famille. Dans une famille juive, par exemple, ce sera un terme rituel détourné de son sens, et peut-être le seul mot hébreu que la famille, maintenant francisée, connaisse encore. Dans une famille très fortement provinciale, ce sera un terme du patois de la province, bien que la famille ne parle plus et ne comprenne même plus le patois. Dans une famille venue de l′Amérique du Sud et ne parlant plus que le français, ce sera un mot espagnol. Et, à la génération suivante, le mot n′existera plus qu′à titre de souvenir d′enfance. On se rappellera bien que les parents, à table, faisaient allusion aux domestiques qui servaient sans être compris d′eux, en disant tel mot, mais les enfants ignorent ce que voulait dire au juste ce mot, si c′était de l′espagnol, de l′hébreu, de l′allemand, du patois, si même cela avait jamais appartenu à une langue quelconque et n′était pas un nom propre, ou un mot entièrement forgé. Le doute ne peut être éclairci que si on a un grand-oncle, un vieux cousin encore vivant, et qui a dû user du même terme. Comme je n′ai connu aucun parent des Verdurin, je n′ai pu restituer exactement le mot. Toujours est-il qu′il fit certainement sourire Mme Verdurin, car l′emploi de cette langue moins générale, plus personnelle, plus secrète, que la langue habituelle donne à ceux qui en usent entre eux un sentiment égoî²´e qui ne va jamais sans une certaine satisfaction. Cet instant de gaîté passé : « Mais si Cottard en parle, objecta Mme Verdurin. — Il n′en parlera pas. » Il en parla, à moi du moins, car c′est par lui que j′appris ce fait quelques années plus tard, à l′enterrement même de Saniette. Je regrettai de ne l′avoir pas su plus tôt. D′abord cela m′eût acheminé plus rapidement à l′idée qu′il ne faut jamais en vouloir aux hommes, jamais les juger d′après tel souvenir d′une méchanceté car nous ne savons pas tout ce qu′à d′autres moments leur âme a pu vouloir sincèrement et réaliser de bon ; sans doute, la forme mauvaise qu′on a constatée une fois pour toutes reviendra, mais l′âme est bien plus riche que cela, a bien d′autres formes qui reviendront, elles aussi, chez ces hommes, et dont nous refusons la douceur à cause du mauvais procédé qu′ils ont eu. Ensuite, à un point de vue plus personnel, cette révélation de Cottard n′eût pas été sans effet sur moi, parce qu′en changeant mon opinion des Verdurin, cette révélation, s′il me l′eût faite plus tôt, eût dissipé les soupçons que j′avais sur le rôle que les Verdurin pouvaient jouer entre Albertine et moi, les eût dissipés, peut-être à tort du reste, car si M. Verdurin — que je croyais de plus en plus le plus méchant des hommes — avait des vertus, il n′en était pas moins taquin jusqu′à la plus féroce persécution et jaloux de domination dans le petit clan jusqu′à ne pas reculer devant les pires mensonges, devant la fomentation des haines les plus injustifiées, pour rompre entre les fidèles les liens qui n′avaient pas pour but exclusif le renforcement du petit groupe. C′était un homme capable de désintéressement, de générosités sans ostentation, cela ne veut pas dire forcément un homme sensible, ni un homme sympathique, ni scrupuleux, ni véridique, ni toujours bon. Une bonté partielle, où subsistait peut-être un peu de la famille amie de ma grand′tante, existait probablement chez lui, par ce fait, avant que je la connusse, comme l′Amérique ou le pôle Nord avant Colomb ou Peary. Néanmoins, au moment de ma découverte, la nature de M. Verdurin me présenta une face nouvelle insoupçonnée ; et je conclus à la difficulté de présenter une image fixe aussi bien d′un caractère que des sociétés et des passions. Car il ne change pas moins qu′elles et si on veut clicher ce qu′il a de relativement immuable, on le voit présenter successivement des aspects différents (impliquant qu′il ne sait pas garder l′immobilité, mais bouge) à l′objectif déconcerté. To turn back to the Verdurins′ party, when the host and hostess were by themselves, M. Verdurin said to his wife: “You know where Cottard has gone? He is with Saniette: he has been speculating to put himself straight and has gone smash. When he got home just now after leaving us, and learned that he hadn′t a penny in the world and nearly a million francs of debts, Saniette had a stroke.” “But then, why did he gamble, it′s idiotic, he was the last person in the world to succeed at that game. Cleverer men than he get plucked at it, and he was born to let himself be swindled by every Tom, Dick and Harry.” “Why, of course, we have always known that he was an idiot,” said M. Verdurin. “Anyhow, this is the result. Here you have a man who will be turned out of house and home to-morrow by his landlord, who is going to find himself utterly penniless; his family don′t like him, Forcheville is the last man in the world to do anything for him. And so it occurred to me, I don′t wish to do anything that doesn′t meet with your approval, but we might perhaps be able to scrape up a small income for him so that he shan′t be too conscious of his ruin, so that he can keep a roof over his head.” “I entirely agree with you, it is very good of you to have thought of it. But you say ‘a roof; the imbecile has kept on an apartment beyond his means, he can′t remain in it, we shall have to find him a couple of rooms somewhere. I understand that at the present moment he is still paying six or seven thousand francs for his apartment.” “Six thousand, five hundred. But he is greatly attached to his home. In short, he has had his first stroke, he can scarcely live more than two or three years. Suppose we were to allow him ten thousand francs for three years. It seems to me that we should be able to afford that. We might for instance this year, instead of taking la Raspelière again, get hold of something on a simpler scale. With our income, it seems to me that to sacrifice ten thousand francs a year for three years is not out of the question.” “Very well, there′s only the nuisance that people will get to know about it, we shall be expected to do it again for others.” “Believe me, I have thought about that. I shall do it only upon the express condition that nobody knows anything about it. Thank you, I have no desire that we should become the benefactors of the human race. No philanthropy! What we might do is to tell him that the money has been left to him by Princess Sherbatoff.” “But will he believe it? She consulted Cottard about her will.” “If the worse comes to the worst, we might take Cottard into our confidence, he is used to professional secrecy, he makes an enormous amount of money, he won′t be like one of those busybodies one is obliged to hush up. He may even be willing to say, perhaps, that it was himself that the Princess appointed as her agent. In that way we shouldn′t even appear. That would avoid all the nuisance of scenes, and gratitude, and speeches.” M. Verdurin added an expression which made quite plain the kind of touching scenes and speeches which they were anxious to avoid. But it cannot have been reported to me correctly, for it was not a French expression, but one of those terms that are to be found in certain families to denote certain things, annoying things especially, probably because people wish to indicate them in the hearing of the persons concerned without being understood! An expression of this sort is generally a survival from an earlier condition of the family. In a Jewish family, for instance, it will be a ritual term diverted from its true meaning, and perhaps the only Hebrew word with which the family, now thoroughly French, is still acquainted. In a family that is strongly provincial, it will be a term in the local dialect, albeit the family no longer speaks or even understands that dialect. In a family that has come from South America and no longer speaks anything but French, it will be a Spanish word. And, in the next generation, the word will no longer exist save as a childish memory. They may remember quite well that their parents at table used to allude to the servants who were waiting, without being understood by them, by employing some such word, but the children cannot tell exactly what the word meant, whether it was Spanish, Hebrew, German, dialect, if indeed it ever belonged to any language and was not a proper name or a word entirely forged. The uncertainty can be cleared up only if they have a great-uncle, a cousin still surviving who must have used the same expression. As I never knew any relative of the Verdurins, I have never been able to reconstruct the word. All I know is that it certainly drew a smile from Mme. Verdurin, for the use of this language less general, more personal, more secret, than their everyday speech inspires in those who use it among themselves a sense of self-importance which is always accompanied by a certain satisfaction. After this moment of mirth: “But if Cottard talks,” Mme. Verdurin objected. “He will not talk.” He did mention it, to myself at least, for it was from him that I learned of this incident a few years later, actually at the funeral of Saniette. I was sorry that I had not known of it earlier. For one thing the knowledge would have brought me more rapidly to the idea that we ought never to feel resentment towards other people, ought never to judge them by some memory of an unkind action, for we do not know all the good that, at other moments, their hearts may have sincerely desired and realised; no doubt the evil form which we have established once and for all will recur, but the heart is far more rich than that, has many other forms that will recur, also, to these people, whose kindness we refuse to admit because of the occasion on which they behaved badly. Furthermore, this revelation by Cottard must inevitably have had an effect upon me, because by altering my opinion of the Verdurins, this revelation, had it been made to me earlier, would have dispelled the suspicions that I had formed as to the part that the Verdurins might be playing between Albertine and myself, would have dispelled them, wrongly perhaps as it happened, for if M. Verdurin — whom I supposed, with increasing certainty, to be the most malicious man alive — had certain virtues, he was nevertheless tormenting to the point of the most savage persecution, and so jealous of his domination over the little clan as not to shrink from the basest falsehoods, from the fomentation of the most unjustified hatreds, in order to sever any ties between the faithful which had not as their sole object the strengthening of the little group. He was a man capable of disinterested action, of unostentatious generosity, that does not necessarily mean a man of feeling, nor a pleasant man, nor a scrupulous, nor a truthful, nor always a good man. A partial goodness, in which there persisted, perhaps, a trace of the family whom my great-aunt had known, existed probably in him in view of this action before I discovered it, as America or the North Pole existed before Columbus or Peary. Nevertheless, at the moment of my discovery, M. Verdurin′s nature offered me a new and unimagined aspect; and so I am brought up against the difficulty of presenting a permanent image as well of a character as of societies and passions. For it changes no less than they, and if we seek to portray what is relatively unchanging in it, we see it present in succession different aspects (implying that it cannot remain still but keeps moving) to the disconcerted artist.




CHAPITRE TROISIèME
Disparition d′Albertine.

Chapter Three
Flight of Albertine

Voyant l′heure, et craignant qu′Albertine ne s′ennuyât, je demandai à Brichot, en sortant de la soirée Verdurin, qu′il voulût bien d′abord me déposer chez moi. Ma voiture le reconduirait ensuite. Il me félicita de rentrer ainsi directement (ne sachant pas qu′une jeune fille m′attendait à la maison), et de finir aussitôt, et avec tant de sagesse, une soirée dont, bien au contraire, je n′avais en réalité fait que retarder le véritable commencement. Puis il me parla de M. de Charlus. Celui-ci eût sans doute été stupéfait en entendant le professeur, si aimable avec lui, le professeur qui lui disait toujours : « Je ne répète jamais rien », parler de lui et de sa vie sans la moindre réticence. Et l′étonnement indigné de Brichot n′eût peut-être pas été moins sincère si M. de Charlus lui avait dit : « On m′a assuré que vous parliez mal de moi. » Brichot avait, en effet, du goût pour M. de Charlus et, s′il avait eu à se reporter à quelque conversation roulant sur lui, il se fût rappelé bien plutôt les sentiments de sympathie qu′il avait éprouvés à l′égard du baron, pendant qu′il disait de lui les mêmes choses qu′en disait tout le monde, que ces choses elles-mêmes. Il n′aurait pas cru mentir en disant : « Moi qui parle de vous avec tant d′amitié », puisqu′il ressentait quelque amitié, pendant qu′il parlait de M. de Charlus. Celui-ci avait surtout pour Brichot le charme que l′universitaire demandait avant tout dans la vie mondaine, et qui était de lui offrir des spécimens réels de ce qu′il avait pu croire longtemps une invention des poètes. Brichot, qui avait souvent expliqué la deuxième églogue de Virgile sans trop savoir si cette fiction avait quelque fond de réalité, trouvait sur le tard, à causer avec M. de Charlus, un peu du plaisir qu′il savait que ses maîtres M. Mérimée et M. Renan, son collègue M. Maspéro avaient éprouvé, voyageant en Espagne, en Palestine, en Égypte, à reconnaître, dans les paysages et les populations actuelles de l′Espagne, de la Palestine et de l′Égypte, le cadre et les invariables acteurs des scènes antiques qu′eux-mêmes dans les livres avaient étudiées. « Soit dit sans offenser ce preux de haute race, me déclara Brichot dans la voiture qui nous ramenait, il est tout simplement prodigieux quand il commente son catéchisme satanique avec une verve un tantinet charentonesque et une obstination, j′allais dire une candeur, de blanc d′Espagne et d′émigré. Je vous assure que, si j′ose m′exprimer comme Mgr d′Hulst, je ne m′embête pas les jours où je reçois la visite de ce féodal qui, voulant défendre Adonis contre notre âge de mécréants, a suivi les instincts de sa race, et, en toute innocence sodomiste, s′est croisé. » J′écoutais Brichot et je n′étais pas seul avec lui. Ainsi que, du reste, cela n′avait pas cessé depuis que j′avais quitté la maison, je me sentais, si obscurément que ce fût, relié à la jeune fille qui était en ce moment dans sa chambre. Même quand je causais avec l′un ou avec l′autre chez les Verdurin, je la sentais confusément à côté de moi, j′avais d′elle cette notion vague qu′on a de ses propres membres, et s′il m′arrivait de penser à elle, c′était comme on pense, avec l′ennui d′être lié par un entier esclavage, à son propre corps. « Et quelle potinière, reprit Brichot, à nourrir tous les appendices des Causeries du Lundi, que la conversation de cet apôtre ! Songez que j′ai appris par lui que le traité d′éthique où j′ai toujours révéré la plus fastueuse construction morale de notre époque avait été inspiré à notre vénérable collègue XÂ… par un jeune porteur de dépêches. N′hésitons pas à reconnaître que mon éminent ami a négligé de nous livrer le nom de cet éphèbe au cours de ses démonstrations. Il a témoigné en cela de plus de respect humain ou, si vous aimez mieux, de moins de gratitude que Phidias qui inscrivit le nom de l′athlète qu′il aimait sur l′anneau de son Jupiter Olympien. Le baron ignorait cette dernière histoire. Inutile de vous dire qu′elle a charmé son orthodoxie. Vous imaginez aisément que, chaque fois que j′argumenterai avec mon collègue à une thèse de doctorat, je trouve à sa dialectique, d′ailleurs fort subtile, le surcroît de saveur que de piquantes révélations ajoutèrent pour Sainte-Beuve à l′œuvre insuffisamment confidentielle de Chateaubriand. De notre collègue, dont la sagesse est d′or, mais qui possédait peu d′argent, le télégraphiste a passé aux mains du baron « en tout bien tout honneur » (il faut entendre le ton dont il le dit). Et comme ce Satan est le plus serviable des hommes, il a obtenu pour son protégé une place aux colonies, d′où celui-ci, qui a l′âme reconnaissante, lui envoie de temps à autre d′excellents fruits. Le baron en offre à ses hautes relations ; des ananas du jeune homme figurèrent tout dernièrement sur la table du quai Conti, faisant dire à Mme Verdurin, qui, à ce moment, n′y mettait pas malice : « Vous avez donc un oncle ou un neveu d′Amérique, M. de Charlus, pour recevoir des ananas pareils ! » J′avoue que, si j′avais alors su la vérité, je les eusses mangés avec une certaine gaieté en me récitant in petto le début d′une ode d′Horace que Diderot aimait à rappeler. En somme, comme mon collègue Boissier, déambulant du Palatin à Tibur, je prends dans la conversation du baron, une idée singulièrement plus vivante et plus savoureuse des écrivains du siècle d′Auguste. Ne parlons même pas de ceux de la Décadence, et ne remontons pas jusqu′aux Grecs, bien que j′aie dit à cet excellent M. de Charlus qu′auprès de lui je me faisais l′effet de Platon chez Aspasie. À vrai dire, j′avais singulièrement grandi l′échelle des deux personnages et, comme dit La Fontaine, mon exemple était tiré « d′animaux plus petits ». Quoi qu′il en soit, vous ne supposez pas, j′imagine, que le baron ait été froissé. Jamais je ne le vis si ingénument heureux. Une ivresse d′enfant le fit déroger à son flegme aristocratique. « Quels flatteurs que tous ces sorbonnards ! s′écriait-il avec ravissement. Dire qu′il faut que j′aie attendu d′être arrivé à mon âge pour être comparé à Aspasie ! Un vieux tableau comme moi ! Ô ma jeunesse ! » J′aurais voulu que vous le vissiez disant cela, outrageusement poudré à son habitude, et, à son âge, musqué comme un petit-maître. Au demeurant, sous ses hantises de généalogie, le meilleur homme du monde. Pour toutes ces raisons je serais désolé que la rupture de ce soir fût définitive. Ce qui m′a étonné, c′est la façon dont le jeune homme s′est rebiffé. Il avait pourtant pris, depuis quelque temps, en face du baron, des manières de séide, des façons de leude qui n′annonçaient guère cette insurrection. J′espère qu′en tous cas, même si (Dii omen avertant) le baron ne devait plus retourner quai Conti, ce schisme ne s′étendrait pas jusqu′à moi. Nous avons l′un et l′autre trop de profit à l′échange que nous faisons de mon faible savoir contre son expérience. (On verra que si M. de Charlus, après avoir vainement souhaité qu′il lui ramenât Morel, ne témoigna pas de violente rancune à Brichot, du moins sa sympathie pour l′universitaire tomba assez complètement pour lui permettre de le juger sans aucune indulgence.) Et je vous jure bien que l′échange est si inégal que, quand le baron me livre ce que lui a enseigné son existence, je ne saurais être d′accord avec Sylvestre Bonnard, que c′est encore dans une bibliothèque qu′on fait le mieux le songe de la vie. » Seeing how late it was, and fearing that Albertine might be growing impatient, I asked Brichot, as we left the Verdurins′ party, to be so kind as to drop me at my door. My carriage would then take him home. He congratulated me upon going straight home like this (unaware that a girl was waiting for me in the house), and upon ending so early, and so wisely, an evening of which, on the contrary, all that I had done was to postpone the actual beginning. Then he spoke to me about M. de Charlus. The latter would doubtless have been stupefied had he heard the Professor, who was so kind to him, the Professor who always assured him: “I never repeat anything,” speaking of him and of his life without the slightest reserve. And Brichot′s indignant amazement would perhaps have been no less sincere if M. de Charlus had said to him: “I am told that you have been speaking evil of me.” Brichot did indeed feel an affection for M. de Charlus and, if he had had to call to mind some conversation that had turned upon him, would have been far more likely to remember the friendly feeling that he had shewn for the Baron, while he said the same things about him that everyone was saying, than to remember the things that he had said. He would not have thought that he was lying if he had said: “I who speak of you in so friendly a spirit,” since he did feel a friendly spirit while he was speaking of M. de Charlus. The Baron had above all for Brichot the charm which the Professor demanded before everything else in his social existence, and which was that of furnishing real examples of what he had long supposed to be an invention of the poets. Brichot, who had often expounded the second Eclogue of Virgil without really knowing whether its fiction had any basis in reality, found later on in conversing with Charlus some of the pleasure which he knew that his masters, M. Mérimée and M. Renan, his colleague M. Maspéro had felt, when travelling in Spain, Palestine, and Egypt, upon recognising in the scenery and the contemporary peoples of Spain, Palestine and Egypt, the setting and the invariable actors of the ancient scenes which they themselves had expounded in their books. “Be it said without offence to that knight of noble lineage,” Brichot declared to me in the carriage that was taking us home, “he is simply prodigious when he illustrates his satanic catechism with a distinctly Bedlamite vigour and the persistence, I was going to say the candour, of Spanish whitewash and of a returned émigré. I can assure you, if I dare express myself like Mgr. d′Hulst, I am by no means bored upon the days when I receive a visit from that feudal lord who, seeking to defend Adonis against our age of miscreants, has followed the instincts of his race, and, in all sodomist innocence, has gone crusading.” I listened to Brichot, and I was not alone with him. As, for that matter, I had never ceased to feel since I left home that evening, I felt myself, in however obscure a fashion, tied fast to the girl who was at that moment in her room. Even when I was talking to some one or other at the Verdurins′, I had felt, confusedly, that she was by my side, I had that vague impression of her that we have of our own limbs, and if I happened to think of her it was as we think, with disgust at being bound to it in complete subjection, of our own body. “And what a fund of scandal,” Brichot went on, “sufficient to supply all the appendices of the Causeries du Lundi, is the conversation of that apostle. Imagine that I have learned from him that the ethical treatise which I had always admired as the most splendid moral composition of our age was inspired in our venerable colleague X by a young telegraph messenger. Let us not hesitate to admit that my eminent friend omitted to give us the name of this ephebe in the course of his demonstrations. He has shewn in so doing more human respect, or, if you prefer, less gratitude than Phidias who inscribed the name of the athlete whom he loved upon the ring of his Olympian Zeus. The Baron had not heard that story. Needless to say, it appealed to his orthodox mind. You can readily imagine that whenever I have to discuss with my colleague a candidate′s thesis, I shall find in his dialectic, which for that matter is extremely subtle, the additional savour which spicy revelations added, for Sainte-Beuve, to the insufficiently confidential writings of Chateaubriand. From our colleague, who is a goldmine of wisdom but whose gold is not legal tender, the telegraph-boy passed into the hands of the Baron, ‘all perfectly proper, of course,′ (you ought to hear his voice when he says it). And as this Satan is the most obliging of men, he has found his protégé a post in the Colonies, from which the young man, who has a sense of gratitude, sends him from time to time the most excellent fruit. The Baron offers these to his distinguished friends; some of the young man′s pineapples appeared quite recently on the table at Quai Conti, drawing from Mme. Verdurin, who at that moment put no malice into her words: ‘You must have an uncle or a nephew in America, M. de Charlus, to get pineapples like these!′ I admit that if I had known the truth then I should have eaten them with a certain gaiety, repeating to myself in petto the opening lines of an Ode of Horace which Diderot loved to recall. In fact, like my colleague Boissier, strolling from the Palatine to Tibur, I derive from the Baron′s conversation a singularly more vivid and more savoury idea of the writers of the Augustan age. Let us not even speak of those of the Decadence, nor let us hark back to the Greeks, although I have said to that excellent Baron that in his company I felt like Plato in the house of Aspasia. To tell the truth, I had considerably enlarged the scale of the two characters and, as La Fontaine says, my example was taken ‘from lesser animals.′ However it be, you do not, I imagine, suppose that the Baron took offence. Never have I seen him so ingenuously delighted. A childish excitement made him depart from his aristocratic phlegm. ‘What flatterers all these Sorbonnards are!′ he exclaimed with rapture. ‘To think that I should have had to wait until my age before being compared to Aspasia! An old image like me! Oh, my youth!′ I should like you to have seen him as he said that, outrageously powdered as he always is, and, at his age, scented like a young coxcomb. All the same, beneath his genealogical obsessions, the best fellow in the world. For all these reasons, I should be distressed were this evening′s rupture to prove final. What did surprise me was the way in which the young man turned upon him. His manner towards the Baron has been, for some time past, that of a violent partisan, of a feudal vassal, which scarcely betokened such an insurrection. I hope that, in any event, even if (Dii omen avertant) the Baron were never to return to Quai Conti, this schism is not going to involve myself. Each of us derives too much advantage from the exchange that we make of my feeble stock of learning with his experience.” (We shall see that if M. de Charlus, after having hoped in vain that Brichot would bring Morel back to him, shewed no violent rancour against him, at any rate his affection for the Professor vanished so completely as to allow him to judge him without any indulgence.) “And I swear to you that the exchange is so much in my favour that when the Baron yields up to me what his life has taught him, I am unable to endorse the opinion of Sylvestre Bonnard that a library is still the best place in which to ponder the dream of life.”
Nous étions arrivés devant la porte. Je descendis de voiture pour donner au cocher l′adresse de Brichot. Du trottoir je voyais la fenêtre de la chambre d′Albertine, cette fenêtre, autrefois toujours noire, le soir, quand elle n′habitait pas la maison, que la lumière électrique de l′intérieur, segmentée par les pleins des volets, striait de haut en bas de barres d′or parallèles. Ce grimoire magique, autant il était clair pour moi et dessinait devant mon esprit calme des images précises, toutes proches et en possession desquelles j′allais entrer tout à l′heure, autant il était invisible pour Brichot resté dans la voiture, presque aveugle, et autant il eût, d′ailleurs, été incompréhensible pour lui, même voyant, puisque, comme les amis qui venaient me voir avant le dîner quand Albertine était rentrée de promenade, le professeur ignorait qu′une jeune fille toute à moi m′attendait dans une chambre voisine de la mienne. La voiture partit. Je restai un instant seul sur le trottoir. Certes, ces lumineuses rayures que j′apercevais d′en bas et qui à un autre eussent semblé toutes superficielles, je leur donnais une consistance, une plénitude, une solidité extrêmes, à cause de toute la signification que je mettais derrière elles, en un trésor insoupçonné des autres que j′avais caché là et dont émanaient ces rayons horizontaux, trésor si l′on veut, mais trésor en échange duquel j′avais aliéné la liberté, la solitude, la pensée. Si Albertine n′avait pas été là-haut, et même si je n′avais voulu qu′avoir du plaisir, j′aurais été le demander à des femmes inconnues, dont j′eusse essayé de pénétrer la vie, à Venise peut-être, à tout le moins dans quelque coin de Paris nocturne. Mais maintenant, ce qu′il me fallait faire quand venait pour moi l′heure des caresses, ce n′était pas partir en voyage, ce n′était même plus sortir, c′était rentrer. Et rentrer non pas pour se trouver seul, et, après avoir quitté les autres qui vous fournissaient du dehors l′aliment de votre pensée, se trouver au moins forcé de la chercher en soi-même, mais, au contraire, moins seul que quand j′étais chez les Verdurin, reçu que j′allais être par la personne en qui j′abdiquais, en qui je remettais le plus complètement la mienne, sans que j′eusse un instant le loisir de penser à moi, ni même la peine, puisqu′elle serait auprès de moi, de penser à elle. De sorte qu′en levant une dernière fois mes yeux du dehors vers la fenêtre de la chambre dans laquelle je serais tout à l′heure, il me sembla voir le lumineux grillage qui allait se refermer sur moi et dont j′avais forgé moi-même, pour une servitude éternelle, les inflexibles barreaux d′or. We had now reached my door. I got out of the carriage to give the driver Brichot′s address. From the pavement, I could see the window of Albertine′s room, that window, formerly quite black, at night, when she was not staying in the house, which the electric light inside, dissected by the slats of the shutters, striped from top to bottom with parallel bars of gold. This magic scroll, clear as it was to myself, tracing before my tranquil mind precise images, near at hand, of which I should presently be taking possession, was completely invisible to Brichot who had remained in the carriage, almost blind, and would moreover have been completely incomprehensible to him could he have seen it, since, like the friends who called upon me before dinner, when Albertine had returned from her drive, the Professor was unaware that a girl who was all my own was waiting for me in a bedroom adjoining mine. The carriage drove on. I remained for a moment alone upon the pavement. To be sure, these luminous rays which I could see from below and which to anyone else would have seemed merely superficial, I endowed with the utmost consistency, plenitude, solidity, in view of all the significance that I placed behind them, in a treasure unsuspected by the rest of the world which I had concealed there and from which those horizontal rays emanated, a treasure if you like, but a treasure in exchange for which I had forfeited my freedom, my solitude, my thought. If Albertine had not been there, and indeed if I had merely been in search of pleasure, I would have gone to demand it of unknown women, into whose life I should have attempted to penetrate, at Venice perhaps, or at least in some corner of nocturnal Paris. But now all that I had to do when the time came for me to receive caresses, was not to set forth upon a journey, was not even to leave my own house, but to return there. And to return there not to find myself alone, and, after taking leave of the friends who furnished me from outside with food for thought, to find myself at any rate compelled to seek it in myself, but to be on the contrary less alone than when I was at the Verdurins′, welcomed as I should be by the person to whom I abdicated, to whom I handed over most completely my own person, without having for an instant the leisure to think of myself nor even requiring the effort, since she would be by my side, to think of her. So that as I raised my eyes to look for the last time from outside at the window of the room in which I should presently find myself, I seemed to behold the luminous gates which were about to close behind me and of which I myself had forged, for an eternal slavery, the unyielding bars of gold.
Nos fiançailles avaient pris une allure de procès et donnaient à Albertine la timidité d′une coupable. Maintenant elle changeait la conversation quand il s′agissait de personnes, hommes ou femmes, qui ne fussent pas de vieilles gens. C′est quand elle ne soupçonnait pas encore que j′étais jaloux d′elle que j′aurais dû lui demander ce que je voulais savoir. Il faut profiter de ce temps-là. C′est alors que notre amie nous dit ses plaisirs, et même les moyens à l′aide desquels elle les dissimule aux autres. Elle ne m′eût plus avoué maintenant, comme elle avait fait à Balbec (moitié parce que c′était vrai, moitié pour s′excuser de ne pas laisser voir davantage sa tendresse pour moi, car je la fatiguais déjà alors, et elle avait vu, par ma gentillesse pour elle, qu′elle n′avait pas besoin de m′en montrer autant qu′aux autres pour en obtenir plus que d′eux), elle ne m′aurait plus avoué maintenant comme alors : « Je trouve ça stupide de laisser voir qu′on aime ; moi, c′est le contraire, dès qu′une personne me plaît, j′ai l′air de ne pas y faire attention. Comme ça personne ne sait rien. » Our engagement had assumed the form of a criminal trial and gave Albertine the timidity of a guilty party. Now she changed the conversation whenever it turned upon people, men or women, who were not of mature years. It was when she had not yet suspected that I was jealous of her that I could have asked her to tell me what I wanted to know. We ought always to take advantage of that period. It is then that our mistress tells us of her pleasures and even of the means by which she conceals them from other people. She would no longer have admitted to me now as she had admitted at Balbec (partly because it was true, partly in order to excuse herself for not making her affection for myself more evident, for I had already begun to weary her even then, and she had gathered from my kindness to her that she need not shew it to me as much as to other men in order to obtain more from me than from them), she would no longer have admitted to me now as she had admitted then: “I think it stupid to let people see that one is in love; I′m just the opposite, as soon as a person appeals to me, I pretend not to take any notice of him. In that way, nobody knows anything about it.”
Comment, c′était la même Albertine d′aujourd′hui, avec ses prétentions à la franchise et d′être indifférente à tous, qui m′avait dit cela ! Elle ne m′eût plus énoncé cette règle maintenant ! Elle se contentait, quand elle causait avec moi, de l′appliquer en me disant de telle ou telle personne qui pouvait m′inquiéter : « Ah ! je ne sais pas, je ne l′ai pas regardée, elle est trop insignifiante. » Et de temps en temps, pour aller au-devant des choses que je pourrais apprendre, elle faisait de ces aveux que leur accent, avant que l′on connaisse la réalité qu′ils sont chargés de dénaturer, d′innocenter, dénonce déjà comme étant des mensonges. What, it was the same Albertine of to-day, with her pretensions to frankness and indifference to all the world who had told me this! She would never have informed me of such a rule of conduct now! She contented herself when she was talking to me with applying it, by saying of somebody or other who might cause me anxiety: “Oh, I don′t know, I never noticed them, they don′t count.” And from time to time, to anticipate discoveries which I might make, she would proffer those confessions which their accent, before one knows the reality which they are intended to alter, to render innocent, denounces already as being falsehoods.
Albertine ne m′avait jamais dit qu′elle me soupçonnât d′être jaloux d′elle, préoccupé de tout ce qu′elle faisait. Les seules paroles, assez anciennes il est vrai, que nous avions échangées relativement à la jalousie semblaient prouver le contraire. Je me rappelais que, par un beau soir de clair de lune, au début de nos relations, une des premières fois où je l′avais reconduite et où j′eusse autant aimé ne pas le faire et la quitter pour courir après d′autres, je lui avais dit : « Vous savez, si je vous propose de vous ramener, ce n′est pas par jalousie ; si vous avez quelque chose à faire, je m′éloigne discrètement. » Et elle m′avait répondu : « Oh ! je sais bien que vous n′êtes pas jaloux et que cela vous est bien égal, mais je n′ai rien à faire qu′à être avec vous. » Une autre fois, c′était à la Raspelière, où M. de Charlus, tout en jetant à la dérobée un regard sur Morel, avait fait ostentation de galante amabilité à l′égard d′Albertine ; je lui avais dit : « Eh ! bien, il vous a serrée d′assez près, j′espère. » Et comme j′avais ajouté à demi ironiquement : « J′ai souffert toutes les tortures de la jalousie », Albertine, usant du langage propre, soit au milieu vulgaire d′où elle était sortie, soit au plus vulgaire encore qu′elle fréquentait : « Quel chineur vous faites ! Je sais bien que vous n′êtes pas jaloux. D′abord vous me l′avez dit, et puis ça se voit, allez ! » // Elle ne m′avait jamais dit, depuis, qu′elle eût changé d′avis ; mais il avait dû pourtant se former en elle, à ce sujet, bien des idées nouvelles, qu′elle me cachait mais qu′un hasard pouvait, malgré elle, trahir, car ce soir-là, quand, une fois rentré, après avoir été la chercher dans sa chambre et l′avoir amenée dans la mienne, je lui eus dit (avec une certaine gêne que je ne compris pas moi-même, car j′avais bien annoncé à Albertine que j′irais dans le monde et je lui avais dit que je ne savais pas où, peut-être chez Mme de Villeparisis, peut-être chez Mme de Guermantes, peut-être chez Mme de Cambremer ; il est vrai que je n′avais justement pas nommé les Verdurin) : « Devinez d′où je viens ? de chez les Verdurin », j′avais à peine eu le temps de prononcer ces mots qu′Albertine, la figure bouleversée, m′avait répondu par ceux-ci, qui semblèrent exploser d′eux-mêmes avec une force qu′elle ne put contenir : « Je m′en doutais. — Je ne savais pas que cela vous ennuierait que j′aille chez les Verdurin. » (Il est vrai qu′elle ne me disait pas que cela l′ennuyait, mais c′était visible ; il est vrai aussi que je ne m′étais pas dit que cela l′ennuierait. Et pourtant, devant l′explosion de sa colère, comme devant ces événements qu′une sorte de double vue rétrospective nous fait paraître avoir déjà été connus dans le passé, il me sembla que je n′avais jamais pu m′attendre à autre chose. « M′ennuyer ? Qu′est ce que vous voulez que ça me fiche ? Voilà qui m′est équilatéral. Est-ce qu′ils ne devaient pas avoir Mlle Vinteuil ? » Hors de moi à ces mots : « Vous ne m′aviez pas dit que vous l′aviez rencontrée l′autre jour », lui dis-je pour lui montrer que j′étais plus instruit qu′elle ne pensait. //Croyant que la personne que je lui reprochais d′avoir rencontrée sans me l′avoir raconté, c′était Mme Verdurin, et non, comme je voulais dire, Mlle Vinteuil : « Est-ce que je l′ai rencontrée ? » demanda-t-elle d′un air rêveur, à la fois à elle-même comme si elle cherchait à rassembler ses souvenirs, et à moi comme si c′était moi qui eus dû le lui apprendre ; et sans doute, en effet, afin que je dise ce que je savais, peut-être aussi pour gagner du temps avant de faire une réponse difficile. Mais si j′étais préoccupé par Mlle Vinteuil, je l′étais encore plus d′une crainte qui m′avait déjà effleuré mais qui s′emparait maintenant de moi avec force, la crainte qu′Albertine voulût sa liberté. En rentrant je croyais que Mme Verdurin avait purement et simplement inventé par gloriole la venue de Mlle Vinteuil et de son amie, de sorte que j′étais tranquille. Seule Albertine, en me disant : « Est-ce que Mlle Vinteuil ne devait pas être là ? », m′avait montré que je ne m′étais pas trompé dans mon premier soupçon ; mais enfin j′étais tranquillisé là-dessus pour l′avenir, puisqu′en renonçant à aller chez les Verdurin et en se rendant au Trocadéro, Albertine avait sacrifié Mlle Vinteuil. Albertine had never told me that she suspected me of being jealous of her, preoccupied with everything that she did. The only words — and that, I must add, was long ago — which we had exchanged with regard to jealousy seemed to prove the opposite. I remembered that, on a fine moonlight evening, towards the beginning of our intimacy, on one of the first occasions when I had accompanied her home, and when I would have been just as glad not to do so and to leave her in order to run after other girls, I had said to her: “You know, if I am offering to take you home, it is not from jealousy; if you have anything else to do, I shall slip discreetly away.” And she had replied: “Oh, I know quite well that you aren′t jealous and that it′s all the same to you, but I′ve nothing else to do except to stay with you.” Another occasion was at la Raspelière, when M. de Charlus, not without casting a covert glance at Morel, had made a display of friendly gallantry toward Albertine; I had said to her: “Well, he gave you a good hug, I hope.” And as I had added half ironically: “I suffered all the torments of jealousy,” Albertine, employing the language proper either to the vulgar class from which she sprang or to that other, more vulgar still, which she frequented, replied: “What a fusspot you are! I know quite well you′re not jealous. For one thing, you told me so, and besides, it′s perfectly obvious, get along with you!” She had never told me since then that she had changed her mind; but there must all the same have developed in her, upon that subject, a number of fresh ideas, which she concealed from me but which an accident might, in spite of her, betray, for this evening when, having gone indoors, after going to fetch her from her own room and taking her to mine, I had said to her (with a certain awkwardness which I did not myself understand, for I had indeed told Albertine that I was going to pay a call, and had said that I did not know where, perhaps upon Mme. de Villeparisis, perhaps upon Mme. de Guermantes, perhaps upon Mme. de Cambremer; it is true that I had not actually mentioned the Verdurins): “Guess where I have been, at the Verdurins′,” I had barely had time to utter the words before Albertine, a look of utter consternation upon her face, had answered me in words which seemed to explode of their own accord with a force which she was unable to contain: “I thought as much.” “I didn′t know that you would be annoyed by my going to see the Verdurins.” It is true that she did not tell me that she was annoyed, but that was obvious; it is true also that I had not said to myself that she would be annoyed. And yet in the face of the explosion of her wrath, as in the face of those events which a sort of retrospective second sight makes us imagine that we have already known in the past, it seemed to me that I could never have expected anything else. “Annoyed? What do you suppose I care, where you′ve been. It′s all the same to me. Wasn′t Mlle. Vinteuil there?” Losing all control of myself at these words: “You never told me that you had met her the other day,” I said to her, to shew her that I was better informed than she knew. Believing that the person whom I reproached her for having met without telling me was Mme. Verdurin, and not, as I meant to imply, Mlle. Vinteuil: “Did I meet her?” she inquired with a pensive air, addressing at once herself as though she were seeking to collect her fugitive memories and myself as though it were I that ought to have told her of the meeting; and no doubt in order that I might say what I knew, perhaps also in order to gain time before making a difficult response. But I was preoccupied with the thought of Mlle. Vinteuil, and still more with a dread which had already entered my mind but which now gripped me in a violent clutch, the dread that Albertine might be longing for freedom. When I came home I had supposed that Mme. Verdurin had purely and simply invented, to enhance her own renown, the story of her having expected Mlle. Vinteuil and her friend, so that I was quite calm. Albertine, merely by saying: “Wasn′t Mlle. Vinteuil there?” had shewn me that I had not been mistaken in my original suspicion; but anyhow my mind was set at rest in that quarter for the future, since by giving up her plan of visiting the Verdurins′ and going instead to the Trocadéro, Albertine had sacrificed Mlle. Vinteuil.
Mais, au Trocadéro, que, du reste, elle avait quitté pour se promener avec moi, il y avait eu, comme raison de l′en faire revenir, la présence de Léa. En y pensant je prononçai ce nom de Léa, et Albertine, méfiante, croyant qu′on m′en avait peut-être dit davantage, prit les devants et s′écria avec volubilité, non sans cacher un peu son front : « Je la connais très bien ; nous sommes allées, l′année dernière, avec des amies, la voir jouer : après la représentation nous sommes montées dans sa loge, elle s′est habillée devant nous. C′était très intéressant. » Alors ma pensée fut forcée de lâcher Mlle Vinteuil et, dans un effort désespéré, dans cette course à l′abîme des impossibles reconstitutions, s′attacha à l′actrice, à cette soirée où Albertine était montée dans sa loge. D′autre part, après tous les serments qu′elle m′avait faits, et d′un ton si véridique, après le sacrifice si complet de sa liberté, comment croire qu′en tout cela il y eût du mal ? Et pourtant, mes soupçons n′étaient-ils pas des antennes dirigées vers la vérité, puisque, si elle m′avait sacrifié les Verdurin pour aller au Trocadéro, tout de même, chez les Verdurin, il avait bien dû y avoir Mlle Vinteuil, et, au Trocadéro, il y avait eu Léa qui me semblait m′inquiéter à tort et que pourtant, dans cette phrase que je ne lui demandais pas, elle déclarait avoir connue sur une plus grande échelle que celle où eussent été mes craintes, dans des circonstances bien louches ? Car qui avait pu l′amener à monter ainsi dans cette loge ? Si je cessais de souffrir par Mlle Vinteuil quand je souffrais par Léa, ces deux bourreaux de ma journée, c′est soit par l′infirmité de mon esprit à se représenter à la fois trop de scènes, soit par l′interférence de mes émotions nerveuses, dont ma jalousie n′était que l′écho. J′en pouvais induire qu′elle n′avait pas plus été à Léa qu′à Mlle Vinteuil et que je ne croyais à Léa que parce que j′en souffrais encore. Mais parce que mes jalousies s′éteignaient — pour se réveiller parfois, l′une après l′autre — cela ne signifiait pas non plus qu′elles ne correspondissent pas, au contraire, chacune à quelque vérité pressentie, que de ces femmes il ne fallait pas que je me dise aucune, mais toutes. Je dis pressentie, car je ne pouvais pas occuper tous les points de l′espace et du temps qu′il eût fallu. Et encore, quel instinct m′eût donné la concordance des uns et des autres pour me permettre de surprendre Albertine ici à telle heure avec Léa, ou avec les jeunes filles de Balbec, ou avec l′amie de Mme Bontemps qu′elle avait frôlée, ou avec la jeune fille du tennis qui lui avait fait du coude, ou avec Mlle Vinteuil ? But, at the Trocadéro, from which, for that matter, she had come away in order to go for a drive with myself, there had been as a reason to make her leave it the presence of Léa. As I thought of this I mentioned Léa by name, and Albertine, distrustful, supposing that I had perhaps heard something more, took the initiative and exclaimed volubly, not without partly concealing her face: “I know her quite well; we went last year, some of my friends and I, to see her act: after the performance we went behind to her dressing-room, she changed in front of us. It was most interesting.” Then my mind was compelled to relinquish Mlle. Vinteuil and, in a desperate effort, racing through the abysses of possible reconstructions, attached itself to the actress, to that evening when Albertine had gone behind to her dressing-room. On the other hand, after all the oaths that she had sworn to me, and in so truthful a tone, after the so complete sacrifice of her freedom, how was I to suppose that there was any evil in all this affair? And yet, were not my suspicions feelers pointing in the direction of the truth, since if she had made me a sacrifice of the Verdurins in order to go to the Trocadéro, nevertheless at the Verdurins′ Mlle. Vinteuil was expected, and, at the Trocadéro, there had been Léa, who seemed to me to be disturbing me without cause and whom all the same, in that speech which I had not demanded of her, she admitted that she had known upon a larger scale than that of my fears, in circumstances that were indeed shady? For what could have induced her to go behind like that to that dressing-room? If I ceased to suffer because of Mlle. Vinteuil when I suffered because of Léa, those two tormentors of my day, it was either on account of the inability of my mind to picture too many scenes at one time, or on account of the interference of my nervous emotions of which my jealousy was but the echo. I could induce from them only that she had belonged no more to Léa than to Mlle. Vinteuil and that I was thinking of Léa only because the thought of her still caused me pain. But the fact that my twin jealousies were dying down — to revive now and then, alternately — does not, in any way, mean that they did not on the contrary correspond each to some truth of which I had had a foreboding, that of these women I must not say to myself none, but all. I say a foreboding, for I could not project myself to all the points of time and space which I should have had to visit, and besides, what instinct would have given me the coordinate of one with another necessary to enable me to surprise Albertine, here, at one moment, with Léa, or with the Balbec girls, or with that friend of Mme. Bontemps whom she had jostled, or with the girl on the tennis-court who had nudged her with her elbow, or with Mlle. Vinteuil?
Je dois dire que ce qui m′avait paru le plus grave et m′avait le plus frappé comme symptôme, c′était qu′elle allât au-devant de mon accusation, c′était qu′elle m′eût dit : « Je crois qu′ils ont eu Mlle Vinteuil ce soir », ainsi à quoi j′avais répondu le plus cruellement possible : « Vous ne m′aviez pas dit que vous l′aviez rencontrée. » Ainsi, dès que je ne trouvais pas Albertine gentille, au lieu de lui dire que j′étais triste, je devenais méchant. Il y eut alors un instant où j′eus pour elle une espèce de haine qui ne fit qu′aviver mon besoin de la retenir. I must add that what had appeared to me most serious, and had struck me as most symptomatic, was that she had forestalled my accusation, that she had said to me: “Wasn′t Mlle. Vinteuil there?” to which I had replied in the most brutal fashion imaginable: “You never told me that you had met her.” Thus as soon as I found Albertine no longer obliging, instead of telling her that I was sorry, I became malicious. There was then a moment in which I felt a sort of hatred of her which only intensified my need to keep her in captivity.
« Du reste, lui dis-je avec colère, il y a bien d′autres choses que vous me cachez, même dans les plus insignifiantes, comme, par exemple, votre voyage de trois jours à Balbec ; je le dis en passant. » J′avais ajouté ce mot : « Je le dis en passant » comme complément de : « même les choses les plus insignifiantes », de façon que, si Albertine me disait : « Qu′est-ce qu′il y a eu d′incorrect dans ma randonnée à Balbec ? » je pusse lui répondre : « Mais je ne me rappelle même plus. Ce qu′on me dit se brouille dans ma tête, j′y attache si peu d′importance. » Et en effet, si je parlais de cette course de trois jours, qu′elle avait faite avec le mécanicien, jusqu′à Balbec, d′où ses cartes postales m′étaient arrivées avec un tel retard, j′en parlais tout à fait au hasard et je regrettais d′avoir si mal choisi mon exemple, car vraiment, ayant à peine eu le temps d′aller et de revenir, c′était certainement celle de leur promenade où il n′y avait pas eu même le temps que se glissât une rencontre un peu prolongée avec qui que ce fût. Mais Albertine crut, d′après ce que je venais de dire, que la vérité vraie, je la savais, et lui avais seulement caché que je la savais ; elle était donc restée persuadée, depuis peu de temps, que, par un moyen ou un autre, je la faisais suivre, ou enfin que, d′une façon quelconque, j′étais, comme elle avait dit la semaine précédente à Andrée, « plus renseigné qu′elle-même sur sa propre vie ». Aussi elle m′interrompit par un aveu bien inutile, car, certes, je ne soupçonnais rien de ce qu′elle me dit et j′en fus en revanche accablé, tant peut-être grand l′écart entre la vérité qu′une menteuse a travestie et l′idée que, d′après ces mensonges, celui qui aime la menteuse s′est faite de cette vérité. À peine avais-je prononcé ces mots : « Votre voyage de trois jours à Balbec, je le dis en passant », Albertine, me coupant la parole, me déclara comme une chose toute naturelle : « Vous voulez dire que ce voyage à Balbec n′a jamais eu lieu ? Bien sûr ! Et je me suis toujours demandé pourquoi vous avez fait celui qui y croyait. C′était pourtant bien inoffensif. Le mécanicien avait à faire pour lui pendant trois jours. Il n′osait pas vous le dire. Alors, par bonté pour lui (c′est bien moi ! et puis, c′est toujours sur moi que ça retombe ces histoires-là), j′ai inventé un prétendu voyage à Balbec. Il m′a tout simplement déposée à Auteuil, chez mon amie de la rue de l′Assomption, où j′ai passé les trois jours à me raser à cent sous l′heure. Vous voyez que c′est pas grave, il y a rien de cassé. J′ai bien commencé à supposer que vous saviez peut-être tout, quand j′ai vu que vous vous mettiez à rire à l′arrivée, avec huit jours de retard, des cartes postales. Je reconnais que c′était ridicule et qu′il aurait mieux valu pas de cartes du tout. Mais ce n′est pas ma faute. Je les avais achetées d′avance et données au mécanicien avant qu′il me dépose à Auteuil, et puis ce veau-là les a oubliées dans ses poches, au lieu de les envoyer sous enveloppe à un ami qu′il a près de Balbec et qui devait vous les réexpédier. Je me figurais toujours qu′elles allaient arriver. Lui s′en est seulement souvenu au bout de cinq jours et, au lieu de me le dire, le nigaud les a envoyées aussitôt à Balbec. Quand il m′a dit ça, je lui en ai cassé sur la figure, allez ! Vous préoccuper inutilement par la faute de ce grand imbécile, comme récompense de m′être cloîtrée pendant trois jours pour qu′il puisse aller régler ses petites affaires de famille. Je n′osais même pas sortir dans Auteuil de peur d′être vue. La seule fois que je suis sortie, c′est déguisée en homme, histoire de rigoler plutôt. Et ma chance, qui me suit partout, a voulu que la première personne dans les pattes de qui je me suis fourrée soit votre youpin d′ami Bloch. Mais je ne pense pas que ce soit par lui que vous ayez su que le voyage à Balbec n′a jamais existé que dans mon imagination, car il a eu l′air de ne pas me reconnaître. » “Besides,” I said to her angrily, “there are plenty of other things which you hide from me, even the most trivial things, such as for instance when you went for three days to Balbec, I mention it in passing.” I had added the words “I mention it in passing” as a complement to “even the most trivial things” so that if Albertine said to me “What was there wrong about my trip to Balbec?” I might be able to answer: “Why, I′ve quite forgotten. I get so confused about the things people tell me, I attach so little importance to them.” And indeed if I referred to those three days which she had spent in an excursion with the chauffeur to Balbec, from where her postcards had reached me after so long an interval, I referred to them purely at random and regretted that I had chosen so bad an example, for in fact, as they had barely had time to go there and return, it was certainly the one excursion in which there had not even been time for the interpolation of a meeting at all protracted with anybody. But Albertine supposed, from what I had just said, that I was fully aware of the real facts, and had merely concealed my knowledge from her; so she had been convinced, for some time past, that, in one way or another, I was having her followed, or in short was somehow or other, as she had said the week before to Andrée, better informed than herself about her own life. And so she interrupted me with a wholly futile admission, for certainly I suspected nothing of what she now told me, and I was on the other hand appalled, so vast can the disparity be between the truth which a liar has disguised and the idea which, from her lies, the man who is in love with the said liar has formed of the truth. Scarcely had I uttered the words: “When you went for three days to Balbec, I mention it in passing,” before Albertine, cutting me short, declared as a thing that was perfectly natural: “You mean to say that I never went to Balbec at all? Of course I didn′t! And I have always wondered why you pretended to believe that I had. All the same, there was no harm in it. The driver had some business of his own for three days. He didn′t like to mention it to you. And so, out of kindness to him (it was my doing! Besides it is always I that have to bear the brunt), I invented a trip to Balbec. He simply put me down at Auteuil, with my friend in the Rue de l′Assomption, where I spent the three days bored to tears. You see it is not a serious matter, there′s nothing broken. I did indeed begin to suppose that you perhaps knew all about it, when I saw how you laughed when the postcards began to arrive, a week late. I quite see that it was absurd, and that it would have been better not to send any cards. But that wasn′t my fault. I had bought the cards beforehand and given them to the driver before he dropped me at Auteuil, and then the fathead put them in his pocket and forgot about them instead of sending them on in an envelope to a friend of his near Balbec who was to forward them to you. I kept on supposing that they would turn up. He forgot all about them for five days, and instead of telling me the idiot sent them on at once to Balbec. When he did tell me, I fairly broke it over him, I can tell you! And you go and make a stupid fuss, when it′s all the fault of that great fool, as a reward for my shutting myself up for three whole days, so that he might go and look after his family affairs. I didn′t even venture to go out into Auteuil for fear of being seen. The only time that I did go out, I was dressed as a man, and that was a funny business. And it was just my luck, which follows me wherever I go, that the first person I came across was your Yid friend Bloch. But I don′t believe it was from him that you learned that my trip to Balbec never existed except in my imagination, for he seemed not to recognise me.”
Je ne savais que dire, ne voulant pas paraître étonné, et écrasé par tant de mensonges. À un sentiment d′horreur, qui ne me faisait pas désirer de chasser Albertine, au contraire, s′ajoutait une extrême envie de pleurer. Celle-ci était causée non pas par le mensonge lui-même et par l′anéantissement de tout ce que j′avais tellement cru vrai que je me sentais comme dans une ville rasée, où pas une maison ne subsiste, où le sol nu est seulement bossué de décombres — mais par cette mélancolie que, pendant ces trois jours passés à s′ennuyer chez son amie d′Auteuil, Albertine n′ait pas une fois eu le désir, peut-être même pas l′idée, de venir passer en cachette un jour chez moi, ou, par un petit bleu, de me demander d′aller la voir à Auteuil. Mais je n′avais pas le temps de m′adonner à ces pensées. Je ne voulais surtout pas paraître étonné. Je souris de l′air de quelqu′un qui en sait plus long qu′il ne le dit : « Mais ceci est une chose entre mille. Ainsi, tenez, vous saviez que Mlle Vinteuil devait venir chez Mme Verdurin, cet après-midi, quand vous êtes allée au Trocadéro. » Elle rougit : « Oui, je le savais. — Pouvez-vous me jurer que ce n′était pas pour ravoir des relations avec elle que vous vouliez aller chez les Verdurin ? — Mais bien sûr que je peux vous le jurer. Pourquoi « ravoir », je n′en ai jamais eu, je vous le jure. » J′étais navré d′entendre Albertine me mentir ainsi, me nier l′évidence que sa rougeur m′avait trop avouée. Sa fausseté me navrait. Et pourtant, comme elle contenait une protestation d′innocence que, sans m′en rendre compte, j′étais prêt à croire, elle me fit moins de mal que sa sincérité quand, lui ayant demandé : « Pouvez-vous, du moins, me jurer que le plaisir de revoir Mlle Vinteuil n′entrait pour rien dans votre désir d′aller à cette matinée des Verdurin ? » elle me répondit : « Non, cela je ne peux pas le jurer. Cela me faisait un grand plaisir de revoir Mlle Vinteuil. » Une seconde avant, je lui en voulais de dissimuler ses relations avec Mlle Vinteuil, et maintenant l′aveu du plaisir qu′elle aurait eu à la voir me cassait bras et jambes. D′ailleurs, sa façon mystérieuse de vouloir aller chez les Verdurin eût dû m′être une preuve suffisante. Mais je n′y avais plus assez pensé. Quoique me disant maintenant la vérité, pourquoi n′avouait-elle qu′à moitié ? c′était encore plus bête que méchant et que triste. J′étais tellement écrasé que je n′eus pas le courage d′insister là-dessus, où je n′avais pas le beau rôle, n′ayant pas de document révélateur à produire, et, pour ressaisir mon ascendant, je me hâtai de passer à un sujet qui allait me permettre de mettre en déroute Albertine : « Tenez, pas plus tard que ce soir chez les Verdurin, j′ai appris que ce que vous m′aviez dit sur Mlle VinteuilÂ… » I did not know what to say, not wishing to appear astonished, while I was appalled by all these lies. With a sense of horror, which gave me no desire to turn Albertine out of the house, far from it, was combined a strong inclination to burst into tears. This last was caused not by the lie itself and by the annihilation of everything that I had so stoutly believed to be true that I felt as though I were in a town that had been razed to the ground, where not a house remained standing, where the bare soil was merely heaped with rubble — but by the melancholy thought that, during those three days when she had been bored to tears in her friend′s house at Auteuil, Albertine had never once felt any desire, the idea had perhaps never occurred to her to come and pay me a visit one day on the quiet, or to send a message asking me to go and see her at Auteuil. But I had not time to give myself up to these reflexions. Whatever happened, I did not wish to appear surprised. I smiled with the air of a man who knows far more than he is going to say: “But that is only one thing out of a thousand. For instance, you knew that Mlle. Vinteuil was expected at Mme. Verdurin′s, this afternoon when you went to the Trocadéro.” She blushed: “Yes, I knew that.” “Can you swear to me that it was not in order to renew your relations with her that you wanted to go to the Verdurins′.” “Why, of course I can swear. Why do you say renew, I never had any relations with her, I swear it.” I was appalled to hear Albertine lie to me like this, deny the facts which her blush had made all too evident. Her mendacity appalled me. And yet, as it contained a protestation of innocence which, almost unconsciously, I was prepared to accept, it hurt me less than her sincerity when, after I had asked her: “Can you at least swear to me that the pleasure of seeing Mlle. Vinteuil again had nothing to do with your anxiety to go this afternoon to the Verdurins′ party?” she replied: “No, that I cannot swear. It would have been a great pleasure to see Mlle. Vinteuil again.” A moment earlier, I had been angry with her because she concealed her relations with Mlle. Vinteuil, and now her admission of the pleasure that she would have felt in seeing her again turned my bones to water. For that matter, the mystery in which she had cloaked her intention of going to see the Verdurins ought to have been a sufficient proof. But I had not given the matter enough thought. Although she was now telling me the truth, why did she admit only half, it was even more stupid than it was wicked and wretched. I was so crushed that I had not the courage to insist upon this question, as to which I was not in a strong position, having no damning evidence to produce, and to recover my ascendancy, I hurriedly turned to a subject which would enable me to put Albertine to rout: “Listen, only this evening, at the Verdurins′, I learned that what you had told me about Mlle. Vinteuil. . . . ”
Albertine me regardait fixement, d′un air tourmenté, tâchant de lire dans mes yeux ce que je savais. Or ce que je savais et que j′allais lui dire c′est sur ce qu′était Mlle Vinteuil, il est vrai que ce n′était pas chez les Verdurin que je l′avais appris, mais à Montjouvain, autrefois. Seulement, comme je n′en avais, exprès, jamais parlé à Albertine, je pouvais avoir l′air de le savoir de ce soir seulement. Et j′eus presque de la joie — après en avoir eu dans le petit tram tant de souffrance — de posséder ce souvenir de Montjouvain, que je postdaterais, mais qui n′en serait pas moins la preuve accablante, un coup de massue pour Albertine. Cette fois-ci au moins, je n′avais pas besoin d′« avoir l′air de savoir » et de « faire parler » Albertine : je savais, j′avais vu par la fenêtre éclairée de Montjouvain. Albertine avait eu beau me dire que ses relations avec Mlle Vinteuil et son amie avaient été très pures, comment pourrait-elle, quand je lui jurerais (et lui jurerais sans mentir) que je connaissais les mœurs de ces deux femmes, comment pourrait-elle soutenir qu′ayant vécu dans une intimité quotidienne avec elles, les appelant « mes grandes sœurs », elle n′avait pas été de leur part l′objet de propositions qui l′auraient fait rompre avec elles, si, au contraire, elle ne les avait acceptées ? Mais je n′eus pas le temps de dire ce que je savais. Albertine, croyant, comme pour le faux voyage à Balbec, que j′avais appris la vérité, soit par Mlle Vinteuil, si elle avait été chez les Verdurin, soit par Mme Verdurin tout simplement, qui avait pu parler d′elle à Mlle Vinteuil, ne me laissa pas prendre la parole et me fit un aveu exactement contraire de celui que j′avais cru, mais qui, en me démontrant qu′elle n′avait jamais cessé de me mentir, me fit peut-être autant de peine (surtout parce que je n′étais plus, comme j′ai dit tout à l′heure, jaloux de Mlle Vinteuil) ; donc, prenant les devants, Albertine parla ainsi : « Vous voulez dire que vous avez appris ce soir que je vous ai menti quand j′ai prétendu avoir été à moitié élevée par l′amie de Mlle Vinteuil. C′est vrai que je vous ai un peu menti. Mais je me sentais si dédaignée par vous, je vous voyais aussi si enflammé pour la musique de ce Vinteuil que, comme une de mes camarades — ça c′est vrai, je vous le jure — avait été amie de l′amie de Mlle Vinteuil, j′ai cru bêtement me rendre intéressante à vos yeux en inventant que j′avais beaucoup connu ces jeunes filles. Je sentais que je vous ennuyais, que vous me trouviez bécasse ; j′ai pensé qu′en vous disant que ces gens-là m′avaient fréquentée, je pourrais très bien vous donner des détails sur les œuvres de Vinteuil, je prendrais un petit peu de prestige à vos yeux, que cela nous rapprocherait. Quand je vous mens, c′est toujours par amitié pour vous. Et il a fallu cette fatale soirée Verdurin pour que vous appreniez la vérité, qu′on a peut-être exagérée, du reste. Je parie que l′amie de Mlle Vinteuil vous aura dit qu′elle ne me connaissait pas. Elle m′a vue au moins deux fois chez ma camarade. Mais, naturellement, je ne suis pas assez chic pour des gens qui sont devenus si célèbres. Ils préfèrent dire qu′ils ne m′ont jamais vue. » Pauvre Albertine, quand elle avait cru que de me dire qu′elle avait été si liée avec l′amie de Mlle Vinteuil retarderait son « plaquage », la rapprocherait de moi, elle avait, comme il arrive si souvent, atteint la vérité par un autre chemin que celui qu′elle avait voulu prendre. Se montrer plus renseignée sur la musique que je ne l′aurais cru ne m′aurait nullement empêché de rompre avec elle ce soir-là, dans le petit tram ; et pourtant, c′était bien cette phrase, qu′elle avait dite dans ce but, qui avait immédiatement amené bien plus que l′impossibilité de rompre. Seulement elle faisait une erreur d′interprétation, non sur l′effet que devait avoir cette phrase, mais sur la cause en vertu de laquelle elle devait produire cet effet, cause qui était non pas d′apprendre sa culture musicale, mais ses mauvaises relations. Ce qui m′avait brusquement rapproché d′elle, bien plus, fondu en elle, ce n′était pas l′attente d′un plaisir — et un plaisir est encore trop dire, un léger agrément — c′était l′étreinte d′une douleur. Albertine gazed at me fixedly with a tormented air, seeking to read in my eyes how much I knew. Now, what I knew and what I was about to tell her as to Mlle. Vinteuil′s true nature, it was true that it was not at the Verdurins′ that I had learned it, but at Montjouvain long ago. Only, as I had always refrained, deliberately, from mentioning it to Albertine, I could now appear to have learned it only this evening. And I could almost feel a joy — after having felt, on the little tram, so keen an anguish — at possessing this memory of Montjouvain, which I postdated, but which would nevertheless be the unanswerable proof, a crushing blow to Albertine. This time at least, I had no need to “seem to know” and to “make Albertine speak”; I did know, I had seen through the lighted window at Montjouvain. It had been all very well for Albertine to tell me that her relations with Mlle. Vinteuil and her friend had been perfectly pure, how could she when I swore to her (and swore without lying) that I knew the habits of these two women, how could she maintain any longer that, having lived in a daily intimacy with them, calling them “my big sisters,” she had not been approached by them with suggestions which would have made her break with them, if on the contrary she had not complied? But I had no time to tell her what I knew. Albertine, imagining, as in the case of the pretended excursion to Balbec, that I had learned the truth, either from Mlle. Vinteuil, if she had been at the Verdurins′, or simply from Mme. Verdurin herself who might have mentioned her to Mlle. Vinteuil, did not allow me to speak but made a confession, the exact opposite of what I had supposed, which nevertheless, by shewing me that she had never ceased to lie to me, caused me perhaps just as much grief (especially since I was no longer, as I said a moment ago, jealous of Mlle. Vinteuil); in short, taking the words out of my mouth, Albertine proceeded to say: “You mean to tell me that you found out this evening that I lied to you when I pretended that I had been more or less brought up by Mlle. Vinteuil′s friend. It is true that I did lie to you a little. But I felt that you despised me so, I saw too that you were so keen upon that man Vinteuil′s music that as one of my school friends — this is true, I swear to you — had been a friend of Mlle. Vinteuil′s friend, I stupidly thought that I might make myself seem interesting to you by inventing the story that I had known the girls quite well. I felt that I was boring you, that you thought me a goose, I thought that if I told you that those people used to see a lot of me, that I could easily tell you all sorts of things about Vinteuil′s work, I should acquire a little importance in your eyes, that it would draw us together. When I lie to you, it is always out of affection for you. And it needed this fatal Verdurin party to open your eyes to the truth, which has been a bit exaggerated besides. I bet, Mlle. Vinteuil′s friend told you that she did not know me. She met me at least twice at my friend′s house. But of course, I am not smart enough for people like that who have become celebrities. They prefer to say that they have never met me.” Poor Albertine, when she imagined that to tell me that she had been so intimate with Mlle. Vinteuil′s friend would postpone her own dismissal, would draw her nearer to me, she had, as so often happens, attained the truth by a different road from that which she had intended to take. Her shewing herself better informed about music than I had supposed would never have prevented me from breaking with her that evening, on the little tram; and yet it was indeed that speech, which she had made with that object, which had immediately brought about far more than the impossibility of a rupture. Only she made an error in her interpretation, not of the effect which that speech was to have, but of the cause by virtue of which it was to produce that effect, a cause which was my discovery not of her musical culture, but of her evil associations. What had abruptly drawn me to her, what was more, merged me in her was not the expectation of a pleasure — and pleasure is too strong a word, a slight interest — it was a wringing grief.
Cette fois-ci encore, je n′avais pas le temps de garder un trop long silence qui eût pu lui laisser supposer de l′étonnement. Aussi, touché qu′elle fût si modeste et se crût dédaignée dans le milieu Verdurin, je lui dis tendrement : « Mais, ma chérie, je vous donnerais bien volontiers quelques centaines de francs pour que vous alliez faire où vous voudriez la dame chic et que vous invitiez à un beau dîner M. et Mme Verdurin. » Hélas ! Albertine était plusieurs personnes. La plus mystérieuse, la plus simple, la plus atroce se montra dans la réponse qu′elle me fit d′un air de dégoût, et dont, à dire vrai, je ne distinguai pas bien les mots (même les mots du commencement puisqu′elle ne termina pas). Je ne les rétablis qu′un peu plus tard, quand j′eus deviné sa pensée. On entend rétrospectivement quand on a compris. « Grand merci ! dépenser un sou pour ces vieux-là, j′aime bien mieux que vous me laissiez une fois libre pour que j′aille me faire casserÂ… » Aussitôt dit sa figure s′empourpra, elle eut l′air navré, elle mit sa main devant sa bouche comme si elle avait pu faire rentrer les mots qu′elle venait de dire et que je n′avais pas du tout compris. « Qu′est-ce que vous dites, Albertine ? — Non rien, je m′endormais à moitié. — Mais pas du tout, vous êtes très réveillée. — Je pensais au dîner Verdurin, c′est très gentil de votre part. — Mais non, je parle de ce que vous avez dit. » Elle me donna mille versions qui ne cadraient nullement, je ne dis même pas avec ses paroles qui, interrompues, restaient vagues, mais avec cette interruption même et la rougeur subite qui l′avait accompagnée. « Voyons, mon chéri, ce n′est pas cela que vous voulez dire, sans quoi pourquoi vous seriez-vous arrêtée ? — Parce que je trouvais ma demande indiscrète. — Quelle demande ? — De donner un dîner. — Mais non, ce n′est pas cela, il n′y a pas de discrétion à faire entre nous. — Mais si, au contraire, il ne faut pas abuser des gens qu′on aime. En tous cas je vous jure que c′est cela. » Once again I had to be careful not to keep too long a silence which might have led her to suppose that I was surprised. And so, touched by the discovery that she was so modest and had thought herself despised in the Verdurin circle, I said to her tenderly: “But, my darling, I would gladly give you several hundred francs to let you go and play the fashionable lady wherever you please and invite M. and Mme. Verdurin to a grand dinner.” Alas! Albertine was several persons in one. The most mysterious, most simple, most atrocious revealed herself in the answer which she made me with an air of disgust and the exact words to tell the truth I could not quite make out (even the opening words, for she did not finish her sentence). I succeeded in establishing them only a little later when I had guessed what was in her mind. We hear things retrospectively when we have understood them. “Thank you for nothing! Fancy spending a cent upon those old frumps, I′d a great deal rather you left me alone for once in a way so that I can go and get some one decent to break my. . . . ” As she uttered the words, her face flushed crimson, a look of terror came to her eyes, she put her hand over her mouth as though she could have thrust back the words which she had just uttered and which I had completely failed to understand. “What did you say, Albertine?” “No, nothing, I was half asleep and talking to myself.” “Not a bit of it, you were wide awake.” “I was thinking about asking the Verdurins to dinner, it is very good of you.” “No, I mean what you said just now.” She gave me endless versions, none of which agreed in the least, I do not say with her words which, being interrupted, remained vague, but with the interruption itself and the sudden flush that had accompanied it. “Come, my darling, that is not what you were going to say, otherwise why did you stop short.” “Because I felt that my request was indiscreet.” “What request?” “To be allowed to give a dinner-party.” “No, it is not that, there is no need of discretion between you and me.” “Indeed there is, we ought never to take advantage of the people we love. In any case, I swear to you that that was all.”
D′une part, il m′était toujours impossible de douter d′un serment d′elle ; d′autre part, ses explications ne satisfaisaient pas ma raison. Je ne cessai pas d′insister. « Enfin, au moins ayez le courage de finir votre phrase, vous en êtes restée à casserÂ… — Oh ! non, laissez-moi ! — Mais pourquoi ? — Parce que c′est affreusement vulgaire, j′aurais trop de honte de dire ça devant vous. Je ne sais pas à quoi je pensais ; ces mots, dont je ne sais même pas le sens et que j′avais entendus, un jour dans la rue, dits par des gens très orduriers, me sont venus à la bouche, sans rime ni raison. Ça ne se rapporte ni à moi ni à personne, je rêvais tout haut. » Je sentis que je ne tirerais rien de plus d′Albertine. Elle m′avait menti quand elle m′avait juré tout à l′heure que ce qui l′avait arrêtée c′était une crainte mondaine d′indiscrétion, devenue maintenant la honte de tenir devant moi un propos trop vulgaire. Or c′était certainement un second mensonge. Car, quand nous étions ensemble avec Albertine, il n′y avait pas de propos si pervers, de mots si grossiers que nous ne les prononcions tout en nous caressant. En tous cas, il était inutile d′insister en ce moment. Mais ma mémoire restait obsédée par ce mot « casser ». Albertine disait souvent « casser du bois », « casser du sucre sur quelqu′un », ou tout court : « ah ! ce que je lui en ai cassé ! » pour dire « ce que je l′ai injurié ! » Mais elle disait cela couramment devant moi, et si c′est cela qu′elle avait voulu dire, pourquoi s′était-elle tue brusquement ? pourquoi avait-elle rougi si fort, mis ses mains sur sa bouche, refait tout autrement sa phrase et, quand elle avait vu que j′avais bien entendu « casser », donné une fausse explication ? Mais du moment que je renonçais à poursuivre un interrogatoire où je ne recevrais pas de réponse, le mieux était d′avoir l′air de n′y plus penser, et revenant par la pensée aux reproches qu′Albertine m′avait faits d′être allé chez la Patronne, je lui dis fort gauchement, ce qui était comme une espèce d′excuse stupide : « J′avais justement voulu vous demander de venir ce soir à la soirée des Verdurin » — phrase doublement maladroite, car si je le voulais, l′ayant vue tout le temps, pourquoi ne le lui aurais-je pas proposé ? Furieuse de mon mensonge et enhardie par ma timidité : « Vous me l′auriez demandé pendant mille ans, me dit-elle, que je n′aurais pas consenti. Ce sont des gens qui ont toujours été contre moi, ils ont tout fait pour me contrarier. Il n′y a pas de gentillesses que je n′aie eue pour Mme Verdurin à Balbec, j′en ai été joliment récompensée. Elle me ferait demander à son lit de mort que je n′irais pas. Il y a des choses qui ne se pardonnent pas. Quant à vous, c′est la première indélicatesse que vous me faites. Quand Françoise m′a dit que vous étiez sorti (elle était contente, allez, de me le dire), j′aurais mieux aimé qu′on me fende la tête par le milieu. J′ai tâché qu′on ne remarque rien, mais de ma vie je n′ai jamais ressenti un affront pareil. » Pendant qu′elle me parlait, se poursuivait en moi, dans le sommeil fort vivant et créateur de l′inconscient (sommeil où achèvent de se graver les choses qui nous effleurèrent seulement, où les mains endormies se saisissent de la clef qui ouvre, vainement cherchée jusque-là), la recherche de ce qu′elle avait voulu dire par la phrase interrompue dont j′aurais voulu savoir quelle eût été la fin. Et tout d′un coup deux mots atroces, auxquels je n′avais nullement songé, tombèrent sur moi : « le pot ». Je ne peux pas dire qu′ils vinrent d′un seul coup, comme quand, dans une longue soumission passive à un souvenir incomplet, tout en tâchant doucement, prudemment, de l′étendre, on reste plié, collé à lui. Non, contrairement à ma manière habituelle de me souvenir, il y eut, je crois, deux voies parallèles de recherche : l′une tenait compte non pas seulement de la phrase d′Albertine, mais de son regard excédé quand je lui avais proposé un don d′argent pour donner un beau dîner, un regard qui semblait dire : « Merci, dépenser de l′argent pour des choses qui m′embêtent, quand, sans argent, je pourrais en faire qui m′amusent ! » Et c′est peut-être le souvenir de ce regard qu′elle avait eu qui me fit changer de méthode pour trouver la fin de ce qu′elle avait voulu dire. Jusque-là je m′étais hypnotisé sur le dernier mot : « casser », elle avait voulu dire casser quoi ? Casser du bois ? Non. Du sucre ? Non. Casser, casser, casser. Et tout à coup, le regard qu′elle avait eu au moment de ma proposition qu′elle donnât un dîner me fit rétrograder aussi dans les mots de sa phrase. Et aussitôt je vis qu′elle n′avait pas dit « casser », mais « me faire casser ». Horreur ! c′était cela qu′elle aurait préféré. Double horreur ! car même la dernière des grues, et qui consent à cela, ou le désire, n′emploie pas avec l′homme qui s′y prête cette affreuse expression. Elle se sentirait par trop avilie. Avec une femme seulement, si elle les aime, elle dit cela pour s′excuser de se donner tout à l′heure à un homme. Albertine n′avait pas menti quand elle m′avait dit qu′elle rêvait à moitié. Distraite, impulsive, ne songeant pas qu′elle était avec moi, elle avait eu le haussement d′épaules, elle avait commencé de parler comme elle eût fait avec une de ces femmes, avec peut-être une de mes jeunes filles en fleurs. Et brusquement rappelée à la réalité, rouge de honte, renfonçant ce qu′elle allait dire dans sa bouche, désespérée, elle n′avait plus voulu prononcer un seul mot. Je n′avais pas une seconde à perdre si je ne voulais pas qu′elle s′aperçût du désespoir où j′étais. Mais déjà, après le sursaut de la rage, les larmes me venaient aux yeux. Comme à Balbec, la nuit qui avait suivi sa révélation de son amitié avec les Vinteuil, il me fallait inventer immédiatement pour mon chagrin une cause plausible, en même temps capable de produire un effet si profond sur Albertine que cela me donnât un répit de quelques jours avant de prendre une décision. Aussi, au moment où elle me disait qu′elle n′avait jamais éprouvé un affront pareil à celui que je lui avais infligé en sortant, qu′elle aurait mieux aimé mourir que s′entendre dire cela par Françoise, et comme, agacé de sa risible susceptibilité, j′allais lui dire que ce que j′avais fait était bien insignifiant, que cela n′avait rien de froissant pour elle que je fusse sorti ; comme pendant ce temps-là, parallèlement, ma recherche inconsciente de ce qu′elle avait voulu dire après le mot « casser » avait abouti, et que le désespoir où ma découverte me jetait n′était pas possible à cacher complètement, au lieu de me défendre, je m′accusai. « Ma petite Albertine, lui dis-je d′un ton doux que gagnaient mes premières larmes, je pourrais vous dire que vous avez tort, que ce que j′ai fait n′est rien, mais je mentirais ; c′est vous qui avez raison, vous avez compris la vérité, mon pauvre petit, c′est qu′il y a six mois, c′est qu′il y a trois mois, quand j′avais encore tant d′amitié pour vous, jamais je n′eusse fait cela. C′est un rien et c′est énorme à cause de l′immense changement dans mon cœur dont cela est le signe. Et puisque vous avez deviné ce changement, que j′espérais vous cacher, cela m′amène à vous dire ceci : Ma petite Albertine (et je le dis avec une douceur et une tristesse profondes), voyez-vous, la vie que vous menez ici est ennuyeuse pour vous, il vaut mieux nous quitter, et comme les séparations les meilleures sont celles qui s′effectuent le plus rapidement, je vous demande, pour abréger le grand chagrin que je vais avoir, de me dire adieu ce soir et de partir demain matin sans que je vous aie revue, pendant que je dormirai. » Elle parut stupéfaite, encore incrédule et déjà désolée : « Comment demain ? Vous le voulez ? » Et malgré la souffrance que j′éprouvais à parler de notre séparation comme déjà entrée dans le passé — peut-être en partie à cause de cette souffrance même — je me mis à adresser à Albertine les conseils les plus précis pour certaines choses qu′elle aurait à faire après son départ de la maison. Et, de recommandations en recommandations, j′en arrivai bientôt à entrer dans de minutieux détails. « Ayez la gentillesse, dis-je avec une infinie tristesse, de me renvoyer le livre de Bergotte qui est chez votre tante. Cela n′a rien de pressé, dans trois jours, dans huit jours, quand vous voudrez, mais pensez-y pour que je n′aie pas à vous le faire demander, cela me ferait trop de mal. Nous avons été heureux, nous sentons maintenant que nous serions malheureux. — Ne dites pas que nous sentons que nous serions malheureux, me dit Albertine en m′interrompant, ne dites pas « nous », c′est vous seul qui trouvez cela. — Oui, enfin, vous ou moi, comme vous voudrez, pour une raison ou l′autre. Mais il est une heure folle, il faut vous coucherÂ… nous avons décidé de nous quitter ce soir. — Pardon, vous avez décidé et je vous obéis parce que je ne veux pas vous faire de la peine. — Soit, c′est moi qui ai décidé, mais ce n′en est pas moins douloureux pour moi. Je ne dis pas que ce sera douloureux longtemps, vous savez que je n′ai pas la faculté de me souvenir longtemps, mais les premiers jours je m′ennuierai tant après vous ! Aussi je trouve inutile de raviver par des lettres, il faut finir tout d′un coup. — Oui, vous avez raison, me dit-elle d′un air navré, auquel ajoutaient encore ses traits fléchis par la fatigue de l′heure tardive ; plutôt que de se faire couper un doigt puis un autre, j′aime mieux donner la tête tout de suite. — Mon Dieu, je suis épouvanté en pensant à l′heure à laquelle je vous fais coucher, c′est de la folie. Enfin, pour le dernier soir ! Vous aurez le temps de dormir tout le reste de la vie. » Et ainsi en lui disant qu′il fallait nous dire bonsoir, je cherchais à retarder le moment où elle me l′eût dit. « Voulez-vous, pour vous distraire les premiers jours, que je dise à Bloch de vous envoyer sa cousine Esther à l′endroit où vous serez, il fera cela pour moi. — Je ne sais pas pourquoi vous dites cela (je le disais pour tâcher d′arracher un aveu à Albertine) ; je ne tiens qu′à une seule personne c′est à vous », me dit Albertine, dont les paroles me remplirent de douceur. Mais, aussitôt, quel mal elle me fit : « Je me rappelle très bien que j′ai donné ma photographie à Esther parce qu′elle insistait beaucoup et que je voyais que cela lui ferait plaisir, mais quant à avoir eu de l′amitié pour elle ou à avoir envie de la voir jamaisÂ… » Et pourtant Albertine était de caractère si léger qu′elle ajouta : « Si elle veut me voir, moi ça m′est égal, elle est très gentille, mais je n′y tiens aucunement. » Ainsi, quand je lui avais parlé de la photographie d′Esther que m′avait envoyée Bloch (et que je n′avais même pas encore reçue quand j′en avais parlé à Albertine), mon amie avait compris que Bloch m′avait montré une photographie d′elle, donnée par elle à Esther. Dans mes pires suppositions, je ne m′étais jamais figuré qu′une pareille intimité avait pu exister entre Albertine et Esther. Albertine n′avait rien trouvé à me répondre quand j′avais parlé de la photographie. Et maintenant, me croyant, bien à tort, au courant, elle trouvait plus habile d′avouer. J′étais accablé. On the one hand it was still impossible for me to doubt her sworn word, on the other hand her explanations did not satisfy my critical spirit. I continued to press her. “Anyhow, you might at least have the courage to finish what you were saying, you stopped short at break.” “No, leave me alone!” “But why?” “Because it is dreadfully vulgar, I should be ashamed to say such a thing in front of you. I don′t know what I was thinking of, the words — I don′t even know what they mean, I heard them used in the street one day by some very low people — just came to my lips without rhyme or reason. It had nothing to do with me or anybody else, I was simply dreaming aloud.” I felt that I should extract nothing more from Albertine. She had lied to me when she had sworn, a moment ago, that what had cut her short had been a social fear of being indiscreet, since it had now become the shame of letting me hear her use a vulgar expression. Now this was certainly another lie. For when we were alone together there was no speech too perverse, no word too coarse for us to utter among our embraces. Anyhow, it was useless to insist at that moment. But my memory remained obsessed by the word “break.” Albertine frequently spoke of ‘breaking sticks′ or ‘breaking sugar′ over some one, or would simply say: “Ah! I fairly broke it over him!” meaning “I fairly gave it to him!” But she would say this quite freely in my presence, and if it was this that she had meant to say, why had she suddenly stopped short, why had she blushed so deeply, placed her hands over her mouth, given a fresh turn to her speech, and, when she saw that I had heard the word ‘break,′ offered a false explanation. But as soon as I had abandoned the pursuit of an interrogation from which I received no response, the only thing to do was to appear to have lost interest in the matter, and, retracing my thoughts to Albertine′s reproaches of me for having gone to the Mistress′s, I said to her, very awkwardly, making indeed a sort of stupid excuse for my conduct: “Why, I had been meaning to ask you to come to the Verdurins′ party this evening,” a speech that was doubly maladroit, for if I meant it, since I had been with her all the day, why should I not have made the suggestion? Furious at my lie and emboldened by my timidity: “You might have gone on asking me for a thousand years,” she said, “I would never have consented. They are people who have always been against me, they have done everything they could to upset me. There was nothing I didn′t do for Mme. Verdurin at Balbec, and I′ve been finely rewarded. If she summoned me to her deathbed, I wouldn′t go. There are some things which it is impossible to forgive. As for you, it′s the first time you′ve treated me badly. When Françoise told me that you had gone out (she enjoyed telling me that, I don′t think), you might have knocked me down with a feather. I tried not to shew any sign, but never in my life have I been so insulted.” While she was speaking, there continued in myself, in the thoroughly alive and creative sleep of the unconscious (a sleep in which the things that barely touch us succeed in carving an impression, in which our hands take hold of the key that turns the lock, the key for which we have sought in vain), the quest of what it was that she had meant by that interrupted speech the end of which I was so anxious to know. And all of a sudden an appalling word, of which I had never dreamed, burst upon me: ‘pot.′ I cannot say that it came to me in a single flash, as when, in a long passive submission to an incomplete memory, while we try gently, cautiously, to draw it out, we remain fastened, glued to it. No, in contrast to the ordinary process of my memory, there were, I think, two parallel quests; the first took into account not merely Albertine′s words, but her look of extreme annoyance when I had offered her a sum of money with which to give a grand dinner, a look which seemed to say: “Thank you, the idea of spending money upon things that bore me, when without money I could do things that I enjoy doing!” And it was perhaps the memory of this look that she had given me which made me alter my method in discovering the end of her unfinished sentence. Until then I had been hypnotised by her last word: ‘break,′ she had meant to say break what? Break wood? No. Sugar? No. Break, break, break. And all at once the look that she had given me at the moment of my suggestion that she should give a dinner-party, turned me back to the words that had preceded. And immediately I saw that she had not said ‘break′ but ‘get some one to break.′ Horror! It was this that she would have preferred. Twofold horror! For even the vilest of prostitutes, who consents to that sort of thing, or desires it, does not employ to the man who yields to her desires that appalling expression. She would feel the degradation too great. To a woman alone, if she loves women, she says this, as an excuse for giving herself presently to a man. Albertine had not been lying when she told me that she was speaking in a dream. Distracted, impulsive, not realising that she was with me, she had, with a shrug of her shoulders, begun to speak as she would have spoken to one of those women, to one, perhaps, of my young budding girls. And abruptly recalled to reality, crimson with shame, thrusting back between her lips what she was going to say, plunged in despair, she had refused to utter another word. I had not a moment to lose if I was not to let her see how desperate I was. But already, after my sudden burst of rage, the tears came to my eyes. As at Balbec, on the night that followed her revelation of her friendship with the Vinteuil pair, I must immediately invent a plausible excuse for my grief, and one that was at the same time capable of creating so profound an effect upon Albertine as to give me a few days′ respite before I came to a decision. And so, at the moment when she told me that she had never received such an insult as that which I had inflicted upon her by going out, that she would rather have died than hear Françoise tell her of my departure, when, as though irritated by her absurd susceptibility, I was on the point of telling her that what I had done was nothing, that there was nothing that could offend her in my going out — as, during these moments, moving on a parallel course, my unconscious quest for what she had meant to say after the word ‘break′ had proved successful, and the despair into which my discovery flung me could not be completely hidden, instead of defending, I accused myself. “My little Albertine,” I said to her in a gentle voice which was drowned in my first tears, “I might tell you that you are mistaken, that what I did this evening is nothing, but I should be lying; it is you that are right, you have realised the truth, my poor child, which is that six months ago, three months ago, when I was still so fond of you, never would I have done such a thing. It is a mere nothing, and it is enormous, because of the immense change in my heart of which it is the sign. And since you have detected this change which I hoped to conceal from you, that leads me on to tell you this: My little Albertine” (and here I addressed her with a profound gentleness and melancholy), “don′t you see, the life that you are leading here is boring to you, it is better that we should part, and as the best partings are those that are ended at once, I ask you, to cut short the great sorrow that I am bound to feel, to bid me good-bye to-night and to leave in the morning without my seeing you again, while I am asleep.” She appeared stupefied, still incredulous and already disconsolate: “To-morrow? You really mean it?” And notwithstanding the anguish that I felt in speaking of our parting as though it were already in the past — partly perhaps because of that very anguish — I began to give Albertine the most precise instructions as to certain things which she would have to do after she left the house. And passing from one request to another, I soon found myself entering into the minutest details. “Be so kind,” I said, with infinite melancholy, “as to send me back that book of Bergotte′s which is at your aunt′s. There is no hurry about it, in three days, in a week, whenever you like, but remember that I don′t want to have to write and ask you for it, that would be too painful. We have been happy together, we feel now that we should be unhappy.” “Don′t say that we feel that we should be unhappy,” Albertine interrupted me, “don′t say ‘we,′ it is only you who feel that.” “Yes, very well, you or I, as you like, for one reason or another. But it is absurdly late, you must go to bed — we have decided to part to-night.” “Pardon me, you have decided, and I obey you because I do not wish to cause you any trouble.” “Very well, it is I who have decided, but that makes it none the less painful for me. I do not say that it will be painful for long, you know that I have not the faculty of remembering things for long, but for the first few days I shall be so miserable without you. And so I feel that it will be useless to revive the memory with letters, we must end everything at once.” “Yes, you are right,” she said to me with a crushed air, which was enhanced by the strain of fatigue upon her features due to the lateness of the hour; “rather than have one finger chopped off, then another, I prefer to lay my head on the block at once.” “Heavens, I am appalled when I think how late I am keeping you out of bed, it is madness. However, it′s the last night! You will have plenty of time to sleep for the rest of your life.” And as I suggested to her thus that it was time to say good night I sought to postpone the moment when she would have said it. “Would you like me, as a distraction during the first few days, to tell Bloch to send his cousin Esther to the place where you will be staying, he will do that for me.” “I don′t know why you say that” (I had said it in an endeavour to wrest a confession from Albertine); “there is only one person for whom I care, which is yourself,” Albertine said to me, and her words filled me with comfort. But, the next moment, what a blow she dealt me! “I remember, of course, that I did give Esther my photograph because she kept on asking me for it and I saw that she would like to have it, but as for feeling any liking for her or wishing ever to see her again. . . . ” And yet Albertine was of so frivolous a nature that she went on: “If she wants to see me, it is all the same to me, she is very nice, but I don′t care in the least either way.” And so when I had spoken to her of the photograph of Esther which Bloch had sent me (and which I had not even received when I mentioned it to Albertine) my mistress had gathered that Bloch had shewn me a photograph of herself, given by her to Esther. In my worst suppositions, I had never imagined that any such intimacy could have existed between Albertine and Esther. Albertine had found no words in which to answer me when I spoke of the photograph. And now, supposing me, wrongly, to be in the know, she thought it better to confess. I was appalled.
« Et puis, Albertine, je vous demande en grâce une chose, c′est de ne jamais chercher à me revoir. Si jamais, ce qui peut arriver dans un an, dans deux ans, dans trois ans, nous nous trouvions dans la même ville, évitez-moi. » Et voyant qu′elle ne répondait pas affirmativement à ma prière : « Mon Albertine, ne me revoyez jamais en cette vie. Cela me ferait trop de peine. Car j′avais vraiment de l′amitié pour vous, vous savez. Je sais bien que, quand je vous ai raconté l′autre jour que je voulais revoir l′amie dont nous avions parlé à Balbec, vous avez cru que c′était arrangé. Mais non, je vous assure que cela m′était bien égal. Vous êtes persuadée que j′avais résolu depuis longtemps de vous quitter, que ma tendresse était une comédie. — Mais non, vous êtes fou, je ne l′ai pas cru, dit-elle tristement. — Vous avez raison, il ne faut pas le croire ; je vous aimais vraiment, pas d′amour peut-être, mais de grande, de très grande amitié, plus que vous ne pouvez croire. — Mais si, je le crois. Et si vous vous figurez que moi je ne vous aime pas ! — Cela me fait une grande peine de vous quitter. — Et moi mille fois plus grande », me répondit Albertine. Et déjà, depuis un moment, je sentais que je ne pouvais plus retenir les larmes qui montaient à mes yeux. Et ces larmes ne venaient pas du tout du même genre de tristesse que j′éprouvais jadis quand je disais à Gilberte : « Il vaut mieux que nous ne nous voyions plus, la vie nous sépare. » Sans doute, quand j′écrivais cela à Gilberte, je me disais que, quand j′aimerais non plus elle, mais une autre, l′excès de mon amour diminuerait celui que j′aurais peut-être pu inspirer, comme s′il y avait fatalement entre deux êtres une certaine quantité d′amour disponible, où le trop-pris par l′un est retiré à l′autre, et que, de l′autre aussi, comme de Gilberte, je serais condamné à me séparer. Mais la situation était toute différente pour bien des raisons, dont la première, qui avait à son tour produit les autres, était que ce défaut de volonté que ma grand′mère et ma mère avaient redouté pour moi à Combray, volonté devant laquelle l′une et l′autre, tant un malade a d′énergie pour imposer sa faiblesse, avaient successivement capitulé, ce défaut de volonté avait été en s′aggravant d′une façon de plus en plus rapide. Quand j′avais senti que ma présence fatiguait Gilberte, j′avais encore assez de forces pour renoncer à elle ; je n′en avais plus quand j′avais fait la même constatation pour Albertine, et je ne songeais qu′à la retenir à tout prix. De sorte que, si j′écrivais à Gilberte que je ne la verrais plus, et dans l′intention de ne plus la voir en effet, je ne le disais à Albertine que par pur mensonge et pour amener une réconciliation. Ainsi nous présentions-nous l′un à l′autre une apparence qui était bien différente de la réalité. Et sans doute il en est toujours ainsi quand deux êtres sont face à face, puisque chacun d′eux ignore une partie de ce qui est dans l′autre (même ce qu′il sait, il ne peut en partie le comprendre) et que tous deux manifestent ce qui leur est le moins personnel, soit qu′ils n′aient pas démêlé eux-mêmes et jugent négligeable ce qui l′est le plus, soit que des avantages insignifiants et qui ne tiennent pas à eux leur semblent plus importants et plus flatteurs. Mais dans l′amour, ce malentendu est porté au degré suprême parce que, sauf peut-être quand on est enfant, on tâche que l′apparence qu′on prend, plutôt que de refléter exactement notre pensée, soit ce que cette pensée juge le plus propre à nous faire obtenir ce que nous désirons, et qui pour moi, depuis que j′étais rentré, était de pouvoir garder Albertine aussi docile que par le passé, qu′elle ne me demandât pas, dans son irritation, une liberté plus grande, que je souhaitais lui donner un jour, mais qui, en ce moment où j′avais peur de ses velléités d′indépendance, m′eût rendu trop jaloux. À partir d′un certain âge, par amour-propre et par sagacité, ce sont les choses qu′on désire le plus auxquelles on a l′air de ne pas tenir. Mais en amour, la simple sagacité — qui, d′ailleurs, n′est probablement pas la vraie sagesse — nous force assez vite à ce génie de duplicité. Tout ce que j′avais, enfant, rêvé de plus doux dans l′amour et qui me semblait de son essence même, c′était, devant celle que j′aimais, d′épancher librement ma tendresse, ma reconnaissance pour sa bonté, mon désir d′une perpétuelle vie commune. Mais je m′étais trop bien rendu compte, par ma propre expérience et d′après celle de mes amis, que l′expression de tels sentiments est loin d′être contagieuse. Une fois qu′on a remarqué cela, on ne se « laisse plus aller » ; je m′étais gardé dans l′après-midi de dire à Albertine toute la reconnaissance que je lui avais de ne pas être restée au Trocadéro. Et ce soir, ayant eu peur qu′elle me quittât, j′avais feint de désirer la quitter, feinte qui ne m′était pas seulement dictée, d′ailleurs, par les enseignements que j′avais cru recueillir de mes amours précédentes et dont j′essayais de faire profiter celui-ci. “And, Albertine, let me ask you to do me one more favour, never attempt to see me again. If at any time, as may happen in a year, in two years, in three years, we should find ourselves in the same town, keep away from me.” Then, seeing that she did not reply in the affirmative to my prayer: “My Albertine, never see me again in this world. It would hurt me too much. For I was really fond of you, you know. Of course, when I told you the other day that I wanted to see the friend again whom I mentioned to you at Balbec, you thought that it was all settled. Not at all, I assure you, it was quite immaterial to me. You were convinced that I had long made up my mind to leave you, that my affection was all make-believe.” “No indeed, you are mad, I never thought so,” she said sadly. “You are right, you must never think so, I did genuinely feel for you, not love perhaps, but a great, a very great affection, more than you can imagine.” “I can, indeed. And do you suppose that I don′t love you!” “It hurts me terribly to have to give you up.” “It hurts me a thousand times more,” replied Albertine. A moment earlier I had felt that I could no longer restrain the tears that came welling up in my eyes. And these tears did not spring from at all the same sort of misery which I had felt long ago when I said to Gilberte: “It is better that we should not see one another again, life is dividing us.” No doubt when I wrote this to Gilberte, I said to myself that when I should be in love not with her but with another, the excess of my love would diminish that which I might perhaps have been able to inspire, as though two people must inevitably have only a certain quantity of love at their disposal; of which the surplus taken by one is subtracted from the other, and that from her too, as from Gilberte, I should be doomed to part. But the situation was entirely different for several reasons, the first of which (and it had, in its turn, given rise to the others) was that the lack of will-power which my grandmother and mother had observed in me with alarm, at Combray, and before which each of them, so great is the energy with which a sick man imposes his weakness upon others, had capitulated in turn, this lack of will-power had gone on increasing at an ever accelerated pace. When I felt that my company was boring Gilberte, I had still enough strength left to give her up; I had no longer the same strength when I had made a similar discovery with regard to Albertine, and could think only of keeping her at any cost to myself. With the result that, whereas I wrote to Gilberte that I would not see her again, meaning quite sincerely not to see her, I said this to Albertine as a pure falsehood, and in the hope of bringing about a reconciliation. Thus we presented each to the other an appearance which was widely different from the reality. And no doubt it is always so when two people stand face to face, since each of them is ignorant of a part of what exists in the other (even what he knows, he can understand only in part) and since both of them display what is the least personal thing about them, whether because they have not explored themselves and regard as negligible what is most important, or because insignificant advantages which have no place in themselves seem to them more important and more flattering. But in love this misunderstanding is carried to its supreme pitch because, except perhaps when we are children, we endeavour to make the appearance that we assume, rather than reflect exactly what is in our mind, be what our mind considers best adapted to enable us to obtain what we desire, which in my case, since my return to the house, was to be able to keep Albertine as docile as she had been in the past, was that she should not in her irritation ask me for a greater freedom, which I intended to give her one day, but which at this moment, when I was afraid of her cravings for independence, would have made me too jealous. After a certain age, from self-esteem and from sagacity, it is to the things which we most desire that we pretend to attach no importance. But in love, our mere sagacity — which for that matter is probably not the true wisdom — forces us speedily enough to this genius for duplicity. All that I had dreamed, as a boy, to be the sweetest thing in love, what had seemed to me to be the very essence of love, was to pour out freely, before the feet of her whom I loved, my affection, my gratitude for her kindness, my longing for a perpetual life together. But I had become only too well aware, from my own experience and from that of my friends, that the expression of such sentiments is far from being contagious. Once we have observed this, we no longer ‘let ourself go′; I had taken good care in the afternoon not to tell Albertine how grateful I was to her that she had not remained at the Trocadéro. And to-night, having been afraid that she might leave me, I had feigned a desire to part from her, a feint which for that matter was not suggested to me merely by the enlightenment which I supposed myself to have received from my former loves and was seeking to bring to the service of this.
Cette peur qu′Albertine allât peut-être me dire : « Je veux certaines heures où je sorte seule, je veux pouvoir m′absenter vingt-quatre heures », enfin je ne sais quelle demande de la sorte, que je ne cherchais pas à définir, mais qui m′épouvantait, cette crainte m′avait un instant effleuré avant et pendant la soirée Verdurin. Mais elle s′était dissipée, contredite, d′ailleurs, par le souvenir de tout ce qu′Albertine me disait sans cesse de son bonheur à la maison. L′intention de me quitter, si elle existait chez Albertine, ne se manifestait que d′une façon obscure, par certains regards tristes, certaines impatiences, des phrases qui ne voulaient nullement dire cela, mais qui, si on raisonnait (et on n′avait même pas besoin de raisonner car on comprend immédiatement ce langage de la passion, les gens du peuple eux-mêmes comprennent ces phrases qui ne peuvent s′expliquer que par la vanité, la rancune, la jalousie, d′ailleurs inexprimées, mais que dépiste aussitôt chez l′interlocuteur une faculté intuitive qui, comme ce « bon sens » dont parle Descartes, est la chose du monde la plus répandue), révélaient la présence en elle d′un sentiment qu′elle cachait et qui pouvait la conduire à faire des plans pour une autre vie sans moi. De même que cette intention ne s′exprimait pas dans ses paroles d′une façon logique, de même le pressentiment de cette intention, que j′avais depuis ce soir, restait en moi tout aussi vague. Je continuais à vivre sur l′hypothèse qui admettait pour vrai tout ce que me disait Albertine. Mais il se peut qu′en moi, pendant ce temps-là, une hypothèse toute contraire, et à laquelle je ne voulais pas penser, ne me quittât pas ; cela est d′autant plus probable, que, sans cela, je n′eusse nullement été gêné de dire à Albertine que j′étais allé chez les Verdurin, et que, sans cela, le peu d′étonnement que me causa sa colère n′eût pas été compréhensible. De sorte que ce qui vivait probablement en moi, c′était l′idée d′une Albertine entièrement contraire à celle que ma raison s′en faisait, à celle aussi que ses paroles à elle dépeignaient, une Albertine pourtant pas absolument inventée, puisqu′elle était comme un miroir antérieur de certains mouvements qui se produisirent chez elle, comme sa mauvaise humeur que je fusse allé chez les Verdurin. D′ailleurs, depuis longtemps, mes angoisses fréquentes, ma peur de dire à Albertine que je l′aimais, tout cela correspondait à une autre hypothèse qui expliquait bien plus de choses et avait aussi cela pour elle, que, si on adoptait la première, la deuxième devenait plus probable, car en me laissant aller à des effusions de tendresse avec Albertine, je n′obtenais d′elle qu′une irritation (à laquelle, d′ailleurs, elle assignait une autre cause). The fear that Albertine was perhaps going to say to me: “I wish to be allowed to go out by myself at certain hours, I wish to be able to stay away for a night,” in fact any request of that sort, which I did not attempt to define, but which alarmed me, this fear had entered my mind for a moment before and during the Verdurins′ party. But it had been dispelled, contradicted moreover by the memory of how Albertine assured me incessantly how happy she was with me. The intention to leave me, if it existed in Albertine, was made manifest only in an obscure fashion, in certain sorrowful glances, certain gestures of impatience, speeches which meant nothing of the sort, but which, if one analysed them (and there was not even any need of analysis, for we can immediately detect the language of passion, the lower orders themselves understand these speeches which can be explained only by vanity, rancour, jealousy, unexpressed as it happens, but revealing itself at once to the listener by an intuitive faculty which, like the ‘good sense′ of which Descartes speaks, is the most widespread thing in the world), revealed the presence in her of a sentiment which she concealed and which might lead her to form plans for another life apart from myself. Just as this intention was not expressed in her speech in a logical fashion, so the presentiment of this intention, which I had felt tonight, remained just as vague in myself. I continued to live by the hypothesis which admitted as true everything that Albertine told me. But it may be that in myself, during this time, a wholly contrary hypothesis, of which I refused to think, never left me; this is all the more probable since, otherwise, I should have felt no hesitation in telling Albertine that I had been to the Verdurins′, and, indeed, my want of astonishment at her anger would not have been comprehensible. So that what probably existed in me was the idea of an Albertine entirely opposite to that which my reason formed of her, to that also which her own speech portrayed, an Albertine that all the same was not wholly invented, since she was like a prophetic mirror of certain impulses that occurred in her, such as her ill humour at my having gone to the Verdurins′. Besides, for a long time past, my frequent anguish, my fear of telling Albertine that I loved her, all this corresponded to another hypothesis which explained many things besides, and had also this to be said for it, that, if one adopted the first hypothesis, the second became more probable, for by allowing myself to give way to effusive tenderness for Albertine, I obtained from her nothing but irritation (to which moreover she assigned a different cause).
En analysant d′après cela, d′après le système invariable de ripostes dépeignant exactement le contraire de ce que j′éprouvais, je peux être assuré que si, ce soir-là, je lui dis que j′allais la quitter, c′était — même avant que je m′en fusse rendu compte — parce que j′avais peur qu′elle voulût une liberté (je n′aurais pas trop su dire quelle était cette liberté qui me faisait trembler, mais enfin une liberté telle qu′elle eût pu me tromper, ou du moins que je n′aurais plus pu être certain qu′elle ne me trompât pas) et que je voulais lui montrer par orgueil, par habileté, que j′étais bien loin de craindre cela, comme déjà, à Balbec, quand je voulais qu′elle eût une haute idée de moi et, plus tard, quand je voulais qu′elle n′eût pas le temps de s′ennuyer avec moi. Enfin, pour l′objection qu′on pourrait opposer à cette deuxième hypothèse — l′informulée — que tout ce qu′Albertine me disait toujours signifiait, au contraire, que sa vie préférée était la vie chez moi, le repos, la lecture, la solitude, la haine des amours saphiques, etc., il serait inutile de s′y arrêter. Car si, de son côté, Albertine avait voulu juger de ce que j′éprouvais par ce que je lui disais, elle aurait appris exactement le contraire de la vérité, puisque je ne manifestais jamais le désir de la quitter que quand je ne pouvais pas me passer d′elle, et qu′à Balbec je lui avais avoué aimer une autre femme, une fois Andrée, une autre fois une personne mystérieuse, les deux fois où la jalousie m′avait rendu de l′amour pour Albertine. Mes paroles ne reflétaient donc nullement mes sentiments. Si le lecteur n′en a que l′impression assez faible, c′est qu′étant narrateur je lui expose mes sentiments en même temps que je lui répète mes paroles. Mais si je lui cachais les premiers et s′il connaissait seulement les secondes, mes actes, si peu en rapport avec elles, lui donneraient si souvent l′impression d′étranges revirements qu′il me croirait à peu près fou. Procédé qui ne serait pas, du reste, beaucoup faux que celui que j′ai adopté, car les images qui me faisaient agir, si opposées à celles qui se peignaient dans mes paroles, étaient à ce moment-là fort obscures ; je ne connaissais qu′imparfaitement la nature suivant laquelle j′agissais ; aujourd′hui, j′en connais clairement la vérité subjective. Quant à sa vérité objective, c′est-à-dire si les inclinations de cette nature saisissaient plus exactement que mon raisonnement les intentions véritables d′Albertine, si j′ai eu raison de me fier à cette nature et si, au contraire, elle n′a pas altéré les intentions d′Albertine au lieu de les démêler, c′est ce qu′il m′est difficile de dire. Cette crainte vague, éprouvée par moi chez les Verdurin, qu′Albertine me quittât, s′était d′abord dissipée. Quand j′étais rentré, ç′avait été avec le sentiment d′être un prisonnier, nullement de retrouver une prisonnière. Mais la crainte dissipée m′avait ressaisi avec plus de force, quand, au moment où j′avais annoncé à Albertine que j′étais allé chez les Verdurin, j′avais vu se superposer à son visage une apparence d′énigmatique irritation, qui n′y affleurait pas, du reste, pour la première fois. Je savais bien qu′elle n′était que la cristallisation dans la chair de griefs raisonnés, d′idées claires pour l′être qui les forme et qui les tait, synthèse devenue visible mais non plus rationnelle, et que celui qui en recueille le précieux résidu sur le visage de l′être aimé essaye à son tour, pour comprendre ce qui se passe en celui-ci, de ramener par l′analyse à ses éléments intellectuels. L′équation approximative de cette inconnue qu′était pour moi la pensée d′Albertine m′avait à peu près donné : « Je savais ses soupçons, j′étais sûre qu′il chercherait à les vérifier, et pour que je ne puisse pas le gêner, il a fait tout son petit travail en cachette. » Mais si c′est avec de telles idées, et qu′elle ne m′avait jamais exprimées, que vivait Albertine, ne devait-elle pas prendre en horreur, n′avoir plus la force de mener, ne pouvait-elle pas, d′un jour à l′autre, décider de cesser une existence où, si elle était, au moins de désir, coupable, elle se sentait devinée, traquée, empêchée de se livrer jamais à ses goûts, sans que ma jalousie en fût désarmée ; où, si elle était innocente d′intention et de fait, elle avait le droit, depuis quelque temps, de se sentir découragée, en voyant que, depuis Balbec où elle avait mis tant de persévérance à éviter de jamais rester seule avec Andrée, jusqu′à aujourd′hui où elle avait renoncé à aller chez les Verdurin et à rester au Trocadéro, elle n′avait pas réussi à regagner ma confiance. D′autant plus que je ne pouvais pas dire que sa tenue ne fût parfaite. Si, à Balbec, quand on parlait de jeunes filles qui avaient mauvais genre, elle avait eu souvent des rires, des éploiements de corps, des imitations de leur genre, qui me torturaient à cause de ce que je supposais que cela signifiait pour ses amies, depuis qu′elle savait mon opinion là-dessus, dès qu′on faisait allusion à ce genre de choses, elle cessait de prendre part à la conversation, non seulement avec la parole, mais avec l′expression du visage. Soit pour ne pas contribuer aux malveillances qu′on disait sur telle ou telle, soit pour toute autre raison, la seule chose qui frappait alors, dans ses traits si mobiles, c′est qu′à partir du moment où on avait effleuré ce sujet, ils avaient témoigné de leur distraction, en gardant exactement l′expression qu′ils avaient un instant avant. Et cette immobilité d′une expression même légère pesait comme un silence ; il eût été impossible de dire qu′elle blâmât, qu′elle approuvât, qu′elle connût ou non ces choses. Chacun de ses traits n′était plus en rapport qu′avec un autre de ses traits. Son nez, sa bouche, ses yeux formaient une harmonie parfaite, isolée du reste ; elle avait l′air d′un pastel et de ne pas plus avoir entendu ce qu′on venait de dire que si on l′avait dit devant un portrait de Latour. If I analyse my feelings by this hypothesis, by the invariable system of retorts expressing the exact opposite of what I was feeling, I can be quite certain that if, to-night, I told her that I was going to send her away, it was — at first, quite unconsciously — because I was afraid that she might desire her freedom (I should have been put to it to say what this freedom was that made me tremble, but anyhow some state of freedom in which she would have been able to deceive me, or, at least, I should no longer have been able to be certain that she was not) and wished to shew her, from pride, from cunning, that I was very far from fearing anything of the sort, as I had done already, at Balbec, when I was anxious that she should have a good opinion of me, and later on, when I was anxious that she should not have time to feel bored with me. In short, the objection that might be offered to this second hypothesis — which I did not formulate — that everything that Albertine said to me indicated on the contrary that the life which she preferred was the life in my house, resting, reading, solitude, a loathing of Sapphic loves, and so forth, need not be considered seriously. For if on her part Albertine had chosen to interpret my feelings from what I said to her, she would have learned the exact opposite of the truth, since I never expressed a desire to part from her except when I was unable to do without her, and at Balbec I had confessed to her that I was in love with another woman, first Andrée, then a mysterious stranger, on the two occasions on which jealousy had revived my love for Albertine. My words, therefore, did not in the least reflect my sentiments. If the reader has no more than a faint impression of these, that is because, as narrator, I reveal my sentiments to him at the same time as I repeat my words. But if I concealed the former and he were acquainted only with the latter, my actions, so little in keeping with my speech, would so often give him the impression of strange revulsions of feeling that he would think me almost mad. A procedure which would not, for that matter, be much more false than that which I have adopted, for the images which prompted me to action, so opposite to those which were portrayed in my speech, were at that moment extremely obscure; I was but imperfectly aware of the nature which guided my actions; at present, I have a clear conception of its subjective truth. As for its objective truth, that is to say whether the inclinations of that nature grasped more exactly than my reason Albertine′s true intentions, whether I was right to trust to that nature or on the contrary it did not corrupt Albertine′s intentions instead of making them plain, that I find difficult to say. That vague fear which I had felt at the Verdurins′ that Albertine might leave me had been at once dispelled. When I returned home, it had been with the feeling that I myself was a captive, not with that of finding a captive in the house. But the dispelled fear had gripped me all the more violently when, at the moment of my informing Albertine that I had been to the Verdurins′, I saw her face veiled with a look of enigmatic irritation which moreover was not making itself visible for the first time. I knew quite well that it was only the crystallisation in the flesh of reasoned complaints, of ideas clear to the person who forms and does not express them, a synthesis rendered visible but not therefore rational, which the man who gathers its precious residue from the face of his beloved, endeavours in his turn, so that he may understand what is occurring in her, to reduce by analysis to its intellectual elements. The approximate equation of that unknown quantity which Albertine′s thoughts were to me, had given me, more or less: “I knew his suspicions, I was sure that he would attempt to verify them, and so that I might not hinder him, he has worked out his little plan in secret.” But if this was the state of mind (and she had never expressed it to me) in which Albertine was living, must she not regard with horror, find the strength fail her to carry on, might she not at any moment decide to terminate an existence in which, if she was, in desire at any rate, guilty, she must feel herself exposed, tracked down, prevented from ever yielding to her instincts, without thereby disarming my jealousy, and if innocent in intention and fact, she had had every right, for some time past, to feel discouraged, seeing that never once, from Balbec, where she had shewn so much perseverance in avoiding the risk of her ever being left alone with Andrée, until this very day when she had agreed not to go to the Verdurins′ and not to stay at the Trocadéro, had she succeeded in regaining my confidence. All the more so as I could not say that her behaviour was not exemplary. If at Balbec, when anyone mentioned girls who had a bad style, she used often to copy their laughter, their wrigglings, their general manner, which was a torture to me because of what I supposed that it must mean to her girl friends, now that she knew my opinion on the subject, as soon as anyone made an allusion to things of that sort, she ceased to take part in the conversation, not only in speech but with the expression on her face. Whether it was in order not to contribute her share to the slanders that were being uttered about some woman or other, or for a quite different reason, the only thing that was noticeable then, upon those so mobile features, was that from the moment in which the topic was broached they had made their inattention evident, while preserving exactly the same expression that they had worn a moment earlier. And this immobility of even a light expression was as heavy as a silence; it would have been impossible to say that she blamed, that she approved, that she knew or did not know about these things. None of her features bore any relation to anything save another feature. Her nose, her mouth, her eyes formed a perfect harmony, isolated from everything else; she looked like a pastel, and seemed to have no more heard what had just been said than if it had been uttered in front of a portrait by Latour.
Mon esclavage, encore perçu par moi, quand, en donnant au cocher l′adresse de Brichot, j′avais vu la lumière de la fenêtre, avait cessé de me peser peu après, quand j′avais vu qu′Albertine avait l′air de sentir si cruellement le sien. Et pour qu′il lui parût moins lourd, qu′elle n′eût pas l′idée de le rompre d′elle-même, le plus habile m′avait semblé de lui donner l′impression qu′il n′était pas définitif et que je souhaitais moi-même qu′il prît fin. Voyant que ma feinte avait réussi, j′aurais pu me trouver heureux, d′abord parce que ce que j′avais tant redouté, la volonté que je supposais à Albertine de partir, se trouvait écarté, et ensuite parce que, en dehors même du résultat visé, en lui-même le succès de ma feinte, en prouvant que je n′étais pas absolument pour Albertine un amant dédaigné, un jaloux bafoué, dont toutes les ruses sont d′avance percées à jour, redonnait à notre amour une espèce de virginité, faisait renaître pour lui le temps où elle pouvait encore, à Balbec, croire si facilement que j′en aimais une autre. Car elle ne l′aurait sans doute plus cru, mais elle ajoutait foi à mon intention simulée de nous séparer à tout jamais ce soir. Elle avait l′air de se méfier que la cause en pût être chez les Verdurin. Par un besoin d′apaiser le trouble où me mettait ma simulation de rupture, je lui dis : « Albertine, pouvez-vous me jurer que vous ne m′avez jamais menti ? » Elle regarda fixement dans le vide, puis me répondit : « Oui, c′est-à-dire non. J′ai eu tort de vous dire qu′Andrée avait été très emballée sur Bloch, nous ne l′avions pas vu. — Mais alors pourquoi ? — Parce que j′avais peur que vous ne croyiez d′autres choses d′elle, c′est tout. » Je lui dis que j′avais vu un auteur dramatique très ami de Léa, à qui elle avait dit d′étranges choses (je pensais par là lui faire croire que j′en savais plus long que je ne disais sur l′amie de la cousine de Bloch). Elle regarda encore dans le vide et me dit : « J′ai eu tort, en vous parlant tout à l′heure de Léa, de vous cacher un voyage de trois semaines que j′ai fait avec elle. Mais je vous connaissais si peu à l′époque où il a eu lieu ! — C′était avant Balbec ? — Avant le second, oui. » Et le matin même, elle m′avait dit qu′elle ne connaissait pas Léa, et il y avait un instant, qu′elle ne l′avait vue que dans sa loge ! Je regardais une flambée brûler d′un seul coup un roman que j′avais mis des millions de minutes à écrire. À quoi bon ? À quoi bon ? Certes, je comprenais bien que, ces faits, Albertine me les révélait parce qu′elle pensait que je les avais appris indirectement de Léa, et qu′il n′y avait aucune raison pour qu′il n′en existât pas une centaine de pareils. Je comprenais aussi que les paroles d′Albertine, quand on l′interrogeait, ne contenaient jamais un atome de vérité, que, la vérité, elle ne la laissait échapper que malgré elle, comme un brusque mélange qui se faisait en elle, entre les faits qu′elle était jusque-là décidée à cacher et la croyance qu′on en avait eu connaissance. « Mais deux choses, ce n′est rien, dis-je à Albertine, allons jusqu′à quatre pour que vous me laissiez des souvenirs. Qu′est-ce que vous me pouvez révéler d′autre ? » Elle regarda encore dans le vide. À quelles croyances à la vie future adaptait-elle le mensonge, avec quels Dieux, moins coulants qu′elle n′avait cru, essayait-elle de s′arranger ? Ce ne dut pas être commode, car son silence et la fixité de son regard durèrent assez longtemps. « Non, rien d′autre », finit-elle par dire. Et malgré mon insistance, elle se buta, aisément maintenant, à « rien d′autre ». Et quel mensonge ! Car, du moment qu′elle avait ces goûts, jusqu′au jour où elle avait été enfermée chez moi, combien de fois, dans combien de demeures, de promenades elle avait dû les satisfaire ! Les Gomorrhéennes sont à la fois assez rares et assez nombreuses pour que, dans quelque foule que ce soit, l′une ne passe pas inaperçue aux yeux de l′autre. Dès lors le ralliement est facile. My serfdom, of which I had already been conscious when, as I gave the driver Brichot′s address, I caught sight of the light in her window, had ceased to weigh upon me shortly afterwards, when I saw that Albertine appeared so cruelly conscious of her own. And in order that it might seem to her less burdensome, that she might not decide to break her bonds of her own accord, I had felt that the most effective plan was to give her the impression that it would not be permanent and that I myself was looking forward to its termination. Seeing that my feint had proved successful, I might well have thought myself fortunate, in the first place because what I had so greatly dreaded, Albertine′s determination (as I supposed) to leave me, was shewn to be non-existent, and secondly, because, quite apart from the object that I had had in mind, the very success of my feint, by proving that I was something more to Albertine than a scorned lover, whose jealousy is flouted, all of his ruses detected in advance, endowed our love afresh with a sort of virginity, revived for it the days in which she could still, at Balbec, so readily believe that I was in love with another woman. For she would probably not have believed that any longer, but she was taking seriously my feigned determination to part from her now and for ever. She appeared to suspect that the cause of our parting might be something that had happened at the Verdurins′. Feeling a need to soothe the anxiety into which I was worked by my pretence of a rupture, I said to her: “Albertine, can you swear that you have never lied to me?” She gazed fixedly into the air before replying: “Yes, that is to say no. I ought not to have told you that Andrée was greatly taken with Bloch, we never met him.” “Then why did you say so?” “Because I was afraid that you had believed other stories about her, that′s all.” I told her that I had met a dramatist who was a great friend of Léa, and to whom Léa had told some strange things. I hoped by telling her this to make her suppose that I knew a great deal more than I cared to say about Bloch′s cousin′s friend. She stared once again into vacancy and then said: “I ought not, when I spoke to you just now about Léa, to have kept from you a three weeks′ trip that I took with her once. But I knew you so slightly in those days!” “It was before Balbec?” “Before the second time, yes.” And that very morning, she had told me that she did not know Léa, and, only a moment ago, that she had met her once only in her dressing-room! I watched a tongue of flame seize and devour in an instant a romance which I had spent millions of minutes in writing. To what end? To what end? Of course I understood that Albertine had revealed these facts to me because she thought that I had learned them indirectly from Léa; and that there was no reason why a hundred similar facts should not exist. I realised thus that Albertine′s utterances, when one interrogated her, did not ever contain an atom of truth, that the truth she allowed to escape only in spite of herself, as though by a sudden combination in her mind of the facts which she had previously been determined to conceal with the belief that I had been informed of them. “But two things are nothing,” I said to Albertine, “let us have as many as four, so that you may leave me some memories of you. What other revelations have you got for me?” Once again she stared into vacancy. To what belief in a future life was she adapting her falsehood, with what Gods less unstable than she had supposed was she seeking to ally herself? This cannot have been an easy matter, for her silence and the fixity of her gaze continued for some time. “No, nothing else,” she said at length. And, notwithstanding my persistence, she adhered, easily now, to “nothing else.” And what a lie! For, from the moment when she had acquired those tastes until the day when she had been shut up in my house, how many times, in how many places, on how many excursions must she have gratified them! The daughters of Gomorrah are at once so rare and so frequent that, in any crowd of people, one does not pass unperceived by the other. From that moment a meeting becomes easy.
Je me souvins avec horreur d′un soir qui, à l′époque, m′avait seulement semblé ridicule. Un de mes amis m′avait invité à dîner au restaurant avec sa maîtresse et un autre de mes amis qui avait aussi amené la sienne. Elles ne furent pas longues à se comprendre, mais, si impatientes de se posséder, que, dès le potage, les pieds se cherchaient, trouvant souvent le mien. Bientôt les jambes s′entrelacèrent. Mes deux amis ne voyaient rien ; j′étais au supplice. Une des deux femmes, qui n′y pouvait tenir, se mit sous la table, disant qu′elle avait laissé tomber quelque chose. Puis l′une eut la migraine et demanda à monter au lavabo. L′autre s′aperçut qu′il était l′heure d′aller rejoindre une amie au théâtre. Finalement je restai seul avec mes deux amis, qui ne se doutaient de rien. La migraineuse redescendit, mais demanda à rentrer seule attendre son amant chez lui afin de prendre un peu d′antipyrine. Elles devinrent très amies, se promenaient ensemble, l′une habillée en homme et qui levait des petites filles et les ramenait chez l′autre, les initiait. L′autre avait un petit garçon, dont elle faisait semblant d′être mécontente, et le faisait corriger par son amie, qui n′y allait pas de main morte. On peut dire qu′il n′y a pas de lieu, si public qu′il fût, où elles ne fissent ce qui est le plus secret. I remembered with horror an evening which at the time had struck me as merely absurd. One of my friends had invited me to dine at a restaurant with his mistress and another of his friends who had also brought his own. The two women were not long in coming to an understanding, but were so impatient to enjoy one another that, with the soup, their feet were searching for one another, often finding mine. Presently their legs were interlaced. My two friends noticed nothing; I was on tenterhooks. One of the women, who could contain herself no longer, stooped under the table, saying that she had dropped something. Then one of them complained of a headache and asked to go upstairs to the lavatory. The other discovered that it was time for her to go and meet a woman friend at the theatre. Finally I was left alone with my two friends who suspected nothing. The lady with the headache reappeared, but begged to be allowed to go home by herself to wait for her lover at his house, so that she might take a dose of antipyrin. They became great friends, used to go about together, one of them, dressed as a man, picking up little girls and taking them to the other, initiating them. One of them had a little boy who, she pretended, was troublesome, and handed him over for punishment to her friend, who set to work with a strong arm. One may say that there was no place, however public, in which they did not do what is most secret.
« Mais Léa a été, tout le temps de ce voyage, parfaitement convenable avec moi, me dit Albertine. Elle était même plus réservée que bien des femmes du monde. — Est-ce qu′il y a des femmes du monde qui ont manqué de réserve avec vous, Albertine ? — Jamais. — Alors qu′est-ce que vous voulez dire ? — Eh bien, elle était moins libre dans ses expressions. — Exemple ? — Elle n′aurait pas, comme bien des femmes qu′on reçoit, employé le mot : embêtant, ou le mot : se ficher du monde. » Il me semblait qu′une partie du roman, qui n′avait pas brûlé encore, tombait enfin en cendres. “But Léa behaved perfectly properly with me all the time,” Albertine told me. “She was indeed a great deal more reserved than plenty of society women.” “Are there any society women who have shewn a want of reserve with you, Albertine?” “Never.” “Then what do you mean?” “O, well, she was less free in her speech.” “For instance?” “She would never, like many of the women you meet, have used the expression ‘rotten,′ or say: ‘I don′t care a damn for anybody.′” It seemed to me that a part of the romance which the flames had so far spared was crumbling at length in ashes.
Mon découragement aurait duré. Les paroles d′Albertine, quand j′y songeais, y faisaient succéder une colère folle. Elle tomba devant une sorte d′attendrissement. Moi aussi, depuis que j′étais rentré et déclarais vouloir rompre, je mentais aussi. Et cette volonté de séparation, que je simulais avec persévérance, entraînait peu à peu pour moi quelque chose de la tristesse que j′aurais éprouvée si j′avais vraiment voulu quitter Albertine. My discouragement might have persisted. Albertine′s words, when I thought of them, made it give place to a furious rage. This succumbed to a sort of tender emotion. I also, when I came home and declared that I wished to break with her, had been lying. And this desire for a parting, which I had feigned with perseverance, gradually affected me with some of the misery which I should have felt if I had really wished to part from Albertine.
D′ailleurs, même en repensant par à-coups, par élancements, comme on dit pour les autres douleurs physiques, à cette vie orgiaque, qu′avait menée Albertine avant de me connaître, j′admirais davantage la docilité de ma captive et je cessais de lui en vouloir. Besides, even when I thought in fits and starts, in twinges, as we say of other bodily pains, of that orgiastic life which Albertine had led before she met me, I admired all the more the docility of my captive and ceased to feel any resentment.
Sans doute, jamais, durant notre vie commune, je n′avais cessé de laisser entendre à Albertine que cette vie ne serait vraisemblablement que provisoire, de façon qu′Albertine continuât à y trouver quelque charme. Mais ce soir, j′avais été plus loin, ayant craint que de vagues menaces de séparation ne fussent plus suffisantes, contredites qu′elles seraient sans doute, dans l′esprit d′Albertine, par son idée d′un grand amour jaloux pour elle, qui m′aurait, semblait-elle dire, fait aller enquêter chez les Verdurin. No doubt, never, during our life together, had I failed to let Albertine know that such a life would in all probability be merely temporary, so that Albertine might continue to find some charm in it. But to-night I had gone further, having feared that vague threats of separation were no longer sufficient, contradicted as they would doubtless be, in Albertine′s mind, by her idea of a strong and jealous love of her, which must have made me, she seemed to imply, go in quest of information to the Verdurins′.
Ce soir-là je pensai que, parmi les autres causes qui avaient pu me décider brusquement, sans même m′en rendre compte qu′au fur et à mesure, à jouer cette comédie de rupture, il y avait surtout que, quand, dans une de ces impulsions comme en avait mon père, je menaçais un être dans sa sécurité, comme je n′avais pas, comme lui, le courage de réaliser une menace, pour ne pas laisser croire qu′elle n′avait été que paroles en l′air, j′allais assez loin dans les apparences de la réalisation et ne me repliais que quand l′adversaire, ayant eu vraiment l′illusion de ma sincérité, avait tremblé pour tout de bon. D′ailleurs, dans ces mensonges nous sentons bien qu′il y a de la vérité ; que, si la vie n′apporte pas de changements à nos amours, c′est nous-mêmes qui voudrons en apporter ou en feindre, et parler de séparation, tant nous sentons que tous les amours et toutes choses évoluent rapidement vers l′adieu. On veut pleurer les larmes qu′il apportera, bien avant qu′il survienne. Sans doute y avait-il cette fois, dans la scène que j′avais jouée, une raison d′utilité. J′avais soudain tenu à garder Albertine parce que je la sentais éparse en d′autres êtres auxquels je ne pouvais l′empêcher de se joindre. Mais eût-elle à jamais renoncé à tous pour moi, que j′aurais peut-être résolu plus fermement encore de ne la quitter jamais, car la séparation est, par la jalousie, rendue cruelle, mais, par la reconnaissance, impossible. Je sentais en tous cas que je livrais la grande bataille où je devais vaincre ou succomber. J′aurais offert à Albertine, en une heure, tout ce que je possédais, parce que je me disais : tout dépend de cette bataille ; mais ces batailles ressemblent moins à celles d′autrefois, qui duraient quelques heures, qu′à une bataille contemporaine qui n′est finie ni le lendemain, ni le surlendemain, ni la semaine suivante. On donne toutes ses forces, parce qu′on croit toujours que ce sont les dernières dont on aura besoin. Et plus d′une année se passe sans amener la « décision ». Peut-être une inconsciente réminiscence de scènes menteuses faites par M. de Charlus, auprès duquel j′étais quand la crainte d′être quitté par Albertine s′était emparée de moi, s′y ajoutait-elle. Mais, plus tard, j′ai entendu raconter par ma mère ceci, que j′ignorais alors et qui me donne à croire que j′avais trouvé tous les éléments de cette scène en moi-même, dans ces réserves obscures de l′hérédité que certaines émotions, agissant en cela comme, sur l′épargne de nos forces emmagasinées, les médicaments analogues à l′alcool et au café, nous rendent disponibles. Quand ma tante Léonie apprenait par Eulalie que Françoise, sûre que sa maîtresse ne sortirait jamais plus, avait manigancé en secret quelque sortie que ma tante devait ignorer, celle-ci, la veille, faisait semblant de décider qu′elle essayerait le lendemain d′une promenade. À Françoise incrédule elle faisait non seulement préparer d′avance ses affaires, faire prendre l′air à celles qui étaient depuis trop longtemps enfermées, mais même commander la voiture, régler, à un quart d′heure près, tous les détails de la journée. Ce n′était que quand Françoise, convaincue ou du moins ébranlée, avait été forcée d′avouer à ma tante les projets qu′elle-même avait formés, que celle-ci renonçait publiquement aux siens pour ne pas, disait-elle, entraver ceux de Françoise. De même, pour qu′Albertine ne pût pas croire que j′exagérais et pour la faire aller le plus loin possible dans l′idée que nous nous quittions, tirant moi-même les déductions de ce que je venais d′avancer, je m′étais mis à anticiper le temps qui allait commencer le lendemain et qui durerait toujours, le temps où nous serions séparés, adressant à Albertine les mêmes recommandations que si nous n′allions pas nous réconcilier tout à l′heure. Comme les généraux qui, jugeant que, pour qu′une feinte réussisse à tromper l′ennemi, il faut la pousser à fond, j′avais engagé dans celle-ci presque autant de mes forces de sensibilité que si elle avait été véritable. Cette scène de séparation fictive finissait par me faire presque autant de chagrin que si elle avait été réelle, peut-être parce qu′un des deux acteurs, Albertine, en la croyant telle, ajoutait pour l′autre à l′illusion. Alors qu′on vivait au jour le jour, qui, même pénible, restait supportable, retenu dans le terre-à-terre par le lest de l′habitude et par cette certitude que le lendemain, dût-il être cruel, contiendrait la présence de l′être auquel on tient, voici que follement je détruisais toute cette pesante vie. Je ne la détruisais, il est vrai, que d′une façon fictive, mais cela suffisait pour me désoler ; peut-être parce que les paroles tristes que l′on prononce, même mensongèrement, portent en elles leur tristesse et nous l′injectent profondément ; peut-être parce qu′on sait qu′en simulant des adieux, on évoque par anticipation une heure qui viendra fatalement plus tard ; puis l′on n′est pas bien assuré qu′on ne vient pas de déclencher le mécanisme qui la fera sonner. Dans tout bluff, il y a, si petite qu′elle soit, une part d′incertitude sur ce que va faire celui qu′on trompe. Si cette comédie de séparation allait aboutir à une séparation ! On ne peut en envisager la possibilité, même invraisemblable, sans un serrement de cœur. On est doublement anxieux, car la séparation se produirait alors au moment où elle serait insupportable, où on vient d′avoir de la souffrance par la femme qui vous quitterait avant de vous avoir guéri, au moins apaisé. Enfin, nous n′avons plus le point d′appui de l′habitude, sur laquelle nous nous reposons, même dans le chagrin. Nous venons volontairement de nous en priver, nous avons donné à la journée présente une importance exceptionnelle, nous l′avons détachée des journées contiguës ; elle flotte sans racines comme un jour de départ ; notre imagination, cessant d′être paralysée par l′habitude, s′est éveillée ; nous avons soudain adjoint à notre amour quotidien des rêveries sentimentales qui le grandissent énormément, nous rendent indispensable une présence sur laquelle, justement, nous ne sommes plus absolument certains de pouvoir compter. Sans doute, c′est justement afin d′assurer pour l′avenir cette présence, que nous nous sommes livrés au jeu de pouvoir nous en passer. Mais ce jeu, nous y avons été pris nous-même, nous avons recommencé à souffrir parce que nous avons fait quelque chose de nouveau, d′inaccoutumé, et qui se trouve ressembler ainsi à ces cures qui doivent guérir plus tard le mal dont on souffre, mais dont les premiers effets sont de l′aggraver. To-night I thought that, among the other reasons which might have made me decide of a sudden, without even realising except as I went on what I was doing, to enact this scene of rupture, there was above all the fact that, when, in one of those impulses to which my father was liable, I threatened another person in his security, as I had not, like him, the courage to carry a threat into practice, in order not to let it be supposed that it had been but empty words, I would go to a considerable length in pretending to carry out my threat and would recoil only when my adversary, having had a genuine illusion of my sincerity, had begun seriously to tremble. Besides, in these lies, we feel that there is indeed a grain of truth, that, if life does not bring any alteration of our loves, it is ourselves who will seek to bring or to feign one, so strongly do we feel that all love, and everything else evolves rapidly towards a farewell. We would like to shed the tears that it will bring long before it comes. No doubt there had been, on this occasion, in the scene that I had enacted, a practical value. I had suddenly determined to keep Albertine because I felt that she was distributed among other people whom I could not prevent her from joining. But had she renounced them all finally for myself, I should have been all the more firmly determined never to let her go, for a parting is, by jealousy, rendered cruel, but, by gratitude, impossible. I felt that in any case I was fighting the decisive battle in which I must conquer or fall. I would have offered Albertine in an hour all that I possessed, because I said to myself: “Everything depends upon this battle, but such battles are less like those of old days which lasted for a few hours than a battle of to-day which does not end on the morrow, nor on the day after, nor in the following week. We give all our strength, because we steadfastly believe that we shall never need any strength again. And more than a year passes without bringing a ‘decisive′ victory. Perhaps an unconscious reminiscence of lying scenes enacted by M. de Charlus, in whose company I was when the fear of Albertine′s leaving me had seized hold of me, was added to the rest. But, later on, I heard my mother say something of which I was then unaware and which leads me to believe that I found all the elements of this scene in myself, in those obscure reserves of heredity which certain emotions, acting in this respect as, upon the residue of our stored-up strength, drugs such as alcohol and coffee act, place at our disposal. When my aunt Léonie learned from Eulalie that Françoise, convinced that her mistress would never again leave the house, had secretly planned some outing of which my aunt was to know nothing, she, the day before, would pretend to have made up her mind that she would attempt an excursion on the morrow. The incredulous Françoise was ordered not only to prepare my aunt′s clothes beforehand, to give an airing to those that had been put away for too long, but to order a carriage, to arrange, to within a quarter of an hour, all the details of the day. It was only when Françoise, convinced or at any rate shaken, had been forced to confess to my aunt the plan that she herself had formed, that my aunt would publicly abandon her own, so as not, she said, to interfere with Françoise′s arrangements. Similarly, so that Albertine might not believe that I was exaggerating and to make her proceed as far as possible in the idea that we were to part, drawing myself the obvious deductions from the proposal that I had advanced, I had begun to anticipate the time which was to begin on the morrow and was to last for ever, the time in which we should be parted, addressing to Albertine the same requests as if we were not to be reconciled almost immediately. Like a general who considers that if a feint is to succeed in deceiving the enemy it must be pushed to extremes, I had employed in this feint almost as much of my store of sensibility as if it had been genuine. This fictitious parting scene ended by causing me almost as much grief as if it had been real, possibly because one of the actors, Albertine, by believing it to be real, had enhanced the other′s illusion. While we were living, from day to day, in a day which, even if painful, was still endurable, held down to earth by the ballast of habit and by that certainty that the morrow, should it prove a day of torment, would contain the presence of the person who is all in all, here was I stupidly destroying all that oppressive life. I was destroying it, it is true, only in a fictitious fashion, but this was enough to make me wretched; perhaps because the sad words which we utter, even when we are lying, carry in themselves their sorrow and inject it deeply into us; perhaps because we do not realise that, by feigning farewells, we evoke by anticipation an hour which must inevitably come later on; then we cannot be certain that we have not released the mechanism which will make it strike. In every bluff there is an element, however small, of uncertainty as to what the person whom we are deceiving is going to do. If this make-believe of parting should lead to a parting! We cannot consider the possibility, however unlikely it may seem, without a clutching of the heart. We are doubly anxious, because the parting would then occur at the moment when it would be intolerable, when we had been made to suffer by the woman who would be leaving us before she had healed, or at least appeased us. In short, we have no longer the solid ground of habit upon which we rest, even in our sorrow. We have deliberately deprived ourselves of it, we have given the present day an exceptional importance, have detached it from the days before and after it; it floats without roots like a day of departure; our imagination ceasing to be paralysed by habit has awakened, we have suddenly added to our everyday love sentimental dreams which enormously enhance it, make indispensable to us a presence upon which, as a matter of fact, we are no longer certain that we can rely. No doubt it is precisely in order to assure ourselves of that presence for the future that we have indulged in the make-believe of being able to dispense with it. But this make-believe, we have ourselves been taken in by it, we have begun to suffer afresh because we have created something new, unfamiliar which thus resembles those cures that are destined in time to heal the malady from which we are suffering, but the first effects of which are to aggravate it.
J′avais les larmes aux yeux, comme ceux qui, seuls dans leur chambre, imaginent, selon les détours capricieux de leur rêverie, la mort d′un être qu′ils aiment, se représentent si minutieusement la douleur qu′ils auraient, qu′ils finissent par l′éprouver. Ainsi, en multipliant les recommandations à Albertine sur la conduite qu′elle aurait à tenir à mon égard quand nous allions être séparés, il me semblait que j′avais presque autant de chagrin que si nous n′avions pas dû nous réconcilier tout à l′heure. Et puis, étais-je si sûr de le pouvoir, de faire revenir Albertine à l′idée de la vie commune, et, si j′y réussissais pour ce soir, que, chez elle, l′état d′esprit que cette scène avait dissipé ne renaîtrait pas ? Je me sentais, mais ne me croyais pas maître de l′avenir, parce que je comprenais que cette sensation venait seulement de ce qu′il n′existait pas encore et qu′ainsi je n′étais pas accablé de sa nécessité. Enfin, tout en mentant, je mettais peut-être dans mes paroles plus de vérité que je ne croyais. Je venais d′avoir un exemple, quand j′avais dit à Albertine que je l′oublierais vite ; c′était ce qui m′était, en effet, arrivé avec Gilberte, que je m′abstenais maintenant d′aller voir pour éviter, non pas une souffrance, mais une corvée. Et certes, j′avais souffert en écrivant à Gilberte que je ne la verrais plus, et je n′allais que de temps en temps chez elle. Or toutes les heures d′Albertine m′appartenaient, et, en amour, il est plus facile de renoncer à un sentiment que de perdre une habitude. Mais tant de paroles douloureuses concernant notre séparation, si la force de les prononcer m′était donnée parce que je les savais mensongères, en revanche elles étaient sincères dans la bouche d′Albertine quand je l′entendis s′écrier : « Ah ! c′est promis, je ne vous reverrai jamais. Tout plutôt que de vous voir pleurer comme cela, mon chéri. Je ne veux pas vous faire de chagrin. Puisqu′il le faut, on ne se verra plus. » Elles étaient sincères, ce qu′elles n′eussent pu être de ma part, parce que, d′une part, comme Albertine n′avait pour moi que de l′amitié, le renoncement qu′elles promettaient lui coûtait moins ; parce que, d′autre part, dans une séparation, c′est celui qui n′aime pas d′amour qui dit les choses tendres, l′amour ne s′exprimant pas directement ; parce qu′enfin mes larmes, qui eussent été si peu de chose dans un grand amour, lui paraissaient presque extraordinaires et la bouleversaient, transposées dans le domaine de cette amitié où elle restait, de cette amitié plus grande que la mienne, à ce qu′elle venait de dire, ce qui n′était peut-être pas tout à fait inexact, car les mille bontés de l′amour peuvent finir par éveiller, chez l′être qui l′inspire en ne l′éprouvant pas, une affection, une reconnaissance, moins égoî²´es que le sentiment qui les a provoquées, et qui, peut-être, après des années de séparation, quand il ne restera rien de lui chez l′ancien amant, subsisteront toujours chez l′aimée. I had tears in my eyes, like the people who, alone in their bedrooms, imagining, in the wayward course of their meditations, the death of some one whom they love, form so detailed a picture of the grief that they would feel that they end by feeling it. And so as I multiplied my advice to Albertine as to the way in which she would have to behave in relation to myself after we had parted, I seemed to be feeling almost as keen a distress as though we had not been on the verge of a reconciliation. Besides, was I so certain that I could bring about this reconciliation, bring Albertine back to the idea of a life shared with myself, and, if I succeeded for the time being, that in her, the state of mind which this scene had dispelled would not revive? I felt myself, but did not believe myself to be master of the future, because I realised that this sensation was due merely to the fact that the future did not yet exist, and that thus I was not crushed by its inevitability. In short, while I lied, I was perhaps putting into my words more truth than I supposed. I had just had an example of this, when I told Albertine that I should quickly forget her; this was what had indeed happened to me in the case of Gilberte, whom I now refrained from going to see in order to escape not a grief but an irksome duty. And certainly I had been grieved when I wrote to Gilberte that I would not come any more, and I had gone to see her only occasionally. Whereas the whole of Albertine′s time belonged to me, and in love it is easier to relinquish a sentiment than to lose a habit. But all these painful words about our parting, if the strength to utter them had been given me because I knew them to be untrue, were on the other hand sincere upon Albertine′s lips when I heard her exclaim: “Ah! I promise, I will never see you again. Anything sooner than see you cry like that, my darling. I do not wish to cause you any grief. Since it must be, we will never meet again.” They were sincere, as they could not have been coming from me, because, for one thing, as Albertine felt nothing stronger for me than friendship, the renunciation that they promised cost her less; because, moreover, in a scene of parting, it is the person who is not genuinely in love that makes the tender speeches, since love does not express itself directly; because, lastly, my tears, which would have been so small a matter in a great love, seemed to her almost extraordinary and overwhelmed her, transposed into the region of that state of friendship in which she dwelt, a friendship greater than mine for her, to judge by what she had just said, which was perhaps not altogether inexact, for the thousand kindnesses of love may end by arousing, in the person who inspires without feeling it, an affection, a gratitude less selfish than the sentiment that provoked them, which, perhaps, after years of separation, when nothing of that sentiment remains in the former lover, will still persist in the beloved.
« Ma petite Albertine, répondis-je, vous êtes bien gentille de me le promettre. Du reste, les premières années du moins, j′éviterai les endroits où vous serez. Vous ne savez pas si vous irez cet été à Balbec ? Parce que, dans ce cas-là, je m′arrangerais pour ne pas y aller. » Maintenant, si je continuais à progresser ainsi, devançant les temps, dans mon invention mensongère, ce n′était pas moins pour faire peur à Albertine que pour me faire mal à moi-même. Comme un homme qui n′avait d′abord que des motifs peu importants de se fâcher se grise tout à fait par les éclats de sa propre voix, et se laisse emporter par une fureur engendrée, non par ses griefs, mais par sa colère elle-même en voie de croissance, ainsi, je roulais de plus en plus vite sur la pente de ma tristesse, vers un désespoir de plus en plus profond, et avec l′inertie d′un homme qui sent le froid le saisir, n′essaye pas de lutter, et trouve même à frissonner une espèce de plaisir. Et si j′avais enfin, tout à l′heure, comme j′y comptais bien, la force de me ressaisir, de réagir et de faire machine en arrière, bien plus que du chagrin qu′Albertine m′avait fait en accueillant si mal mon retour, c′était de celui que j′avais éprouvé à imaginer, pour feindre de les régler, les formalités d′une séparation imaginaire, à en prévoir les suites, que le baiser d′Albertine, au moment de me dire bonsoir, aurait aujourd′hui à me consoler. En tous cas, ce bonsoir, il ne fallait pas que ce fût elle qui me le dît d′elle-même, ce qui m′eût rendu plus difficile le revirement par lequel je lui proposerais de renoncer à notre séparation. Aussi, je ne cessais de lui rappeler que l′heure de nous dire ce bonsoir était depuis longtemps venue, ce qui, en me laissant l′initiative, me permettait de le retarder encore d′un moment. Et ainsi je semais d′allusions à la nuit déjà si avancée, à notre fatigue, les questions que je posais à Albertine. « Je ne sais pas où j′irai, répondit-elle à la dernière, d′un air préoccupé. Peut-être j′irai en Touraine, chez ma tante. » Et ce premier projet qu′elle ébauchait me glaça comme s′il commençait à réaliser effectivement notre séparation définitive. Elle regarda la chambre, le pianola, les fauteuils de satin bleu. « Je ne peux pas me faire encore à l′idée que je ne verrai plus tout cela ni demain, ni après-demain, ni jamais. Pauvre petite chambre ! Il me semble que c′est impossible ; cela ne peut pas m′entrer dans la tête. — Il le fallait, vous étiez malheureuse ici. — Mais non, je n′étais pas malheureuse, c′est maintenant que je le serai. — Mais non, je vous assure, c′est mieux pour vous. — Pour vous peut-être ! » Je me mis à regarder fixement dans le vide, comme si, en proie à une grande hésitation, je me débattais contre une idée qui me fût venue à l′esprit. Enfin tout d′un coup : « Écoutez, Albertine, vous dites que vous êtes plus heureuse ici, que vous allez être malheureuse. — Bien sûr. — Cela me bouleverse ; voulez-vous que nous essayions de prolonger de quelques semaines ? Qui sait ? semaine par semaine, on peut peut-être arriver très loin ; vous savez qu′il y a des provisoires qui peuvent finir par durer toujours. — Oh ! ce que vous seriez gentil ! — Seulement, alors c′est de la folie de nous être fait mal comme cela pour rien, pendant des heures ; c′est comme un voyage pour lequel on s′est préparé et puis qu′on ne fait pas. Je suis moulu de chagrin. » Je l′assis sur mes genoux, je pris le manuscrit de Bergotte qu′elle désirait tant, et j′écrivis sur la couverture : « À ma petite Albertine, en souvenir d′un renouvellement de bail. » « Maintenant, lui dis-je, allez dormir jusqu′à demain soir, ma chérie, car vous devez être brisée. — Je suis surtout bien contente. — M′aimez-vous un petit peu ? — Encore cent fois plus qu′avant. » “My little Albertine,” I replied, “it is very good of you to make me this promise. Anyhow, for the first few years at least, I shall avoid the places where I might meet you. You don′t know whether you will be going to Balbec this year? Because in that case I should arrange not to go there myself.” But now, if I continued to progress thus, anticipating time to come in my lying inventions, it was with a view no less to inspiring fear in Albertine than to making myself wretched. As a man who at first had no serious reason for losing his temper, becomes completely intoxicated by the sound of his own voice, and lets himself be carried away by a fury engendered not by his grievance but by his anger which itself is steadily growing, so I was falling ever faster and faster down the slope of my wretchedness, towards an ever more profound despair, and with the inertia of a man who feels the cold grip him, makes no effort to resist it and even finds a sort of pleasure in shivering. And if I had now at length, as I fully supposed, the strength to control myself, to react and to reverse my engines, far more than from the grief which Albertine had caused me by so unfriendly a greeting on my return, it was from that which I had felt in imagining, so as to pretend to be outlining them, the formalities of an imaginary separation, in foreseeing its consequences, that Albertine′s kiss, when the time came for her to bid me good night, would have to console me now. In any case, it must not be she that said this good night of her own accord, for that would have made more difficult the revulsion by which I would propose to her to abandon the idea of our parting. And so I continued to remind her that the time to say good night had long since come and gone, a method which, by leaving the initiative to me, enabled me to put it off for a moment longer. And thus I scattered with allusions to the lateness of the hour, to our exhaustion, the questions with which I was plying Albertine. “I don′t know where I shall be going,” she replied to the last of these, in a worried tone. “Perhaps I shall go to Touraine, to my aunt′s.” And this first plan that she suggested froze me as though it were beginning to make definitely effective our final separation. She looked round the room, at the pianola, the blue satin armchairs. “I still cannot make myself realise that I shall not see all this again, to-morrow, or the next day, or ever. Poor little room. It seems to me quite impossible; I cannot get it into my head.” “It had to be; you were unhappy here.” “No, indeed, I was not unhappy, it is now that I shall be unhappy.” “No, I assure you, it is better for you.” “For you, perhaps!” I began to stare fixedly into vacancy, as though, worried by an extreme hesitation, I was debating an idea which had occurred to my mind. Then, all of a sudden: “Listen, Albertine, you say that you are happier here, that you are going to be unhappy.” “Why, of course.” “That appalls me; would you like us to try to carry on for a few weeks? Who knows, week by week, we may perhaps go on for a long time; you know that there are temporary arrangements which end by becoming permanent.” “Oh, how kind you are!” “Only in that case it is ridiculous of us to have made ourselves wretched like this over nothing for hours on end, it is like making all the preparations for a long journey and then staying at home. I am shattered with grief.” I made her sit on my knee, I took Bergotte′s manuscript which she so longed to have and wrote on the cover: “To my little Albertine, in memory of a new lease of life.” “Now,” I said to her, “go and sleep until to-morrow, my darling, for you must be worn out.” “I am very glad, all the same.” “Do you love me a little bit?” “A hundred times more than ever.”
J′aurais eu tort d′être heureux de la petite comédie, n′eût-elle pas été jusqu′à cette forme véritable de mise en scène où je l′avais poussée. N′eussions-nous fait que parler simplement de séparation que c′eût été déjà grave. Ces conversations que l′on tient ainsi, on croit le faire non seulement sans sincérité, ce qui est en effet, mais librement. Or elles sont généralement, à notre insu, chuchoté malgré nous, le premier murmure d′une tempête que nous ne soupçonnons pas. En réalité, ce que nous exprimons alors c′est le contraire de notre désir (lequel est de vivre toujours avec celle que nous aimons), mais c′est aussi cette impossibilité de vivre ensemble qui fait notre souffrance quotidienne, souffrance préférée par nous à celle de la séparation, et qui finira malgré nous par nous séparer. D′habitude, pas tout d′un coup cependant. Le plus souvent il arrive — ce ne fut pas, on le verra, mon cas avec Albertine — que, quelque temps après les paroles auxquelles on ne croyait pas, on met en action un essai informe de séparation voulue, non douloureuse, temporaire. On demande à la femme, pour qu′ensuite elle se plaise mieux avec nous, pour que nous échappions, d′autre part, momentanément à des tristesses et des fatigues continuelles, d′aller faire sans nous, ou de nous laisser faire sans elle, un voyage de quelques jours, les premiers — depuis bien longtemps — passés, ce qui nous eût semblé impossible, sans elle. Très vite elle revient prendre sa place à notre foyer. Seulement, cette séparation, courte, mais réalisée, n′est pas aussi arbitrairement décidée et aussi certainement la seule que nous nous figurons. Les mêmes tristesses recommencent, la même difficulté de vivre ensemble s′accentue, seule la séparation n′est plus quelque chose d′aussi difficile ; on a commencé par en parler, on l′a ensuite exécutée sous une forme aimable. Mais ce ne sont que des prodromes que nous n′avons pas reconnus. Bientôt à la séparation momentanée et souriante succédera la séparation atroce et définitive que nous avons préparée sans le savoir. I should have been wrong in being delighted with this little piece of playacting, had it not been that I had carried it to the pitch of a real scene on the stage. Had we done no more than quite simply discuss a separation, even that would have been a serious matter. In conversations of this sort, we suppose that we are speaking not merely without sincerity, which is true, but freely. Whereas they are generally, though we know it not, murmured in spite of us; the first murmur of a storm which we do not suspect. In reality, what we express at such times is the opposite of our desire (which is to live for ever with her whom we love), but there is also that impossibility of living together which is the cause of our daily suffering, a suffering preferred by us to that of a parting, which will, however, end, in spite of ourselves, in parting us. Generally speaking, not, however, at once. As a rule, it happens — this was not, as we shall see, my case with Albertine — that, some time after the words in which we did not believe, we put into action a vague attempt at a deliberate separation, not painful, temporary. We ask the woman, so that afterwards she may be happier in our company, so that we on the other hand may momentarily escape from continual worries and fatigues, to go without us, or to let us go without her, for a few days elsewhere, the first days that we have — for a long time past — spent, as would have seemed to us impossible, away from her. Very soon she returns to take her place by our fireside. Only this separation, short, but made real, is not so arbitrarily decided upon, not so certainly the only one that we have in mind. The same sorrows begin afresh, the same difficulty in living together becomes accentuated, only a parting is no longer so difficult as before; we have begun mentioning it, and have then put it into practice in a friendly fashion. But these are only preliminary ventures whose nature we have not recognised. Presently, to the momentary and smiling separation will succeed the terrible and final separation for which we have, without knowing it, paved the way.
« Venez dans ma chambre dans cinq minutes pour que je puisse vous voir un peu, mon petit chéri. Vous serez plein de gentillesse. Mais je m′endormirai vite après, car je suis comme une morte. » Ce fut une morte, en effet, que je vis quand j′entrai ensuite dans sa chambre. Elle s′était endormie aussitôt couchée ; ses draps, roulés comme un suaire autour de son corps, avaient pris, avec leurs beaux plis, une rigidité de pierre. On eût dit, comme dans certains Jugements Derniers du moyen âge, que la tête seule surgissait hors de la tombe, attendant dans son sommeil la trompette de l′Archange. Cette tête avait été surprise par le sommeil presque renversée, les cheveux hirsutes. Et en voyant ce corps insignifiant couché là, je me demandais quelle table de logarithmes il constituait pour que toutes les actions auxquelles il avait pu être mêlé, depuis un poussement de coude jusqu′à un frôlement de robe, pussent me causer, étendues à l′infini de tous les points qu′il avait occupés dans l′espace et dans le temps, et de temps à autre brusquement revivifiées dans mon souvenir, des angoisses si douloureuses, et que je savais pourtant déterminées par des mouvements, des désirs d′elle qui m′eussent été, chez une autre, chez elle-même, cinq ans avant, cinq ans après, si indifférents. Tout cela était mensonge, mais mensonge pour lequel je n′avais le courage de chercher d′autre solution que ma mort. Ainsi je restais, dans la pelisse que je n′avais pas encore retirée depuis mon retour de chez les Verdurin, devant ce corps tordu, cette figure allégorique de quoi ? de ma mort ? de mon œuvre ? Bientôt je commençai à entendre sa respiration égale. J′allai m′asseoir au bord de son lit pour faire cette cure calmante de brise et de contemplation. Puis je me retirai tout doucement pour ne pas la réveiller. “Come to my room in five minutes and let me see something of you, my dearest boy. You are full of kindness. But afterwards I shall fall asleep at once, for I am almost dead.” It was indeed a dead woman that I beheld when, presently, I entered her room. She had gone to sleep immediately she lay down, the sheets wrapped like a shroud about her body had assumed, with their stately folds, a stony rigidity. One would have said that, as in certain Last Judgments of the Middle Ages, her head alone was emerging from the tomb, awaiting in its sleep the Archangel′s trumpet. This head had been surprised by sleep almost flung back, its hair bristling. And as I saw the expressionless body extended there, I asked myself what logarithmic table it constituted so that all the actions in which it might have been involved, from the nudge of an elbow to the brushing of a skirt, were able to cause me, stretched out to the infinity of all the points that it had occupied in space and time, and from time to time sharply reawakened in my memory, so intense an anguish, albeit I knew those actions to have been determined in her by impulses, desires, which in another person, in herself five years earlier, or five years later, would have left me quite indifferent. All this was a lie, but a lie for which I had not the courage to seek any solution other than my own death. And so I remained, in the fur coat which I had not taken off since my return from the Verdurins′, before that bent body, that figure allegorical of what? Of my death? Of my love? Presently I began to hear her regular breathing. I went and sat down on the edge of her bed to take that soothing cure of fresh air and contemplation. Then I withdrew very gently so as not to awaken her.
Il était si tard que, dès le matin, je recommandai à Françoise de marcher bien doucement quand elle aurait à passer devant sa chambre. Aussi Françoise, persuadée que nous avions passé la nuit dans ce qu′elle appelait des orgies, recommanda ironiquement aux autres domestiques de ne pas « éveiller la Princesse ». Et c′était une des choses que je craignais, que Françoise un jour ne pût plus se contenir, fût insolente avec Albertine, et que cela n′amenât des complications dans notre vie. Françoise n′était plus alors, comme à l′époque où elle souffrait de voir Eulalie bien traitée par ma tante, d′âge à supporter vaillamment sa jalousie. Celle-ci altérait, paralysait le visage de notre servante à tel point que, par moments, je me demandais si, sans que je m′en fusse aperçu, elle n′avait pas eu, à la suite de quelque crise de colère, une petite attaque. Ayant ainsi demandé qu′on préservât le sommeil d′Albertine, je ne pus moi-même en trouver aucun. J′essayais de comprendre quel était le véritable état d′esprit d′Albertine. Par la triste comédie que j′avais jouée, est-ce à un péril réel que j′avais paré, et, malgré qu′elle prétendît se sentir si heureuse à la maison, avait-elle eu vraiment, par moments, l′idée de vouloir sa liberté, ou au contraire, fallait-il croire ses paroles ? It was so late that, in the morning, I warned Françoise to tread very softly when she had to pass by the door of Albertine′s room. And so Françoise, convinced that we had spent the night in what she used to call orgies, ironically warned the other servants not to ‘wake the Princess.′ And this was one of the things that I dreaded, that Françoise might one day be unable to contain herself any longer, might treat Albertine with insolence, and that this might introduce complications into our life. Françoise was now no longer, as at the time when it distressed her to see Eulalie treated generously by my aunt, of an age to endure her jealousy with courage. It distorted, paralysed our old servant′s face to such an extent that at times I asked myself whether she had not, after some outburst of rage, had a slight stroke. Having thus asked that Albertine′s sleep should be respected, I was unable to sleep myself. I endeavoured to understand the true state of Albertine′s mind. By that wretched farce which I had played, was it a real peril that I had averted, and, notwithstanding her assurance that she was so happy living with me, had she really felt at certain moments a longing for freedom, or on the contrary was I to believe what she said?
Laquelle des deux hypothèses était la vraie ? S′il m′arrivait souvent, s′il devait m′arriver surtout d′étendre un cas de ma vie passée jusqu′aux dimensions de l′histoire, quand je voulais essayer de comprendre un événement politique, inversement, ce matin-là, je ne cessai d′identifier, malgré tant de différences et pour tâcher d′en comprendre la portée, notre scène de la veille avec un incident diplomatique qui venait d′avoir lieu. J′avais peut-être le droit de raisonner ainsi. Car il était bien probable qu′à mon insu l′exemple de M. de Charlus m′avait guidé dans cette scène mensongère que je lui avais si souvent vu jouer avec tant d′autorité ; et, d′autre part, était-elle, chez lui, autre chose qu′une inconsciente importation dans le domaine de la vie privée, de la tendance profonde de sa race allemande, provocatrice par ruse et, par orgueil, guerrière s′il le faut ? Diverses personnes, parmi lesquelles le prince de Monaco, ayant suggéré au Gouvernement français l′idée que, s′il ne se séparait pas de M. Delcassé, l′Allemagne menaçante ferait effectivement la guerre, le Ministre des Affaires étrangères avait été prié de démissionner. Donc le Gouvernement français avait admis l′hypothèse d′une intention de nous faire la guerre si nous ne cédions pas. Mais d′autres personnes pensaient qu′il ne s′était agi que d′un simple « bluff », et que, si la France avait tenu bon, l′Allemagne n′eût pas tiré l′épée. Sans doute, le scénario était non seulement différent, mais presque inverse, puisque la menace de rompre avec moi n′avait jamais été proférée par Albertine ; mais un ensemble d′impressions avait amené chez moi la croyance qu′elle y pensait, comme le Gouvernement français avait eu cette croyance pour l′Allemagne. D′autre part, si l′Allemagne désirait la paix, avoir provoqué chez le Gouvernement français l′idée qu′elle voulait la guerre était une contestable et dangereuse habileté. Certes, ma conduite avait été assez adroite, si c′était la pensée que je ne me déciderais jamais à rompre avec elle qui provoquait chez Albertine de brusques désirs d′indépendance. Et n′était-il pas difficile de croire qu′elle n′en avait pas, de se refuser à voir toute une vie secrète en elle, dirigée vers la satisfaction de son vice, rien qu′à la colère avec laquelle elle avait appris que j′étais allé chez les Verdurin, s′écriant : « J′en étais sûre », et achevant de tout dévoiler en disant : « Ils devaient avoir Mlle Vinteuil chez eux » ? Tout cela corroboré par la rencontre d′Albertine et de Mlle Verdurin que m′avait révélée Andrée. Mais peut-être, pourtant, ces brusques désirs d′indépendance, me disais-je quand j′essayais d′aller contre mon instinct, étaient causés — à supposer qu′ils existassent — ou finiraient par l′être, par l′idée contraire, à savoir que je n′avais jamais eu l′idée de l′épouser, que c′était quand je faisais, comme involontairement, allusion à notre séparation prochaine que je disais la vérité, que je la quitterais de toute façon un jour ou l′autre, croyance que ma scène de ce soir n′avait pu alors que fortifier et qui pouvait finir par engendrer chez elle cette résolution : « Si cela doit fatalement arriver un jour ou l′autre, autant en finir tout de suite. » Les préparatifs de guerre, que le plus faux des adages préconise pour faire triompher la volonté de paix, créent, au contraire, d′abord la croyance chez chacun des deux adversaires que l′autre veut la rupture, croyance qui amène la rupture, et, quand elle a eu lieu, cette autre croyance chez chacun des deux que c′est l′autre qui l′a voulue. Même si la menace n′était pas sincère, son succès engage à la recommencer. Mais le point exact jusqu′où le bluff peut réussir est difficile à déterminer ; si l′un va trop loin, l′autre, qui avait jusque-là cédé, s′avance à son tour ; le premier, ne sachant plus changer de méthode, habitué à l′idée qu′avoir l′air de ne pas craindre la rupture est la meilleure manière de l′éviter (ce que j′avais fait ce soir avec Albertine), et d′ailleurs poussé à préférer, par fierté, succomber plutôt que de céder, persévère dans sa menace jusqu′au moment où personne ne peut plus reculer. Le bluff peut aussi être mêlé à la sincérité, alterner avec elle, et il est possible que ce qui était un jeu hier devienne une réalité demain. Enfin il peut arriver aussi qu′un des adversaires soit réellement résolu à la guerre ; il se trouvait qu′Albertine, par exemple, eût l′intention, tôt ou tard, de ne plus continuer cette vie, ou, au contraire, que l′idée ne lui en fût jamais venue à l′esprit, et que mon imagination l′eût inventée de toutes pièces. Telles furent les différentes hypothèses que j′envisageai pendant qu′elle dormait, ce matin-là. Pourtant, quant à la dernière, je peux dire que je n′ai jamais, dans les temps qui suivirent, menacé Albertine de la quitter que pour répondre à une idée de mauvaise liberté d′elle, idée qu′elle ne m′exprimait pas, mais qui me semblait être impliquée par certains mécontentements mystérieux, par certaines paroles, certains gestes, dont cette idée était la seule explication possible et pour lesquels elle se refusait à m′en donner aucune. Encore, bien souvent, je les constatais sans faire aucune allusion à une séparation possible, espérant qu′ils provenaient d′une mauvaise humeur qui finirait ce jour-là. Mais celle-ci durait parfois sans rémission pendant des semaines entières, où Albertine semblait vouloir provoquer un conflit, comme s′il y avait à ce moment-là, dans une région plus ou moins éloignée, des plaisirs qu′elle savait, dont sa claustration chez moi la privait, et qui l′influençaient jusqu′à ce qu′ils eussent pris fin, comme ces modifications atmosphériques qui, jusqu′au coin de notre feu, agissent sur nos nerfs, même si elles se produisent aussi loin que les îles Baléares. Which of these two hypotheses was the truth? If it often befell me, if it was in a special case to befall me that I must extend an incident in my past life to the dimensions of history, when I made an attempt to understand some political event; inversely, this morning, I did not cease to identify, in spite of all the differences and in an attempt to understand its bearing, our scene overnight with a diplomatic incident that had just occurred. I had perhaps the right to reason thus. For it was highly probable that, without my knowledge, the example of M. de Charlus had guided me in that lying scene which I had so often seen him enact with such authority; on the other hand, was it in him anything else than an unconscious importation into the domain of his private life of the innate tendency of his Germanic stock, provocative from guile and, from pride, belligerent at need. Certain persons, among them the Prince of Monaco, having suggested the idea to the French Government that, if it did not dispense with M. Delcassé, a menacing Germany would indeed declare war, the Minister for Foreign Affairs had been asked to resign. So that the French Government had admitted the hypothesis of an intention to make war upon us if we did not yield. But others thought that it was all a mere ‘bluff′ and that if France had stood firm Germany would not have drawn the sword. No doubt the scenario was not merely different but almost opposite, since the threat of a rupture had not been put forward by Albertine; but a series of impressions had led me to believe that she was thinking of it, as France had been led to believe about Germany. On the other hand, if Germany desired peace, to have provoked in the French Government the idea that she was anxious for war was a disputable and dangerous trick. Certainly, my conduct had been skilful enough, if it was the thought that I would never make up my mind to break with her that provoked in Albertine sudden longings for independence. And was it not difficult to believe that she did not feel them, to shut one′s eyes to a whole secret existence, directed towards the satisfaction of her vice, simply on remarking the anger with which she had learned that I had gone to see the Verdurins′, when she exclaimed: “I thought as much,” and went on to reveal everything by saying: “Wasn′t Mlle. Vinteuil there?” All this was corroborated by Albertine′s meeting with Mme. Verdurin of which Andrée had informed me. But perhaps all the same these sudden longings for independence (I told myself, when I tried to go against my own instinct) were caused — supposing them to exist — or would eventually be caused by the opposite theory, to wit that I had never had any intention of marrying her, that it was when I made, as though involuntarily, an allusion to our approaching separation that I was telling the truth, that I would whatever happened part from her one day or another, a belief which the scene that I had made overnight could then only have confirmed and which might end by engendering in her the resolution: “If this is bound to happen one day or another, better to end everything at once.” The preparations for war which the most misleading of proverbs lays down as the best way to secure the triumph of peace, create first of all the belief in each of the adversaries that the other desires a rupture, a belief which brings the rupture about, and, when it has occurred, this further belief in each of them that it is the other that has sought it. Even if the threat was not sincere, its success encourages a repetition. But the exact point to which a bluff may succeed is difficult to determine; if one party goes too far, the other which has previously yielded, advances in its turn; the first party, no longer able to change its method, accustomed to the idea that to seem not to fear a rupture is the best way of avoiding one (which is what I had done overnight with Albertine), and moreover driven to prefer, in its pride, to fall rather than yield, perseveres in its threat until the moment when neither can draw back any longer. The bluff may also be blended with sincerity, may alternate with it, and it is possible that what was a game yesterday may become a reality tomorrow. Finally it may also happen that one of the adversaries is really determined upon war, it might be that Albertine, for instance, had the intention of, sooner or later, not continuing this life any longer, or on the contrary that the idea had never even entered her mind and that my imagination had invented the whole thing from start to finish. Such were the different hypotheses which I considered while she lay asleep that morning. And yet as to the last I can say that I never, in the period that followed, threatened Albertine with a rupture unless in response to an idea of an evil freedom on her part, an idea which she did not express to me, but which seemed to me to be implied by certain mysterious dissatisfactions, certain words, certain gestures, of which that idea was the only possible explanation and of which she refused to give me any other. Even then, quite often, I remarked them without making any allusion to a possible separation, hoping that they were due to a fit of ill temper which would end that same day. But it continued at times without intermission for weeks on end, during which Albertine seemed anxious to provoke a conflict, as though there had been at the time, in some region more or less remote, pleasures of which she knew, of which her seclusion in my house was depriving her, and which would continue to influence her until they came to an end, like those atmospheric changes which, even by our own fireside, affect our nerves, even when they are occurring as far away as the Balearic islands.
Ce matin-là, pendant qu′Albertine dormait et que j′essayais de deviner ce qui était caché en elle, je reçus une lettre de ma mère où elle m′exprimait son inquiétude de ne rien savoir de nos décisions par cette phrase de Mme de Sévigné : « Pour moi, je suis persuadée qu′il ne se mariera pas ; mais alors, pourquoi troubler cette fille qu′il n′épousera jamais ? Pourquoi risquer de lui faire refuser des partis qu′elle ne regardera plus qu′avec mépris ? Pourquoi troubler l′esprit d′une personne qu′il serait si aisé d′éviter ? » Cette lettre de ma mère me ramenait sur terre. Que vais-je chercher une âme mystérieuse, interpréter un visage et me sentir entouré de pressentiments que je n′ose approfondir ? me dis-je. Je rêvais, la chose est toute simple. Je suis un jeune homme indécis et il s′agit d′un de ces mariages dont on est quelque temps à savoir s′ils se feront ou non. Il n′y a rien là de particulier à Albertine. Cette pensée me donna une détente profonde, mais courte. Bien vite je me dis : on peut tout ramener, en effet, si on en considère l′aspect social, au plus courant des faits divers. Du dehors, c′est peut-être ainsi que je le verrais. Mais je sais bien que ce qui est vrai, ce qui, du moins, est vrai aussi, c′est tout ce que j′ai pensé, c′est ce que j′ai lu dans les yeux d′Albertine, ce sont les craintes qui me torturent, c′est le problème que je me pose sans cesse relativement à Albertine. L′histoire du fiancé hésitant et du mariage rompu peut correspondre à cela, comme un certain compte rendu de théâtre fait par un courriériste de bon sens peut donner le sujet d′une pièce d′Ibsen. Mais il y a autre chose que ces faits qu′on raconte. Il est vrai que cette autre chose existe peut-être, si on savait la voir, chez tous les fiancés hésitants et dans tous les mariages qui traînent, parce qu′il y a peut-être du mystère dans la vie de tous les jours. Il m′était possible de le négliger concernant la vie des autres, mais celle d′Albertine et la mienne je la vivais par le dedans. This morning, while Albertine lay asleep and I was trying to guess what was concealed in her, I received a letter from my mother in which she expressed her anxiety at having heard nothing of what we had decided in this phrase of Mme. de Sévigné: “In my own mind I am convinced that he will not marry; but then, why trouble this girl whom he will never marry? Why risk making her refuse suitors at whom she will never look again save with scorn? Why disturb the mind of a person whom it would be so easy to avoid?” This letter from my mother brought me back to earth. “What am I doing, seeking a mysterious soul, interpreting a face and feeling myself overawed by presentiments which I dare not explore?” I asked myself. “I have been dreaming, the matter is quite simple. I am an undecided young man, and it is a question of one of those marriages as to which it takes time to find out whether they will happen or not. There is nothing in this peculiar to Albertine.” This thought gave me an immense but a short relief. Very soon I said to myself: “One can after all reduce everything, if one regards it in its social aspect, to the most commonplace item of newspaper gossip. From outside, it is perhaps thus that I should look at it. But I know well that what is true, what at least is also true, is everything that I have thought, is what I have read in Albertine′s eyes, is the fears that torment me, is the problem that I incessantly set myself with regard to Albertine. The story of the hesitating bridegroom and the broken engagement may correspond to this, as the report of a theatrical performance made by an intelligent reporter may give us the subject of one of Ibsen′s plays. But there is something beyond those facts which are reported. It is true that this other thing exists perhaps, were we able to discern it, in all hesitating bridegrooms and in all the engagements that drag on, because there is perhaps an element of mystery in our everyday life.” It was possible for me to neglect it in the lives of other people, but Albertine′s life and my own I was living from within.
Albertine ne me dit pas plus, à partir de cette soirée, qu′elle n′avait fait dans le passé : « Je sais que vous n′avez pas confiance en moi, je vais essayer de dissiper vos soupçons. » Mais cette idée, qu′elle n′exprima jamais, eût pu servir d′explication à ses moindres actes. Non seulement elle s′arrangeait à ne jamais être seule un moment, de façon que je ne pusse ignorer ce qu′elle avait fait, si je n′en croyais pas ses propres déclarations, mais, même quand elle avait à téléphoner à Andrée, ou au garage, ou au manège, ou ailleurs, elle prétendait que c′était trop ennuyeux de rester seule pour téléphoner, avec le temps que les demoiselles mettaient à vous donner la communication, et elle s′arrangeait pour que je fusse auprès d′elle à ce moment-là, ou, à mon défaut, Françoise, comme si elle eût craint que je pusse imaginer des communications téléphoniques blâmables et servant à donner de mystérieux rendez-vous. Hélas ! tout cela ne me tranquillisait pas. J′eus un jour de découragement. Aimé m′avait renvoyé la photographie d′Esther en me disant que ce n′était pas elle. Alors Albertine avait d′autres amies intimes que celle à qui, par le contresens qu′elle avait fait en écoutant mes paroles, j′avais, en croyant parler de tout autre chose, découvert qu′elle avait donné sa photographie. Je renvoyai cette photographie à Bloch. Celle que j′aurais voulu voir, c′était celle qu′Albertine avait donnée à Esther. Comment y était-elle ? Peut-être décolletée, qui sait ? Mais je n′osais en parler à Albertine (car j′aurais eu l′air de ne pas avoir vu la photographie), ni à Bloch, à l′égard duquel je ne voulais pas avoir l′air de m′intéresser à Albertine. Et cette vie, qu′eût reconnue si cruelle pour moi et pour Albertine quiconque eût connu mes soupçons et son esclavage, du dehors, pour Françoise, passait pour une vie de plaisirs immérités que savait habilement se faire octroyer cette « enjôleuse » et, comme disait Françoise, qui employait beaucoup plus le féminin que le masculin, étant plus envieuse des femmes, cette « charlatante ». Même, comme Françoise, à mon contact, avait enrichi son vocabulaire de termes nouveaux, mais en les arrangeant à sa mode, elle disait d′Albertine qu′elle n′avait jamais connu une personne d′une telle « perfidité », qui savait me « tirer mes sous » en jouant si bien la comédie (ce que Françoise, qui prenait aussi facilement le particulier pour le général que le général pour le particulier, et qui n′avait que des idées assez vagues sur la distinction des genres dans l′art dramatique, appelait « savoir jouer la pantomime »). Peut-être cette erreur sur notre vraie vie, à Albertine et à moi, en étais-je moi-même un peu responsable par les vagues confirmations que, quand je causais avec Françoise, j′en laissais habilement échapper, par désir soit de la taquiner, soit de paraître sinon aimé, du moins heureux. Et pourtant, de ma jalousie, de la surveillance que j′exerçais sur Albertine, et desquelles j′eusse tant voulu que Françoise ne se doutât pas, celle-ci ne tarda pas à deviner la réalité, guidée, comme le spirite qui, les yeux bandés, trouve un objet, par cette intuition qu′elle avait des choses qui pouvaient m′être pénibles, et qui ne se laissait pas détourner du but par les mensonges que je pouvais dire pour l′égarer, et aussi par cette haine clairvoyante qui la poussait — plus encore qu′à croire ses ennemies plus heureuses, plus rouées comédiennes qu′elles n′étaient — à découvrir ce qui pouvait les perdre et précipiter leur chute. Françoise n′a certainement jamais fait de scènes à Albertine. Mais je connaissais l′art de l′insinuation de Françoise, le parti qu′elle savait tirer d′une mise en scène significative, et je ne peux pas croire qu′elle ait résisté à faire comprendre quotidiennement à Albertine le rôle humilié que celle-ci jouait à la maison, à l′affoler par la peinture, savamment exagérée, de la claustration à laquelle mon amie était soumise. J′ai trouvé une fois Françoise, ayant ajusté de grosses lunettes, qui fouillait dans mes papiers et en replaçait parmi eux un où j′avais noté un récit relatif à Swann et à l′impossibilité où il était de se passer d′Odette. L′avait-elle laissé traîner par mégarde dans la chambre d′Albertine ? D′ailleurs, au-dessus de tous les sous-entendus de Françoise, qui n′en avait été en bas que l′orchestration chuchotante et perfide, il est vraisemblable qu′avait dû s′élever, plus haute, plus nette, plus pressante, la voix accusatrice et calomnieuse des Verdurin, irrités de voir qu′Albertine me retenait involontairement, et moi elle volontairement, loin du petit clan. Quant à l′argent que je dépensais pour Albertine, il m′était presque impossible de le cacher à Françoise, puisque je ne pouvais lui cacher aucune dépense. Françoise avait peu de défauts, mais ces défauts avaient créé chez elle, pour les servir, de véritables dons qui souvent lui manquaient hors de l′exercice de ces défauts. Le principal était la curiosité appliquée à l′argent dépensé par nous pour d′autres qu′elle. Si j′avais une note à régler, un pourboire à donner, j′avais beau me mettre à l′écart, elle trouvait une assiette à ranger, une serviette à prendre, quelque chose qui lui permît de s′approcher. Et si peu de temps que je lui laissasse, la renvoyant avec fureur, cette femme qui n′y voyait presque plus clair, qui savait à peine compter, dirigée par ce même goût qui fait qu′un tailleur en vous voyant suppute instinctivement l′étoffe de votre habit et même ne peut s′empêcher de la palper, ou qu′un peintre est sensible à un effet de couleurs, Françoise voyait à la dérobée, calculait instantanément ce que je donnais. Et pour qu′elle ne pût pas dire à Albertine que je corrompais son chauffeur, je prenais les devants et, m′excusant du pourboire, disais : « J′ai voulu être gentil avec le chauffeur, je lui ai donné dix francs », Françoise, impitoyable et à qui son coup d′œil de vieil aigle presque aveugle avait suffi, me répondait : « Mais non, Monsieur lui a donné 43 francs de pourboire. Il a dit à Monsieur qu′il y avait 45 francs, Monsieur lui a donné 100 francs et il ne lui a rendu que 12 francs. » Elle avait eu le temps de voir et de compter le chiffre du pourboire, que j′ignorais moi-même. Je me demandai si Albertine, se sentant surveillée, ne réaliserait pas elle-même cette séparation dont je l′avais menacée, car la vie en changeant fait des réalités avec nos fables. Chaque fois que j′entendais ouvrir une porte, j′avais ce tressaillement que ma grand′mère avait, pendant son agonie, chaque fois que je sonnais. Je ne croyais pas qu′elle sortît sans me l′avoir dit, mais c′était mon inconscient qui pensait cela, comme c′était l′inconscient de ma grand′mère qui palpitait aux coups de sonnette, alors qu′elle n′avait plus sa connaissance. Un matin même, j′eus tout d′un coup la brusque inquiétude qu′elle était non pas seulement sortie, mais partie : je venais d′entendre une porte qui me semblait bien la porte de sa chambre. À pas de loup j′allai jusqu′à cette chambre, j′entrai, je restai sur le seuil. Dans la pénombre les draps étaient gonflés en demi-cercle, ce devait être Albertine qui, le corps incurvé, dormait les pieds et la tête au mur. Seuls, dépassant du lit, les cheveux de cette tête, abondants et noirs, me firent comprendre que c′était elle, qu′elle n′avait pas ouvert sa porte, pas bougé, et je sentis ce demi-cercle immobile et vivant, où tenait toute une vie humaine, et qui était la seule chose à laquelle j′attachais du prix ; je sentis qu′il était là, en ma possession dominatrice. Albertine no more said to me after this midnight scene than she had said before it: “I know that you do not trust me, I am going to try to dispel your suspicions.” But this idea, which she never expressed in words, might have served as an explanation of even her most trivial actions. Not only did she take care never to be alone for a moment, so that I might not lack information as to what she had been doing, if I did not believe her own statements, but even when she had to telephone to Andrée, or to the garage, or to the livery stable or elsewhere, she pretended that it was such a bore to stand about by herself waiting to telephone, what with the time the girls took to give you your number, and took care that I should be with her at such times, or, failing myself, Françoise, as though she were afraid that I might imagine reprehensible conversations by telephone in which she would make mysterious assignations. Alas, all this did not set my mind at rest. I had a day of discouragement. Aimé had sent me back Esther′s photograph, with a message that she was not the person. And so Albertine had other intimate friends as well as this girl to whom, through her misunderstanding of what I said, I had, when I meant to refer to something quite different, discovered that she had given her photograph. I sent this photograph back to Bloch. What I should have liked to see was the photograph that Albertine had given to Esther. How was she dressed in it? Perhaps with a bare bosom, for all I knew. But I dared not mention it to Albertine (for it would then have appeared that I had not seen the photograph), or to Bloch, since I did not wish him to think that I was interested in Albertine. And this life, which anyone who knew of my suspicions and her bondage would have seen to be agonising to myself and to Albertine, was regarded from without, by Françoise, as a life of unmerited pleasures of which full advantage was cunningly taken by that ‘trickstress′ and (as Françoise said, using the feminine form far more often than the masculine, for she was more envious of women) ‘charlatante.′ Indeed, as Françoise, by contact with myself, had enriched her vocabulary with fresh terms, but had adapted them to her own style, she said of Albertine that she had never known a person of such ‘perfidity,′ who was so skilful at ‘drawing my money′ by play-acting (which Françoise, who was as prone to mistake the particular for the general as the general for the particular and who had but a very vague idea of the various kinds of dramatic art, called ‘acting a pantomime′). Perhaps for this error as to the true nature of the life led by Albertine and myself, I was myself to some extent responsible owing to the vague confirmations of it which, when I was talking to Françoise, I skilfully let fall, from a desire either to tease her or to appear, if not loved, at any rate happy. And yet my jealousy, the watch that I kept over Albertine, which I would have given anything for Françoise not to suspect, she was not long in discovering, guided, like the thought-reader who, groping blindfold, finds the hidden object, by that intuition which she possessed for anything that might be painful to me, which would not allow itself to be turned aside by the lies that I might tell in the hope of distracting her, and also by that clairvoyant hatred which urged her — even more than it urged her to believe her enemies more prosperous, more skilful hypocrites than they really were — to discover the secret that might prove their undoing and to precipitate their downfall. Françoise certainly never made any scenes with Albertine. But I was acquainted with Françoise′s art of insinuation, the advantage that she knew how to derive from a significant setting, and I cannot believe that she resisted the temptation to let Albertine know, day by day, what a degraded part she was playing in the household, to madden her by a description, cunningly exaggerated, of the confinement to which my mistress was subjected. On one occasion I found Françoise, armed with a huge pair of spectacles, rummaging through my papers and replacing among them a sheet on which I had jotted down a story about Swann and his utter inability to do without Odette. Had she maliciously left it lying in Albertine′s room? Besides, above all Françoise′s innuendoes which had merely been, in the bass, the muttering and perfidious orchestration, it is probable that there must have risen, higher, clearer, more pressing, the accusing and calumnious voice of the Verdurins, annoyed to see that Albertine was involuntarily keeping me and that I was voluntarily keeping her away from the little clan. As for the money that I was spending upon Albertine, it was almost impossible for me to conceal it from Françoise, since I was unable to conceal any of my expenditure from her. Françoise had few faults, but those faults had created in her, for their service, positive talents which she often lacked apart from the exercise of those faults. Her chief fault was her curiosity as to all money spent by us upon people other than herself. If I had a bill to pay, a gratuity to give, it was useless my going into a corner, she would find a plate to be put in the right place, a napkin to be picked up, which would give her an excuse for approaching. And however short a time I allowed her, before dismissing her with fury, this woman who had almost lost her sight, who could barely add up a column of figures, guided by the same expert sense which makes a tailor, on catching sight of you, instinctively calculate the price of the stuff of which your coat is made, while he cannot resist fingering it, or makes a painter responsive to a colour effect, Françoise saw by stealth, calculated instantaneously the amount that I was giving. And when, so that she might not tell Albertine that I was corrupting her chauffeur, I took the initiative and, apologising for the tip, said: “I wanted to be generous to the chauffeur, I gave him ten francs”; Françoise, pitiless, to whom a glance, that of an old and almost blind eagle, had been sufficient, replied: “No indeed, Monsieur gave him a tip of 43 francs. He told Monsieur that the charge was 45 francs, Monsieur gave him 100 francs, and he handed back only 12 francs.” She had had time to see and to reckon the amount of the gratuity which I myself did not know. I asked myself whether Albertine, feeling herself watched, would not herself put into effect that separation with which I had threatened her, for life in its changing course makes realities of our fables. Whenever I heard a door open, I felt myself shudder as my grandmother used to shudder in her last moments whenever I rang my bell. I did not believe that she would leave the house without telling me, but it was my unconscious self that thought so, as it was my grandmother′s unconscious self that throbbed at the sound of the bell, when she was no longer conscious. One morning indeed, I felt a sudden misgiving that she not only had left the house but had gone for good: I had just heard the sound of a door which seemed to me to be that of her room. On tiptoe I crept towards the room, opened the door, stood upon the threshold. In the dim light the bedclothes bulged in a semi-circle, that must be Albertine who, with her body bent, was sleeping with her feet and face to the wall. Only, overflowing the bed, the hair upon that head, abundant and dark, made me realise that it was she, that she had not opened her door, had not stirred, and I felt that this motionless and living semi-circle, in which a whole human life was contained and which was the only thing to which I attached any value, I felt that it was there, in my despotic possession.
Si le but d′Albertine était de me rendre du calme, elle y réussit en partie ; ma raison, d′ailleurs, ne demandait qu′à me prouver que je m′étais trompé sur les mauvais projets d′Albertine, comme je m′étais peut-être trompé sur ses instincts vicieux. Sans doute je faisais, dans la valeur des arguments que ma raison me fournissait, la part du désir que j′avais de les trouver bons. Mais, pour être équitable et avoir chance de voir la vérité, à moins d′admettre qu′elle ne soit jamais connue que par le pressentiment, par une émanation télépathique, ne fallait-il pas me dire que si ma raison, en cherchant à amener ma guérison, se laissait mener par mon désir, en revanche, en ce qui concernait Mlle Vinteuil, les vices d′Albertine, ses intentions d′avoir une autre vie, son projet de séparation, lesquels étaient les corollaires de ses vices, mon instinct avait pu, lui, pour tâcher de me rendre malade, se laisser égarer par ma jalousie ? D′ailleurs, sa séquestration, qu′Albertine s′arrangeait elle-même si ingénieusement à rendre absolue, en m′ôtant la souffrance m′ôta peu à peu le soupçon, et je pus recommencer, quand le soir ramenait mes inquiétudes, à trouver dans la présence d′Albertine l′apaisement des premiers jours. Assise à côté de mon lit, elle parlait avec moi d′une de ces toilettes ou de ces objets que je ne cessais de lui donner pour tâcher de rendre sa vie plus douce et sa prison plus belle. Albertine n′avait d′abord pensé qu′aux toilettes et à l′ameublement. Maintenant l′argenterie l′intéressait. Aussi avais-je interrogé M. de Charlus sur la vieille argenterie française, et cela parce que, quand nous avions fait le projet d′avoir un yacht, — projet jugé irréalisable par Albertine, et par moi-même chaque fois que, me remettant à croire à sa vertu, ma jalousie diminuant ne comprimait plus d′autres désirs où elle n′avait point de place et qui demandaient aussi de l′argent pour être satisfaits — nous avions à tout hasard, et sans qu′elle crût, d′ailleurs, que nous en aurions jamais un, demandé des conseils à Elstir. Or, tout autant que pour l′habillement des femmes, le goût du peintre était raffiné et difficile pour l′ameublement des yachts. Il n′y admettait que des meubles anglais et de vieille argenterie. Cela avait amené Albertine, depuis que nous étions revenus de Balbec, à lire des ouvrages sur l′art de l′argenterie, sur les poinçons des vieux ciseleurs. Mais la vieille argenterie — ayant été fondue par deux fois, au moment des traités d′Utrecht, quand le Roi lui-même, imité en cela par les grands seigneurs, donna sa vaisselle, et en 1789 — est rarissime. D′autre part, les orfèvres modernes ont eu beau reproduire toute cette argenterie d′après les dessins du Pont-aux-Choux, Elstir trouvait ce vieux neuf indigne d′entrer dans la demeure d′une femme de goût, fût-ce une demeure flottante. Je savais qu′Albertine avait lu la description des merveilles que Roelliers avait faites pour Mme du Barry. Elle mourait d′envie, s′il en existait encore quelques pièces, de les voir, moi de les lui donner. Elle avait même commencé de jolies collections, qu′elle installait avec un goût charmant dans une vitrine et que je ne pouvais regarder sans attendrissement et sans crainte, car l′art avec lequel elle les disposait était celui fait de patience, d′ingéniosité, de nostalgie, de besoin d′oublier, auquel se livrent les captifs. Pour les toilettes, ce qui lui plaisait surtout à ce moment, c′était tout ce que faisait Fortuny. Ces robes de Fortuny, dont j′avais vu l′une sur Mme de Guermantes, c′était celles dont Elstir, quand il nous parlait des vêtements magnifiques des contemporaines de Carpaccio et du Titien, nous avait annoncé la prochaine apparition, renaissant de leurs cendres, somptueuses, car tout doit revenir comme il est écrit aux voûtes de Saint-Marc, et comme le proclament, buvant aux urnes de marbre et de jaspe des chapiteaux byzantins, les oiseaux qui signifient à la fois la mort et la résurrection. Dès que les femmes avaient commencé à en porter, Albertine s′était rappelé les promesses d′Elstir, elle en avait désiré, et nous devions aller en choisir une. Or ces robes, si elles n′étaient pas de ces véritables robes anciennes, dans lesquelles les femmes aujourd′hui ont un peu trop l′air costumées et qu′il est plus joli de garder comme pièces de collection (j′en cherchais, d′ailleurs, aussi de telles pour Albertine), n′avaient pas non plus la froideur du pastiche, du faux ancien. À la façon des décors de Sert, de Bakst et de Benoist, qui, à ce moment, évoquaient dans les ballets russes les époques d′art les plus aimées — à l′aide d′œuvres d′art imprégnées de leur esprit et pourtant originales — ces robes de Fortuny, fidèlement antiques mais puissamment originales, faisaient apparaître comme un décor, avec une plus grande force d′évocation même qu′un décor, puisque le décor restait à imaginer, la Venise tout encombrée d′Orient où elles auraient été portées, dont elles étaient, mieux qu′une relique dans la châsse de Saint-Marc évocatrice du soleil et des turbans environnants, la couleur fragmentée, mystérieuse et complémentaire. Tout avait péri de ce temps, mais tout renaissait, évoqué pour les relier entre elles par la splendeur du paysage et le grouillement de la vie, par le surgissement parcellaire et survivant des étoffes des dogaresses. J′avais voulu une ou deux fois demander à ce sujet conseil à Mme de Guermantes. Mais la duchesse n′aimait guère les toilettes qui font costume. Elle-même, quoique en possédant, n′était jamais si bien qu′en velours noir avec des diamants. Et pour des robes telles que celles de Fortuny, elle n′était pas d′un très utile conseil. Du reste, j′avais scrupule, en lui en demandant, de lui sembler n′aller la voir que lorsque, par hasard, j′avais besoin d′elle, alors que je refusais d′elle depuis longtemps plusieurs invitations par semaine. Je n′en recevais pas que d′elle, du reste, avec cette profusion. Certes, elle et beaucoup d′autres femmes avaient toujours été très aimables pour moi. Mais ma claustration avait certainement décuplé cette amabilité. Il semble que dans la vie mondaine, reflet insignifiant de ce qui se passe en amour, la meilleure manière qu′on vous recherche, c′est de se refuser. Un homme calcule tout ce qu′il peut citer de traits glorieux pour lui afin de plaire à une femme ; il varie sans cesse ses habits, veille sur sa mine ; elle n′a pas pour lui une seule des attentions qu′il reçoit de cette autre, qu′en la trompant, et malgré qu′il paraisse devant elle malpropre et sans artifice pour plaire, il s′est à jamais attachée. De même, si un homme regrettait de ne pas être assez recherché par le monde, je ne lui conseillerais pas de faire plus de visites, d′avoir encore un plus bel équipage ; je lui dirais de ne se rendre à aucune invitation, de vivre enfermé dans sa chambre, de n′y laisser entrer personne, et qu′alors on ferait queue devant sa porte. Ou plutôt je ne le lui dirais pas. Car c′est une façon assurée d′être recherché qui ne réussit que comme celle d′être aimé, c′est-à-dire si on ne l′a nullement adoptée pour cela, si, par exemple, on garde toujours la chambre parce qu′on est gravement malade, ou qu′on croit l′être, ou qu′on y tient une maîtresse enfermée et qu′on préfère au monde (ou tous les trois à la fois) pour qui ce sera une raison, sans qu′il sache l′existence de cette femme, et simplement parce que vous vous refusez à lui, de vous préférer à tous ceux qui s′offrent, et de s′attacher à vous. If Albertine′s object was to restore my peace of mind, she was partly successful; my reason moreover asked nothing better than to prove to me that I had been mistaken as to her crafty plans, as I had perhaps been mistaken as to her vicious instincts. No doubt I added to the value of the arguments with which my reason furnished me my own desire to find them sound. But, if I was to be fair and to have a chance of perceiving the truth, unless we admit that it is never known save by presentiment, by a telepathic emanation, must I not say to myself that if my reason, in seeking to bring about my recovery, let itself be guided by my desire, on the other hand, so far as concerned Mlle. Vinteuil, Albertine′s vices, her intention to lead a different life, her plan of separation, which were the corollaries of her vices, my instinct had been capable, in the attempt to make me ill, of being led astray by my jealousy. Besides, her seclusion, which Albertine herself contrived so ingeniously to render absolute, by removing my suffering, removed by degrees my suspicion and I could begin again, when the night brought back my uneasiness, to find in Albertine′s presence the consolation of earlier days. Seated beside my bed, she spoke to me of one of those dresses or one of those presents which I never ceased to give her in the effort to enhance the comfort of her life and the beauty of her prison. Albertine had at first thought only of dresses and furniture. Now silver had begun to interest her. And so I had questioned M. de Charlus about old French silver, and had done so because, when we had been planning to have a yacht — a plan which Albertine decided was impracticable, as I did also whenever I had begun to believe in her virtue, with the result that my jealousy, as it declined, no longer held in check other desires in which she had no place and which also needed money for their satisfaction — we had, to be on the safe side, not that she supposed that we should ever have a yacht, asked Elstir for his advice. Now, just as in matters of women′s dress, the painter was a refined and sensitive critic of the furnishing of yachts. He would allow only English furniture and old silver. This had led Albertine, since our return from Balbec, to read books upon the silversmith′s art, upon the handiwork of the old chasers. But as our old silver was melted twice over, at the time of the Treaty of Utrecht when the King himself, setting the example to his great nobles, sacrificed his plate, and again in 1789, it is now extremely rare. On the other hand, it is true that modern silversmiths have managed to copy all this old plate from the drawings of Le Pont-aux-Choux, Elstir considered this modern antique unworthy to enter the home of a woman of taste, even a floating home. I knew that Albertine had read the description of the marvels that Roelliers had made for Mme. du Barry. If any of these pieces remained, she was dying to see them, and I to give them to her. She had even begun to form a neat collection which she installed with charming taste in a glass case and at which I could not look without emotion and alarm, for the art with which she arranged them was that born of patience, ingenuity, home-sickness, the need to forget, in which prisoners excel. In the matter of dress, what appealed to her most at this time was everything that was made by Fortuny. These Fortuny gowns, one of which I had seen Mme. de Guermantes wearing, were those of which Elstir, when he told us about the magnificent garments of the women of Carpaccio′s and Titian′s day, had prophesied the speedy return, rising from their ashes, sumptuous, for everything must return in time, as it is written beneath the vaults of Saint Mark′s, and proclaimed, where they drink from the urns of marble and jasper of the byzantine capitals, by the birds which symbolise at once death and resurrection. As soon as women had begun to wear them, Albertine had remembered Elstir′s prophecy, she had desired to have one and we were to go and choose it. Now these gowns, even if they were not those genuine antiques in which women to-day seem a little too much ‘in fancy dress′ and which it is preferable to keep as pieces in a collection (I was in search of these also, as it happens, for Albertine), could not be said to have the chilling effect of the artificial, the sham antique. Like the theatrical designs of Sert, Bakst and Benoist who at that moment were recreating in the Russian ballet the most cherished periods of art — with the aid of works of art impregnated with their spirit and yet original — these Fortuny gowns, faithfully antique but markedly original, brought before the eye like a stage setting, with an even greater suggestiveness than a setting, since the setting was left to the imagination, that Venice loaded with the gorgeous East from which they had been taken, of which they were, even more than a relic in the shrine of Saint Mark suggesting the sun and a group of turbaned heads, the fragmentary, mysterious and complementary colour. Everything of those days had perished, but everything was born again, evoked to fill the space between them with the splendour of the scene and the hum of life, by the reappearance, detailed and surviving, of the fabrics worn by the Doges′ ladies. I had tried once or twice to obtain advice upon this subject from Mme. de Guermantes. But the Duchess cared little for garments which form a ‘costume.′ She herself, though she possessed several, never looked so well as in black velvet with diamonds. And with regard to gowns like Fortuny′s, her advice was not of any great value. Besides, I felt a scruple, if I asked for it, lest she might think that I called upon her only when I happened to need her help, whereas for a long time past I had been declining several invitations from her weekly. It was not only from her, moreover, that I received them in such profusion. Certainly, she and many other women had always been extremely kind to me. But my seclusion had undoubtedly multiplied their hospitality tenfold. It seems that in our social life, a minor echo of what occurs in love, the best way for a man to make himself sought-after is to withhold himself. A man calculates everything that he can possibly cite to his credit, in order to find favour with a woman, changes his clothes all day long, pays attention to his appearance, she does not pay him a single one of the attentions which he receives from the other woman to whom, while he betrays her, and in spite of his appearing before her ill-dressed and without any artifice to attract, he has endeared himself for ever. Similarly, if a man were to regret that he was not sufficiently courted in society, I should not advise him to pay more calls, to keep an even finer carriage, I should tell him not to accept any invitation, to live shut up in his room, to admit nobody, and that then there would be a queue outside his door. Or rather I should not tell him so. For it is a certain road to success which succeeds only like the road to love, that is to say if one has not adopted it with that object in view, if, for instance, you confine yourself to your room because you are seriously ill, or are supposed to be, or are keeping a mistress shut up with you whom you prefer to society (or for all these reasons at once), this will justify another person, who is not aware of the woman′s existence, and simply because you decline to see him, in preferring you to all the people who offer themselves, and attaching himself to you.
« Il faudra que nous nous occupions bientôt de vos robes de Fortuny », dis-je un soir à Albertine. Et certes, pour elle qui les avait longtemps désirées, qui les choisissait longuement avec moi, qui en avait d′avance la place réservée, non seulement dans ses armoires mais dans son imagination, posséder ces robes, dont, pour se décider entre tant d′autres, elle examinait longuement chaque détail, serait quelque chose de plus que pour une femme trop riche qui a plus de robes qu′elle n′en désire et ne les regarde même pas. Pourtant, malgré le sourire avec lequel Albertine me remercia en me disant : « Vous êtes trop gentil », je remarquai combien elle avait l′air fatigué et même triste. “We shall have to begin to think soon about your Fortuny gowns,” I said to Albertine one evening. Surely, to her who had long desired them, who chose them deliberately with me, who had a place reserved for them beforehand not only in her wardrobe but in her imagination, the possession of these gowns, every detail of which, before deciding among so many, she carefully examined, was something more than it would have been to an overwealthy woman who has more dresses than she knows what to do with and never even looks at them. And yet, notwithstanding the smile with which Albertine thanked me, saying: “You are too kind,” I noticed how weary, and even wretched, she was looking.
En attendant que fussent achevées ces robes, je m′en fis prêter quelques-unes, même parfois seulement des étoffes, et j′en habillais Albertine, je les drapais sur elle ; elle se promenait dans ma chambre avec la majesté d′une dogaresse et la grâce d′un mannequin. Seulement, mon esclavage à Paris m′était rendu plus pesant par la vue de ces robes qui m′évoquaient Venise. Certes, Albertine était bien plus prisonnière que moi. Et c′était une chose curieuse comme, à travers les murs de sa prison, le destin, qui transforme les êtres, avait pu passer, la changer dans son essence même, et de la jeune fille de Balbec faire une ennuyeuse et docile captive. Oui, les murs de la prison n′avaient pas empêché cette influence de traverser ; peut-être même est-ce eux qui l′avaient produite. Ce n′était plus la même Albertine, parce qu′elle n′était pas, comme à Balbec, sans cesse en fuite sur sa bicyclette, introuvable à cause du nombre de petites plages où elle allait coucher chez des amies et où, d′ailleurs, ses mensonges la rendaient plus difficile à atteindre ; parce qu′enfermée chez moi, docile et seule, elle n′était même plus ce qu′à Balbec, quand j′avais pu la trouver, elle était sur la plage, cet être fuyant, prudent et fourbe, dont la présence se prolongeait de tant de rendez-vous qu′elle était habile à dissimuler, qui la faisaient aimer parce qu′ils faisaient souffrir, en qui, sous sa froideur avec les autres et ses réponses banales, on sentait le rendez-vous de la veille et celui du lendemain, et pour moi une pensée de dédain et de ruse ; parce que le vent de la mer ne gonflait plus ses vêtements ; parce que, surtout, je lui avais coupé les ailes, qu′elle avait cessé d′être une Victoire, qu′elle était une pesante esclave dont j′aurais voulu me débarrasser. While we waited for these gowns to be ready, I used to borrow others of the kind, sometimes indeed merely the stuffs, and would dress Albertine in them, drape them over her; she walked about my room with the majesty of a Doge′s wife and the grace of a mannequin. Only my captivity in Paris was made more burdensome by the sight of these garments which suggested Venice. True, Albertine was far more of a prisoner than I. And it was curious to remark how, through the walls of her prison, destiny, which transforms people, had contrived to pass, to change her in her very essence, and turn the girl I had known at Balbec into a tedious and docile captive. Yes, the walls of her prison had not prevented that influence from reaching her; perhaps indeed it was they that had produced it. It was no longer the same Albertine, because she was not, as at Balbec, incessantly in flight upon her bicycle, never to be found owing to the number of little watering-places where she would go to spend the night with her girl friends and where moreover her untruths made it more difficult to lay hands upon her; because confined to my house, docile and alone, she was no longer even what at Balbec, when I had succeeded in finding her, she used to be upon the beach, that fugitive, cautious, cunning creature, whose presence was enlarged by the thought of all those assignations which she was skilled in concealing, which made one love her because they made one suffer, in whom, beneath her coldness to other people and her casual answers, one could feel yesterday′s assignation and to-morrow′s, and for myself a contemptuous, deceitful thought; because the sea breeze no longer buffeted her skirts, because, above all, I had clipped her wings, she had ceased to be a Victory, was a burdensome slave of whom I would fain have been rid.
Alors, pour changer le cours de mes pensées, plutôt que de commencer avec Albertine une partie de cartes ou de dames, je lui demandais de me faire un peu de musique. Je restais dans mon lit et elle allait s′asseoir au bout de la chambre devant le pianola, entre les portants de la bibliothèque. Elle choisissait des morceaux ou tout nouveaux ou qu′elle ne m′avait encore joués qu′une fois ou deux, car, commençant à me connaître, elle savait que je n′aimais proposer à mon attention que ce qui m′était encore obscur, heureux de pouvoir, au cours de ces exécutions successives, rejoindre les unes aux autres, grâce à la lumière croissante, mais hélas ! dénaturante et étrangère de mon intelligence, les lignes fragmentaires et interrompues de la construction, d′abord presque ensevelie dans la brume. Elle savait, et, je crois, comprenait, la joie que donnait, les premières fois, à mon esprit, ce travail de modelage d′une nébuleuse encore informe. Then, to change the course of my thoughts, rather than begin a game of cards or draughts with Albertine, I asked her to give me a little music. I remained in bed, and she went and sat down at the end of the room before the pianola, between the two bookcases. She chose pieces which were quite new or which she had played to me only once or twice, for, as she began to know me better, she had learned that I liked to fix my thoughts only upon what was still obscure to me, glad to be able, in the course of these successive renderings, to join together, thanks to the increasing but, alas, distorting and alien light of my intellect, the fragmentary and interrupted lines of the structure which at first had been almost hidden in the mist. She knew and, I think, understood, the joy that my mind derived, at these first hearings, from this task of modelling a still shapeless nebula.
Elle devinait qu′à la troisième ou quatrième exécution, mon intelligence, en ayant atteint, par conséquent mis à la même distance, toutes les parties, et n′ayant plus d′activité à déployer à leur égard, les avait réciproquement étendues et immobilisées sur un plan uniforme. Elle ne passait pas cependant encore à un nouveau morceau, car, sans peut-être bien se rendre compte du travail qui se faisait en moi, elle savait qu′au moment où le travail de mon intelligence était arrivé à dissiper le mystère d′une œuvre, il était bien rare que, par compensation, elle n′eût pas, au cours de sa tâche néfaste, attrapé telle ou telle réflexion profitable. Et le jour où Albertine disait : « Voilà un rouleau que nous allons donner à Françoise pour qu′elle nous le fasse changer contre un autre », souvent il y avait pour moi sans doute un morceau de musique de moins dans le monde, mais une vérité de plus. She guessed that at the third or fourth repetition my intellect, having reached, having consequently placed at the same distance, all the parts, and having no longer any activity to spare for them, had reciprocally extended and arrested them upon a uniform plane. She did not, however, proceed at once to a fresh piece, for, without perhaps having any clear idea of the process that was going on in my mind, she knew that at the moment when the effort of my intellect had succeeded in dispelling the mystery of a work, it was very rarely that, in compensation, it did not, in the course of its task of destruction, pick up some profitable reflexion. And when in time Albertine said: “We might give this roll to Françoise and get her to change it for something else,” often there was for me a piece of music less in the world, perhaps, but a truth the more.
Pendant qu′elle jouait, de la multiple chevelure d′Albertine je ne pouvais voir qu′une coque de cheveux noirs en forme de cœur, appliquée au long de l′oreille comme le nœud d′une infante de Velasquez. De même que le volume de cet Ange musicien était constitué par les trajets multiples entre les différents points du passé que son souvenir occupait en moi et ses différents sièges, depuis la vue jusqu′aux sensations les plus intérieures de mon être, qui m′aidaient à descendre dans l′intimité du sien, la musique qu′elle jouait avait aussi un volume, produit par la visibilité inégale des différentes phrases, selon que j′avais plus ou moins réussi à y mettre de la lumière et à rejoindre les unes aux autres les lignes d′une construction qui m′avait d′abord paru presque tout entière noyée dans le brouillard. While she was playing, of all Albertine′s multiple tresses I could see but a single loop of black hair in the shape of a heart trained at the side of her ear like the riband of a Velasquez Infanta. Just as the substance of that Angel musician was constituted by the multiple journeys between the different points in past time which the memory of her occupied in myself, and its different abodes, from my vision to the most inward sensations of my being, which helped me to descend into the intimacy of hers, so the music that she played had also a volume, produced by the inconstant visibility of the different phrases, accordingly as I had more or less succeeded in throwing a light upon them and in joining together the lines of a structure which at first had seemed to me to be almost completely hidden in the fog.
Je m′étais si bien rendu compte qu′il serait absurde d′être jaloux de Mlle Vinteuil et de son amie, puisqu′Albertine, depuis son aveu, ne cherchait nullement à les voir, et de tous les projets de villégiature que nous avions formés, avait écarté d′elle-même Combray, si proche de Montjouvain, que, souvent, ce que je demandais à Albertine de me jouer, et sans que cela me fît souffrir, c′était de la musique de Vinteuil. Une seule fois, cette musique de Vinteuil avait été une cause indirecte de jalousie pour moi. En effet, Albertine qui savait que j′en avais entendu jouer chez Mme Verdurin par Morel, me parla, un soir, de celui-ci en me manifestant un vif désir d′aller l′entendre, de le connaître. C′était justement peu de temps après que j′avais appris l′existence de la lettre, involontairement interceptée par M. de Charlus, de Léa à Morel. Je me demandai si Léa n′avait pas parlé de lui à Albertine. Les mots de « grande sale », « grande vicieuse » me revenaient à l′esprit avec horreur. Mais, justement parce qu′ainsi la musique de Vinteuil fut liée douloureusement à Léa — non plus à Mlle Vinteuil et à son amie — quand la douleur causée par Léa fut apaisée, je pus dès lors entendre cette musique sans souffrance ; un mal m′avait guéri de la possibilité des autres. De cette musique de Vinteuil des phrases inaperçues chez Mme Verdurin, larves obscures alors indistinctes, devenaient d′éblouissantes architectures ; et certaines devenaient des amies, que j′avais à peine distinguées au début, qui, au mieux, m′avaient paru laides et dont je n′aurais jamais cru qu′elles fussent comme ces gens antipathiques au premier abord qu′on découvre seulement tels qu′ils sont une fois qu′on les connaît bien. Entre les deux états il y avait une vraie transmutation. D′autre part, des phrases, distinctes la première fois dans la musique entendue chez Mme Verdurin, mais que je n′avais pas alors reconnues là, je les identifiais maintenant avec des phrases des autres œuvres, comme cette phrase de la Variation religieuse pour orgue qui, chez Mme Verdurin, avait passé inaperçue pour moi dans le septuor, où pourtant, sainte qui avait descendu les degrés du sanctuaire, elle se trouvait mêlée aux fées familières du musicien. D′autre part, la phrase, qui m′avait paru trop peu mélodique, trop mécaniquement rythmée, de la joie titubante des cloches de midi, maintenant c′était celle que j′aimais le mieux, soit que je fusse habitué à sa laideur, soit que j′eusse découvert sa beauté. Cette réaction sur la déception que causent d′abord les chefs-d′œuvre, on peut, en effet, l′attribuer à un affaiblissement de l′impression initiale ou à l′effort nécessaire pour dégager la vérité. Deux hypothèses qui se représentent pour toutes les questions importantes : les questions de la réalité de l′Art, de la réalité de l′Éternité de l′âme ; c′est un choix qu′il faut faire entre elles ; et pour la musique de Vinteuil, ce choix se représentait à tout moment sous bien des formes. Par exemple, cette musique me semblait quelque chose de plus vrai que tous les livres connus. Par instants je pensais que cela tenait à ce que ce qui est senti par nous de la vie, ne l′étant pas sous forme d′idées, sa traduction littéraire, c′est-à-dire intellectuelle, en en rendant compte l′explique, l′analyse, mais ne le recompose pas comme la musique, où les sons semblent prendre l′inflexion de l′être, reproduire cette pointe intérieure et extrême des sensations qui est la partie qui nous donne cette ivresse spécifique que nous retrouvons de temps en temps et que, quand nous disons : « Quel beau temps ! quel beau soleil ! » nous ne faisons nullement connaître au prochain, en qui le même soleil et le même temps éveillent des vibrations toutes différentes. Dans la musique de Vinteuil, il y avait ainsi de ces visions qu′il est impossible d′exprimer et presque défendu de constater, puisque, quand, au moment de s′endormir, on reçoit la caresse de leur irréel enchantement, à ce moment même où la raison nous a déjà abandonnés, les yeux se scellent et, avant d′avoir eu le temps de connaître non seulement l′ineffable mais l′invisible, on s′endort. Il me semblait même, quand je m′abandonnais à cette hypothèse où l′art serait réel, que c′était même plus que la simple joie nerveuse d′un beau temps ou d′une nuit d′opium que la musique peut rendre : une ivresse plus réelle, plus féconde, du moins à ce que je pressentais. Il n′est pas possible qu′une sculpture, une musique qui donne une émotion qu′on sent plus élevée, plus pure, plus vraie, ne corresponde pas à une certaine réalité spirituelle. Elle en symbolise sûrement une, pour donner cette impression de profondeur et de vérité. Ainsi rien ne ressemblait plus qu′une telle phrase de Vinteuil à ce plaisir particulier que j′avais quelquefois éprouvé dans ma vie, par exemple devant les clochers de Martainville, certains arbres d′une route de Balbec ou, plus simplement, au début de cet ouvrage, en buvant une certaine tasse de thé. I was so far convinced that it was absurd to be jealous of Mlle. Vinteuil and her friend, inasmuch as Albertine since her confession had made no attempt to see them and among all the plans for a holiday in the country which we had formed had herself rejected Combray, so near to Montjouvain, that, often, what I would ask Albertine to play to me, without its causing me any pain, would be some music by Vinteuil. Once only this music had been an indirect cause of my jealousy. This was when Albertine, who knew that I had heard it performed at Mme. Verdurin′s by Morel, spoke to me one evening about him, expressing a keen desire to go and hear him play and to make his acquaintance. This, as it happened, was shortly after I had learned of the letter, unintentionally intercepted by M. de Charlus, from Léa to Morel. I asked myself whether Léa might not have mentioned him to Albertine. The words: ‘You bad woman, you naughty old girl′ came to my horrified mind. But precisely because Vinteuil′s music was in this way painfully associated with Léa — and no longer with Mlle. Vinteuil and her friend — when the grief that Léa caused me was soothed, I could then listen to this music without pain; one malady had made me immune to any possibility of the others. In this music of Vinteuil, phrases that I had not noticed at Mme. Verdurin′s, obscure phantoms that were then indistinct, turned into dazzling architectural structures; and some of them became friends, whom I had barely made out at first, who at best had appeared to me to be ugly, so that I could never have supposed that they were like those people, unattractive at first sight, whom we discover to be what they really are only after we have come to know them well. From one state to the other was a positive transmutation. On the other hand, phrases that I had distinguished at once in the music that I had heard at Mme. Verdurin′s, but had not then recognised, I identified now with phrases from other works, such as that phrase from the Sacred Variation for the Organ which, at Mme. Verdurin′s, had passed unperceived by me in the septet, where nevertheless, a saint that had stepped down from the sanctuary, it found itself consorting with the composer′s familiar fays. Finally, the phrase that had seemed to me too little melodious, too mechanical in its rhythm, of the swinging joy of bells at noon, had now become my favourite, whether because I had grown accustomed to its ugliness or because I had discovered its beauty. This reaction from the disappointment which great works of art cause at first may in fact be attributed to a weakening of the initial impression or to the effort necessary to lay bare the truth. Two hypotheses which suggest themselves in all important questions, questions of the truth of Art, of the truth of the Immortality of the Soul; we must choose between them; and, in the case of Vinteuil′s music, this choice presented itself at every moment under a variety of forms. For instance, this music seemed to me to be something truer than all the books that I knew. Sometimes I thought that this was due to the fact that what we feel in life, not being felt in the form of ideas, its literary (that is to say an intellectual) translation in giving an account of it, explains it, analyses it, but does not recompose it as does music, in which the sounds seem to assume the inflexion of the thing itself, to reproduce that interior and extreme point of our sensation which is the part that gives us that peculiar exhilaration which we recapture from time to time and which when we say: “What a fine day! What glorious sunshine!” we do not in the least communicate to our neighbour, in whom the same sun and the same weather arouse wholly different vibrations. In Vinteuil′s music, there were thus some of those visions which it is impossible to express and almost forbidden to record, since, when at the moment of falling asleep we receive the caress of their unreal enchantment, at that very moment in which reason has already deserted us, our eyes are already sealed, and before we have had time to know not merely the ineffable but the invisible, we are asleep. It seemed to me indeed when I abandoned myself to this hypothesis that art might be real, that it was something even more than the simply nervous joy of a fine day or an opiate night that music can give; a more real, more fruitful exhilaration, to judge at least by what I felt. It is not possible that a piece of sculpture, a piece of music which gives us an emotion which we feel to be more exalted, more pure, more true, does not correspond to some definite spiritual reality. It is surely symbolical of one, since it gives that impression of profundity and truth. Thus nothing resembled more closely than some such phrase of Vinteuil the peculiar pleasure which I had felt at certain moments in my life, when gazing, for instance, at the steeples of Martinville, or at certain trees along a road near Balbec, or, more simply, in the first part of this book, when I tasted a certain cup of tea.
Sans pousser plus loin cette comparaison, je sentais que les rumeurs claires, les bruyantes couleurs que Vinteuil nous envoyait du monde où il composait promenaient devant mon imagination, avec insistance, mais trop rapidement pour qu′elle pût l′appréhender quelque chose que je pourrais comparer à la soierie embaumée d′un géranium. Seulement, tandis que, dans le souvenir, ce vague peut être sinon approfondi, du moins précisé, grâce à un repérage de circonstances qui expliquent pourquoi une certaine saveur a pu vous rappeler des sensations lumineuses, les sensations vagues données par Vinteuil, venant non d′un souvenir, mais d′une impression (comme celle des clochers de Martainville), il aurait fallu trouver, de la fragrance de géranium de sa musique, non une explication matérielle, mais l′équivalent profond, la fête inconnue et colorée (dont ses œuvres semblaient les fragments disjoints, les éclats aux cassures écarlates), le mode selon lequel il « entendait » et projetait hors de lui l′univers. Cette qualité inconnue d′un monde unique, et qu′aucun autre musicien ne nous avait jamais fait voir, peut-être était-ce en cela, disais-je à Albertine, qu′est la preuve la plus authentique du génie, bien plus que dans le contenu de l′œuvre elle-même. « Même en littérature ? me demandait Albertine. — Même en littérature. » Et repensant à la monotonie des œuvres de Vinteuil, j′expliquais à Albertine que les grands littérateurs n′ont jamais fait qu′une seule œuvre, ou plutôt n′ont jamais que réfracté à travers des milieux divers une même beauté qu′ils apportent au monde. « S′il n′était pas si tard, ma petite, lui disais-je, je vous montrerais cela chez tous les écrivains que vous lisez pendant que je dors, je vous montrerais la même identité que chez Vinteuil. Ces phrases-types, que vous commencez à reconnaître comme moi, ma petite Albertine, les mêmes dans la sonate, dans le septuor, dans les autres œuvres, ce serait, par exemple, si vous voulez, chez Barbey d′Aurevilly, une réalité cachée, révélée par une trace matérielle, la rougeur physiologique de l′Ensorcelée, d′Aimée de Spens, de la Clotte, la main du Rideau Cramoisi, les vieux usages, les vieilles coutumes, les vieux mots, les métiers anciens et singuliers derrière lesquels il y a le Passé, l′histoire orale faite par les pâtres du terroir, les nobles cités normandes parfumées d′Angleterre et jolies comme un village d′Écosse, la cause de malédictions contre lesquelles on ne peut rien, la Vellini, le Berger, une même sensation d′anxiété dans un passage, que ce soit la femme cherchant son mari dans une Vieille Maîtresse, ou le mari, dans l′Ensorcelée, parcourant la lande, et l′Ensorcelée elle-même au sortir de la messe. Ce sont encore des phrases types de Vinteuil que cette géométrie du tailleur de pierre dans les romans de Thomas Hardy. » Without pressing this comparison farther, I felt that the clear sounds, the blazing colours which Vinteuil sent to us from the world in which he composed, paraded before my imagination with insistence but too rapidly for me to be able to apprehend it, something which I might compare to the perfumed silkiness of a geranium. Only, whereas, in memory, this vagueness may be, if not explored, at any rate fixed precisely, thanks to a guiding line of circumstances which explain why a certain savour has been able to recall to us luminous sensations, the vague sensations given by Vinteuil coming not from a memory but from an impression (like that of the steeples of Martinville), one would have had to find, for the geranium scent of his music, not a material explanation, but the profound equivalent, the unknown and highly coloured festival (of which his works seemed to be the scattered fragments, the scarlet-flashing rifts), the mode in which he ‘heard′ the universe and projected it far beyond himself. This unknown quality of a unique world which no other composer had ever made us see, perhaps it is in this, I said to Albertine, that the most authentic proof of genius consists, even more than in the content of the work itself. “Even in literature?” Albertine inquired. “Even in literature.” And thinking again of the monotony of Vinteuil′s works, I explained to Albertine that the great men of letters have never created more than a single work, or rather have never done more than refract through various mediums an identical beauty which they bring into the world. “If it were not so late, my child,” I said to her, “I would shew you this quality in all the writers whose works you read while I am asleep, I would shew you the same identity as in Vinteuil. These typical phrases, which you are beginning to recognise as I do, my little Albertine, the same in the sonata, in the septet, in the other works, would be for instance, if you like, in Barbey d′Aurevilly, a hidden reality revealed by a material trace, the physiological blush of l′Ensorcelée, of Aimée de Spens, of la Clotte, the hand of the Rideau Cramoisi, the old manners and customs, the old words, the ancient and peculiar trades behind which there is the Past, the oral history compiled by the rustics of the manor, the noble Norman cities redolent of England and charming as a Scots village, the cause of curses against which one can do nothing, the Vellini, the Shepherd, a similar sensation of anxiety in a passage, whether it be the wife seeking her husband in Une Vieille Maîtresse, or the husband in l′Ensorcelée scouring the plain and the ‘Ensorcelée′ herself coming out from Mass. There are other typical phrases in Vinteuil like that stonemason′s geometry in the novels of Thomas Hardy.”
Les phrases de Vinteuil me firent penser à la petite phrase et je dis à Albertine qu′elle avait été comme l′hymne national de l′amour de Swann et d′Odette, « les parents de Gilberte que vous connaissez. Vous m′avez dit qu′elle n′avait pas mauvais genre. Mais n′a-t-elle pas essayé d′avoir des relations avec vous ? Elle m′a parlé de vous. — Oui, comme ses parents la faisaient chercher en voiture au cours, par les trop mauvais temps, je crois qu′elle me ramena une fois et m′embrassa », dit-elle au bout d′un moment ; en riant et comme si c′était une confidence amusante. « Elle me demanda tout d′un coup si j′aimais les femmes. » (Mais si elle ne faisait que croire se rappeler que Gilberte l′avait ramenée, comment pouvait-elle dire avec tant de précision que Gilberte lui avait posé cette question bizarre ?) « Même, je ne sais quelle idée baroque me prit de la mystifier, je lui répondis que oui. » (On aurait dit qu′Albertine craignait que Gilberte m′eût raconté cela et qu′elle ne voulût pas que je constatasse qu′elle me mentait.) « Mais nous ne fîmes rien du tout. » (C′était étrange, si elles avaient échangé ces confidences, qu′elles n′eussent rien fait, surtout qu′avant cela même, elles s′étaient embrassées dans la voiture au dire d′Albertine.) « Elle m′a ramenée comme cela quatre ou cinq fois, peut-être un peu plus, et c′est tout. » J′eus beaucoup de peine à ne poser aucune question, mais, me dominant pour avoir l′air de n′attacher à tout cela aucune importance, je revins à Thomas Hardy. « Rappelez-vous les tailleurs de pierre dans Jude l′obscur, dans la Bien-Aimée, les blocs de pierres que le père extrait de l′île venant par bateaux s′entasser dans l′atelier du fils où elles deviennent statues ; dans les Yeux Bleus, le parallélisme des tombes, et aussi la ligne parallèle du bateau, et les wagons contigus où sont les deux amoureux, et la morte ; le parallélisme entre la Bien-Aimée où l′homme aime trois femmes et les Yeux Bleus où la femme aime trois hommes, etc., et enfin tous ces romans superposables les uns aux autres, comme les maisons verticalement entassées en hauteur sur le sol pierreux de l′île. Je ne peux pas vous parler comme cela en une minute des plus grands, mais vous verriez dans Stendhal un certain sentiment de l′altitude se liant à la vie spirituelle : le lieu élevé où Julien Sorel est prisonnier, la tour au haut de laquelle est enfermé Fabrice, le clocher où l′abbé Barnès s′occupe d′astrologie et d′où Fabrice jette un si beau coup d′œil. Vous m′avez dit que vous aviez vu certains tableaux de Vermeer, vous vous rendez bien compte que ce sont les fragments d′un même monde, que c′est toujours, quelque génie avec lequel ils soient recréés, la même table, le même tapis, la même femme, la même nouvelle et unique beauté, énigme à cette époque où rien ne lui ressemble ni ne l′explique, si on ne cherche pas à l′apparenter par les sujets, mais à dégager l′impression particulière que la couleur produit. Eh bien, cette beauté nouvelle, elle reste identique dans toutes les œuvres de Dostoski : la femme de Dostoski (aussi particulière qu′une femme de Rembrandt), avec son visage mystérieux, dont la beauté avenante se change brusquement comme si elle avait joué la comédie de la bonté, en une insolence terrible (bien qu′au fond il semble qu′elle soit plutôt bonne), n′est-ce pas toujours la même, que ce soit Nastasia Philipovna écrivant des lettres d′amour à Aglaé et lui avouant qu′elle la hait, ou, dans une visite entièrement identique à celle-là — à celle aussi où Nastasia Philipovna insulte les parents de Vania — Grouchenka, aussi gentille chez Katherina Ivanovna que celle-ci l′avait crue terrible, puis brusquement dévoilant sa méchanceté en insultant Katherina Ivanovna (bien que Grouchenka au fond soit bonne) ; Grouchenka, Nastasia, figures aussi originales, aussi mystérieuses, non pas seulement que les courtisanes de Carpaccio mais que la Bethsabée de Rembrandt. Comme, chez Vermeer, il y a création d′une certaine âme, d′une certaine couleur des étoffes et des lieux, il n′y a pas seulement, chez Dostoski, création d′être mais de demeures, et la maison de l′Assassinat, dans Crime et Châtiment, avec son dvornik, n′est-elle pas presque aussi merveilleuse que le chef-d′œuvre de la maison de l′Assassinat dans Dostoski, cette sombre, et si longue, et si haute, et si vaste maison de Rogojine où il tue Nastasia Philipovna ? Cette beauté nouvelle et terrible d′une maison, cette beauté nouvelle et mixte d′un visage de femme, voilà ce que Dostoski a apporté d′unique au monde, et les rapprochements que des critiques littéraires peuvent faire entre lui et Gogol, ou entre lui et Paul de Kock, n′ont aucun intérêt, étant extérieurs à cette beauté secrète. Du reste, si je t′ai dit que c′est de roman à roman la même scène, c′est au sein d′un même roman que les mêmes scènes, les mêmes personnages se reproduisent si le roman est très long. Je pourrais te le montrer facilement dans la Guerre et la Paix, et certaine scène dans une voitureÂ… — Je n′avais pas voulu vous interrompre, mais puisque je vois que vous quittez Dostoski, j′avais peur d′oublier. Mon petit, qu′est-ce que vous avez voulu dire l′autre jour quand vous m′avez dit : « C′est comme le côté Dostoski de Mme de Sévigné. » Je vous avoue que je n′ai pas compris. Cela me semble tellement différent. — Venez, petite fille, que je vous embrasse pour vous remercier de vous rappeler si bien ce que je dis, vous retournerez au pianola après. Et j′avoue que ce que j′avais dit là était assez bête. Mais je l′avais dit pour deux raisons. La première est une raison particulière. Il est arrivé que Mme de Sévigné, comme Elstir, comme Dostoski, au lieu de présenter les choses dans l′ordre logique, c′est-à-dire en commençant par la cause, nous montre d′abord l′effet, l′illusion qui nous frappe. C′est ainsi que Dostoski présente ses personnages. Leurs actions nous apparaissent aussi trompeuses que ces effets d′Elstir où la mer a l′air d′être dans le ciel. Nous sommes tout étonnés d′apprendre que cet homme sournois est au fond excellent, ou le contraire. — Oui, mais un exemple pour Mme de Sévigné. — J′avoue, lui répondis-je en riant, que c′est très tiré par les cheveux, mais enfin je pourrais trouver des exemples. — Mais est-ce qu′il a jamais assassiné quelqu′un, Dostoski ? Les romans que je connais de lui pourraient tous s′appeler l′Histoire d′un crime. C′est une obsession chez lui, ce n′est pas naturel qu′il parle toujours de ça. — Je ne crois pas, ma petite Albertine, je connais mal sa vie. Il est certain que, comme tout le monde, il a connu le péché, sous une forme ou sous une autre, et probablement sous une forme que les lois interdisent. En ce sens-là, il devait être un peu criminel, comme ses héros, qui ne le sont d′ailleurs pas tout à fait, qu′on condamne avec des circonstances atténuantes. Et ce n′était même peut-être pas la peine qu′il fût criminel. Je ne suis pas romancier ; il est possible que les créateurs soient tentés par certaines formes de vie qu′ils n′ont pas personnellement éprouvées. Si je vais avec vous à Versailles, comme nous avons convenu, je vous montrerai le portrait de l′honnête homme par excellence, du meilleur des maris, Choderlos de Laclos, qui a écrit le plus effroyablement pervers des livres, et, juste en face, celui de Mme de Genlis qui écrivit des contes moraux et ne se contenta pas de tromper la duchesse d′Orléans, mais la supplicia en détournant d′elle ses enfants. Je reconnais tout de même que chez Dostoski cette préoccupation de l′assassinat a quelque chose d′extraordinaire et qui me le rend très étranger. Je suis déjà stupéfait quand j′entends Baudelaire dire : Vinteuil′s phrases made me think of the ‘little phrase′ and I told Albertine that it had been so to speak the national anthem of the love of Swann and Odette, “the parents of Gilberte whom you know. You told me that she was not a bad girl. But didn′t she attempt to have relations with you? She has mentioned you to me.” “Yes, you see, her parents used to send a carriage to fetch her from our lessons when the weather was bad, I believe she took me home once and kissed me,” she said, after a momentary pause, with a laugh, and as though it were an amusing confession. “She asked me all of a sudden whether I was fond of women.” (But if she only believed that she remembered that Gilberte had taken her home, how could she say with such precision that Gilberte had asked her this odd question?) “In fact, I don′t know what absurd idea came into my head to make a fool of her, I told her that I was.” (One would have said that Albertine was afraid that Gilberte had told me this and did not wish me to come to the conclusion that she was lying.) “But we did nothing at all.” (It was strange, if they had exchanged confidences, that they should have done nothing, especially as, before this, they had kissed, according to Albertine.) “She took me home like that four or five times, perhaps more, and that is all.” It cost me a great effort not to ply her with further questions, but, mastering myself so as to appear not to be attaching any importance to all this, I returned to Thomas Hardy. “Do you remember the stonemasons in Jude the Obscure, in The Well-Beloved, the blocks of stone which the father hews out of the island coming in boats to be piled up in the son′s studio where they are turned into statues; in A Pair of Blue Eyes the parallelism of the tombs, and also the parallel line of the vessel, and the railway coaches containing the lovers and the dead woman; the parallelism between The Well-Beloved, where the man is in love with three women, and A Pair of Blue Eyes where the woman is in love with three men, and in short all those novels which can be laid one upon another like the vertically piled houses upon the rocky soil of the island. I cannot summarise the greatest writers like this in a moment′s talk, but you would see in Stendhal a certain sense of altitude combining with the life of the spirit: the lofty place in which Julien Sorel is imprisoned, the tower on the summit of which Fabrice is confined, the belfry in which the Abbé Blanès pores over his astrology and from which Fabrice has such a magnificent bird′s-eye view. You told me that you had seen some of Vermeer′s pictures, you must have realised that they are fragments of an identical world, that it is always, however great the genius with which they have been recreated, the same table, the same carpet, the same woman, the same novel and unique beauty, an enigma, at that epoch in which nothing resembles or explains it, if we seek to find similarities in subjects but to isolate the peculiar impression that is produced by the colour. Well, then, this novel beauty remains identical in all Dostoievski′s works, the Dostoski woman (as distinctive as a Rembrandt woman) with her mysterious face, whose engaging beauty changes abruptly, as though her apparent good nature had been but make-believe, to a terrible insolence (although at heart it seems that she is more good than bad), is she not always the same, whether it be Nastasia Philipovna writing love letters to Aglaé and telling her that she hates her, or in a visit which is wholly identical with this — as also with that in which Nastasia Philipovna insults Vania′s family — Grouchenka, as charming in Katherina Ivanovna′s house as the other had supposed her to be terrible, then suddenly revealing her malevolence by insulting Katherina Ivanovna (although Grouchenka is good at heart); Grouchenka, Nastasia, figures as original, as mysterious not merely as Carpaccio′s courtesans but as Rembrandt′s Bathsheba. As, in Vermeer, there is the creation of a certain soul, of a certain colour of fabrics and places, so there is in Dostoievski creation not only of people but of their homes, and the house of the Murder in Crime and Punishment with its dvornik, is it not almost as marvellous as the masterpiece of the House of Murder in Dostoievski, that sombre house, so long, and so high, and so huge, of Rogojin in which he kills Nastasia Philipovna. That novel and terrible beauty of a house, that novel beauty blended with a woman′s face, that is the unique thing which Dostoievski has given to the world, and the comparisons that literary critics may make, between him and Gogol, or between him and Paul de Kock, are of no interest, being external to this secret beauty. Besides, if I have said to you that it is, from one novel to another, the same scene, it is in the compass of a single novel that the same scenes, the same characters reappear if the novel is at all long. I could illustrate this to you easily in War and Peace, and a certain scene in a carriage. . . . ” “I didn′t want to interrupt you, but now that I see that you are leaving Dostoski, I am afraid of forgetting. My dear boy, what was it you meant the other day when you said: ‘It is, so to speak, the Dostoski side of Mme. de Sévigné.′ I must confess that I did not understand. It seems to me so different.” “Come, little girl, let me give you a kiss to thank you for remembering so well what I say, you shall go back to the pianola afterwards. And I must admit that what I said was rather stupid. But I said it for two reasons. The first is a special reason. What I meant was that Mme. de Sévigné, like Elstir, like Dostoski, instead of presenting things in their logical sequence, that is to say beginning with the cause, shews us first of all the effect, the illusion that strikes us. That is how Dostoski presents his characters. Their actions seem to us as misleading as those effects in Elstir′s pictures where the sea appears to be in the sky. We are quite surprised to find that some sullen person is really the best of men, or vice versa.” “Yes, but give me an example in Mme. de Sévigné.” “I admit,” I answered her with a laugh, “that I am splitting hairs very fine, but still I could find examples..” “But did he ever murder anyone, Dostoski? The novels of his that I know might all be called The Story of a Crime. It is an obsession with him, it is not natural that he should always be talking about it.” “I don′t think so, dear Albertine, I know little about his life. It is certain that, like everyone else, he was acquainted with sin, in one form or another, and probably in a form which the laws condemn. In that sense he must have been more or less criminal, like his heroes (not that they are altogether heroes, for that matter), who are found guilty with attenuating circumstances. And it is not perhaps necessary that he himself should have been a criminal. I am not a novelist; it is possible that creative writers are tempted by certain forms of life of which they have no personal experience. If I come with you to Versailles as we arranged, I shall shew you the portrait of the ultra-respectable man, the best of husbands, Choderlos de Laclos, who wrote the most appallingly corrupt book, and facing it that of Mme. de Genlis who wrote moral tales and was not content with betraying the Duchesse d′Orléans but tormented her by turning her children against her. I admit all the same that in Dostoski this preoccupation with murder is something extraordinary which makes him very alien to me. I am stupefied enough when I hear Baudelaire say:
Si le viol, le poison, le poignard, l′incendie
N′ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C′est que notre âme, hélas ! n′est pas assez hardie.
Si le viol, le poison, le poignard, l′incendie
N′ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C′est que notre âme, hélas ! n′est pas assez hardie.
Mais je peux au moins croire que Baudelaire n′est pas sincère. Tandis que DostoskiÂ… Tout cela me semble aussi loin de moi que possible, à moins que j′aie en moi des parties que j′ignore, car on ne se réalise que successivement. Chez Dostoski je trouve des puits excessivement profonds, mais sur quelques points isolés de l′âme humaine. Mais c′est un grand créateur. D′abord, le monde qu′il peint a vraiment l′air d′avoir été créé par lui. Tous ces bouffons qui reviennent sans cesse, tous ces Lebedev, Karamazoff, Ivolguine, Segreff, cet incroyable cortège, c′est une humanité plus fantastique que celle qui peuple la Ronde de Nuit de Rembrandt. Et peut-être n′est-elle fantastique que de la même manière, par l′éclairage et le costume, et est-elle, au fond, courante. En tous cas elle est à la fois pleine de vérités profondes et uniques, n′appartenant qu′à Dostoski. Cela a presque l′air, ces bouffons, d′un emploi qui n′existe plus, comme certains personnages de la comédie antique, et pourtant comme ils révèlent des aspects vrais de l′âme humaine ! Ce qui m′assomme, c′est la manière solennelle dont on parle et dont on écrit sur Dostoski. Avez-vous remarqué le rôle que l′amour-propre et l′orgueil jouent chez ses personnages ? On dirait que pour lui l′amour et la haine la plus éperdue, la bonté et la traîtrise, la timidité et l′insolence, ne sont que deux états d′une même nature, l′amour-propre, l′orgueil empêchant Aglaé, Nastasia, le Capitaine dont Mitia tire la barbe, Krassotkine, l′ennemi-ami d′Alioscha, de se montrer tels qu′ils sont en réalité. Mais il y a encore bien d′autres grandeurs. Je connais très peu de ses livres. Mais n′est-ce pas un motif sculptural et simple, digne de l′art le plus antique, une frise interrompue et reprise où se dérouleraient la Vengeance et l′Expiation, que le crime du père Karamazoff engrossant la pauvre folle, le mouvement mystérieux, animal, inexpliqué, par lequel la mère, étant à son insu l′instrument des vengeances du destin, obéissant aussi obscurément à son instinct de mère, peut-être à un mélange de ressentiment et de reconnaissance physique pour le violateur, va accoucher chez le père Karamazoff ? Ceci, c′est le premier épisode, mystérieux, grand, auguste, comme une création de la Femme dans les sculptures d′Orvieto. Et en réplique, le second épisode, plus de vingt ans après, le meurtre du père Karamazoff, l′infamie sur la famille Karamazoff par ce fils de la folle, Smerdiakoff, suivi peu après d′un même acte aussi mystérieusement sculptural et inexpliqué, d′une beauté aussi obscure et naturelle que l′accouchement dans le jardin du père Karamazoff, Smerdiakoff se pendant, son crime accompli. Quant à Dostoski, je ne le quittais pas tant que vous croyez en parlant de Tolstoíª qui l′a beaucoup imité. Chez Dostoski il y a, concentré et grognon, beaucoup de ce qui s′épanouira chez Tolstoí¬ Il y a, chez Dostoski, cette maussaderie anticipée des primitifs que les disciples éclairciront. — Mon petit, comme c′est assommant que vous soyez si paresseux. Regardez comme vous voyez la littérature d′une façon plus intéressante qu′on ne nous la faisait étudier ; les devoirs qu′on nous faisait faire sur Esther : « Monsieur », vous vous rappelez », me dit-elle en riant, moins pour se moquer de ses maîtres et d′elle-même que pour le plaisir de retrouver dans sa mémoire, dans notre mémoire commune, un souvenir déjà un peu ancien. Mais tandis qu′elle me parlait, et comme je pensais à Vinteuil, à son tour c′était l′autre hypothèse, l′hypothèse matérialiste, celle du néant, qui se présentait à moi. Je me mettais à douter, je me disais qu′après tout il se pourrait que, si les phrases de Vinteuil semblaient l′expression de certains états de l′âme, analogues à celui que j′avais éprouvé en goûtant la madeleine trempée dans la tasse de thé, rien ne m′assurait que le vague de tels états fût une marque de leur profondeur, mais seulement de ce que nous n′avons pas encore su les analyser, qu′il n′y aurait donc rien de plus réel en eux que dans d′autres. Pourtant ce bonheur, ce sentiment de certitude dans le bonheur pendant que je buvais la tasse de thé, que je respirais aux Champs-Élysées une odeur de vieux bois, ce n′était pas une illusion. En tous cas, me disait l′esprit du doute, même si ces états sont dans la vie plus profonds que d′autres, et sont inanalysables à cause de cela même, parce qu′ils mettent en jeu trop de forces dont nous ne nous sommes pas encore rendu compte, le charme de certaines phrases de Vinteuil fait penser à eux parce qu′il est lui aussi inanalysable, mais cela ne prouve pas qu′il ait la même profondeur ; la beauté d′une phrase de musique pure paraît facilement l′image ou, du moins, la parente d′une impression intellectuelle que nous avons eue, mais simplement parce qu′elle est inintellectuelle. Et pourquoi, alors, croyons-nous particulièrement profondes ces phrases mystérieuses qui hantent certains ouvrages et ce septuor de Vinteuil ? But I can at least assume that Baudelaire is not sincere. Whereas Dostoski. . . . All that sort of thing seems to me as remote from myself as possible, unless there are parts of myself of which I know nothing, for we realise our own nature only in course of time. In Dostoski I find the deepest penetration but only into certain isolated regions of the human soul. But he is a great creator. For one thing, the world which he describes does really appear to have been created by him. All those buffoons who keep on reappearing, like Lebedeff, Karamazoff, Ivolghin, Segreff, that incredible procession, are a humanity more fantastic than that which peoples Rembrandt′s Night Watch. And perhaps it is fantastic only in the same way, by the effect of lighting and costume, and is quite normal really. In any case it is at the same time full of profound and unique truths, which belong only to Dostoski. They almost suggest, those buffoons, some trade or calling that no longer exists, like certain characters in the old drama, and yet how they reveal true aspects of the human soul! What astonishes me is the solemn manner in which people talk and write about Dostoski. Have you ever noticed the part that self-respect and pride play in his characters? One would say that, to him, love and the most passionate hatred, goodness and treachery, timidity and insolence are merely two states of a single nature, their self-respect, their pride preventing Aglaé, Nastasia, the Captain whose beard Mitia pulls, Krassotkin, Aliosha′s enemy-friend, from shewing themselves in their true colours. But there are many other great passages as well. I know very few of his books. But is it not a sculpturesque and simple theme, worthy of the most classical art, a frieze interrupted and resumed on which the tale of vengeance and expiation is unfolded, the crime of old Karamazoff getting the poor idiot with child, the mysterious, animal, unexplained impulse by which the mother, herself unconsciously the instrument of an avenging destiny, obeying also obscurely her maternal instinct, feeling perhaps a combination of physical resentment and gratitude towards her seducer, comes to bear her child on old Karamazoffs ground. This is the first episode, mysterious, grand, august as a Creation of Woman among the sculptures at Orvieto. And as counterpart, the second episode more than twenty years later, the murder of old Karamazoff, the disgrace brought upon the Karamazoff family by this son of the idiot, Smerdiakoff, followed shortly afterwards by another action, as mysteriously sculpturesque and unexplained, of a beauty as obscure and natural as that of the childbirth in old Karamazoff′s garden, Smerdiakoff hanging himself, his crime accomplished. As for Dostoski, I was not straying so far from him as you thought when I mentioned Tolstoi who has imitated him closely. In Dostoski there is, concentrated and fretful, a great deal of what was to blossom later on in Tolstoi. There is, in Dostoski, that proleptic gloom of the primitives which their disciples will brighten and dispel.” “My dear boy, what a terrible thing it is that you are so lazy. Just look at your view of literature, so far more interesting than the way we were made to study it; the essays that they used to make us write upon Esther: ‘Monsieur,′— you remember,” she said with a laugh, less from a desire to make fun of her masters and herself than from the pleasure of finding in her memory, in our common memory, a relic that was already almost venerable. But while she was speaking, and I continued to think of Vinteuil, it was the other, the materialist hypothesis, that of there being nothing, that in turn presented itself to my mind. I began to doubt, I said to myself that after all it might be the case that, if Vinteuil′s phrases seemed to be the expression of certain states of the soul analogous to that which I had experienced when I tasted the madeleine that had been dipped in a cup of tea, there was nothing to assure me that the vagueness of such states was a sign of their profundity rather than of our not having learned yet to analyse them, so that there need be nothing more real in them than in other states. And yet that happiness, that sense of certainty in happiness while I was drinking the cup of tea, or when I smelt in the Champs-Elysées a smell of mouldering wood, was not an illusion. In any case, whispered the spirit of doubt, even if these states are more profound than others that occur in life, and defy analysis for the very reason that they bring into play too many forces which we have not yet taken into consideration, the charm of certain phrases of Vinteuil′s music makes us think of them because it too defies analysis, but this does not prove that it has the same depth; the beauty of a phrase of pure music can easily appear to be the image of or at least akin to an intellectual impression which we have received, but simply because it is unintellectual. And why then do we suppose to be specially profound those mysterious phrases which haunt certain works, including this septet by Vinteuil?
Ce n′était pas, du reste, que de la musique de lui que me jouait Albertine ; le pianola était par moments pour nous comme une lanterne magique scientifique (historique et géographique), et sur les murs de cette chambre de Paris, pourvue d′inventions plus modernes que celle de Combray, je voyais, selon qu′Albertine jouait du Rameau ou du Borodine, s′étendre tantôt une tapisserie du xviiie siècle semée d′Amours sur un fond de roses, tantôt la steppe orientale où les sonorités s′étouffent dans l′illimité des distances et le feutrage de la neige. Et ces décorations fugitives étaient, d′ailleurs, les seules de ma chambre, car si, au moment où j′avais hérité de ma tante Léonie, je m′étais promis d′avoir des collections comme Swann, d′acheter des tableaux, des statues, tout mon argent passait à avoir des chevaux, une automobile, des toilettes pour Albertine. Mais ma chambre ne contenait-elle pas une œuvre d′art plus précieuse que toutes celles-là ? C′était Albertine elle-même. Je la regardais. C′était étrange pour moi de penser que c′était elle, elle que j′avais crue si longtemps impossible même à connaître, qui aujourd′hui, bête sauvage domestiquée, rosier à qui j′avais fourni le tuteur, le cadre, l′espalier de sa vie, était ainsi assise, chaque jour, chez elle, près de moi, devant le pianola, adossée à ma bibliothèque. Ses épaules, que j′avais vues baissées et sournoises quand elle rapportait les clubs de golf, s′appuyaient à mes livres. Ses belles jambes, que le premier jour j′avais imaginées avec raison avoir manœuvré pendant toute son adolescence les pédales d′une bicyclette, montaient et descendaient tour à tour sur celles du pianola, où Albertine, devenue d′une élégance qui me la faisait sentir plus à moi, parce que c′était de moi qu′elle lui venait, posait ses souliers en toile d′or. Ses doigts, jadis familiers du guidon, se posaient maintenant sur les touches comme ceux d′une sainte Cécile. Son cou dont le tour, vu de mon lit, était plein et fort, à cette distance et sous la lumière de la lampe paraissait plus rose, moins rose pourtant que son visage incliné de profil, auquel mes regards, venant des profondeurs de moi-même, chargés de souvenirs et brûlants de désir, ajoutaient un tel brillant, une telle intensité de vie que son relief semblait s′enlever et tourner avec la même puissance presque magique que le jour, à l′hôtel de Balbec, où ma vue était brouillée par mon trop grand désir de l′embrasser ; j′en prolongeais chaque surface au delà de ce que j′en pouvais voir et sous ce qui me le cachait et ne me faisait que mieux sentir — paupières qui fermaient à demi les yeux, chevelure qui cachait le haut des joues — le relief de ces plans superposés. Ses yeux luisaient comme, dans un minerai où l′opale est encore engainée, les deux plaques seules encore polies, qui, devenues plus brillantes que du métal, font apparaître, au milieu de la matière aveugle qui les surplombe, comme les ailes de soie mauve d′un papillon qu′on aurait mis sous verre. Ses cheveux, noirs et crespelés, montrant des ensembles différents selon qu′elle se tournait vers moi pour me demander ce qu′elle devait jouer, tantôt une aile magnifique, aiguë à sa pointe, large à sa base, noire, empennée et triangulaire, tantôt tressant le relief de leurs boucles en une chaîne puissante et variée, pleine de crêtes, de lignes de partage, de précipices, avec leur fouetté si riche et si multiple, semblaient dépasser la variété que réalise habituellement la nature et répondre plutôt au désir d′un sculpteur qui accumule les difficultés pour faire valoir la souplesse, la fougue, le fondu, la vie de son exécution, et faisaient ressortir davantage, en les interrompant pour les recouvrir, la courbe animée et comme la rotation du visage lisse et rose, du mat verni d′un bois peint. Et par contraste avec tant de relief, par l′harmonie aussi qui les unissait à elle, qui avait adapté son attitude à leur forme et à leur utilisation, le pianola qui la cachait à demi comme un buffet d′orgues, la bibliothèque, tout ce coin de la chambre semblait réduit à n′être plus que le sanctuaire éclairé, la crèche de cet ange musicien, œuvre d′art qui, tout à l′heure, par une douce magie, allait se détacher de sa niche et offrir à mes baisers sa substance précieuse et rose. Mais non, Albertine n′était nullement pour moi une œuvre d′art. Je savais ce que c′était qu′admirer une femme d′une façon artistique, j′avais connu Swann. De moi-même, d′ailleurs, j′étais, de n′importe quelle femme qu′il s′agît, incapable de le faire, n′ayant aucune espèce d′esprit d′observation extérieure, ne sachant jamais ce qu′était ce que je voyais, et j′étais émerveillé quand Swann ajoutait rétrospectivement une dignité artistique — en la comparant, comme il se plaisait à le faire galamment devant elle-même, à quelque portrait de Luini ; en retrouvant, dans sa toilette, la robe ou les bijoux d′un tableau de Giorgione — à une femme qui m′avait semblé insignifiante. Rien de tel chez moi. Le plaisir et la peine qui me venaient d′Albertine ne prenaient jamais, pour m′atteindre, le détour du goût et de l′intelligence ; même, pour dire vrai, quand je commençais à regarder Albertine comme un ange musicien, merveilleusement patiné et que je me félicitais de posséder, elle ne tardait pas à me devenir indifférente, je m′ennuyais bientôt auprès d′elle, mais ces instants-là duraient peu : on n′aime que ce en quoi on poursuit quelque chose d′inaccessible, on n′aime que ce qu′on ne possède pas, et, bien vite, je me remettais à me rendre compte que je ne possédais pas Albertine. Dans ses yeux je voyais passer tantôt l′espérance, tantôt le souvenir, peut-être le regret, de joies que je ne devinais pas, auxquelles, dans ce cas, elle préférait renoncer plutôt que de me les dire, et que, n′en saisissant que certaines lueurs dans ses prunelles, je n′apercevais pas plus que le spectateur qu′on n′a pas laissé entrer dans la salle et qui, collé au carreau vitré de la porte, ne peut rien apercevoir de ce qui se passe sur la scène. Je ne sais si c′était le cas pour elle, mais c′est une étrange chose, comme un témoignage, chez les plus incrédules, d′une croyance au bien, que cette persévérance dans le mensonge qu′ont tous ceux qui nous trompent. On aurait beau leur dire que leur mensonge fait plus de peine que l′aveu, ils auraient beau s′en rendre compte, qu′ils mentiraient encore l′instant d′après, pour rester conformes à ce qu′ils nous ont dit d′abord que nous étions pour eux. C′est ainsi qu′un athée qui tient à la vie se fait tuer pour ne pas donner un démenti à l′idée qu′on a de sa bravoure. Pendant ces heures, quelquefois je voyais flotter sur elle, dans ses regards, dans sa moue, dans son sourire, le reflet de ces spectacles intérieurs dont la contemplation la faisait, ces soirs-là, dissemblable, éloignée de moi à qui ils étaient refusés. « À quoi pensez-vous, ma chérie ? — Mais à rien. » Quelquefois, pour répondre à ce reproche que je lui faisais de ne me rien dire, tantôt elle me disait des choses qu′elle n′ignorait pas que je savais aussi bien que tout le monde (comme ces hommes d′État qui ne vous annonceraient pas la plus petite nouvelle, mais vous parlent, en revanche, de celle qu′on a pu lire dans les journaux de la veille), tantôt elle me racontait sans précision aucune, en des sortes de fausses confidences, des promenades en bicyclette qu′elle faisait à Balbec, l′année avant de me connaître. Et comme si j′avais deviné juste autrefois, en inférant de là qu′elle devait être une jeune fille très libre, faisant de très longues parties, l′évocation qu′elle faisait de ces promenades insinuait entre les lèvres d′Albertine ce même mystérieux sourire qui m′avait séduit les premiers jours sur la digue de Balbec. Elle me parlait aussi de ses promenades qu′elle avait faites, avec des amies, dans la campagne hollandaise, de ses retours, le soir, à Amsterdam, à des heures tardives, quand une foule compacte et joyeuse de gens qu′elles connaissait presque tous emplissait les rues, les bords des canaux, dont je croyais voir se refléter dans les yeux brillants d′Albertine, comme dans les glaces incertaines d′une rapide voiture, les feux innombrables et fuyants. Comme la soi-disant curiosité esthétique mériterait plutôt le nom d′indifférence auprès de la curiosité douloureuse, inlassable, que j′avais des lieux où Albertine avait vécu, de ce qu′elle avait pu faire tel soir, des sourires, des regards qu′elle avait eus, des mots qu′elle avait dits, des baisers qu′elle avait reçus ! Non, jamais la jalousie que j′avais eue un jour de Saint-Loup, si elle avait persisté, ne m′eût donné cette immense inquiétude. Cet amour entre femmes était quelque chose de trop inconnu, dont rien ne permettait d′imaginer avec certitude, avec justesse, les plaisirs, la qualité. Que de gens, que de lieux (même qui ne la concernaient pas directement, de vagues lieux de plaisir où elle avait pu en goûter), que de milieux (où il y a beaucoup de monde, où on est frôlé) Albertine — comme une personne qui, faisant passer sa suite, toute une société, au contrôle devant elle, la fait entrer au théâtre — du seuil de mon imagination ou de mon souvenir, où je ne me souciais pas d′eux, avait introduits dans mon cœur ! Maintenant, la connaissance que j′avais d′eux était interne, immédiate, spasmodique, douloureuse. L′amour c′est l′espace et le temps rendus sensibles au cœur. It was not, however, his music alone that Albertine played me; the pianola was to us at times like a scientific magic lantern (historical and geographical) and on the walls of this room in Paris, supplied with inventions more modern than that of Combray days, I would see, accordingly as Albertine played me Rameau or Borodin, extend before me now an eighteenth century tapestry sprinkled with cupids and roses, now the Eastern steppe in which sounds are muffled by boundless distances and the soft carpet of snow. And these fleeting decorations were as it happened the only ones in my room, for if, at the time of inheriting my aunt Léonie′s fortune, I had vowed that I would become a collector like Swann, would buy pictures, statues, all my money went upon securing horses, a motorcar, dresses for Albertine. But did not my room contain a work of art more precious than all these — Albertine herself? I looked at her. It was strange to me to think that it was she, she whom I had for so long thought it impossible even to know, who now, a wild beast tamed, a rosebush to which I had acted as trainer, as the framework, the trellis of its life, was seated thus, day by day, at home, by my side, before the pianola, with her back to my bookcase. Her shoulders, which I had seen bowed and resentful when she was carrying her golf-clubs, were leaning against my books. Her shapely legs, which at first I had quite reasonably imagined as having trodden throughout her girlhood the pedals of a bicycle, now rose and fell alternately upon those of the pianola, upon which Albertine who had acquired a distinction which made me feel her more my own, because it was from myself that it came, pressed her shoes of cloth of gold. Her fingers, at one time trained to the handle-bars, now rested upon the keys like those of a Saint Cecilia. Her throat the curve of which, seen from my bed, was strong and full, at that distance and in the lamplight appeared more rosy, less rosy, however, than her face presented in profile, to which my gaze, issuing from the innermost depths of myself, charged with memories and burning with desire, added such a brilliancy, such an intensity of life that its relief seemed to stand out and turn with almost the same magic power as on the day, in the hotel at Balbec, when my vision was clouded by my overpowering desire to kiss her; I prolonged each of its surfaces beyond what I was able to see and beneath what concealed it from me and made me feel all the more strongly — eyelids which half hid her eyes, hair that covered the upper part of her cheeks — the relief of those superimposed planes. Her eyes shone like, in a matrix in which the opal is still embedded, the two facets which alone have as yet been polished, which, become more brilliant than metal, reveal, in the midst of the blind matter that encumbers them, as it were the mauve, silken wings of a butterfly placed under glass. Her dark, curling hair, presenting a different appearance whenever she turned to ask me what she was to play next, now a splendid wing, sharp at the tip, broad at the base, feathered and triangular, now weaving the relief of its curls in a strong and varied chain, a mass of crests, of watersheds, of precipices, with its incisions so rich and so multiple, seemed to exceed the variety that nature normally realises and to correspond rather to the desire of a sculptor who accumulates difficulties in order to bring into greater prominence the suppleness, the fire, the moulding, the life of his execution, and brought out more strongly, by interrupting in order to resume them, the animated curve, and, as it were, the rotation of the smooth and rosy face, of the polished dulness of a piece of painted wood. And, in contrast with all this relief, by the harmony also which united them with her, which had adapted her attitude to their form and purpose, the pianola which half concealed her like the keyboard of an organ, the bookcase, the whole of that corner of the room seemed to be reduced to nothing more than the lighted sanctuary, the shrine of this angel musician, a work of art which, presently, by a charming magic, was to detach itself from its niche and offer to my kisses its precious, rosy substance. But no, Albertine was in no way to me a work of art. I knew what it meant to admire a woman in an artistic fashion, I had known Swann. For my own part, moreover, I was, no matter who the woman might be, incapable of doing so, having no sort of power of detached observation, never knowing what it was that I beheld, and I had been amazed when Swann added retrospectively for me an artistic dignity — by comparing her, as he liked to do with gallantry to her face, to some portrait by Luini, by finding in her attire the gown or the jewels of a picture by Giorgione — to a woman who had seemed to me to be devoid of interest. Nothing of that sort with me. The pleasure and the pain that I derived from Albertine never took, in order to reach me, the line of taste and intellect; indeed, to tell the truth, when I began to regard Albertine as an angel musician glazed with a marvellous patina whom I congratulated myself upon possessing, it was not long before I found her uninteresting; I soon became bored in her company, but these moments were of brief duration; we love only that in which we pursue something inaccessible, we love only what we do not possess, and very soon I returned to the conclusion that I did not possess Albertine. In her eyes I saw pass now the hope, now the memory, perhaps the regret of joys which I could not guess, which in that case she preferred to renounce rather than tell me of them, and which, gathering no more of them than certain flashes in her pupils, I no more perceived than does the spectator who has been refused admission to the theatre, and who, his face glued to the glass panes of the door, can take in nothing of what is happening upon the stage. I do not know whether this was the case with her, but it is a strange thing, and so to speak a testimony by the most incredulous to their belief in good, this perseverance in falsehood shewn by all those who deceive us. It is no good our telling them that their lie hurts us more than a confession, it is no good their realising this for themselves, they will start lying again a moment later, to remain consistent with their original statement of how much we meant to them. Similarly an atheist who values his life will let himself be burned alive rather than allow any contradiction of the popular idea of his courage. During these hours, I used sometimes to see hover over her face, in her gaze, in her pout, in her smile, the reflexion of those inward visions the contemplation of which made her on these evenings unlike her usual self, remote from me to whom they were denied. “What are you thinking about, my darling?” “Why, nothing.” Sometimes, in answer to this reproach that she told me nothing, she would at one moment tell me things which she was not unaware that I knew as well as anyone (like those statesmen who will never give you the least bit of news, but speak to you instead of what you could read for yourself in the papers the day before), at another would describe without the least precision, in a sort of false confidence, bicycle rides that she had taken at Balbec, the year before our first meeting. And as though I had guessed aright long ago, when I inferred from it that she must be a girl who was allowed a great deal of freedom, who went upon long jaunts, the mention of those rides insinuated between Albertine′s lips the same mysterious smile that had captivated me in those first days on the front at Balbec. She spoke to me also of the excursions that she had made with some girl-friends through the Dutch countryside, of returning to Amsterdam in the evening, at a late hour, when a dense and happy crowd of people almost all of whom she knew, thronged the streets, the canal towpaths, of which I felt that I could see reflected in Albertine′s brilliant eyes as in the glancing windows of a fast-moving carriage, the innumerable, flickering fires. Since what is called aesthetic curiosity would deserve rather the name of indifference in comparison with the painful, unwearying curiosity that I felt as to the places in which Albertine had stayed, as to what she might have been doing on a particular evening, her smiles, the expressions in her eyes, the words that she had uttered, the kisses that she had received. No, never would the jealousy that I had felt one day of Saint-Loup, if it had persisted, have caused me this immense uneasiness. This love of woman for woman was something too unfamiliar; nothing enabled me to form a certain, an accurate idea of its pleasures, its quality. How many people, how many places (even places which did not concern her directly, vague pleasure resorts where she might have enjoyed some pleasure), how many scenes (wherever there was a crowd, where people could brush against her) Albertine — like a person who, shepherding all her escort, a whole company, past the barrier in front of her, secures their admission to the theatre — from the threshold of my imagination or of my memory, where I paid no attention to them, had introduced into my heart! Now the knowledge that I had of them was internal, immediate, spasmodic, painful. Love, what is it but space and time rendered perceptible by the heart.
Et peut-être, pourtant, entièrement fidèle je n′eusse pas souffert d′infidélités que j′eusse été incapable de concevoir, mais ce qui me torturait à imaginer chez Albertine, c′était mon propre désir perpétuel de plaire à de nouvelles femmes, d′ébaucher de nouveaux romans ; c′était de lui supposer ce regard que je n′avais pu, l′autre jour, même à côté d′elle, m′empêcher de jeter sur les jeunes cyclistes assises aux tables du bois de Boulogne. Comme il n′est de connaissance, on peut presque dire qu′il n′est de jalousie que de soi-même. L′observation compte peu. Ce n′est que du plaisir ressenti par soi-même qu′on peut tirer savoir et douleur. And yet perhaps, had I myself been entirely faithful, I should have suffered because of infidelities which I would have been incapable of conceiving, whereas what it tortured me to imagine in Albertine was my own perpetual desire to find favour with fresh ladies, to plan fresh romances, was to suppose her guilty of the glance which I had been unable to resist casting, the other day, even when I was by her side, at the young bicyclists seated at tables in the Bois de Boulogne. As we have no personal knowledge, one might almost say that we can feel no jealousy save of ourselves. Observation counts for little. It is only from the pleasure that we ourselves have felt that we can derive knowledge and grief.
Par instants, dans les yeux d′Albertine, dans la brusque inflammation de son teint, je sentais comme un éclair de chaleur passer furtivement dans des régions plus inaccessibles pour moi que le ciel, et où évoluaient les souvenirs, à moi inconnus, d′Albertine. Alors cette beauté qu′en pensant aux années successives où j′avais connu Albertine, soit sur la plage de Balbec, soit à Paris, je lui avais trouvée depuis peu, et qui consistait en ce que mon amie se développait sur tant de plans et contenait tant de jours écoulés, cette beauté prenait pour moi quelque chose de déchirant. Alors sous ce visage rosissant je sentais se creuser, comme un gouffre, l′inexhaustible espace des soirs où je n′avais pas connu Albertine. Je pouvais bien prendre Albertine sur mes genoux, tenir sa tête dans mes mains ; je pouvais la caresser, passer longuement mes mains sur elle, mais, comme si j′eusse manié une pierre qui enferme la salure des océans immémoriaux ou le rayon d′une étoile, je sentais que je touchais seulement l′enveloppe close d′un être qui, par l′intérieur, accédait à l′infini. Combien je souffrais de cette position où nous a réduits l′oubli de la nature qui, en instituant la division des corps, n′a pas songé à rendre possible l′interpénétration des âmes (car si son corps était au pouvoir du mien, sa pensée échappait aux prises de ma pensée). Et je me rendais compte qu′Albertine n′était pas même, pour moi, la merveilleuse captive dont j′avais cru enrichir ma demeure, tout en y cachant aussi parfaitement sa présence, même à ceux qui venaient me voir et qui ne la soupçonnaient pas, au bout du couloir, dans la chambre voisine, que ce personnage dont tout le monde ignorait qu′il tenait enfermée dans une bouteille la Princesse de la Chine ; m′invitant, sous une forme pressante, cruelle et sans issue, à la recherche du passé, elle était plutôt comme une grande déesse du Temps. Et s′il a fallu que je perdisse pour elle des années, ma fortune — et pourvu que je puisse me dire, ce qui n′est pas sûr, hélas, qu′elle n′y a, elle, pas perdu — je n′ai rien à regretter. Sans doute la solitude eût mieux valu, plus féconde, moins douloureuse. Mais si j′avais mené la vie de collectionneur que me conseillait Swann (que me reprochait de ne pas connaître M. de Charlus, quand, avec un mélange d′esprit, d′insolence et de goût, il me disait : « Comme c′est laid chez vous ! »), quelles statues, quels tableaux longuement poursuivis, enfin possédés, ou même, à tout mettre au mieux, contemplés avec désintéressement, m′eussent — comme la petite blessure qui se cicatrisait assez vite, mais que la maladresse inconsciente d′Albertine, des indifférents, ou de mes propres pensées, ne tardait pas à rouvrir — donné accès hors de soi-même, sur ce chemin de communication privé, mais qui donne sur la grande route où passe ce que nous ne connaissons que du jour où nous en avons souffert, la vie des autres ? At moments, in Albertine′s eyes, in the sudden inflammation of her cheeks, I felt as it were a gust of warmth pass furtively into regions more inaccessible to me than the sky, in which Albertine′s memories, unknown to me, lived and moved. Then this beauty which, when I thought of the various years in which I had known Albertine whether upon the beach at Balbec or in Paris, I found that I had but recently discovered in her, and which consisted in the fact that my mistress was developing upon so many planes and embodied so many past days, this beauty became almost heartrending. Then beneath that blushing face I felt that there yawned like a gulf the inexhaustible expanse of the evenings when I had not known Albertine. I might, if I chose, take Albertine upon my knee, take her head in my hands; I might caress her, pass my hands slowly over her, but, just as if I had been handling a stone which encloses the salt of immemorial oceans or the light of a star, I felt that I was touching no more than the sealed envelope of a person who inwardly reached to infinity. How I suffered from that position to which we are reduced by the carelessness of nature which, when instituting the division of bodies, never thought of making possible the interpénétration of souls (for if her body was in the power of mine, her mind escaped from the grasp of mine). And I became aware that Albertine was not even for me the marvellous captive with whom I had thought to enrich my home, while I concealed her presence there as completely, even from the friends who came to see me and never suspected that she was at the end of the corridor, in the room next to my own, as did that man of whom nobody knew that he kept sealed in a bottle the Princess of China; urging me with a cruel and fruitless pressure to the remembrance of the past, she resembled, if anything, a mighty goddess of Time. And if it was necessary that I should lose for her sake years, my fortune — and provided that I can say to myself, which is by no means certain, alas, that she herself lost nothing — I have nothing to regret. No doubt solitude would have been better, more fruitful, less painful. But if I had led the life of a collector which Swann counselled (the joys of which M. de Charlus reproached me with not knowing, when, with a blend of wit, insolence and good taste, he said to me: “How ugly your rooms are!”) what statues, what pictures long pursued, at length possessed, or even, to put it in the best light, contemplated with detachment, would, like the little wound which healed quickly enough, but which the unconscious clumsiness of Albertine, of people generally, or of my own thoughts was never long in reopening, have given me access beyond my own boundaries, upon that avenue which, private though it be, debouches upon the high road along which passes what we learn to know only from the day on which it has made us suffer, the life of other people?
Quelquefois il faisait un si beau clair de lune, qu′une heure après qu′Albertine était couchée, j′allais jusqu′à son lit pour lui dire de regarder la fenêtre. Je suis sûr que c′est pour cela que j′allais dans sa chambre, et non pour m′assurer qu′elle y était bien. Quelle apparence qu′elle pût et souhaitât s′en échapper ? Il eût fallu une collusion invraisemblable avec Françoise. Dans la chambre sombre, je ne voyais rien que, sur la blancheur de l′oreiller, un mince diadème de cheveux noirs. Mais j′entendais la respiration d′Albertine. Son sommeil était si profond que j′hésitais d′abord à aller jusqu′au lit. Puis, je m′asseyais au bord. Le sommeil continuait de couler avec le même murmure. Ce qui est impossible à dire, c′est à quel point ses réveils étaient gais. Je l′embrassais, je la secouais. Aussitôt elle s′arrêtait de dormir, mais, sans même l′intervalle d′un instant, éclatait de rire, me disant, en nouant ses bras à mon cou : « J′étais justement en train de me demander si tu ne viendrais pas », et elle riait tendrement de plus belle. On aurait dit que sa tête charmante, quand elle dormait, n′était pleine que de gaîté, de tendresse et de rire. Et en l′éveillant j′avais seulement, comme quand on ouvre un fruit, fait fuser le jus jaillissant qui désaltère. Sometimes the moon was so bright that, an hour after Albertine had gone to bed, I would go to her bedside to tell her to look at it through the window. I am certain that it was for this reason that I went to her room and not to assure myself that she was really there. What likelihood was there of her being able, had she wished, to escape? That would have required an improbable collusion with Françoise. In the dim room, I could see nothing save on the whiteness of the pillow a slender diadem of dark hair. But I could hear Albertine′s breath. Her slumber was so profound that I hesitated at first to go as far as the bed. Then I sat down on the edge of it. Her sleep continued to flow with the same murmur. What I find it impossible to express is how gay her awakenings were. I embraced her, shook her. At once she ceased to sleep, but, without even a moment′s interval, broke out in a laugh, saying as she twined her arms about my neck: “I was just beginning to wonder whether you were coming,” and she laughed a tender, beautiful laugh. You would have said that her charming head, when she slept, was filled with nothing but gaiety, affection and laughter. And in waking her I had merely, as when we cut a fruit, released the gushing juice which quenches our thirst.
L′hiver cependant finissait ; la belle saison revint, et souvent, comme Albertine venait seulement de me dire bonsoir, ma chambre, mes rideaux, le mur au-dessus des rideaux étant encore tout noirs, dans le jardin des religieuses voisines j′entendais, riche et précieuse dans le silence comme un harmonium d′église, la modulation d′un oiseau inconnu qui, sur le mode lydien, chantait déjà matines, et au milieu de mes ténèbres mettait la riche note éclatante du soleil qu′il voyait. Meanwhile winter was at an end; the fine weather returned, and often when Albertine had just bidden me good night, my room, my curtains, the wall above the curtains being still quite dark, in the nuns′ garden next door I could hear, rich and precious in the silence like a harmonium in church, the modulation of an unknown bird which, in the Lydian mode, was already chanting matins, and into the midst of my darkness flung the rich dazzling note of the sun that it could see.
Une fois même, nous entendîmes tout d′un coup la cadence régulière d′un appel plaintif. C′étaient les pigeons qui commençaient à roucouler. « Cela prouve qu′il fait déjà jour », dit Albertine ; et le sourcil presque froncé, comme si elle manquait, en vivant chez moi, les plaisirs de la belle saison : « Le printemps est commencé pour que les pigeons soient revenus. » La ressemblance entre leur roucoulement et le chant du coq était aussi profonde et aussi obscure que, dans le septuor de Vinteuil, la ressemblance entre le thème de l′adagio et celui du dernier morceau, qui est bâti sur le même thème-clef que le premier, mais tellement transformé par les différences de tonalité, de mesure, que le public profane, s′il ouvre un ouvrage sur Vinteuil, est étonné de voir qu′ils sont bâtis tous trois sur les quatre mêmes notes, quatre notes qu′il peut, d′ailleurs, jouer d′un doigt au piano sans retrouver aucun des trois morceaux. Tel ce mélancolique morceau exécuté par les pigeons était une sorte de chant du coq en mineur, qui ne s′élevait pas vers le ciel, ne montait pas verticalement, mais, régulier comme le braiment d′un âne, enveloppé de douceur, allait d′un pigeon à l′autre sur une même ligne horizontale, et jamais ne se redressait, ne changeait sa plainte latérale en ce joyeux appel qu′avaient poussé tant de fois l′allegro de l′introduction et le finale. Once indeed, we heard all of a sudden the regular cadence of a plaintive appeal. It was the pigeons beginning to coo. “That proves that day has come already,” said Albertine; and, her brows almost knitted, as though she missed, by living with me, the joys of the fine weather, “Spring has begun, if the pigeons have returned.” The resemblance between their cooing and the crow of the cock was as profound and as obscure as, in Vinteuil′s septet, the resemblance between the theme of the adagio and that of the closing piece, which is based upon the same key-theme as the other but so transformed by differences of tonality, of measure, that the profane outsider if he opens a book upon Vinteuil is astonished to find that they are all three based upon the same four notes, four notes which for that matter he may pick out with one finger upon the piano without recapturing anything of the three fragments. So this melancholy fragment performed by the pigeons was a sort of cock-crow in the minor, which did not soar up into the sky, did not rise vertically, but, regular as the braying of a donkey, enveloped in sweetness, went from one pigeon to another along a single horizontal line, and never raised itself, never changed its lateral plaint into that joyous appeal which had been uttered so often in the allegro of the introduction and in the finale.
Bientôt les nuits raccourcirent davantage, et avant les heures anciennes du matin, je voyais déjà dépasser des rideaux de ma fenêtre la blancheur quotidiennement accrue du jour. Si je me résignais à laisser encore mener à Albertine cette vie, où, malgré ses dénégations, je sentais qu′elle avait l′impression d′être prisonnière, c′était seulement parce que chaque jour j′étais sûr que le lendemain je pourrais me mettre, en même temps qu′à travailler, à me lever, à sortir, à préparer un départ pour quelque propriété que nous achèterions et où Albertine pourrait mener plus librement, et sans inquiétude pour moi, la vie de campagne ou de mer, de navigation ou de chasse, qui lui plairait. Seulement, le lendemain, ce temps passé que j′aimais et détestais tour à tour en Albertine, il arrivait que (comme, quand il est le présent, entre lui et nous, chacun, par intérêt, ou politesse, ou pitié, travaille à tisser un rideau de mensonges que nous prenons pour la réalité), rétrospectivement, une des heures qui le composaient, et même de celles que j′avais cru connaître, me présentait tout d′un coup un aspect qu′on n′essayait plus de me voiler et qui était alors tout différent de celui sous lequel elle m′était apparue. Derrière tel regard, à la place de la bonne pensée que j′avais cru y voir autrefois, c′était un désir insoupçonné jusque-là qui se révélait, m′aliénant une nouvelle partie de ce cœur d′Albertine que j′avais cru assimilé au mien. Par exemple, quand Andrée avait quitté Balbec, au mois de juillet, Albertine ne n′avait jamais dit qu′elle dût bientôt la revoir, et je pensais qu′elle l′avait revue même plus tôt qu′elle n′eût cru, puisque, à cause de la grande tristesse que j′avais eue à Balbec, cette nuit du 14 septembre, elle m′avait fait ce sacrifice de ne pas y rester et de revenir tout de suite à Paris. Quand elle était arrivée, le 15, je lui avais demandé d′aller voir Andrée et lui avais dit : « A-t-elle été contente de vous revoir ? » Or un jour, Mme Bontemps était venue pour apporter quelque chose à Albertine ; je la vis un instant et lui dis qu′Albertine était sortie avec Andrée : « Elles sont allées se promener dans la campagne. — Oui, me répondit Mme Bontemps. Albertine n′est pas difficile en fait de campagne. Ainsi, il y a trois ans, tous les jours il fallait aller aux Buttes-Chaumont. » À ce nom de Buttes-Chaumont, où Albertine m′avait dit n′être jamais allée, ma respiration s′arrêta un instant. La réalité est le plus habile des ennemis. Elle prononce ses attaques sur les points de notre cœur où nous ne les attendions pas, et où nous n′avions pas préparé de défense. Albertine avait-elle menti à sa tante, alors, en lui disant qu′elle allait tous les jours aux Buttes-Chaumont ? à moi, depuis, en me disant qu′elle ne les connaissait pas ? « Heureusement, ajouta Mme Bontemps, que cette pauvre Andrée va bientôt partir pour une campagne plus vivifiante, pour la vraie campagne, elle en a besoin, elle a si mauvaise mine. Il est vrai qu′elle n′a pas eu cet été le temps d′air qui lui est nécessaire. Pensez qu′elle a quitté Balbec à la fin de juillet, croyant revenir en septembre, et, comme son frère s′est démis le genou, elle n′a pas pu revenir. » Alors Albertine l′attendait à Balbec et me l′avait caché. Il est vrai que c′était d′autant plus gentil de m′avoir proposé de revenir. À moins queÂ… « Oui, je me rappelle qu′Albertine m′avait parlé de cela (ce n′était pas vrai). Quand donc a eu lieu cet accident ? Tout cela est un peu brouillé dans ma tête. — Mais, à mon sens, il a eu lieu juste à point, car un jour plus tard, la location de la villa était commencée et la grand′mère d′Andrée aurait été obligée de payer un mois inutile. Il s′est cassé la jambe le 14 septembre, elle a eu le temps de télégraphier à Albertine, le 15 au matin, qu′elle ne viendrait pas, et Albertine de prévenir l′agence. Un jour plus tard, cela courait jusqu′au 15 octobre. » Ainsi sans doute, quand Albertine, changeant d′avis, m′avait dit : « Partons ce soir », ce qu′elle voyait c′était un appartement, celui de la grand′mère d′Andrée, où, dès notre retour, elle allait pouvoir retrouver l′amie que, sans que je m′en doutasse, elle avait cru revoir bientôt à Balbec. Les paroles si gentilles, pour revenir avec moi, qu′elle avait eues, en contraste avec son opiniâtre refus d′un peu avant, j′avais cherché à les attribuer à un revirement de son bon cœur. Elles étaient tout simplement le reflet d′un changement intervenu dans une situation que nous ne connaissons pas, et qui est tout le secret de la variation de la conduite des femmes qui ne nous aiment pas. Elles nous refusent obstinément un rendez-vous pour le lendemain, parce qu′elles sont fatiguées, parce que leur grand-père exige qu′elles dînent chez lui. « Mais venez après », insistons-nous. « Il me retient très tard. Il pourra me raccompagner. » Simplement elles ont un rendez-vous avec quelqu′un qui leur plaît. Soudain celui-ci n′est plus libre. Et elles viennent nous dire leur regret de nous avoir fait de la peine, qu′envoyant promener leur grand-père, elles resteront auprès de nous, ne tenant à rien d′autre. J′aurais dû reconnaître ces phrases dans le langage que m′avait tenu Albertine, le jour de mon départ de Balbec ; mais, pour interpréter ce langage, j′aurais dû me souvenir alors de deux traits particuliers du caractère d′Albertine qui me revenaient maintenant à l′esprit, l′un pour me consoler, l′autre pour me désoler, car nous trouvons de tout dans notre mémoire ; elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met, au hasard, la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux. Le premier trait, le consolant, fut cette habitude de faire servir une même action au plaisir de plusieurs personnes, cette utilisation multiple de ce qu′elle faisait, qui était caractéristique chez Albertine. C′était bien dans son caractère, revenant à Paris (le fait qu′Andrée ne revenait pas pouvait lui rendre incommode de rester à Balbec sans que cela signifiât qu′elle ne pouvait pas se passer d′Andrée), de tirer de ce seul voyage une occasion de toucher deux personnes qu′elle aimait sincèrement : moi, en me faisant croire que c′était pour ne pas me laisser seul, pour que je ne souffrisse pas, par dévouement pour moi ; Andrée, en la persuadant que, du moment qu′elle ne venait pas à Balbec, elle ne voulait pas y rester un instant de plus, qu′elle n′avait prolongé son séjour que pour la voir, et qu′elle accourait dans l′instant vers elle. Or le départ d′Albertine avec moi succédait, en effet, d′une façon si immédiate, d′une part à mon chagrin, à mon désir de revenir à Paris, d′autre part à la dépêche d′Andrée, qu′il était tout naturel qu′Andrée et moi, ignorant respectivement, elle mon chagrin, moi sa dépêche, nous eussions pu croire que le départ d′Albertine était l′effet de la seule cause que chacun de nous connût et qu′il suivait, en effet, à si peu d′heures de distance et si inopinément. Et dans ce cas, je pouvais encore croire que m′accompagner avait été le but réel d′Albertine, qui n′avait pas voulu négliger pourtant une occasion de s′en faire un titre à la gratitude d′Andrée. Mais malheureusement je me rappelai presque aussitôt un autre trait de caractère d′Albertine, et qui était la vivacité avec laquelle la saisissait la tentation irrésistible d′un plaisir. Or je me rappelais, quand elle eut décidé de partir, quelle impatience elle avait d′arriver au train, comme elle avait bousculé le Directeur qui, en cherchant à nous retenir, aurait pu nous faire manquer l′omnibus, les haussements d′épaules de connivence qu′elle me faisait et dont j′avais été si touché, quand, dans le tortillard, M. de Cambremer nous avait demandé si nous ne pouvions pas « remettre à huitaine ». Oui, ce qu′elle voyait devant ses yeux à ce moment-là, ce qui la rendait si fiévreuse de partir, ce qu′elle était impatiente de retrouver, c′était cet appartement inhabité que j′avais vu une fois, appartenant à la grand′mère d′Andrée, laissé à la garde d′un vieux valet de chambre, appartement luxueux, en plein midi, mais si vide, si silencieux que le soleil avait l′air de mettre des housses sur le canapé, sur les fauteuils de la chambre où Albertine et Andrée demanderaient au gardien respectueux, peut-être na peut-être complice, de les laisser se reposer. Je le voyais tout le temps maintenant, vide, avec un lit ou un canapé, cette chambre, où, chaque fois qu′Albertine avait l′air pressé et sérieux, elle partait pour retrouver son amie, sans doute arrivée avant elle parce qu′elle était plus libre. Je n′avais jamais pensé jusque-là à cet appartement qui, maintenant, avait pour moi une horrible beauté. L′inconnu de la vie des êtres est comme celui de la nature, que chaque découverte scientifique ne fait que reculer mais n′annule pas. Un jaloux exaspère celle qu′il aime en la privant de mille plaisirs sans importance, mais ceux qui sont le fond de la vie de celle-ci, elle les abrite là où, dans les moments où son intelligence croit montrer le plus de perspicacité et où les tiers le renseignent le mieux, il n′a pas idée de chercher. Enfin, du moins, Andrée allait partir. Mais je ne voulais pas qu′Albertine pût me mépriser comme ayant été dupe d′elle et d′Andrée. Un jour ou l′autre, je le lui dirais. Et ainsi je la forcerais peut-être à me parler plus franchement, en lui montrant que j′étais informé tout de même des choses qu′elle me cachait. Mais je ne voulais pas lui parler de cela encore, d′abord parce que, si près de la visite de sa tante, elle eût compris d′où me venait mon information, eût tari cette source et n′en eût pas redouté d′inconnues. Ensuite parce que je ne voulais pas risquer, tant que je ne serais pas absolument certain de garder Albertine aussi longtemps que je voudrais, de causer en elle trop de colères qui auraient pu avoir pour effet de lui faire désirer me quitter. Il est vrai que, si je raisonnais, cherchais la vérité, pronostiquais l′avenir d′après ses paroles, lesquelles approuvaient toujours tous mes projets, exprimaient combien elle aimait cette vie, combien sa claustration la privait peu, je ne doutais pas qu′elle restât toujours auprès de moi. J′en étais même fort ennuyé, je sentais m′échapper la vie, l′univers, auxquels je n′avais jamais goûté, échangés contre une femme dans laquelle je ne pouvais plus rien trouver de nouveau. Je ne pouvais même pas aller à Venise, où, pendant que je serais couché, je serais trop torturé par la crainte des avances que pourraient lui faire le gondolier, les gens de l′hôtel, les Vénitiennes. Mais si je raisonnais, au contraire, d′après l′autre hypothèse, celle qui s′appuyait non sur les paroles d′Albertine, mais sur des silences, des regards, des rougeurs, des bouderies, et même des colères, dont il m′eût été bien facile de lui montrer qu′elles étaient sans cause et dont j′aimais mieux avoir l′air de ne pas m′apercevoir, alors je me disais que cette vie lui était insupportable, que tout le temps elle se trouvait privée de ce qu′elle aimait, et que fatalement elle me quitterait un jour. Tout ce que je voulais, si elle le faisait, c′est que je pusse choisir le moment où cela ne me serait pas trop pénible, et puis dans une saison où elle ne pourrait aller dans aucun des endroits où je me représentais ses débauches, ni à Amsterdam, ni chez Andrée, qu′elle retrouverait, il est vrai, quelques mois plus tard. Mais d′ici là je me serais calmé et cela me serait devenu indifférent. En tous cas, il fallait attendre, pour y songer, que fût guérie la petite rechute qu′avait causée la découverte des raisons pour lesquelles Albertine, à quelques heures de distance, avait voulu ne pas quitter, puis quitter immédiatement Balbec. Il fallait laisser le temps de disparaître aux symptômes qui ne pouvaient aller qu′en s′atténuant si je n′apprenais rien de nouveau, mais qui étaient encore trop aigus pour ne pas rendre plus douloureuse, plus difficile, une opération de rupture, reconnue maintenant inévitable, mais nullement urgente, et qu′il valait mieux pratiquer « à froid ». Ce choix du moment, j′en étais le maître, car si elle voulait partir avant que je l′eusse décidé, au moment où elle m′annoncerait qu′elle avait assez de cette vie, il serait toujours temps d′aviser à combattre ses raisons, de lui laisser plus de liberté, de lui promettre quelque grand plaisir prochain qu′elle souhaiterait elle-même d′attendre, voire, si je ne trouvais de recours qu′en son cœur, de lui assurer mon chagrin. J′étais donc bien tranquille à ce point de vue, n′étant pas, d′ailleurs, en cela très logique avec moi-même. Car, dans les hypothèses où je ne tenais précisément pas compte des choses qu′elle disait et qu′elle annonçait, je supposais que, quand il s′agirait de son départ, elle me donnerait d′avance ses raisons, me laisserait les combattre et les vaincre. Je sentais que ma vie avec Albertine n′était, pour une part, quand je n′étais pas jaloux, qu′ennui, pour l′autre part, quand j′étais jaloux, que souffrance. À supposer qu′il y eût du bonheur, il ne pouvait durer. J′étais dans le même esprit de sagesse qui m′inspirait à Balbec, quand, le soir où nous avions été heureux, après la visite de Mme de Cambremer, je voulais la quitter, parce que je savais qu′à prolonger je ne gagnerais rien. Seulement, maintenant encore, je m′imaginais que le souvenir que je garderais d′elle serait comme une sorte de vibration, prolongée par une pédale, de la dernière minute de notre séparation. Aussi je tenais à choisir une minute douce, afin que ce fût elle qui continuât à vibrer en moi. Il ne fallait pas être trop difficile, attendre trop, il fallait être sage. Et pourtant, ayant tant attendu, ce serait folie de ne pas attendre quelques jours de plus, jusqu′à ce qu′une minute acceptable se présentât, plutôt que de risquer de la voir partir avec cette même révolte que j′avais autrefois quand maman s′éloignait de mon lit sans me redire bonsoir, ou quand elle me disait adieu à la gare. À tout hasard, je multipliais les gentillesses que je pouvais lui faire. Pour les robes de Fortuny, nous nous étions enfin décidés pour une bleu et or doublée de rose, qui venait d′être terminée. Et j′avais commandé tout de même les cinq auxquelles elle avait renoncé avec regret, par préférence pour celle-là. Pourtant, à la venue du printemps, deux mois ayant passé depuis ce que m′avait dit sa tante, je me laissai emporter par la colère, un soir. C′était justement celui où Albertine avait revêtu pour la première fois la robe de chambre bleu et or de Fortuny qui, en m′évoquant Venise, me faisait plus sentir encore ce que je sacrifiais pour elle, qui ne m′en savait aucun gré. Si je n′avais jamais vu Venise, j′en rêvais sans cesse, depuis ces vacances de Pâques qu′encore enfant j′avais dû y passer, et plus anciennement encore, par les gravures de Titien et les photographies de Giotto que Swann m′avait jadis données à Combray. La robe de Fortuny que portait ce soir-là Albertine me semblait comme l′ombre tentatrice de cette invisible Venise. Elle était envahie d′ornementation arabe, comme les palais de Venise dissimulés à la façon des sultanes derrière un voile ajouré de pierres, comme les reliures de la Bibliothèque Ambrosienne, comme les colonnes desquelles les oiseaux orientaux qui signifient alternativement la mort et la vie, se répétaient dans le miroitement de l′étoffe, d′un bleu profond qui, au fur et à mesure que mon regard s′y avançait, se changeait en or malléable par ces mêmes transmutations qui, devant la gondole qui s′avance, changent en métal flamboyant l′azur du grand canal. Et les manches étaient doublées d′un rose cerise, qui est si particulièrement vénitien qu′on l′appelle rose Tiepolo. Presently the nights grew shorter still and before what had been the hour of daybreak, I could see already stealing above my window-curtains the daily increasing whiteness of the dawn. If I resigned myself to allowing Albertine to continue to lead this life, in which, notwithstanding her denials, I felt that she had the impression of being a prisoner, it was only because I was sure that on the morrow I should be able to set myself, at the same time to work and to leave my bed, to go out of doors, to prepare our departure for some property which we should buy and where Albertine would be able to lead more freely and without anxiety on my account, the life of country or seaside, of boating or hunting, which appealed to her. Only, on the morrow, that past which I loved and detested by turns in Albertine, it would so happen that (as, when it is the present, between himself and us, everyone, from calculation, or courtesy, or pity, sets to work to weave a curtain of falsehood which we mistake for the truth), retrospectively, one of the hours which composed it, and even those which I had supposed myself to know, offered me all of a sudden an aspect which some one no longer made any attempt to conceal from me and which was then quite different from that in which it had previously appeared to me. Behind some look in her eyes, in place of the honest thought which I had formerly supposed that I could read in it, was a desire, unsuspected hitherto, which revealed itself, alienating from me a fresh region of Albertine′s heart which I had believed to be assimilated to my own. For instance, when Andrée left Balbec in the month of July, Albertine had never told me that she was to see her again shortly, and I supposed that she had seen her even sooner than she expected, since, in view of the great unhappiness that I had felt at Balbec, on that night of the fourteenth of September, she had made me the sacrifice of not remaining there and of returning at once to Paris. When she had arrived there on the fifteenth, I had asked her to go and see Andrée and had said to her: “Was she pleased to see you again?” Now one day Mme. Bontemps had called, bringing something for Albertine; I saw her for a moment and told her that Albertine had gone out with Andrée: “They have gone for a drive in the country.” “Yes,” replied Mme. Bontemps, “Albertine is always ready to go to the country. Three years ago, for instance, she simply had to go, every day, to the Buttes-Chaumont.” At the name Buttes-Chaumont, a place where Albertine had told me that she had never been, my breath stopped for a moment. The truth is the most cunning of enemies. It launches its attacks upon the points of our heart at which we were not expecting them, and have prepared no defence. Had Albertine been lying to her aunt, then, when she said that she went every day to the Buttes-Chaumont, or to myself, more recently, when she told me that she did not know the place? “Fortunately,” Mme. Bontemps went on, “that poor Andrée will soon be leaving for a more bracing country, for the real country, she needs it badly, she is not looking at all well. It is true that she did not have an opportunity this summer of getting the fresh air she requires. Just think, she left Balbec at the end of July, expecting to go back there in September, and then her brother put his knee out, and she was unable to go back.” So Albertine was expecting her at Balbec and had concealed this from me. It is true that it was all the more kind of her to have offered to return to Paris with me. Unless. . . . “Yes, I remember Albertine′s mentioning it to me” (this was untrue). “When did the accident occur, again? I am not very clear about it.” “Why, to my mind, it occurred in the very nick of time, for a day later the lease of the villa began, and Andrée′s grandmother would have had to pay a month′s rent for nothing. He hurt his leg on the fourteenth of September, she was in time to telegraph to Albertine on the morning of the fifteenth that she was not coming and Albertine was in time to warn the agent. A day later, the lease would have run on to the middle of October.” And so, no doubt, when Albertine, changing her mind, had said to me: “Let us go this evening,” what she saw with her mind′s eye was an apartment, that of Andrée′s grandmother, where, as soon as we returned, she would be able to see the friend whom, without my suspecting it, she had supposed that she would be seeing in a few days at Balbec. Those kind words which she had used, in offering to return to Paris with me, in contrast to her headstrong refusal a little earlier, I had sought to attribute them to a reawakening of her good nature. They were simply and solely the effect of a change that had occurred in a situation which we do not know, and which is the whole secret of the variation of the conduct of the women who are not in love with us. They obstinately refuse to give us an assignation for the morrow, because they are tired, because their grandfather insists upon their dining with him: “But come later,” we insist. “He keeps me very late. He may want to see me home.” The whole truth is that they have made an appointment with some man whom they like. Suddenly it happens that he is no longer free. And they come to tell us how sorry they are to have disappointed us, that the grandfather can go and hang himself, that there is nothing in the world to keep them from remaining with us. I ought to have recognised these phrases in Albertine′s language to me on the day of my departure from Balbec, but to interpret that language I should have needed to remember at the time two special features in Albertine′s character which now recurred to my mind, one to console me, the other to make me wretched, for we find a little of everything in our memory; it is a sort of pharmacy, of chemical laboratory, in which our groping hand comes to rest now upon a sedative drug, now upon a dangerous poison. The first, the consoling feature was that habit of making a single action serve the pleasure of several persons, that multiple utilisation of whatever she did, which was typical of Albertine. It was quite in keeping with her character, when she returned to Paris (the fact that Andrée was not coming back might make it inconvenient for her to remain at Balbec, without any implication that she could not exist apart from Andrée), to derive from that single journey an opportunity of touching two people each of whom she genuinely loved, myself, by making me believe that she was coming in order not to let me be alone, so that I should not be unhappy, out of devotion to me, Andrée by persuading her that, as soon as there was no longer any question of her coming to Balbec, she herself did not wish to remain there a moment longer, that she had prolonged her stay there only in the hope of seeing Andrée and was now hurrying back to join her. Now, Albertine′s departure with myself was such an immediate sequel, on the one hand to my grief, my desire to return to Paris, on the other hand to Andrée′s′ telegram, that it was quite natural that Andrée and I, unaware, respectively, she of my grief, I of her telegram, should have supposed that Albertine′s departure from Balbec was the effect of the one cause that each of us knew, which indeed it followed at so short an interval and so unexpectedly. And in this case, I might still believe that the thought of keeping me company had been Albertine′s real object, while she had not chosen to overlook an opportunity of thereby establishing a claim to Andrée′s gratitude. But unfortunately I remembered almost at once another of Albertine′s characteristics, which was the vivacity with which she was gripped by the irresistible temptation of a pleasure. And so I recalled how, when she had decided to leave, she had been so impatient to get to the tram, how she had pushed past the Manager who, as he tried to detain us, might have made us miss the omnibus, the shrug of connivance that she had given me, by which I had been so touched, when, on the crawler, M. de Cambremer had asked us whether we could not ‘postpone it by a week.′ Yes, what she saw before her eyes at that moment, what made her so feverishly anxious to leave, what she was so impatient to see again was that emptied apartment which I had once visited, the home of Andrée′s grandmother, left in charge of an old footman, a luxurious apartment, facing south, but so empty, so silent, that the sun appeared to have spread dust-sheets over the sofa, the armchairs of the room in which Albertine and Andrée would ask the respectful caretaker, perhaps unsuspecting, perhaps an accomplice, to allow them to rest for a while. I could always see it now, empty, with a bed or a sofa, that room, to which, whenever Albertine seemed pressed for time and serious, she set off to meet her friend, who had doubtless arrived there before her since her time was more her own. I had never before given a thought to that apartment which now possessed for me a horrible beauty. The unknown element in the lives of other people is like that in nature, which each fresh scientific discovery merely reduces, but does not abolish. A jealous lover exasperates the woman with whom he is in love by depriving her of a thousand unimportant pleasures, but those pleasures which are the keystone of her life she conceals in a place where, in the moments in which he thinks that he is shewing the most intelligent perspicacity and third parties are keeping him most closely informed, he never dreams of looking. Anyhow, Andrée was at least going to leave Paris. But I did not wish that Albertine should be in a position to despise me as having been the dupe of herself and Andrée. One of these days, I would tell her. And thus I should force her perhaps to speak to me more frankly, by shewing her that I was informed, all the same, of the things that she concealed from me. But I did not wish to mention it to her for the moment, first of all because, so soon after her aunt′s visit, she would guess from where my information came, would block that source and would not dread other, unknown sources. Also because I did not wish to risk, so long as I was not absolutely certain of keeping Albertine for as long as I chose, arousing in her too frequent irritations which might have the effect of making her decide to leave me. It is true that if I reasoned, sought the truth, prognosticated the future on the basis of her speech, which always approved of all my plans, assuring me how much she loved this life, of how little her seclusion deprived her, I had no doubt that she would remain with me always. I was indeed greatly annoyed by the thought, I felt that I was missing life, the universe, which I had never enjoyed, bartered for a woman in whom I could no longer find anything novel. I could not even go to Venice, where, while I lay in bed, I should be too keenly tormented by the fear of the advances that might be made to her by the gondolier, the people in the hotel, the Venetian women. But if I reasoned, on the other hand, upon the other hypothesis, that which rested not upon Albertine′s speech, but upon silences, looks, blushes, sulks, and indeed bursts of anger, which I could quite easily have shewn her to be unfounded and which I preferred to appear not to notice, then I said to myself that she was finding this life insupportable, that all the time she found herself deprived of what she loved, and that inevitably she must one day leave me. All that I wished, if she did so, was that I might choose the moment in which it would not be too painful to me, and also that it might be in a season when she could not go to any of the places in which I imagined her debaucheries, either at Amsterdam, or with Andrée whom she would see again, it was true, a few months later. But in the interval I should have grown calm and their meeting would leave me unmoved. In any case, I must wait before I could think of it until I was cured of the slight relapse that had been caused by my discovery of the reasons by which Albertine, at an interval of a few hours, had been determined not to leave, and then to leave Balbec immediately. I must allow time for the symptoms to disappear which could only go on diminishing if I learned nothing new, but which were still too acute not to render more painful, more difficult, an operation of rupture recognised now as inevitable, but in no sense urgent, and one that would be better performed in ‘cold blood.′ Of this choice of the right moment I was the master, for if she decided to leave me before I had made up my mind, at the moment when she informed me that she had had enough of this life, there would always be time for me to think of resisting her arguments, to offer her a larger freedom, to promise her some great pleasure in the near future which she herself would be anxious to await, at worst, if I could find no recourse save to her heart, to assure her of my grief. I was therefore quite at my ease from this point of view, without, however, being very logical with myself. For, in the hypotheses in which I left out of account the things which she said and announced, I supposed that, when it was a question of her leaving me, she would give me her reasons beforehand, would allow me to fight and to conquer them. I felt that my life with Albertine was, on the one hand, when I was not jealous, mere boredom, and on the other hand, when I was jealous, constant suffering. Supposing that there was any happiness in it, it could not last. I possessed the same spirit of wisdom which had inspired me at Balbec, when, on the evening when we had been happy together after Mme. de Cambremer′s call, I determined to give her up, because I knew that by prolonging our intimacy I should gain nothing. Only, even now, I imagined that the memory which I should preserve of her would be like a sort of vibration prolonged by a pedal from the last moment of our parting. And so I intended to choose a pleasant moment, so that it might be it which continued to vibrate in me. It must not be too difficult, I must not wait too long, I must be prudent. And yet, having waited so long, it would be madness not to wait a few days longer, until an acceptable moment should offer itself, rather than risk seeing her depart with that same sense of revolt which I had felt in the past when Mamma left my bedside without bidding me good night, or when she said good-bye to me at the station. At all costs I multiplied the favours that I was able to bestow upon her. As for the Fortuny gowns, we had at length decided upon one in blue and gold lined with pink which was just ready. And I had ordered, at the same time, the other five which she had relinquished with regret, out of preference for this last. Yet with the coming of spring, two months after her aunt′s conversation with me, I allowed myself to be carried away by anger one evening. It was the very evening on which Albertine had put on for the first time the indoor gown in gold and blue by Fortuny which, by reminding me of Venice, made me feel all the more strongly what I was sacrificing for her, who felt no corresponding gratitude towards me. If I had never seen Venice, I had dreamed of it incessantly since those Easter holidays which, when still a boy, I had been going to spend there, and earlier still, since the Titian prints and Giotto photographs which Swann had given me long ago at Combray. The Fortuny gown which Albertine was wearing that evening seemed to me the tempting phantom of that invisible Venice. It swarmed with Arabic ornaments, like the Venetian palaces hidden like sultanas behind a screen of pierced stone, like the bindings in the Ambrosian library, like the columns from which the Oriental birds that symbolised alternatively life and death were repeated in the mirror of the fabric, of an intense blue which, as my gaze extended over it, was changed into a malleable gold, by those same transmutations which, before the advancing gondolas, change into flaming metal the azure of the Grand Canal. And the sleeves were lined with a cherry pink which is so peculiarly Venetian that it is called Tiepolo pink.
Dans la journée, Françoise avait laissé échapper devant moi qu′Albertine n′était contente de rien ; que, quand je lui faisais dire que je sortirais avec elle, ou que je ne sortirais pas, que l′automobile viendrait la prendre, ou ne viendrait pas, elle haussait presque les épaules et répondait à peine poliment. Ce soir, où je la sentais de mauvaise humeur et où la première grande chaleur m′avait énervé, je ne pus retenir ma colère et lui reprochai son ingratitude : « Oui, vous pouvez demander à tout le monde, criai-je de toutes mes forces, hors de moi, vous pouvez demander à Françoise, ce n′est qu′un cri. » Mais aussitôt je me rappelai qu′Albertine m′avait dit une fois combien elle me trouvait l′air terrible quand j′étais en colère, et m′avait appliqué les vers d′Esther : In the course of the day, Françoise had let fall in my hearing that Albertine was satisfied with nothing, that when I sent word to her that I would be going out with her, or that I would not be going out, that the motor-car would come to fetch her, or would not come, she almost shrugged her shoulders and would barely give a polite answer. This evening, when I felt that she was in a bad temper, and when the first heat of summer had wrought upon my nerves, I could not restrain my anger and reproached her with her ingratitude. “Yes, you can ask anybody,” I shouted at the top of my voice, quite beyond myself, “you can ask Françoise, it is common knowledge.” But immediately I remembered how Albertine had once told me how terrifying she found me when I was angry, and had applied to myself the speech of Esther:
Jugez combien ce front irrité contre moi
Dans mon âme troublée a dû jeter d′émoi
Hélas ! sans frissonner quel cœur audacieux
Soutiendrait les éclairs qui partent de ses yeux.
Jugez combien ce front irrité contre moi
Dans mon âme troublée a dû jeter d′émoi
Hélas ! sans frissonner quel cœur audacieux
Soutiendrait les éclairs qui partent de ses yeux.
J′eus honte de ma violence. Et pour revenir sur ce que j′avais fait, sans cependant que ce fût une défaite, de manière que ma paix fût une paix armée et redoutable, en même temps qu′il me semblait utile de montrer à nouveau que je ne craignais pas une rupture pour qu′elle n′en eût pas l′idée : « Pardonnez-moi, ma petite Albertine, j′ai honte de ma violence, j′en suis désespéré. Si nous ne pouvons plus nous entendre, si nous devons nous quitter, il ne faut pas que ce soit ainsi, ce ne serait pas digne de nous. Nous nous quitterons, s′il le faut, mais avant tout je tiens à vous demander pardon bien humblement de tout mon cœur. » Je pensai que, pour réparer cela et m′assurer de ses projets de rester pour le temps qui allait suivre, au moins jusqu′à ce qu′Andrée fût partie, ce qui était dans trois semaines, il serait bon, dès le lendemain, de chercher quelque plaisir plus grand que ceux qu′elle avait encore eus, et à assez longue échéance ; aussi, puisque j′allais effacer l′ennui que je lui avais causé, peut-être ferais-je bien de profiter de ce moment pour lui montrer que je connaissais mieux sa vie qu′elle ne croyait. La mauvaise humeur qu′elle ressentirait serait effacée demain par mes gentillesses, mais l′avertissement resterait dans son esprit. « Oui, ma petite Albertine, pardonnez-moi si j′ai été violent. Je ne suis pas tout à fait aussi coupable que vous croyez. Il y a des gens méchants qui cherchent à nous brouiller, je n′avais jamais voulu vous en parler pour ne pas vous tourmenter. Mais je finis par être affolé quelquefois de certaines dénonciations. I felt ashamed of my violence. And, to make reparation for what I had done, without, however, acknowledging a defeat, so that my peace might be an armed and awe-inspiring peace, while at the same time I thought it as well to shew her once again that I was not afraid of a rupture so that she might not feel any temptation to break with me: “Forgive me, my little Albertine, I am ashamed of my violence, I don′t know how to apologise. If we are not able to get on together, if we are to be obliged to part, it must not be in this fashion, it would not be worthy of us. We will part, if part we must, but first of all I wish to beg your pardon most humbly and from the bottom of my heart.” I decided that, to atone for my rudeness and also to make certain of her intention to remain with me for some time to come, at any rate until Andrée should have left Paris, which would be in three weeks, it would be as well, next day, to think of some pleasure greater than any that she had yet had and fairly slow in its fulfilment; also, since I was going to wipe out the offence that I had given her, perhaps I should do well to take advantage of this moment to shew her that I knew more about her life than she supposed. The resentment that she would feel would be removed on the morrow by my kindness, but the warning would remain in her mind. “Yes, my little Albertine, forgive me if I was violent. I am not quite as much to blame as you think. There are wicked people in the world who are trying to make us quarrel; I have always refrained from mentioning this, as I did not wish to torment you. But sometimes I am driven out of my mind by certain accusations.
Ainsi tenez, lui dis-je, maintenant on me tourmente, on me persécute à me parler de vos relations, mais avec Andrée. – Avec Andrée ? » s′écria-t-elle, la mauvaise humeur enflammant son visage. Et l′étonnement ou le désir de paraître étonnée écarquillait ses yeux. « C′est charmant ! Et peut-on savoir qui vous a dit ces belles choses ? est-ce que je pourrais leur parler à ces personnes ? savoir sur quoi elles appuient leurs infamies ? – Ma petite Albertine, je ne sais pas, ce sont des lettres anonymes, mais de personnes que vous trouveriez peut-être assez facilement (pour lui montrer que je ne croyais pas qu′elle cherchait), car elles doivent bien vous connaître. La dernière, je vous l′avoue (et je vous cite celle-là justement parce qu′il s′agit d′un rien et qu′elle n′a rien de pénible à citer), m′a pourtant exaspéré. Elle me disait que si, le jour où nous avons quitté Balbec, vous aviez d′abord voulu rester et partir ensuite, c′est que, dans l′intervalle, vous aviez reçu une lettre d′Andrée vous disant qu′elle ne viendrait pas. – Je sais très bien qu′Andrée m′a écrit qu′elle ne viendrait pas, elle m′a même télégraphié, je ne peux pas vous montrer la dépêche parce que je ne l′ai pas gardée, mais ce n′était pas ce jour-là. Qu′est-ce que vous vouliez que cela me fasse qu′Andrée vînt à Balbec ou non ? » « Qu′est-ce que vous vouliez que cela me fasse » était une preuve de colère et que « cela lui faisait » quelque chose, mais pas forcément une preuve qu′Albertine était revenue uniquement par désir de voir Andrée. Chaque fois qu′Albertine voyait un des motifs réels, ou allégués, d′un de ses actes découvert par une personne à qui elle en avait donné un autre motif, Albertine était en colère, la personne fût-elle celle pour laquelle elle avait fait réellement l′acte. Albertine croyait-elle que ces renseignements sur ce qu′elle faisait, ce n′était pas des anonymes qui me les envoyaient malgré moi, mais moi qui les sollicitais avidement, on n′aurait pu nullement le déduire des paroles qu′elle me dit ensuite, où elle avait l′air d′accepter ma version des lettres anonymes, mais de son air de colère contre moi, colère qui n′avait l′air que d′être l′explosion de ses mauvaises humeurs antérieures, tout comme l′espionnage auquel elle eût, dans cette hypothèse, cru que je m′étais livré n′eût été que l′aboutissement d′une surveillance de tous ses actes, dont elle n′eût plus douté depuis longtemps. Sa colère s′étendit même jusqu′à Andrée, et se disant sans doute que, maintenant, je ne serais plus tranquille même quand elle sortirait avec Andrée : « D′ailleurs, Andrée m′exaspère. Elle est assommante. Je ne veux plus sortir avec elle. Vous pouvez l′annoncer aux gens qui vous ont dit que j′étais revenue à Paris pour elle. Si je vous disais que, depuis tant d′années que je connais Andrée, je ne saurais pas vous dire comment est sa figure tant je l′ai peu regardée ! » Or, à Balbec, la première année, elle m′avait dit : « Andrée est ravissante. » Il est vrai que cela ne voulait pas dire qu′elle eût des relations amoureuses avec elle, et même je ne l′avais jamais entendue parler alors qu′avec indignation de toutes les relations de ce genre. Mais ne pouvait-elle avoir changé, même sans se rendre compte qu′elle avait changé, en ne croyant pas que ses jeux avec une amie fussent la même chose que les relations immorales, assez peu précises dans son esprit, qu′elle flétrissait chez les autres ? N′était-ce pas aussi possible que ce même changement, et cette même inconscience du changement, qui s′étaient produits dans ses relations avec moi, dont elle avait repoussé à Balbec avec tant d′indignation les baisers qu′elle devait me donner elle-même ensuite chaque jour, et que, je l′espérais du moins, elle me donnerait encore bien longtemps, et qu′elle allait me donner dans un instant ? « Mais, ma chérie, comment voulez-vous que je le leur annonce puisque je ne les connais pas ? » Cette réponse était si forte qu′elle aurait dû dissoudre les objections et les doutes que je voyais cristallisés dans les prunelles d′Albertine. Mais elle les laissa intacts. Je m′étais tu, et pourtant elle continuait à me regarder avec cette attention persistante qu′on prête à quelqu′un qui n′a pas fini de parler. Je lui demandai de nouveau pardon. Elle me répondit qu′elle n′avait rien à me pardonner. Elle était redevenue très douce. Je savais bien qu′elle ne pouvait me quitter sans me prévenir ; d′ailleurs, elle ne pouvait ni le désirer (c′était dans huit jours qu′elle devait essayer les nouvelles robes de Fortuny), ni décemment le faire, ma mère revenant à la fin de la semaine et sa tante également. Pourquoi, puisque c′était impossible qu′elle partît, lui redis-je à plusieurs reprises que nous sortirions ensemble le lendemain pour aller voir des verreries de Venise que je voulais lui donner, et fus-je soulagé de l′entendre me dire que c′était convenu ? Quand elle put me dire bonsoir et que je l′embrassai, elle ne fit pas comme d′habitude, se détourna – c′était quelques instants à peine après le moment où je venais de penser à cette douceur qu′elle me donnât tous les soirs ce qu′elle m′avait refusé à Balbec – elle ne me rendit pas mon baiser. On aurait dit que, brouillée avec moi, elle ne voulait pas me donner un signe de tendresse qui eût plus tard pu me paraître comme une fausseté démentant cette brouille. On aurait dit qu′elle accordait ses actes avec cette brouille, et cependant avec mesure, soit pour ne pas l′annoncer, soit parce que, rompant avec moi des rapports charnels, elle voulait cependant rester mon amie. Je l′embrassai alors une seconde fois, serrant contre mon coeur l′azur miroitant et doré du grand canal et les oiseaux accouplés, symboles de mort et de résurrection. Mais une seconde fois elle s′écarta, au lieu de me rendre mon baiser, avec l′espèce d′entêtement instinctif et fatidique des animaux qui sentent la mort. Ce pressentiment qu′elle semblait traduire me gagna moi-même et me remplit d′une crainte si anxieuse que, quand elle fut arrivée à la porte, je n′eus pas le courage de la laisser partir et la rappelai. « Albertine, lui dis-je, je n′ai aucun sommeil. Si vous-même n′avez pas envie de dormir, vous auriez pu rester encore un peu, si vous voulez, mais je n′y tiens pas, et surtout je ne veux pas vous fatiguer. » Il me semblait que si j′avais pu la faire déshabiller et l′avoir dans sa chemise de nuit blanche, dans laquelle elle semblait plus rose, plus chaude, où elle irritait plus mes sens, la réconciliation eût été plus complète. Mais j′hésitais un instant, car le bord bleu de la robe ajoutait à son visage une beauté, une illumination, un ciel sans lesquels elle m′eût semblé plus dure. Elle revint lentement et me dit avec beaucoup de douceur, et toujours le même visage abattu et triste : « Je peux rester tant que vous voudrez, je n′ai pas sommeil. » Sa réponse me calma, car tant qu′elle était là je sentais que je pouvais aviser à l′avenir, et elle recélait aussi de l′amitié, de l′obéissance, mais d′une certaine nature, et qui me semblait avoir pour limite ce secret que je sentais derrière son regard triste, ses manières changées, moitié malgré elle, moitié sans doute pour les mettre d′avance en harmonie avec quelque chose que je ne savais pas. Il me sembla que, tout de même, il n′y aurait que de l′avoir tout en blanc, avec son cou nu devant moi, comme je l′avais vue à Balbec dans son lit, qui me donnerait assez d′audace pour qu′elle fût obligée de céder. « Puisque vous êtes si gentille de rester un peu à me consoler, vous devriez enlever votre robe, c′est trop chaud, trop raide, je n′ose pas vous approcher pour ne pas froisser cette belle étoffe et il y a entre nous ces oiseaux symboliques. Déshabillez-vous, mon chéri. – Non, ce ne serait pas commode de défaire ici cette robe. Je me déshabillerai dans ma chambre tout à l′heure. – Alors vous ne voulez même pas vous asseoir sur mon lit ? – Mais si. » Elle resta toutefois un peu loin, près de mes pieds. Nous causâmes. Je sais que je prononçai alors le mot « mort » comme si Albertine allait mourir. Il semble que les événements soient plus vastes que le moment où ils ont lieu et ne peuvent y tenir tout entiers. Certes, ils débordent sur l′avenir par la mémoire que nous en gardons, mais ils demandent une place aussi au temps qui les précède. On peut dire que nous ne les voyons pas alors tels qu′ils seront ; mais dans le souvenir ne sont-ils pas aussi modifiés ? For instance,” I went on, “they are tormenting me at present, they are persecuting me with reports of your relations, but with Andrée.” “With Andrée?” she cried, her face ablaze with anger. And astonishment or the desire to appear astonished made her open her eyes wide. “How charming! And may one know who has been telling you these pretty tales, may I be allowed to speak to these persons, to learn from them upon what they are basing their scandals?” “My little Albertine, I do not know, the letters are anonymous, but from people whom you would perhaps have no difficulty in finding” (this to shew her that I did not believe that she would try) “for they must know you quite well. The last one, I must admit (and I mention it because it deals with a trifle, and there is nothing at all unpleasant in it), made me furious all the same. It informed me that if, on the day when we left Balbec, you first of all wished to remain there and then decided to go, that was because in the interval you had received a letter from Andrée telling you that she was not coming.” “I know quite well that Andrée wrote to tell me that she wasn′t coming, in fact she telegraphed; I can′t shew you the telegram because I didn′t keep it, but it wasn′t that day; what difference do you suppose it could make to me whether Andrée came or not?” The words “what difference do you suppose it could make to me” were a proof of anger and that ‘it did make′ some difference, but were not necessarily a proof that Albertine had returned to Paris solely from a desire to see Andrée. Whenever Albertine saw one of the real or alleged motives of one of her actions discovered by a person to whom she had pleaded a different motive, she became angry, even if the person were he for whose sake she had really performed the action. That Albertine believed that this information as to what she had been doing was not furnished me in anonymous letters against my will but was eagerly demanded by myself, could never have been deduced from the words which she next uttered, in which she appeared to accept my story of the anonymous letters, but rather from her air of anger with myself, an anger which appeared to be merely the explosion of her previous ill humour, just as the espionage in which, by this hypothesis, she must suppose that I had been indulging would have been only the culmination of a supervision of all her actions as to which she had felt no doubt for a long time past. Her anger extended even to Andrée herself, and deciding no doubt that from now onwards I should never be calm again even when she went out with Andrée: “Besides, Andrée makes me wild. She is a deadly bore. I never want to go anywhere with her again. You can tell that to the people who informed you that I came back to Paris for her sake. Suppose I were to tell you that after all the years I′ve known Andrée, I couldn′t even describe her face to you, I′ve hardly ever looked at it!” Now at Balbec, in that first year, she had said to me: “Andrée is lovely.” It is true that this did not mean that she had had amorous relations with her, and indeed I had never heard her speak at that time save with indignation of any relations of that sort. But could she not have changed even without being aware that she had changed, never supposing that her amusements with a girl friend were the same thing as the immoral relations, not clearly defined in her own mind, which she condemned in other women? Was it not possible also that this same change, and this same unconsciousness of change, might have occurred in her relations with myself, whose kisses she had repulsed at Balbec with such indignation, kisses which afterwards she was to give me of her own accord every day, which (so, at least, I hoped) she would give me for a long time to come, and which she was going to give me in a moment? “But, my darling, how do you expect me to tell them when I do not know who they are?” This answer was so forceful that it ought to have melted the objections and doubts which I saw crystallised in Albertine′s pupils. But it left them intact. I was now silent, and yet she continued to gaze at me with that persistent attention which we give to some one who has not finished speaking. I begged her pardon once more. She replied that she had nothing to forgive me. She had grown very gentle again. But, beneath her sad and troubled features, it seemed to me that a secret had taken shape. I knew quite well that she could not leave me without warning me, besides she could not either wish to leave me (it was in a week′s time that she was to try on the new Fortuny gowns), nor decently do so, as my mother was returning to Paris at the end of the week and her aunt also. Why, since it was impossible for her to depart, did I repeat to her several times that we should be going out together next day to look at some Venetian glass which I wished to give her, and why was I comforted when I heard her say that that was settled? When it was time for her to bid me good night and I kissed her, she did not behave as usual, but turned aside — it was barely a minute or two since I had been thinking how pleasant it was that she now gave me every evening what she had refused me at Balbec — she did not return my kiss. One would have said that, having quarrelled with me, she was not prepared to give me a token of affection which might later on have appeared to me a treacherous denial of that quarrel. One would have said that she was attuning her actions to that quarrel, and yet with moderation, whether so as not to announce it, or because, while breaking off her carnal relations with me, she wished still to remain my friend. I embraced her then a second time, pressing to my heart the mirroring and gilded azure of the Grand Canal and the mating birds, symbols of death and resurrection. But for the second time she drew away and, instead of returning my kiss, withdrew with the sort of instinctive and fatal obstinacy of animals that feel the hand of death. This presentiment which she seemed to be expressing overpowered me also, and filled me with so anxious an alarm that when she had reached the door I had not the courage to let her go, and called her back, “Albertine,” I said to her, “I am not at all sleepy. If you don′t want to go to sleep yourself, you might stay here a little longer, if you like, but I don′t really mind, and I don′t on any account want to tire you.” I felt that if I had been able to make her undress, and to have her there in her white nightgown, in which she seemed more rosy, warmer, in which she excited my senses more keenly, the reconciliation would have been more complete. But I hesitated for an instant, for the blue border of her gown added to her face a beauty, an illumination, a sky without which she would have seemed to me more harsh. She came back slowly and said to me very sweetly, and still with the same downcast, sorrowful expression: “I can stay as long as you like, I am not sleepy.” Her reply calmed me, for, so long as she was in the room, I felt that I could take thought for the future and that moreover it implied friendship, obedience, but of a certain sort, which seemed to me to be bounded by that secret which I felt to exist behind her sorrowful gaze, her altered manner, partly in spite of herself, partly no doubt to attune them beforehand to something which I did not know. I felt that, all the same, I needed only to have her all in white, with her throat bare, in front of me, as I had seen her at Balbec in bed, to find the courage which would make her obliged to yield. “Since you are so kind as to stay here a moment to console me, you ought to take off your gown, it is too hot, too stiff, I dare not approach you for fear of crumpling that fine stuff and we have those symbolic birds between us. Undress, my darling.” “No, I couldn′t possibly take off this dress here. I shall undress in my own room presently.” “Then you won′t even come and sit down on my bed?” “Why, of course.” She remained, however, a little way from me, by my feet. We talked. I know that I then uttered the word death, as though Albertine were about to die. It seems that events are larger than the moment in which they occur and cannot confine themselves in it. Certainly they overflow into the future through the memory that we retain of them, but they demand a place also in the time that precedes them. One may say that we do not then see them as they are to be, but in memory are they not modified also?
Quand je vis que d′elle-même elle ne m′embrassait pas, comprenant que tout ceci était du temps perdu, que ce ne serait qu′à partir du baiser que commenceraient les minutes calmantes et véritables, je lui dis : « Bonsoir, il est trop tard », parce que cela ferait qu′elle m′embrasserait, et nous continuerions ensuite. Mais après m′avoir dit : « Bonsoir, tâchez de bien dormir », exactement comme les deux premières fois, elle se contenta d′un baiser sur la joue. Cette fois je n′osai pas la rappeler, mais mon coeur battait si fort que je ne pus me recoucher. Comme un oiseau qui va d′une extrémité de sa cage à l′autre, sans arrêter, je passais de l′inquiétude qu′Albertine pût partir à un calme relatif. Ce calme était produit par le raisonnement que je recommençais plusieurs fois par minute : « Elle ne peut pas partir en tous cas sans me prévenir, elle ne m′a nullement dit qu′elle partirait », et j′étais à peu près calmé. Mais aussitôt je me redisais : « Pourtant si demain j′allais la trouver partie ! Mon inquiétude elle-même a bien sa cause en quelque chose ; pourquoi ne m′a-t-elle pas embrassé ? » Alors je souffrais horriblement du coeur. Puis il était un peu apaisé par le raisonnement que je recommençais, mais je finissais par avoir mal à la tête, tant ce mouvement de ma pensée était incessant et monotone. Il y a ainsi certains états moraux, et notamment l′inquiétude, qui, ne nous présentant que deux alternatives, ont quelque chose d′aussi atrocement limité qu′une simple souffrance physique. Je refaisais perpétuellement le raisonnement qui donnait raison à mon inquiétude et celui qui lui donnait tort et me rassurait, sur un espace aussi exigu que le malade qui palpe sans arrêter, d′un mouvement interne, l′organe qui le fait souffrir, s′éloigne un instant du point douloureux, pour y revenir l′instant d′après. Tout à coup, dans le silence de la nuit, je fus frappé par un bruit en apparence insignifiant, mais qui me remplit de terreur, le bruit de la fenêtre d′Albertine qui s′ouvrait violemment. Quand je n′entendis plus rien, je me demandai pourquoi ce bruit m′avait fait si peur. En lui-même il n′avait rien de si extraordinaire ; mais je lui donnais probablement deux significations qui m′épouvantaient également. D′abord, c′était une convention de notre vie commune, comme je craignais les courants d′air, qu′on n′ouvrît jamais de fenêtre la nuit. On l′avait expliqué à Albertine quand elle était venue habiter à la maison, et bien qu′elle fût persuadée que c′était de ma part une manie, et malsaine, elle m′avait promis de ne jamais enfreindre cette défense. Et elle était si craintive pour toutes ces choses qu′elle savait que je voulais, les blâmât-elle, que je savais qu′elle eût plutôt dormi dans l′odeur d′un feu de cheminée que d′ouvrir sa fenêtre, de même que, pour l′événement le plus important, elle ne m′eût pas fait réveiller le matin. Ce n′était qu′une des petites conventions de notre vie, mais du moment qu′elle violait celle-là sans m′en avoir parlé, cela ne voulait-il pas dire qu′elle n′avait plus rien à ménager, qu′elle les violerait aussi bien toutes ? Puis ce bruit avait été violent, presque mal élevé, comme si elle avait ouvert rouge de colère et disant : « Cette vie m′étouffe, tant pis, il me faut de l′air ! » Je ne me dis pas exactement tout cela, mais je continuai à penser, comme à un présage plus mystérieux et plus funèbre qu′un cri de chouette, à ce bruit de la fenêtre qu′Albertine avait ouverte. Plein d′une agitation comme je n′en avais peut-être pas eue depuis le soir de Combray où Swann avait dîné à la maison, je marchai longtemps dans le couloir, espérant, par le bruit que je faisais, attirer l′attention d′Albertine, qu′elle aurait pitié de moi et m′appellerait, mais je n′entendais aucun bruit venir de sa chambre. Peu à peu je sentis qu′il était trop tard. Elle devait dormir depuis longtemps. Je retournai me coucher. Le lendemain, dès que je m′éveillai, comme on ne venait jamais chez moi, quoi qu′il arrivât, sans que j′eusse appelé, je sonnai Françoise. Et en même temps je pensai : « Je vais parler à Albertine d′un yacht que je veux lui faire faire. » En prenant mes lettres, je dis à Françoise, sans la regarder : « Tout à l′heure j′aurai quelque chose à dire à Mlle Albertine ; est-ce qu′elle est levée ? – Oui, elle s′est levée de bonne heure. » Je sentis se soulever en moi, comme dans un coup de vent, mille inquiétudes, que je ne savais pas tenir en suspens dans ma poitrine. Le tumulte y était si grand que j′étais à bout de souffle comme dans une tempête. « Ah ! mais où est-elle en ce moment ? – Elle doit être dans sa chambre. – Ah ! bien ; eh bien ! je la verrai tout à l′heure. » Je respirai, elle était là, mon agitation retomba, Albertine était ici, il m′était presque indifférent qu′elle y fût. D′ailleurs n′avais-je pas été absurde de supposer qu′elle aurait pu ne pas y être ? Je m′endormis, mais, malgré ma certitude qu′elle ne me quitterait pas, d′un sommeil léger, et d′une légèreté relative à elle seulement. Car les bruits qui ne pouvaient se rapporter qu′à des travaux dans la cour, tout en les entendant vaguement en dormant, je restais tranquille, tandis que le plus léger frémissement qui venait de sa chambre, quand elle sortait ou rentrait sans bruit, en appuyant si doucement sur le timbre, me faisait tressauter, me parcourait tout entier, me laissait le coeur battant, bien que je l′eusse entendu dans un assoupissement profond, de même que ma grand′mère, dans les derniers jours qui précédèrent sa mort, et où elle était plongée dans une immobilité que rien ne troublait et que les médecins appelaient le coma, se mettait, m′a-t-on dit, à trembler un instant comme une feuille quand elle entendait les trois coups de sonnette par lesquels j′avais l′habitude d′appeler Françoise, et que, même en les faisant plus légers, cette semaine-là, pour ne pas troubler le silence de la chambre mortuaire, personne, assurait Françoise, ne pouvait confondre, à cause d′une manière que j′avais et ignorais moi-même d′appuyer sur le timbre, avec les coups de sonnette de quelqu′un d′autre. Étais-je donc entré moi aussi en agonie ? était-ce l′approche de la mort ? When I saw that she deliberately refrained from kissing me, realising that I was merely wasting my time, that it was only after the kiss that the soothing, the genuine minutes would begin, I said to her: “Good night, it is too late,” because that would make her kiss me and we could then continue. But after saying: “Good night, see you sleep well,” exactly as she had done twice already, she contented herself with letting me kiss her on the cheek. This time I dared not call her back, but my heart beat so violently that I could not lie down again. Like a bird that flies from one end of its cage to the other, without stopping I passed from the anxiety lest Albertine should leave the house to a state of comparative calm. This calm was produced by the argument which I kept on repeating several times every minute: “She cannot go without warning me, she never said anything about going,” and I was more or less calmed. But at once I reminded myself: “And yet if to-morrow I find that she has gone. My very anxiety must be founded upon something; why did she not kiss me?” At this my heart ached horribly. Then it was slightly soothed by the argument which I advanced once more, but I ended with a headache, so incessant and monotonous was this movement of my thoughts. There are thus certain mental states, and especially anxiety, which, as they offer us only two alternatives, are in a way as atrociously circumscribed as a merely physical pain. I perpetually repeated the argument which justified my anxiety and that which proved it false and reassured me, within as narrow a space as the sick man who explores without ceasing, by an internal movement, the organ that is causing his suffering, and withdraws for an instant from the painful spot to return to it a moment later. Suddenly, in the silence of the night, I was startled by a sound apparently insignificant which, however, filled me with terror, the sound of Albertine′s window being violently opened. When I heard no further sound, I asked myself why this had caused me such alarm. In itself there was nothing so extraordinary; but I probably gave it two interpretations which appalled me equally. In the first place it was one of the conventions of our life in common, since I was afraid of draughts, that nobody must ever open a window at night. This had been explained to Albertine when she came to stay in the house, and albeit she was convinced that this was a mania on my part and thoroughly unhealthy, she had promised me that she would never break the rule. And she was so timorous about everything that she knew to be my wish, even if she blamed me for it, that she would have gone to sleep with the stench of a chimney on fire rather than open her window, just as, however important the circumstances, she would not have had me called in the morning. It was only one of the minor conventions of our life, but from the moment when she violated it without having said anything to me, did not that mean that she no longer needed to take precautions, that she would violate them all just as easily? Besides, the sound had been violent, almost ill-bred, as though she had flung the window open crimson with rage, and saying: “This life is stifling me, so that′s that, I must have air!” I did not exactly say all this to myself, but I continued to think, as of a presage more mysterious and more funereal than the hoot of an owl, of that sound of the window which Albertine had opened. Filled with an agitation such as I had not felt perhaps since the evening at Combray when Swann had been dining downstairs, I paced the corridor for a long time, hoping, by the noise that I made, to attract Albertine′s attention, hoping that she would take pity upon me and would call me to her, but I heard no sound come from her room. Gradually I began to feel that it was too late. She must long have been asleep. I went back to bed. In the morning, as soon as I awoke, since no one ever came to my room, whatever might have happened, without a summons, I rang for Françoise. And at the same time I thought: “I must speak to Albertine about a yacht which I mean to have built for her.” As I took my letters I said to Françoise without looking at her: “Presently I shall have something to say to Mlle. Albertine; is she out of bed yet?” “Yes, she got up early.” I felt arise in me, as in a sudden gust of wind, a thousand anxieties, which I was unable to keep in suspense in my bosom. The tumult there was so great that I was quite out of breath as though caught in a tempest. “Ah! But where is she just now?” “I expect she′s in her room.” “Ah! Good! Very well, I shall see her presently.” I breathed again, she was still in the house, my agitation subsided. Albertine was there, it was almost immaterial to me whether she was or not. Besides, had it not been absurd to suppose that she could possibly not be there? I fell asleep, but, in spite of my certainty that she would not leave me, into a light sleep and of a lightness relative to her alone. For by the sounds that could be connected only with work in the courtyard, while I heard them vaguely in my sleep, I remained unmoved, whereas the slightest rustle that came from her room, when she left it, or noiselessly returned, pressing the bell so gently, made me start, ran through my whole body, left me with a throbbing heart, albeit I had heard it in a profound slumber, just as my grandmother in the last days before her death, when she was plunged in an immobility which nothing could disturb and which the doctors called coma, would begin, I was told, to tremble for a moment like a leaf when she heard the three rings with which I was in the habit of summoning Françoise, and which, even when I made them softer, during that week, so as not to disturb the silence of the death-chamber, nobody, Françoise assured me, could mistake, because of a way that I had, and was quite unconscious of having, of pressing the bell, for the ring of anyone else. Had I then entered myself into my last agony, was this the approach of death?
Ce jour-là et le lendemain nous sortîmes ensemble, puisque Albertine ne voulait plus sortir avec Andrée. Je ne lui parlai même pas du yacht. Ces promenades m′avaient calmé tout à fait. Mais elle avait continué, le soir, à m′embrasser de la même manière nouvelle, de sorte que j′étais furieux. Je ne pouvais plus y voir qu′une manière de me montrer qu′elle me boudait, et qui me paraissait trop ridicule après les gentillesses que je ne cessais de lui faire. Aussi, n′ayant plus d′elle même les satisfactions charnelles auxquelles je tenais, la trouvant laide dans la mauvaise humeur, sentis-je plus vivement la privation de toutes les femmes et des voyages dont ces premiers beaux jours réveillaient en moi le désir. Grâce sans doute au souvenir épars des rendez-vous oubliés que j′avais eus, collégien encore, avec des femmes, sous la verdure déjà épaisse, cette région du printemps où le voyage de notre demeure errante à travers les saisons venait depuis trois jours de s′arrêter, sous un ciel clément, et dont toutes les routes fuyaient vers des déjeuners à la campagne, des parties de canotage, des parties de plaisir, me semblait le pays des femmes aussi bien qu′il était celui des arbres, et le pays où le plaisir, partout offert, devenait permis à mes forces convalescentes. La résignation à la paresse, la résignation à la chasteté, à ne connaître le plaisir qu′avec une femme que je n′aimais pas, la résignation à rester dans ma chambre, à ne pas voyager, tout cela était possible dans l′ancien monde où nous étions la veille encore, dans le monde vide de l′hiver, mais non plus dans cet univers nouveau, feuillu, où je m′étais éveillé comme un jeune Adam pour qui se pose pour la première fois le problème de l′existence, du bonheur, et sur qui ne pèse pas l′accumulation des solutions négatives antérieures. La présence d′Albertine me pesait, et, maussade, je la regardais donc, en sentant que c′était un malheur que nous n′eussions pas rompu. Je voulais aller à Venise, je voulais, en attendant, aller au Louvre voir des tableaux vénitiens, et, au Luxembourg, les deux Elstir qu′à ce qu′on venait de m′apprendre, la princesse de Guermantes venait de vendre à ce musée, ceux que j′avais tant admirés, les « Plaisirs de la Danse » et le « Portrait de la famille X... » Mais j′avais peur que, dans le premier, certaines poses lascives ne donnassent à Albertine un désir, une nostalgie de réjouissances populaires, la faisant se dire que peut-être une certaine vie qu′elle n′avait pas menée, une vie de feux d′artifice et de guinguettes, avait du bon. Déjà d′avance, je craignais que, le 14 juillet, elle me demandât d′aller à un bal populaire, et je rêvais d′un événement impossible qui eût supprimé cette fête. Et puis il y avait aussi là-bas, dans les Elstir, des nudités de femmes dans des paysages touffus du Midi qui pouvaient faire penser Albertine à certains plaisirs, bien qu′Elstir, lui (mais ne rabaisserait-elle pas l′oeuvre ?), n′y eût vu que la beauté sculpturale, pour mieux dire, la beauté de blancs monuments que prennent des corps de femmes assis dans la verdure. Aussi je me résignai à renoncer à cela et je voulus partir pour aller à Versailles. Albertine était restée dans sa chambre, à lire, dans son peignoir de Fortuny. Je lui demandai si elle voulait venir à Versailles. Elle avait cela de charmant qu′elle était toujours prête à tout, peut-être par cette habitude qu′elle avait autrefois de vivre la moitié du temps chez les autres, et comme elle s′était décidée à venir à Paris, en deux minutes, elle me dit : « Je peux venir comme cela, nous ne descendrons pas de voiture. » Elle hésita une seconde entre deux manteaux pour cacher sa robe de chambre – comme elle eût fait entre deux amis différents à emmener – en prit un bleu sombre, admirable, piqua une épingle dans un chapeau. En une minute elle fut prête, avant que j′eusse pris mon paletot, et nous allâmes à Versailles. Cette rapidité même, cette docilité absolue me laissèrent plus rassuré, comme si, en effet, j′eusse eu, sans avoir aucun motif précis d′inquiétude, besoin de l′être. « Tout de même, je n′ai rien à craindre, elle fait ce que je lui demande, malgré le bruit de la fenêtre de l′autre nuit. Dès que j′ai parlé de sortir, elle a jeté ce manteau bleu sur son peignoir et elle est venue, ce n′est pas ce que ferait une révoltée, une personne qui ne serait plus bien avec moi », me disais-je tandis que nous allions à Versailles. Nous y restâmes longtemps. Le ciel tout entier était fait de ce bleu radieux et un peu pâle comme le promeneur couché dans un champ le voit parfois au-dessus de sa tête, mais tellement uni, tellement profond, qu′on sent que le bleu dont il est fait a été employé sans aucun alliage, et avec une si inépuisable richesse qu′on pourrait approfondir de plus en plus sa substance sans rencontrer un atome d′autre chose que de ce même bleu. Je pensais à ma grand′mère qui aimait dans l′art humain, dans la nature, la grandeur, et qui se plaisait à regarder monter dans ce même bleu le clocher de Saint-Hilaire. Soudain j′éprouvai de nouveau la nostalgie de ma liberté perdue en entendant un bruit que je ne reconnus pas d′abord et que ma grand′mère eût, lui aussi, tant aimé. C′était comme le bourdonnement d′une guêpe « Tiens, me dit Albertine, il y a un aéroplane, il est très haut, très haut. » Je regardais tout autour de moi, mais je ne voyais, sans aucune tache noire, que la pâleur intacte du bleu sans mélange. J′entendais pourtant toujours le bourdonnement des ailes qui tout d′un coup entrèrent dans le champ de ma vision. Là-haut, de minuscules ailes brunes et brillantes fronçaient le bleu uni du ciel inaltérable. J′avais pu enfin attacher le bourdonnement à sa cause, à ce petit insecte qui trépidait là-haut, sans doute à bien deux mille mètres de hauteur ; je le voyais bruire. Peut-être, quand les distances sur terre n′étaient pas encore depuis longtemps abrégées par la vitesse comme elles le sont aujourd′hui, le sifflet d′un train passant à deux kilomètres était-il pourvu de cette beauté qui maintenant, pour quelque temps encore, nous émeut dans le bourdonnement d′un aéroplane à deux mille mètres, à l′idée que les distances parcourues dans ce voyage vertical sont les mêmes que sur le sol et que, dans cette autre direction, où les mesures nous apparaissent autres parce que l′abord nous en semblait inaccessible, un aéroplane à deux mille mètres n′est pas plus loin qu′un train à deux kilomètres, est plus près même, le trajet identique s′effectuant dans un milieu plus pur, sans séparation entre le voyageur et son point de départ, de même que sur mer ou dans les plaines, par un temps calme, le remous d′un navire déjà loin ou le souffle d′un seul zéphyr raye l′océan des eaux ou des blés. That day and the next we went out together, since Albertine refused to go out again with Andrée. I never even mentioned the yacht to her. These excursions had completely restored my peace of mind. But she had continued at night to embrace me in the same novel fashion, which left me furious. I could interpret it now in no other way than as a method of shewing me that she was cross with me, which seemed to me perfectly absurd after my incessant kindness to her. And so, no longer deriving from her even those carnal satisfactions on which I depended, finding her positively ugly in her ill humour, I felt all the more keenly my deprivation of all the women and of the travels for which these first warm days re-awakened my desire. Thanks no doubt to the scattered memory of the forgotten assignations that I had had, while still a schoolboy, with women, beneath trees already in full leaf, this springtime region in which the endless round of our dwelling-place travelling through the seasons had halted for the last three days, beneath a clement sky, and from which all the roads pointed towards picnics in the country, boating parties, pleasure trips, seemed to me to be the land of women just as much as it was the land of trees, and the land in which a pleasure that was everywhere offered became permissible to my convalescent strength. Resigning myself to idleness, resigning myself to chastity, to tasting pleasure only with a woman whom I did not love, resigning myself to remaining shut up in my room, to not travelling, all this was possible in the Old World in which we had been only the day before, in the empty world of winter, but was no longer possible in this new universe bursting with green leaves, in which I had awaked like a young Adam faced for the first time with the problem of existence, of happiness, who is not bowed down beneath the weight of the accumulation of previous negative solutions. Albertine′s presence weighed upon me, and so I regarded her sullenly, feeling that it was a pity that we had not had a rupture. I wanted to go to Venice, I wanted in the meantime to go to the Louvre to look at Venetian pictures and to the Luxembourg to see the two Elstirs which, as I had just heard, the Duchesse de Guermantes had recently sold to that gallery, those that I had so greatly admired, the Pleasures of the Dance and the Portrait of the X Family. But I was afraid that, in the former, certain lascivious poses might give Albertine a desire, a regretful longing for popular rejoicings, making her say to herself that perhaps a certain life which she had never led, a life of fireworks and country taverns, was not so bad. Already, in anticipation, I was afraid lest, on the Fourteenth of July, she would ask me to take her to a popular ball and I dreamed of some impossible event which would cancel the national holiday. And besides, there were also present, in Elstir′s pictures, certain nude female figures in the leafy landscapes of the South which might make Albertine think of certain pleasures, albeit Elstir himself (but would she not lower the standard of his work?) had seen in them nothing more than plastic beauty, or rather the beauty of snowy monuments which is assumed by the bodies of women seated among verdure. And so I resigned myself to abandoning that pleasure and made up my mind to go to Versailles. Albertine had remained in her room, reading, in her Fortuny gown. I asked her if she would like to go with me to Versailles. She had the charming quality of being always ready for anything, perhaps because she had been accustomed in the past to spend half her time as the guest of other people, and, just as she had made up her mind to come to Paris, in two minutes, she said to me: “I can come as I am, we shan′t be getting out of the car.” She hesitated for a moment between two cloaks in which to conceal her indoor dress — as she might have hesitated between two friends in the choice of an escort — chose one of dark blue, an admirable choice, thrust a pin into a hat. In a minute, she was ready, before I had put on my greatcoat, and we went to Versailles. This very promptitude, this absolute docility left me more reassured, as though indeed, without having any special reason for uneasiness, I had been in need of reassurance. “After all I have nothing to fear, she does everything that I ask, in spite of the noise she made with her window the other night. The moment I spoke of going out, she flung that blue cloak over her gown and out she came, that is not what a rebel would have done, a person who was no longer on friendly terms with me,” I said to myself as we went to Versailles. We stayed there a long time. The whole sky was formed of that radiant and almost pale blue which the wayfarer lying down in a field sees at times above his head, but so consistent, so intense, that he feels that the blue of which it is composed has been utilised without any alloy and with such an inexhaustible richness that one might delve more and more deeply into its substance without encountering an atom of anything but that same blue. I thought of my grandmother who — in human art as in nature — loved grandeur, and who used to enjoy watching the steeple of Saint-Hilaire soar into the same blue. Suddenly I felt once again a longing for my lost freedom as I heard a sound which I did not at first identify, a sound which my grandmother would have loved as well. It was like the buzz of a wasp. “Why,” said Albertine, “there is an aeroplane, it is high up in the sky, so high.” I looked in every direction but could see only, unmarred by any black spot, the unbroken pallor of the serene azure. I continued nevertheless to hear the humming of the wings which suddenly eame into my field of vision. Up there a pair of tiny wings, dark and flashing, punctured the continuous blue of the unalterable sky. I had at length been able to attach the buzzing to its cause, to that little insect throbbing up there in the sky, probably quite five thousand feet above me; I could see it hum. Perhaps at a time when distances by land had not yet been habitually shortened by speed as they are to-day, the whistle of a passing train a mile off was endowed with that beauty which now and for some time to come will stir our emotions in the hum of an aeroplane five thousand feet up, with the thought that the distances traversed in this vertical journey are the same as those on the ground, and that in this other direction, where the measurements appeared to us different because it had seemed impossible to make the attempt, an aeroplane at five thousand feet is no farther away than a train a mile off, is indeed nearer, the identical trajectory occurring in a purer medium, with no separation of the traveller from his starting point, just as on the sea or across the plains, in calm weather, the wake of a ship that is already far away or the breath of a single zephyr will furrow the ocean of water or of grain.
« Au fond, nous n′avons faim ni l′un ni l′autre, on aurait pu passer chez les Verdurin, me dit Albertine, c′est leur heure et leur jour. — Mais si vous êtes fâchée contre eux ? — Oh ! il y a beaucoup de cancans contre eux, mais dans le fond ils ne sont pas si mauvais que ça. Mme Verdurin a toujours été très gentille pour moi. Et puis, on ne peut pas être toujours brouillé avec tout le monde. Ils ont des défauts, mais qu′est-ce qui n′en a pas ? — Vous n′êtes pas habillée, il faudrait rentrer vous habiller, il serait bien tard. » J′ajoutai que j′avais envie de goûter. « Oui, vous avez raison, goûtons tout simplement », répondit Albertine, avec cette admirable docilité qui me stupéfiait toujours. Nous nous arrêtâmes dans une grande pâtisserie située presque en dehors de la ville, et qui jouissait à ce moment-là d′une certaine vogue. Une dame allait sortir, qui demanda ses affaires à la pâtissière. Et une fois que cette dame fut partie, Albertine regarda à plusieurs reprises la pâtissière comme si elle voulait attirer son attention, pendant que celle-ci rangeait des tasses, des assiettes des petits fours, car il était déjà tard. Elle s′approchait de moi seulement si je demandais quelque chose. Et il arrivait alors que, comme la pâtissière, d′ailleurs extrêmement grande, était debout pour nous servir et Albertine assise à côté de moi, chaque fois, Albertine, pour tâcher d′attirer son attention, levait verticalement vers elle un regard blond qui était obligé de faire monter d′autant plus haut la prunelle que, la pâtissière étant juste contre nous, Albertine n′avait pas la ressource d′adoucir la pente par l′obliquité du regard. Elle était obligée, sans trop lever la tête, de faire monter ses regards jusqu′à cette hauteur démesurée où étaient les yeux de la pâtissière. Par gentillesse pour moi, Albertine rabaissait vivement ses regards et, la pâtissière n′ayant fait aucune attention à elle, recommençait. Cela faisait une série de vaines élévations implorantes vers une inaccessible divinité. Puis la pâtissières n′eut plus qu′à ranger à une grande table voisine. Là le regard d′Albertine n′avait qu′à être latéral. Mais pas une fois celui de la pâtissière ne se posa sur mon amie. Cela ne m′étonnait pas, car je savais que cette femme, que je connaissais un petit peu, avait des amants, quoique mariée, mais cachait parfaitement ses intrigues, ce qui m′étonnait énormément à cause de sa prodigieuse stupidité. Je regardai cette femme pendant que nous finissions de goûter. Plongée dans ses rangements, elle était presque impolie pour Albertine à force de n′avoir pas un regard pour elle, dont l′attitude n′avait d′ailleurs rien d′inconvenant. L′autre rangeait, rangeait sans fin, sans une distraction. La remise en place des petites cuillers, des couteaux à fruits, eût été confiée, non à cette grande belle femme, mais, par économie de travail humain, à une simple machine, qu′on n′eût pas pu voir isolément aussi complet de l′attention d′Albertine, et pourtant elle ne baissait pas les yeux, ne s′absorbait pas, laissait briller ses yeux, ses charmes, en une attention à son seul travail. Il est vrai que, si cette pâtissière n′eût pas été une femme particulièrement sotte (non seulement c′était sa réputation, mais je le savais par expérience), ce détachement eût pu être un comble d′habileté. Et je sais bien que l′être le plus sot, si son désir ou son intérêt est en jeu, peut, dans ce cas unique, au milieu de la nullité de sa vie stupide, s′adapter immédiatement aux rouages de l′engrenage le plus compliqué ; malgré tout c′eût été une supposition trop subtile pour une femme aussi niaise que la pâtissière. Cette niaiserie prenait même un tour invraisemblable d′impolitesse ! Pas une seule fois elle ne regarda Albertine que, pourtant, elle ne pouvait pas ne pas voir. C′était peu aimable pour mon amie, mais, dans le fond, je fus enchanté qu′Albertine reçût cette petite leçon et vît que souvent les femmes ne faisaient pas attention à elle. Nous quittâmes la pâtisserie, nous remontâmes en voiture, et nous avions déjà repris le chemin de la maison quand j′eus tout à coup regret d′avoir oublié de prendre à part cette pâtissière et de la prier, à tout hasard, de ne pas dire à la dame qui était partie quand nous étions arrivés mon nom et mon adresse, que la pâtissière, à cause de commandes que j′avais souvent faites, devait savoir parfaitement. Il était, en effet, inutile que la dame pût par là apprendre indirectement l′adresse d′Albertine. Mais je trouvai trop long de revenir sur nos pas pour si peu de chose, et que cela aurait l′air d′y donner trop d′importance aux yeux de l′imbécile et menteuse pâtissière. Je songeais seulement qu′il faudrait revenir goûter là, d′ici une huitaine, pour faire cette recommandation et que c′est bien ennuyeux, comme on oublie toujours la moitié de ce qu′on a à dire, de faire les choses les plus simples en plusieurs fois. “After all neither of us is really hungry, we might have looked in at the Verdurins′,” Albertine said to me, “this is their day and their hour.” “But I thought you were angry with them?” “Oh! There are all sorts of stories about them, but really they′re not so bad as all that. Madame Verdurin has always been very nice to me. Besides, one can′t keep on quarrelling all the time with everybody. They have their faults, but who hasn′t?” “You are not dressed, you would have to go home and dress, that would make us very late.” I added that I was hungry. “Yes, you are right, let us eat by ourselves,” replied Albertine with that marvellous docility which continued to stupefy me. We stopped at a big pastrycook′s, situated almost outside the town, which at that time enjoyed a certain reputation. A lady was leaving the place, and asked the girl in charge for her things. And after the lady had gone, Albertine cast repeated glances at the girl as though she wished to attract her attention while the other was putting away cups, plates, cakes, for it was getting late. She came near me only if I asked for something. And what happened then was that as the girl, who moreover was extremely tall, was standing up while she waited upon us and Albertine was seated beside me, each time, Albertine, in an attempt to attract her attention, raised vertically towards her a sunny gaze which compelled her to elevate her pupils to an even higher angle since, the girl being directly in front of us, Albertine had not the remedy of tempering the angle with the obliquity of her gaze. She was obliged, without raising her head unduly, to make her eyes ascend to that disproportionate height at which the girl′s eyes were situated. Out of consideration for myself, Albertine lowered her own at once, and, as the girl had paid her no attention, began again. This led to a series of vain imploring elevations before an inaccessible deity. Then the girl had nothing left to do but to put straight a big table, next to ours. Now Albertine′s gaze need only be natural. But never once did the girl′s eyes rest upon my mistress. This did not surprise me, for I knew that the woman, with whom I was slightly acquainted, had lovers, although she was married, but managed to conceal her intrigues completely, which astonished me vastly in view of her prodigious stupidity. I studied the woman while we finished eating. Concentrated upon her task, she was almost impolite to Albertine, in the sense that she had not a glance to spare for her, not that Albertine′s attitude was not perfectly correct. The other arranged things, went on arranging things, without letting anything distract her. The counting and putting away of the coffee-spoons, the fruit-knives, might have been entrusted not to this large and handsome woman, but, by a ‘labour-saving′ device, to a mere machine, and you would not have seen so complete an isolation from Albertine′s attention, and yet she did not lower her eyes, did not let herself become absorbed, allowed her eyes, her charms to shine in an undivided attention to her work. It is true that if this woman had not been a particularly foolish person (not only was this her reputation, but I knew it by experience), this detachment might have been a supreme proof of her cunning. And I know very well that the stupidest person, if his desire or his pocket is involved, can, in that sole instance, emerging from the nullity of his stupid life, adapt himself immediately to the workings of the most complicated machinery; all the same, this would have been too subtle a supposition in the case of a woman as idiotic as this. Her idiocy even assumed the improbable form of impoliteness! Never once did she look at Albertine whom, after all, she could not help seeing. It was not very flattering for my mistress, but, when all was said, I was delighted that Albertine should receive this little lesson and should see that frequently women paid no attention to her. We left the pastrycook′s, got into our carriage and were already on our way home when I was seized by a sudden regret that I had not taken the waitress aside and begged her on no account to tell the lady who had come out of the shop as we were going in my name and address, which she must know because of the orders I had constantly left with her. It was indeed undesirable that the lady should be enabled thus to learn, indirectly, Albertine′s address. But I felt that it would be a waste of time to turn back for so small a matter, and that I should appear to be attaching too great an importance to it in the eyes of the idiotic and untruthful waitress. I decided, finally, that I should have to return there, in a week′s time, to make this request, and that it was a great bore, since one always forgot half the things that one had to say, to have to do even the simplest things in instalments.
À ce propos, je ne peux pas dire combien, quand j′y pense, la vie d′Albertine était recouverte de désirs alternés, fugitifs, souvent contradictoires. Sans doute le mensonge la compliquait encore, car, ne se rappelant plus au juste nos conversations, quand elle m′avait dit : « Ah ! voilà une jolie fille et qui jouait bien au golf », et que, lui ayant demandé le nom de cette jeune fille, elle m′avait répondu de cet air détaché, universel, supérieur, qui a sans doute toujours des parties libres, car chaque menteur de cette catégorie l′emprunte chaque fois pour un instant dès qu′il ne veut pas répondre à une question, et il ne lui fait jamais défaut : In this connexion, I cannot tell you how densely, now that I come to think of it, Albertine′s life was covered in a network of alternate, fugitive, often contradictory desires. No doubt falsehood complicated this still further, for, as she retained no accurate memory of our conversations, when she had said to me: “Ah! That′s a pretty girl, if you like, and a good golfer,” and I had asked the girl′s name, she had answered with that detached, universal, superior air of which no doubt there is always enough and to spare, for every liar of this category borrows it for a moment when he does not wish to answer a question, and it never fails him:
« Ah ! je ne sais pas (avec regret de ne pouvoir me renseigner), je n′ai jamais su son nom, je la voyais au golf, mais je ne savais pas comment elle s′appelait » ; — si, un mois après, je lui disais : « Albertine, tu sais cette jolie fille dont tu m′as parlé, qui jouait si bien au golf. — Ah ! oui, me répondait-elle sans réflexion, Émilie Daltier, je ne sais pas ce qu′elle est devenue. » Et le mensonge, comme une fortification de campagne, était reporté de la défense du nom, prise maintenant, sur les possibilités de la retrouver. « Ah ! je ne sais pas, je n′ai jamais su son adresse. Je ne vois personne qui pourrait vous dire cela. Oh ! non, Andrée ne l′a pas connue. Elle n′était pas de notre petite bande, aujourd′hui si divisée. » D′autres fois, le mensonge était comme un vilain aveu : « Ah ! si j′avais trois cent mille francs de renteÂ… » Elle se mordait les lèvres. « Hé bien, que ferais-tu ? — Je te demanderais, disait-elle en m′embrassant, la permission de rester chez toi. Où pourrais-je être plus heureuse ? » Mais, même en tenant compte des mensonges, il était incroyable à quel point de vue sa vie était successive, et fugitifs ses plus grands désirs. Elle était folle d′une personne, et au bout de trois jours n′eût pas voulu recevoir sa visite. Elle ne pouvait pas attendre une heure que je lui eusse fait acheter des toiles et des couleurs, car elle voulait se remettre à la peinture. Pendant deux jours elle s′impatientait, avait presque des larmes, vite séchées, d′enfants à qui on a ôté sa nourrice. Et cette instabilité de ses sentiments à l′égard des êtres, des choses, des occupations, des arts, des pays, était en vérité si universelle, que, si elle a aimé l′argent, ce que je ne crois pas, elle n′a pas pu l′aimer plus longtemps que le reste. Quand elle disait : « Ah ! si j′avais trois cent mille francs de rente ! » même si elle exprimait une pensée mauvaise mais bien peu durable, elle n′eût pu s′y rattacher plus longtemps qu′au désir d′aller aux Rochers, dont l′édition de Mme de Sévigné de ma grand′mère lui avait montré l′image, de retrouver une amie de golf, de monter en aéroplane, d′aller passer la Noël avec sa tante, ou de se remettre à la peinture. “Ah! That I don′t know” (with regret at her inability to enlighten me). “I never knew her name, I used to see her on the golf course, but I didn′t know what she was called” — if, a month later, I said to her: “Albertine, you remember that pretty girl you mentioned to me, who plays golf so well.” “Ah, yes,” she would answer without thinking: “Emilie Daltier, I don′t know what has become of her.” And the lie, like a line of earthworks, was carried back from the defence of the name, now captured, to the possibilities of meeting her again. “Oh, I can′t tell you, I never knew her address. I never see anybody who could tell you. Oh, no! Andrée never knew her. She wasn′t one of our little band, now so scattered.” At other times the lie took the form of a base admission: “Ah! If I had three hundred thousand francs a year. . . . ” She bit her lip. “Well? What would you do then?” “I should ask you,” she said, kissing me as she spoke, “to allow me to remain with you always. Where else could I be so happy?” But, even when one took her lies into account, it was incredible how spasmodic her life was, how fugitive her strongest desires. She would be mad about a person whom, three days later, she would refuse to see. She could not wait for an hour while I sent out for canvas and colours, for she wished to start painting again. For two whole days she was impatient, almost shed the tears, quickly dried, of an infant that has just been weaned from its nurse. And this instability of her feelings with regard to people, things, occupations, arts, places, was in fact so universal that, if she did love money, which I do not believe, she cannot have loved it for longer than anything else. When she said: “Ah! If I had three hundred thousand francs a year!” or even if she expressed a bad but very transient thought, she could not have attached herself to it any longer than to the idea of going to Les Rochers, of which she had seen an engraving in my grandmother′s edition of Mme. de Sévigné, of meeting an old friend from the golf course, of going up in an aeroplane, of going to spend Christmas with her aunt, or of taking up painting again.
Nous revînmes très tard, dans une nuit où, çà et là, au bord du chemin, un pantalon rouge à côté d′un jupon révélaient des couples amoureux. Notre voiture passa la porte Maillot pour rentrer. Aux monuments de Paris s′était substitué, pur, linéaire, sans épaisseur, le dessin des monuments de Paris, comme on eût fait pour une ville détruite dont on eût voulu relever l′image. Mais, au bord de celle-ci, s′élevait avec une telle douceur la bordure bleu pâle sur laquelle elle se détachait que les yeux altérés cherchaient partout encore un peu de cette nuance délicieuse qui leur était trop avarement mesurée ; il y avait clair de lune. Albertine l′admira. Je n′osai lui dire que j′en aurais mieux joui si j′avais été seul ou à la recherche d′une inconnue. Je lui récitai des vers ou des phrases de prose sur le clair de lune, lui montrant comment d′argenté qu′il était autrefois, il était devenu bleu avec Chateaubriand, avec le Victor Hugo d′Eviradnus et de la Fête chez Thérèse, pour redevenir jaune et métallique avec Baudelaire et Leconte de Lisle. Puis lui rappelant l′image qui figure le croissant de la lune à la fin de Booz endormi, je lui récitai toute la pièce. We returned home very late one evening while, here and there, by the roadside, a pair of red breeches pressed against a skirt revealed an amorous couple. Our carriage passed in through the Porte Maillot. For the monuments of Paris had been substituted, pure, linear, without depth, a drawing of the monuments of Paris, as though in an attempt to recall the appearance of a city that had been destroyed. But, round about this picture, there stood out so delicately the pale-blue mounting in which it was framed that one′s greedy eyes sought everywhere for a further trace of that delicious shade which was too sparingly measured out to them: the moon was shining. Albertine admired the moonlight. I dared not tell her that I would have admired it more if I had been alone, or in quest of a strange woman. I repeated to her poetry or passages of prose about moonlight, pointing out to her how from ‘silvery′ which it had been at one time, it had turned ‘blue′ in Chateaubriand, in the Victor Hugo of Eviradnus and La Fête chez Thérèse, to become in turn yellow and metallic in Baudelaire and Leconte de Lisle. Then, reminding her of the image that is used for the crescent moon at the end of Booz endormi, I repeated the whole of that poem to her.
Nous rentrâmes. Le beau temps, cette nuit-là, fit un bond en avant comme un thermomètre monte à la chaleur. Par les matins tôt levés de printemps qui suivirent, j′entendais les tramways cheminer, à travers les parfums, dans l′air auquel la chaleur se mélangeait de plus en plus jusqu′à ce qu′il arrivât à la solidification et à la densité de midi. Quand l′air onctueux avait achevé d′y vernir et d′y isoler l′odeur du lavabo, l′odeur de l′armoire, l′odeur du canapé, rien qu′à la netteté avec laquelle, verticales et debout, elles se tenaient en tranches juxtaposées et distinctes, dans un clair-obscur nacré qui ajoutait un glacé plus doux au reflet des rideaux et des fauteuils de satin bleu, je me voyais, non par un simple caprice de mon imagination, mais parce que c′était effectivement possible, suivant dans quelque quartier neuf de la banlieue, pareil à celui où à Balbec habitait Bloch, les rues aveuglées de soleil, et y trouvant non les fades boucheries et la blanche pierre de taille, mais la salle à manger de campagne où je pourrais arriver tout à l′heure, et les odeurs que j′y trouverais en arrivant, l′odeur du compotier de cerises et d′abricots, du cidre, du fromage de gruyère, tenues en suspens dans la lumineuse congélation de l′ombre qu′elles veinent délicatement comme l′intérieur d′une agate, tandis que les porte-couteaux en verre prismatique y irisent des arcs-en-ciel, ou piquent çà et là sur la toile cirée des ocellures de paon. And so we came to the house. The fine weather that night made a leap forwards as the mercury in the thermometer darts upward. In the early-rising mornings of spring that followed, I could hear the tram-cars moving, through a cloud of perfumes, in an air with which the prevailing warmth became more and more blended until it reached the solidification and density of noon. When the unctuous air had succeeded in varnishing with it and isolating in it the scent of the wash-stand, the scent of the wardrobe, the scent of the sofa, simply by the sharpness with which, vertical and erect, they stood out in adjacent but distinct slices, in a pearly chiaroscuro which added a softer glaze to the shimmer of the curtains and the blue satin armchairs, I saw myself, not by a mere caprice of my imagination, but because it was physically possible, following in some new quarter of the suburbs, like that in which Bloch′s house at Balbec was situated, the streets blinded by the sun, and finding in them not the dull butchers′ shops and the white freestone facings, but the country dining-room which I could reach in no time, and the scents that I would find there on my arrival, that of the bowl of cherries and apricots, the scent of cider, that of gruyère cheese, held in suspense in the luminous congelation of shadow which they delicately vein like the heart of an agate, while the knife-rests of prismatic glass scatter rainbows athwart the room or paint the waxcloth here and there with peacock-eyes.
Comme un vent qui s′enfle avec une progression régulière, j′entendais avec joie une automobile sous la fenêtre. Je sentais son odeur de pétrole. Elle peut sembler regrettable aux délicats (qui sont toujours des matérialistes) et à qui elle gâte la campagne, et à certains penseurs (matérialistes à leur manière aussi), qui, croyant à l′importance du fait, s′imaginent que l′homme serait plus heureux, capable d′une poésie plus haute, si ses yeux étaient susceptibles de voir plus de couleurs, ses narines de connaître plus de parfums, travestissement philosophique de l′idée naîµ¥ de ceux qui croient que la vie était plus belle quand on portait, au lieu de l′habit noir, de somptueux costumes. Mais pour moi (de même qu′un arôme, déplaisant en soi peut-être, de naphtaline et de vétiver m′eût exalté en me rendant la pureté bleue de la mer, le jour de mon arrivée à Balbec), cette odeur de pétrole qui, avec la fumée s′échappant de la machine, s′était tant de fois évanouie dans le pâle azur, par ces jours brûlants où j′allais de Saint-Jean-de-la-Haise à Gourville, comme elle m′avait suivi dans mes promenades pendant ces après-midi d′été où Albertine était à peindre, faisait fleurir maintenant, de chaque côté de moi, bien que je fusse dans ma chambre obscure, les bleuets, les coquelicots et les trèfles incarnats, m′enivrait comme une odeur de campagne, non pas circonscrite et fixe, comme celle qui est apposée devant les aubépines et qui, retenue par ses éléments onctueux et denses, flotte avec une certaine stabilité devant la haie, mais comme une odeur devant quoi fuyaient les routes, changeait l′aspect du sol, accouraient les châteaux, pâlissait le ciel, se décuplaient les forces, une odeur qui était comme un symbole de bondissement et de puissance et qui renouvelait le désir que j′avais eu à Balbec de monter dans la cage de cristal et d′acier, mais cette fois pour aller non plus faire des visites dans des demeures familières, avec une femme que je connaissais trop, mais faire l′amour dans des lieux nouveaux avec une femme inconnue. Odeur qu′accompagnait à tout moment l′appel des trompes d′automobile qui passaient, sur lequel j′adaptais des paroles comme sur une sonnerie militaire : « Parisien, lève-toi, lève-toi, viens déjeuner à la campagne et faire du canot dans la rivière, à l′ombre sous les arbres, avec une belle fille ; lève-toi, lève-toi. » Et toutes ces rêveries m′étaient si agréables que je me félicitais de la « sévère loi » qui faisait que, tant que je n′aurais pas appelé, aucun « timide mortel », fût-ce Françoise, fût-ce Albertine, ne s′aviserait de venir me troubler « au fond de ce palais » où « une majesté terrible affecte à mes sujets de me rendre invisible ». Like a wind that swells in a regular progression, I heard with joy a motor-car beneath the window. I smelt its odour of petrol. It may seem regrettable to the over-sensitive (who are always materialists) for whom it spoils the country, and to certain thinkers (materialists after their own fashion also) who, believing in the importance of facts, imagine that man would be happier, capable of higher flights of poetry, if his eyes were able to perceive more colours, his nostrils to distinguish more scents, a philosophical adaptation of the simple thought of those who believe that life was finer when men wore, instead of the black coats of to-day, sumptuous costumes. But to me (just as an aroma, unpleasant perhaps in itself, of naphthaline and flowering grasses would have thrilled me by giving me back the blue purity of the sea on the day of my arrival at Balbec), this smell of petrol which, with the smoke from the exhaust of the car, had so often melted into the pale azure, on those scorching days when I used to drive from Saint-Jean de la Haise to Gourville, as it had accompanied me on my excursions during those summer afternoons when I had left Albertine painting, called into blossom now on either side of me, for all that I was lying in my darkened bedroom, cornflowers, poppies and red clover, intoxicated me like a country scent, not circumscribed and fixed, like that which is spread before the hawthorns and, retained in its unctuous and dense elements, floats with a certain stability before the hedge, but like a scent before which the roads took flight, the sun′s face changed, castles came hurrying to meet me, the sky turned pale, force was increased tenfold, a scent which was like a symbol of elastic motion and power, and which revived the desire that I had felt at Balbec, to enter the cage of steel and crystal, but this time not to go any longer on visits to familiar houses with a woman whom I knew too well, but to make love in new places with a woman unknown. A scent that was accompanied at every moment by the horns of passing motors, which I set to words like a military call: “Parisian, get up, get up, come out and picnic in the country, and take a boat on the river, under the trees, with a pretty girl; get up, get up!” And all these musings were so agreeable that I congratulated myself upon the ‘stern decree′ which prescribed that until I should have rung my bell, no ‘timid mortal,′ whether Françoise or Albertine, should dream of coming in to disturb me ‘within this palace′ where “ . . . a terrible Majesty makes me all invisible to my subjects.”
Mais tout à coup le décor changea ; ce ne fut plus le souvenir d′anciennes impressions, mais d′un ancien désir, tout récemment réveillé encore par la robe bleu et or de Fortuny, qui étendit devant moi un autre printemps, un printemps non plus du tout feuillu mais subitement dépouillé, au contraire, de ses arbres et de ses fleurs par ce nom que je venais de me dire : Venise ; un printemps décanté, qui est réduit à son essence, et traduit l′allongement, l′échauffement, l′épanouissement graduel de ses jours par la fermentation progressive, non plus d′une terre impure, mais d′une eau vierge et bleue, printanière sans porter de corolles, et qui ne pourrait répondre au mois de mai que par des reflets, travaillée par lui, s′accordant exactement à lui dans la nudité rayonnante et fixe de son sombre saphir. Aussi bien, pas plus que les saisons à ses bras de mer infleurissables, les modernes années n′apportent de changement à la cité gothique ; je le savais, je ne pouvais l′imaginer, mais voilà ce que je voulais contempler, de ce même désir qui jadis, quand j′étais enfant, dans l′ardeur même du départ, avait brisé en moi la force de partir ; je voulais me trouver face à face avec mes imaginations vénitiennes ; voir comment cette mer divisée enserrait de ses méandres, comme les replis du fleuve Océan, une civilisation urbaine et raffinée, mais qui, isolée par leur ceinture azurée, s′était développée à part, avait eu à part ses écoles de peinture et d′architecture ; admirer ce jardin fabuleux de fruits et d′oiseaux de pierre de couleur, fleuri au milieu de la mer, qui venait le rafraîchir, frappait de son flux le fût des colonnes et, sur le puissant relief des chapiteaux, comme un regard de sombre azur qui veille dans l′ombre, posait par taches et fait remuer perpétuellement la lumière. Oui, il fallait partir, c′était le moment. Depuis qu′Albertine n′avait plus l′air d′être fâchée contre moi, sa possession ne me semblait plus un bien en échange duquel on est prêt à donner tous les autres. Car nous ne l′aurions fait que pour nous débarrasser d′un chagrin, d′une anxiété, qui étaient apaisés maintenant. Nous avons réussi à traverser le cerceau de toile, à travers lequel nous avons cru un moment que nous ne pourrions jamais passer. Nous avons éclairci l′orage, ramené la sérénité du sourire. Le mystère angoissant d′une haine sans cause connue, et peut-être sans fin, est dissipé. Dès lors nous nous retrouvons face à face avec le problème, momentanément écarté, d′un bonheur que nous savons impossible. Maintenant que la vie avec Albertine était redevenue possible, je sentais que je ne pourrais en tirer que des malheurs, puisqu′elle ne m′aimait pas ; mieux valait la quitter sur la douceur de son consentement, que je prolongerais par le souvenir. Oui, c′était le moment ; il fallait m′informer bien exactement de la date où Andrée allait quitter Paris, agir énergiquement auprès de Mme Bontemps de manière à être bien certain qu′à ce moment-là Albertine ne pourrait aller ni en Hollande, ni à Montjouvain. Il arriverait, si nous savions mieux analyser nos amours, de voir que souvent les femmes ne nous plaisent qu′à cause du contrepoids d′hommes à qui nous avons à les disputer, bien que nous souffrions jusqu′à mourir d′avoir à les leur disputer ; le contrepoids supprimé, le charme de la femme tombe. On en a un exemple douloureux et préventif dans cette prédilection des hommes pour les femmes qui, avant de les connaître, ont commis des fautes, pour ces femmes qu′ils sentent enlisées dans le danger et qu′il leur faut, pendant toute la durée de leur amour, reconquérir ; un exemple postérieur au contraire, et nullement dramatique celui-là, dans l′homme qui, sentant s′affaiblir son goût pour la femme qu′il aime, applique spontanément les règles qu′il a dégagées, et pour être sûr qu′il ne cesse pas d′aimer la femme, la met dans un milieu dangereux où il lui faut la protéger chaque jour. (Le contraire des hommes qui exigent qu′une femme renonce au théâtre, bien que, d′ailleurs, ce soit parce qu′elle avait été au théâtre qu′ils l′ont aimée.) But all of a sudden the scene changed; it was the memory, no longer of old impressions, but of an old desire, quite recently reawakened by the Fortuny gown in blue and gold, that spread itself before me, another spring, a spring not leafy at all but suddenly stripped, on the contrary, of its trees and flowers by the name that I had just uttered to myself: ‘Venice,′ a decanted spring, which is reduced to its essential qualities, and expresses the lengthening, the warming, the gradual maturing of its days by the progressive fermentation, not (this time) of an impure soil, but of a blue and virgin water, springlike without bud or blossom, which could answer the call of May only by gleaming facets, carved by that month, harmonising exactly with it in the radiant, unaltering nakedness of its dusky sapphire. And so, no more than the seasons to its unflowering inlets of the sea, do modern years bring any change to the gothic city; I knew it, I could not imagine it, but this was what I longed to contemplate with the same desire which long ago, when I was a boy, in the very ardour of my departure had shattered the strength necessary for the journey; I wished to find myself face to face with my Venetian imaginings, to behold how that divided sea enclosed in its meanderings, like the streams of Ocean, an urbane and refined civilisation, but one that, isolated by their azure belt, had developed by itself, had had its own schools of painting and architecture, to admire that fabulous garden of fruits and birds in coloured stone, flowering in the midst of the sea which kept it refreshed, splashed with its tide against the base of the columns and, on the bold relief of the capitals, like a dark blue eye watching in the shadows, laid patches, which it kept perpetually moving, of light. Yes, I must go, the time had come. Now that Albertine no longer appeared to be cross with me, the possession of her no longer seemed to me a treasure in exchange for which we are prepared to sacrifice every other. For we should have done so only to rid ourselves of a grief, an anxiety which were now appeased. We have succeeded in jumping through the calico hoop through which we thought for a moment that we should never be able to pass. We have lightened the storm, brought back the serenity of the smile. The agonising mystery of a hatred without any known cause, and perhaps without end, is dispelled. Henceforward we find ourselves once more face to face with the problem, momentarily thrust aside, of a happiness which we know to be impossible. Now that life with Albertine had become possible once again, I felt that I could derive nothing from it but misery, since she did not love me; better to part from her in the pleasant moment of her consent which I should prolong in memory. Yes, this was the moment; I must make quite certain of the date on which Andrée was leaving Paris, use all my influence with Mme. Bon temps to make sure that at that moment Albertine should not be able to go either to Holland or to Montjouvain. It would fall to our lot, were we better able to analyse our loves, to see that often women rise in our estimation only because of the dead weight of men with whom we have to compete for them, although we can hardly bear the thought of that competition; the counterpoise removed, the charm of the woman declines. We have a painful and salutary example of this in the predilection that men feel for the women who, before coming to know them, have gone astray, for those women whom they feel to be sinking in perilous quicksands and whom they must spend the whole period of their love in rescuing; a posthumous example, on the other hand, and one that is not at all dramatic, in the man who, conscious of a decline in his affection for the woman whom he loves, spontaneously applies the rules that he has deduced, and, to make sure of his not ceasing to love the woman, places her in a dangerous environment from which he is obliged to protect her daily. (The opposite of the men who insist upon a woman′s retiring from the stage even when it was because of her being upon the stage that they fell in love with her.)
Quand ainsi le départ d′Albertine n′aurait plus d′inconvénients, il faudrait choisir un jour de beau temps comme celui-ci — il allait y en avoir beaucoup — où elle me serait indifférente, où je serais tenté de mille désirs ; il faudrait la laisser sortir sans la voir, puis me levant, me préparant vite, lui laisser un mot, en profitant de ce que, comme elle ne pourrait à cette époque aller en nul lieu qui m′agitât, je pourrais réussir, en voyage, à ne pas me représenter les actions mauvaises qu′elle pourrait faire — et qui me semblaient en ce moment bien indifférentes, du reste — et, sans l′avoir revue, partir pour Venise. When in this way there could be no objection to Albertine′s departure, I should have to choose a fine day like this — and there would be plenty of them before long — one on which she would have ceased to matter to me, on which I should be tempted by countless desires, I should have to let her leave the house without my seeing her, then, rising from my bed, making all my preparations in haste, leave a note for her, taking advantage of the fact that as she could not for the time being go to any place the thought of which would upset me, I might be spared, during my travels, from imagining the wicked things that she was perhaps doing — which for that matter seemed to me at the moment to be quite unimportant — and, without seeing her again, might leave for Venice.
Je sonnai Françoise pour lui demander de m′acheter un guide et un indicateur, comme j′avais fait enfant, quand j′avais voulu déjà préparer un voyage à Venise, réalisation d′un désir aussi violent que celui que j′avais en ce moment ; j′oubliais que, depuis, il en était un que j′avais atteint, sans aucun plaisir, le désir de Balbec, et que Venise, étant aussi un phénomène visible, ne pourrait probablement, pas plus que Balbec, réaliser un rêve ineffable, celui du temps gothique, actualisé d′une mer printanière, et qui venait d′instant en instant frôler mon esprit d′une image enchantée, caressante, insaisissable, mystérieuse et confuse. Françoise, ayant entendu mon coup de sonnette, entra, assez inquiète de la façon dont je prendrais ses paroles et sa conduite. « J′étais bien ennuyée, me dit-elle, que Monsieur sonne si tard aujourd′hui. Je ne savais pas ce que je devais faire. Ce matin, à huit heures, Mlle Albertine m′a demandé ses malles, j′osais pas y refuser, j′avais peur que Monsieur me dispute si je venais l′éveiller. J′ai eu beau la catéchismer, lui dire d′attendre une heure parce que je pensais toujours que Monsieur allait sonner ; elle n′a pas voulu, elle m′a laissé cette lettre pour Monsieur, et à neuf heures elle est partie. » Alors — tant on peut ignorer ce qu′on a en soi, puisque j′étais persuadé de mon indifférence pour Albertine — mon souffle fut coupé, je tins mon cœur de mes deux mains, brusquement mouillées par une certaine sueur que je n′avais jamais connue depuis la révélation que mon amie m′avait faite dans le petit tram relativement à l′amie de Mlle Vinteuil, sans que je pusse dire autre chose que : « Ah ! très bien, vous avez bien fait naturellement de ne pas m′éveiller, laissez-moi un instant, je vais vous sonner tout à l′heure. » I rang for Françoise to ask her to buy me a guide-book and a timetable, as I had done as a boy, when I wished to prepare in advance a journey to Venice, the realisation of a desire as violent as that which I felt at this moment; I forgot that, in the interval, there was a desire which I had attained, without any satisfaction, the desire for Balbec, and that Venice, being also a visible phenomenon, was probably no more able than Balbec to realise an ineffable dream, that of the gothic age, made actual by a springtime sea, and coming at moments to stir my soul with an enchanted, caressing, unseizable, mysterious, confused image. Françoise having heard my ring came into the room, in considerable uneasiness as to how I would receive what she had to say and what she had done. “It has been most awkward,” she said to me, “that Monsieur is so late in ringing this morning. I didn′t know what I ought to do. This morning at eight o′clock Mademoiselle Albertine asked me for her trunks, I dared not refuse her, I was afraid of Monsieur′s scolding me if I came and waked him. It was no use my putting her through her catechism, telling her to wait an hour because I expected all the time that Monsieur would ring; she wouldn′t have it, she left this letter with me for Monsieur, and at nine o′clock off she went.” Then — so ignorant may we be of what we have within us, since I was convinced of my own indifference to Albertine — my breath was cut short, I gripped my heart in my hands suddenly moistened by a perspiration which I had not known since the revelation that my mistress had made on the little tram with regard to Mlle. Vinteuil′s friend, without my being able to say anything else than: “Ah! Very good, you did quite right not to wake me, leave me now for a little, I shall ring for you presently.”