Jean-Jacques Rousseau
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LIVRE CINQUIEME. |
LIBRO V |
Nous voici parvenus au dernier acte de la jeunesse, mais nous ne sommes pas encore au dénouement. | Ya hemos llegado al último acto de la juventud, pero no estamos aún en el desenlace. |
Il n’est pas bon que l’homme soit seul, Émile est homme ; nous lui avons promis une compagne, il faut la lui donner. Cette compagne est Sophie. En quels lieux est son asile ? où la trouverons-nous ? Pour la trouver, il la faut connaître. Sachons premièrement ce qu’elle est, nous jugerons mieux des lieux qu’elle habite ; et quand nous l’aurons trouvée, encore tout ne sera-t-il pas fait. Puisque notre jeune gentilhomme, dit Locke, est prêt à se marier, il est temps de le laisser auprès de sa maîtresse. Et là-dessus il finit son ouvrage. Pour moi, qui n’ai pas l’honneur d’élever un gentilhomme, je me garderai d’imiter Locke en cela. | No es conveniente que el hombre esté solo. Emilio es hombre, le hemos prometido una compañera y es necesario dársela. Esta compañera es Sofía. ¿:Dónde está su albergue? ¿:En qué lugar la encontraremos? Para encontrarla, es indispensable conocerla. Debemos saber primero lo que es, y luego acertaremos más fácilmente el sitio donde habita, y cuando la encontremos, todavía no estará todo terminado. «Puesto que nuestro gentilhombre está para casarse, es hora ya de que le dejemos con su amada», dice Locke. Y con esto da por terminada su obra. Yo, que no tengo el honor de educar a un gentilhombre, me guardaré de imitar a Locke en ese aspecto. |
SOPHIE, ou la femme |
Sofía o la mujer |
Sophie doit être femme comme Émile est homme, c’est-à-dire avoir tout ce qui convient à la constitution de son espèce et de son sexe pour remplir sa place dans l’ordre physique et moral. Commençons donc par examiner les conformités et les différences de son sexe et du nôtre. | Sofía debe ser mujer como Emilio es hombre, o sea, que debe poseer todo lo que conviene a la constitución de su sexo y su especie con el fin de ocupar el puesto adecuado en el orden físico y moral. Por tanto, comencemos examinando las diferencias y las afinidades entre su sexo y el nuestro. |
En tout ce qui ne tient pas au sexe, la femme est homme : elle a les mêmes organes, les mêmes besoins, les mêmes facultés ; la machine est construite de la même manière, les pièces en sont les mêmes, le jeu de l’une est celui de l’autre, la figure est semblable ; et, sous quelque rapport qu’on les considère, ils ne diffèrent entre eux que du plus au moins. | En lo que no se relaciona con el sexo, la mujer es igual al hombre: tiene los mismos órganos, las mismas necesidades y las mismas facultades; la máquina tiene la misma construcción, son las mismas piezas y actúan de la misma forma; la configuración es parecida, y bajo cualquier aspecto que los consideremos sólo se diferencian entre sí de más a menos. |
En tout ce qui tient au sexe, la femme et l’homme ont partout des rapports et partout des différences : la difficulté de les comparer vient de celle de déterminer dans la constitution de l’un et de l’autre ce qui est du sexe et ce qui n’en est pas. Par l’anatomie comparée, et même à la seule inspection, l’on trouve entre eux des différences générales qui paraissent ne point tenir au sexe ; elles y tiennent pourtant, mais par des liaisons que nous sommes hors d’état d’apercevoir : nous ne savons jusqu’où ces liaisons peuvent s’étendre ; la seule chose que nous savons avec certitude est que tout ce qu’ils ont de commun est de l’espèce, et que tout ce qu’ils ont de différent est du sexe. Sous ce double point de vue, nous trouvons entre eux tant de rapports et tant d’oppositions, que c’est peut-être une des merveilles de la nature d’avoir pu faire deux êtres si semblables en les constituant si différemment. | En lo que se refiere al sexo se hallan siempre relaciones entre la mujer y el hombre, y siempre se encuentran diferencias, y la dificultad de compararles proviene de la de determinar en la constitución de uno y otro lo que es peculiar o no del sexo. Mediante la anatomía comparada y también por lo que está de manifiesto se encuentran diferencias generales entra ellos que, al parecer, no tienen conexión con el sexo; no obstante, lo están, pero por vínculos que no hemos podido distinguir, ignoramos hasta dónde pueden llegar esos vínculos, y lo único que sabemos con seguridad es que todo lo que es común entre ambos pertenece a la especie, y cuando es diferente es propio del sexo. Bajo muchos puntos de vista, hay entre ellos tantas relaciones y oposiciones que tal vez es un milagro de la naturaleza el haber formado dos seres tan semejantes estando constituidos de un modo tan diferente. |
Ces rapports et ces différences doivent influer sur le moral ; cette conséquence est sensible, conforme à l’expérience, et montre la vanité des disputes sur la préférence ou l’égalité des sexes : comme si chacun des deux, allant aux fins de la nature selon sa destination particulière, n’était pas plus parfait en cela que s’il ressemblait davantage à l’autre ! En ce qu’ils ont de commun ils sont égaux ; en ce qu’ils ont de différent ils ne sont pas comparables. Une femme parfaite et un homme parfait ne doivent pas plus se ressembler d’esprit que de visage, et la perfection n’est pas susceptible de plus et de moins. | Estas relaciones y diferencias deben ejercer influencia en lo moral. Consecuencia palpable, conforme a la experiencia, y que pone de manifiesto la vanidad de las disputas acerca de la preeminencia o igualdad de los sexos, como si encaminándose cada uno al fin de la naturaleza según su peculiar destino, no fuera en esto más perfecto que si fuera más parecido al otro. En lo que existe de común entre ellos, son iguales, pero en lo diferente no son comparables. Se deben parecer tan poco un hombre y una mujer perfectos en el entendimiento como en el rostro. |
Dans l’union des sexes chacun concourt également à l’objet commun, mais non pas de la même manière. De cette diversité naît la première différence assignable entre les rapports moraux de l’un et de l’autre. L’un doit être actif et fort, l’autre passif et faible : il faut nécessairement que l’un veuille et puisse, il suffit que l’autre résiste peu. | En la unión de los sexos, concurre cada uno por igual al fin común, pero no de la misma forma; de esta diversidad surge la primera diferencia notable entre las relaciones morales de uno y otro. El uno debe ser activo y fuerte, y el otro pasivo y débil. Es indispensable que el uno quiera y pueda, y es suficiente con que el otro oponga poca resistencia. |
Ce principe établi, il s’ensuit que la femme est faite spécialement pour plaire à l’homme. Si l’homme doit lui plaire à son tour, c’est d’une nécessité moins directe : son mérite est dans sa puissance ; il plaît par cela seul qu’il est fort. Ce n’est pas ici la loi de l’amour, j’en conviens ; mais c’est celle de la nature, antérieure à l’amour même. | Establecido este principio, se deduce que el destino especial de la mujer consiste en agradar al hombre. Si recíprocamente el hombre debe agradarle a ella, es una necesidad menos directa; el mérito del varón consiste en su poder, y sólo por ser fuerte agrada. Convengo en que ésta no es la ley del amor, pero es la ley de la naturaleza, más antigua que el amor mismo. |
Si la femme est faite pour plaire et pour être subjuguée, elle doit se rendre agréable à l’homme au lieu de le provoquer ; sa violence à elle est dans ses charmes ; c’est par eux qu’elle doit le contraindre à trouver sa force et à en user. L’art le plus sûr d’animer cette force est de la rendre nécessaire par la résistance. Alors l’amour-propre se joint au désir, et l’un triomphe de la victoire que l’autre lui fait remporter. De là naissent l’attaque et la défense, l’audace d’un sexe et la timidité de l’autre, enfin la modestie et la honte dont la nature arma le faible pour asservir le fort. | Si el destino de la mujer es agradar y ser subyugada, se debe hacer agradable al hombre en vez de incitarle; en sus atractivos se funda su violencia, por ello es preciso que encuentre y, haga uso de su fuerza. El arte más seguro de animar esta fuerza es hacerla necesaria con la resistencia. Uniéndose entonces el amor propio con el deseo, triunfa el uno de la victoria que el otro le deja alcanzar. De ahí el acometimiento y la defensa, la osadía de un sexo y el encogimiento del otro, la modestia y la vergüenza con que la naturaleza armó al débil para que esclavizase al fuerte. |
Qui est-ce qui peut penser qu’elle ait prescrit indifféremment les mêmes avances aux uns et aux autres, et que le premier à former des désirs doive être aussi le premier à les témoigner ? Quelle étrange dépravation de jugement ! L’entreprise ayant des conséquences si différentes pour les deux sexes, est-il naturel qu’ils aient la même audace à s’y livrer ? Comment ne voit-on pas qu’avec une si grande inégalité dans la mise commune, si la réserve n’imposait à l’un la modération que la nature impose à l’autre, il en résulterait bientôt la ruine de tous deux, et que le genre humain périrait par les moyens établis pour le conserver ? Avec la facilité qu’ont les femmes d’émouvoir les sens des hommes, et d’aller réveiller au fond de leurs cœurs les restes d’un tempérament presque éteint, s’il était quelque malheureux climat sur la terre où la philosophie eût introduit cet usage, surtout dans les pays chauds, où il naît plus de femmes que d’hommes, tyrannisés par elles, ils seraient enfin leurs victimes, et se verraient tous traîner à la mort sans qu’ils pussent jamais s’en défendre. | ¿:Quién pudo pensar que la naturaleza había prescrito las mismas provocaciones al uno y al otro, y que el primero que sintiese deseos también fuera el primero que los manifestase? ¡Qué extraña depravación de juicio! Si la empresa trae tan distintas consecuencias para los dos sexos, ¿:es natural que la acometan con la misma osadía? ¿:Quién no se da cuenta de que existiendo tal desigualdad en la puesta común, si el recato no impusiera la moderación a uno, que al otro le impone la naturaleza, en breve resultaría la ruina de los dos y perecería el linaje humano por los mismos medios que para su conservación fueron establecidos? Con la facilidad que tienen las mujeres para inflamar los sentidos de los hombres y encender en el interior de su corazón las chispas de un temperamento casi apagado, si hubiese algún malhadado clima en la tierra donde la filosofía hubiera introducido esta práctica, especialmente en los países cálidos, donde nacen más mujeres que hombres, tiranizados ellos por ellas, al fin serían sus víctimas y todos se verían arrastrados a la muerte sin poderse defender nunca. |
Si les femelles des animaux n’ont pas la même honte, que s’ensuit-il ? Ont-elles, comme les femmes, les désirs illimités auxquels cette honte sert de frein ? Le désir ne vient pour elles qu’avec le besoin ; le besoin satisfait, le désir cesse ; elles ne repoussent plus le mâle par feinte [1], mais tout de bon : elles font tout le contraire de ce que faisait la fille d’Auguste ; elles ne reçoivent plus de passagers quand le navire a sa cargaison. Même quand elles sont libres, leurs temps de bonne volonté sont courts et bientôt passés ; l’instinct les pousse et l’instinct les arrête. Où sera le supplément de cet instinct négatif dans les femmes, quand vous leur aurez ôté la pudeur ? Attendre qu’elles ne se soucient plus des hommes, c’est attendre qu’ils ne soient plus bons à rien. | Si las hembras de los animales no tienen la misma vergüenza, ¿:qué se deduce de esto? ¿:Tal vez tienen, como las mujeres, los deseos sin límites a que esta vergüenza sirve de freno? Los deseos son fruto de la necesidad, y una vez satisfecho el deseo, cesa; no repelen al macho por fingimiento [1] , sino de verdad, y hacen todo lo contrario de lo que hacía la hija de Augusto, y cuando ha cargado el navío, no admiten más pasajeros. Aun cuando están libres, sus épocas de buena voluntad son cortas y efímeras, el instinto las impele y el instinto las detiene. ¿:Cuál será en las mujeres el suplemento de este instinto negativo, si les quitáis el pudor? Esperar que ellas no se cuiden de los hombres es lo mismo que esperar que ellos no sirvan para nada. |
L’Être suprême a voulu faire en tout honneur à l’espèce humaine : en donnant à l’homme des penchants sans mesure, il lui donne en même temps la loi qui les règle, afin qu’il soit libre et se commande à lui-même ; en le livrant à des passions immodérées, il joint à ces passions la raison pour les gouverner ; en livrant la femme à des désirs illimités, il joint à ces désirs la pudeur pour les contenir. Pour surcroît, il ajoute encore une récompense actuelle au bon usage de ses facultés, savoir le goût qu’on prend aux choses honnêtes lorsqu’on en fait la règle de ses actions. Tout cela vaut bien, ce me semble, l’instinct des bêtes. | El Ser supremo quiso en todo honrar a la especie humana, y si da desmedidas inclinaciones al hombre al mismo tiempo le da la ley que regula, para que sea libre y mande en sí mismo; s1 le deja abandonado a pasiones inmoderadas, con estas pasiones junta la razón para que las rija; si abandona a deseos sin límites la mujer, con estos deseos une el pudor que los contiene, y para cúmulo añade una actual recompensa al buen uso de sus facultades, es decir, el gusto que toma por las cosas honestas quien las hace norma de sus acciones. Esto va bien, creo yo, al instinto de las bestias. |
Soit donc que la femelle de l’homme partage ou non ses désirs et veuille ou non les satisfaire, elle le repousse et se défend toujours, mais non pas toujours avec la même force, ni par conséquent avec le même succès. Pour que l’attaquant soit victorieux, il faut que l’attaqué le permette ou l’ordonne ; car que de moyens adroits n’a-t-il pas pour forcer l’agresseur d’user de force ! Le plus libre et le plus doux de tous les actes n’admet point de violence réelle, la nature et la raison s’y opposent : la nature, en ce qu’elle a pourvu le plus faible d’autant de force qu’il en faut pour résister quand il lui plaît ; la raison, en ce qu’une violence réelle est non seulement le plus brutal de tous les actes, mais le plus contraire à sa fin, soit parce que l’homme déclare ainsi la guerre à sa compagne, et l’autorise à défendre sa personne et sa liberté aux dépens même de la vie de l’agresseur, soit parce que la femme seule est juge de l’état où elle se trouve, et qu’un enfant n’aurait point de père si tout homme en pouvait usurper les droits. | Entonces, lo mismo si participa o no la mujer de los deseos del hombre y quiera o no satisfacerlos, siempre le repele y se defiende, pero no siempre con la misma fuerza, ni, por consiguiente, con el mismo fruto. Para que la victoria sea del acometedor precisa que lo permita o lo mande al acometido, porque, ¿:cuántos medios no tiene para forzar al agresor a que haga uso de sus fuerzas? El más libre y el más suave de todos los actos no admite violencia real, puesto que se oponen la naturaleza y la razón; la primera, habiendo otorgado al más débil la fuerza suficiente para resistir cuando le plazca; la segunda, porque una verdadera violencia no sólo constituye el acto más bárbaro, sino también el más diametralmente opuesto al fin, ya sea porque de esta forma el hombre declara la guerra a su compañera, autorizándola a que defienda su persona y su libertad, aunque sea a costa de la vida del agresor, o porque solamente la mujer es juez del estado en que se encuentra, y porque los niños carecerían de padre si todo varón pudiese usurpar los derechos. |
Voici donc une troisième conséquence de la constitution des sexes, c’est que le plus fort soit le maître en apparence, et dépende en effet du plus faible ; et cela non par un frivole usage de galanterie, ni par une orgueilleuse générosité de protecteur, mais par une invariable loi de la nature, qui, donnant à la femme plus de facilité d’exciter les désirs qu’à l’homme de les satisfaire, fait dépendre celui-ci, malgré qu’il en ait, du bon plaisir de l’autre, et le contraint de chercher à son tour à lui plaire pour obtenir qu’elle consente à le laisser être le plus fort. Alors ce qu’il y a de plus doux pour l’homme dans sa victoire est de douter si c’est la faiblesse qui cède à la force, ou si c’est la volonté qui se rend ; et la ruse ordinaire de la femme est de laisser toujours ce doute entre elle et lui. L’esprit des femmes répond en ceci parfaitement à leur constitution : loin de rougir de leur faiblesse, elles en font gloire : leurs tendres muscles sont sans résistance : elles affectent de ne pouvoir soulever les plus légers fardeaux ; elles auraient honte d’être fortes. Pourquoi cela ? Ce n’est pas seulement pour paraître délicates, c’est par une précaution plus adroite ; elles se ménagent de loin des excuses et le droit d’être faibles au besoin. | Observad aquí una tercera consecuencia de la constitución de los sexos, y es que el más fuerte aparentemente es el dueño, cuando en realidad depende del más débil, y esto sucede así, no por un frívolo galanteo, ni por una altiva generosidad del protector, sino por una invariable ley de la naturaleza, que ofreciendo a la mujer mayores facilidades para excitar sus deseos que al hombre para que los satisfaga, le subordina a él, mal de su grado a la buena voluntad de ella, y necesita serle agradable para que ella consienta en dejarle que sea el más fuerte. Luego, lo que más complace al hombre en su victoria es dudar si la flaqueza es la que cede a la fuerza o si es la voluntad lo que se rinde, y la común astucia de la mujer es dejar que subsista esta viuda entre él y ella. En esto corresponde perfectamente el espíritu de las mujeres a su constitución, pues lejos de sonrojarse de su debilidad, presumen de ella; aparentan que no pueden alzar del suelo ni los más ligeros pesos y las avergonzaría ser fuertes. ¿:Por qué obran de este modo? No sólo por parecer delicadas, sino por una precaución más astuta: desde muy lejos buscan disculpas y el derecho de ser débiles cuando lo crean necesario. |
Le progrès des lumières acquises par nos vices a beaucoup changé sur ce point les anciennes opinions parmi nous, et l’on ne parle plus guère de violences depuis qu’elles sont si peu nécessaires et que les hommes n’y croient plus [2] ; au lieu qu’elles sont très communes dans les hautes antiquités grecques et juives, parce que ces mêmes opinions sont dans la simplicité de la nature, et que la seule expérience du libertinage a pu les déraciner. Si l’on cite de nos jours moins d’actes de violence, ce n’est sûrement pas que les hommes soient plus tempérants, mais c’est qu’ils ont moins de crédulité, et que telle plainte, qui jadis eût persuadé des peuples simples, ne ferait de nos jours qu’attirer les ris des moqueurs ; on gagne davantage à se taire. Il y a dans le Deutéronome une loi par laquelle une fille abusée était punie avec le séducteur, si le délit avait été commis dans la ville ; mais s’il avait été commis à la campagne ou dans des lieux écartés, l’homme seul était puni ; Car, dit la loi, la fille a crié et n’a point été entendue. Cette bénigne interprétation apprenait aux filles à ne pas se laisser surprendre en des lieux fréquentés. | El progreso de las luces adquiridas con nuestros vicios ha cambiado mucho en este punto entre nosotros las antiguas opiniones, y ya no se habla de violencias desde que son tan poco necesarias, y los hombres ya no creen en su eficacia [2] , pero en las remotas antigüedades griegas y judaicas eran muy frecuentes, debido a que estas opiniones son propias de la sencillez de la naturaleza, y sólo la experiencia de lo pervertido de las costumbres ha podido desarraigarlas. Si en los tiempos actuales se registran menos actos de violencia, no es porque los hombres sean más templados, sino porque son menos crédulos, y porque una lamentación que antiguamente hubiera persuadido a pueblos sencillos hoy no haría otra cosa que provocar la risa de los burlones, de forma que se gana más con callarse. En el Deuteronomío hay una ley en virtud de la cual la soltera de quien habían abusado era castigada junto con el seductor si el delito se había cometido dentro del pueblo, pero si se había cometido en el campo o en parajes solitarios, únicamente era castigado el hombre, porque, dice la ley, ala doncella gritó, pero no la oyeron». Esta interpretación tan benigna enseñaba a las doncellas a no dejarse sorprender en parajes frecuentados. |
L’effet de ces diversités d’opinions sur les mœurs est sensible. La galanterie moderne en est l’ouvrage. Les hommes, trouvant que leurs plaisirs dépendaient plus de la volonté du beau sexe qu’ils n’avaient cru, ont captivé cette volonté par des complaisances dont il les a bien dédommagés. | El efecto de estas diversas opiniones se hace sensible en las costumbres; la galantería moderna es consecuencia de ellas. Convencidos los hombres de que sus gustos dependían más de la voluntad del bello sexo de lo que habían creído, han cautivado esta voluntad por medio de condescendencias que ha remunerado con usura. |
Voyez comment le physique nous amène insensiblement au moral, et comment de la grossière union des sexes naissent peu à peu les plus douces lois de l’amour. L’empire des femmes n’est point à elles parce que les hommes l’ont voulu, mais parce que ainsi le veut la nature : il était à elles avant qu’elles parussent l’avoir. Ce même Hercule, qui crut faire violence aux cinquante filles de Thespius, fut pourtant contraint de filer près d’Omphale ; et le fort Samson n’était pas si fort que Dalila. Cet empire est aux femmes, et ne peut leur être ôté, même quand elles en abusent : si jamais elles pouvaient le perdre, il y a longtemps qu’elles l’auraient perdu. | Obsérvese cómo lo físico nos lleva de un modo insensible a lo moral, y cómo de la tosca unión de los dos sexos nacen paulatinamente las leyes del amor. El imperio no es de las mujeres por la voluntad de los hombres, sino porque la naturaleza así lo tiene ordenado, y antes de que pareciese que les pertenecía, ya era suyo. El mismo Hércules, que creyó violentar a las cincuenta hijas de Tespio, vióse precisado a hilar ante Onfilia, y el fuerte Sansón no era tan fuerte como Dalila. Este imperio pertenece a las mujeres, y no se les puede quitar, aunque abusen de él, pues si pudieran perderlo hace ya tiempo que lo habrían perdido. |
Il n’y a nulle parité entre les deux sexes quant à la conséquence du sexe. Le mâle n’est mâle qu’en certains instants, la femelle est femelle toute sa vie, ou du moins toute sa jeunesse ; tout la rappelle sans cesse à son sexe, et, pour en bien remplir les fonctions, il lui faut une constitution qui s’y rapporte. Il lui faut du ménagement durant sa grossesse ; il lui faut du repos dans ses couches ; il lui faut une vie molle et sédentaire pour allaiter ses enfants ; il lui faut, pour les élever, de la patience et de la douceur, un zèle, une affection que rien ne rebute ; elle sert de liaison entre eux et leur père, elle seule les lui fait aimer et lui donne la confiance de les appeler siens. Que de tendresse et de soin ne lui faut-il point pour maintenir dans l’union toute la famille ! Et enfin tout cela ne doit pas être des vertus, mais des goûts, sans quoi l’espèce humaine serait bientôt éteinte. | No existe ninguna equivalencia entre ambos sexos en lo que es consecuencia del sexo. El varón es varón en algunos instantes; la hembra es hembra durante toda su vida, o por lo menos durante toda su juventud, todo la atrae hacia su sexo, y para desempeñar bien sus funciones precisa de una constitución que se refiera a él. Durante su embarazo necesita cuidarse, y cuando ha alumbrado precisa sosiego; le conviene una vida fácil y sedentaria para amamantar a sus hijos, debe tener mucha paciencia para educarlos y un celo y un cariño inagotables; es el vínculo entre los hijos y el padre; ella se los hace amar y le inspira confianza para que los llame suyos. ¡Cuánta ternura y solicitudes necesita para mantener unida toda la familia! Por último, nada de esto debe ser en ella virtud, sino placer, sin lo cual el linaje humano pronto se extinguiría. |
La rigidité des devoirs relatifs des deux sexes n’est ni ne peut être la même. Quand la femme se plaint là-dessus de l’injuste inégalité qu’y met l’homme, elle a tort ; cette inégalité n’est point une institution humaine, ou du moins elle n’est point l’ouvrage du préjugé, mais de la raison : c’est à celui des deux que la nature a chargé du dépôt des enfants d’en répondre à l’autre. Sans doute il n’est permis à personne de violer sa foi, et tout mari infidèle qui prive sa femme du seul prix des austères devoirs de son sexe est un homme injuste et barbare ; mais la femme infidèle fait plus, elle dissout la famille et brise tous les liens de la nature ; en donnant à l’homme des enfants qui ne sont pas à lui, elle trahit les uns et les autres, elle joint la perfidie à l’infidélité. J’ai peine à voir quel désordre et quel crime ne tient pas à celui-là. S’il est un état affreux au monde, c’est celui d’un malheureux père qui, sans confiance en sa femme, n’ose se livrer aux plus doux sentiments de son cœur, qui doute, en embrassant son enfant, s’il n’embrasse point l’enfant d’un autre, le gage de son déshonneur, le ravisseur du bien de ses propres enfants. Qu’est-ce alors que la famille, si ce n’est une société d’ennemis secrets qu’une femme coupable arme l’un contre l’autre, en les forçant de feindre de s’entr’aimer ? | La rigidez de los deberes relativos de ambos sexos no es ni puede ser la misma, y cuando en esta parte las mujeres se quejan de la desigualdad que han establecido los hombres, no tienen razón; aquel de los dos a quien la naturaleza confió el depósito de los hijos, le corresponde responder de ellos al otro. No cabe duda alguna de que no le es permitido a nadie violar su fe, y todo marido infiel que priva a su mujer de la única recompensa de las austeras obligaciones de su sexo es un inhumano y un injusto, pero la mujer infiel aún hace más, pues disuelve la familia y quebranta todos los vínculos de la naturaleza, pues al dar al hombre hijos que no son de él, traiciona a unos y a otros, y de esta forma junta la perfidia con la infidelidad. Casi no veo ningún desorden ni delito que no dependa de esto. Si existe en el mundo un estado de verdadero horror, es el del padre desventurado que, habiendo perdido la confianza en su mujer, no se atreve a entregarse a los más dulces afectos de su corazón, que al estrechar a su hijo entre sus brazos, duda si tiene en ellos al hijo ajeno, la prenda de su afrenta, al ladrón del caudal de sus verdaderos hijos. ¿:Qué otra cosa es, pues, la familia, sino una compañía de secretos enemigos que arma unos contra otros una culpable mujer, forzándolos a fingir que se quieren? |
Il n’importe donc pas seulement que la femme soit fidèle, mais qu’elle soit jugée telle par son mari, par ses proches, par tout le monde ; il importe qu’elle soit modeste, attentive, réservée, et qu’elle porte aux yeux d’autrui, comme en sa propre conscience, le témoignage de sa vertu. Enfin s’il importe qu’un père aime ses enfants, il importe qu’il estime leur mère. Telles sont les raisons qui mettent l’apparence même au nombre des devoirs des femmes, et leur rendent l’honneur et la réputation non moins indispensables que la chasteté. De ces principes dérive, avec la différence morale des sexes, un motif nouveau de devoir et de convenance, qui prescrit spécialement aux femmes l’attention la plus scrupuleuse sur leur conduite, sur leurs manières, sur leur maintien. Soutenir vaguement que les deux sexes sont égaux, et que leurs devoir sont les mêmes, c’est se perdre en déclamations vaines, c’est ne rien dire tant qu’on ne répondra pas à cela. | No importa que únicamente sea fiel la mujer, sino que su marido la tenga por tal, sus parientes y todo el mundo; importa que sea modesta, recatada, atenta y que los extraños, no menos que su propia conciencia, den testimonio de su virtud. En una palabra, si es muy importante que el padre ame a sus hijos, también lo es que ame a la madre de sus hijos. Estas son las razones que constituyen la apariencia misma como una obligación de las mujeres, siéndoles la honra y la reputación no menos indispensables que la castidad. De estos principios, con la diferencia moral de los sexos, proviene un nuevo motivo de obligación y decoro que exige especialmente a las mujeres velar con la mayor escrupulosidad su conducta y sus maneras. El sostener de una forma vaga que son iguales los dos sexos, y que poseen unas mismas obligaciones, es perderse a manifestaciones vanas, sin decir nada que no se pueda rechazar. |
N’est-ce pas une manière de raisonner bien solide, de donner des exceptions pour réponse à des lois générales aussi bien fondées ? Les femmes, dites-vous, ne font pas toujours des enfants ! Non, mais leur destination propre est d’en faire. Quoi ! parce qu’il y a dans l’univers une centaine de grandes villes où les femmes, vivant dans la licence, font peu d’enfants, vous prétendez que l’état des femmes est d’en faire peu ! Et que deviendraient vos villes, si les campagnes éloignées, ou les femmes vivent plus simplement et plus chastement, ne réparaient la stérilité des dames ? Dans combien de provinces les femmes qui n’ont fait que quatre ou cinq enfants passent pour peu [3] ! Enfin, que telle ou telle femme fasse peu d’enfants, qu’importe ? L’état de la femme est-il moins d’être mère ? et n’est-ce pas par des lois générales que la nature et les mœurs doivent pourvoir à cet état ? | Responder con excepciones a leyes generales tan bien fundadas, ¿:es una manera sólida de razonar? Vosotros decís que no están siempre embarazadas las mujeres. No, pero su destino es estarlo. Porque hay en el universo un centenar de ciudades populosas donde viviendo las mujeres de forma licenciosa paren poco, ¿:tenéis la pretensión de que el estado de las mujeres consiste en que queden raramente embarazadas? ¿:Adónde irían a parar vuestras ciudades si las aldeas, donde viven con más sencillez las mujeres y también con mayor castidad, no reparasen la esterilidad de las damas? ¿:En cuántas provincias son tenidas como poco fecundas las mujeres que sólo han tenido cuatro o cinco partos? [3] . En fin, que esta o aquella mujer tenga pocos, ¿:qué importa? ¿:Por eso deja de ser el estado propio de la mujer el de ser madre? ¿:Y no deben afianzar este estado con leyes generales las costumbres y la naturaleza? |
Quand il y aurait entre les grossesses d’aussi longs intervalles qu’on le suppose, une femme changera-t-elle ainsi brusquement et alternativement de manière de vivre sans péril et sans risque ? Sera-t-elle aujourd’hui nourrice et demain guerrière ? Changera-t-elle de tempérament et de goûts comme un caméléon de couleurs ? Passera-t-elle tout à coup de l’ombre de la clôture et des soins domestiques aux injures de l’air, aux travaux, aux fatigues, aux périls de la guerre ? Sera-t-elle tantôt craintive [4] et tantôt brave, tantôt délicate et tantôt robuste ? Si les jeunes gens élevés dans Paris ont peine à supporter le métier des armes, des femmes qui n’ont jamais affronté le soleil, et qui savent à peine marcher, le supporteront-elles après cinquante ans de mollesse ? Prendront-elles ce dur métier à l’âge où les hommes le quittent ? | Aun cuando hubiese entre los embarazos tan largos intervalos como se supone, ¿:cambiaría por eso una mujer brusca y alternativamente su manera de vivir, sin correr peligro? ¿:Será hoy nodriza y mañana guerrera? ¿:Variará de temperamento y gustos, como de colores un camaleón? ¿:Pasará repentinamente de la sombra de su techo y sus tareas domésticas a la intemperie del aire, a las faenas, a las fatigas, a los peligros de la guerra? ¿:Será unas veces tímida [4] y otras animosa, unas delicada y otras robusta? Si los jóvenes educados en las grandes ciudades realizan con tantas dificultades los ejercicios de las armas, las mujeres que jamás han arrostrado el sol y que apenas saben andar, ¿:se acostumbrarán a él después de cincuenta años de molicie? ¿:Tomarán este duro ejercicio a la edad en que lo dejan los hombres? |
Il y a des pays où les femmes accouchent presque sans peine et nourrissent leurs enfants presque sans soin ; j’en conviens : mais dans ces mêmes pays les hommes vont demi-nus en tout temps, terrassent les bêtes féroces, portent un canot comme un havresac, font des chasses de sept ou huit cent lieues, dorment à l’air à plate terre, supportent des fatigues incroyables, et passent plusieurs jours sans manger. Quand les femmes deviennent robustes, les hommes le deviennent encore plus ; quand les hommes s’amollissent, les femmes s’amollissent davantage ; quand les deux termes changent également, la différence reste la même. | Hay países en los cuales las mujeres alumbran casi sin dolor y crían a sus hijos con un esfuerzo mínimo, y lo admito, pero en esos mismos países, los hombres andan en todo tiempo casi desnudos, luchan a brazo partido con las fieras, llevan un bote al hombro, como unas alforjas, hacen cacerías de setecientas a ochocientas leguas, duermen al sereno en el suelo, aguantan increíbles fatigas y pasan muchos días sin comer. Cuando las mujeres se robustecen, todavía se robustecen más los hombres, y cuando los hombres se apoltronan, igual se apoltronan las mujeres, cuando los dos términos varían, la diferencia sigue siendo la misma. |
Platon, dans sa République, donne aux femmes les mêmes exercices qu’aux hommes ; je le crois bien. Ayant ôté de son gouvernement les familles particulières, et ne sachant plus que faire des femmes, il se vit forcé de les faire hommes. Ce beau génie avait tout combiné, tout prévu : il allait au-devant d’une objection que personne peut-être n’eût songé à lui faire ; mais il a mal résolu celle qu’on lui fait. Je ne parle point de cette prétendue communauté de femmes, dont le reproche tant répété prouve que ceux qui le lui font ne l’ont jamais lu ; je parle de cette promiscuité civile qui confond partout les deux sexes dans les mêmes emplois, dans les mêmes travaux, et ne peut manquer d’engendrer les plus intolérables abus ; je parle de cette subversion des plus doux sentiments de la nature, immolés à un sentiment artificiel qui ne peut subsister que par eux : comme s’il ne fallait pas une prise naturelle pour former des liens de convention ! comme si l’amour qu’on a pour ses proches n’était pas le principe de celui qu’on doit à l’Etat ! comme si ce n’était pas par la petite patrie, qui est la famille, que le cœur s’attache à la grande ! comme si ce n’était pas le bon fils, le bon mari, le bon père, qui font le bon citoyen ! | Platón, en su República, señala a las mujeres los mismos ejercicios que a los hombres, y me parece bien. Al quitar de su gobierno las familias particulares, no sabiendo qué hacer con las mujeres, se vio obligado a hacerlas hombres. Ese singular ingenio todo lo había previsto y combinado; de antemano resolvía una objeción que tal vez nadie hubiera pensado hacerle, pero resuelve mal la que le hacen. No me refiero a aquella pretendida comunidad de mujeres, acusación tan repetida y que los que se la hacen demuestran que no le han leído; yo hablo de esa promiscuidad civil que en todas partes confunde los dos sexos en los mismos empleos, en las mismas tareas, lo que tiene que engendrar los más intolerables abusos; hablo de esa subversión de los más tiernos sentimientos de la naturaleza, inmolados a un sentimiento artificial que no puede subsistir, como si no fuera indispensable alguna base natural para formar vínculos de convención, como si el amor que tenemos a nuestros familiares no fuese el principio del que debemos al Estado, como si no fuera por la pequeña patria, que es la familia, por donde se une el corazón a la grande, como si no fueran el buen hijo, el buen padre y el buen esposo los que forman el buen ciudadano. |
Dès qu’une fois il est démontré que l’homme et la femme ne sont ni ne doivent être constitués de même, de caractère ni de tempérament, il s’ensuit qu’ils ne doivent pas avoir la même éducation. En suivant les directions de la nature, ils doivent agir de concert, mais ils ne doivent pas faire les mêmes choses ; la fin des travaux est commune, mais les travaux sont différents, et par conséquent les goûts qui les dirigent. Après avoir tâché de former l’homme naturel, pour ne pas laisser imparfait notre ouvrage, voyons comment doit se former aussi la femme qui convient à cet homme. | Demostrado que ni el hombre ni la mujer están ni deben estar constituidos del mismo modo en lo que respecta al carácter y al temperamento, se infiere que no se les debe dar la misma educación. Siguiendo las directrices de la naturaleza, deben obrar acordes, pero no deben hacer las mismas cosas; el fin de sus tareas es común, pero son diferentes, y, por consiguiente, los gustos que las dirigen. Habiendo procurado formar el hombre natural, por no dejar la obra imperfecta, veamos también cómo debe formarse la mujer para que le convenga al hombre. |
Voulez-vous toujours être bien guidé, suivez toujours les indications de la nature. Tout ce qui caractérise le sexe doit être respecté comme établi par elle. Vous dites sans cesse : les femmes ont tel et tel défaut que nous n’avons pas. Votre orgueil vous trompe ; ce seraient des défauts pour vous, ce sont des qualités pour elles ; tout irait moins bien si elles ne les avaient pas. Empêchez ces prétendus défauts de dégénérer, mais gardez-vous de les détruire. | ¿:Queréis estar siempre bien dirigidos? Pues no os apartéis nunca de las indicaciones de la naturaleza. Se debe respetar todo lo que caracteriza al sexo, tal como ella lo ha establecido. Continuamente decís: las mujeres tienen este o aquel defecto que nosotros no tenemos. Os engaña vuestra soberbia; en vosotros serían defectos, en ellas son cualidades, y todo iría peor si no los tuviesen. Procurad evitar que estos pretendidos defectos degeneren, pero guardaos de destruirlos. |
Les femmes, de leur côté, ne cessent de crier que nous les élevons pour être vaines et coquettes, que nous les amusons sans cesse à des puérilités pour rester plus facilement les maîtres ; elles s’en prennent à nous des défauts que nous leur reprochons. Quelle folie ! Et depuis quand sont-ce les hommes qui se mêlent de l’éducation des filles ? Qui est-ce qui empêche les mères de les élever comme il leur plaît ? Elles n’ont point de collèges : grand malheur ! Eh ! plût à Dieu qu’il n’y en eût point pour les garçons ! ils seraient plus sensément et plus honnêtement élevés. Force-t-on vos filles à perdre leur temps en niaiseries ? Leur fait-on malgré elles passer la moitié de leur vie à leur toilette, à votre exemple ? Vous empêche-t-on de les instruire et faire instruire à votre gré ? Est-ce notre faute si elles nous plaisent quand elles sont belles, si leurs minauderies nous séduisent, si l’art qu’elles apprennent de vous nous attire et nous flatte, si nous aimons à les voir mises avec goût, si nous leur laissons affiler à loisir les armes dont elles nous subjuguent ? Eh ! prenez le parti de les élever comme des hommes ; ils y consentiront de bon cœur. Plus elles voudront leur ressembler, moins elles les gouverneront, et c’est alors qu’ils seront vraiment les maîtres. | Por su parte, las mujeres no dejan de clamar que las educamos para la vanidad y la coquetería, que las divertimos continuamente con niñerías para ser los amos con más facilidad, y se duelen de los defectos que les reprochamos. ¡Qué locura! ¿:Desde cuándo los hombres se meten en la educación de las niñas? ¿:Quién pone obstáculos a las madres para que las eduquen a su antojo? No tienen escuelas públicas, ¡qué desdicha! Si los muchachos no las tuviesen, se educarían con más juicio y mayor honestidad. ¿:Necesitan vuestras hijas perder el tiempo en boberías? ¿:Les hacen que contra su voluntad pasen, a ejemplo vuestro, la mitad de su vida en el tocador? ¿:Evitan que las instruyáis y las hagáis instruir como os plazca? Si nos gustan cuando son hermosas, si sus monerías nos seducen, si el arte que aprenden de vosotras nos atrae y nos emboba, si nos complacemos en verlas vestidas con gusto, si les dejamos que afilen a su placer las armas con que nos cautivan, ¿:es culpa nuestra? Resolved educarlas como a hombres, y ellas lo consentirán sin protestar. Cuando más se les quieren parecer, menos los gobernarán, y entonces sí que serán ellos los amos. |
Toutes les facultés communes aux deux sexes ne leur sont pas également partagées ; mais prises en tout, elles se compensent. La femme vaut mieux comme femme et moins comme homme ; partout où elle fait valoir ses droits, elle a l’avantage ; partout où elle veut usurper les nôtres, elle reste au-dessous de nous. On ne peut répondre à cette vérité générale que par des exceptions ; constante manière d’argumenter des galants partisans du beau sexe. | Las cualidades comunes a ambos sexos no las tienen en la misma medida, pero tomadas en conjunto quedan compensadas. La mujer vale más como mujer y menos como hombre, y en aquello en que impone el valor de sus derechos, nos aventaja, y en aquello en que quiere usurpar los nuestros, la ventaja es nuestra. Esta verdad general sólo puede ser rebatida con excepciones, que es a lo que recurren los galanes partidarios del bello sexo. |
Cultiver dans les femmes les qualités de l’homme, et négliger celles qui leur sont propres, c’est donc visiblement travailler à leur préjudice. Les rusées le voient trop bien pour en être les dupes ; en tâchant d’usurper nos avantages, elles n’abandonnent pas les leurs ; mais il arrive de là que, ne pouvant bien ménager les uns et les autres parce qu’ils sont incompatibles, elles restent au-dessous de leur portée sans se mettre à la nôtre, et perdent la moitié de leur prix. Croyez-moi, mère judicieuse, ne faites point de votre fille un honnête homme, comme pour donner un démenti à la nature ; faites-en une honnête femme, et soyez sûre qu’elle en vaudra mieux pour elle et pour nous. | Cultivar en la mujer las cualidades del hombre y descuidar las que les son propias, es trabajar en detrimento suyo. Demasiado lo ven las astutas para dejarse engañar; cuando procuran usurpar nuestras ventajas, no abandonan la suya, pero ocurre que no pudiendo amalgamar bien las unas con las otras, debido a que son incompatibles, no llegan con unas adonde hubieran alcanzado y con las otras no pueden competir con nosotros, perdiendo de esta forma la mitad de su valor. Hacedme caso, madres juiciosas; no hagáis a vuestra hija un hombre de bien, que es desmentir a la naturaleza; hacedla mujer de bien, y así podréis estar segura de que será útil para nosotros y para sí misma. |
S’ensuit-il qu’elle doive être élevée dans l’ignorance de toute chose, et bornée aux seules fonctions du ménage ? L’homme fera-t-il sa servante de sa compagne ? Se privera-t-il auprès d’elle du plus grand charme de la société ? Pour mieux l’asservir l’empêchera-t-il de rien sentir, de rien connaître ? En fera-t-il un véritable automate ? Non, sans doute ; ainsi ne l’a pas dit la nature, qui donne aux femmes un esprit si agréable et si délié ; au contraire, elle veut qu’elles pensent, qu’elles jugent, qu’elles aiment, qu’elles connaissent, qu’elles cultivent leur esprit comme leur figure ; ce sont les armes qu’elle leur donne pour suppléer à la force qui leur manque et pour diriger la nôtre. Elles doivent apprendre beaucoup de choses, mais seulement celles qu’il leur convient de savoir. | ¿:Se puede deducir de todo lo expuesto que debe ser educada en la ignorancia de todas las cosas y limitada únicamente a las funciones caseras? ¿:El hombre debe hacer de su compañera una sirvienta? ¿:Le debe impedir que sienta y conozca nada con el fin de poderla esclavizar mejor? ¿:Hará de ella una autómata? Sin duda que no; la naturaleza no lo ha dicho así; y si las ha dotado de una tan agradable y delicada inteligencia, quiere que piensen, juzguen, amen, conozcan y cultiven su entendimiento como su figura, que son las armas que les da para suplir la fuerza que les falta y dirigir la nuestra. Deben aprender muchas cosas, pero sólo las que es conveniente que sepan. |
Soit que je considère la destination particulière du sexe, soit que j’observe ses penchants, soit que je compte ses devoirs, tout concourt également à m’indiquer la forme d’éducation qui lui convient. La femme et l’homme sont faits l’un pour l’autre, mais leur mutuelle dépendance n’est pas égale : les hommes dépendent des femmes par leurs désirs ; les femmes dépendent des hommes et par leurs désirs et par leurs besoins ; nous subsisterions plutôt sans elles qu’elles sans nous. Pour qu’elles aient le nécessaire, pour qu’elles soient dans leur état, il faut que nous le leur donnions, que nous voulions le leur donner, que nous les en estimions dignes ; elles dépendent de nos sentiments, du prix que nous mettons à leur mérite, du cas que nous faisons de leurs charmes et de leurs vertus. Par la loi même de la nature, les femmes, tant pour elles que pour leurs enfants, sont à la merci des jugements des hommes : il ne suffit pas qu’elles soient estimables, il faut qu’elles soient estimées ; il ne leur suffit pas d’être belles, il faut qu’elles plaisent ; il ne leur suffit pas d’être sages, il faut qu’elles soient reconnues pour telles ; leur honneur n’est pas seulement dans leur conduite, mais dans leur réputation, et il n’est pas possible que celle qui consent à passer pour infâme puisse jamais être honnête. L’homme, en bien faisant, ne dépend que de lui-même, et peut braver le jugement public ; mais la femme en bien faisant, n’a fait que la moitié de sa tâche, et ce que l’on pense d’elle ne lui importe pas moins que ce qu’elle est en effet. Il suit de là que le système de son éducation doit être à cet égard contraire à celui de la nôtre : l’opinion est le tombeau de la vertu parmi les hommes, et son trône parmi les femmes. | Lo mismo si considero el destino particular del sexo como si observo sus inclinaciones o cuento sus obligaciones, todo contribuye a indicarme la educación más conveniente. La mujer y el hombre están formados el uno para el otro, pero no es igual la dependencia; los hombres dependen de las mujeres por sus deseos y las mujeres dependen de los hombres por sus deseos y sus necesidades. Nosotros, sin ellas, subsistiríamos mejor que ellas sin nosotros. Para que posean lo que necesitan en su estado, es preciso que se lo demos, que se lo queramos dar, que las reputemos dignas; depende así de nuestros afectos, del precio que pongamos a su mérito, del caso que hagamos de sus encantos y sus virtudes. Por ley natural, las mujeres, tanto por sí como por sus hijos, están a merced de los hombres, y no es suficiente que sean apreciables, es indispensable que sean amadas; no les basta con ser hermosas, es preciso que agraden; no tienen bastante con ser honestas, es necesario que sean tenidas por tales; su honra no solamente se cifra en su conducta, sino en su reputación, y no es posible que la que consiente en pasar por indigna pueda nunca ser honesta. El hombre, cuando obra bien, sólo depende de sí mismo y puede arrostrar el juicio del público, pero la mujer, cuando obra bien, sólo tiene hecha la mitad de su tarea, y no le importa menos lo que de ella piensen que lo que efectivamente es. De aquí se deduce que en esta parte el sistema de su educación debe ser contrario al nuestro; la opinión es el sepulcro de la virtud para los hombres, y para las mujeres es su trono. |
De la bonne constitution des mères dépend d’abord celle des enfants ; du soin des femmes dépend la première éducation des hommes ; des femmes dépendent encore leurs mœurs, leurs passions, leurs goûts, leurs plaisirs, leur bonheur même. Ainsi toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu’on doit leur apprendre dès leur enfance. Tant qu’on ne remontera pas à ce principe, on s’écartera du but, et tous les préceptes qu’on leur donnera ne serviront de rien pour leur bonheur ni pour le nôtre. | La buena constitución de los hijos depende de la de las madres; del esmero de las mujeres depende la educación primera de los hombres; también de las mujeres dependen sus costumbres, sus pasiones, sus gustos, sus deleites, su propia felicidad. De manera que la educación de las mujeres debe estar en relación con la de los hombres. Agradarles, serles útiles, hacerse amar y honrar de ellos, educarlos cuando niños, cuidarlos cuando mayores, aconsejarlos, consolarlos y hacerles grata y suave la vida son las obligaciones de las mujeres en todos los tiempos, y esto es lo que desde su niñez se las debe enseñar. En tanto no alcancemos este principio, nos desviaremos de la meta, y todos los preceptos que les demos no servirán de ningún provecho para su felicidad ni para la nuestra. |
Mais, quoique toute femme veuille plaire aux hommes et doive le vouloir, il y a bien de la différence entre vouloir plaire à l’homme de mérite, à l’homme vraiment aimable, et vouloir plaire à ces petits agréables qui déshonorent leur sexe et celui qu’ils imitent. Ni la nature ni la raison ne peuvent porter la femme à aimer dans les hommes ce qui lui ressemble, et ce n’est pas non plus en prenant leurs manières qu’elle doit chercher à s’en faire aimer. | Mas aunque toda mujer pretenda agradar a los hombres, y debe quererlo, hay una gran diferencia entre querer agradar al hombre de mérito, al verdaderamente amable, a querer agradar a esos lindos pollos que avergüenzan igualmente a su sexo y el que imitan. Ni la naturaleza ni la razón pueden llevar a la mujer a que ame en el hombre lo que se parece a ella, como tampoco debe aspirar a ser amada de los hombres afectando modos varoniles. |
Lors donc que, quittant le ton modeste et posé de leur sexe, elles prennent les airs de ces étourdis, loin de suivre leur vocation, elles y renoncent ; elles s’ôtent à elles-mêmes les droits qu’elles pensent usurper. Si nous étions autrement, disent-elles, nous ne plairions point aux hommes. Elles mentent. Il faut être folle pour aimer les fous ; le désir d’attirer ces gens-là montre le goût de celle qui s’y livre. S’il n’y avait point d’hommes frivoles, elles se presserait d’en faire ; et leurs frivolités sont bien plus son ouvrage que les siennes ne sont le leur. La femme qui aime les vrais hommes, et qui veut leur plaire, prend des moyens assortis à son dessein. La femme est coquette par état ; mais sa coquetterie change de forme et d’objet selon ses vues ; réglons ces vues sur celles de la nature, la femme aura l’éducation qui lui convient. | De tal forma que cuando abandonan el estilo modesto y reposado de su sexo, remedando el porte de esos casquivanos, lejos de seguir su vocación, la abandonan, privándose ellas mismas de los derechos que tratar, de usurpar. Si fuésemos de otro modo, dicen, gustaríamos a los hombres. Mienten. Para querer a locos hay que ser también loca; el deseo de atraer a esas gentes demuestra la inclinación de la que a él se entrega. Si no existieran hombres insustanciales, ella se daría prisa a formarlos, y este defecto antes es obra suya que de ellos mismos. La mujer que gusta de los verdaderos hombres y quiere agradarles, acude a los medios propicios a este objeto. La mujer es coqueta por instinto, pero su coquetería cambia de forma y objeto según sus miras; regulemos éstas por las de la naturaleza y logrará la educación que le conviene. |
Les petites filles, presque en naissant, aiment la parure : non contentes d’être jolies, elles veulent qu’on les trouve telles : on voit dans leurs petits airs que ce soin les occupe déjà ; et à peine sont-elles en état d’entendre ce qu’on leur dit, qu’on les gouverne en leur parlant de ce qu’on pensera d’elles. Il s’en faut bien que le même motif très indiscrètement proposé aux petits garçons n’ait sur eux le même empire. Pourvu qu’ils soient indépendants et qu’ils aient du plaisir, ils se soucient fort peu de ce qu’on pourra penser d’eux. Ce n’est qu’à force de temps et de peine qu’on les assujettit à la même loi. | Las niñas, casi desde que nacen, quieren ir bien vestidas; no satisfechas con ser bonitas, pretenden que se las vea así; en sus pasos y en sus ademanes se advierte ya su cuidado, y en cuanto empiezan a entender lo que les dicen, las corrigen hablándoles de lo que pensarán de ellas. Está muy lejos de que ejerza en los muchachos los mismos efectos el motivo que con imprudencia les plantean. Poco les importa lo que puedan pensar de ellos con que sean independientes y se diviertan, y sólo a costa de trabajo y tiempo los sujetan a la misma ley. |
De quelque part que vienne aux filles cette première leçon, elle est très bonne. Puisque le corps naît pour ainsi dire avant l’âme, la première culture doit être celle du corps : cet ordre est commun aux deux sexes. Mais l’objet de cette culture est différent ; dans l’un cet objet est le développement des forces, dans l’autre il est celui des agréments : non que ces qualités doivent être exclusives dans chaque sexe, l’ordre seulement est renversé ; il faut assez de force aux femmes pour faire tout ce qu’elles font avec grâce ; il faut assez d’adresse aux hommes pour faire tout ce qu’ils font avec facilité. | Esta primera lección, venga por donde venga, les será de mucha utilidad. Puesto que el cuerpo nace, por decirlo así, antes que el alma, el primer cultivo debe ser el del cuerpo, este orden es común a los dos sexos. Pero el objeto de este cultivo es distinto: en el uno es el desarrollo de las fuerzas, mientras que en el otro es el de las gracias, y no porque deban ser exclusivas estas cualidades en cada sexo, sino que se ha de invertir el orden; las mujeres precisan de la fuerza suficiente para ejecutar con gracia todo lo que realizan, y que los hombres posean la habilidad necesaria para ejecutar con facilidad lo que se les indique. |
Par l’extrême mollesse des femmes commence celle des hommes. Les femmes ne doivent pas être robustes comme eux, mais pour eux, pour que les hommes qui naîtront d’elles le soient aussi. En ceci, les couvents, où les pensionnaires ont une nourriture grossière, mais beaucoup d’ébats, de courses, de jeux en plein air et dans des jardins, sont à préférer à la maison paternelle, où une fille, délicatement nourrie, toujours flattée ou tancée, toujours assise sous les yeux de sa mère dans une chambre bien close, n’ose se lever, ni marcher, ni parler, ni souffler, et n’a pas un moment de liberté pour jouer, sauter, courir, crier, se livrer à la pétulance naturelle à son âge : toujours ou relâchement dangereux ou sévérité mal entendue ; jamais rien selon la raison. Voilà comment on ruine le corps et le cœur de la jeunesse. | A causa de la gran molicie de las mujeres empieza la de los hombres. Las mujeres no deben ser robustas como ellos, sino para ellos, para que lo sean también los hombres que de ellas nacieron. En este aspecto, los colegios, donde las pensionistas comen platos comunes, pero saltan, corren, juegan en jardines al aire libre, son preferibles a la casa de los padres, donde una niña, comiendo cosas delicadas, y siempre acariciada o reprendida, siempre sentada al lado de su madre en un aposento cerrado, no se atreve a levantarse, ni andar, ni hablar, ni respirar, careciendo de un instante libre para jugar, brincar, correr, dar gritos, entregarse a la alegría natural de su edad; siempre una relajación peligrosa o una mal entendida severidad; jamás un justo medio. De este modo echan a perder el cuerpo y el corazón de la juventud. |
Les filles de Sparte s’exerçaient, comme les garçons, aux jeux militaires, non pour aller à la guerre, mais pour porter un jour des enfants capables d’en soutenir les fatigues. Ce n’est pas là ce que j’approuve : il n’est pas nécessaire pour donner des soldats à l’Etat que les mères aient porté le mousquet et fait l’exercice à la prussienne ; mais je trouve qu’en général l’éducation grecque était très bien entendue en cette partie. Les jeunes filles paraissaient souvent en public, non pas mêlées avec les garçons, mais rassemblées entre elles. Il n’y avait presque pas une fête, pas un sacrifice, pas une cérémonie, où l’on ne vît des bandes de filles des premiers citoyens couronnées de fleurs, chantant des hymnes, formant des chœurs de danses, portant des corbeilles, des vases, des offrandes, et présentant aux sens dépravés des Grecs un spectacle charmant et propre à balancer le mauvais effet de leur indécente gymnastique. Quelque impression que fît cet usage sur les cœurs des hommes, toujours était-il excellent pour donner au sexe une bonne constitution dans la jeunesse par des exercices agréables, modérés, salutaires, et pour aiguiser et former son goût par le désir continuel de plaire, sans jamais exposer ses mœurs. | Las doncellas de Esparta ′se ejercitaban, lo mismo que los jóvenes, en juegos militares, no para ir a la guerra, sino para un día dar a luz hijos a propósito para las fatigas bélicas. Esto no lo apruebo, pues para criar soldados para el Estado no es necesario que las madres lleven un fusil al hombro y hayan realizado ejercicios a la prusiana, aunque me parece que la educación griega en este sentido era muy discreta. Las vírgenes jóvenes eran mostradas en público con frecuencia, no mezcladas con los hombres, sino agrupadas entre sí. Casi no había fiesta, sacrificio ni ceremonia en que no se vieran corrillos de hijas de los principales ciudadanos coronadas de flores, cantando himnos, formando coros de danzas, llevando canastos, vasos, ofrendas y presentando a los depravados sentidos de los griegos un delicioso espectáculo capaz de servir de contrapeso el mal efecto de su indecente gimnasia. Fuese la que fuere la impresión que esta práctica hiciera en los hombres, era excelente para dar al sexo una constitución sana en su juventud, con agradables, moderados y sanos ejercicios y para formar y acendrar el gusto con el continuo deseo de agradar, sin exponer nunca la pureza de sus costumbres. |
Sitôt que ces jeunes personnes étaient mariées, on ne les voyait plus en public ; renfermées dans leurs maisons, elles bornaient tous leurs soins à leur ménage et à leur famille. Telle est la manière de vivre que la nature et la raison prescrivent au sexe. Aussi de ces mères-là naissaient les hommes les plus sains, les plus robustes, les mieux faits de la terre ; et malgré le mauvais renom de quelques îles, il est constant que de tous les peuples du monde, sans en excepter même les Romains, on n’en cite aucun où les femmes aient été à la fois plus sages et plus aimables, et aient mieux réuni les mœurs à la beauté, que l’ancienne Grèce. | Esas doncellas, en cuanto se casaban, ya no se dejaban ver en público; siempre encerradas en su casa, sus afanes se limitaban a los cuidados caseros y de la familia. Este es el método de vida que la naturaleza y la razón prescriben al sexo, y por esa razón de estas madres nacían los varones más sanos, más robustos y mejor constituidos; y, no obstante, la mala fama de algunas islas, está probado que entre todos los pueblos del mundo, sin exceptuar los romanos, no es posible citar ninguno donde las mujeres hayan sido, a un mismo tiempo, más recatadas y más amables y más hayan reunido la belleza con las buenas costumbres que en la antigua Grecia. |
On sait que l’aisance des vêtements qui ne gênaient point le corps contribuait beaucoup à lui laisser dans les deux sexes ces belles proportions qu’on voit dans leurs statues, et qui servent encore de modèle à l’art quand la nature défigurée a cessé de lui en fournir parmi nous. De toutes ces entraves gothiques, de ces multitudes de ligatures qui tiennent de toutes parts nos membres en presse, ils n’en avaient pas une seule. Leurs femmes ignoraient l’usage de ces corps de baleine par lesquels les nôtres contrefont leur taille plutôt qu’elles ne la marquent. Je ne puis concevoir que cet abus, poussé en Angleterre à un point inconcevable, n’y fasse pas à la fin dégénérer l’espèce, et je soutiens même que l’objet d’agrément qu’on se propose en cela est de mauvais goût. Il n’est point agréable de voir une femme coupée en deux comme une guêpe ; cela choque la vue et fait souffrir l’imagination. La finesse de la taille a, comme tout le reste, ses proportions, sa mesure, passé laquelle elle est certainement un défaut : ce défaut serait même frappant à l’œil sur le nu : pourquoi serait-il une beauté sous le vêtement ! | Sabemos que la holgura de los trajes, que no sujetaban el cuerpo, contribuía mucho a dejaren los dos sexos aquellas bellas proporciones que vemos en sus estatuas y que sirven aún de modelos al arte, ya que desfigurada la naturaleza, ha dejado de presentarlos entre nosotros. De todas las trabas góticas e innumerables ligaduras que tienen prensados nuestros miembros, ni una siquiera prohijaban los griegos; sus mujeres ignoraban el uso de esas cotillas con que las nuestras deforman su busto. No puedo concebir cómo ese abuso que con especialidad ha llegado en Inglaterra a un extremo inconcebible, no hace al fin degenerar la especie, y sostengo que la pretendida perfección que con él se propone es de muy mal gusto. No es agradable ver a una mujer partida en dos como una avispa; es repugnante a la vista y penoso para la imaginación. La finura del talle, como el resto de la figura, tiene sus proporciones y medidas, que, al rebasarlas, se transforma en defecto, lo que sería grato a la vista en una persona desnuda, pero no puede parecer belleza en una vestida. |
Je n’ose presser les raisons sur lesquelles les femmes s’obstinent à s’encuirasser ainsi : un sein qui tombe, un ventre qui grossit, etc., cela déplaît fort, j’en conviens, dans une personne de vingt ans, mais cela ne choque plus à trente ; et comme il faut en dépit de nous être en tout temps ce qu’il plaît à la nature, et que l’œil de l’homme ne s’y trompe point, ces défauts sont moins déplaisants à tout âge que la sotte affectation d’une petite fille de quarante ans. | No me atrevo a precisar las razones por las cuales las mujeres se empeñan en acorazarse de tal modo, pienso que un pecho fofo y un vientre abultado, desagradan mucho al joven de veinte años; pero al de treinta no le extrañan, y como, aunque nos pese, hemos de ser en todo tiempo lo que plazca a la naturaleza, y como los ojos de los hombres no se equivocan, menos desagradan estos defectos en una edad cualquiera que la necia afectación de una niña de cuarenta años. |
Tout ce qui gêne et contraint la nature est de mauvais goût ; cela est vrai des parures du corps comme des ornements de l’esprit. La vie, la santé, la raison, le bien-être doivent aller avant tout ; la grâce ne va point sans l’aisance ; la délicatesse n’est pas la langueur, et il ne faut pas être malsaine pour plaire. On excite la pitié quand on souffre ; mais le plaisir et le désir cherchent la fraîcheur de la santé. | Todo lo que molesta y oprime a la naturaleza, así en los adornos del cuerpo como en los del espíritu, es de mal gusto. Ante todo deben ser la vida, la salud, la razón, el bienestar, y no hay gentileza sin desahogo; la delicadeza no es endeble, ni la enfermiza puede agradar. La que sufre inspira lástima, y el deleite y el deseo buscan robustez y salud. |
Les enfants des deux sexes ont beaucoup d’amusements communs, et cela doit être ; n’en ont-ils pas de même étant grands ? Ils ont aussi des goûts propres qui les distinguent. Les garçons cherchent le mouvement et le bruit ; des tambours, des sabots, de petits carrosses : les filles aiment mieux ce qui donne dans la vue et sert à l’ornement ; des miroirs, des bijoux, des chiffons, surtout des poupées : la poupée est l’amusement spécial de ce sexe ; voilà très évidemment son goût déterminé sur sa destination. Le physique de l’art de plaire est dans la parure : c’est tout ce que des enfants peuvent cultiver de cet art. | Las criaturas de uno y otro sexo tienen muchas cosas comunes, y así debe ser. ¿:No los tienen también cuando son mayores? Tienen otros gustos peculiares que las distinguen. Los muchachos anhelan estrépito y bullicio, tambores, peonzas, carricoches; las muchachas gustan más de lo que da en los ojos y sirve de adorno; espejos, sortijas, trapos y, sobre todo, muñecas, que es la diversión peculiar del sexo; aquí tenemos determinado con toda evidencia su gusto por su destino. En el adorno está cifrado lo físico del arte de agradar y lo físico es todo lo que de este arte pueden cultivar las criaturas. |
Voyez une petite fille passer la journée autour de sa poupée, lui changer sans cesse d’ajustement, l’habiller, la déshabiller cent et cent fois, chercher continuellement de nouvelles combinaisons d’ornements bien ou mal assortis, il n’importe ; les doigts manquent d’adresse, le goût n’est pas formé, mais déjà le penchant se montre ; dans cette éternelle occupation le temps coule sans qu’elle y songe ; les heures passent, elle n’en sait rien ; elle oublie les repas mêmes, elle a plus faim de parure que d’aliment. Mais, direz-vous, elle pare sa poupée et non sa personne. Sans doute ; elle voit sa poupée et ne se voit pas, elle ne peut rien faire pour elle-même, elle n’est pas formée, elle n’a ni talent ni force, elle n’est rien encore, elle est toute dans sa poupée, elle y met toute sa coquetterie. Elle ne l’y laissera pas toujours, elle attend le moment d’être sa poupée elle-même. | Observad a una chiquilla que se pasa el día dando vueltas con su muñeca, cambiándole continuamente el traje, vistiéndola y desnudándola mil veces, inventando sin cesar nuevas combinaciones de atavíos, bien o mal coordinados, poco importa, pues aún no tienen maña los dedos, ni está formado el gusto, pero la inclinación ya se pone al descubierto; en esta constante ocupación se le pasa el tiempo sin darse cuenta y corren las horas sin que ella lo sepa, hasta olvidársele el comer, puesto que siente más hambre de adornos que de manjares. Ya sé que diréis que viste a su muñeca y no se viste ella. Sin duda, ve a su muñeca y no se ve a sí misma, no puede hacer nada para ella, pues aún no está formada, carece de talento y de fuerza, no es nada todavía, vive para su muñeca, y en ella emplea su deseo de agradar, pero no siempre lo concretará en la muñeca, ya que vendrá el tiempo en que ella misma será su muñeca. |
Voilà donc un premier goût bien décidé : vous n’avez qu’à le suivre et le régler. Il est sûr que la petite voudrait de tout son cœur savoir orner sa poupée, faire ses nœuds de manche, son fichu, son falbala, sa dentelle ; en tout cela on la fait dépendre si durement du bon plaisir d’autrui, qu’il lui serait bien plus commode de tout devoir à son industrie. Ainsi vient la raison des premières leçons qu’on lui donne : ce ne sont pas des tâches qu’on lui prescrit, ce sont des bontés qu’on a pour elle. Et en effet, presque toutes les petites filles apprennent avec répugnance à lire et à écrire ; mais, quant à tenir l’aiguille, c’est ce qu’elles apprennent toujours volontiers. Elles s’imaginent d’avance être grandes, et songent avec plaisir que ces talents pourront un jour leur servir à se parer. | Podemos observar aquí una afición primera bien determinada; no hay que hacer otra cosa que seguirla y regularla. Es verdad que la chiquilla quisiera saber adornar a su muñeca; su punto de red, su pañuelo y su encaje, pero para esto la someten a la buena voluntad ajena, aunque mucho más grato sería para ella debérselo todo a su propia industria. De esta forma se encuentra motivo para las primeras lecciones que le dan y no son tareas que se le prescriben, sino favores que se le dispensan. En efecto, casi todas las niñas aprenden con repugnancia a leer y a escribir, pero aprenden siempre con mucho gusto las labores de aguja. Se imaginan de antemano que han de ser mayores, y piensan con satisfacción que esta habilidad las podrá servir un día para componerse. |
Cette première route ouverte est facile à suivre : la couture, la broderie, la dentelle viennent d’elles-mêmes. La tapisserie n’est plus si fort à leur gré : les meubles sont trop loin d’elles, ils ne tiennent point à la personne, ils tiennent à d’autres opinions. La tapisserie est l’amusement des femmes ; de jeunes filles n’y prendront jamais un fort grand plaisir. | Trazada ya esta primera senda, es fácil seguirla; naturalmente se suceden la costura, el bordado y los encajes. La labor de tapicería no les gusta tanto y no les atraen los muebles, que no tienen conexión con ellas, sino con otros familiares. Esta labor es una diversión de casadas, y las muchachas solteras no le tienen mucha afición. |
Ces progrès volontaires s’étendront aisément jusqu’au dessin, car cet art n’est pas indifférent à celui de se mettre avec goût : mais je ne voudrais point qu’on les appliquât au paysage, encore moins à la figure. Des feuillages, des fruits, des fleurs, des draperies, tout ce qui peut servir à donner un contour élégant aux ajustements, et à faire soi-même un patron de broderie quand on n’en trouve pas à son gré, cela leur suffit. En général, s’il importe aux hommes de borner leurs études à des connaissances d’usage, cela importe encore plus aux femmes, parce que la vie de celles-ci, bien que moins laborieuse, étant ou devant être plus assidue à leurs soins, et plus entrecoupée de soins divers, ne leur permet de se livrer par choix à aucun talent au préjudice de leurs devoirs. | Estos progresos voluntarios se irán extendiendo fácilmente hasta el dibujo, puesto que este arte no es indiferente para el vestirse con gusto, pero no sería de mi satisfacción que las aplicaran a pintar paisajes, y mucho menos figuras. Follajes, frutas, flores, ropajes, todo lo que puede ser útil para dar gracia a los adornos y hacer por sí mismas un patrón para bordar cuando no lo hallan a su gusto, basta. Si generalmente interesa a los hombres limitar sus estudios a conocimientos usuales, todavía importa más a las mujeres, porque aunque la vida de ellas sea menos laboriosa, como es y debe ser más constante en sus ocupaciones, y está más dedicada a quehaceres diversos, no les permite que se entreguen a ninguna habilidad especial en detrimento de sus obligaciones. |
Quoi qu’en disent les plaisants, le bon sens est également des deux sexes. Les filles en général sont plus dociles que les garçons, et l’on doit même user sur elles de plus d’autorité, comme je le dirai tout à l’heure ; mais il ne s’ensuit pas que l’on doive exiger d’elles rien dont elles ne puissent voir l’utilité ; l’art des mères est de la leur montrer dans tout ce qu’elles leur prescrivent, et cela est d’autant plus aisé, que l’intelligence dans les filles est plus précoce que dans les garçons. Cette règle bannit de leur sexe, ainsi que du nôtre, non seulement toutes les études oisives qui n’aboutissent à rien de bon et ne rendent pas même plus agréables aux autres ceux qui les ont faites, mais même toutes celles dont l’utilité n’est pas de l’âge, et où l’enfant ne peut la prévoir dans un âge plus avancé. Si je ne veux pas qu’on presse un garçon d’apprendre à lire, à plus forte raison je ne veux pas qu’on y force de jeunes filles avant de leur faire bien sentir à quoi sert la lecture ; et, dans la manière dont on leur montre ordinairement cette utilité, on suit bien plus sa propre idée que la leur. Après tout, où est la nécessité qu’une fille sache lire et écrire de si bonne heure ? Aura-t-elle si tôt un ménage à gouverner ? Il y en a bien peu qui ne fassent plus d’abus que d’usage de cette fatale science ; et toutes sont un peu trop curieuses pour ne pas l’apprendre sans qu’on les y force, quand elles en auront le loisir et l’occasion. Peut-être devraient-elles apprendre à chiffrer avant tout ; car rien n’offre une utilité plus sensible en tout temps, ne demande un plus long usage, et ne laisse tant de prise à l’erreur que les comptes. Si la petite n’avait les cerises de son goûter que par une opération d’arithmétique, je vous réponds qu’elle saurait bientôt calculer. | Digan lo que quieran los burlones, el buen sentido pertenece igualmente a los dos sexos. Generalmente las niñas son más dóciles que los muchachos, y también debe hacerse mayor uso de la autoridad con ellas, como diré más adelante, pero de aquí no se sigue que haya de exigirse de ellas ninguna cosa cuya utilidad no sea visible. El arte de las madres consiste en hacérsela palpable en todo lo que les indican; esto es más fácil por ser la inteligencia de las niñas más precoz que la de los niños. Esta regla aparta de su sexo, lo mismo que del nuestro, no sólo los estudios ociosos que no paran en nada bueno, y ni siquiera les son más agradables a los que se han aplicado a ellos, sino también aquellos que para su edad no son de provecho, y la criatura no puede prever que tiempo después puedan serlo. Si no quiero que den prisa a un muchacho para que aprenda a leer, con mayor razón tampoco quiero que obliguen a las niñas sin darles a entender antes para qué es buena la lectura y de cómo les hagamos ver esta utilidad, resulta que seguimos nuestras propias ideas en vez de las de ellas. Al fin y al cabo, ¿:para qué necesita una muchacha saber leer y escribir tan pronto? ¿:Tiene ya casa que gobernar? Son muy contadas las que no abusan de esta funesta ciencia, y todas son demasiado curiosas para que no la aprendan sin que las apremien a ello, y tan pronto como tienen ocasión. Tal vez deberían primero aprender a contar, ya que nada es de una utilidad tan palpable en todos los tiempos, ni exige tan larga práctica, ni deja tanto lugar al error como las cuentas. Si no se le dieran a la muchacha las cerezas para su merienda sin una operación aritmética, yo aseguro que pronto sabría calcular. |
Je connais une jeune personne qui apprit à écrire plus tôt qu’à lire, et qui commença d’écrire avec l’aiguille avant que d’écrire avec la plume. De toute l’écriture elle ne voulut d’abord faire des O. Elle faisait incessamment des O grands et petits, des O de toutes les tailles, des O les uns dans les autres, et toujours tracés à rebours. Malheureusement un jour qu’elle était occupée à cet utile exercice, elle se vit dans un miroir ; et, trouvant que cette attitude contrainte lui donnait mauvaise grâce, comme une autre Minerve, elle jeta la plume, et ne voulut plus faire des O. Son frère n’aimait pas plus à écrire qu’elle ; mais ce qui le fâchait était la gêne, et non pas l’air qu’elle lui donnait. On prit un autre tour pour la ramener à l’écriture ; la petite fille était délicate et vaine, elle n’entendait point que son linge servît à ses sœurs ; on le marquait, on ne voulut plus le marquer ; il fallut le marquer elle-même : on conçoit le reste du progrès. | Conocí a una niña que aprendió a escribir antes que a leer, y escribió con la aguja antes que con la pluma. De la escritura, al principio, sólo quiso hacer oes, y las hacía grandes y chicas, de todos los tamaños, unas dentro de otras, y siempre trazadas al revés. Por desgracia un día que estaba ocupada en este útil ejercicio, se miró a un espejo y le desagradó su forzada postura, y en el acto, como otra Minerva, tiro la pluma y no quiso hacer más oes. A su hermano tampoco le gustaba escribir, pero lo que él sentía era la sujeción y no la figura que le daba. Tomaron otro giro para que volviera a escribir; :a chiquilla era vanidosa y delicada, y no quería que sus hermanas se sirvieran de su ropa blanca; se la marcaban, y no quisieron seguir marcándosela; fue preciso que ella aprendiera a marcar. Se comprende que sin darse cuenta adelantaba. |
Justifiez toujours les soins que vous imposez aux jeunes filles, mais imposez-leur-en toujours. L’oisiveté et l’indocilité sont les deux défauts les plus dangereux pour elles, et dont on guérit le moins quand on les a contractés. Les filles doivent être vigilantes et laborieuses ; ce n’est pas tout : elles doivent être gênées de bonne heure. Ce malheur, si c’en est un pour elles, est inséparable de leur sexe ; et jamais elles ne s’en délivrent que pour en souffrir de bien plus cruels. Elles seront toute leur vie asservies à la gêne la plus continuelle et la plus sévère, qui est celle des bienséances. Il faut les exercer d’abord à la contrainte, afin qu’elle ne leur coûte jamais rien ; à dompter toutes leurs fantaisies, pour les soumettre aux volontés d’autrui. Si elles voulaient toujours travailler, on devrait quelquefois les forcer à ne rien faire. La dissipation, la frivolité, l’inconstance, sont des défauts qui naissent aisément de leurs premiers goûts corrompus et toujours suivis. Pour prévenir cet abus, apprenez-leur surtout à se vaincre. Dans nos insensés établissements, la vie de l’honnête femme est un combat perpétuel contre elle-même ; il est juste que ce sexe partage la peine des maux qu’il nous a causés. | Justificad siempre las tareas que impongáis a las niñas, pero imponérselas continuamente. Los dos defectos más peligrosos para ellas, y de los cuales es muy difícil que se desprendan una vez los han contraído, son la ociosidad y la indocilidad. Las doncellas deben ser atentas y laboriosas, pero no basta con esto; desde muy pequeñas deben estar sujetas. Esta desdicha, si lo es para ellas, es imprescindible en su sexo, y jamás se libran de ella, si no es para padecer otras más crueles. Toda la vida han de ser esclavas de la más continua y severa sujeción, que es la del bien parecer. Es preciso acostumbrarlas a la sujeción cuanto antes, con el fin de que nunca les sea violenta; a resistir todos sus caprichos, para sujetarlos a las voluntades ajenas. Si quisieran estar siempre trabajando, sería conveniente obligarlas a que algunas veces holgasen. La disipación, la insustancialidad, la inconstancia, son defectos que fácilmente nacen de sus primeros gustos extraviados y siempre cumplidos; para atajar esos excesos, enseñadlas a que se venzan continuamente. En nuestras desatinadas costumbres, la vida de una mujer honesta es una perpetua lucha consigo misma. |
Empêchez que les filles ne s’ennuient dans leurs occupations et ne se passionnent dans leurs amusements, comme il arrive toujours dans les éducations vulgaires, où l’on met, comme dit Fénelon, tout l’ennui d’un côté et tout le plaisir de l’autre. Le premier de ces deux inconvénients n’aura lieu, si on suit les règles précédentes, que quand les personnes qui seront avec elles leur déplairont. Une petite fille qui aimera sa mère ou sa mie travaillera tout le jour à ses côtés sans ennui ; le babil seul la dédommagera de toute sa gêne. Mais, si celle qui la gouverne lui est insupportable, elle prendra dans le même dégoût tout ce qu’elle fera sous ses yeux. Il est très difficile que celles qui ne se plaisent pas avec leurs mères plus qu’avec personne au monde puissent un jour tourner à bien ; mais, pour juger de leurs vrais sentiments, il faut les étudier, et non pas se fier à ce qu’elles disent ; car elles sont flatteuses, dissimulées, et savent de bonne heure se déguiser. On ne doit pas non plus leur prescrire d’aimer leur mère ; l’affection ne vient point par devoir, et ce n’est pas ici que sert la contrainte. L’attachement, les soins, la seule habitude, feront aimer la mère de la fille, si elle ne fait rien pour s’attirer sa haine. La gêne même où elle la tient, bien dirigée, loin d’affaiblir cet attachement, ne fera que l’augmenter, parce que la dépendance étant un état naturel aux femmes, les filles se sentent faites pour obéir. | Impedid que se aburran las niñas en sus ocupaciones y que se apasionen por sus diversiones, como sucede siempre en la educación vulgar, en que, como dice Fenelón, «todo el fastidio está de una parte y todo el contento de otra». Siguiendo las reglas precedentes solamente ocurrirá el primero de estos inconvenientes cuando las personas que estuviesen con ellas les disgusten. Una niña que quiera mucho a su madre o a su aya, trabajará todo el día a su lado sin aburrirse; sólo con charlar quedará resarcida de toda sujeción. Pero si no puede sufrir a la que gobierna, tomará la misma repugnancia a todo lo que haga a su lado. Es muy difícil que las que no se encuentran más a gusto con sus madres que con los demás hagan nunca nada bueno, pero para juzgar de sus verdaderos afectos, es preciso estudiarlas, y no fiarse de lo que dicen, puesto que son aduladoras, disimulan y desde muy temprano saben disfrazar sus sentimientos. Tampoco se les debe prescribir que quieran a su madre, pues el afecto no resulta de la obligación, y en esto de nada sirve el apremio. El cariño, las solicitudes, el solo hábito harán que la hija quiera a la madre, a no ser que ésta actúe de tal forma, que se haga merecedora del aborrecimiento. Bien dirigida, hasta la sujeción en que se la tiene, lejos de debilitar su cariño, no hará otra cosa que aumentarlo, porque siendo la dependencia el estado natural de las mujeres, se inclinan a la obediencia. |
Par la même raison qu’elles ont ou doivent avoir peu de liberté, elles portent à l’excès celle qu’on leur laisse ; extrêmes en tout, elles se livrent à leurs jeux avec plus d’emportement encore que les garçons : c’est le second des inconvénients dont je viens de parler. Cet emportement doit être modéré ; car il est la cause de plusieurs vices particuliers aux femmes, comme, entre autres, le caprice de l’engouement, par lequel une femme se transporte aujourd’hui pour tel objet qu’elle ne regardera pas demain. L’inconstance des goûts leur est aussi funeste que leur excès, et l’un et l’autre leur vient de la même source. Ne leur ôtez pas la gaieté, les ris, le bruit, les folâtres jeux ; mais empêchez qu’elles ne se rassasient de l’un pour courir à l’autre ; ne souffrez pas qu’un seul instant dans leur vie elles ne connaissent plus de frein. Accoutumez-les à se voir interrompre au milieu de leurs jeux, et ramener à d’autres soins sans murmurer. La seule habitude suffit encore en ceci, parce qu’elle ne fait que seconder la nature. | Por la misma causa que deben tener poca libertad, se extralimitan en el uso de la que les dejan; siendo extremadas en todo, se entregan a sus juegos con mayor arrebato todavía que los niños, y ése es el segundo de los inconvenientes que acabo de indicar. Los arrebatos deben ser aplacados, puesto que son la causa de muchos vicios propios de las mujeres, entre otros el capricho y las manías por las cuales hoy se ciega una mujer por un objeto que mañana no querrá ni mirar. Para ellas es tan perniciosa la inconstancia como el exceso en sus gustos, ya que ambos tienen el mismo origen. No les pongáis ningún obstáculo para que se rían, alegren, metan bulla, retocen y jueguen, pero debéis impedir que se cansen de una cosa para correr hacia otra; no debéis consentir que no conozcan el freno durante un solo instante de su vida. Acostumbradlas a que se vean interrumpidas en sus juegos y a que las llamen para otras ocupaciones sin que murmuren. Sólo con el hábito basta para esto, puesto que no hace otra cosa que servir de auxilio a la naturaleza. |
Il résulte de cette contrainte habituelle une docilité dont les femmes ont besoin toute leur vie, puisqu’elles ne cessent jamais d’être assujetties ou à un homme, ou aux jugements des hommes, et qu’il ne leur est jamais permis de se mettre au-dessus de ces jugements. La première et la plus importante qualité d’une femme est la douceur : faite pour obéir à un être aussi imparfait que l’homme, souvent si plein de vices, et toujours si plein de défauts, elle doit apprendre de bonne heure à souffrir même l’injustice et à supporter les torts d’un mari sans se plaindre ; ce n’est pas pour lui, c’est pour elle qu’elle doit être douce. L’aigreur et l’opiniâtreté des femmes ne font jamais qu’augmenter leurs maux et les mauvais procédés des maris ; ils sentent que ce n’est pas avec ces armes-là qu’elles doivent les vaincre. Le ciel ne les fit point insinuantes et persuasives pour devenir acariâtres ; il ne les fit point faibles pour être impérieuses ; il ne leur donna point une voix si douce pour dire des injures ; il ne leur fit point des traits si délicats pour les défigurer par la colère. Quand elles se fâchent, elle s’oublient : elles ont souvent raison de se plaindre, mais elles ont toujours tort de gronder. Chacun doit garder le ton de son sexe ; un mari trop doux peut rendre une femme impertinente ; mais, à moins qu’un homme ne soit un monstre, la douceur d’une femme le ramène, et triomphe de lui tôt ou tard. | De esta presión habitual se obtiene una cualidad muy necesaria a las mujeres durante toda su vida, supuesto que nunca cesan de estar sujetas, o a un hombre o a los juicios de los hombres, y que nunca les es permitido que se muestren superiores a esos juicios. La blandura es la prenda primera y más importante de una mujer; destinada a obedecer a tan imperfecta criatura como es el hombre, tan llena a veces de vicios y siempre cargada de defectos, desde muy temprano debe aprender a padecer hasta la injusticia y a soportar los agravios de su marido sin quejarse; debe ser flexible, y no por él, sino por ella. La acritud y la terquedad de las mujeres nunca logran otra cosa que agravar sus daños y el mal proceder de sus maridos, los cuales saben que no son estas las armas con que han de ser vencidos. La naturaleza no formó a las mujeres halagüeñas y persuasivas para que se volviesen regañonas, no las hizo débiles para que fueran imperiosas, no les dio una voz tan suave para que sirviera para decir denuestos, ni les proporcionó unas facciones tan delicadas para que las desfigurasen con la ira. Cuando se enfadan se olvidan de sí; muchas veces les asiste la razón para quejarse, pero siempre hacen mal en reñir. Cada uno debe conservar el tono de su sexo; un marido demasiado blando puede hacer insolente a su mujer, pero si el hombre no es un monstruo, no resiste la blandura de una mujer, quien triunfa de él tarde o temprano. |
Que les filles soient toujours soumises, mais que les mères ne soient pas toujours inexorables. Pour rendre docile une jeune personne, il ne faut pas la rendre malheureuse ; pour la rendre modeste, il ne faut pas l’abrutir ; au contraire, je ne serais pas fâché qu’on lui laissât mettre quelquefois un peu d’adresse, non pas à éluder la punition dans sa désobéissance, mais à se faire exempter d’obéir. Il n’est pas question de lui rendre sa dépendance pénible, il suffit de la lui faire sentir. La ruse est un talent naturel au sexe ; et, persuadé que tous les penchants naturels sont bons et droits par eux-mêmes, je suis d’avis qu’on cultive celui-là comme les autres : il ne s’agit que d’en prévenir l’abus. | Las hijas deben ser siempre sumisas, pero las madres no pueden ser siempre inexorables. Para hacer dócil a una joven, no es necesario hacerla infeliz, ni es preciso entontecerla para que sea modesta; por el contrario, no me parecería mal que alguna vez le dejasen hacer uso de su habilidad, no para eludir el castigo de su desobediencia, sino para eximirse de que la hicieran obedecer. No se trata de hacerle penosa su independencia, pues es suficiente con hacer que la sienta. La astucia es un talento natural del sexo, y convencido de que son buenas y rectas en sí todas las inclinaciones naturales, soy del parecer de que se debe cultivar como las demás; sólo se trata de prevenir sus abusos. |
Je m’en rapporte sur la vérité de cette remarque à tout observateur de bonne foi. Je ne veux point qu’on examine là-dessus les femmes mêmes : nos gênantes institutions peuvent les forcer d’aiguiser leur esprit. Je veux qu’on examine les filles, les petites filles, qui ne font pour ainsi dire que de naître : qu’on les compare avec les petits garçons de même âge ; et, si ceux-ci ne paraissent lourds, étourdis, bêtes, auprès d’elles, j’aurai tort incontestablement. Qu’on me permette un seul exemple pris dans toute la naïveté puérile. | En lo referente a la verdad de esta observación, me refiero a todo observador de buena fe, y no quiero que examinemos a las casadas, porque nuestras instituciones, que tanto las sujetan, pueden haber aguzado su inteligencia; quiero que se examinen las doncellas, las niñas que acaban, por decirlo así, de nacer; que sean comparadas con muchachos de la misma edad, y si ellos no parecen majaderos, atolondrados, tontos, al lado de ellas, sin duda alguna estoy equivocado. Permítaseme un solo ejemplo escogido en pleno candor de la niñez. |
Il est très commun de défendre aux enfants de rien demander à table ; car on ne croit jamais mieux réussir dans leur éducation qu’en la surchargeant de préceptes inutiles, comme si un morceau de ceci ou de cela n’était pas bientôt accordé ou refusé [5], sans faire mourir sans cesse un pauvre enfant d’une convoitise aiguisée par l’espérance. Tout le monde sait l’adresse d’un jeune garçon soumis à cette loi, lequel, ayant été oublié à table, s’avisa de demander du sel, etc. Je ne dirai pas qu’on pouvait le chicaner pour avoir demandé directement du sel et indirectement de la viande ; l’omission était si cruelle, que, quand il eût enfreint ouvertement la loi et dit sans détour qu’il avait faim, je ne puis croire qu’on l’en eût puni. Mais voici comment s’y prit, en ma présence, une petite fille de six ans dans un cas beaucoup plus difficile ; car, outre qu’il lui était rigoureusement défendu de demander jamais rien ni directement ni indirectement, la désobéissance n’eût pas été graciable, puisqu’elle avait mangé de tous les plats, hormis un seul, dont on avait oublié de lui donner, et qu’elle convoitait beaucoup. | Es una cosa muy generalizada el prohibir a las criaturas que pidan nada en la mesa, debido a que se cree que su educación ha de salir mejor cuando se carga con inútiles preceptos, como si fuera tan difícil darles o negarles un pedazo de esto o de aquello [5] , sin hacer que se muera una pobre criatura de un ansia que aumenta la esperanza. Todo el mundo conoce la astucia de que se valió un chico sujeto a esta prohibición, que habiéndose olvidado de servirle el plato, se le ocurrió pedir sal, etc. No diré que le podían reñir por haber pedido directamente sal y carne indirectamente; la misión era tan cruel, que aunque hubiera violado de un modo patente el mandato y manifestado sin rodeos que tenía hambre, no puedo creer que le hubieran castigado. Pero he aquí lo que hizo una chiquilla en mi presencia y en una situación mucho más apurada, porque además de que le habían impuesto una prohibición. rigurosa de pedir nunca nada directa ni indirectamente, la desobediencia no hubiera merecido perdón, ya que había comido de todos los platos menos de uno que se habían olvidado de servirle y del cual ella tenía gran deseo. |
Or, pour obtenir qu’on réparât cet oubli sans qu’on pût l’accuser de désobéissance, elle fit en avançant son doigt la revue de tous les plats, disant tout haut, à mesure qu’elle les montrait : J’ai mangé de ça, j’ai mangé de ça ; mais elle affecta si visiblement de passer sans rien dire celui dont elle n’avait point mangé, que quelqu’un s’en apercevant lui dit : Et de cela, en avez-vous mangé ? Oh ! non, reprit doucement la petite gourmande en baissant les yeux. Je n’ajouterai rien ; comparez : ce tour-ci est une ruse de fille, l’autre est une ruse de garçon. | Pues para conseguir que reparasen este olvido sin que pudiesen acusarla de desobediente, fue señalando todos los platos con el dedo, y diciendo en voz alta a medida que los señalaba: «Yo he comido de eso, yo he comido de eso», pero con una visible afectación y sin decir nada pasó el dedo por encima del plato que no había comido, lo que hizo que se diese cuenta uno de los convidados, quien le dijo: «Y de eso, ¿:has comido?» «¡Ah, no; de eso, no!», repuso con voz sumisa y bajando los ojos la golosilla. No añado más; compárese ahora: esta treta es una astucia de chica, y la otra es una astucia de muchacho. |
Ce qui est bien, et aucune loi générale n’est mauvaise. Cette adresse particulière donnée au sexe est un dédommagement très équitable de la force qu’il a de moins ; sans quoi la femme ne serait pas la compagne de l’homme, elle serait son esclave : c’est par cette supériorité de talent qu’elle se maintient son égale, et qu’elle le gouverne en lui obéissant. La femme a tout contre elle, nos défauts, sa timidité, sa faiblesse ; elle n’a pour elle que son art et sa beauté. N’est-il pas juste qu’elle cultive l’un et l’autre ? Mais la beauté n’est pas générale ; elle périt par mille accidents, elle passe avec les années ; l’habitude en détruit l’effet. L’esprit seul est la véritable ressource du sexe : non ce sot esprit auquel on donne tant de prix dans le monde, et qui ne sert à rien pour rendre la vie heureuse, mais l’esprit de son état, l’art de tirer parti du nôtre, et de se prévaloir de nos propres avantages. On ne sait pas combien cette adresse des femmes nous est utile à nous-mêmes, combien elle ajoute de charme à la société des deux sexes, combien elle sert à réprimer la pétulance des enfants, combien elle contient de maris brutaux, combien elle maintient de bons ménages, que la discorde troublerait sans cela. Les femmes artificieuses et méchantes en abusent, je le sais bien ; mais de quoi le vice n’abuse-t-il pas ? Ne détruisons point les instruments du bonheur parce que les méchants s’en servent quelquefois à nuire. | Lo que hay es bueno, y no hay ninguna ley general que sea mala. Esta astucia particular dispensada al sexo es una muy justa indemnización de la fuerza que le falta, sin la cual la mujer no sería la compañera, sino la esclava del hombre, y por esta superioridad de talento se mantiene en igual suyo, y le gobierna obedeciéndole. La mujer lo tiene todo contra ella, nuestros defectos, su cortedad v su debilidad, y en su favor no tiene más que su habilidad y su belleza. El que cultive una y otra, ¿:no es justo? Pero no es la belleza física que puede ser destruida por mil azares, que se va con los años, y la costumbre termina con su eficacia. El verdadero recurso del sexo está en el ingenio, pero no es ese ingenio necio que tanto aprecia el mundo y que en nada contribuye a hacer la vida feliz, sino el ingenio de su estado, el arte de sacar utilidad del nuestro y valerse de nuestras propias ventajas. Ignoramos el grado de provecho que tiene para nosotros esa misma astucia de las mujeres, el embeleso que añade a la sociedad de ambos sexos, cuánto sirve para reprimir la petulancia de las criaturas, cuántos maridos brutales refrena, cuántos buenos matrimonios mantiene, que sin eso se verían malogrados por la discordia. Las mujeres arteras y malas sé muy bien que abusan de ella, pero, ¿:de qué no abusa el vicio? No destruyamos los instrumentos de la felicidad, porque algunas veces los malos se sirven de ellos para seguir siendo malos. |
On peut briller par la parure, mais on ne plaît que par la personne. Nos ajustements ne sont point nous ; souvent ils déparent à force d’être recherchés, et souvent ceux qui font le plus remarquer celle qui les porte sont ceux qu’on remarque le moins. L’éducation des jeunes filles est en ce point tout à fait à contresens. On leur promet des ornements pour récompense, on leur fait aimer les atours recherchés : Qu’elle est belle ! leur dit-on quand elles sont fort parées. Et tout au contraire on devrait leur faire entendre que tant d’ajustement n’est fait que pour cacher des défauts, et que le vrai triomphe de la beauté est de briller par elle-même. L’amour des modes est de mauvais goût, parce que les visages ne changent pas avec elles, et que la figure restant la même, ce qui lui sied une fois lui sied toujours. | Una puede lucir por sus adornos, pero sólo puede agradar por su persona. Nuestros trajes no son nosotros; de tanto ser estudiados muchas veces deslucen, y a menudo las que más quieren gire las vean por el vestido son las menos miradas. En este punto, la educación de las muchachas es diametralmente opuesta a la razón, les prometen galas como recompensa, procuran que gusten recargadas de adornos. «¡Qué bonita está!», les dicen al verlas muy emperifolladas, cuando les deberían hacer comprender que tanto atavío no tiene otro objeto que el de ocultar defectos, y que el verdadero éxito de la hermosura está en lucir por sí misma. La afición a las modas es de mal gusto, puesto que los semblantes no varían con ellas, y quedándose la cara siempre la misma, lo que una vez le cae bien, le cae bien siempre. |
Quand je verrais la jeune fille se pavaner dans ses atours, je paraîtrais inquiet de sa figure ainsi déguisée et de ce qu’on en pourra penser ; je dirais : Tous ces ornements la parent trop, c’est dommage : croyez-vous qu’elle en pût supporter de plus simples ? est-elle assez belle pour se passer de ceci ou de cela ? Peut-être sera-t-elle alors la première à prier qu’on lui ôte cet ornement, et qu’on juge : c’est le cas de l’applaudir, s’il y a lieu. Je ne la louerais jamais tant que quand elle serait le plus simplement mise. Quand elle ne regardera la parure que comme un supplément aux grâces de la personne et comme un aveu tacite qu’elle a besoin de secours pour plaire, elle ne sera point fière de son ajustement, elle en sera humble ; et si, plus parée que de coutume, elle s’entend dire : Qu’elle est belle ! elle en rougira de dépit. | Cuando yo viera a la niña presumir con su atuendo, haría como que pensaba en lo que dirían de ella disfrazada de ese modo, y diría: «Todos esos adornos la desfiguran demasiado, y es una verdadera lástima. ¿:No crees tú que le bastaría llevar unos adornos más sencillos? ¿:Es tan hermosa que le podamos quitar esto o aquello?». Quizá ella misma rogará entonces que le quiten uno y otro adorno, y entonces es la ocasión de alabarla, si hay razón para ello. Cuanto con más sencillez estuviera vestida, tanto más yo la elogiaría. Cuando ella vea las galas sólo corno suplemento de las gracias personales y convenga en que no necesita socorro para agradar, no estará ufana con su traje, sino muy humilde, y si vistiendo más engalanada de lo acostumbrado oye que le dicen: «¡Qué hermosa está!», enrojecerá de despecho. |
Au reste, il y a des figures qui ont besoin de parure, mais il n’y en a point qui exigent de riches atours. Les parures ruineuses sont la vanité du rang et non de la personne, elles tiennent uniquement au préjugé. La véritable coquetterie est quelquefois recherchée, mais elle n’est jamais fastueuse ; et Junon se mettait plus superbement que Vénus. Ne pouvant la faire belle, tu la fais riche, disait Apelle à un mauvais peintre qui peignait Hélène fort chargée d’atours. J’ai aussi remarqué que les plus pompeuses parures annonçaient le plus souvent de laides femmes ; on ne saurait avoir une vanité plus maladroite. Donnez à une jeune fille qui ait du goût, et qui méprise la mode, des rubans, de la gaze, de la mousseline et des fleurs ; sans diamants, sans pompons, sans dentelles [6], elle va se faire un ajustement qui la rendra cent fois plus charmante que n’eussent fait tous les brillants chiffons de la Duchapt. | Por lo demás, si hay figuras que necesitan adornos, no hay ninguna que exija ricos atavíos. Los costosos adornos son una vanidad de la clase y no de la persona, y dependen únicamente de la preocupación. La coquetería a veces es rebuscada, pero jamás es ostentosa, y Juno se engalanaba con mayor riqueza que Venus. «No pudiendo hacerla hermosa, la haces rica», decía Apeles a un mal pintor que pintaba a Elena cargada de adornos. También he podido darme cuenta de que las alhajas más preciosas eran llevadas por mujeres feas; no es posible tener una vanidad más desgraciada. Procurad que una joven tenga gusto y desprecie la moda, cintas, gasas, muselina y flores, y sin diamantes, dijes ni encajes [6] , va a idear un traje que dé cien veces más realce a su hermosura que todos los brillantes harapos de la modista más encopetada. |
Comme ce qui est bien est toujours bien, et qu’il faut être toujours le mieux qu’il est possible, les femmes qui se connaissent en ajustements choisissent les bons, s’y tiennent ; et, n’en changeant pas tous les jours, elles en sont moins occupées que celles qui ne savent à quoi se fixer. Le vrai soin de la parure demande peu de toilette. Les jeunes demoiselles ont rarement des toilettes d’appareil ; le travail, les leçons, remplissent leur journée ; cependant, en général, elles sont mises, au rouge près, avec autant de soin que les dames, et souvent de meilleur goût. L’abus de la toilette n’est pas ce qu’on pense, il vient bien plus d’ennui que de vanité. Une femme qui passe six heures à sa toilette n’ignore point qu’elle n’en sort pas mieux mise que celle qui n’y passe qu’une demi-heure ; mais c’est autant de pris sur l’assommante longueur du temps, et il vaut mieux s’amuser de soi que de s’ennuyer de tout. Sans la toilette, que ferait-on de la vie depuis midi jusqu’à neuf heures ? En rassemblant des femmes autour de soi, on s’amuse à les impatienter, c’est déjà quelque chose ; on évite les tête-à-tête avec un mari qu’on ne voit qu’à cette heure-là, c’est beaucoup plus ; et puis viennent les marchandes, les brocanteurs, les petits messieurs, les petits auteurs, les vers, les chansons, les brochures : sans la toilette on ne réunirait jamais si bien tout cela. Le seul profit réel qui tienne à la chose est le prétexte de s’étaler un peu plus que quand on est vêtue ; mais ce profit n’est peut-être pas si grand qu’on pense, et les femmes à toilette n’y gagnent pas tant qu’elles diraient bien. Donnez sans scrupule une éducation de femme aux femmes, faites qu’elles aiment les soins de leur sexe, qu’elles aient de la modestie, qu’elles sachent veiller à leur ménage et s’occuper dans leur maison ; la grande toilette tombera d’elle-même, et elles n’en seront mises que de meilleur goût. | Como lo que está bien siempre sienta bien, y como siempre es necesario parecer lo mejor que sea posible, las mujeres que más entienden de vestidos escogen los que les sientan bien, y los conservan, y como no cambian todos los días, se ocupan menos de sus trajes que las que no saben los que han de llevar. El verdadero arte requiere poco tocador. Las señoritas solteras rara vez gastan tocados aparatosos; la labor y las lecciones les ocupan el día, y, no obstante, por lo general, van tan bien vestidas como las señoras casadas y muchas veces con mayor gusto. El abuso del tocador no es lo que se piensa, ya que más procede de aburrimiento que de vanidad. Una mujer sabe muy bien que gasta seis horas en su tocador, que no sale de él mejor puesta que la que no está en el suyo más de media hora, pero es el tiempo ganado a la pesada duración del día, y más vale divertirse consigo que fastidiarse con todo. ¿:Qué se podría hacer después de comer hasta las nueve de la noche, si no tuviesen el tocador? Se reúnen otras mujeres a su alrededor y se divierte en impacientarlas, eso ya es algo-, se evitan las conversaciones a solas con el marido, que sólo se ve a esta hora, y eso todavía es más, y luego vienen las modistas, los petimetres, los pequeños autores, los versos y las canciones del día. Sin el tocador nunca se podría tocarlo y discutirlo todo, pero el único beneficio real que ella le saca es lucirse algo más cuando está vestida, aunque ese beneficio no es tanto como se piensa, ni de él sacan tanto las mujeres como se figuran. Dad sin escrúpulo una educación de mujer a las mujeres, procurad que se aficionen a las tareas de su sexo, que sean modestas, que sepan cuidar y gobernar su casa, y se les olvidará muy pronto el abuso del tocador, y no se las verá con peor gusto. |
La première chose que remarquent en grandissant les jeunes personnes, c’est que tous ces agréments étrangers ne leur suffisent pas, si elles n’en ont qui soient à elle. On ne peut jamais se donner la beauté, et l’on n’est pas si tôt en état d’acquérir la coquetterie ; mais on peut déjà chercher à donner un tour agréable à ses gestes, un accent flatteur à sa voix, à composer son maintien, à marcher avec légèreté, à prendre des attitudes gracieuses, et à choisir partout ses avantages. La voix s’étend, s’affermit, et prend du timbre ; les bras se développent, la démarche s’assure, et l’on s’aperçoit que, de quelque manière qu’on soit mise, il y a un art de se faire regarder. Dès lors il ne s’agit plus seulement d’aiguille et d’industrie ; de nouveaux talents se présentent, et font déjà sentir leur utilité. | A medida que van creciendo, lo primero que observan las niñas es que todos estos adornos extraños no bastan para quien no los tiene en su propia persona. Nadie se puede dar a sí mismo hermosura, ni se adquiere tan pronto el arte de agradar a los hombres, pero ya es posible dar a los ademanes un giro agradable, a la voz un acento melodioso, presentarse con sencillez, andar con ritmo, tomar posturas que tengan gracia y sacar ventaja de todo. La voz alcanza mayor intensidad, adquiere consistencia y metal, se desenvuelven los brazos, se afirma el paso, y de cualquier manera que una vaya vestida, sabe que hay un arte para lograr que la miren. Entonces ya no se trata sólo de aguja y de industria; se presentan nuevas habilidades y su utilidad es más que evidente. |
Je sais que les sévères instituteurs veulent qu’on n’apprenne aux jeunes filles ni chant, ni danse, ni aucun des arts agréables. Cela me paraît plaisant ; et à qui veulent-ils donc qu’on les apprenne ? Aux garçons ? À qui des hommes ou des femmes appartient-il d’avoir ces talents par préférence ? À personne, répondront-ils ; les chansons profanes sont autant de crimes ; la danse est une invention du démon, une jeune fille ne doit avoir d’amusement que son travail et la prière. Voilà d’étranges amusements pour un enfant de dix ans ! Pour moi, j’ai grand’peur que toutes ces petites saintes qu’on force de passer leur enfance à prier Dieu ne passent leur jeunesse à tout autre chose, et ne réparent de leur mieux, étant mariées, le temps qu’elles pensent avoir perdu filles. J’estime qu’il faut avoir égard à ce qui convient à l’âge aussi bien qu’au sexe ; qu’une jeune fille ne doit pas vivre comme sa grand’mère ; qu’elle doit être vive, enjouée, folâtre, chanter, danser autant qu’il lui plaît, et goûter tous les innocents plaisirs de son âge ; le temps ne viendra que trop tôt d’être posée et de prendre un maintien plus sérieux. | Sé que los severos instructores no quieren que se enseñe música a las niñas, ni el baile ni ninguna de las artes agradables. Eso me parece muy gracioso. Pues, ¿:a quién quieren que se enseñen? ¿:A los muchachos? ¿:A quién pertenece mejor la posesión de estas artes, a los hombres o a las mujeres? Me responderán que a nadie. Las canciones profanas son pecados horrorosos, el baile es una invención del diablo, una niña no debe tener otro pasatiempo que su labor y sus oraciones. ¡Qué absurdas diversiones son ésas para niñas de diez años! Me temo mucho que todas estas santitas, obligadas a pasar su niñez encomendándose a Dios, pasen su mocedad en cosas muy distintas y se resarzan lo mejor que puedan, cuando estén casadas, del tiempo que piensan que perdieron de solteras. Soy del parecer que se debe tener en consideración lo que conviene a la edad no menos que al sexo, que una muchacha no debe vivir como su abuela, que debe ser viva, alegre, retozona; cantar, bailar tanto como se le antoje, y disfrutar de los placeres inocentes propios de su edad, pues demasiado pronto le llegará el tiempo de ser reposada y de adoptar un aire más serio. |
Mais la nécessité de ce changement même est-elle bien réelle ? n’est-elle point peut-être encore un fruit de nos préjugés ? En n’asservissant les honnêtes femmes qu’à de tristes devoirs, on a banni du mariage tout ce qui pouvait le rendre agréable aux hommes. Faut-il s’étonner si la taciturnité qu’ils voient régner chez eux les en chasse, ou s’ils sont peu tentés d’embrasser un état si déplaisant ? À force d’outrer tous les devoirs, le christianisme les rend impraticables et vains ; à force d’interdire aux femmes le chant, la danse, et tous les amusements du monde, il les rend maussades, grondeuses, insupportables dans leurs maisons. Il n’y a point de religion où le mariage soit soumis à des devoirs si sévères, et point où un engagement si saint soit si méprisé. On a tant fait pour empêcher les femmes d’être aimables, qu’on a rendu les maris indifférents. Cela ne devrait pas être ; j’entends fort bien : mais moi je dis que cela devait être, puisque enfin les chrétiens sont hommes. Pour moi, je voudrais qu’une jeune Anglaise cultivât avec autant de soin les talents agréables pour plaire au mari qu’elle aura, qu’une jeune Albanaise les cultive pour le harem d’Ispahan. Les maris, dira-t-on, ne se soucient point trop de tous ces talents. Vraiment je le crois, quand ces talents, loin d’être employés à leur plaire, ne servent que d’amorce pour attirer chez eux de jeunes impudents qui les déshonorent. Mais pensez-vous qu’une femme aimable et sage, ornée de pareils talents, et qui les consacrerait à l’amusement de son mari, n’ajouterait pas au bonheur de sa vie, et ne l’empêcherait pas, sortant de son cabinet la tête épuisée, d’aller chercher des récréations hors de chez lui ? Personne n’a-t-il vu d’heureuses familles ainsi réunies, où chacun sait fournir du sien aux amusements communs ? Qu’il dise si la confiance et la familiarité qui s’y joint, si l’innocence et la douceur des plaisirs qu’on y goûte, ne rachètent pas bien ce que les plaisirs publics ont de plus bruyant ? | Pero, ¿:se necesita este cambio? ¿:No es también una consecuencia de nuestras preocupaciones? Con esclavizar a las mujeres honestas con tristes obligaciones, han desterrado del matrimonio todo lo que podía hacerlo grato a los hombres. ¡Qué extraño es que el silencio que ven reinar en su casa los eche de ella, o que tan poca prisa se den para abrazar tan ingrato estado! El cristianismo, a fuerza de exagerar todas las obligaciones, las hace impracticables y vanas; con tanto prohibir a las mujeres el canto, el baile y todos los pasatiempos del mundo, las convierte en groseras, regañonas e inaguantables en su casa. - No hay religión en la que esté sujeto el matrimonio a tan severas obligaciones, ni ninguna en que sea más despreciado un vínculo tan sagrado. Se ha hecho tanto para impedir que las mujeres fuesen amables, que han convertido a los maridos en indiferentes. No debería ser así, y lo comprendo, pero digo que así debe ser, puesto que al cabo los cristianos no dejen de ser hombres. Por mí, yo querría que una moza inglesa cultivase con tanto esmero los talentos amenos para agradar al marido que un día tendrá como los cultiva una albanesa joven para el serrallo de Ispahan. Me argüirán que un marido no aprecia mucho todos estos talentos. Creo que sea así cuando en vez de emplearlos en su diversión sirven de cebó para tener en su casa mozuelos descarados que le afrentan. Pero, ¿:os figuráis que una casada cuerda, amable, adornada con estos talentos, y que los consagrase a la diversión de su marido, no aumentaría la felicidad de él, y no le evitaría que al salir de su oficina, agotado por el trabajo, fuese en busca de distracciones? ¿:No habéis visto familias felices reunidas de tal forma que cada uno pone todo lo que sabe en la diversión común? Diga él si la confianza y la familiaridad que con ella va unida, si la inocencia y la dulzura de los placeres que disfrutan no sustituyen con ventaja al mayor bullicio que ofrecen las diversiones públicas. |
On a trop réduit en arts les talents agréables ; on les a trop généralisés ; on a tout fait maxime et précepte, et l’on a rendu fort ennuyeux aux jeunes personnes ce qui ne doit être pour elles qu’amusement et folâtres jeux. Je n’imagine rien de plus ridicule que de voir un vieux maître à danser ou à chanter aborder d’un air refrogné de jeunes personnes qui ne cherchent qu’à rire, et prendre pour leur enseigner sa frivole science un ton plus pédantesque et plus magistral que s’il s’agissait de leur catéchisme. Est-ce, par exemple, que l’art de chanter tient à la musique écrite ? ne saurait-on rendre sa voix flexible et juste, apprendre à chanter avec goût, même à s’accompagner, sans connaître une seule note ? Le même genre de chant va-t-il à toutes les voix ? la même méthode va-t-elle à tous les esprits ? On ne me fera jamais croire que les mêmes attitudes, les mêmes pas, les mêmes mouvements, les mêmes gestes, les mêmes danses conviennent à une petite brune vive et piquante, et à une grande belle blonde aux yeux languissants. Quand donc je vois un maître donner exactement à toutes deux les mêmes leçons, je dis : Cet homme suit sa routine, mais il n’entend rien à son art. | Las habilidades agradables se han convertido en demasiado artísticas y se han generalizado en exceso; todo lo hemos puesto en máximas y preceptos, y hemos convertido en fastidio para las muchachas lo que debería servirles de diversión y juego. No imagino nada más jocoso que ver a un viejo maestro de música o de baile, que se acerca con ademán adusto a niñas que sólo piensan en reír, y para enseñarles su frívola ciencia toma un tono más pedante y magistral que si tratara de explicarles la doctrina cristiana. ¿:El arte de cantar y el de la música escrita son inseparables? ¿:No es posible hacer flexible la voz y ajustarla, aprender a cantar con gusto, y aun acompañarse sin conocer ni siquiera una nota? ¿:Se ajusta el mismo género de canto a todas las voces? ¿:El mismo se adapta a todas las inteligencias? Nadie me hará creer que las mismas posturas, los mismos pasos, los mismos movimientos, los mismos ademanes, los mismos bailes, le convengan a una morenita viva y salada, igual que a una hermosa rubia, alta y de ojos serenos. Así, cuando veo a un maestro que da las mismas lecciones a las dos, digo: «Este hombre sigue su práctica, pero no entiende ni una palabra de su arte». |
On demande s’il faut aux filles des maîtres ou des maîtresses. Je ne sais : je voudrais bien qu’elles n’eussent besoin ni des uns ni des autres, qu’elles apprissent librement ce qu’elles ont tant de penchant à vouloir apprendre, et qu’on ne vît pas sans cesse errer dans nos villes tant de baladins chamarrés. J’ai quelque peine à croire que le commerce de ces gens-là ne soit pas plus nuisible à de jeunes filles que leurs leçons ne leur sont utiles, et que leur jargon, leur ton, leurs airs, ne donnent pas à leurs écolières le premier goût des frivolités, pour eux si importantes, dont elles ne tarderont guère, à leur exemple, de faire leur unique occupation. | Existen dudas sobre si las niñas deben tener maestros o maestras. No sé; yo bien quisiera que no precisasen ni de unos ni de otras, que aprendiesen con libertad lo que tanta inclinación tienen a aprender, y que no viéramos vagabundear por nuestras ciudades tanto saltarín. Difícilmente dejaré de creer que el trato con semejantes gentes no sea más perjudicial para las niñas que útiles sus lecciones, y que su algarabía, su estilo, sus ademanes, no inspiren a sus discípulas la primera afición a las frivolidades, de tanta entidad para ellos, y que a ejemplo suyo ellas tendrán en breve como única ocupación. |
Dans les arts qui n’ont que l’agrément pour objet tout peut servir de maître aux jeunes personnes : leur père, leur mère, leur frère, leur sœur, leurs amies, leurs gouvernantes, leur miroir, et surtout leur propre goût. On ne doit point offrir de leur donner leçon, il faut que ce soient elles qui la demandent ; on ne doit point faire une tâche d’une récompense ; et c’est surtout dans ces sortes d’études que le premier succès est de vouloir réussir. Au reste, s’il faut absolument des leçons en règle, je ne déciderai point du sexe de ceux qui les doivent donner. Je ne sais s’il faut qu’un maître à danser prenne une jeune écolière par sa main délicate et blanche, qu’il lui fasse accourcir la jupe, lever les yeux, déployer les bras, avancer un sein palpitant ; mais je sais bien que pour rien au monde je ne voudrais être ce maître-là. | En las artes, que no tienen otro objeto que el agradar, todo puede servir de maestro a las niñas; su padre, su madre, su hermano, su hermana; sus amigos, sus ayas, su espejo, y más que todo, su propio gusto. Nadie se debe brindar para darles lección; es preciso que ellas sean las que la pidan; ni se les debe señalar como una tarea lo que es recompensa, y en esta especie de estudios el mayor aprovechamiento depende especial- mente de querer adelantar. En cuanto a lo demás, si son absolutamente necesarias lecciones en forma, yo no seré quien decida de qué sexo han de ser los que deban darlas. No sé si es preciso que un maestro de baile coja la blanca y delicada mano de su joven discípula, le haga levantar la ropa, alzar los ojos, tender el brazo y erguir un pecho palpitante; lo que sí sé es que por todo lo que hay en este mundo no quisiera ser yo ese maestro. |
Par l’industrie et les talents le goût se forme ; par le goût l’esprit s’ouvre insensiblement aux idées du beau dans tous les genres, et enfin aux notions morales qui s’y rapportent. C’est peut-être une des raisons pourquoi le sentiment de la décence et de l’honnêteté s’insinue plus tôt chez les filles que chez les garçons ; car, pour croire que ce sentiment précoce soit l’ouvrage des gouvernantes, il faudrait être fort mal instruit de la tournure de leurs leçons et de la marche de l’esprit humain. Le talent de parler tient le premier rang dans l’art de plaire ; c’est par lui seul qu’on peut ajouter de nouveaux charmes à ceux auxquels l’habitude accoutume les sens. C’est l’esprit qui non seulement vivifie le corps, mais qui le renouvelle en quelque sorte, c’est par la succession des sentiments et des idées qu’il anime et varie la physionomie ; et c’est par les discours qu’il inspire que l’attention, tenue en haleine, soutient longtemps le même intérêt sur le même objet. C’est, je crois, par toutes ces raisons que les jeunes filles acquièrent si vite un petit babil agréable, qu’elles mettent de l’accent dans leurs propos, même avant que de les sentir, et que les hommes s’amusent si tôt à les écouter, même avant qu’elles puissent les entendre ; ils épient le premier moment de cette intelligence pour pénétrer ainsi celui du sentiment. | Con arte y talento se forma el gusto, con el gusto se introducen en nuestro entendimiento las ideas de la belleza de todo género, y por último, las ideas morales que a ellas se refieren. Quizá ésta es una de las razones porque el sentimiento de la decencia y la honestidad se insinúa más pronto en las niñas que en los muchachos, pues creer que ese sentimiento proviene de lo que les dicen sus ayas, sería no estar instruido ni en lo que son las lecciones de éstas, ni en el natural progreso del espíritu humano. El primer puesto en el arte de agradar es ocupado por el arte de hablar; por él sólo pueden añadirse nuevos encantos a aquellos con que el hábito acostumbra a los sentidos. El espíritu no solamente vivifica al cuerpo, sino que en cierto modo lo renueva; por la sucesión de los sentimientos y las ideas anima y cambia la fisonomía, y por los razonamientos que inspira llamando la atención, sostiene mucho tiempo igual interés en el mismo objeto. Creo que por todas estas razones las muchachas adquieren tan pronto un charlar grato, acentúan lo que dicen aun antes de sentirlo, y los hombres se divierten escuchándolas aun antes de que ellas puedan entenderlos, espiando, por decirlo así, el instante de discernimiento de estas mozuelas para penetrar en su sentimiento. |
Les femmes ont la langue flexible ; elles parlent plus tôt, plus aisément et plus agréablement que les hommes. On les accuse aussi de parler davantage : cela doit être, et je changerais volontiers ce reproche en éloge ; la bouche et les yeux ont chez elles la même activité, et par la même raison. L’homme dit ce qu’il sait, la femme dit ce qui plaît ; l’un pour parler a besoin de connaissance, et l’autre de goût ; l’un doit avoir pour objet principal les choses utiles, l’autre les agréables. Leurs discours ne doivent avoir de formes communes que celles de la vérité. | Las mujeres tienen un lenguaje flexible, hablan más pronto y con mayor facilidad y agrado que los hombres. También se las acusa de que hablan más; así debe ser, y yo convertiría esta acusación en elogio; en ellas, la boca y los ojos tienen igual actividad por la misma razón. El hombre dice lo que sabe, y la mujer dice lo que agrada; el uno para hablar necesita conocimiento y la otra gusto; el principal objeto de él deben ser las cosas útiles, y el de ella las agradables. En sus razonamientos no debe haber otras formas comunes que las de la verdad. |
On ne doit donc pas contenir le babil des filles, comme celui des garçons, par cette interrogation dure : À quoi cela est-il bon ? mais par cette autre, à laquelle il n’est pas plus aisé de répondre : Quel effet cela fera-t-il ? Dans ce premier âge, où, ne pouvant discerner encore le bien et le mal, elles ne sont les juges de personne, elles doivent s’imposer pour loi de ne jamais rien dire que d’agréable à ceux à qui elles parlent ; et ce qui rend la pratique de cette règle plus difficile est qu’elle reste toujours subordonnée à la première, qui est de ne jamais mentir. | La charla de las niñas no debe ser contenida, como la de los muchachos, con la dura pregunta de: «¿:Para qué sirve eso?», sino con esta otra, a la cual no es difícil contestar: «¿:Qué efecto hará eso?» En esta primera edad, en que aún no pueden discernir el bien y el mal, ellas no son jueces de nadie, y se deben imponer la ley de no decir nunca nada que no sea grato para aquellos con quienes hablan, y lo que dificulta la práctica de esta regla es que siempre queda subordinada a la primera, que es no mentir nunca. |
J’y vois bien d’autres difficultés encore, mais elles sont d’un âge plus avancé. Quant à présent, il n’en peut coûter aux jeunes filles pour être vraies que de l’être sans grossièreté ; et comme naturellement cette grossièreté leur répugne, l’éducation leur apprend aisément à l’éviter. Je remarque en général, dans le commerce du monde, que la politesse des hommes est plus officieuse, et celle des femmes plus caressante. Cette différence n’est point d’institution, elle est naturelle. L’homme paraît chercher davantage à vous servir, et la femme à vous agréer. Il suit de là que, quoi qu’il en soit du caractère des femmes, leur politesse est moins fausse que la nôtre ; elle ne fait qu’étendre leur premier instinct ; mais quand un homme feint de préférer mon intérêt au sien propre, de quelque démonstration qu’il colore ce mensonge, je suis très sûr qu’il en fait un. Il n’en coûte donc guère aux femmes d’être polies, ni par conséquent aux filles d’apprendre à le devenir. La première leçon vient de la nature, l’art ne fait plus que la suivre, et déterminer suivant nos usages sous quelle forme elle doit se montrer. À l’égard de leur politesse entre elles, c’est tout autre chose ; elles y mettent un air si contraint et des attentions si froides, qu’en se gênant mutuellement elles n’ont pas grand soin de cacher leur gêne, et semblent sincères dans leur mensonge on ne cherchant guère à le déguiser. Cependant les jeunes personnes se font quelquefois tout de bon des amitiés plus franches. À leur âge la gaieté tient lieu de bon naturel ; et contentes d’elles, elles le sont de tout le monde. Il est constant aussi qu’elles se baisent de meilleur cœur et se caressent avec plus de grâce devant les hommes, fières d’aiguiser impunément leur convoitise par l’image des faveurs qu’elles savent leur faire envier. | Todavía veo otras muchas dificultades, pero corresponden a una edad más adelantada. Por ahora, para agradar les basta con decir la verdad sin aspereza, y como ésta les repugna, fácilmente les enseña la educación a evitarla. En el trato con el mundo, generalmente observo que la cortesía es más oficiosa en los hombres y más halagüeña la de las mujeres, y esta diferencia no se ha instituido, sino que es natural. Parece como si el hombre tratara más de servir y la mujer más de agradar. De aquí se deduce que, sea cual sea el carácter de las mueres, su cortesía es menos falsa que la nuestra, puesto que no hace otra cosa que desarrollar su primer instinto, pero cuando un hombre finge que prefiere mi interés al suyo propio, por muchas demostraciones con que envuelva su embuste, estoy seguro de que miente. Así, a las mujeres les cuesta poco ser corteses, y poco, por consiguiente, a las niñas aprender a serlo. La primera lección proviene de la naturaleza, y el arte no hace más que seguirla y determinar en qué estilo se ha de manifestar esta forma. En cuanto a la cortesía entre ellas; es otra cosa; emplean un estilo tan forzado y tan frías atenciones, que sujetándose mutuamente no ponen mucho cuidado en ocultar su sujeción, y parecen sinceras en su mentira porque apenas se preocupan de encubrirla. Sin embargo, las jóvenes se dan algunas veces pruebas de amistad más francas. A su edad la alegría suple a la bondad natural, y satisfechas consigo mismas, lo están con todo el mundo. También es cierto que se besan con efusión y se acarician con más gracia delante de los hombres, envanecidas por excitar impunemente su apetito con la imagen de favores que saben que ellos anhelan. |
Si l’on ne doit pas permettre aux jeunes garçons des questions indiscrètes, à plus forte raison doit-on les interdire à de jeunes filles dont la curiosité satisfaite ou mal éludée est bien d’une autre conséquence, vu leur pénétration à pressentir les mystères qu’on leur cache et leur adresse à les découvrir. Mais sans souffrir leurs interrogations, je voudrais qu’on les interrogeât beaucoup elles-mêmes, qu’on eût soin de les faire causer, qu’on les agaçât pour les exercer à parler aisément, pour les rendre vives à la riposte, pour leur délier l’esprit et la langue, tandis qu’on le peut sans danger. Ces conversations toujours tournées en gaieté, mais ménagées avec art et bien dirigées, feraient un amusement charmant pour cet âge, et pourraient porter dans les cœurs innocents de ces jeunes personnes les premières et peut-être les plus utiles leçons de morale qu’elles prendront de leur vie, en leur apprenant, sous l’attrait du plaisir et de la vanité, à quelles qualités les hommes accordent véritablement leur estime, et en quoi consiste la gloire et le bonheur d’une honnête femme. | Si no se debe consentir a los muchachos preguntas indiscretas, con mucha más razón se les deben prohibir a las niñas, cuya curiosidad, o satisfecha o no bien eludida, acarrea consecuencias mucho más importantes si sé tiene en cuenta su penetración para descubrir los misterios que les ocultan y su arte para averiguarlos. Pero sin permitírles preguntas, desearía que se les hicieran muchas a ellas, que procurasen hacerlas hablar para ejercitarlas a conversar con facilidad, que supieran encontrar réplicas prontas, y para que soltasen, cuando aún puede hacerse sin riesgo, la lengua y el entendimiento. Estas conversaciones envueltas siempre con alegría, pero preparadas con habilidad y bien dirigidas, serían un entretenimiento encantador para esta edad y podrían arraigar en los inocentes corazones de estas muchachas las primeras lecciones de moral, tal vez las más útiles que reciban en su vida. mostrándoles, con el cebo del deleite y la vanidad, cuáles son las cualidades que verdaderamente ganan la estimación de los hombres y en qué consiste la gloria y la felicidad de una mujer honesta. |
On comprend bien que si les enfants mâles sont hors d’état de se former aucune véritable idée de religion, à plus forte raison la même idée est-elle au-dessus de la conception des filles : c’est pour cela même que je voudrais en parler à celles-ci de meilleure heure ; car s’il fallait attendre qu’elles fussent en état de discuter méthodiquement ces questions profondes, on courrait risque de ne leur en parler jamais. La raison des femmes est une raison pratique qui leur fait trouver très habilement les moyens d’arriver à une fin connue, mais qui ne leur fait pas trouver cette fin. La relation sociale des sexes est admirable. De cette société résulte une personne morale dont la femme est l’œil et l’homme le bras, mais avec une telle dépendance l’une de l’autre, que c’est l’homme que la femme apprend ce qu’il faut voir, et de la femme que l’homme apprend ce qu’il faut faire. Si la femme pouvait remonter aussi bien que l’homme aux principes, et que l’homme eût aussi bien qu’elle l’esprit des détails, toujours indépendants l’un de l’autre, ils vivraient dans une discorde éternelle, et leur société ne pourrait subsister. Mais dans l’harmonie qui règne entre eux, tout tend à la fin commune ; on ne sait lequel met le plus du sien ; chacun suit l’impulsion de l’autre ; chacun obéit, et tous deux sont les maîtres. | Se comprende que si los niños son incapaces de formarse ninguna idea verdadera de religión, con mayor razón excede esta idea la capacidad de las niñas, y por eso mismo quisiera yo hablarles de ella más pronto, porque si hubiéramos de aguardar a que estuviesen en estado de discutir metódicamente estas profundas cuestiones, correríamos el riesgo de no hablarles nunca de ellas. La razón de las mujeres es una razón práctica que les hace encontrar muy hábilmente los medios de llegar a un fin conocido, pero que no les deja encontrar este fin. La relación social de los sexos es admirable, de esta sociedad resulta una persona moral, cuyos ojos son la mujer y los brazos el hombre, pero con tal dependencia uno de otro que la mujer aprenda del hombre lo que ha de ver, y él, de ella, lo que ha de hacer. Si la mujer pudiera igual que el hombre remontar a los principios, y si el hombre tuviera igual que ella el espíritu de los detalles, siempre independientes uno de otro, vivirían en continua discordia, y su sociedad no podría subsistir, pero con la armonía que reina entre ellos, todo tiende al fin común; no sabemos quién pone más de lo suyo, pues el uno sigue el impulso del otro, cada cual obedece y los dos son árbitros. |
Par cela même que la conduite de la femme est asservie à l’opinion publique, sa croyance est asservie à l’autorité. Toute fille doit avoir la religion de sa mère, et toute femme celle de son mari. Quand cette religion serait fausse, la docilité qui soumet la mère et la famille à l’ordre de la nature efface auprès de Dieu le péché de l’erreur. Hors d’état d’être juges elles-mêmes, elles doivent recevoir la décision des pères et des maris comme celle de l’Eglise. | Por lo mismo que la conducta de la mujer está sujeta a la opinión pública, su creencia lo está también a la autoridad. Toda muchacha debe tener la religión de su madre y toda casada la de su esposo. Aun cuando esta religión fuera falsa, la docilidad que sujeta a la madre y a la hija al orden de la naturaleza borra para con Dios el pecado del error. No hallándose en estado de ser jueces por sí mismas, deben admitir la decisión de sus padres y de sus esposos como la de la Iglesia. |
Ne pouvant tirer d’elles seules la règle de leur foi, les femmes ne peuvent lui donner pour bornes celles de l’évidence et de la raison ; mais, se laissant entraîner par mille impulsions étrangères, elles sont toujours en deçà ou au delà du vrai. Toujours extrêmes, elles sont toutes libertines ou dévotes ; on n’en voit point savoir réunir la sagesse à la piété. La source du mal n’est pas seulement dans le caractère outré de leur sexe, mais aussi dans l’autorité mal réglée du nôtre : le libertinage des mœurs la fait mépriser, l’effroi du repentir la rend tyrannique, et voilà comment on en fait toujours trop ou trop peu. | No pudiendo deducir por sí mismas la regla de su fe, tampoco pueden las mujeres asignarles por límites los de la evidencia y la razón, pero dejándose arrastrar de mil impulsos extraños, se quedan siempre más acá o van más allá de la verdad. Siempre exageradas, unas son libertinas y otras, devotas; no se ve ninguna que con la piedad reúna la discreción. El origen del mal no sólo está en el carácter extremado de su sexo, sino también en la mal regulada autoridad del nuestro; el libertinaje de costumbres se la hace despreciar, el pánico del arrepentimiento la convierte en tiránica, y de esta forma siempre vamos muy adelante o nos quedamos muy retrasados. |
Puisque l’autorité doit régler la religion des femmes, il ne s’agit pas tant de leur expliquer les raisons qu’on a de croire, que de leur exposer nettement ce qu’on croit : car la foi qu’on donne à des idées obscures est la première source du fanatisme, et celle qu’on exige pour des choses absurdes mène à la folie ou à l’incrédulité. Je ne sais à quoi nos catéchismes portent le plus, d’être impie ou fanatique ; mais je sais bien qu’ils font nécessairement l’un ou l’autre. | Ya que la autoridad debe regular la religión de las mujeres, no se trata tanto de explicarles las razones que existen para creer como de presentarles con claridad lo que se cree, puesto que la fe que ponemos en ideas oscuras constituye el origen del fanatismo, y la que se exige de cosas absurdas conduce a la incredulidad o a la locura. No sé a qué incitan más nuestros catecismos, si a ser impío o fanático, pero sé que necesariamente se da lo uno y lo otro. |
Premièrement, pour enseigner la religion à de jeunes filles, n’en faites jamais pour elles un objet de tristesse et de gêne, jamais une tâche ni un devoir ; par conséquent ne leur faites jamais rien apprendre par cœur qui s’y rapporte, pas même les prières. Contentez-vous de faire régulièrement les vôtres devant elles, sans les forcer pourtant d’y assister. Faites-les courtes, selon l’instruction de Jésus-Christ. Faites-les toujours avec le recueillement et le respect convenables ; songez qu’en demandant à l’Être suprême de l’attention pour nous écouter, cela vaut bien qu’on en mette à ce qu’on va lui dire. | Ante todo, para enseñar la religión a las muchachas no se la presentéis como una obligación o un trabajo, y no debéis hacerles aprender de memoria nada, ni siquiera las preces. Contentaos con rezar todos los días las vuestras en su presencia, pero sin obligarlas a que las escuchen. Procurad que sean cortas, según la instrucción de Jesucristo, y con el recogimiento y el respeto que convienen; debéis considerar que dado lo que pedimos al Ser Supremo, para que nos escuche, es justo que nosotros pongamos gran atención en lo que decimos. |
Il importe moins que de jeunes filles sachent sitôt leur religion, qu’il n’importe qu’elles la sachent bien, et surtout qu’elles l’aiment. Quand vous la leur rendez onéreuse, quand vous leur peignez toujours Dieu fâché contre elles, quand vous leur imposez en son nom mille devoirs pénibles qu’elles ne vous voient jamais remplir, que peuvent-elles penser, sinon que savoir son catéchisme et prier Dieu sont les devoirs des petites filles, et désirer d’être grandes pour s’exempter comme vous de tout cet assujettissement ? L’exemple ! l’exemple ! sans cela jamais on ne réussit à rien auprès des enfants. | Tiene menos importancia que las niñas sepan tan pronto su religión como que la sepan bien, y especialmente que la amen. Cuando se la hacéis gravosa o les pintáis a Dios siempre enojado contra ellas, y en su nombre le imponéis mil penosas obligaciones que nunca os ven desempeñar, ¿:qué otra cosa han de pensar sino que saber la doctrina y encomendarse a Dios son obligaciones de chiquillas, ni qué más han de desear que ser mayores para eximirse como vosotros de esa sujeción? El ejemplo, el ejemplo; sin él, nada se consigue de las criaturas. |
Quand vous leur expliquez des articles de foi, que ce soit en forme d’instruction directe, et non par demandes et par réponses. Elles ne doivent jamais répondre que ce qu’elles pensent, et non ce qu’on leur a dicté. Toutes les réponses du catéchisme sont à contresens, c’est l’écolier qui instruit le maître ; elles sont même des mensonges dans la bouche des enfants, puisqu’ils expliquent ce qu’ils n’entendent point, et qu’ils affirment ce qu’ils sont hors d’état de croire. Parmi les hommes les plus intelligents, qu’on me montre ceux qui ne mentent pas en disant leur catéchisme. | Al explicarles los artículos de fe, debe hacerse en forma de instrucción directa y no a través de preguntas y respuestas. Ellas sólo deben responder lo que piensan y no lo que les hayan dictado. Todas las respuestas del catecismo son contrarias al sentido común; y es el discípulo quien instruye al maestro; también en boca de los niños son mentiras, puesto que explican lo que no entienden, o afirman lo que no creen. Entre los hombres más inteligentes enséñenme uno que no mienta cuando dice su lección de catecismo. |
La première question que je vois dans le nôtre est celle-ci : Qui vous a créée et mise au monde ? À quoi la petite fille, croyant bien que c’est sa mère, dit pourtant sans hésiter que c’est Dieu. La seule chose qu’elle voit là, c’est qu’à une demande qu’elle n’entend guère elle fait une réponse qu’elle n’entend point du tout. | Una de las primeras lecciones que hallo en el nuestro es ésta: «¿:Quién os crió y os puso en el mundo? A lo cual la chiquilla, aunque sabe que fue su madre, contesta, sin titubear, que Dios. Lo único que ve ella es que a una pregunta que entiende mal, da una respuesta de la cual no entiende ni una palabra. |
Je voudrais qu’un homme qui connaîtrait bien la marche de l’esprit des enfants voulût faire pour eux un catéchisme. Ce serait peut-être le livre le plus utile qu’on eût jamais écrit, et ce ne serait pas, à mon avis, celui qui ferait le moins d’honneur à son auteur. Ce qu’il y a de bien sûr, c’est que, si ce livre était bon, il ne ressemblerait guère aux nôtres. | Yo quisiera que un hombre que conociese bien el progreso del espíritu de los niños compusiera un catecismo para ellos. Tal vez sería el libro más útil que se hubiera escrito y, a mi parecer, no sería el que menos honra proporcionase a su autor. Lo cierto es que si este libro fuese bueno, se parecería muy poco a los nuestros. |
Un tel catéchisme ne sera bon que quand, sur les seules demandes, l’enfant fera de lui-même les réponses sans les apprendre ; bien entendu qu’il sera quelquefois dans le cas d’interroger à son tour. Pour faire entendre ce que je veux dire, il faudrait une espèce de modèle, et je sens bien ce qui me manque pour le tracer. J’essayerai du moins d’en donner quelque légère idée. | Semejante catecismo será tanto mejor cuando por las presuntas el niño dé las respuestas sin aprenderlas, teniendo en cuenta que algunas veces se verá en la necesidad de también preguntar él. Para dar a entender lo que quiero decir, sería necesario presentar una especie de modelo, y yo sé lo que me hace falta para poder bosquejarlo. Pero intentaré dar de él una ligera idea. |
Je m’imagine donc que, pour venir à la première question de notre catéchisme, il faudrait que celui-là commençât à peu près ainsi : | Imagino, pues, que para llegar a la pregunta del catecismo que hemos mencionado anteriormente, sería necesario que empezase más o menos así |
LA BONNE: Vous souvenez-vous du temps que votre mère étoit fille ? |
LA MAESTRA: ¿:Te acuerdas de cuando era niña tu madre? |
LA PETITE: Non, ma bonne |
LA NIÑA: No, señora. |
LA BONNE: Pourquoi non, vous qui avez si bonne mémoire ? |
LA MAESTRA: ¿:Cómo no, teniendo tanta memoria? |
LA PETITE: C′est que je n′étois pas au monde. |
LA NIÑA: Porque yo no había venido al mundo. |
LA BONNE: Vous n′avez donc pas toujours vécu ? |
LA MAESTRA: ¿:Conque tú no has vivido siempre? |
LA PETITE: Non. |
LA NIÑA: No. |
LA BONNE: Vivrez-vous toujours ? |
LA MAESTRA: ¿:Y vivirás siempre? |
LA PETITE: Oui. |
LA NIÑA: Sí. |
LA BONNE: Etes-vous jeune ou vieille ? |
LA MAESTRA: ¿:Eres joven o vieja? |
LA PETITE: Je suis jeune. |
LA NIÑA: Soy joven. |
LA BONNE: Et votre grand′maman, est-elle jeune ou vieille ? |
LA MAESTRA: Y tu abuela, ¿:es joven o vieja? |
LA PETITE: Elle est vieille. |
LA NIÑA: Vieja. |
LA BONNE: A-t-elle été jeune ? |
LA MAESTRA: ¿:Ha sido joven? |
LA PETITE: Oui. |
LA NIÑA: Sí. |
LA BONNE: Pourquoi ne l′est-elle plus ? |
LA MAESTRA: ¿:Y por qué no lo es ahora? |
LA PETITE: C′est qu′elle a vieilli. |
LA NIÑA: Porque ha envejecido. |
LA BONNE: Vieillirez-vous comme elle ? |
LA MAESTRA: ¿:Y tú envejecerás como ella? |
LA PETITE: Je ne sais [7]. * [* Si partout ou j′ai mis je ne sais, la petite répond autrement, il faut se méfier de sa réponse & la lui faire expliquer avec soin.] |
LA NIÑA: No lo sé [7] . |
LA BONNE: Où sont vos robes de l′année passée ? |
LA MAESTRA: ¿:Dónde están tus vestidos del año pasado? |
LA PETITE: On les a défaites. |
LA NIÑA: Los han deshecho. |
LA BONNE: Et pourquoi les a-t-on défaites ? |
LA MAESTRA: ¿:Por qué los han deshecho? |
LA PETITE: Parce qu′elles m′étoient trop petites. |
LA NIÑA: Porque me quedaban pequeños. |
LA BONNE: Et pourquoi vous étoient-elles trop petites ? |
LA MAESTRA: ¿:Y por qué te quedaban pequeños? |
LA PETITE: Parce que j′ai grandi. |
LA NIÑA: Porque he crecido. |
LA BONNE: Grandirez-vous encore ? |
LA MAESTRA: ¿:Y todavía crecerás? |
LA PETITE: Oh ! oui. |
LA NIÑA: ¡Oh, sí! |
LA BONNE: Et que deviennent les grandes filles ? |
LA MAESTRA: ¿:En qué se convierten las niñas mayores? |
LA PETITE: Elles deviennent femmes. |
LA NIÑA: En mujeres. |
LA BONNE: Et que deviennent les femmes ? |
LA MAESTRA: ¿:Y las mujeres en qué? |
LA PETITE: Elles deviennent mères. |
LA NIÑA: En madres. |
LA BONNE: Et les mères, que deviennent-elles ? |
LA MAESTRA: Y las madres, ¿:qué son después? |
LA PETITE: Elles deviennent vieilles. |
LA NIÑA: Viejas. |
LA BONNE: Vous deviendrez donc vieille ? |
LA MAESTRA: ¿:Conque tú también serás vieja? |
LA PETITE: Quand je serai mère. |
LA NIÑA: Cuando haya sido madre. |
LA BONNE Et que deviennent les vieilles gens ? |
LA MAESTRA: Y las viejas, ¿:qué son después? |
LA PETITE: Je ne sais. |
LA NIÑA: No lo sé. |
LA BONNE: Qu′est devenu votre grand-papa ? |
LA MAESTRA: ¿:Qué ha sido de tu abuelo? |
LA PETITE: Il est mort. [8].* [*La petite dira cela parce qu′elle l′a entendu dire ; mais il faut vérifier si elle a quelque juste idée de la mort, car cette idée n′est pas si simple ni si à la portée de, enfans que l′on pense. On peut voir, dans le petit poème d′Abel, un exemple de la manière dont on doit la leur donner. Ce charmant ouvrage respire une simplicité délicieuse dont on ne peut trop se nourrir pour converser avec les enfants.] |
LA NIÑA: Murió. [8] |
LA BONNE: Et pourquoi est-il mort ? |
LA MAESTRA: ¿:Y por qué murió? |
LA PETITE: Parce qu′il étoit vieux. |
LA NIÑA: Porque era viejo. |
LA BONNE: Que deviennent donc les vieilles gens ? |
LA MAESTRA: Entonces, ¿:qué hace la gente vieja? |
LA PETITE: Ils meurent. |
LA NIÑA: Se muere. |
LA BONNE: Et, vous, quand vous serez vieille, que... |
LA MAESTRA: Y tú, cuando seas vieja, ¿:qué...? |
LA PETITE, l′interrompant. Oh ! ma bonne, je ne veux pas mourir. | LA NIÑA (interrumpiéndola): ¡Oh, no! Yo no quiero morir. |
LA BONNE: Mon enfant, personne ne veut mourir, & tout le monde meurt. |
LA MAESTRA: Hija mía, nadie quiere morir, y todo el mundo se muere. |
LA PETITE: Comment ! est-ce que maman mourra aussi ! |
LA NIÑA: ¿:Cómo? ¿:También se ha de morir mi mamá? |
LA BONNE: Comme tout le monde. Les femmes vieillissent ainsi que les hommes, & la vieillesse mène à la mort. |
LA MAESTRA: Como todo el mundo. Las mujeres envejecen como los hombres y la vejez lleva a la muerte. |
LA PETITE: Que faut-il faire pour vieillir bien tard ? |
LA NIÑA: ¿:Qué se ha de hacer para envejecer muy tarde? |
LA BONNE: Vivre sagement tandis qu′on est jeune ! |
LA MAESTRA: Vivir con cordura cuando somos jóvenes. |
LA PETITE: Ma bonne, je serai toujours sage. |
LA NIÑA: Señora, yo siempre seré cuerda. |
LA BONNE: Tant mieux pour vous. Mais, enfin, croyez-vous de vivre toujours ? |
LA MAESTRA: Mejor para ti. ¿:Pero tú crees que has de vivir siempre? |
LA PETITE: Quand je serai bien vieille, bien vieille... |
LA NIÑA: Cuando sea muy vieja, muy vieja... |
LA BONNE: Hé bien ? |
LA MAESTRA: ¿:Sí? |
LA PETITE: Enfin, quand on est si vieille, vous dites qu′il faut bien mourir. |
LA NIÑA: Cuando una es tan vieja, dice usted que conviene que se muera. |
LA BONNE: Vous mourrez donc une fois ? |
LA MAESTRA: ¿:Conque al fin morirás? |
LA PETITE: Hélas ! oui. |
LA NIÑA: ¡Ay, sí! |
LA BONNE: Qui est-ce qui vivoit avant vous ? |
LA MAESTRA: ¿:Quién vivía antes que tú? |
LA PETITE: Mon père & ma mère. |
LA NIÑA: Mi padre y mi madre. |
LA BONNE: Qui est-ce qui vivoit avant eux ? |
LA MAESTRA: ¿:Quién vivirá después de ti? |
LA PETITE: Leur père & leur mère. | ... |
LA BONNE: Qui est-ce qui vivra après vous ? | |
LA PETITE Mes enfants. |
LA NIÑA: Mis hijos. |
LA BONNE: Qui est-ce qui vivra après eux ? |
LA MAESTRA: ¿:Y quién vivirá después de ellos? |
LA PETITE: Leurs enfants, etc. |
LA NIÑA: Sus hijos... |
En suivant cette route, on trouve à la race humaine, par des inductions sensibles, un commencement et une fin, comme à toutes choses, c’est-à-dire un père et une mère qui n’ont eu ni père ni mère, et des enfants qui n’auront point d’enfants [9]. | Siguiendo este camino se hallan, mediante inducciones sensibles, un principio y un fin al linaje humano, como a todas las cosas; es decir, un padre y una madre que no tuvieron ni padre ni madre, y unos hijos que no tendrán hijos [9] . |
Ce n’est qu’après une longue suite de questions pareilles que la première demande du catéchisme est suffisamment préparée. Mais de là jusqu’à la deuxième réponse, qui est pour ainsi dire la définition de l’essence divine, quel saut immense ! Quand cet intervalle sera-t-il rempli ? Dieu est un esprit ! Et qu’est-ce qu’un esprit ? Irai-je embarquer celui d’un enfant dans cette obscure métaphysique dont les hommes ont tant de peine à se tirer ? Ce n’est pas à une petite fille à résoudre ces questions, c’est tout au plus à elle à les faire. Alors je lui répondrais simplement : Vous me demandez ce que c’est que Dieu ; cela n’est pas facile à dire : on ne peut entendre, ni voir, ni toucher Dieu ; on ne le connaît que par ses œuvres. Pour juger ce qu’il est, attendez de savoir ce qu’il a fait. | Sólo después de una larga serie de preguntas análogas, estará bastante preparada la del catecismo de que hemos hecho mención. Pero desde aquí hasta la respuesta a la pregunta «¿:Quién es Dios?», que es, por decirlo así, la definición de la divina esencia, ¡qué inmenso salto! ¿:Cuándo se llenará este intervalo? Dios es un espíritu. ¿:Y qué es el espíritu? ¿:Iré a meter el espíritu de una criatura en esa oscura metafísica a la que con tanta dificultad llegan los hombres? No pertenece a una niña resolver estas cuestiones; le pertenecería, si acaso, el proponerlas. Entonces le respondería con sencillez «Me preguntas qué es Dios, y no es fácil decírtelo: no podemos oírle, verle ni tocarle; sólo le conocemos por sus obras. Espera saber lo que ha hecho para entender lo que es.» |
Si nos dogmes sont tous de la même vérité, tous ne sont pas pour cela de la même importance. Il est fort indifférent à la gloire de Dieu qu’elle nous soit connue en toutes choses ; mais il importe à la société humaine et à chacun de ses membres que tout homme connaisse et remplisse les devoirs que lui impose la loi de Dieu envers son prochain et envers soi-même. Voilà ce que nous devons incessamment nous enseigner les uns aux autres, et voilà surtout de quoi les pères et les mères sont tenus d’instruire leurs enfants. Qu’une vierge soit la mère de son créateur, qu’elle ait enfanté Dieu, ou seulement un homme auquel Dieu s’est joint ; que la substance du père et du fils soit la même, ou ne soit que semblable ; que l’esprit procède de l’un des deux qui sont le même, ou de tous deux conjointement, je ne vois pas que la décision de ces questions, en apparence essentielles, importe plus à l’espèce humaine que de savoir quel jour de la lune on doit célébrer la pâque, s’il faut dire le chapelet, jeûner, faire maigre, parler latin ou français à l’église, orner les murs d’images, dire ou entendre la messe, et n’avoir point de femme en propre. Que chacun pense là-dessus comme il lui plaira : j’ignore en quoi cela peut intéresser les autres ; quant à moi, cela ne m’intéresse point du tout. Mais ce qui m’intéresse, moi et tous mes semblables, c’est que chacun sache qu’il existe un arbitre du sort des humains, duquel nous sommes tous les enfants, qui nous prescrit à tous d’être justes, de nous aimer les uns les autres, d’être bienfaisants et miséricordieux, de tenir nos engagements envers tout le monde, même envers nos ennemis et les siens ; que l’apparent bonheur de cette vie n’est rien ; qu’il en est une autre après elle, dans laquelle cet Etre suprême sera le rémunérateur des bons et le juge des méchants. Ces dogmes et les dogmes semblables sont ceux qu’il importe d’enseigner à la jeunesse, et de persuader à tous les citoyens. Quiconque les combat mérite châtiment, sans doute ; il est le perturbateur de l’ordre et l’ennemi de la société. Quiconque les passe, et veut nous asservir à ses opinions particulières, vient au même point par une route opposée ; pour établir l’ordre à sa manière, il trouble la paix ; dans son téméraire orgueil, il se rend l’interprète de la Divinité, il exige en son nom les hommages et les respects des hommes, il se fait Dieu tant qu’il peut à sa place : on devrait le punir comme sacrilège, quand on ne le punirait pas comme intolérant. | Si todos nuestros dogmas son igualmente ciertos, no por eso tienen la misma importancia. Para la gloria de Dios, es indiferente el que nos sea conocida en todo, pero a la sociedad humana y a cada uno de sus miembros importa que todo hombre conozca y desempeñe las obligaciones que la ley de Dios le impone para con su prójimo y para consigo mismo. Esto es lo que continuamente debemos enseñarnos los unos a los otros, y en esto principalmente están obligados los padres y las madres al instruir a sus hijos. Que sea una virgen madre de su Creador, que haya parido a Dios, o sólo a un hombre con quien se unió Dios; que sea una misma la sustancia del Padre y del Hijo, o que sólo sea semejante; que proceda el espíritu de uno de los dos, que son lo mismo, o de ambos juntamente; no veo por qué ha de importar más al género humano la decisión de estas cuestiones, en apariencia esenciales, que saber qué día de la luna se ha de celebrar la Pascua, si se ha de rezar el rosario, ayunar, comer pescado, hablar latín u otra lengua de la Iglesia, pintar imágenes en los cuadros y paredes, oír o decir misa y no tener mujer propia. Cada uno que piense como le parezca sobre esto, pues no sé en qué puede interesar a los demás, si bien a mí para nada me interesa. Pero lo que a mí y a todos mis semejantes nos importa es que cada uno sepa que existe un árbitro de la suerte de los humanos, cuyos hijos somos todos, que a todos nos prescribe que seamos justos, que nos amemos unos a otros, que seamos generosos y misericordiosos, que cumplamos nuestra palabra con todo el mundo, aunque sea con nuestros enemigos y con los suyos; que nada es la aparente felicidad de esta vida, que después de ésta hay otra, en la cual el Ser Supremo será remunerador de los buenos y juez de los malos. Estos y otros dogmas semejantes son los que importa enseñar a la juventud y persuadir a todos los ciudadanos. El que los impugna merece sin duda el castigo, porque es perturbador del orden y enemigo de la sociedad. El que va más adelante, y pretende sujetarnos a sus opiniones particulares, llega al mismo término por un camino opuesto. Por establecer a su modo el orden, perturba la paz; con su temeraria soberbia, se constituye en intérprete de la Divinidad, exige en su nombre los homenajes y el respeto de los hombres, y se hace Dios, poniéndose en su lugar. Debería ser castigado como sacrílego, si no lo fuese como intolerante. |
Négligez donc tous ces dogmes mystérieux qui ne sont pour nous que des mots sans idées, toutes ces doctrines bizarres dont la vaine étude tient lieu de vertus à ceux qui s’y livrent, et sert plutôt à les rendre fous que bons. Maintenez toujours vos enfants dans le cercle étroit des dogmes qui tiennent à la morale. Persuadez-leur bien qu’il n’y a rien pour nous d’utile à savoir que ce qui nous apprend à bien faire. Ne faites point de vos filles des théologiennes et des raisonneuses ; ne leur apprenez des choses du ciel que ce qui sert à la sagesse humaine ; accoutumez-les à se sentir toujours sous les yeux de Dieu, à l’avoir pour témoin de leurs actions, de leurs pensées, de leur vertu, de leurs plaisirs, à faire le bien sans ostentation, parce qu’il l’aime ; à souffrir le mal sans murmure, parce qu’il les en dédommagera ; à être enfin tous les jours de leur vie ce qu’elles seront bien aises d’avoir été lorsqu’elles comparaîtront devant lui. Voilà la véritable religion, voilà la seule qui n’est susceptible ni d’abus, ni d’impiété, ni de fanatisme. Qu’on en prêche tant qu’on voudra de plus sublimes ; pour moi, je n’en reconnais point d’autre que celle-là. | Abandonad, pues, todos esos misteriosos dogmas que para nosotros sólo son palabras sin ideas, todas esas doctrinas estrafalarias, cuyo vano estudio suple las virtudes de los que a ellas se entregan y sirven para convertirlos más en locos que en hombres buenos. Mantened siempre a vuestros hijos en el estrecho círculo de los dogmas que tienen relación con la moral, convencedlos de que no hay para nosotros otra ciencia útil que la que nos enseña a obrar bien. No hagáis teólogas ni argumentadoras a vuestras hijas; de las cosas del cielo enseñadles aquellas que sirven para la humana sabiduría; acostumbradlas a que se miren siempre ante los ojos de Dios, a que le tengan por testigo de sus acciones, de sus pensamientos, de su virtud, de sus placeres; a obrar bien sin ostentación, porque así se complace Dios; a padecer el mal sin murmurar, porque le llegará la recompensa; a ser, finalmente, todos los días de su vida lo que quisieran haber sido cuando comparezcan ante El. Esta es la verdadera religión, y la única que no es capaz del abuso de impiedad ni de fanatismo. Prediquen cuanto quieran otras más sublimes, que yo no conozco otra que ésta. |
Au reste, il est bon d’observer que, jusqu’à l’âge où la raison s’éclaire et où le sentiment naissant fait parler la conscience, ce qui est bien ou mal pour les jeunes personnes est ce que les gens qui les entourent ont décidé tel. Ce qu’on leur commande est bien, ce qu’on leur défend est mal, elles n’en doivent pas savoir davantage : par où l’on voit de quelle importance est, encore plus pour elles que pour les garçons, le choix des personnes qui doivent les approcher et avoir quelque autorité sur elles. Enfin le moment vient où elles commencent à juger des choses par elles-mêmes, et alors il est temps de changer le plan de leur éducation. | En lo que se refiera a lo demás, es provechoso observar que hasta la edad en que se ilustra la razón, y en que el sentimiento naciente hace hablar la conciencia, lo que es bueno o malo para las niñas es aquello que deciden las personas con quienes tratan. Todo lo que les mandan es bueno, y lo que les prohíben es malo, y no deben saber más, de donde se infiere que es más importante para ellas que para los muchachos la buena elección de las personas que han de vivir en su compañía y tener sobre ellas alguna autoridad. Por último llega la época en que ya empiezan a juzgar las cosas por sí mismas, y entonces es cuando ha llegado el tiempo de cambiar el sistema de su educación. |
J’en ai trop dit jusqu’ici peut-être. À quoi réduirons-nous les femmes, si nous ne leur donnons pour loi que les préjugés publics ? N’abaissons pas à ce point le sexe qui nous gouverne, et qui nous honore quand nous ne l’avons pas avili. Il existe pour toute l’espèce humaine une règle antérieure à l’opinion. C’est à l’inflexible direction de cette règle que se doivent rapporter toutes les autres : elle juge le préjugé même : et ce n’est qu’autant que l’estime des hommes s’accorde avec elle, que cette estime doit faire autorité pour nous. | Tal vez he dicho demasiado hasta aquí. ¿:A qué reduciremos a las mujeres si no les dejamos otra ley que las inquietudes públicas? No debemos rebajar hasta este punto el sexo que nos gobierna y que nos honra cuando no lo hemos envilecido. Para toda la especie humana existe una regla anterior a la opinión, y a la inflexible dirección de esta regla se deben referir todas las demás; juzga a la misma preocupación, y sólo cuando se aviene con ella la estimación de los hombres, debe trocarse en autoridad para nosotros. |
Cette règle est le sentiment intérieur. Je ne répéterai point ce qui en a été dit ci-devant ; il me suffit de remarquer que si ces deux règles ne concourent à l’éducation des femmes, elle sera toujours défectueuse. Le sentiment sans l’opinion ne leur donnera point cette délicatesse d’âme qui par les bonnes mœurs de l’honneur du monde ; et l’opinion sans le sentiment n’en fera jamais que des femmes fausses et déshonnêtes, qui mettent l’apparence à la place de la vertu. | Esta norma es el sentimiento interior. Aquí no repetiré lo que antes he dicho acerca de él; me es suficiente con observar que si estas dos reglas no contribuyen a la educación de las mujeres, será siempre defectuosa. Sin la opinión, el sentimiento no les proporcionará aquella delicadeza de alma que adorna a las buenas costumbres con el honor del mundo, y sin el sentimiento, la opinión no hará de ellas más que mujeres falsas y deshonestas, pero aparentando virtud. |
Il leur importe donc de cultiver une faculté qui serve d’arbitre entre les deux guides, qui ne laisse point égarer la conscience, et qui redresse les erreurs du préjugé. Cette faculté est la raison. Mais à ce mot que de questions s’élèvent ! Les femmes sont-elles capables d’un solide raisonnement ? importe-t-il qu’elles le cultivent ? le cultiveront-elles avec succès ? Cette culture est-elle utile aux fonctions qui leur sont imposées ? Est-elle compatible avec la simplicité qui leur convient ? | De este modo, pues, les conviene el cultivo de una facultad que sirva de árbitro entre ambos guías, que evite que la conciencia se extravíe y que rectifique los errores de la preocupación. Esta facultad es la razón. ¡Pero, cuántas cuestiones se plantean al pronunciar esta voz! ¿:Son capaces las mujeres de un talento sólido? ¿:Tiene importancia que lo cultiven? ¿:Lo cultivarán con provecho? ¿:Tiene utilidad esta cultura para las funciones que se les imponen? ¿:Es compatible con la sencillez que les conviene? |
Les diverses manières d’envisager et de résoudre ces questions font que, donnant dans les excès contraires, les uns bornent la femme à coudre et filer dans son ménage avec ses servantes, et n’en font ainsi que la première servante du maître ; les autres, non contents d’assurer ses droits, lui font encore usurper les nôtres ; car la laisser au-dessus de nous dans les qualités propres à son sexe, et la rendre notre égale dans tout le reste, qu’est-ce autre chose que transporter à la femme la primauté que la nature donne au mari ? | Las diferentes formas de considerar y resolver estas cuestiones hacen que, cayendo en excesos opuestos, los unos limitan a la mujer a hilar y a coser en su casa con sus criadas, reduciéndola de esta forma a ser la primera criada del amo; los otros, no satisfechos con afianzar sus derechos, también hacen que se apropien los nuestros, pero dejarla superior a nosotros en las cualidades propias de su sexo, y hacerla igual a nosotros en todo lo demás, ¿:qué otra cosa es si no conceder a la mujer la primacía que la naturaleza da al marido? |
La raison qui mène l’homme à la connaissance de ses devoirs n’est pas fort composée ; la raison qui mène la femme à la connaissance des siens est plus simple encore. L’obéissance et la fidélité qu’elle doit à son mari, la tendresse et les soins qu’elle doit à ses enfants, sont des conséquences si naturelles et si sensibles de sa condition, qu’elle ne peut, sans mauvaise foi, refuser son consentement au sentiment intérieur qui la guide, ni méconnaître le devoir dans le penchant qui n’est point encore altéré. | La razón que guía al hombre para que conozca sus obligaciones es poco complicada; la que guía a la mujer para que conozca las suyas, todavía es más sencilla. La obediencia y la fidelidad que debe a su marido, la ternura y solicitudes que debe a sus hijos son tan naturales y palpables consecuencias de su condición, que sin mala fe no puede negar su consentimiento al sentimiento interior que la guía ni desconocer su obligación en sus inclinaciones, que aún no están alteradas. |
Je ne blâmerais pas sans distinction qu’une femme fût bornée aux seuls travaux de son sexe, et qu’on la laissât dans une profonde ignorance sur tout le reste ; mais il faudrait pour cela des mœurs publiques très simples, très saines ou une manière de vivre très retirée. Dans de grandes villes, et parmi des hommes corrompus, cette femme serait trop facile à séduire ; souvent sa vertu ne tiendrait qu’aux occasions. Dans ce siècle philosophe, il lui en faut une à l’épreuve ; il faut qu’elle sache d’avance et ce qu’on lui peut dire et ce qu’elle en doit penser. | No vituperaría sin hacer distinciones que una mujer se limitara solamente a ejecutar las tareas propias de su sexo y que la dejaran en una profunda ignorancia acerca de todo lo demás, pero para eso serian precisas costumbres públicas muy sencillas y muy sanas, o un método de vida muy retirado. En los pueblos grandes, y entre hombres pervertidos, esta mujer sería muy fácil de seducir, y muchas veces su virtud estribaría en las ocasiones; en este siglo filosófico, la mujer necesita una virtud a toda prueba; de antemano es preciso que sepa lo que le pueden decir, y lo que de ello debe pensar. |
D’ailleurs, soumise au jugement des hommes, elle doit mériter leur estime ; elle doit surtout obtenir celle de son époux ; elle ne doit pas seulement lui faire aimer sa personne, mais lui faire approuver sa conduite ; elle doit justifier devant le public le choix qu’il a fait, et faire honorer le mari de l’honneur qu’on rend à la femme. Or, comment s’y prendra-t-elle pour tout cela, si elle ignore nos institutions, si elle ne sait rien de nos usages, de nos bienséances, si elle ne connaît ni la source des jugements humains, ni les passions qui les déterminent ? Dès là qu’elle dépend à la fois de sa propre conscience et des opinions des autres, il faut qu’elle apprenne à comparer ces deux règles, à les concilier, et à ne préférer la première que quand elles sont en opposition. Elle devient le juge de ses juges, elle décide quand elle doit s’y soumettre et quand elle doit les récuser. Avant de rejeter ou d’admettre leurs préjugés, elle les pèse ; elle apprend à remonter à leur source, à les prévenir, à se les rendre favorables ; elle a soin de ne jamais s’attirer le blâme quand son devoir lui permet de l’éviter. Rien de tout cela ne peut bien se faire sans cultiver son esprit et sa raison. | Por otra parte, estando sujeta al juicio de los hombres, debe ser merecedora de aprecio, en especial del de su marido; no solamente debe ser su persona la causa del aprecio, sino también su conducta; ante el público debe justificar la elección de su marido y honrarle con el honor que le tributen a ella. Ahora bien, ¿:cómo podrá desempeñar todo esto si ignora nuestras instituciones, nuestros estilos y nuestro bien parecer, y no conoce la fuente de los juicios humanos ni las pasiones que las determinan? Suponiendo que al mismo tiempo depende de su propia conciencia y de las opiniones ajenas, es necesario que aprenda a comparar estas dos reglas, a conciliarlas y a preferir sólo la primera cuando las dos se encuentran en oposición. Se hace juez de los jueces, decide cuándo se ha de someter a ellos y cuándo los ha de recusar. Antes de desechar o admitir sus preocupaciones, las considera, aprende a llegar a su origen, a precaverlas, a hacérselas favorables, y pone atención en no merecer jamás censuras cuando su obligación le permite evitarlas. No puede hacer nada de esto bien sin cultivar su espíritu y su razón. |
Je reviens toujours au principe, et il me fournit la solution de toutes mes difficultés. J’étudie ce qui est, j’en recherche la cause, et je trouve enfin que ce qui est est bien. J’entre dans des maisons ouvertes dont le maître et la maîtresse font conjointement les honneurs. Tous deux ont eu la même éducation, tous deux sont d’une égale politesse, tous deux également pourvus de goût et d’esprit, tous deux animés du même désir de bien recevoir leur monde, et de renvoyer chacun content d’eux. Le mari n’omet aucun soin pour être attentif à tout : il va, vient, fait la ronde et se donne mille peines ; il voudrait être tout attention. La femme reste à sa place ; un petit cercle se rassemble autour d’elle, et semble lui cacher le reste de l’assemblée ; cependant il ne s’y passe rien qu’elle n’aperçoive, il n’en sort personne à qui elle n’ait parlé ; elle n’a rien omis de ce qui pouvait intéresser tout le monde ; elle n’a rien dit à chacun qui ne lui fût agréable ; et sans rien troubler à l’ordre, le moindre de la compagnie n’est pas plus oublié que le premier. On est servi, l’on se met à table : l’homme, instruit des gens qui se conviennent, les placera selon ce qu’il sait ; la femme, sans rien savoir, ne s’y trompera pas ; elle aura déjà lu dans les yeux, dans le maintien, toutes les convenances, et chacun se trouvera placé comme il veut l’être. Je ne dis point qu’au service personne n’est oublié. Le maître de la maison, en faisant la ronde, aura pu n’oublier personne ; mais la femme devine ce qu’on regarde avec plaisir et vous en offre ; en parlant à son voisin elle a l’œil au bout de la table ; elle discerne celui qui ne mange point parce qu’il n’a pas faim, et celui qui n’ose se servir ou demander parce qu’il est maladroit ou timide. En sortant de table, chacun croit qu’elle n’a songé qu’à lui ; tous ne pensent pas qu’elle ait eu le temps de manger un seul morceau ; mais la vérité est qu’elle a mangé plus que personne. | Siempre vuelvo al principio, y éste me da la solución de todas mis dificultades. Estudio lo que existe, averiguo la causa y, por último, veo que todo lo que existe está bien. Entro en una casa amiga, donde el marido y la mujer se esmeran en obsequiar a quien los visita. Los dos han tenido la misma educación, son igualmente corteses, poseen talento y gusto, están animados del mismo deseo de agasajar a sus amigos y de que se vayan satisfechos. El marido no omite ningún afán para atender a todos; va, viene, da vueltas y se toma un gran trabajo; siente ansias de convertirse todo él en atención. La mujer permanece sentada en su sitio, a su alrededor se reúne un pequeño círculo y le oculta, al parecer, a los demás concurrentes; no obstante, no sucede nada que no lo note, no sale nadie a quien no haya hablado ni ha olvidado nada de lo que a todo el mundo puede interesar; a cada uno le ha dicho lo que le puede ser agradable, y sin perturbar el orden, está tan bien atendido el último de la reunión como el primero. Ponen la sopa a la mesa y se sientan; el hombre, al corriente de las personas que más se avienen, las colocará con tacto; la mujer, sin saber nada, ya habrá leído en los ojos y en los ademanes las preferencias de unos y de otros, y cada uno verá que su vecino es el que deseaba. No digo que se olviden de nadie en el servicio, pues el amo de la casa vigila y va y viene, pero la mujer adivina lo que cada uno mira con placer, y se lo ofrece; cuando habla con su vecino, tiene la vista en el otro extremo de la mesa; comprende que aquél no come porque no tiene apetito y que aquel otro no se atreve a servirse o a pedir porque no es hábil o porque es tímido. Al levantarse de la mesa, cada uno supone que sólo han pensado en él; ninguno cree que haya comido más que unos bocados, pero la verdad es que ha comido más que nadie. |
Quand tout le monde est parti, l’on parle de ce qui s’est passé. L’homme rapporte ce qu’on lui a dit, ce qu’on dit et fait ceux avec lesquels il s’est entretenu. Si ce n’est pas toujours là-dessus que la femme est plus exacte, en revanche elle a vu ce qui s’est dit tout bas à l’autre bout de la salle ; elle sait ce qu’un tel a pensé, à quoi tenait tel propos ou tel geste ; il s’est fait à peine un mouvement expressif dont elle n’ait l’interprétation toute prête, et presque toujours conforme à la vérité. | Cuando ya se han ido todos, los dos hablan de lo sucedido. El marido cuenta lo que ha oído, lo que hicieron y dijeron aquellos con quienes habló. Si la mujer no es siempre la más exacta en este aspecto, en cambio ha intuido lo que se dijeron al oído en el otro extremo de la mesa; sabe lo que pensó fulano y a lo que tal dicho o tal ademán aludían; apenas se ha producido un movimiento expresivo que no lo haya interpretado íntimamente y casi siempre sin errar. |
Le même tour d’esprit qui fait exceller une femme du monde dans l’art de tenir maison, fait exceller une coquette dans l’art d’amuser plusieurs soupirants. Le manège de la coquetterie exige un discernement encore plus fin que celui de la politesse : car, pourvu qu’une femme polie le soit envers tout le monde, elle a toujours assez bien fait ; mais la coquette perdrait bientôt son empire par cette uniformité maladroite ; à force de vouloir obliger tous ses amants, elle les rebuterait tous. Dans la société, les manières qu’on prend avec tous les hommes ne laissent pas de plaire à chacun ; pourvu qu’on soit bien traité, l’on y regarde pas de si près sur les préférences ; mais en amour, une faveur qui n’est pas exclusive est une injure. Un homme sensible aimerait cent fois mieux être seul maltraité que caressé avec tous les autres, et ce qui lui peut arriver de pis est de n’être point distingué. Il faut donc qu’une femme qui veut conserver plusieurs amants persuade à chacun d’eux qu’elle le préfère, et qu’elle le lui persuade sous les yeux de tous les autres, à qui elle en persuade autant sous les siens. | El mismo instinto que hace que una mujer se aventaje en el arte de obsequiar a los que van a su casa, hace que una coqueta se aventaje en el arte de embobar a muchos pretendientes. Sus tretas requieren todavía un discernimiento más sagaz que el de la cortesía, porque con tal que una mujer sea cortés con todo el mundo, ya tiene lo suficiente, pero la coqueta pronto perdería su imperio con esta uniformidad si no poseyera otro arte, pues si tratase de contentar a todos sus amantes, los disgustaría a todos. En la sociedad, las buenas formas que en general se tienen complacen a todos, y con tal que a uno le traten bien. nadie se irrita por no ser el preferido, pero en materia de amor, un favor carente de exclusiva constituye un agravio. Un hombre sensible preferiría ser maltratado cien veces solo que halagado con todos los demás, y lo peor que le puede suceder es que lo distingan. La mujer que quiera entretener a muchos amantes es preciso que convenza a cada uno de que él es el preferido, y que sea delante de todos los demás, a quienes en presencia de él les hace creer lo mismo. |
Voulez-vous voir un personnage embarrassé, placez un homme entre deux femmes avec chacune desquelles il aura des liaisons secrètes, puis observez quelle sotte figure il y fera. Placez en même cas une femme entre deux hommes, et sûrement l’exemple ne sera pas plus rare ; vous serez émerveillé de l’adresse avec laquelle elle donnera le change à tous deux, et fera que chacun se rira de l’autre. Or, si cette femme leur témoignait la même confiance et prenait avec eux la même familiarité, comment seraient-ils un instant ses dupes ? En les traitant également, ne montrerait-elle pas qu’ils ont les mêmes droits sur elle ? Oh ! qu’elle s’y prend bien mieux que cela ! Loin de les traiter de la même manière, elle affecte de mettre entre eux de l’inégalité ; elle fait si bien que celui qu’elle flatte croit que c’est par tendresse, et que celui qu’elle maltraite croit que c’est par dépit. Ainsi chacun, content de son partage, la voit toujours s’occuper de lui, tandis qu’elle ne s’occupe en effet que d’elle seule. | ¿:Queréis ver a un hombre confuso? Colocadle entre dos mujeres con las que tenga relaciones no manifiestas, y veréis luego qué figura tan torpe la suya. Colocad en el mismo caso a una mujer entre dos hombres, y podréis daros cuenta de cómo sucede todo lo contrario; quedaréis maravillado de su ingenio para engañar a los dos y para que uno se ría del otro. Pero si esa mujer demostrase la misma confianza y usara con ellos la misma familiaridad, ¿:cómo se habían de engañar un instante? Si los tratara del mismo modo, ¿:no demostraría que tienen los mismos derechos sobre ella? Lejos de tratarlos del mismo modo, afecta portarse con ellos con mucha desigualdad, y lo lleva tan bien, que el halagado se cree que es por ternura, y el maltratado cree que es por despecho. De este modo, contento cada uno con su suerte, siempre la supone ocupada en él, cuando en realidad sólo se ocupa de sí misma. |
Dans le désir général de plaire, la coquetterie suggère de semblables moyens : les caprices ne feraient que rebuter, s’ils n’étaient sagement ménagés ; et c’est en les dispensant avec art qu’elle en fait les plus fortes chaînes de ses esclaves. | La coquetería sugiere medios parecidos en el deseo general de agradar; los caprichos no producirían otra cosa más que disgustar si no fuesen empleados con discreción, pero dispensándolos con arte, los convierte en cadenas mucho más fuertes. |
Usa ogn’arte la donna, onde sia colte Nella sua rete alcun novello amante ; Nè con tutti, nè sempre un stesso volto Serba; ma cangia a tempo atto e sembiante |
Usa ogn′arte la donna, on desia colto [10]
Nella sua rete alcun novello amante; Né con tuti, né sempre un stesso volto Serba; ma cangia a tempo atto e sembiante. |
À quoi tient tout ce art, si ce n’est à des observations fines et continuelles qui lui font voir à chaque instant ce qui se passe dans les cœurs des hommes, et qui la disposent à porter à chaque mouvement secret qu’elle aperçoit la force qu’il faut pour le suspendre ou l’accélérer ? Or, cet art s’apprend-il ? Non ; il naît avec les femmes ; elles l’ont toutes, et jamais les hommes ne l’ont eu au même degré. Tel est un des caractères distinctifs du sexe. La présence d’esprit, la pénétration, les observations fines sont la science des femmes ; l’habileté de s’en prévaloir est leur talent. | ¿:En qué consiste ese arte si no en sagaces y continuas observaciones que a cada instante le dicen lo que sucede en el corazón de los hombres y le facilitan el que a cada secreto movimiento que distingue emplee la fuerza necesaria para suspenderle o acelerarle? ¿:Pero se aprende ese arte? No; nace con las mujeres y todas lo poseen, pero los hombres nunca lo consiguen en el mismo grado. Este es uno de los caracteres distintivos del sexo. La presencia de espíritu, la penetración, las sutiles observaciones constituyen la ciencia de las mujeres, y en la habilidad para servirse de ella radica su talento. |
Voilà ce qui est, et l’on a vu pourquoi cela doit être. Les femmes sont fausses, nous dit-on. Elles le deviennent. Le don qui leur est propre est l’adresse et non pas la fausseté : dans les vrais penchants de leur sexe, même en mentant, elles ne sont point fausses. Pourquoi consultez-vous leur bouche, quand ce n’est pas elle qui doit parler ? Consultez leurs yeux, leur teint, leur respiration, leur air craintif, leur molle résistance : voilà le langage que la nature leur donne pour vous répondre. La bouche dit toujours non, et doit le dire ; mais l’accent qu’elle y joint n’est pas toujours le même, et cet accent ne sait point mentir. La femme n’a-t-elle pas les mêmes besoins que l’homme, sans avoir le même droit de les témoigner ? Son sort serait trop cruel, si, même dans les désirs légitimes, elle n’avait un langage équivalent à celui qu’elle n’ose tenir. Faut-il que sa pudeur la rende malheureuse ? Ne lui faut-il pas un art de communiquer ses penchants sans les découvrir ? De quelle adresse n’a-t-elle pas besoin pour faire qu’on lui dérobe ce qu’elle brûle d’accorder ! Combien ne lui importe-t-il point d’apprendre à toucher le cœur de l’homme, sans paraître songer à lui ! Quel discours charmant n’est-ce pas que la pomme de Galatée et sa fuite maladroite ! Que faudra-t-il qu’elle ajoute à cela ? Ira-t-elle dire au berger qui la suit entre les saules qu’elle n’y fuit qu’à dessein de l’attirer ? Elle mentirait, pour ainsi dire ; car alors elle ne l’attirerait plus. Plus une femme a de réserve, plus elle doit avoir d’art, même avec son mari. Oui, je soutiens qu’en tenant la coquetterie dans ses limites, on la rend modeste et vraie, on en fait une loi d’honnêteté. | Esto es lo que hay, y ya hemos visto por qué tiene que ser así. Las mujeres son falsas, nos dicen. Se hacen falsas. Su propio don es la habilidad y no la falsedad, y las verdaderas inclinaciones de su sexo, ni cuando mienten son falsas. ¿:Por qué esperáis lo que va a decir si no es ella la que debe hablar? Observad sus ojos, su color, su respiración, su tímido ademán, su débil resistencia... Ese es el idioma que les ha dado la naturaleza para que os respondan. La boca siempre dice «no», y lo debe decir, pero a ese «no» le da un acento que no es siempre el mismo, y ese acento no sabe mentir. ¿:No tiene las mismas necesidades la mujer que el hombre, sin tener el mismo derecho de expresarlas? Su suerte seria muy cruel si hasta para sus legítimos deseos no poseyera un lenguaje equivalente al que no se atreve a emplear. ¿:Su pudor ha de hacerla desdichada? ¿:No necesita un arte para comunicar, sin descubrirlas, sus inclinaciones? ¡Qué habilidad se necesita para inducir a que le roben lo que desea conceder! ¡ Cuánto le importa aprender a agitar el corazón del hombre y que parezca que no le hace caso! ¡Qué discurso más seductor el de la manzana de Galatea y su hábil fuga! ¿:Qué ha de añadir a eso? ¿:Ha de ir a decirle al pastor que la sigue por entre los sauces que sólo huye con la intención de atraerle? Mentiría, por decirlo así, porque entonces no le atraería. Cuanto más recatada es una mujer, más arte debe usar, hasta con su marido. Yo sostengo que no rebasando los límites de la coquetería, es más modesta y sincera, sin transgredir por ello de la honestidad. |
La vertu est une, disait très bien un de mes adversaires ; on ne la décompose pas pour admettre une partie et rejeter l’autre. Quand on l’aime, on l’aime dans toute son intégrité ; et l’on refuse son cœur quand on peut, et toujours sa bouche aux sentiments qu’on ne doit point avoir. La vérité morale n’est pas ce qui est, mais ce qui est bien ; ce qui est mal ne devrait point être, et ne doit point être avoué, surtout quand cet aveu lui donne un effet qu’il n’aurait pas eu sans cela. Si j’étais tenté de voler, et qu’en le disant je tentasse un autre d’être mon complice, lui déclarer ma tentation ne serait-ce pas y succomber ? Pourquoi dites-vous que la pudeur rend les femmes fausses ? Celles qui la perdent le plus sont-elles au reste plus vraies que les autres ? Tant s’en faut ; elles sont plus fausses mille fois. On n’arrive à ce point de dépravation qu’à force de vices, qu’on garde tous, et qui ne règnent qu’à la faveur de l’intrigue et du mensonge [10]. Au contraire, celles qui ont encore de la honte, qui ne s’enorgueillissent point de leurs fautes, qui savent cacher leurs désirs à ceux mêmes qui les inspirent, celles dont ils en arrachent les aveux avec le plus de peine, sont d’ailleurs les plus vraies, les plus sincères, les plus constantes dans tous leurs engagements, et celles sur la foi desquelles on peut généralement le plus compter. | La virtud es una, decía muy bien uno de mis adversarios; no se puede descomponer para admitir una parte y desechar otra. Quien la ama, lo hace con toda su integridad; cuando puede, cierra su boca a los efectos que no debe sentir. Lo que es, no es la verdad moral, sino lo que es bueno; lo que es malo no debiera ser, y nunca se debe confesar, especialmente cuando le da esta confesión una eficacia que sin ella no hubiera tenido. Si yo tuviese intención de robar, y tentara a otro para que fuese mi cómplice diciéndoselo, ¿:no sería sucumbir a la tentación el declarárselo? ¿:Por qué decís que el pudor hace falsas a las mujeres? ¿:Acaso son más ingenuas las que lo han perdido que las otras? Y no es así, pues son mil veces más falsas. No hay ninguna que llegue a esta depravación como no sea a fuerza de vicios, y los conserva todos, protegidos por un cúmulo de intrigas y de embustes [11] . Por el contrario, las que aún no han perdido la vergüenza, las que no se enorgullecen de sus culpas, las que saben ocultar sus deseos a los mismos que los inspiran, las que más trabajo cuesta arrancarles su consentimiento, son las más verídicas, las más sinceras, las más constantes en cumplir sus promesas y con cuya fe se puede generalmente contar. |
Je ne sache que la seule mademoiselle de l’Enclos qu’on ait pu citer pour exception connue à ces remarques. Aussi mademoiselle de l’Enclos a-t-elle passé pour un prodige. Dans le mépris des vertus de son sexe, elle avait, dit-on, conservé celles du nôtre : on vante sa franchise, sa droiture, la sûreté de son commerce, sa fidélité dans l’amitié ; enfin, pour achever le tableau de sa gloire, on dit qu’elle s’était faite homme. À la bonne heure. Mais, avec toute sa haute réputation, je n’aurais pas plus voulu de cet homme-là pour mon ami que pour ma maîtresse. | El único caso de que yo tengo noticia, que pueda citarse como excepción a estas observaciones, es el de Ninón de Lenclós, y por eso fue mirada como un portento. Despreciando las virtudes de su sexo, dicen que había conservado las del nuestro; alaban su sinceridad, su rectitud, lo seguro de su trato, su fidelidad en la amistad; por último, para completar la pintura de su gloria, dicen que se hizo hombre. Enhorabuena, pero a pesar de su fama, yo no hubiera querido a ese hombre ni para amigo ni para amante. |
Tout ceci n’est pas si hors de propos qu’il paraît être. Je vois où tendent les maximes de la philosophie moderne en tournant en dérision la pudeur du sexe et sa fausseté prétendue ; et je vois que l’effet le plus assuré de cette philosophie sera d’ôter aux femmes de notre siècle le peu d’honneur qui leur est resté. | Esto no es tan inoportuno como parece. Observo hacia dónde se encaminan las máximas de la moderna filosofía, que escarnecen el pudor del sexo y su pretendida falsedad, y veo que el más seguro fruto de esta filosofía será quitar a las mujeres de nuestro siglo la poca honra que les ha quedado. |
Sur ces considérations, je crois qu’on peut déterminer en général quelle espèce de culture convient à l’esprit des femmes, et sur quels objets on doit tourner leurs réflexions dès leur jeunesse. | Por estas consideraciones creo que puede determinarse en general cuál es la especie de cultura que conviene a la inteligencia de las mueres y hacia qué objeto se deben dirigir sus reflexiones desde su juventud. |
Je l’ai déjà dit, les devoirs de leur sexe sont plus aisés à voir qu’à remplir. La première chose qu’elles doivent apprendre est à les aimer par la considération de leurs avantages ; c’est le seul moyen de les leur rendre faciles. Chaque état et chaque âge a ses devoirs. On connaît bientôt les siens pourvu qu’on les aime. Honorez votre état de femme, et dans quelque rang que le ciel vous place, vous serez toujours une femme de bien. L’essentiel est d’être ce que nous fit la nature ; on n’est toujours que trop ce que les hommes veulent que l’on soit. | Ya lo he dicho: los deberes de su sexo son más fáciles de ver que de cumplir. Lo primero que deben aprender es a quererlos, al ver las utilidades que traen consigo; es el único medio de facilitárselos. Cada estado y cada edad tiene sus obligaciones, y pronto cada uno conoce las suyas con tal que las ame. Honrad vuestro estado de mujer, y sea cual fuere la jerarquía que os hubiere concedido el cielo, siempre seréis una mujer de bien. Lo esencial es ser lo que nos hizo la naturaleza, pues siempre somos más que lo que quieren los hombres que seamos. |
La recherche des vérités abstraites et spéculatives, des principes, des axiomes dans les sciences, tout ce qui tend à généraliser les idées n’est point du ressort des femmes, leurs études doivent se rapporter toutes à la pratique ; c’est à elles à faire l’application des principes que l’homme a trouvés, et c’est à elles de faire les observations qui mènent l’homme à l’établissement des principes. Toutes les réflexions des femmes en ce qui ne tient pas immédiatement à leurs devoirs, doivent tendre à l’étude des hommes ou aux connaissances agréables qui n’ont que le goût pour objet ; car, quant aux ouvrages de génie, ils passent leur portée ; elles n’ont pas non plus assez de justesse et d’attention pour réussir aux sciences exactes, et, quant aux connaissances physiques, c’est à celui des deux qui est le plus agissant, le plus allant, qui voit le plus d’objets ; c’est à celui qui a le plus de force et qui l’exerce davantage, à juger des rapports des êtres sensibles et des lois de la nature. La femme, qui est faible et qui ne voit rien au dehors, apprécie et juge les mobiles qu’elle peut mettre en œuvre pour suppléer à sa faiblesse, et ces mobiles sont les passions de l’homme. Sa mécanique à elle est plus forte que la nôtre, tous ses leviers vont ébranler le cœur humain. Tout ce que son sexe ne peut faire par lui-même, et qui lui est nécessaire ou agréable, il faut qu’elle ait l’art de nous le faire vouloir ; il faut donc qu’elle étudie à fond l’esprit de l’homme, non par abstraction l’esprit de l’homme en général, mais l’esprit des hommes qui l’entourent, l’esprit des hommes auxquels elle est assujettie, soit par la loi, soit par l’opinion. Il faut qu’elle apprenne à pénétrer leurs sentiments par leurs discours, par leurs actions, par leurs regards, par leurs gestes. Il faut que, par ses discours, par ses actions, par ses regards, par ses gestes, elle sache leur donner les sentiments qu’il lui plaît, sans même paraître y songer. Ils philosopheront mieux qu’elle sur le cœur humain ; mais elle lira mieux qu’eux dans le cœur des hommes. C’est aux femmes à trouver pour ainsi dire la morale expérimentale, à nous à la réduire en système. La femme a plus d’esprit, et l’homme plus de génie ; la femme observe, et l’homme raisonne : de ce concours résultent la lumière la plus claire et la science la plus complète que puisse acquérir de lui-même l’esprit humain, la plus sûre connaissance, en un mot, de soi et des autres qui soit à la portée de notre espèce. Et voilà comment l’art peut tendre incessamment à perfectionner l’instrument donné par la nature. | La investigación de las verdades abstractas y especulativas, de los principios y axiomas en las ciencias, todo lo que tiende a generalizar las ideas, no es propio de las mujeres; sus estudios se deben referir a la práctica, y les toca a ellas aplicar los principios hallados por el hombre y hacer las observaciones que le conducen a sentar principios. Todas las reflexiones de las mujeres, en cuanto no tienen relación inmediata con, sus obligaciones, deben encaminarse al estudio de los hombres y a los conocimientos agradables, cuyo objeto es el gusto, porque las obras de ingenio exceden a su capacidad, toda vez que no poseen la atención ni el criterio suficientes para dominar las ciencias exactas, y en cuanto a los conocimiento físicos, el que es más activo ve más objetos, tiene otra fuerza y debe juzgar de las relaciones de los seres sensibles y las leyes de la naturaleza. La mujer, que es débil y nada ve fuera de sí misma, valora y juzga los móviles que para suplir su debilidad puede poner en acción, y las pasiones del hombre son estos móviles. Su mecánica es más fuerte que la nuestra, pues todas sus palancas tienden a remover el corazón humano. Es preciso que posea el arte de hacer que nosotros queramos todo lo que es necesario o agradable a su sexo y que no puede hacer por sí mismo; por lo tanto, es necesario que estudie a fondo el espíritu del hombre, no en general y en abstracto, sino el de los hombres que tiene cerca y a quienes está sujeta, sea por ley, sea por la opinión; es preciso que por sus razones, por sus acciones, por sus miradas y por sus ademanes, aprenda a penetrar sus ideas, y que por las razones, las acciones, las miradas y los ademanes de ella, sepa inspirarles el sentir que le acomode, sin que parezca que se fijen. Mejor que ella filosofarán ellos acerca del corazón humano, pero ella leerá mejor en el corazón de los hombres. A las mujeres compete hallar, por decirlo así, la moral experimental, y a nosotros reducirla a sistema. La mujer tiene más agudeza y el hombre más ingenio; la mujer observa y el hombre discurre, y de este concierto resultan la más clara luz y la ciencia más completa que pueda adquirir el entendimiento humano en las cosas morales. En una palabra, el conocimiento más seguro de sí y de los demás que puede alcanzar nuestra especie. Y de esta forma el arte puede tender a perfeccionar el instrumento que nos dio la naturaleza. |
Le monde est le livre des femmes : quand elles y lisent mal, c’est leur faute ; ou quelque passion les aveugle. Cependant la véritable mère de famille, loin d’être une femme du monde, n’est guère moins recluse dans sa maison que la religieuse dans son cloître. Il faudrait donc faire, pour les jeunes personnes qu’on marie, comme on fait ou comme on doit faire pour celles qu’on met dans des couvents : leur montrer les plaisirs qu’elles quittent avant de les y laisser renoncer, de peur que la fausse image de ces plaisirs qui leur sont inconnus ne vienne un jour égarer leurs cœurs et troubler le bonheur de leur retraite. En France les filles vivent dans des couvents, et les femmes courent le monde. Chez les anciens, c’était tout le contraire ; les filles avaient, comme je l’ai dit, beaucoup de jeux et de fêtes publiques ; les femmes vivaient retirées. Cet usage était plus raisonnable et maintenait mieux les mœurs. Une sorte de coquetterie est permise aux filles à marier ; s’amuser est leur grande affaire. Les femmes ont d’autres soins chez elles, et n’ont plus de maris à chercher ; mais elles ne trouveraient pas leur compte à cette réforme, et malheureusement elles donnent le ton. Mères, faites du moins vos compagnes de vos filles. Donnez-leur un sens droit et une âme honnête, puis ne leur cachez rien de ce qu’un œil chaste peut regarder. Le bal, les festins, les jeux, même le théâtre, tout ce qui, mal vu, fait le charme d’une imprudente jeunesse, peut être offert sans risque à des yeux sains. Mieux elles verront ces bruyants plaisirs, plus tôt elles en seront dégoûtées. | El mundo es el libro de las mujeres, y cuando ellas lo lean mal, suya es la culpa, porque acaso alguna pasión las ciega. No obstante, la verdadera madre de familia, lejos de ser una mujer de mundo, se recluye en su casa poco menos que la religiosa en su clausura. Sería, pues, conveniente hacer con las doncellas que se van a casar lo que hacen o deben hacer con las que se meten a monjas: enseñarles las diversiones que dejan, antes de que renuncien a ellas, no sea que la feliz imagen de estas diversiones que no conocen extravíe un día su corazón y turbe la felicidad de su retiro. En Francia las muchachas viven en los conventos y las casadas frecuentan el mundo; entre los antiguos sucedía todo lo contrario: las doncellas asistían, como ya he dicho, a muchos Juegos y fiestas públicas, y las casadas vivían retiradas. Este estilo era más racional y conservaba mejor las buenas costumbres. A las doncellas, antes de casarse, les es lícita una especie de coquetería, y su motivo principal es la diversión. Las casadas tienen otras ocupaciones en sus casas, y ya no necesitan buscar marido, pero no les traería cuenta esta reforma, y por desgracia son ellas las que mandan. Madres, que vuestras hijas sean cuando menos compañeras vuestras. Dadles una razón sana y un alma honesta, y no les ocultéis nada de lo que pueden mirar los ojos castos. Bailes, banquetes, juegos, hasta el teatro, y todo lo que, cuando se ve mal, reduce a una juventud imprudente, se puede presentar sin riesgo a ojos sanos. Cuanto más vean estos bulliciosos placeres, más pronto les repugnarán. |
J’entends la clameur qui s’élève contre moi. Quelle fille résiste à ce dangereux exemple ? À peine ont-elles vu le monde que la tête leur tourne à toutes ; pas une d’elles ne veut le quitter. Cela peut être : mais, avant de leur offrir ce tableau trompeur, les avez-vous bien préparées à le voir sans émotion ? Leur avez-vous bien annoncé les objets qu’il représente ? Les leur avez-vous bien peints tels qu’ils sont ? Les avez-vous bien armées contre les illusions de la vanité ? Avez-vous porté dans leur jeune cœur le goût des vrais plaisirs qu’on ne trouve point dans ce tumulte ? Quelles précautions, quelles mesures avez-vous prises pour les préserver du faux goût qui les égare ? Loin de rien opposer dans leur esprit à l’empire des préjugés publics, vous les avez nourris ; vous leur avez fait aimer d’avance tous les frivoles amusements qu’elles trouvent. Vous les leur faites aimer encore en s’y livrant. De jeunes personnes entrant dans le monde n’ont d’autre gouvernante que leur mère, souvent plus folle qu’elles, et qui ne peut leur montrer les objets autrement qu’elle ne les voit. Son exemple, plus fort que la raison même, les justifie à leurs propres yeux, et l’autorité de la mère est pour la fille une excuse sans réplique. Quand je veux qu’une mère introduise sa fille dans le monde, c’est en supposant qu’elle le lui fera voir tel qu’il est. | Ya oigo los clamores que se levantan contra mí. ¿:Qué doncella resiste a tan peligroso ejemplo? Apenas ven el mundo y ya pierden la cabeza, sin que haya una que lo quiera dejar. Puede ser, pero antes de presentarles esta engañosa imagen, ¿:las habéis preparado para que la vean sin emoción? ¿:Les habéis explicado bien los objetos que representan? ¿:Se los habéis pintado tal como son? ¿:Las habéis acorazado bien contra las ilusiones de la vanidad? ¿:Habéis excitado en su juvenil corazón la afición a los verdaderos placeres que no se encuentran en ese tumulto? ¿:Qué precauciones, qué medidas habéis tomado para preservarlas del falso gusto que las extravía? Lejos de oponer en su espíritu algo contra el imperio de las preocupaciones públicas, las habéis mantenido en ellas; de antemano habéis hecho que se prenden de todos los pasatiempos frívolos que encuentran y hacéis que las cautiven cuando se entregan a ellos. Las jóvenes que entran en el mundo no tienen otro guía que su madre, muchas veces más locas que ellas, y que no les puede enseñar los objetos de otro modo que como los ve. Su ejemplo, más fuerte que la misma razón, las justifica a sus propios ojos, y la autoridad de la madre es para la hija una disculpa sin réplica. Cuando quiero que una madre introduzca a su hija en el mundo, es porque supongo que se lo debe enseñar tal como es. |
Le mal commence plus tôt encore. Les couvents sont de véritables écoles de coquetterie, non de cette coquetterie honnête dont j’ai parlé, mais de celle qui produit tous les travers des femmes et fait les plus extravagantes petites maîtresses. En sortant de là pour entrer tout d’un coup dans des sociétés bruyantes, de jeunes femmes s’y sentent d’abord à leur place. Elles ont été élevées pour y vivre ; faut-il s’étonner qu’elles s’y trouvent bien ? Je n’avancerai point ce que je vais dire sans crainte de prendre un préjugé pour une observation ; mais il me semble qu’en général, dans les pays protestants, il y a plus d’attachement de famille, de plus dignes épouses et de plus tendres mères que dans les pays catholiques ; et, si cela est, on ne peut douter que cette différence ne soit due en partie à l’éducation des couvents. | Pero el mal empieza mucho antes. Los conventos son verdaderas escuelas de hipocresía, no la hipocresía honesta de que he hablado, sino la que produce todas las locuras de las mujeres y forma las más extravagantes melindrosas. Cuando salen del convento, para de repente mezclarse con la algarabía de la sociedad, las recién casadas se sienten inmediatamente en su sitio. Educadas para esa vida, ¿:qué tiene de extraño que se encuentren a gusto? No afirmaré lo que voy a. decir sin el temor de dar por observación un prejuicio, pero me parece que en los países protestantes generalmente hay más cariño en las familias, esposas más dignas y madres más tiernas que en los católicos, y si así es, no se puede dudar de que esta diferencia se debe en parte a la educación de los conventos. |
Pour aimer la vie paisible et domestique il faut la connaître ; il faut en avoir senti les douceurs dès l’enfance. Ce n’est que dans la maison paternelle qu’on prend du goût pour sa propre maison, et toute femme que sa mère n’a point élevée n’aimera point élever ses enfants. Malheureusement il n’y a plus d’éducation privée dans les grandes villes. La société y est si générale et si mêlée, qu’il ne reste plus d’asile pour la retraite, et qu’on est en public jusque chez soi. À force de vivre avec tout le monde, on n’a plus de famille ; à peine connaît-on ses parents : on les voit en étrangers ; et la simplicité des mœurs domestiques s’éteint avec la douce familiarité qui en faisait le charme. C’est ainsi qu’on suce avec le lait le goût des plaisirs du siècle et des maximes qu’on y voit régner. | Para que se prefiera la vida pacífica y doméstica es indispensable conocerla, y es preciso haber probado su dulzura desde la niñez. Sólo en la casa paterna se adquiere el cariño a la propia casa, y toda mujer que no ha sido educada por su madre, no tendrá voluntad para educar a sus hijos. Desgraciadamente ya no hay educación privada en las grandes ciudades. En ellas la sociedad es tan general y tan mezclada, que no queda asilo para el retiro, y están las gentes en público incluso en sus casas. A fuerza de vivir con todo el mundo, ya nadie tiene familia, los parientes apenas se conocen, se ven como extraños y se extingue la sencillez de las costumbres domésticas al mismo tiempo que la dulce familiaridad que era su encanto. De este modo nace ya en el amanecer de la vida la afición a los deleites del siglo y a las máximas que reinan en él. |
On oppose aux filles une gêne apparente pour trouver des dupes qui les épousent sur leur maintien. Mais étudiez un moment ces jeunes personnes ; sous un air contraint elles déguisent mal la convoitise qui les dévore, et déjà on lit dans leurs yeux l’ardent désir d’imiter leurs mères. Ce qu’elles convoitent n’est pas un mari, mais la licence du mariage. Qu’a-t-on besoin d’un mari, avec tant de ressources pour s’en passer ? Mais on a besoin d’un mari pour couvrir ces ressources [115]. La modestie est sur leur visage, et le libertinage est au fond de leur cœur : cette feinte modestie elle-même en est un signe ; elles ne l’affectent que pour pouvoir s’en débarrasser plus tôt. Femmes de Paris et de Londres, pardonnez-le-moi, je vous supplie. Nul séjour n’exclut les miracles ; mais pour moi je n’en connais point ; et si une seule d’entre vous a l’âme vraiment honnête, je n’entends rien à vos institutions. | A las solteras les imponen una aparente sujeción para hallar insensatos que por su aspecto se casen con ellas, pero observad un instante a estas jóvenes, las cuales, con unas actitudes afectadas, encubren malamente el ansia que las consume, y en sus ojos ya se lee el ardiente deseo de imitar a sus madres. No sienten ansias por un marido, sino por los excesos del matrimonio. ¿:Qué necesidad tienen de esposo con tantos medios para prescindir de él? Pero lo necesitan para que sea la tapadera de sus medios [12] . Está retratada en su semblante la modestia, y la disolución alienta en su corazón, indicando esa misma modestia fingida que sólo pretenden quedar libres cuanto antes de toda sujeción. Mujeres de París y de Londres, os ruego que me disculpéis; no hay regla sin excepción, pero yo no sé de ninguna, y si una de vosotras tiene el alma honesta, yo no entiendo ninguna palabra de vuestras instituciones. |
Toutes ces éducations diverses livrent également de jeunes personnes au goût des plaisirs du monde, et aux passions qui naissent bientôt de ce goût. Dans les grandes villes la dépravation commence avec la vie, et dans les petites elle commence avec la raison. De jeunes provinciales, instruites à mépriser l’heureuse simplicité de leurs mœurs, s’empressent à venir à Paris partager la corruption des nôtres ; les vices, ornés du beau nom de talents, sont l’unique objet de leur voyage ; et, honteuses en arrivant de se trouver si loin de la noble licence des femmes du pays, elles ne tardent pas à mériter d’être aussi de la capitale. Où commence le mal, à votre avis ? dans les lieux où on le projette, ou dans ceux où on l’accomplit ? | Todas esas distintas educaciones inspiran igualmente en las doncellas la afición a les deleites del mundo y a las pasiones que pronto nacen de esta afición. En las ciudades populosas la depravación empieza con la vida, y en las de poco vecindario comienza con la razón. Las jóvenes provincianas, instruidas en menospreciar la dichosa sencillez de sus costumbres, se dan prisa por ir a la capital y participar de la corrupción de las nuestras; los vicios adornados con el pomposo nombre de talentos, son el único objeto del viaje, y avergonzadas por llegar de tan lejos, al verse muy distantes todavía del noble desenfreno de las mujeres del país, no tardan en hacer méritos para ser también ellas vecinas de la capital. ¿:Me preguntareis dónde comienza el daño, adónde le proyectan, o dónde lo llevan a cabo? |
Je ne veux pas que de la province une mère sensée amène sa fille à Paris pour lui montrer ces tableaux si pernicieux pour d’autres ; mais je dis que quand cela serait, ou cette fille est mal élevée, ou ces tableaux seront peu dangereux pour elle. Avec du goût, du sens et l’amour des choses honnêtes, on ne les trouve pas si attrayants qu’ils le sont pour ceux qui s’en laissent charmer. On remarque à Paris les jeunes écervelées qui viennent se hâter de prendre le ton du pays, et se mettre à la mode six mois durant pour se faire siffler le reste de leur vie ; mais qui est-ce qui remarque celles, qui, rebutées de tout ce fracas, s’en retournent dans leur province, contentes de leur sort, après l’avoir comparé à celui qu’envient les autres ? Combien j’ai vu de jeunes femmes, amenées dans la capitale par des maris, complaisants et maîtres de s’y fixer, les en détourner elles-mêmes, repartir plus volontiers qu’elles n’étaient venues, et dire avec attendrissement la veille de leur départ : Ah ! retournons dans notre chaumière, on y vit plus heureux que dans les palais d’ici ! On ne sait pas combien il reste encore de bonnes gens qui n’ont point fléchi le genou devant l’idole, et qui méprisent son culte insensé. Il n’y a de bruyantes que les folles ; les femmes sages ne font point de sensation. | No quiero que una madre juiciosa lleve a su hija desde la provincia a París para enseñarle estas imágenes, tan perniciosas para otras; digo, sí, que cuando lo hiciese de este modo, o su hija está mal educada o serán poco peligrosas para ella. Con gusto sano, prudencia y afición a las cosas honestas, no parecen tan atractivas como lo son para las que se dejan seducir por ellas. En París se ven jóvenes insensatas que toman rápidamente el estilo del país y son de moda durante seis meses, para ser objeto de burla para siempre, ¿:pero quién se fija en tantas cosas intrascendentes con el bullicio de la corte?, y se vuelven a su provincia satisfechas con su suerte comparada con la que otras envidian. ¡Cuántas jóvenes casadas he visto yo llevadas a la capital por esposos condescendientes, deseosos de que las vean, halagadas ellas, para después regresar con más deseo que el que las trajo, y diciendo con emoción la víspera de su marcha; «Volvamos a nuestro tabuco, donde se vive más feliz que en los palacios de aquí»! No sabemos cuánta buena gente hay que todavía no ha doblado la rodilla ante el ídolo y que desprecia su insensato culto. Sólo las locas meten ruido, y nadie repara en las sensatas. |
Que si, malgré la corruption générale, malgré les préjugés universels, malgré la mauvaise éducation des filles, plusieurs gardent encore un jugement à l’épreuve, que sera-ce quand ce jugement aura été nourri par des instructions convenables, ou, pour mieux dire, qu’on ne l’aura point altéré par des instructions vicieuses ? car tout consiste toujours à conserver ou rétablir les sentiments naturels. Il ne s’agit point pour cela d’ennuyer de jeunes filles de vos longs prônes, ni de leur débiter vos sèches moralités. Les moralités pour les deux sexes sont la mort de toute bonne éducation. De tristes leçons ne sont bonnes qu’à faire prendre en haine et ceux qui les donnent et tout ce qu’ils disent. Il ne s’agit point, en parlant à de jeunes personnes, de leur faire peur de leurs devoirs, ni d’aggraver le joug qui leur est imposé par la nature. En leur exposant ces devoirs, soyez précise et facile ; ne leur laissez pas croire qu’on est chagrine quand on les remplit ; point d’air fâché, point de morgue. Tout ce qui doit passer au cœur doit en sortir ; leur catéchisme de morale doit être aussi court et aussi clair que leur catéchisme de religion, mais il ne doit pas être aussi grave. Montrez-leur dans les mêmes devoirs la source de leurs plaisirs et le fondement de leurs droits. Est-il si pénible d’aimer pour être aimée, de se rendre aimable pour être heureuse, de se rendre estimable pour être obéie, de s’honorer pour se faire honorer ? Que ces droits sont beaux ! qu’ils sont respectables ! qu’ils sont chers au cœur de l’homme quand la femme sait les faire valoir ! Il ne faut point attendre les ans ni la vieillesse pour en jouir. Son empire commence avec ses vertus ; à peine ses attraits se développent, qu’elle règne déjà par la douceur de son caractère et rend sa modestie imposante. Quel homme insensible et barbare n’adoucit pas sa fierté et ne prend pas des manières plus attentives près d’une fille de seize ans, aimable et sage, qui parle peu, qui écoute, qui met de la décence dans son maintien et de l’honnêteté dans ses propos, à qui sa beauté ne fait oublier ni son sexe ni sa jeunesse, qui sait intéresser par sa timidité même, et s’attirer le respect qu’elle porte à tout le monde ? | Y si, a pesar de la general corrupción, las preocupaciones universales y la mala educación de las niñas, todavía conservan muchas un juicio a toda prueba, ¿:qué será cuando hayan fortalecido su juicio con adecuadas instrucciones, o cuando no le hayan extraviado con instituciones viciosas?, pues siempre se cifra todo en conservar o restablecer los afectos naturales. Para esto no se trata de aburrir a las jóvenes solteras con vuestras largas pláticas, ni de dictarles vuestras secas inmoralidades. En los dos sexos estas moralidades constituyen la muerte de toda buena educación. Las lecciones tristes sólo sirven para que terminen desdeñando a los que las dan y todo lo que les dicen. Cuando se habla con muchachas jóvenes, no se trata de que teman sus obligaciones de agravar el yugo que les ha impuesto la naturaleza. Debéis explicarles de una forma fácil y concisa estas obligaciones, y no las induzcáis a que crean que su cumplimiento sea penoso, ni recurráis a posturas rígidas y agresivas. Todo lo que se dirige al corazón debe salir de él; su catecismo de moral debe ser tan claro y tan corto como el de religión, pero no tan grave. Junto a estas mismas obligaciones enseñadles el manantial de sus satisfacciones y la base de sus derechos. ¿:Es tan penoso amar para ser amada, hacerse amable para ser feliz, hacerse estimable para ser obedecida y honrarse para ser honrada? ¡Qué hermosos y respetables son esos derechos! ¡Qué queridos son para el corazón del hombre cuando la mujer le sabe dar valor! No es necesario que espere a la vejez para gozar de ellos; empieza su imperio con sus virtudes, y apenas se desarrollan sus gracias que ya reina por la dulzura de su carácter y hace respetar su modestia. ¿:Cuál es el hombre, por insensible e inhumano que sea, que no suaviza su acritud y tiene más delicados modales al lado de una niña de dieciséis años, juiciosa y amable, que habla poco, que tiene un aspecto decente y honestas razones, a quien su hermosura no hace olvidarse de su sexo ni de su juventud, y que por su misma cortedad sabe interesar y granjearse el respeto que ella tiene a todo el mundo? |
Ces témoignages, bien qu’extérieurs, ne sont point frivoles ; ils ne sont point fondés seulement sur l’attrait des sens ; ils partent de ce sentiment intime que nous avons tous, que les femmes sont les juges naturels du mérite des hommes. Qui est-ce qui veut être méprisé des femmes ? personne au monde, non pas même celui qui ne veut plus les aimer. Et moi, qui leur dis des vérités si dures, croyez-vous que leurs jugements me soient indifférents ? Non ; leurs suffrages me sont plus chers que les vôtres, lecteurs, souvent plus femmes qu’elles. En méprisant leurs mœurs, je veux encore honorer leur justice : peu m’importe qu’elles me haïssent, si je les force à m’estimer. | Estos testimonios, aunque exteriores, de ningún modo son frívolos, ni se fundan sólo en el atractivo de los sentidos, sino que nacen de la íntima conciencia que todos tenemos de que las mujeres son los jueces naturales del mérito de los hombres. ¿:Quién quiere ser menospreciado por ellas? Nadie, ni siquiera el que ya no quiere amarlas. Y a mí, que les digo verdades tan duras, ¿:creéis que me son indiferentes sus juicios? No; aprecio más su voto que el vuestro, lectores, a veces más femeninos que ellas. Aun despreciando sus costumbres, quiero hacer honor a su justicia, y me importa poco que me odien si las obligo a que me aprecien. |
Que de grandes choses on ferait avec ce ressort, si l’on savait le mettre en œuvre ? Malheur au siècle où les femmes perdent leur ascendant et où leurs jugements ne font plus rien aux hommes ! c’est le dernier degré de la dépravation. Tous les peuples qui ont eu des mœurs ont respecté les femmes. Voyez Sparte, voyez les Germains, voyez Rome, Rome le siège de la gloire et de la vertu, si jamais elles en eurent un sur la terre. C’est là que les femmes honoraient les exploits des grands généraux, qu’elles pleuraient publiquement les pères de la patrie, que leurs vœux ou leurs deuils étaient consacrés comme le plus solennel jugement de la république. Toutes les grandes révolutions y vinrent des femmes : par une femme Rome acquit la liberté, par une femme les plébéiens obtinrent le consultat, par une femme finit la tyrannie des décemvirs, par les femmes Rome assiégée fut sauvée des mains d’un proscrit. Galants Français, qu’eussiez-vous dit en voyant passer cette procession si ridicule à vos yeux moqueurs ? Vous l’eussiez accompagnée de vos huées. Que nous voyons d’un œil différent les mêmes objets ! et peut-être avons-nous tous raison. Formez ce cortège de belles dames françaises, je n’en connais point de plus indécent : mais composez-le de Romaines, vous aurez tous les yeux des Volsques et le cœur de Coriolan. | ¡Cuántas cosas grandes se harían con este resorte si se supiera ponerlo en acción! Desventurado el siglo en que las mueres pierden su ascendiente y sus juicios no valen nada para los hombres. Ese es el último grado de la depravación. Todos los pueblos que han tenido buenas costumbres han respetado a las mujeres. Véase Esparta, los germanos y Roma, Roma, el emporio de la gloria y la virtud, si alguna vez la ha habido en la tierra. Allí las mujeres honraban las proezas de los insignes capitanes, públicamente lloraban a los padres de la patria, y sus votos o su luto se entendían como el juicio más solemne de la república. Allí todas las grandes revoluciones procedieron de las mujeres; por una mujer, Roma logró la libertad; por una mujer, alcanzaron los plebeyos el consulado; por una mujer, terminó la tiranía de los decenviros, y por una mujer Roma fue salvada de las manos de un proscrito. Galantes franceses, ¿:qué habríais dicho al ver pasar tan ridícula procesión ante vuestros burlones ojos? La habríais acompañado con silbidos. ¡Con qué distintos ojos vemos los mismos objetos! Tal vez todos tenemos razón. Que se forme esa comitiva con hermosas damas francesas, y no sé de nada más indecente, pero si la formamos con romanas, todos tendremos los ojos de los volscos y el corazón de Coriolano. |
Je dirai davantage, et je soutiens que la vertu n’est pas moins favorable à l’amour qu’aux autres droits de la nature, et que l’autorité des maîtresses n’y gagne pas moins que celle des femmes et des mères. Il n’y a point de véritable amour sans enthousiasme, et point d’enthousiasme sans un objet de perfection réel ou chimérique, mais toujours existant dans l’imagination. De quoi s’enflammeront des amants pour qui cette perfection n’est plus rien, et qui ne voient dans ce qu’ils aiment que l’objet du plaisir des sens ? Non, ce n’est pas ainsi que l’âme s’échauffe et se livre à ces transports sublimes qui font le délire des amants et le charme de leur passion. Tout n’est qu’illusion dans l’amour, je l’avoue ; mais ce qui est réel, ce sont les sentiments dont il nous anime pour le vrai beau qu’il nous fait aimer. Ce beau n’est point dans l’objet qu’on aime, il est l’ouvrage de nos erreurs. Eh ! qu’importe ? En sacrifie-t-on moins tous ses sentiments bas à ce modèle imaginaire ? En pénètre-t-on moins son cœur des vertus qu’on prête à ce qu’il chérit ? S’en détache-t-on moins de la bassesse du moi humain ? Où est le véritable amant qui n’est pas prêt à immoler sa vie à sa maîtresse ? et où est la passion sensuelle et grossière dans un homme qui veut mourir ? Nous nous moquons des paladins ? c’est qu’ils connaissaient l’amour, et que nous ne connaissons plus que la débauche. Quand ces maximes romanesques commencèrent à devenir ridicules, ce changement fut moins l’ouvrage de la raison que celui des mauvaises mœurs. | Aún diré más: sostengo que la virtud es tan propicia al amor como a los demás derechos de la naturaleza, y que no estriba menos en ella la autoridad de las amadas que la de las esposas y las madres. Sin entusiasmo no hay verdadero amor, ni entusiasmo sin un objeto de perfección, real o fantástico, pero siempre existente en la imaginación. ¿:Con qué se han de inflamar los amantes para quienes no existe esta perfección, y que en lo que aman sólo ven el objeto de los deleites sensuales? No; el alma no se enciende así, ni se entrega a aquellos sublimes raptos que son a un mismo tiempo el delirio de los amantes y el encanto de su pasión. Admito que en el amor todo es simple ilusión, pero lo que es real son los sentimientos que nos animan hacia la verdadera hermosura que nos hace amar. Esta hermosura no está en el objeto amado, que es obra de nuestro error. ¿:Y qué importa? ¿:Dejamos por eso de sacrificar nuestros bajos sentimientos a este modelo imaginaria? ¿:Deja de embeberse nuestro corazón en las virtudes que atribuimos a lo que queremos? ¿:Quién es el amante verdadero que no está dispuesto a dar su vida por su amada? ¿:Y cuál es la torpe y sensual pasión del hombre que quiere morir? Nos burlamos de los caballeros andantes porque conocían el amor, y nosotros sólo conocemos el desenfreno. Cuando estas máximas caballerescas empezaron a ser escarnecidas, el cambio no fue menos culpa de la razón que de las abyectas costumbres. |
Dans quelque siècle que ce soit, les relations naturelles ne changent point, la convenance ou disconvenance qui en résulte reste la même, les préjugés sous le vain nom de raison n’en changent que l’apparence. Il sera toujours grand et beau de régner sur soi, fût-ce pour obéir à des opinions fantastiques ; et les vrais motifs d’honneur parleront toujours au cœur de toute femme de jugement qui saura chercher dans son état le bonheur de la vie. La chasteté doit être surtout une vertu délicieuse pour une belle femme qui a quelque élévation dans l’âme. Tandis qu’elle voit toute la terre à ses pieds, elle triomphe de tout et d’elle-même : elle s’élève dans son propre cœur un trône auquel tout vient rendre hommage ; les sentiments, tendres ou jaloux, mais toujours respectueux des deux sexes, l’estime universelle et la sienne propre, lui payent sans cesse en tribut de gloire les combats de quelques instants. Les privations sont passagères, mais le prix en est permanent. Quelle jouissance pour une âme noble, que l’orgueil de la vertu jointe à la beauté ! Réalisez une héroïne de roman, elle goûtera des voluptés plus exquises que les Laïs et les Cléopâtre ; et quand sa beauté ne sera plus, sa gloire et ses plaisirs resteront encore ; elle seule saura jouir du passé. | Dentro del siglo que se quiera las relaciones naturales no varían; la conveniencia o discrepancia que de ellos resulta es la misma, y las preocupaciones con el vano nombre de razón, sólo cambian su apariencia. Siempre será bello y grande reinar en sí mismo, aunque sea para obedecer a fantásticas opiniones, y siempre resonarán los verdaderos motivos del honor en el corazón de toda mujer de juicio que en su estado sepa encontrar la felicidad de su vida. La castidad debe ser especialmente una deliciosa virtud para la mujer hermosa que tenga el alma elevada. Mientras ve la tierra bajo sus pies, triunfa de todo y de sí misma, y en su propio corazón se erige un trono al cual todos rinden homenaje; los afectos tiernos o celosos, pero siempre respetuosos de ambos sexos, la universal estimación y la suya propia le pagan sin cesar un tributo de gloria. Las privaciones son pasajeras, pero el premio es permanente. ¡ Qué gozo para un alma noble unir con la hermosura la altivez de la virtud! Cread una heroína de novela, y más exquisitas voluptuosidades gozará ella que las Lais y las Cleopatras, y cuando su belleza se eclipse, aún vivirán su gloria y sus placeres, y sabrá disfrutar del tiempo pasado. |
Plus les devoirs sont grands et pénibles, plus les raisons sur lesquelles on les fonde doivent être sensibles et fortes. Il y a un certain langage dévot dont, sur les sujets les plus graves, on rebat les oreilles des jeunes personnes sans produire la persuasion. De ce langage trop disproportionné à leurs idées, et du peu de cas qu’elles en font en secret, naît la facilité de céder à leur penchants, faute de raisons d’y résister tirées des choses mêmes. Une fille élevée sagement et pieusement a sans doute de fortes armes contre les tentations ; mais celle dont on nourrit uniquement le cœur ou plutôt les oreilles du jargon de la dévotion devient infailliblement la proie du premier séducteur adroit qui l’entreprend. Jamais une jeune et belle personne ne méprisera son corps, jamais elle ne s’affligera de bonne foi des grands péchés que sa beauté fait commettre ; jamais elle ne pleurera sincèrement et devant Dieu d’être un objet de convoitise, jamais elle ne pourra croire en elle-même que le plus doux sentiment du cœur soit une invention de Satan. Donnez-lui d’autres raisons en dedans et pour elle-même, car celles-là ne pénétreront pas. Ce sera pis encore si l’on met, comme on n’y manque guère, de la contradiction dans ses idées, et qu’après l’avoir humiliée en avilissant son corps et ses charmes comme la souillure du péché, on lui fasse ensuite respecter comme le temple de Jésus-Christ ce même corps qu’on lui a rendu si méprisable. Les idées trop sublimes et trop basses sont également insuffisantes et ne peuvent s’associer : il faut une raison à la portée du sexe et de l’âge. La considération du devoir n’a de force qu’autant qu’on y joint des motifs qui nous portent à le remplir. | Cuanto más penosas y mayores son las obligaciones, más palpables y fuertes deben ser las razones en que se fundan. Existe un cierto lenguaje devoto con el cual aturden los oídos de las jóvenes en las materias más graves, sin lograr persuadirlas. De este lenguaje tan desproporcionado con sus ideas, y del poco aprecio que en secreto hacen de él, nace la facilidad de ceder en sus propensiones, no hallando motivo de resistencia en la misma naturaleza de las cosas. Una doncella educada con piedad y discreción, sin duda está fuertemente armada contra las tentaciones, pero aquella cuyo corazón, o mejor sus oídos no han recogido más que las monsergas de la devoción, infaliblemente será presa del primer seductor astuto que la pretenda. Nunca una persona hermosa y joven despreciará su cuerpo, ni se afligirá de verdad por los pecados que su belleza le haga cometer, ni llorará con sinceridad ante Dios porque sea objeto de deseos, ni se creerá que sean invención de Satanás los sentimientos más dulces del corazón. Dadle otras razones sacadas de la esencia de las cosas y propias para ella, porque éstas no la convencen. Aún será peor si, como nunca faltan, se le dictan ideas contradictorias; si después de haberla humillado, envileciendo su cuerpo y sus gracias como torpezas del pecado, le dicen luego que ese mismo cuerpo que le han pintado tan despreciable lo ha de respetar como el templo de Jesucristo. Tan sublimes y tan bajas ideas son igualmente insuficientes y no se pueden asociar; se precisan razones que no rebasen la capacidad propia de la edad y del sexo. Las consideraciones sobre el deber no tienen más fuerza que los motivos que nos llevan a cumplirlo. |
Quae quia non liceat non facit, illa facit. | .... |
On ne se douterait pas que c’est Ovide qui porte un jugement si sévère. | No se sospecharía que es Ovidio quien emite un juicio tan severo. |
Voulez-vous donc inspirer l’amour des bonnes mœurs aux jeunes personnes ; sans leur dire incessamment : Soyez sages, donnez-leur un grand intérêt à l’être ; faites-leur sentir tout le prix de la sagesse, et vous la leur ferez aimer. Il ne suffit pas de prendre cet intérêt au loin dans l’avenir, montrez-le-leur dans le moment même, dans les relations de leur âge, dans le caractère de leurs amants. Dépeignez-leur l’homme de bien, l’homme de mérite ; apprenez-leur à le reconnaître, à l’aimer, et à l’aimer pour elles ; prouvez-leur qu’amies, femmes, ou maîtresses, cet homme seul peut les rendre heureuses. Amenez la vertu par la raison ; faites-leur sentir que l’empire de leur sexe et tous ses avantages ne tiennent pas seulement à sa bonne conduite, à ses mœurs, mais encore à celles des hommes ; quelles ont peu de prise sur des âmes viles et basses, et qu’on ne sait servir sa maîtresse que comme on sait servir la vertu. Soyez sûr qu’alors, en leur dépeignant les mœurs de nos jours, vous leur en inspirerez un dégoût sincère ; en leur montrant les gens à la mode, vous les leur ferez mépriser ; vous ne leur donnerez qu’éloignement pour leurs maximes, aversion pour leurs sentiments, dédain pour leurs vaines galanteries ; vous leur ferez naître une ambition plus noble, celle de régner sur des âmes grandes et fortes, celle des femmes de Sparte, qui était de commander à des hommes. Une femme hardie, effrontée, intrigante, qui ne sait attirer ses amants que par la coquetterie, ni les conserver que par les faveurs, les fait obéir comme des valets dans les choses serviles et communes : dans les choses importantes et graves elle est sans autorité sur eux. Mais la femme à la fois honnête, aimable et sage, celle qui force les siens à la respecter, celle qui a de la réserve et de la modestie, celle en un mot qui soutient l’amour par l’estime, les envoie d’un signe au bout du monde, au combat, à la gloire, à la mort, où il lui plaît [116]. Cet empire est beau, ce me semble, et vaut bien la peine d’être acheté. | ¿:Queréis, pues, inspirar a las jóvenes la afición a las buenas costumbres? Pues sin decirles continuamente que sean recatadas, tratad de que lo sean; hacedles comprender la importancia del recato y se lo haréis amar. No es suficiente mostrarles desde lejos ese interés para el porvenir; presentádselo en el instante actual, en las relaciones de su edad y en el carácter de sus amores. Les debéis pintar el hombre de bien y el hombre de mérito; enseñadles a que lo reconozcan y lo quieran por su propia felicidad, probadles que, sean amigas, esposas o amantes, sólo él puede hacerlas dichosas. Llevadlas a la virtud por la razón, que comprendan que el imperio y las ventajas de su sexo no sólo dependen de sus buenas costumbres y su conducta, sino también de las de los hombres, pues las mujeres tienen poca influencia en los espíritus viles y soeces, y el que sabe servir a su dama sabe servir a la virtud. Estad seguros de que pintándoles las modernas costumbres, les inspiraréis hacia ellas una sincera repugnancia; con mostrarles a las personas de moda, se las haréis despreciar; les infundiréis antipatía a sus máximas, aversión a sus sentimientos y desdén a su vano galanteo; les despertaréis una más noble ambición: la de reinar en almas grandes y fuertes, como las mujeres espartanas, que mandaban a los hombres. Una mujer atrevida, descarada, intrigante, que sólo por la coquetería sabe atraer a sus amantes, y sólo los conserva por sus favores, hace que la obedezcan como lacayos en cosas comunes y serviles, pero en las importantes y graves no tienen ninguna autoridad sobre ellos. En cambio, la mujer honesta, amable y prudente, que consigue que los suyos la respeten; la que tiene modestia y recato, la que con la estimación sostiene el amor, por ella irán al fin del mundo, al combate, a la gloria, a la muerte, adonde ella quiera [13] . Hermoso es este imperio y creo que es tentador el conseguirlo. |
Voilà dans quel esprit Sophie a été élevée, avec plus de soin que de peine, et plutôt en suivant son goût qu’en le gênant. Disons maintenant un mot de sa personne, selon le portrait que j’en ai fait à Émile, et selon qu’il imagine lui-même l’épouse qui peut le rendre heureux. | Ese es el espíritu en que ha sido educada Sofía, con más cuidados que afanes y más bien siguiendo sus gustos que violentándolos. Digamos ahora una palabra de su persona conforme al retrato que de ella le he hecho a Emilio, y según él mismo se figura la esposa que puede hacerle feliz. |
Je ne redirai jamais trop que je laisse à part les prodiges. Émile n’en est pas un, Sophie n’en est pas un non plus. Émile est homme, et Sophie est femme ; voilà toute leur gloire. Dans la confusion des sexes qui règne entre nous, c’est presque un prodige d’être du sien. | Nunca repetiré lo suficiente que dejo aparte los prodigios. Emilio no lo es, ni mucho menos Sofía; Emilio es un hombre y Sofía una mujer, y en esto está cifrada su gloria. En la confusión de sexos que reina entre nosotros, casi es un prodigio el ser uno del suyo. |
Sophie est bien née, elle est d’un bon naturel ; elle a le cœur très sensible, et cette extrême sensibilité lui donne quelquefois une activité d’imagination difficile à modérer. Elle a l’esprit moins juste que pénétrant, l’humeur facile et pourtant inégale, la figure commune, mais agréable, une physionomie qui promet une âme et qui ne ment pas ; on peut l’aborder avec indifférence, mais non pas la quitter sans émotion. D’autres ont de bonnes qualités qui lui manquent ; d’autres ont à plus grande mesure celles qu’elle a ; mais nulle n’a des qualités mieux assorties pour faire un heureux caractère. Elle sait tirer parti de ses défauts mêmes ; et si elle était plus parfaite, elle plairait beaucoup moins. | Sofía es de índole apacible, tiene buen natural y el corazón muy sensible, y esa excesiva sensibilidad algunas veces agita tanto su imaginación que no es fácil moderarla. Su inteligencia es menos justa que penetrante, y fácil, aunque desigual, su condición; regular, pero su cara es agradable; su fisonomía promete alma, y no miente; uno puede acercarse a ella con indiferencia, pero no dejara sin emoción. Algunas mujeres tendrían prendas que a ella le faltan y otras más que las que ella tiene, pero ninguna calidad es mejor lograda para formar un feliz carácter. Sabe sacar provecho de sus defectos y agradaría menos si fuese más perfecta. |
Sophie n’est pas belle ; mais auprès d’elle les hommes oublient les belles femmes, et les belles femmes sont mécontentes d’elles-mêmes. À peine est-elle jolie au premier aspect ; mais plus on la voit et plus elle s’embellit ; elle gagne où tant d’autres perdent ; et ce qu’elle gagne, elle ne le perd plus. On peut avoir de plus beaux yeux, une plus belle bouche, une figure plus imposante ; mais on ne saurait avoir une taille mieux prise, un plus beau teint, une main plus blanche, un pied plus mignon, un regard plus doux, une physionomie plus touchante. Sans éblouir elle intéresse ; elle charme, et l’on ne saurait dire pourquoi. | Sofía no es hermosa, pero a su lado los hombres se olvidan de las hermosas, y las hermosas no están satisfechas de sí mismas. A primera vista apenas si es bonita, pero cuanto más se la ve más se hermosea; gana con lo que tantas pierden, y nunca pierde lo que ha conseguido ganar. Es posible tener ojos y una boca hermosos, y una cara que agrade más, pero no un talle mejor, ni un color más hermoso, ni unas manos más blancas, unos pies más delicados, un mirar más dulce y una expresión más tierna. Es interesante sin deslumbrar, embelesa y no se sabe decir por qué. |
Sophie aime la parure et s’y connaît ; sa mère n’a point d’autre femme de chambre qu’elle ; elle a beaucoup de goût pour se mettre avec avantage ; mais elle hait les riches habillements ; on voit toujours dans le sien la simplicité jointe à l’élégance ; elle n’aime point ce qui brille, mais ce qui sied. Elle ignore quelles sont les couleurs à la mode, mais elle sait à merveille celles qui lui sont favorables. Il n’y a pas une jeune personne qui paraisse mise avec moins de recherche et dont l’ajustement soit plus recherché ; pas une pièce du sien n’est prise au hasard, et l’art ne paraît dans aucune. Sa parure est très modeste en apparence, très coquette en effet ; elle n’étale point ses charmes ; elle les couvre, mais en les couvrant elle sait les faire imaginer. En la voyant on dit : Voilà une fille modeste et sage ; mais tant qu’on reste auprès d’elle, les yeux et le cœur errent sur toute sa personne sans qu’on puisse les en détacher, et l’on dirait que tout cet ajustement si simple n’est mis à sa place que pour en être ôté pièce à pièce par l’imagination. | A Sofía le gusta ir bien vestida, y lo consigue, su madre no tiene otra camarera que ella; posee un gusto exquisito para que luzca su vestido, pero detesta los trajes suntuosos; en el suyo la sencillez va siempre unida con la elegancia; no es aficionada a lo que brilla, sino a lo que le cae bien. Ignora los colores de moda, pero sabe muy bien los que la favorecen. No hay joven que se la vea tan sencilla con menos estudio, pero ninguna lleva un traje más estudiado, a pesar de que nada se debe a la casualidad, y sin que se vea el arte. Su adorno es muy modesto en apariencia y muy coquetón; cubre sus encantos, pero deja que se los imaginen. Los que la ven dicen: Vaya muchacha modesta e inteligente». Pero mientras uno está a su lado, los ojos y el corazón la siguen de un lado a otro, y podría decirse que ese traje tan sencillo se lo ha puesto para que se lo vaya quitando pieza a pieza la imaginación. |
Sophie a des talents naturels ; elle les sent, et ne les a pas négligés : mais n’ayant pas été à portée de mettre beaucoup d’art à leur culture, elle s’est contentée d’exercer sa jolie voix à chanter juste et avec goût, ses petits pieds à marcher légèrement, facilement, avec grâce, à faire la révérence en toutes sortes de situations sans gène et sans maladresse. Du reste, elle n’a eu de maître à chanter que son père, de maîtresse à danser que sa mère ; et un organiste du voisinage lui a donné sur le clavecin quelques leçons d’accompagnement qu’elle a depuis cultivé seule. D’abord elle ne songeait qu’à faire paraître sa main avec avantage sur ces touches noires, ensuite elle trouva que le son aigre et sec du clavecin rendait plus doux le son de la voix ; peu à peu elle devint sensible à l’harmonie ; enfin, en grandissant, elle a commencé de sentir les charmes de l’expression, et d’aimer la musique pour elle-même. Mais c’est un goût plutôt qu’un talent ; elle ne sait point déchiffrer un air sur la note. | Sofía tiene un talento natural que no ha dejado de cultivar, pero como no ha estado en situación de valerse del arte, se ha contentado con educar su bonita voz para cantar con gusto, en habituar sus delicados pies a andar con ligereza, facilidad y gracia, y en hacer las reverencias necesarias en cualquier situación sin timidez ni torpeza. En cuanto a lo demás, no tuvo otro maestro de canto que su padre, ni otra maestra de baile que su madre, y un organista vecino le ha dado algunas lecciones de acompañamiento en el clavicordio, que luego ha cultivado ella sola. Al principio sólo pensaba en lucir su mano sobre las teclas negras, después observó que el áspero y seco sonido del clavicordio hacía parecer más dulce su voz, y poco a poco empezó a sentir la armonía; por último, ya mayor ella, ha comenzado a sentir el encanto de la expresión y a amar la música por sí misma. Pero con más afición que talento no sabe leer las notas de un aria escrita. |
Ce que Sophie sait le mieux, et qu’on lui a fait apprendre avec le plus de soin, ce sont les travaux de son sexe, même ceux dont on ne s’avise point, comme de tailler et coudre ses robes. Il n’y a pas un ouvrage à l’aiguille qu’elle ne sache faire, et qu’elle ne fasse avec plaisir ; mais le travail qu’elle préfère à tout autre est la dentelle, parce qu’il n’y en a pas un qui donne une attitude plus agréable, et où les doigts s’exercent avec plus de grâce et de légèreté. Elle s’est appliquée aussi à tous les détails du ménage. Elle entend la cuisine et l’office ; elle sait le prix des denrées ; elle en connaît les qualités ; elle sait fort bien tenir les comptes ; elle sert de maître d’hôtel à sa mère. Faite pour être un jour mère de famille elle-même, en gouvernant la maison paternelle, elle apprend à gouverner la sienne ; elle peut suppléer aux fonctions des domestiques, et le fait toujours volontiers. On ne sait jamais bien commander que ce qu’on sait exécuter soi-même : c’est la raison de sa mère pour l’occuper ainsi. Pour Sophie, elle ne va pas si loin ; son premier devoir est celui de fille, et c’est maintenant le seul qu’elle songe à remplir. Son unique vue est de servir sa mère, et de la soulager d’une partie de ses soins. Il est pourtant vrai qu’elle ne les remplit pas tous avec un plaisir égal. Par exemple, quoiqu’elle soit gourmande, elle n’aime pas la cuisine ; le détail en a quelque chose qui la dégoûte ; elle n’y trouve jamais assez de propreté. Elle est là-dessus d’une délicatesse extrême, et cette délicatesse poussée à l’excès est devenue un de ses défauts : elle laisserait plutôt aller tout le dîner par le feu, que de tacher sa manchette. Elle n’a jamais voulu de l’inspection du jardin par la même raison. La terre lui paraît malpropre ; sitôt qu’elle voit du fumier, elle croit en sentir l’odeur. | Lo que mejor sabe Sofía, y lo que le han hecho aprender con el mayor cuidado, son las tareas propias de su sexo, incluso las poco corrientes, como cortar y coser vestidos. No hay trabajo de aguja que no sepa hacerlo bien y con gusto, pero el que prefiere a los demás es el punto de encaje, porque no hay otro que le permita una postura más agradable y que se ejerciten los dedos con más gracia y ligereza. También se ha aplicado a todos los quehaceres del hogar; sabe de cocina y de repostería, el valor de los comestibles, su calidad, lleva, bien las cuentas y hace de ama. Destinada a ser un día madre de familia, gobernando la casa de sus padres aprende a gobernar la suya, puede suplir a los criados, y todo lo hace con agrado. No sabe mandar bien el que no sabe hacer lo que quiere que hagan los otros, y ésta es la razón que tiene su madre para querer que lo aprenda todo. Sofía no va tan allá; su primera obligación es la de hija v la única que por ahora desempeña; no tiene otra idea que la de servir a su madre y aliviarla en parte de sus quehaceres, pues la verdad es que no todos los hace con el mismo gusto. Por ejemplo, aunque le gusta comer bien, no tiene afición a la cocina, aparte de que nunca le parece bastante limpia. En este sentido es de tal delicadeza que casi es uno de sus defectos; antes dejaría que se quemase la comida que mancharse el vestido. Nunca ha querido cuidar el jardín por la misma causa; la tierra le parece muy sucia, y en cuanto ve estiércol, ya cree que lo huele. |
Elle doit ce défaut aux leçons de sa mère. Selon elle, entre les devoirs de la femme, un des premiers est la propreté ; devoir spécial, indispensable, imposé par la nature. Il n’y a pas au monde un objet plus dégoûtant qu’une femme malpropre, et le mari qui s’en dégoûte n’a jamais tort. Elle a tant prêché ce devoir à sa fille dès son enfance, elle en a tant exigé de propreté sur sa personne, tant pour ses hardes, pour son appartement, pour son travail, pour sa toilette, que toutes ces attentions, tournées en habitude prennent une assez grande partie de son temps et président encore à l’autre : en sorte que bien faire ce qu’elle fait n’est que le second de ses soins ; le premier est toujours de le faire proprement. | Este defecto lo debe a las lecciones de su madre, según la cual una de las primeras obligaciones de la mujer es la limpieza; obligación especial, indispensable, impuesta por la naturaleza. No hay en el mundo nada más repugnante que una mujer sucia, y el marido que la desdeña tiene mucha razón. Ha inculcado tanto a su hija esta obligación desde su niñez, ha exigido tanta limpieza en su persona, en su ropa, en su aposento, en su labor y en su tocador, que convertida en costumbre la ocupa la mayor parte del tiempo, y de tal forma que el hacer bien las cosas es su segundo cuidado: el primero es hacerlas siempre como es debido. |
Cependant tout cela n’a point dégénéré en vaine affectation ni en mollesse ; les raffinements du luxe n’y sont pour rien. Jamais il n’entra dans son appartement que de l’eau simple ; elle ne connaît d’autre parfum que celui des fleurs, et jamais son mari n’en respirera de plus doux que son haleine. Enfin l’attention qu’elle donne à l’extérieur ne lui fait pas oublier qu’elle doit sa vie et son temps à des soins plus nobles ; elle ignore ou dédaigne cette excessive propreté du corps qui souille l’âme ; Sophie est bien plus que propre, elle est pure. | No obstante, todo esto no ha degenerado en vana afectación ni en molicie, ni en un lujo refinado. En su habitación hay siempre el agua limpia, no conoce otro perfume que el de las flores, ni nunca su marido respirará otro más dulce que el de su aliento. Por último, el cuidado que pone en lo exterior no le hace olvidar que debe dedicar su vida y su tiempo a más nobles tareas; ignora o desdeña aquella excesiva limpieza de cuerpo que va en desdoro del ama. Más que limpia, Sofía es pura. |
J’ai dit que Sophie était gourmande. Elle l’était naturellement ; mais elle est devenue sobre par habitude, et maintenant elle l’est par vertu. Il n’en est pas des filles comme des garçons, qu’on peut jusqu’à certain point gouverner par la gourmandise. Ce penchant n’est point sans conséquence pour le sexe ; il est trop dangereux de le lui laisser. La petite Sophie, dans son enfance, entrant seule dans le cabinet de sa mère, n’en revenait pas toujours à vide, et n’était pas d’une fidélité à toute épreuve sur les dragées et sur les bonbons. Sa mère la surprit, la reprit, la punit, la fit jeûner. Elle vint enfin à bout de lui persuader que les bonbons gâtaient les dents, et que de trop manger grossissait la taille. Ainsi Sophie se corrigea : en grandissant elle a pris d’autres goûts qui l’ont détournée de cette sensualité basse. Dans les femmes comme dans les hommes, sitôt que le cœur s’anime, la gourmandise n’est plus un vice dominant. Sophie a conservé le goût propre de son sexe ; elle aime le laitage et les sucreries ; elle aime la pâtisserie et les entremets, mais fort peu la viande ; elle n’a jamais goûté ni vin ni liqueurs fortes : au surplus, elle mange de tout très modérément ; son sexe, moins laborieux que le nôtre, a moins besoin de réparation. En toute chose, elle aime ce qui est bon et le sait goûter ; elle sait aussi s’accommoder de ce qui ne l’est pas, sans que cette privation lui coûte. | He dicho que Sofía era glotona, pero se propuso ser sobria y ahora lo es por virtud. No son lo mismo las niñas que los niños, los cuales se dejan llevar hasta cierto punto por la gula, una inclinación que puede serles perjudicial y no se les debe permitir. Sofía, cuando pequeña, si entraba en el gabinete de su madre, no siempre salía con el bolsillo vacío, ni se contenía si veía bombones. Su madre la sorprendió, la reprendió, la castigó y la obligó a ayunar. Y consiguió convencerla de que las golosinas echaban a perder la dentadura, y que cuando las niñas comían con exceso, engordaban demasiado. Y se enmendó Sofía, pues a medida que crecía, otras aficiones le hicieron olvidar los dulces. En los hombres, como en las mujeres, en cuanto se despierta el corazón, la gula cesa de ser un vicio dominante. Sofía ha conservado los gustos propios de su sexo, la pastelería y los entremeses, pero muy poco la carne y nunca ha bebido el vino ni licores fuertes, y come de todo con mucha moderación. Le gusta lo bueno y sabe paladearlo, como sabe acomodarse con lo que no lo es, sin que le disguste ni demuestre la menor contrariedad. |
Sophie a l’esprit agréable sans être brillant, et solide sans être profond ; un esprit dont on ne dit rien, parce qu’on ne lui en trouve jamais ni plus ni moins qu’à soi. Elle a toujours celui qui plaît aux gens qui lui parlent, quoiqu’il ne soit pas fort orné, selon l’idée que nous avons de la culture de l’esprit des femmes ; car le sien ne s’est point formé par la lecture, mais seulement par les conversations de son père et de sa mère, par ses propres réflexions, et par les observations qu’elle a faites dans le peu de monde qu’elle a vu. Sophie a naturellement de la gaieté, elle était même folâtre dans son enfance ; mais peu à peu sa mère a pris soin de réprimer ses airs évaporés, de peur que bientôt un changement trop subit n’instruisît du moment qui l’avait rendu nécessaire. Elle est donc devenue modeste et réservée même avant le temps de l’être ; et maintenant que ce temps est venu, il lui est plus aisé de garder le ton qu’elle a pris, qu’il ne lui serait de le prendre sans indiquer la raison de ce changement. C’est une chose plaisante de la voir se livrer quelquefois par un reste d’habitude à des vivacités de l’enfance, puis tout d’un coup rentrer en elle-même, se taire, baisser les yeux et rougir : il faut bien que le terme intermédiaire entre les deux âges participe un peu de chacun des deux. | Sofía tiene un ingenio agradable sin que sea brillante, y seguro sin que sea profundo; un espíritu que no extraña a nadie porque el que habla con ella lo ve parecido al propio. Siempre sabe cómo agradar a los que la rodean, sin caer en un lenguaje artificioso, conforme a la idea que tenemos de la preparación de las mujeres, debido a que la suya no se ha formado con la lectura, sino con las conversaciones de sus padres, con sus propias reflexiones y con las observaciones que ha hecho sobre el poco mundo que ha visto. Sofía, naturalmente, es alegre; cuando niña era locuela, pero poco a poco su madre la fue corrigiendo, y ha terminado siendo modesta y reservada antes de que llegase a la edad de serlo, y ahora que ha llegado ese tiempo, le es más fácil seguir igual que volver a sus antiguas costumbres. Es gracioso ver que de vez en cuando se reintegra a los atolondramientos de su niñez, pero pronto se recobra, baja los ojos y se sonroja. Lógicamente la época intermedia de las dos edades participa un poco de las dos. |
Sophie est d’une sensibilité trop grande pour conserver une parfaite égalité d’humeur, mais elle a trop de douceur pour que cette sensibilité soit fort importune aux autres ; c’est à elle seule qu’elle fait du mal. Qu’on dise un seul mot qui la blesse, elle ne boude pas, mais son cœur se gonfle ; elle tâche de s’échapper pour aller pleurer. Qu’au milieu de ses pleurs son père ou sa mère la rappelle, et dise un seul mot, elle vient à l’instant jouer et rire en s’essuyant adroitement les yeux et tâchant d’étouffer ses sanglots. | Sofía es sensible en extremo para que pueda conservar una perfecta igualdad temperamental, pero tiene el tacto necesario para que importune con su sensibilidad a los demás. pues sólo se perjudica a sí misma. Si dicen una palabra que la disguste, no pone mala cara, pero se le encoge el corazón y trata de desaparecer para ir a llorar. Si en medio de su llanto su padre la llama o su madre le dice una palabra, acude en seguida, riendo y enjugándose los ojos, disimulando su malestar. |
Elle n’est pas non plus tout à fait exempte de caprice : son humeur un peu trop poussée dégénère en mutinerie, et alors elle est sujette à s’oublier. Mais laissez-lui le temps de revenir à elle, et sa manière d’effacer son tort lui en fera presque un mérite. Si on la punit, elle est docile et soumise, et l’on voit que sa honte ne vient pas tant du châtiment que de la faute. Si on ne lui dit rien, jamais elle ne manque de la réparer d’elle-même, mais si franchement et de si bonne grâce, qu’il n’est pas possible d’en garder la rancune. Elle baiserait la terre devant le dernier domestique, sans que cet abaissement lui fît la moindre peine ; et sitôt qu’elle est pardonnée, sa joie et ses caresses montrent de quel poids son bon cœur est soulagé. En un mot, elle souffre avec patience les torts des autres, et répare avec plaisir les siens. Tel est l’aimable naturel de son sexe avant que nous l’ayons gâté. La femme est faite pour céder à l’homme et pour supporter même son injustice. Vous ne réduirez jamais les jeunes garçons au même point ; le sentiment intérieur s’élève et se révolte en eux contre l’injustice ; la nature ne les fit pas pour la tolérer. | Tampoco está exenta de caprichos. Su enfado, cuando se la irrita, es vivo, y entonces está propensa a excederse. Pero dadle tiempo para que se recobre, y repara su culpa de una manera que casi la convierte en mérito. Si la castigan, es dócil y sumisa y demuestra que su vergüenza no proviene tanto del castigo como de su yerro. Si no le dicen nada, nunca deja de enmendarse por sí misma, y con tan buena voluntad que no es posible guardarle rencor. Besará el suelo delante del último criado, sin que le cueste el menor trabajo esta humillación, y tan pronto como se la ha perdonado, sus halagos y su alegría demuestran cómo se ha aliviado su corazón. En una palabra, lleva con paciencia las sinrazones de los demás y con satisfacción consigue las suyas. Esta es la amable índole de su sexo antes de que nosotros lo hayamos pervertido. La mujer está hecha para someterse al hombre, incluso para soportar sus injusticias. Nunca podréis reducir a los muchachos al mismo punto; en ellos se exalta el sentido interior, que se revuelve contra la injusticia, pues la naturaleza no lo formó para tolerarla. |
Gravem Pelidae stomachum cedere nescii. |
Gravem Pelidae stomachum cedere nescii. |
Sophie a de la religion, mais une religion raisonnable et simple, peu de dogmes et moins de pratiques de dévotion ; ou plutôt ne connaissant de pratique essentielle que la morale, elle dévoue sa vie entière à servir Dieu en faisant le bien. Dans toutes les instructions que ses parents lui ont données sur ce sujet, ils l’ont accoutumée à une soumission respectueuse, en lui disant toujours : « Ma fille, ces connaissances ne sont pas de votre âge ; votre mari vous en instruira quand il sera temps. » Du reste, au lieu de longs discours de piété, ils se contentent de la lui prêcher par leur exemple, et cet exemple est gravé dans son cœur. | Sofía tiene religión, pero racional y sencilla, con pocos dogmas y menos prácticas de devoción, o no conociendo otra práctica esencial que la moral, dedica su vida a servir a Dios haciendo el bien. En la instrucción que le han dado sus padres sobre esta materia, la han acostumbrado a una respetuosa sumisión, diciéndole siempre: «Hija mía, estos conocimientos no son para tu edad, pero cuando sea el tiempo, tu marido te instruirá». En lo demás, en lugar de discursearle sobre la piedad, se limitan a predicársela con su ejemplo, y los ejemplos se han. grabado en su corazón. |
Sophie aime la vertu ; cet amour est devenu sa passion dominante. Elle l’aime, parce qu’il n’y a rien de si beau que la vertu ; elle l’aime, parce que la vertu fait la gloire de la femme, et qu’une femme vertueuse lui paraît presque égale aux anges ; elle l’aime comme la seule route du vrai bonheur, et parce qu’elle ne voit que misère, abandon, malheur, opprobre, ignominie, dans la vie d’une femme déshonnête ; elle l’aime enfin comme chère à son respectable père, à sa tendre et digne mère : non contents d’être heureux de leur propre vertu, ils veulent l’être aussi de la sienne, et son premier bonheur à elle-même est l’espoir de faire le leur. Tous ces sentiments lui inspirent un enthousiasme qui lui élève l’âme et tient tous ses petits penchants asservis à une passion si noble. Sophie sera chaste et honnête jusqu’à son dernier soupir ; elle l’a juré dans le fond de son âme, et elle l’a juré dans un temps où elle sentait déjà tout ce qu’un tel serment coûte à tenir ; elle l’a juré quand elle en aurait dû révoquer l’engagement, si ses sens étaient faits pour régner sur elle. | Sofía ama la virtud, y ese amor se ha convertido en su pasión dominante. La ama porque no hay nada tan hermoso como la virtud; la ama porque la virtud constituye la gloria de una mujer, y una mujer virtuosa le parece casi igual a los ángeles; la ama como la única senda de la felicidad, y porque sólo ve miseria, abandono, desdicha, ignominia y oprobio en la vida de una mujer deshonesta; finalmente, la ama como preciosa para su respetable padre y para su tierna y digna madre, quienes no satisfechos con su propia virtud, también quieren estarlo con la de su hija, y la primera felicidad de ésta es la esperanza de hacer felices a sus padres. Todos estos sentimientos le inspiran un entusiasmo que enaltece su alma, y somete sus mezquinas inclinaciones a tan noble pasión. Sofía será casta y honesta hasta su último aliento; se lo juró en la intimidad de su alma, y en una época en que ya sabía lo que cuesta cumplir semejante juramento; lo juró cuando había podido revocar su propósito, si sus sentidos se le hubiesen impuesto. |
Sophie n’a pas le bonheur d’être une aimable Française, froide par tempérament et coquette par vanité, voulant plutôt briller que plaire, cherchant l’amusement et non le plaisir. Le seul besoin d’aimer la dévore, il vient la distraire et troubler son cœur dans les fêtes ; elle a perdu son ancienne gaieté ; les folâtres jeux ne sont plus faits pour elle ; loin de craindre l’ennui de la solitude, elle la cherche ; elle y pense à celui qui doit la lui rendre douce : tous les indifférents l’importunent ; il ne lui faut pas une cour, mais un amant ; elle aime mieux plaire à un seul honnête homme, et lui plaire toujours, que d’élever en sa faveur le cri de la mode, qui dure un jour, et le lendemain se change en huée. | Sofía no tiene la suerte de ser una amable francesa, fría por temperamento y coqueta por vanidad, que más quiere lucir que agradar, y que busca la diversión y no el deleite. La necesidad de amar es la única que la absorbe, y altera su corazón durante las fiestas; ha perdido su antigua alegría y los juegos la fastidian, y en vez de temer la soledad, la busca; piensa en aquel que puede endulzársela; la importunan los que le son indiferentes, no siente necesidad de adoradores, sino sólo de un enamorado; prefiere más agradar a un solo hombre de bien y agradarle siempre que ver alzarse en su favor el grito de la moda, que dura un día, y el siguiente se ha convertido en escarnio. |
Les femmes ont le jugement plus tôt formé que les hommes : étant sur la défensive presque dès leur enfance, et chargées d’un dépôt difficile à garder, le bien et le mal leur sont nécessairement plus tôt connus. Sophie, précoce en tout, parce que son tempérament la porte à l’être, a aussi le jugement plus tôt formé que d’autres filles de son âge. Il n’y a rien à cela de fort extraordinaire ; la maturité n’est pas partout la même en même temps. | El juicio de las mujeres se forma más temprano que el de los hombres; estando a la defensiva casi desde su niñez, y encargadas de un depósito difícil de guardar, necesariamente conocen primero lo bueno y lo malo. Sofía es precoz en todo, porque la lleva su temperamento a serlo, y también enjuicia más pronto que otras jóvenes de su edad. Esto no tiene nada de extraordinario, pues la madurez no es en todas la misma y al mismo tiempo. |
Sophie est instruite des devoirs et des droits de son sexe et du nôtre. Elle connaît les défauts des hommes et les vices des femmes ; elle connaît aussi les qualités, les vertus contraires, et les a toutes empreintes au fond de son cœur. On ne peut pas avoir une plus haute idée de l’honnête femme que celle qu’elle en a conçue, et cette idée ne l’épouvante point ; mais elle pense avec plus de complaisance à l’honnête homme, à l’homme de mérite ; elle sent qu’elle est faite pour cet homme-là, qu’elle en est digne, qu’elle peut lui rendre le bonheur qu’elle recevra de lui ; elle sent qu’elle saura bien le reconnaître ; il ne s’agit que de le trouver. | Sofía está instruida en las obligaciones y en los derechos de su sexo y del nuestro; sabe los defectos de los hombres y los vicios de las mujeres, así como las cualidades y las virtudes contrarias, y las lleva grabadas en el corazón. No es posible tener una idea más elevada de la mujer honesta que la que ella se ha formado, y no la asusta esa idea, pero todavía piensa con más complacencia en el hombre de bien, en el hombre de mérito; comprende que ella está destinada al hombre, que es digna de él, que le puede devolver la felicidad que de él reciba; sólo hace falta que lo encuentre. |
Les femmes sont les juges naturels du mérite des hommes, comme ils le sont du mérite des femmes : cela est de leur droit réciproq ue ; et ni les uns ni les autres ne l’ignorent. Sophie connaît ce droit et en use, mais avec la modestie qui convient à sa jeunesse, à son inexpérience, à son état ; elle ne juge que des choses qui sont à sa portée, et elle n’en juge que quand cela sert à développer quelque maxime utile. Elle ne parle des absents qu’avec la plus grande circonspection, surtout si ce sont des femmes. Elle pense que ce qui les rend médisantes et satiriques est de parler de leur sexe : tant qu’elles se bornent à parler du nôtre elles ne sont qu’équitables. Sophie s’y borne donc. Quant aux femmes, elle n’en parle jamais que pour en dire le bien qu’elle sait : c’est un honneur qu’elle croit devoir à son sexe ; et pour celles dont elle ne sait aucun bien à dire, elle n’en dit rien du tout, et cela s’entend. | Las mujeres son los jueces naturales del mérito de los hombres, lo mismo que ellos lo son del de las mujeres. Es un derecho recíproco que ni unos ni otros ignoran. Sofía sabe de ese derecho y se sirve de él, pero con la modestia que conviene a su juventud, a su inexperiencia y a su estado; sólo emite juicios sobre las cosas que están a su alcance, y sólo cuando le sirven para deducir alguna máxima útil. Habla de los ausentes con una gran circunspección, y de un modo especial si se trata de mujeres. Piensa que lo que las convierte en murmuradoras y satíricas es el hablar de su sexo y que únicamente son discretas cuando se limitan a hablar del nuestro. Sofía es así. Nunca habla de las mujeres si no es para decir lo bueno que de ellas sabe; ése es un respeto que cree debe a su sexo, y de las que no puede hablar bien, se calla, y la comprenden. |
Sophie a peu d’usage du monde ; mais elle est obligeante, attentive, et met de la grâce à tout ce qu’elle fait. Un heureux naturel la sert mieux que beaucoup d’art. Elle a une certaine politesse à elle qui ne tient point aux formules, qui n’est point asservie aux modes, qui ne change point avec elles, qui ne fait rien par usage, mais qui vient d’un vrai désir de plaire, et qui plaît. Elle ne sait point les compliments triviaux, et n’en invente point de plus recherchés ; elle ne dit pas qu’elle est très obligée, qu’on lui fait beaucoup d’honneur, qu’on ne prenne pas la peine, etc. Elle s’avise encore moins de tourner des phrases. Pour une attention, pour une politesse établie, elle répond par une révérence, ou par un simple Je vous remercie ; mais ce mot, dit de sa bouche, en vaut bien un autre. Pour un vrai service, elle laisse parler son cœur, et ce n’est pas un compliment qu’il trouve. Elle n’a jamais souffert que l’usage français l’asservît au joug des simagrées, comme d’étendre sa main, en passant d’une chambre à l’autre, sur un bras sexagénaire qu’elle aurait grande envie de soutenir. Quand un galant musqué lui offre cet impertinent service, elle laisse l’officieux bras sur l’escalier, et s’élance en deux sauts dans la chambre en disant qu’elle n’est pas boiteuse. En effet, quoiqu’elle ne soit pas grande, elle n’a jamais voulu de talons hauts ; elle a les pieds assez petits pour s’en passer. | Sofía tiene poco mundo, pero es obsequiosa, atenta y pone gracia en todo lo que hace. Su natural le vale más que el arte que pusiere. Tiene una cierta cortesía muy propia, que no consiste en fórmulas, ni está sujeta a la moda, pero que procede del deseo de agradar, y lo consigue. Ignora los cumplimientos triviales, ni los inventa; no dice que está muy agradecida, que la honran mucho, que no se tomen el trabajo, etc. Se cuida mucho menos de redondear las frases. A una atención, a una cortesía almibarada, corresponde con una cortesía sencilla, o con un simple «Muchas gracias», pero esta expresión en su boca vale más que cualquiera en otra. Ante una atención sincera deja hablar a su corazón, sin que sean cumplidos lo que sale de él. Jamás ha soportado el yugo de los remilgos, como, por ejemplo, apoyarse, al pasar de un salón a otro, en el brazo sexagenario que antes debería ella sostenerlo. Cuando un galancete le ofrece ese impertinente servicio, deja el oficioso brazo en la escalera y en dos saltos llega al salón, diciendo que no le necesita. |
Non seulement elle se tient dans le silence et dans le respect avec les femmes, mais même avec les hommes mariés, ou beaucoup plus âgés qu’elle ; elle n’acceptera jamais de place au-dessus d’eux que par obéissance, et reprendra la sienne au-dessous sitôt qu’elle le pourra ; car elle sait que les droits de l’âge vont avant ceux du sexe, comme ayant pour eux le préjugé de la sagesse, qui doit être honorée avant tout. | No sólo guarda silencio y respeto con las mujeres de mayor edad, sino también con los hombres casados, y más aún con los ancianos; nunca aceptará un puesto más destacado que el de ellos, como no sea por obediencia, y de ser así, se volverá al suyo más inferior en cuanto le sea posible, pues sabe que antes que los derechos del sexo están los de la edad, que tienen en su favor la sabiduría, la cual debe honrarse por encima de todo. |
Avec les jeunes gens de son âge, c’est autre chose ; elle a besoin d’un ton différent pour leur en imposer, et elle sait le prendre sans quitter l’air modeste qui lui convient. S’ils sont modestes et réservés eux-mêmes, elle gardera volontiers avec eux l’aimable familiarité de la jeunesse ; leurs entretiens pleins d’innocence seront badins, mais décents ; s’ils deviennent sérieux, elle veut qu’ils soient utiles ; s’ils dégénèrent en fadeurs, elle les fera bientôt cesser, car elle méprise surtout le petit jargon de la galanterie, comme très offensant pour son sexe. Elle sait bien que l’homme qu’elle cherche n’a pas ce jargon-là, et jamais elle ne souffre volontiers d’un autre ce qui ne convient pas à celui dont elle a le caractère empreint au fond du cœur. La haute opinion qu’elle a des droits de son sexe, la fierté d’âme que lui donne la pureté de ses sentiments, cette énergie de la vertu qu’elle sent en elle-même et qui la rend respectable à ses propres yeux, lui font écouter avec indignation les propos doucereux dont on prétend l’amuser. Elle ne les reçoit point avec une colère apparente, mais avec un ironique applaudissement qui déconcerte, ou d’un ton froid auquel on ne s’attend point. Qu’un beau Phébus lui débite ses gentillesses, la loue avec esprit sur le sien, sur sa beauté, sur ses grâces, sur le prix du bonheur de lui plaire, elle est fille à l’interrompre, en lui disant poliment : « Monsieur, j’ai grand’peur de savoir ces choses-là mieux que vous ; si nous n’avons rien de plus curieux à nous dire, je crois que nous pouvons finir ici l’entretien. » Accompagner ces mots d’une grande révérence, et puis se trouver à vingt pas de lui n’est pour elle que l’affaire d’un instant. Demandez à vos agréables s’il est aisé d’étaler longtemps son caquet avec un esprit aussi rebours que celui-là. | Con los jóvenes de su edad ya es otra cosa; precisa un tono distinto para imponerles respeto, y sabe emplearlo sin dejar el modesto ademán que le conviene. Si ellos son modestos y prudentes, conservará la amable familiaridad de la juventud, sus conversaciones serán graciosas, pero con decencia, y si son serias, querrá que sean útiles; si degeneran en requiebros, las interrumpirá sin rodeos, porque desprecia el necio galanteo por considerarlo como algo que ofende a su sexo. Sabe que el hombre que ella anhela no incurrirá en adulaciones, y no sufre de otro lo que no admitiría de aquél que va creando su imaginación, en el que ve un espíritu altivo y pureza de sentimientos; aquella energía de la virtud que siente en sí misma, es la causa de que oiga con indignación las lisonjas con que pretenden divertirla. No las oye con aparente enojo, sino con un irónico aplauso que sorprende y desconcierta al impertinente. Si un joven almibarado le piropea y exalta con agudeza su hermosura, sus gracias, y aspira a la dicha de agradarle, ella es muy capaz de interrumpirle diciéndole: Caballero, me parece que yo sé mejor que usted todo eso que ve en mí; entonces, si no tiene nada más que decirme, creo que podemos dar por terminada nuestra conversación». Acompañar estas palabras con una sobria cortesía y encontrarse a veinte pasos, para ella es cosa de un momento. Preguntad a vuestros petimetres si es fácil, ante un espíritu tan sensato, lucir su ingenio durante mucho tiempo. |
Ce n’est pas pourtant qu’elle n’aime fort à être louée, pourvu que ce soit tout de bon, et qu’elle puisse croire qu’on pense en effet le bien qu’on lui dit d’elle. Pour paraître touché de son mérite, il faut commencer par en montrer. Un hommage fondé sur l’estime peut flatter son cœur altier, mais tout galant persiflage est toujours rebuté ; Sophie n’est pas faite pour exercer les petits talents d’un baladin. | Esto no quiere decir que le disguste verse elogiada si el elogio es sincero y pueda creer que efectivamente piensan lo que le dicen. Para que se crea en el mérito de uno, ese uno debe empezar por demostrarlo. Un homenaje fundado en la estimación puede agradecerlo, pero el galanteo le repugna a Sofía, pues a ella no la conmueven las sutilezas de los necios. |
Avec une si grande maturité de jugement, et formée à tous égards comme une fille de vingt ans, Sophie, à quinze, ne sera point traitée en enfant par ses parents. À peine apercevront-ils en elle la première inquiétude de la jeunesse, qu’avant le progrès ils se hâteront d’y pourvoir ; ils lui tiendront des discours tendres et sensés. Les discours tendres et sensés sont de son âge et de son caractère. Si ce caractère est tel que je l’imagine, pourquoi son père ne lui parlerait-il pas à peu près ainsi : | Con un juicio tan equilibrado bajo todos los aspectos en una muchacha de veinte años, Sofía a los quince no será tratada como una niña por sus padres. Tan pronto como le adviertan la primera inquietud de la juventud, tomarán sus medidas antes de que haga progresos, y le irán dando razones tiernas y juiciosas, las propias de su edad y según el carácter, y si éste es como yo me lo imagino, ¿:por qué su padre no le ha de hablar más o menos así? |
« Sophie, vous voilà grande fille, et ce n’est pas pour l’être toujours qu’on le devient. Nous voulons que vous soyez heureuse : c’est pour nous que nous le voulons, parce que notre bonheur dépend du vôtre. Le bonheur d’une honnête fille est de faire celui d’un honnête homme : il faut donc penser à vous marier ; il y faut penser de bonne heure, car du mariage dépend le sort de la vie, et l’on n’a jamais trop de temps pour y penser. | «Ya eres mayor, Sofía, y no has crecido para quedarte siempre en este estado. Queremos que seas feliz, puesto que de tu felicidad depende la nuestra. La felicidad de una honesta joven consiste en hacer la de un hombre de bien; por lo tanto debes pensar en casarte, porque como la suerte de la vida depende del matrimonio, nunca hay tiempo de sobra para pensarlo bien. |
« Rien n’est plus difficile que le choix d’un bon mari, si ce n’est peut-être celui d’une bonne femme. Sophie, vous serez cette femme rare, vous serez la gloire de notre vie et le bonheur de nos vieux jours ; mais, de quelque mérite que vous soyez pourvue, la terre ne manque pas d’hommes qui en ont encore plus que vous. Il n’y en a pas un qui ne dût s’honorer de vous obtenir, il y en a beaucoup qui vous honoreraient davantage. Dans ce nombre il s’agit d’en trouver un qui vous convienne, de le connaître, et de vous faire connaître à lui. | »No hay nada más difícil que la elección de un buen marido, si no es la elección de una buena mujer. Tú, Sofía, serás esa mujer rara, serás la gloria de nuestra vida y la felicidad de nuestra vejez, pero por mucho que sea tu mérito, no faltan hombres que todavía tienen más que tú. No hay ninguno que no se sienta honrado con alcanzarte, y hay muchos que te honrarán más a ti. Se trata de encontrar uno que te convenga, de que le conozcas y que te conozca él. |
« Le plus grand bonheur du mariage dépend de tant de convenances, que c’est une folie de les vouloir toutes rassembler. Il faut d’abord s’assurer des plus importantes : quand les autres s’y trouvent, on s’en prévaut ; quand elles manquent, on s’en passe. Le bonheur parfait n’est pas sur la terre, mais le plus grand des malheurs, et celui qu’on peut toujours éviter, est d’être malheureux par sa faute. | »De tantas condiciones depende la felicidad del matrimonio, que sería una locura pretender reunirlas todas. Primeramente es necesario asegurarse de las que más importan; cuando se encuentran, las demás se corrigen, y cuando faltan, no deben ser causa de amargura. En la tierra no hay una felicidad perfecta, pero la mayor de las desgracias, la que siempre debemos evitar es la de ser desdichados por culpa nuestra. |
« Il y a des convenances naturelles, il y en a d’institution, il y en a qui ne tiennent qu’à l’opinion seule. Les parents sont juges des deux dernières espèces, les enfants seuls le sont de la première. Dans les mariages qui se font par l’autorité des pères, on se règle uniquement sur les convenances d’institution et d’opinion : ce ne sont pas les personnes qu’on marie, ce sont les conditions et les biens ; mais tout cela peut changer ; les personnes seules restent toujours, elles se portent partout avec elles ; en dépit de la fortune, ce n’est que par les rapports personnels qu’un mariage peut être heureux ou malheureux. | »Hay conveniencias naturales, hay otras que son por institución y otras que dependen de la opinión. De las dos últimas, los padres son los jueces; los hijos sólo pueden juzgar de la primera. Los matrimonios hechos por la autoridad de los padres, se regulan únicamente por las conveniencias de institución y opinión; no son las personas las que se casan, sino las condiciones y los bienes, pero todo esto puede cambiar; se quedan siempre las personas, y a despecho de la fortuna, por las relaciones personales un matrimonio puede ser feliz o desdichado. |
« Votre mère était de condition, j’étais riche ; voilà les seules considérations qui portèrent nos parents à nous unir. J’ai perdu mes biens, elle a perdu son nom : oubliée de sa famille, que lui sert aujourd’hui d’être née demoiselle ? Dans nos désastres, l’union de nos cœurs nous a consolés de tout ; la conformité de nos goûts nous a fait choisir cette retraite ; nous y vivons heureux dans la pauvreté, nous nous tenons lieu de tout l’un à l’autre. Sophie est notre trésor commun ; nous bénissons le ciel de nous avoir donné celui-là et de nous avoir ôté tout le reste. Voyez, mon enfant, où nous a conduits la Providence : les convenances qui nous firent marier sont évanouies ; nous ne sommes heureux que par celles que l’on compta pour rien. | »Tu madre era noble, yo rico, y fueron las únicas condiciones que aconsejaron a nuestros padres nuestro matrimonio. Yo he perdido mis riquezas y ella su nombre; olvidada de su familia, ¿:de qué le sirve hoy el haber nacido de noble cuna? En nuestras desgracias la unión de nuestros corazones nos ha consolado de todo; la conformidad de nuestros gustos ha hecho que eligiéramos la soledad; aquí vivimos pobres y felices, siendo el uno para el otro. Sofía, eres nuestro tesoro común; bendecimos al cielo porque nos la ha dado y nos ha quitado lo demás. Mira, hija mía, a dónde nos ha llevado la Providencia; las conveniencias que determinaron nuestra unión han desaparecido, y somos felices por otras, en las que nadie pensó. |
« C’est aux époux à s’assortir. Le penchant mutuel doit être leur premier lien ; leurs yeux, leurs cœurs doivent être leurs premiers guides ; car, comme leur premier devoir, étant unis, est de s’aimer, et qu’aimer ou n’aimer pas ne dépend point de nous-mêmes, ce devoir en emporte nécessairement un autre, qui est de commencer par s’aimer avant de s’unir. C’est là le droit de la nature, que rien ne peut abroger : ceux qui l’ont gênée par tant de lois civiles ont eu plus d’égard à l’ordre apparent qu’au bonheur du mariage et aux mœurs des citoyens. Vous voyez, ma Sophie, que nous ne vous prêchons pas une morale difficile. Elle ne tend qu’à vous rendre maîtresse de vous-même, et à nous en rapporter à vous sur le choix de votre époux. | »Toca a los esposos el escogerse. Su primer vínculo debe ser el cariño recíproco; sus primeros guías los ojos y los corazones, porque como su primera obligación, cuando están unidos, es amarse, y el amor o desamor no depende de nosotros mismos, esta obligación envuelve necesariamente la otra, que es la de amarse antes de unirse. Este es el derecha de la naturaleza, que nada puede reprimir; los que con tantas leyes civiles la han apremiado, han atendido más al orden aparente que a la dicha del matrimonio y a las costumbres de los ciudadanos. Ya ves, Sofía, que no te predicamos una moral difícil, la cual tiende a hacerte dueña de ti misma y a que seas tú quien decida al elegir esposo. |
« Après vous avoir dit nos raisons pour vous laisser une entière liberté, il est juste de vous parler aussi des vôtres pour en user avec sagesse. Ma fille, vous êtes bonne et raisonnable, vous avez de la droiture et de la piété, vous avez les talents qui conviennent à d’honnêtes femmes, et vous n’êtes pas dépourvue d’agréments ; mais vous êtes pauvre ; vous avez les biens les plus estimables, et vous manquez de ceux qu’on estime le plus. N’aspirez donc qu’à ce que vous pouvez obtenir, et réglez votre ambition, non sur vos jugements ni sur les nôtres, mais sur l’opinion des hommes. S’il n’était question que d’une égalité de mérite, j’ignore à quoi je devrais borner vos espérances ; mais ne les élevez point au-dessus de votre fortune, et n’oubliez pas qu’elle est au plus bas rang. Bien qu’un homme digne de vous ne compte pas cette inégalité pour un obstacle, vous devez faire alors ce qu’il ne fera pas : Sophie doit imiter sa mère, et n’entrer que dans une famille qui s’honore d’elle. Vous n’avez point vu notre opulence, vous êtes née durant notre pauvreté ; vous nous la rendez douce et vous la partagez sans peine. Croyez-moi, Sophie, ne cherchez point des biens dont nous bénissons le ciel de nous avoir délivrés ; nous n’avons goûté le bonheur qu’après avoir perdu la richesse. | »Luego de haberte expuesto las razones que tenemos para dejarte con entera libertad, justo es hablarte también de las que tienes tú para hablar de ella con sensatez. Hija mía, tú eres buena y discreta, tienes rectitud y piedad, posees las condiciones que convienen a la mujer honesta y no te falta belleza, pero eres pobre; si posees bienes más estimables te faltan los que más se cotizan. No aspires, por tanto, a más de lo que puedes alcanzar y regula tu ambición no por tus juicios ni por los nuestros, sino por la opinión de los hombres. Si sólo se tratara de igualdad de mérito, no sé dónde pondría límite a mis esperanzas, pero tú no las encumbres más altas que tu caudal ni te olvides de que éste es muy humilde. Aunque para un hombre digno de ti no sea obstáculo esta desigualdad, lo que él no haga debes hacerlo tú. Sofía debes imitar a tu madre y no entrar en una familia que con ella no se honre. No has visto nuestra opulencia, has nacido durante nuestra pobreza, la has consolado y la has compartido sin que fuese tu desconsuelo. Créeme, Sofía; no busques los bienes por los que bendecimos al cielo por habernos librado de ellos, pues sólo hemos sido felices después de haber perdido la riqueza. |
« Vous êtes trop aimable pour ne plaire à personne, et votre misère n’est pas telle qu’un honnête homme se trouve embarrassé de vous. Vous serez recherchée, et vous pourrez l’être de gens qui ne nous vaudront pas. S’ils se montraient à vous tels qu’ils sont, vous les estimeriez ce qu’ils valent ; tout leur faste ne vous en imposerait pas longtemps ; mais, quoique vous ayez le jugement bon et que vous vous connaissiez en mérite, vous manquez d’expérience et vous ignorez jusqu’où les hommes peuvent se contrefaire. Un fourbe adroit peut étudier vos goûts pour vous séduire, et feindre auprès de vous des vertus qu’il n’aura point. Il vous perdrait Sophie, avant que vous vous en fussiez aperçue, et vous ne connaîtriez votre erreur que pour la pleurer. Le plus dangereux de tous les pièges, et le seul que la raison ne peut éviter, est celui des sens ; si jamais vous avez le malheur d’y tomber, vous ne verrez plus qu’illusions et chimères ; vos yeux se fascineront, votre jugement se troublera, votre volonté sera corrompue, votre erreur même vous sera chère ; et quand vous seriez en état de la connaître, vous n’en voudriez pas revenir. Ma fille, c’est à la raison de Sophie que je vous livre ; je ne vous livre point au penchant de son cœur. Tant que vous serez de sang-froid, restez votre propre juge ; mais sitôt que vous aimerez, rendez à votre mère le soin de vous. | »Eres muy amable para que no tengas un pretendiente, y no es tanta tu pobreza que puedas ser una carga para un hombre de bien. Tal vez te pretendan hombres que no valgan tanto como tú. Si se te muestran a ti tal como son, los apreciarás por lo que valen, y si todo es apariencia no te engañarás mucho tiempo, pero aunque tengas un sano juicio y comprendas los méritos, careces de experiencia e ignoras hasta dónde se pueden empequeñecer los hombres. Un sujeto astuto puede estudiar tus gustos para seducirte y fingirte las virtudes de que carezca. Te perdería, Sofía, antes de que lo conocieses, y sólo verías tu error para llorar. Los sentidos son el lazo más peligroso, el único que no puede prever el buen juicio; sólo verás fantásticas ilusiones, tus ojos quedarán deslumbrados, quedará mediatizada tu voluntad, amarás hasta tu propio error, y aun cuando llegares a comprenderlo no querrás salir de él si tienes la desdicha de caer en sus redes. Hija mía, a la razón de Sofía te entrego, no a las inclinaciones de su corazón. Mientras no tengas inclinación hacia ningún hombre, que seas tú misma tu propio juez, pero tan pronto como estés enamorada, concede a tu madre el cuidado de vigilarte. |
« Je vous propose un accord qui vous marque notre estime et rétablisse entre nous l’ordre naturel. Les parents choisissent l’époux de leur fille, et ne la consultent que pour la forme : tel est l’usage. Nous ferons entre nous tout le contraire : vous choisirez, et nous serons consultés. Usez de votre droit, Sophie ; usez-en librement et sagement. L’époux qui vous convient doit être de votre choix et non pas du nôtre. Mais c’est à nous de juger si vous ne vous trompez pas sur les convenances, et si, sans le savoir, vous ne faites point autre chose que ce que vous voulez. La naissance, les biens, le rang, l’opinion, n’entreront pour rien dans nos raisons. Prenez un honnête homme dont la personne vous plaise et dont le caractère vous convienne : quel qu’il soit d’ailleurs, nous l’acceptons pour notre gendre. Son bien sera toujours assez grand, s’il a des bras, des mœurs, et qu’il aime sa famille. Son rang sera toujours assez illustre, s’il l’ennoblit par la vertu. Quand toute la terre nous blâmerait, qu’importe ? Nous ne cherchons pas l’approbation publique, il nous suffit de votre bonheur. » | »Te propongo un acuerdo entre nosotros que restablece el orden natural y te demostrará nuestro cariño. Los padres le eligen el esposo a su hija, y sólo la consultan por simple fórmula, pues ésa es la costumbre. Pero nosotros haremos lo contrario: tú escogerás y seremos nosotros los consultados. Haz uso de tu derecho con libertad y discreción. Tú debes elegir el esposo que te convenga consultándonos a nosotros, pero a nosotros nos toca juzgar si te engañas acerca de las conveniencias y si haces, sin saberlo, algo distinto de lo que te conviene. En nuestros argumentos no tendrán parte ni el nacimiento, ni los bienes, ni la jerarquía, m la opinión. Elige a un hombre de bien cuyo físico te agrade y cuyo carácter te convenga, pues sea quien fuere, lo aceptamos por yerno. Siempre tendrá el caudal suficiente, si tiene buenas costumbres y ama a su familia, y siempre ilustración suficiente si le ennoblece la virtud. ¿:Qué importa que el mundo nos censure? No aspiramos a la aprobación pública; tenemos bastante con tu felicidad.» |
Lecteurs, j’ignore quel effet ferait un pareil discours sur les filles élevées à votre manière. Quant à Sophie, elle pourra n’y pas répondre par des paroles ; la honte et l’attendrissement ne la laisseraient pas aisément s’exprimer ; mais je suis bien sûr qu’il restera gravé dans son cœur le reste de sa vie, et que si l’on peut compter sur quelque résolution humaine, c’est sur celle qu’il lui fera faire d’être digne de l’estime de ses parents. | No sé, lectores, cuál sería el efecto producido por este razonamiento en las muchachas educadas con vuestro sistema. En lo que se refiere a Sofía no podrá responder con palabras, porque el rubor y la ternura no la dejarán hablar, pero estoy seguro de que en su corazón quedará grabado para el resto de su vida, y que si podemos contar con alguna resolución humana, será con la que la hará ser digna de la estimación de sus padres. |
Mettons la chose au pis, et donnons-lui un tempérament ardent qui lui rende pénible une longue attente ; je dis que son jugement, ses connaissances, son goût, sa délicatesse, et surtout les sentiments dont son cœur a été nourri dans son enfance, opposeront à l’impétuosité de ses sens un contre-poids qui lui suffira pour les vaincre, ou du moins pour leur résister longtemps. Elle mourrait plutôt martyre de son état que d’affliger ses parents, d’épouser un homme sans mérite, et de s’exposer au malheur d’un mariage mal assorti. La liberté même qu’elle a reçue ne fait que lui donner une nouvelle élévation d’âme, et la rendre plus difficile sur le choix de son maître. Avec le tempérament d’une Italienne et la sensibilité d’une Anglaise, elle a, pour contenir son cœur et ses sens, la fierté d’une Espagnole, qui, même en cherchant un amant, ne trouve pas aisément celui qu’elle estime digne d’elle. | Pongámonos en el peor de los casos y démosle un temperamento ardiente que le haga penosa una larga espera, y digo que su juicio, sus conocimientos, su sano gusto, su delicadeza, y más que todo, los sentimientos que desde su niñez han inculcado en su corazón, opondrán tal obstáculo a los ímpetus de los sentidos que serán suficientes para vencerlos, o para resistirlos durante mucho tiempo. Antes. morirá mártir que afligir a los padres, casándose con un hombre sin merecerla y exponerse a las desgracias de un matrimonio desigual. La misma libertad que le ha dado da una nueva elevación a su espíritu, y la hace más escrupulosa para la elección de un dueño. Con el temperamento de una italiana y la sensibilidad de una inglesa, tiene, para poner freno a su corazón y a sus sentidos, la altivez de una española, la cual, aunque busque un amante, difícilmente encuentra uno que le parezca digno de ella. |
Il n’appartient pas à tout le monde de sentir quel ressort l’amour des choses honnêtes peut donner à l’âme, et quelle force on peut trouver en soi quand on veut être sincèrement vertueux. Il y a des gens à qui tout ce qui est grand paraît chimérique, et qui, dans leur basse et vile raison, ne connaîtront jamais ce que peut sur les passions humaines la folie même de la vertu. Il ne faut parler à ces gens-là que par des exemples : tant pis pour eux s’ils s’obstinent à les nier. Si je leur disais que Sophie n’est point un être imaginaire, que son nom seul est de mon invention, que son éducation, ses mœurs, son caractère, sa figure même ont réellement existé, et que sa mémoire coûte encore des larmes à toute une honnête famille, sans doute ils n’en croiraient rien ; mais enfin, que risquerai-je d’achever sans détour l’histoire d’une fille si semblable à Sophie, que cette histoire pourrait être la sienne sans qu’on dût en être surpris ? Qu’on la croie véritable ou non, peu importe ; j’aurai, si l’on veut, raconté des fictions, mais j’aurai toujours expliqué ma méthode, et j’irai toujours à mes fins. | No todo el mundo tiene facilidad para comprender lo que el amor a lo honesto enriquece el alma, y la fuerza que puede encontrar en sí el que sinceramente quiere ser virtuoso. Hay gentes a quienes todo lo que es grande les parece fantástico, y quienes con su vil y baja razón jamás conocerán lo que con las pasiones humanas puede la misma locura de la virtud. A éstos sólo se les ha de hablar con ejemplos, y si se obstinan en negarlos, peor para ellos. Si yo les dijera que Sofía no es un ser imaginario, que sólo su nombre es invención mía, que realmente ha existido con su educación, su carácter y sus costumbres, y hasta su figura, y que su memoria todavía cuesta lágrimas a una familia honrada, sin duda no lo creerían, pero, ¿:qué es lo que aventuro en concluir sin rodeos la historia de una joven tan parecida a Sofía, que pudiera la de ésta ser la suya sin que debiesen extrañarlo? Si la creen verdadera o no, importa muy poco; para ellos habré contado ficciones, pero siempre habré explicado mi método y llegaré al fin que me he propuesto. |
La jeune personne, avec le tempérament dont je viens de charger Sophie, avait d’ailleurs avec elle toutes les conformités qui pouvaient lui en faire mériter le nom, et je le lui laisse. Après l’entretien que j’ai rapporté, son père et sa mère, jugeant que les partis ne viendraient pas s’offrir dans le hameau qu’ils habitaient, l’envoyèrent passer un hiver à la ville, chez une tante qu’on instruisit en secret du sujet de ce voyage ; car la fière Sophie portait au fond de son cœur le noble orgueil de savoir triompher d’elle ; et, quelque besoin qu’elle eût d’un mari, elle fût morte fille plutôt que de se résoudre à l’aller chercher. | Esta joven, con el temperamento que he atribuido a Sofía, tenía todas las demás condiciones que la podían hacer merecedora de este nombre, y así se lo dejo. Después de la conversación que he referido, viendo su padre y su madre que no se presentarían partidos en el pueblo donde vivían, la enviaron a pasar un invierno en la ciudad, en casa de una tía a quien secretamente informaron del motivo del viaje, porque la altiva Sofía tema innata la noble arrogancia de saber triunfar de sí misma, y por más que necesitaba un marido, antes moriría doncella que ir a buscarlo ella. |
Pour répondre aux vues de ses parents, sa tante la présenta dans les maisons, la mena dans les sociétés, dans les fêtes, lui fit voir le monde, ou plutôt l’y fit voir, car Sophie se souciait peu de tout ce fracas. On remarqua pourtant qu’elle ne fuyait pas les jeunes gens d’une figure agréable qui paraissaient décents et modestes. Elle avait dans sa réserve même un certain art de les attirer, qui ressemblait assez à de la coquetterie ; mais après s’être entretenue avec eux deux ou trois fois, elle s’en rebutait. Bientôt, à cet air d’autorité qui semblait accepter les hommages, elle substituait un maintien plus humble et une politesse plus repoussante. Toujours attentive sur elle-même, elle ne leur laissait plus l’occasion de lui rendre le moindre service : c’était dire qu’elle ne voulait pas être leur maîtresse. | Siguiendo la intención de sus padres, su tía la presentó en varias casas, la llevó a diversos círculos y bailes, la enseñó al mundo, o la mostró en él, pues Sofía no se interesaba por aquel frenesí. Se observó, no obstante, que no se apartaba de los jóvenes de agradable presencia y que parecían decentes y modestos. En su mismo recato poseía cierto arte para atraerlos, un poco parecido a la coquetería, pero después de hablar dos o tres veces con ellos, se cansaba. Pronto, a aquel aspecto de autoridad con que parecía admitir los homenajes, lo sustituye una conversación más simple y una cortesía más fría. Siempre atenta a sí misma, no les dejaba ocasión para ofrecerle el más leve servicio, lo que era decirles que no quería ser su dama. |
Jamais les cœurs sensibles n’aimèrent les plaisirs bruyants, vain et stérile bonheur des gens qui ne sentent rien, et qui croient qu’étourdir sa vie c’est en jouir. Sophie, ne trouvant point ce qu’elle cherchait, et désespérant de le trouver ainsi, s’ennuya de la ville. Elle aimait tendrement ses parents, rien ne la dédommageait d’eux, rien n’était propre à les lui faire oublier ; elle retourna les joindre longtemps avant le terme fixé pour son retour. | Los corazones sensibles jamás han gustado de las diversiones ruidosas, vana y estéril felicidad de las personas que nada sienten y que creen gozar de la vida porque están aturdidos. No encontrando Sofía lo que buscaba, ni esperando encontrarlo, se aburrió de la ciudad. Amaba tiernamente a sus padres y no había nada que se los hiciese olvidar; se volvió, pues, mucho tiempo antes del término señalado para su regreso. |
À peine eut-elle repris ses fonctions dans la maison paternelle, qu’on vit qu’en gardant la même conduite elle avait changé d’humeur. Elle avait des distractions, de l’impatience, elle était triste et rêveuse, elle se cachait pour pleurer. On crut d’abord qu’elle aimait et qu’elle en avait honte : on lui en parla, elle s’en défendit. Elle protesta n’avoir vu personne qui pût toucher son cœur, et Sophie ne mentait point. | Apenas hubo reanudado sus quehaceres en casa de sus padres, se observó que, aun siguiendo la misma conducta, había cambiado su carácter. Incurría en olvidos y en impaciencias y se escondía para llorar. Al principio creyeron que estaba enamorada y que no se atrevía a confesarlo; se lo preguntaron, y lo negó, asegurando que ninguno había impresionado su corazón, y Sofía no mentía. |
Cependant, sa langueur augmentait sans cesse, et sa santé commençait à s’altérer. Sa mère, inquiète de ce changement, résolut enfin d’en savoir la cause. Elle la prit en particulier, et mit en œuvre auprès d’elle ce langage insinuant et ces caresses invincibles que la seule tendresse maternelle sait employer. Ma fille, toi que j’ai portée dans mes entrailles et que je porte incessamment dans mon cœur, verse les secrets du tien dans le sein de ta mère. Quels sont donc ces secrets qu’une mère ne peut savoir ? Qui est-ce qui plaint tes peines, qui est-ce qui les partage, qui est-ce qui veut les soulager, si ce n’est ton père et moi Ah ! mon enfant, veux-tu que je meure de ta douleur sans la connaître ? | Cada día era mayor su abatimiento, y su salud empezaba a alterarse. Su madre, asustada con el cambio, quiso averiguar la causa y la llamó a solas, recurriendo a aquel cariño que sólo la ternura maternal sabe emplear: «Hija mía, tú, a quien tuve en mis entrañas y sigues siempre en mi corazón, confía los secretos del tuyo a tu madre. ¿:Cuáles son esos secretos que tu madre no puede saber? ¿:Quién se duele de tus quebrantos, quién los sufre y quiere aliviarlos, si no es tu padre y yo? Hija mía, ¿:quieres que me mate tu pesar sin saber cuál es?» |
Loin de cacher ses chagrins à sa mère, la jeune fille ne demandait pas mieux que de l’avoir pour consolatrice et pour confidente ; mais la honte l’empêchait de parler, et sa modestie ne trouvait point de langage pour décrire un état si peu digne d’elle que l’émotion qui troublait ses sens malgré qu’elle en eût. Enfin, sa honte même servant d’indice à sa mère, elle lui arracha ces humiliants aveux. Loin de l’affliger par d’injustes réprimandes, elle la consola, la plaignit, pleura sur elle ; elle était trop sage pour lui faire un crime d’un mal que sa vertu seule rendait si cruel. Mais pourquoi supporter sans nécessité un mal dont le remède était si facile et si légitime ? Que n’usait-elle de la liberté qu’on lui avait donnée ? Que n’acceptait-elle un mari ? que ne le choisissait-elle ? Ne savait-elle pas que son sort dépendait d’elle seule, et que, quel que fût son choix, il serait confirmé, puisqu’elle n’en pouvait faire un qui ne fût honnête ? On l’avait envoyée à la ville, elle n’y avait point voulu rester ; plusieurs partis s’étaient présentés, elle les avait tous rebutés. Qu’attendait-elle donc ? que voulait-elle ? Quelle inexplicable contradiction ! | Lejos de esconder sus sentimientos a su madre, ella no deseaba otra cosa que tenerla por confidente y que la consolase, pero la vergüenza le impedía hablar, y su modestia no hallaba expresiones que describieran un estado tan indigno de ella como la emoción que a pesar suyo agitaba sus sentidos. Por último, sirviendo su propia vergüenza de indicio- a su madre, le sacó su dolorosa confesión. Lejos de afligirla con reprensiones injustas, la consoló, la compadeció y lloró con ella, pues era demasiado sensata para recriminarle una dolencia que sólo su virtud hacía que fuese tan cruel. Pero, ¿:por qué, sin necesidad, soportaba un dolor que tan legítimo y fácil remedio tenía? ¿:Por qué no hacía uso de la libertad que le habían dado? ¿:Por qué no aceptaba un marido? ¿:Por qué no lo escogía? ¿:No sabía que era dueña de su suerte y que cualquiera que fuese su elección, sería confirmada, pues tenía que ser honesta? La habían enviado a la ciudad y no quiso seguir en ella, se le habían presentado pretendientes y los rechazó a todos. Pues, ¿:qué era lo que esperaba? ¿:Qué quería? ¡Qué contradicción tan inexplicable! |
La réponse était simple. S’il ne s’agissait que d’un secours pour la jeunesse, le choix serait bientôt fait ; mais un maître pour toute la vie n’est pas si facile à choisir ; et, puisqu’on ne peut séparer ces deux choix, il faut bien attendre, et souvent perdre sa jeunesse, avant de trouver l’homme avec qui l’on veut passer ses jours. Tel était le cas de Sophie : elle avait besoin d’un amant, mais cet amant devait être son mari ; et, pour le cœur qu’il fallait au sien, l’un était presque aussi difficile à trouver que l’autre. Tous ces jeunes gens si brillants n’avaient avec elle que la convenance de l’âge, les autres leur manquaient toujours ; leur esprit superficiel, leur vanité, leur jargon, leurs mœurs sans règle, leurs frivoles imitations, la dégoûtaient d’eux. Elle cherchait un homme et ne trouvait que des singes ; elle cherchait une âme et n’en trouvait point. | La contestación era muy sencilla. Si no se tratase de otra cosa que de un alivio para la juventud, pronto se haría la elección, pero no es tan fácil escoger un dueño para toda la vida, y no siendo posible la separación de estas dos elecciones, es indispensable esperar y a veces dejar que se vaya la juventud antes de encontrar el hombre con quien se quiere unir. Esta era la situación de Sofía; necesitaba un amante, pero este amante había de ser un marido, y para un corazón como el suyo, era casi tan difícil hallar lo uno como lo otro. Todos esos jóvenes tan brillantes sólo coincidían con ella en la edad, pero siempre les faltaban las otras coincidencias; la superficialidad de su espíritu, su vanidad, su palabrería, sus desarregladas costumbres, sus frivolidades le repugnaban. Ella buscaba a un hombre y sólo hallaba muñecos, buscaba un alma y no la encontraba. |
Que je suis malheureuse ! disait-elle à sa mère ; j’ai besoin d’aimer, et je ne vois rien qui me plaise. Mon cœur repousse tous ceux qu’attirent mes sens. Je n’en vois pas un qui n’excite mes désirs, et pas un qui ne les réprime ; un goût sans estime ne peut durer. Ah ! ce n’est pas là l’homme qu’il faut à votre Sophie ! son charmant modèle est empreint trop avant dans son âme. Elle ne peut aimer que lui, elle ne peut rendre heureux que lui, elle ne peut être heureuse qu’avec lui seul. Elle aime mieux se consumer et combattre sans cesse, elle aime mieux mourir malheureuse et libre, que désespérée auprès d’un homme qu’elle n’aimerait pas et qu’elle rendrait malheureux lui-même ; il vaut mieux n’être plus, que de n’être que pour souffrir. | «¡Qué desgraciada soy! -le decía a su madre-. Necesito querer y no veo quién me satisfaga. Mi corazón repele a los que atraen mis sentidos. No veo uno que no excite mis deseos y ni uno que no los refrene; el gusto sin la estimación no puede ser duradero.» No es ese el hombre que Sofía necesita. Tiene grabado el modelo que la seduce en el fondo de su corazón. A él solo puede amar y hacer dichoso, y sólo con él puede serlo ella. Prefiere consumirse y sufrir continuamente, morir desgraciada y libre antes que vivir desesperada al lado de un hombre al que no le quiere y a quien haría desgraciado; es preferible morir que vivir sólo para padecer. |
Frappée de ces singularités, sa mère les trouva trop bizarres pour n’y pas soupçonner quelque mystère. Sophie n’était ni précieuse, ni ridicule. Comment cette délicatesse outrée avait-elle pu lui convenir, à elle à qui l’on n’avait rien tant appris dès son enfance, qu’à s’accommoder des gens avec qui elle avait à vivre, et à faire de nécessité vertu ? Ce modèle de l’homme aimable duquel elle était si enchantée, et qui revenait si souvent dans tous ses entretiens, fit conjecturer à sa mère que ce caprice avait quelque autre fondement qu’elle ignorait encore et que Sophie n’avait pas tout dit. L’infortunée, surchargée de sa peine secrète, ne cherchait qu’à s’épancher. Sa mère la presse, elle hésite ; elle se rend enfin, et sortant sans rien dire, elle entre un moment après, un livre à la main : Plaignez votre malheureuse fille, sa tristesse est sans remède, ses pleurs ne peuvent tarir. Vous en voulez savoir la cause : eh bien ! la voilà, dit-elle en jetant le livre sur la table. La mère prend le livre et l’ouvre : c’étaient les Aventures de Télémaque. Elle ne comprend rien d’abord à cette énigme ; à force de questions et de réponses obscures, elle voit enfin, avec une surprise facile à concevoir, que sa fille est la rivale d’Eucharis. | Su madre, asombrada de estas rarezas, le parecieron tan extravagantes que sospechó que encerraban algún misterio. Sofía no era cursi ni amiga de fingimientos. ¿:Cómo había podido adoptar esa excesiva delicadeza a quien desde su niñez nada le habían inculcado tanto como el deber de habituarse al trato de los hombres, con uno de los cuales tenía que vivir y hacer de la necesidad una virtud? Este modelo del hombre amable que tanto la embelesaba y tanto repetía en sus conversaciones, hizo sospechar a su madre que el mal tenía otro fundamento que ella ignoraba y que Sofía no se lo había dicho todo. La infeliz, abrumada con su secreta pena, sólo procuraba desahogarse. Ante el acoso de su madre, titubeó, y luego salió sin decir una palabra; y volvió en seguida con un libro en la mano. «Compadeced a vuestra desdichada hija; su tristeza es irremediable, y su llanto no puede agotarse. ¿:Queréis, madre, saber la causa? Vedla aquí», dijo, y arrojó el libro sobre la mesa. Lo coge su madre y lo abre: Aventuras de Telémaco. De momento no adivina este enigma, pero después de muchas preguntas y ambiguas respuestas, ve con abrumadora sorpresa que su hija es la rival de Eucaris. |
Sophie aimait Télémaque, et l’aimait avec une passion dont rien ne put la guérir. Sitôt que son père et sa mère connurent sa manie, ils en rirent, et crurent la ramener par la raison. Ils se trompèrent : la raison n’était pas toute de leur côté ; Sophie avait aussi la sienne et savait la faire valoir. Combien de fois elle les réduisit au silence en se servant contre eux de leurs propres raisonnements, en leur montrant qu’ils avaient fait tout le mal eux-mêmes, qu’ils ne l’avaient point formée pour un homme de son siècle ; qu’il faudrait nécessairement qu’elle adoptât les manières de penser de son mari, ou qu’elle lui donnât les siennes ; qu’ils lui avaient rendu le premier moyen impossible par la manière dont ils l’avaient élevée, et que l’autre était précisément ce qu’elle cherchait. Donnez-moi, disait-elle, un homme imbu de mes maximes, ou que j’y puisse amener, et je l’épouse ; mais jusque-là pourquoi me grondez-vous ? Plaignez-moi. Je suis malheureuse et non pas folle. Le cœur dépend-il de la volonté ? Mon père ne l’a-t-il pas dit lui-même ? Est-ce ma faute si j’aime ce qui n’est pas ? Je ne suis point visionnaire ; je ne veux point un prince, je ne cherche point Télémaque, je sais qu’il n’est qu’une fiction : je cherche quelqu’un qui lui ressemble. Et pourquoi ce quelqu’un ne peut-il exister, puisque j’existe, moi qui me sens un cœur si semblable au sien ? Non, ne déshonorons pas ainsi l’humanité ; ne pensons pas qu’un homme aimable et vertueux ne soit qu’une chimère. Il existe, il vit, il me cherche peut-être ; il cherche une âme qui le sache aimer. Mais quel est-il ? où est-il ? Je l’ignore : il n’est aucun de ceux que j’ai vus ; sans doute il n’est aucun de ceux que je verrai. O ma mère ! pourquoi m’avez-vous rendu la vertu trop aimable ? Si je ne puis aimer qu’elle, le tort en est moins à moi qu’à vous. | Sofía amaba a Telémaco y lo amaba con tal pasión, que nada la pudo curar. Cuando sus padres conocieron su desvarío, se rieron de ella y quisieron vencerlo con razones, pero estaban equivocados, pues la razón no estaba totalmente de su parte. Sofía tenía la suya y sabía defenderla. ¡Cuántas veces los hizo callar valiéndose de sus propios argumentos, haciéndoles ver que ellos eran la causa de su daño por no haberla moldeado para un hombre de su tiempo, siendo necesario que ella adoptase la forma de pensar de su marido o que éste admitiese el suyo, que el primer medio se lo habían imposibilitado por el modo como la habían educado y el otro era precisamente el que ella buscaba! «Dadme un hombre que coincida con mis apreciaciones, o que yo se las pueda contagiar; y me caso al instante, pero ahora, ¿:por qué me reñís? Compadecedme, porque soy una desdichada y no una loca. ¿:El corazón se halla sometido a la voluntad? ¿:No lo ha dicho así mi padre? ¿:Es culpa mía si amo lo que no existe? No soy una ilusa, pues no pretendo a un príncipe, ni busco a Telémaco, porque sé muy bien que es una ficción, pero busco a uno que se le parezca. ¿:Y por qué no ha de poder existir si existo yo, con un corazón tan parecido al suyo? No, no deshonremos de este modo a la humanidad; no pensemos que sea ilusión un hombre virtuoso y amable. Existe y quizá busca un alma que sepa amarle. Pero, ¿:quién es?, ¿:dónde está? No lo sé; no es ninguno de los que yo he visto, tal vez ninguno de los que me quedan por ver. ¡_y, , madre mía! ¿:Porqué habéis pintado la virtud tan amable? La culpa es más vuestra que mía si sólo soy capaz de amar esa virtud.» |
Amènerai-je ce triste récit jusqu’à sa catastrophe ? Dirai-je les longs débats qui la précédèrent ? Représenterai-je une mère impatientée changeant en rigueur ses premières caresses ? Montrerai-je un père irrité oubliant ses premiers engagements, et traitant comme une folle la plus vertueuse des filles ? Peindrai-je enfin l’infortunée, encore plus attachée à sa chimère par la persécution qu’elle lui fait souffrir, marchant à pas lents vers la mort, et descendant dans la tombe au moment qu’on croit l’entraîner à l’autel ? Non, j’écarte ces objets funestes. Je n’ai pas besoin d’aller si loin pour montrer par un exemple assez frappant, ce me semble, que, malgré les préjugés qui naissent des mœurs du siècle, l’enthousiasme de l’honnête et du beau n’est pas plus étranger aux femmes qu’aux hommes, et qu’il n’y a rien que, sous la direction de la nature, on ne puisse obtenir d’elles comme de nous. | ¿:Continuaré hasta su desenlace esta triste narración? ¿:Diré los frecuentes debates que la precedieron? ¿:Representaré a una madre impaciente que convierte en rigores sus primeros halagos? ¿:Mostraré a un padre enojado, que olvidando sus primeras promesas trata de loca a la más virtuosa de las hijas? Por último, ¿:pintaré a la desventurada, más apegada a su fantasía con la persecución que por ella padece, caminando lentamente hacia la muerte, y descendiendo a la tumba cuando creen llevarla al tálamo nupcial? No; desviemos estos fúnebres objetos. No es necesario avanzar tanto para hacer ver con un ejemplo bastante exacto, según creo, que, no obstante, las preocupaciones debidas a las costumbres del siglo, no es más ajeno de las mujeres que de los hombres el entusiasmo por lo decente y lo hermoso, y que bajo la dirección de la naturaleza, nada hay que ni ellas ni nosotros no podamos alcanzarlo. |
On m’arrête ici pour me demander si c’est la nature qui nous prescrit de prendre tant de peine pour réprimer des désirs immodérés. Je réponds que non, mais qu’aussi ce n’est point la nature qui nous donne tant de désirs immodérés. Or, tout ce qui n’est pas elle est contre elle : j’ai prouvé cela mille fois. | Que se me ataje aquí y se me pregunte si es la naturaleza quién ordena que pongamos tantos afanes para reprimir los deseos inmoderados. Yo os contesto que no, pero tampoco es la naturaleza quien nos despierta tantos deseos de esa clase. Sin embargo, todo lo que no es de la naturaleza es contrario a ella, y esto lo he probado ya mil veces. |
Rendons à notre Émile sa Sophie : ressuscitons cette aimable fille pour lui donner une imagination moins vive et un destin plus heureux. Je voulais peindre une femme ordinaire ; et à force de lui élever l’âme j’ai troublé sa raison ; je me suis égaré moi-même. Revenons sur nos pas. Sophie n’a qu’un bon naturel dans une âme commune : tout ce qu’elle a de plus que les autres femmes est l’effet de son éducation. | Restituyamos su Sofía a nuestro Emilio; volvamos a la vida a esta amable doncella para ofrecerle una imaginación más moderada y un destino más venturoso. Mi voluntad era la de pintar a una mujer común, y, a costa de elevar su alma, he terminado perturbando su razón, y hasta yo mismo me he extraviado. Retrocedamos. Sofía no posee más que una buena índole con un alma común; todas las otras ventajas sobre las demás mujeres son producto de su educación. |
Je me suis proposé dans ce livre de dire tout ce qui se pouvait faire, laissant à chacun le choix de ce qui est à sa portée dans ce que je puis avoir dit de bien. J’avais pensé dès le commencement à former de loin la compagne d’Émile, et à les élever l’un pour l’autre et l’un avec l’autre. Mais, en y réfléchissant, j’ai trouvé que tous ces arrangements trop prématurés étaient mal entendus, et qu’il était absurde de destiner deux enfants à s’unir avant de pouvoir connaître si cette union était dans l’ordre de la nature, et s’ils auraient entre eux les rapports convenables pour la former. Il ne faut pas confondre ce qui est naturel à l’état sauvage, et ce qui est naturel à l’état civil. Dans le premier état, toutes les femmes conviennent à tous les hommes, parce que les uns et les autres n’ont encore que la forme primitive et commune ; dans le second, chaque caractère étant développé par les institutions sociales, et chaque esprit ayant reçu sa forme propre et déterminée, non de l’éducation seule, mais du concours bien ou mal ordonné du naturel et de l’éducation, on ne peut plus les assortir qu’en les présentant l’un à l’autre pour voir s’ils se conviennent à tous égards, ou pour préférer au moins le choix qui donne le plus de ces convenances. | En este libro me he propuesto decir lo que es posible hacer, dejando a la elección de cada uno aquello que está a su alcance de todo lo que de bueno puedo haber dicho. Al principio había pensado crear de antemano la compañera de Emilio y educarlos el uno para el otro, pero habiéndolo pensado mejor, me he dado cuenta de que todas estas disposiciones demasiado prematuras eran mal entendidas, y que el destinar a dos niños para que se unieran antes de poder saber si esta unión estaba en el orden de la naturaleza y si tendrían las convenientes relaciones entre sí para formarla, era un absurdo. No se debe confundir lo que es propio del estado natural con lo que lo es del estado civil. En el primero, todas las mujeres convienen a todos los hombres, porque unas y otros sólo tienen su forma común y primitiva; en el segundo, desarrollado cada carácter por las instituciones sociales, y habiendo recibido cada espíritu su forma propia y determinada, no sólo de la educación, sino del bien o mal ordenado concierto de la índole y la educación, es imposible unirlos como no sea presentando el uno al otro, para ver si bajo todos los aspectos se convienen, o preferir la elección que mayores afinidades ofrece. |
Le mal est qu’en développant les caractères l’état social distingue les rangs, et que l’un de ces deux ordres n’étant point semblable à l’autre, plus on distingue les conditions, plus on confond les caractères. De là les mariages mal assortis et tous les désordres qui en dérivent ; d’où l’on voit, par une conséquence évidente, que, plus on s’éloigne de l’égalité, plus les sentiments naturels s’altèrent ; plus l’intervalle des grands aux petits s’accroît, plus le lien conjugal se relâche ; plus il y a de riches et de pauvres, moins il y a de pères et de maris. Le maître ni l’esclave n’ont plus de famille, chacun des deux ne voit que son état. | El mal está en que al desarrollarse los caracteres, el estado social distingue las jerarquías, y no siendo uno de estos órdenes semejante al otro, cuanto más se distinguen las condiciones, más se confunden los caracteres. De aquí los matrimonios desiguales y todos sus desórdenes, donde se ve, por una consecuencia evidente, que a medida que se alteran los sentimientos naturales, cuanto mayor es la diferencia entre los grandes y los pequeños, más se afloja el vínculo conyugal; cuanto más ricos o pobres, menos maridos y padres hay. Ni el amo ni el criado tienen familia; cada uno de ellos sólo pende de su estado. |
Voulez-vous prévenir les abus et faire d’heureux mariages, étouffez les préjugés, oubliez les institutions humaines, et consultez la nature. N’unissez pas des gens qui ne se conviennent que dans une condition donnée, et qui ne se conviendront plus, cette condition venant à changer, mais des gens qui se conviendront dans quelque situation qu’ils se trouvent, dans quelque pays qu’ils habitent, dans quelque rang qu’ils puissent tomber. Je ne dis pas que les rapports conventionnels soient indifférents dans le mariage, mais je dis que l’influence des rapports naturels l’emporte tellement sur la leur, que c’est elle seule qui décide du sort de la vie, et qu’il y a telle convenance de goûts, d’humeurs, de sentiments, de caractères, qui devrait engager un père sage, fût-il prince, fût-il monarque, à donner sans balancer à son fils la fille avec laquelle il aurait toutes ces convenances, fût-elle née dans une famille déshonnête, fût-elle la fille du bourreau. Oui, je soutiens que, tous les malheurs imaginables dussent-ils tomber sur deux époux bien unis, ils jouiront d’un plus vrai bonheur à pleurer ensemble, qu’ils n’en auraient dans toutes les fortunes de la terre, empoisonnées par la désunion des cœurs. | ¿:Queréis atajar los abusos y hacer matrimonios felices? Sofocad las preocupaciones, relegad al olvido las instituciones humanas y consultad a la naturaleza. No queráis unir a dos personas que sólo se convienen por una determinada condición y que al cambiar esa condición ya no se convendrán, sino personas que se convengan en cualquier situación, en cualquier país y en cualquier clase a que puedan llegar. No digo que sean indiferentes en el matrimonio los intereses, pero sí es más poderoso el influjo de las relaciones naturales que el de las conveniencias, pues él solo decide del destino de la vida, y existe tal afinidad de gustos, genios, sentimientos y caracteres, que debería persuadir a un padre sensato, aunque fuera un noble o un monarca, de dar a su hijo la doncella que tuviera esas semejanzas con él, aunque fuese hija de un mendigo o hubiese nacido en un hogar de dudosa rectitud. Afirmo, sí, que aunque todas las desgracias imaginables cayesen sobre esposos estrechamente unidos, disfrutarían más felicidad verdadera llorando juntos que las que tendrían con todas las fortunas de la tierra si las envenenase la desunión de sus corazones. |
Au lieu donc de destiner dès l’enfance une épouse à mon Émile, j’ai attendu de connaître celle qui lui convient. Ce n’est point moi qui fais cette destination, c’est la nature ; mon affaire est de trouver le choix qu’elle a fait. Mon affaire, je dis la mienne et non celle du père ; car en me confiant son fils, il me cède sa place, il substitue mon droit au sien ; c’est moi qui suis le vrai père d’Émile, c’est moi qui l’ai fait homme. J’aurais refusé de l’élever si je n’avais pas été le maître de le marier à son choix, c’est-à-dire au mien. Il n’y a que le plaisir de faire un heureux qui puisse payer ce qu’il en coûte pour mettre un homme en état de le devenir. | Así, en vez de destinar desde la niñez una esposa a mi Emilio, he preferido esperar a saber la que mejor le conviene. No soy yo quien fijó este destino, sino la naturaleza; mi objetivo no es el de su padre, porque cuando me confió a su hijo me hizo cesión de su derecho, y al sustituirlo con el mío, yo soy el verdadero padre de Emilio, yo soy quien lo ha hecho hombre. Me habría negado a educarle si no me hubiera dejado ser el dueño de casarle a su gusto, que es decir el mío. Sólo con la satisfacción de hacerle dichoso se ve uno recompensado de los afanes que cuesta el conseguir que lo sea. |
Mais ne croyez pas non plus que j’ai attendu, pour trouver l’épouse d’Émile, que je le misse en devoir de la chercher. Cette feinte recherche n’est qu’un prétexte pour lui faire connaître les femmes, afin qu’il sente le prix de celle qui lui convient. Dès longtemps Sophie est trouvée ; peut-être Émile l’a-t-il déjà vue ; mais il ne la reconnaîtra que quand il en sera temps. | No penséis tampoco que para encontrar la esposa de Emilio he esperado que me encargara de buscársela. Esta fingida pesquisa sólo ha sido un pretexto para hacerle conocer a las mujeres y comprendiese el valor de la que le conviene. Hace mucho tiempo que Sofía está ahí, y quizá Emilio ya la ha visto, pero no la conocerá hasta que llegue el tiempo oportuno. |
Quoique l’égalité des conditions ne soit pas nécessaire au mariage, quand cette égalité se joint aux autres convenances, elle leur donne un nouveau prix ; elle n’entre en balance avec aucune, mais la fait pencher quand tout est égal. | Aunque para el matrimonio no se precise la igualdad de condiciones, cuando son semejantes, proporciona un nuevo valor; ninguna es el contrapeso de otra, pero inclina la balanza cuando está en el fiel. |
Un homme, à moins qu’il ne soit monarque, ne peut pas chercher une femme dans tous les états ; car les préjugés qu’il n’aura pas, il les trouvera dans les autres ; et telle fille lui conviendrait peut-être, qu’il ne l’obtiendrait pas pour cela. Il y a donc des maximes de prudence qui doivent borner les recherches d’un père judicieux. Il ne doit point vouloir donner à son élève un établissement au-dessus de son rang, car cela ne dépend pas de lui. Quand il le pourrait, il ne devrait pas le vouloir encore ; car qu’importe le rang au jeune homme, du moins au mien ? Et cependant, en montant, il s’expose à mille maux réels qu’il sentira toute sa vie. Je dis même qu’il ne doit pas vouloir compenser des biens de différentes natures, comme la noblesse et l’argent, parce que chacun des deux ajoute moins de prix à l’autre qu’il n’en reçoit d’altération ; que de plus on ne s’accorde jamais sur l’estimation commune ; qu’enfin la préférence que chacun donne à sa mise prépare la discorde entre deux familles, et souvent entre deux époux. | Un hombre no puede, si no se trata de un monarca, buscar mujeres en todos los estados, porque las preocupaciones que él no tenga las encontrará en los demás, y aunque cierta joven le conviniese, no por eso la alcanzaría. Hay, pues, máximas de prudencia que deben limitar las pretensiones de un padre juicioso; su alumno no debe pretender un establecimiento superior a la clase a que pertenece, pues eso no depende de él, y aun cuando dependiese, no debería desearlo, porque, ¿:qué le importa al joven, o por lo menos al mío, la condición social? No obstante, si sube de rango, se expone a mil males reales que no dejará de sufrir durante su vida. También digo que no ha de querer bienes de naturaleza distinta, como la nobleza y el dinero, pues cada uno de ellos da menos realce al otro por el que suspira, y, además, nunca hay avenencia en la valoración común, y porque la preferencia que cada uno da a lo que aporta, prepara la discordia entre las dos familias, y muchas veces entre los esposos. |
Il est encore fort différent pour l’ordre du mariage que l’homme s’allie au-dessus ou au-dessous de lui. Le premier cas est tout à fait contraire à la raison ; le second y est plus conforme. Comme la famille ne tient à la société que par son chef, c’est l’état de ce chef qui règle celui de la famille entière. Quand il s’allie dans un rang plus bas, il ne descend point, il élève son épouse ; au contraire, en prenant une femme au-dessus de lui, il l’abaisse sans s’élever. Ainsi, dans le premier cas, il y a du bien sans mal, et dans le second, du mal sans bien. De plus, il est dans l’ordre de la nature que la femme obéisse à l’homme. Quand donc il la prend dans un rang inférieur, l’ordre naturel et l’ordre civil s’accordent, et tout va bien. C’est le contraire quand, s’alliant au-dessus de lui, l’homme se met dans l’alternative de blesser son droit ou sa reconnaissance, et d’être ingrat ou méprisé. Alors la femme, prétendant à l’autorité, se rend le tyran de son chef ; et le maître, devenu l’esclave, se trouve la plus ridicule et la plus misérable des créatures. Tels sont ces malheureux favoris que les rois de l’Asie honorent et tourmentent de leur alliance, et qui, dit-on, pour coucher avec leurs femmes, n’osent entrer dans le lit que par le pied. | Es una cosa muy distinta también para el orden matrimonial el que un hombre se case con una mujer superior o inferior a él; lo primero es totalmente contrario a la razón, y lo segundo tiene mayor conformidad con ella. Como la familia se relaciona con la sociedad por su jefe, él es quien rige a la familia. Cuando se casa con una mujer de clase inferior, no se rebaja él, sino que encumbra a su esposa; por el contrario, cuando su mujer es superior a él, la rebaja sin encumbrarse. De tal modo, que en el primero de los casos resulta un bien sin mal, y en el segundo un mal sin bien. El orden de la naturaleza también quiere que la mujer obedezca al hombre; por lo tanto, cuando la escoge de un orden inferior, el orden natural y el civil están en concordancia y todo está bien, pero ocurre lo contrario cuando ella es de una clase superior, pues el hombre se condena a renunciar a sus derechos o a la gratitud, y ser ingrato o despreciado. Entonces la mujer, apropiándose la autoridad, se convierte en tirana de su dueño, y convertido en esclavo, el marido se encuentra reducido a la más ridícula y miserable de las criaturas. Tal son los desventurados válidos que honran y atormentan, haciéndolos sus favoritos, los reyes de Asia, y quienes para acostarse con sus mujeres se meten en la cama por el extremo opuesto. |
Je m’attends que beaucoup de lecteurs, se souvenant que je donne à la femme un talent naturel pour gouverner l’homme, m’accuseront ici de contradiction : ils se tromperont pourtant. Il y a bien de la différence entre s’arroger le droit de commander, et gouverner celui qui commande. L’empire de la femme est un empire de douceur, d’adresse et de complaisance ; ses ordres sont des caresses, ses menaces sont des pleurs. Elle doit régner dans la maison comme un ministre dans l’Etat, en se faisant commander ce qu’elle veut faire. En ce sens il est constant que les meilleurs ménages sont ceux où la femme a le plus d’autorité : mais quand elle méconnaît la voix du chef, qu’elle veut usurper ses droits et commander elle-même, il ne résulte jamais de ce désordre que misère, scandale et déshonneur. | Sin duda, muchos lectores, viendo que doy a la mujer un talento natural para gobernar al hombre, me van a acusar de contradicción, y se engañarán. Hay una gran diferencia entre arrogarse el derecho de mandar a gobernar al que manda. El imperio de la mujer es un imperio de dulzura, de habilidad y condescendencia; sus órdenes son los halagos y sus amenazas los llantos. Debe reinar en casa como un ministro en la nación, procurando que le manden lo que quiere hacer. En este sentido, es constante que los mejores matrimonios son aquellos en los cuales la mujer tiene más autoridad. Pero cuando desconoce la voz de su dueño, cuando quiere usurpar sus derechos y mandar ella, sólo miseria, escándalo e indignidad resultan de este desorden. |
Reste le choix entre ses égales et ses inférieures ; et je crois qu’il y a encore quelque restriction à faire pour ces dernières ; car il est difficile de trouver dans la lie du peuple une épouse capable de faire le bonheur d’un honnête homme : non qu’on soit plus vicieux dans les derniers rangs que dans les premiers, mais parce qu’on y a peu d’idée de ce qui est beau et honnête, et que l’injustice des autres états fait voir à celui-ci la justice dans ses vices mêmes. | El hombre puede elegir entre las iguales y las inferiores a él, y aun debe hacerse una restricción en lo que se refiere a las últimas, pues es muy difícil hallar entre el, bajo pueblo una mujer capaz de hacer feliz a un hombre honrado, y no porque haya más vicios en las clases humildes que en las elevadas, sino porque tiene un precario concepto de lo que es hermoso y decente, y porque la injusticia de los demás estados hace que el suyo tenga como gustos sus mismos vicios. |
Naturellement l’homme ne pense guère. Penser est un art qu’il apprend comme tous les autres, et même plus difficilement. Je ne connais pour les deux sexes que deux classes réellement distinguées : l’une des gens qui pensent, l’autre des gens qui ne pensent point ; et cette différence vient presque uniquement de l’éducation. Un homme de la première de ces deux classes ne doit point s’allier dans l’autre ; car le plus grand charme de la société manque à la sienne lorsque, ayant une femme, il est réduit à penser seul. Les gens qui passent exactement la vie entière à travailler pour vivre n’ont d’autre idée que celle de leur travail ou de leur intérêt, et tout leur esprit semble être au bout de leurs bras. Cette ignorance ne nuit ni à la probité ni aux mœurs ; souvent même elle y sert ; souvent on compose avec ses devoirs à force d’y réfléchir, et l’on finit par mettre un jargon à la place des choses. La conscience est le plus éclairé des philosophes : on n’a pas besoin de savoir les Offices de Cicéron pour être homme de bien ; et la femme du monde la plus honnête sait peut-être le moins ce que c’est qu’honnêteté. Mais il n’en est pas moins vrai qu’un esprit cultivé rend seul le commerce agréable ; et c’est une triste chose pour un père de famille qui se plaît dans sa maison, d’être forcé de s’y renfermer en lui-même, et de ne pouvoir s’y faire entendre à personne. | Naturalmente que el hombre piensa poco. El pensar es un arte que se aprende al igual que los demás, pero con mayor dificultad. Sólo conozco dos clases distintas en ambos sexos- las personas que piensan y las que no piensan; esta diferencia proviene casi de la educación. Un hombre de la primera de estas dos clases no debe casarse con una mujer de la otra, debido a que falta el mayor encanto de la sociedad cuando estando en posesión de una mujer se ve obligado a pensar solo. Las personas que pasan la vida trabajando para vivir, carecen de otra idea que la de su trabajo o su interés, y su espíritu se concentra en sus brazos. Esta ignorancia no causa ningún perjuicio a la probidad ni a las sanas costumbres, e incluso puede contribuir a ellas; muchas veces uno se habitúa a sus obligaciones de tanto pensar en ellas, y termina dejando que la fantasía sustituya a la realidad. El más ilustrado de los filósofos es la conciencia; no necesita saber los Oficios, de Cicerón, para ser un hombre de bien, y tal vez la mujer más honesta del mundo no sabe casi qué es honestidad. No por eso es menos verdad que sólo un entendimiento cultivado hace agradable el trato, y que para un padre de familia es muy triste verse obligado a encerrarse dentro de sí mismo, sin poder ser entendido por nadie de su familia. |
D’ailleurs, comment une femme qui n’a nulle habitude de réfléchir élèvera-t-elle ses enfants ? Comment discernera-t-elle ce qui leur convient ? Comment les disposera-t-elle aux vertus qu’elle ne connaît pas, au mérite dont elle n’a nulle idée ? Elle ne saura que les flatter ou les menacer, les rendre insolents ou craintifs ; elle en fera des singes maniérés ou d’étourdis polissons, jamais de bons esprits ni des enfants aimables. | Por otra parte, ¿:cómo ha de educar a sus hijos una mujer que no tiene la costumbre de reflexionar? ¿:Cómo les ha de hacer comprender lo que les conviene? ¿:Cómo los ha de preparar para las virtudes que no conoce y para el mérito del que no tiene ninguna idea? No sabrá hacer más que halagarlos o amenazarlos, hacer que sean insolentes o timoratos; los hará tontos o pillos, pero nunca espíritus sanos y criaturas amables. |
Il ne convient donc pas à un homme qui a de l’éducation de prendre une femme qui n’en ait point, ni par conséquent dans un rang où l’on ne saurait en avoir. Mais j’aimerais encore cent fois mieux une fille simple et grossièrement élevée, qu’une fille savante et bel esprit, qui viendrait établir dans ma maison un tribunal de littérature dont elle se ferait la présidente. Une femme bel esprit est le fléau de son mari, de ses enfants, de ses amis, de ses valets, de tout le monde. De la sublime élévation de son beau génie, elle dédaigne tous ses devoirs de femme, et commence toujours par se faire homme à la manière de mademoiselle de l’Enclos. Au dehors, elle est toujours ridicule et très justement critiquée, parce qu’on ne peut manquer de l’être aussitôt qu’on sort de son état et qu’on n’est point fait pour celui qu’on veut prendre. Toutes ces femmes à grands talents n’en imposent jamais qu’aux sots. On sait toujours quel est l’artiste ou l’ami qui tient la plume ou le pinceau quand elles travaillent ; on sait quel est le discret homme de lettres qui leur dicte en secret leurs oracles. Toute cette charlatanerie est indigne d’une honnête femme. Quand elle aurait de vrais talents, sa prétention les avilirait. Sa dignité est d’être ignorée ; sa gloire est dans l’estime de son mari : ses plaisirs sont dans le bonheur de sa famille. Lecteurs, je m’en rapporte à vous-mêmes, soyez de bonne foi : lequel vous donne meilleure opinion d’une femme en entrant dans sa chambre, lequel vous la fait aborder avec plus de respect, de la voir occupée des travaux de son sexe, des soins de son ménage, environnée des hardes de ses enfants, ou de la trouver écrivant des vers sur sa toilette, entourée de brochures de toutes les sortes et de petits billets peints de toutes les couleurs ? Toute fille lettrée restera fille toute sa vie, quand il n’y aura que des hommes sensés sur la terre. | No le conviene, pues, al hombre educado casarse con una mujer sin educación, ni que sea de una clase muy distante de la suya. Pero aún preferiría cien veces más a una muchacha sencilla y con una educación tosca que a una sabelotodo que compondría en su hogar un tribunal de literatura, del que ella sería su presidenta. Una mujer de esta especie es el azote de su marido, de sus hijos, de sus amigos, de sus criados y de todo el mundo. Desde la sublime elevación de su genio, mira con desprecio todas las obligaciones de mujer y siempre empieza por hacerse hombre. Fuera de casa es ridícula y criticada con mucha razón, porque tiene que serlo quienquiera que se sale de su estado y no está destinado para el que quiere prohijar. Todas esas mujeres de gran talento sólo engañan a los necios. Se sabe siempre cuál es el artista o el mago que lleva la pluma o el pincel cuando trabajan, y cuál es el discreto letrado que secretamente les dicta sus oráculos. Todo ese charlatanismo es indigno de una mujer honesta, y aun cuando fuese poseedora de un talento verdadero, la envilecería su presunción. Ser ignorada es su dignidad; su gloria se funde en la estimación de su marido, y sus alegrías están en la dicha de la familia. Lector, sed sincero: decidnos qué es la mejor idea de una mujer, si cuando entráis en su gabinete y hace que os acerquéis a ella con más respeto el verla ocupada en las tareas de su sexo, en los cuidados caseros, arreglando la ropa de sus hijos, o cuando la encontráis en su tocador componiendo versos, rodeada de folletos de varias clases y de tarjetas de todos los colores. Cuando no haya en la tierra más que hombres de juicio, ninguna soltera literata hallará marido en toda su vida. |
Quaeris cur nolim te ducere, Galla ? diserta es. | Quaeris cur nolim te ducere, Galla? Diserta es |
Après ces considérations vient celle de la figure ; c’est la première qui frappe et la dernière qu’on doit faire, mais encore ne la faut-il pas compter pour rien. La grande beauté me paraît plutôt à fuir qu’à rechercher dans le mariage. La beauté s’use promptement par la possession ; au bout de six semaines, elle n’est plus rien pour le possesseur, mais ses dangers durent autant qu’elle. À moins qu’une belle femme ne soit un ange, son mari est le plus malheureux des hommes ; et quand elle serait un ange, comment empêchera-t-elle qu’il ne soit sans cesse entouré d’ennemis ? Si l’extrême laideur n’était pas dégoûtante, je la préférerais à l’extrême beauté ; car en peu de temps l’une et l’autre étant nulle pour le mari, la beauté devient un inconvénient et la laideur un avantage. Mais la laideur qui produit le dégoût est le plus grand des malheurs ; ce sentiment, loin de s’effacer, augmente sans cesse et se tourne en haine. C’est un enfer qu’un pareil mariage ; il vaudrait mieux être morts qu’unis ainsi. | Después de estas consideraciones viene la de la figura, que es la primera que se nota, y la última que debe hacerse, pero todavía se debe apreciar en algo. Me parece que la mucha hermosura debe rehuirse antes que desearla en el matrimonio. La belleza, con la posesión, se gasta pronto; al cabo de seis semanas ya no es nada para el poseedor, pero sus peligros duran tanto como ella. A menos que una mujer hermosa sea un ángel, su marido es el más desventurado de los hombres, y aunque ella sea un ángel, ¿:cómo podrá evitar que su marido esté siempre rodeado de adversarios? Si la suma fealdad no fuese repugnante, yo la preferiría a la suma belleza, pues al cabo de poco tiempo son nulas para el marido la una y la otra. La belleza es un inconveniente y la fealdad una ventaja, pero la mayor desdicha es la que produce una beldad que cause repugnancia; lejos de borrarse ese sentimiento, aumenta sin cesar y llega a convertirse en odio. Un matrimonio semejante es un infierno; más valdría morir que vivir así. |
Désirez en tout la médiocrité, sans en excepter la beauté même. Une figure agréable et prévenante, qui n’inspire pas l’amour, mais la bienveillance, est ce qu’on doit préférer ; elle est sans préjudice pour le mari, et l’avantage en tourne au profit commun : les grâces ne s’usent pas comme la beauté ; elles ont de la vie, elles se renouvellent sans cesse, et au bout de trente ans de mariage, une honnête femme avec des grâces plaît à son mari comme le premier jour. | En todo debéis desear la medianía, lo mismo que con la belleza. Es preferible una figura que agrade y conquiste el espíritu e inspire más benevolencia, pues no asusta al marido y sus virtudes redundan en provecho común. Las gracias no se gastan como hace la belleza-, poseen vida, se renuevan continuamente, y al cabo de treinta años de matrimonio, una honesta mujer llena de gracia agrada a su marido lo mismo que el primer día. |
Telles sont les réflexions qui m’ont déterminé dans le choix de Sophie. Elève de la nature ainsi qu’Émile, elle est faite pour lui plus qu’aucune autre ; elle sera la femme de l’homme. Elle est son égale par la naissance et par le mérite, son inférieure par la fortune. Elle n’enchante pas au premier coup d’œil, mais elle plaît chaque jour davantage. Son plus grand charme n’agit que par degrés ; il ne se déploie que dans l’intimité du commerce ; et son mari le sentira plus que personne au monde. Son éducation n’est ni brillante ni négligée ; elle a du goût sans étude, des talents sans art, du jugement sans connaissances. Son esprit ne sait pas, mais il est cultivé pour apprendre ; c’est une terre bien préparée qui n’attend que le grain pour rapporter. Elle n’a jamais lu de livre que Barrême et Télémaque, qui lui tomba par hasard dans les mains ; mais une fille capable de se passionner pour Télémaque a-t-elle un cœur sans sentiment et un esprit sans délicatesse ? O l’aimable ignorance ! Heureux celui qu’on destine à l’instruire ! Elle ne sera point le professeur de son mari, mais son disciple ; loin de vouloir l’assujettir à ses goûts, elle prendra les siens. Elle vaudra mieux pour lui que si elle était savante ; il aura le plaisir de lui tout enseigner. Il est temps enfin qu’ils se voient ; travaillons à les rapprocher. | Estas son las reflexiones que me han determinado para la elección de Sofía. Alumna de la naturaleza, como Emilio, es más a propósito para él que ninguna otra; será la mujer del hombre. Ella le es igual en mérito y en cuna, y sólo en fortuna le es inferior. A primera vista no seduce, pero cada día gusta más. Sus dotes atractivos aumentan gradualmente, sólo se manifiestan en la intimidad del trato, y más que nadie los reconocerá su marido. Su educación no es brillante ni descuidada, tiene un gusto sano sin cultivo, talento sin arte y juicio sin conocimientos. Su entendimiento ignora, pero es apto para aprender; es una tierra bien abonada que sólo espera la semilla para fructificar. No ha leído otros libros que las aventuras de Telémaco, que por azar cayó en sus manos, pero, ¿:tiene el corazón insensible y el alma sin delicadeza una muchacha capaz de apasionarse por Telémaco? ¡Oh, la amable ignorancia! ¡Qué venturoso el que está destinado a instruirla! No será profesora de su marido, sino su discípula, y lejos de quererlo atar a sus gustos, se acostumbrará a los de él. Este la preferirá a que estuviese instruida, porque así tendrá la satisfacción de enseñárselo todo. Ha llegado ya el tiempo de que se vean; intentemos que se acerquen el uno al otro. |
Nous partons de Paris tristes et rêveurs. Ce lieu de babil n’est pas notre centre. Émile tourne un œil de dédain vers cette grande ville, et dit avec dépit : Que de jours perdus en vaines recherches ! Ah ! ce n’est pas là qu’est l’épouse de mon cœur. Mon ami, vous le saviez bien, mais mon temps ne vous coûte guère, et mes maux vous font peu souffrir. Je le regarde fixement, et je lui dis sans m’émouvoir : Émile, croyez-vous ce que vous dites ? À l’instant, il me saute au cou tout confus, et me serre dans ses bras sans répondre. C’est toujours sa réponse quand il a tort. | Salimos de París tristes y pensativos. Este lugar de charlatanes no es nuestro centro. Emilio vuelve una desdeñosa mirada hacia esta populosa villa, y dice con despecho: «¡Cuántos días perdidos en inútiles pesquisas! No, no es aquí donde reside la esposa de mi corazón». «Amigo mío, bien lo sabíais, pero os importa poco mi tiempo y mis males no os duelen.» Le miro fijamente y añado: «Emilio, ¿:creéis lo que decís?» Al momento se cuelga de mi cuello y me estrecha en sus brazos sin responderme. Siempre ha sido esta su respuesta cuando ha obrado mal. |
Nous voici par les champs en vrais chevaliers errants ; non pas comme ceux cherchant les aventures, nous les fuyons au contraire en quittant Paris ; mais imitant assez leur allure errante, inégale, tantôt piquant des deux, et tantôt marchant à petits pas. À force de suivre ma pratique, on en aura pris enfin l’esprit ; et je n’imagine aucun lecteur encore assez prévenu par les usages pour nous supposer tous deux endormis dans une bonne chaise de poste bien fermée, marchant sans rien voir, sans rien observer, rendant nul pour nous l’intervalle du départ à l’arrivée, et, dans la vitesse de notre marche, perdant le temps pour le ménager. | Ya estamos en el campo como verdaderos caballeros andantes, no buscando, como ellos, aventuras, pues huimos de ellas al abandonar la ciudad, pero imitando su andar errante, desigual, andando de prisa y a veces despacio. Constante en seguir mi método, ya se habrá saturado de su espíritu el lector, y espero que no haya ninguno que suponga que vamos en una silla de posta, bien cerrada y abrigada, sin ver ni observar nada, desde nuestra partida al sitio de llegada, y con nuestro rápido andar perdiendo el tiempo creyendo ganarlo. |
Les hommes disent que la vie est courte, et je vois qu’ils s’efforcent de la rendre telle. Ne sachant pas l’employer, ils se plaignent de la rapidité du temps, et je vois qu’il coule trop lentement à leur gré. Toujours pleins de l’objet auquel ils tendent, ils voient à regret l’intervalle qui les en sépare : l’un voudrait être à demain, l’autre au mois prochain, l’autre à dix ans de là ; nul ne veut vivre aujourd’hui ; nul n’est content de l’heure présente, tous la trouvent trop lente à passer. Quand ils se plaignent que le temps coule trop vite, ils mentent ; ils payeraient volontiers le pouvoir de l’accélérer ; ils emploieraient volontiers leur fortune à consumer leur vie entière ; et il n’y en a peut-être pas un qui n’eût réduit ses ans à très peu d’heures s’il eût été le maître d’en ôter au gré de son ennui celles qui lui étaient à charge, et au gré de son impatience celles qui le séparaient du moment désiré. Tel passe la moitié de sa vie à se rendre de Paris à Versailles, de Versailles à Paris, de la ville à la campagne, de la campagne à la ville, et d’un quartier à l’autre, qui serait fort embarrassé de ses heures s’il n’avait le secret de les perdre ainsi, et qui s’éloigne exprès de ses affaires pour s’occuper à les aller chercher : il croit gagner le temps qu’il y met de plus, et dont autrement il ne saurait que faire ; ou bien, au contraire, il court pour courir, et vient en poste sans autre objet que de retourner de même. Mortels, ne cesserez-vous jamais de calomnier la nature ? Pourquoi vous plaindre que la vie est courte puisqu’elle ne l’est pas encore assez à votre gré ? S’il est un seul d’entre vous qui sache mettre assez de tempérance à ses désirs pour ne jamais souhaiter que le temps s’écoule, celui-là ne l’estimera point trop courte ; vivre et jouir seront pour lui la même chose ; et, dût-il mourir jeune, il ne mourra que rassasié de jours. | Dicen los hombres que la vida es corta, y observo que se toman un gran empeño en acortarla. No sabiendo en qué emplear el tiempo, se quejan de su rapidez y yo veo que en lo que lo emplean corre con demasiada lentitud. Absortos siempre por lo que desean alcanzar, ven con pesadumbre el intervalo que los detiene; uno quisiera estar en el día de mañana, otro en el mes próximo, otro diez años más tarde, y ninguno quiere vivir hoy ni está satisfecho con la hora presente, y todos encuentran que el tiempo es demasiado lento. Al quejarse de que el tiempo corre muy rápido, mienten, ya que pagarán la facultad de acelerarle con gusto; gustosamente emplearán su caudal en consumir la vida entera, y tal vez no exista uno que no hubiera limitado sus años a cortísimas horas si a satisfacción de su tedio hubiera podido quitar de ellos las que para él eran penosas, o a gusto de su impaciencia las que le desviaban del ansiado instante. Hay quien pasa la mitad de su vida viajando de la ciudad al campo, del campo a la ciudad, y de un barrio a otro, que no sabría que hacerse con sus horas si de este modo no hubiera encontrado la forma de perderlas, y que se desvía expresamente de sus asuntos para buscar otros, que cree que gana el tiempo que en ellos gasta de más, y que no sabría de ningún otro en qué emplearle, o bien corre por correr, y viene en posta, sin otra finalidad que la de volverse como vino. ¡Mortales! ¿:No dejaréis de calumniar a la naturaleza? ¿:Por qué os quejáis de que es corta la vida si no lo es tanto como deseáis? Si uno de vosotros supiera frenar lo suficiente sus deseos para no anhelar nunca que pasase el tiempo, podéis estar seguros de que ése no la tendría por corta; vivir y gozar serían una misma cosa para él, y, aunque hubiese de morir joven, siempre habría vivido llenando sus días. |
Quand je n’aurais que cet avantage dans ma méthode, par cela seul il la faudrait préférer à toute autre. Je n’ai point élevé mon Émile pour désirer ni pour attendre mais pour jouir ; et quand il porte ses désirs au delà du présent, ce n’est point avec une ardeur assez impétueuse pour être importuné de la lenteur du temps. Il ne jouira pas seulement du plaisir de désirer, mais de celui d’aller à l’objet qu’il désire ; et ses passions sont tellement modérées qu’il est toujours plus où il est qu’où il sera. | Aun cuando mi método no tuviese otra ventaja que ésta, sólo por ella debería ser preferido a cualquier otro. Yo no he educado a mi Emilio para desear ni para sufrir, sino para disfrutar, y cuando extiende sus deseos más allá de lo presente, nunca es con un ardor tan impetuoso que le amargue la lentitud del tiempo. No sólo gozará del placer de desear, sino del de acercarse al objeto deseado, y sus pasiones son moderadas de tal forma que siempre está más donde se encuentra que adonde irá. |
Nous ne voyageons donc point en courriers, mais en voyageurs. Nous ne songeons pas seulement aux deux termes, mais à l’intervalle qui les sépare. Le voyage même est un plaisir pour nous. Nous ne le faisons point tristement assis et comme emprisonnés dans une petite cage bien fermée. Nous ne voyageons point dans la mollesse et dans le repos des femmes. Nous ne nous ôtons ni le grand air, ni la vue des objets qui nous environnent, ni la commodité de les contempler à notre gré quand il nous plaît. Émile n’entra jamais dans une chaise de poste, et ne court guère en poste s’il n’est pressé. Mais de quoi jamais Émile peut-il être pressé ? D’une seule chose, de jouir de la vie. Ajouterai-je et de faire du bien quand il le peut ? Non, car cela même est jouir de la vie. | De esta forma no viajamos como postillones, sino como viajeros; no sólo pensamos en llegar, sino en la distancia que recorremos. El mismo viaje es una diversión para nosotros; no lo hacemos con resignación, y como encerrados en una jaula, ni con la indiferencia y el abandono de las mujeres. No nos privamos del cielo, ni de lo que nos rodea, ni de contemplarlo todo a nuestro antojo. Emilio nunca se metió en un coche ni cogió la posta si no tenía prisa. ¿:Y qué es lo que puede dar prisa a Emilio? Sólo una cosa: gozar de la vida. ¿:Añadiré hacer bien cuando pueda? No, porque eso también es disfrutar de la vida. |
Je ne conçois qu’une manière de voyager plus agréable que d’aller à cheval ; c’est d’aller à pied. On part à son moment, on s’arrête à sa volonté, on fait tant et si peu d’exercice qu’on veut. On observe tout le pays ; on se détourne à droite, à gauche ; on examine tout ce qui nous flatte ; on s’arrête à tous les points de vue. Aperçois-je une rivière, je la côtoie ; un bois touffu, je vais sous son ombre ; une grotte, je la visite ; une carrière, j’examine les minéraux. Partout où je me plais, j’y reste. À l’instant que je m’ennuie, je m’en vais. Je ne dépends ni des chevaux ni du postillon. Je n’ai pas besoin de choisir des chemins tout faits, des routes commodes ; je passe partout où un homme peut passer ; je vois tout ce qu’un homme peut voir ; et, ne dépendant que de moi-même, je jouis de toute la liberté dont un homme peut jouir. Si le mauvais temps m’arrête et que l’ennui me gagne, alors je prends des chevaux. Si je suis las... Mais Émile ne se lasse guère ; il est robuste ; et pourquoi se lasserait-il ? Il n’est point pressé. S’il s’arrête, comment peut-il s’ennuyer ? Il porte partout de quoi s’amuser. Il entre chez un maître, il travaille ; il exerce ses bras pour reposer ses pieds. | Un solo modo concibo de viajar más agradablemente que a caballo, y es ir a pie. Uno sale cuando quiere, se para cuando se le antoja, anda mientras le apetece. Observa el país, ahora a la izquierda y luego a la derecha, mira lo que le interesa, se detiene donde el paisaje le gusta. Si veo un río, sigo su corriente; si un espeso bosque, disfruto de su sombra; si una gruta, la visito; si una cantera, observo los minerales. Donde me divierto me paro, y en cuanto me aburro, me voy. No dependo ni de caballos ni de postillón; no necesito atajos ni caminos fáciles; por donde puede pasar un hombre, paso yo; todo lo que puede ver un hombre, lo veo yo, y dependiendo sólo de mí mismo, disfruto de la mayor libertad. Si me detiene el mal tiempo y me canso de esperar, pido caballos. Si estoy cansado... Pero Emilio se cansa poco, pues es fuerte; ¿:y por qué se ha de cansar? Nadie le da prisa. Si se detiene, ¿:cómo se ha de aburrir? Adonde vaya lleva lo necesario para divertirse. Entra en casa de un maestro, trabaja, ejercita los brazos y le descansan los pies. |
Voyager à pied, c’est voyager comme Thalès, Platon et Pythagore. J’ai peine à comprendre comment un philosophe peut se résoudre à voyager autrement, et s’arracher à l’examen des richesses qu’il foule aux pieds et que la terre prodigue à sa vue. Qui est-ce qui, aimant un peu l’agriculture ; ne veut pas connaître les productions particulières au climat des lieux qu’il traverse, et la manière de les cultiver ? Qui est-ce qui, ayant un peu de goût pour l’histoire naturelle, peut se résoudre à passer un terrain sans l’examiner, un rocher sans l’écorner, des montagnes sans herboriser, des cailloux sans chercher des fossiles ? Vos philosophes de ruelles étudient l’histoire naturelle dans des cabinets ; ils ont des colifichets ; ils savent des noms, et n’ont aucune idée de la nature. Mais le cabinet d’Émile est plus riche que ceux des rois ; ce cabinet est la terre entière. Chaque chose y est à sa place : le naturaliste qui en prend soin a rangé le tout dans un fort bel ordre : Daubenton ne ferait pas mieux. | Viajar a pie es viajar como Tales, Platón y Pitágoras. Apenas puedo comprender cómo un filósofo viaja de otro modo, y sin ver las riquezas que tiene a sus plantas y que la prodiga la naturaleza. ¿:Quién, quien sea, algo aficionado a la agricultura, no desea conocer las producciones propias de la comarca que atraviesa y el modo de cultivarlas? ¿:Quién que tenga inclinación por la historia natural puede pasar por un terreno sin examinarlo, ver una roca sin descantillarla, montes sin herborizar, pedregales sin buscar fósiles? Vuestros filósofos de estrado estudian la historia natural en gabinetes; entienden de esto y de lo otro y no tienen la menor idea de la naturaleza. Pero el gabinete de Emilio es más rico que el de los reyes, porque es el mundo entero. Cada cosa está en su lugar; el naturalista que cuida de él lo tiene todo colocado en perfecto orden. |
Combien de plaisirs différents on rassemble par cette agréable manière de voyager ! sans compter la santé qui s’affermit, l’humeur qui s’égaye. J’ai toujours vu ceux qui voyageaient dans de bonnes voitures bien douces, rêveurs, tristes, grondants ou souffrants ; et les piétons toujours gais, légers et contents de tout. Combien le cœur rit quand on approche du gîte ! Combien un repas grossier paraît savoureux ! Avec quel plaisir on se repose à table ! Quel bon sommeil on fait dans un mauvais lit ! Quand on ne veut qu’arriver, on peut courir en chaise de poste ; mais quand on veut voyager, il faut aller à pied. | ¡Cuántos placeres diferentes se reúnen con ese agradable modo de viajar! Sin contar que se fortalece la salud y el buen humor es mejor cada vez. Siempre he visto que los que viajaban en buenos y cómodos coches iban pensativos, tristes, regañones y nerviosos, y los que van a pie siempre alegres, ágiles y satisfechos... ¡Cómo se ensancha el corazón cuando se llega a la posada! ¡Qué sabrosa es la vulgar comida! ¡Con qué satisfacción se sienta uno a la mesa! ¡Qué bien se duerme en un duro lecho! El que sólo quiere llegar, puede correr a la posta, pero el que quiere viajar, debe ir a pie. |
Si, avant que nous ayons fait cinquante lieues de la manière que j’imagine, Sophie n’est pas oubliée, il faut que je ne sois guère adroit, ou qu’Émile soit bien peu curieux ; car, avec tant de connaissances élémentaires, il est difficile qu’il ne soit pas tenté d’en acquérir davantage. On n’est curieux qu’à proportion qu’on est instruit ; il sait précisément assez pour vouloir apprendre. | Si antes de andar cincuenta leguas de la forma que me imagino, no está olvidada Sofía, es que tengo muy poca habilidad o Emilio carece de curiosidad, pues con tantos conocimientos elementales es difícil que desee adquirir otros. A medida que se van haciendo progresos en la instrucción, la curiosidad va creciendo, y él sabe lo suficiente para sentir deseos de aprender. |
Cependant, un objet en attire un autre, et nous avançons toujours. J’ai mis à notre première course un terme éloigné : le prétexte en est facile ; en sortant de Paris, il faut aller chercher une femme au loin. | No obstante, un objeto es atraído por el otro, y siempre vamos adelante. He señalado un término distante en nuestro primer viaje, y el pretexto es irreprochable, pues quien sale a buscar mujer, tiene que hacer mucho camino. |
Quelque jour, après nous être égarés plus qu’à l’ordinaire dans des vallons, dans des montagnes où l’on n’aperçoit aucun chemin, nous ne savons plus retrouver le nôtre. Peu nous importe, tous chemins sont bons, pourvu qu’on arrive : mais encore faut-il arriver quelque part quand on a faim. Heureusement nous trouvons un paysan qui nous mène dans sa chaumière ; nous mangeons de grand appétit son maigre dîner. En nous voyant si fatigués, si affamés, il nous dit : Si le bon Dieu vous eût conduits de l’autre côté de la colline, vous eussiez été mieux reçus... vous auriez trouvé une maison de paix... des gens si charitables... de si bonnes gens !... Ils n’ont pas meilleur cœur que moi, mais ils sont plus riches, quoiqu’on dise qu’ils l’étaient bien plus autrefois... Ils ne pâtissent pas, Dieu merci ; et tout le pays se sent de ce qui leur reste. | Un día, después de habernos internado en una comarca montuosa, donde no se distinguía ningún camino, no supimos hallar el nuestro. Pero eso poco importa, pues con que se llegue, todos los caminos son buenos, pero hay que llegar a algún sitio cuando el hambre aprieta. Afortunadamente, encontramos a un campesino que nos llevó a su choza y comimos con el mejor apetito su frugal menestra. Viéndonos tan fatigados y tan hambrientos, nos dijo: =Si Dios les hubiera guiado al otro lado de la colina, habrían sido mejor recibidos, habrían encontrado una casa acomodada... con personas caritativas..., con muy buena gente... No tienen un corazón mejor que el mío, pero son más ricos, aunque dicen que en otro tiempo lo habían sido más. No les falta nada, gracias a Dios, y todo el país se beneficia de lo que les queda». |
À ce mot de bonnes gens, le cœur du bon Émile s’épanouit. Mon ami, dit-il en me regardant, allons à cette maison dont les maîtres sont bénis dans le voisinage : je serais bien aise de les voir ; peut-être seront-ils bien aises de nous voir aussi. Je suis sûr qu’ils nous recevront bien : s’ils sont des nôtres, nous serons des leurs. | Al oír las palabras buena gente», el corazón de Emilio se alboroza. Amigo mío -dice, mirándome-, vamos a esa casa a cuyos amos bendice la vecindad; me gustaría verlos, y tal vez a ellos también les agrade vernos. Estoy seguro de que seremos bien recibidos; si son de los nuestros, seremos de los suyos.» |
La maison bien indiquée, on part, on erre dans les bois, une grande pluie nous surprend en chemin ; elle nous retarde sans nous arrêter. Enfin l’on se retrouve, et le soir nous arrivons à la maison désignée. Dans le hameau qui l’entoure, cette seule maison, quoique simple, a quelque apparence. Nous nous présentons, nous demandons l’hospitalité. L’on nous fait parler au maître ; il nous questionne, mais poliment : sans dire le sujet de notre voyage, nous disons celui de notre détour. Il a gardé de son ancienne opulence la facilité de connaître l’état des gens dans leurs manières ; quiconque a vécu dans le grand monde se trompe rarement là-dessus : sur ce passeport nous sommes admis. | Sabido el camino de la casa, seguimos vagando por los bosques, y poco después nos detuvo la lluvia. que arreciaba y no podíamos seguir adelante, pero al fin salimos del apuro y al anochecer llegamos a la casa indicada. Solitaria, cerca de una aldea, aunque sencilla, tiene cierta apariencia. Llamamos y pedimos hospitalidad; nos llevan a hablar con el dueño, quien nos hace preguntas corteses, y sin decirle el motivo de nuestro viaje, le explicamos el rodeo que dimos. De su pasada opulencia le queda la facilidad de conocer las personas por sus modales, y cualquiera que haya vivido mucho pocas veces se engaña en ese aspecto. El resultado es que nos admiten. |
On nous montre un appartement fort petit, mais propre et commode ; on y fait du feu, nous y trouvons du linge, des nippes, tout ce qu’il nous faut. Quoi ! dit Émile tout surpris, on dirait que nous étions attendus ! O que le paysan avait bien raison ! quelle attention ! quelle bonté ! quelle prévoyance ! et pour des inconnus ! Je crois être au temps d’Homère. Soyez sensible à tout cela, lui dis-je, mais ne vous en étonnez pas ; partout où les étrangers sont rares, ils sont bien venus : rien ne rend plus hospitalier que de n’avoir pas souvent besoin de l’être : c’est l’affluence des hôtes qui détruit l’hospitalité. Du temps d’Homère on ne voyageait guère, et les voyageurs étaient bien reçus partout Nous sommes peut-être les seuls passagers qu’on ait vus ici de toute l’année. N’importe, reprend-il, cela même est un éloge de savoir se passer d’hôtes, et de les recevoir toujours bien. | Nos enseñan una habitación muy pequeña, pero limpia y cómoda; encienden unos leños en el hogar, nos ponen sábanas limpias y todo lo que necesitamos. «Parece que nos estaban esperando -dice Emilio, asombrado-. Tenía razón el campesino. ¡Qué bondad y cuánta previsión! Y con gente desconocida. Me parece que estoy en los tiempos de Homero.» «Agradeced todo eso -le dije-, pero no pongáis una confianza excesiva; en todas partes donde no son frecuentes los forasteros, les atienden; no hay nada que más invite a la hospitalidad que el verse pocas veces en la necesidad de ofrecerla; la afluencia de huéspedes acaba con ella. En los tiempos de Homero se viajaba poco, y los caminantes eran bien recibidos en todas partes. Quizá somos los únicos forasteros que han visto aquí en todo el año.» «No importa, pues eso mismo ya es su elogio: saber vivir sin huéspedes y recibirlos bien.» |
Séchés et rajustés, nous allons rejoindre le maître de la maison ; il nous présente à sa femme ; elle nous reçoit, non pas seulement avec politesse, mais avec bonté. L’honneur de ses coups d’œil est pour Émile. Une mère, dans le cas où elle est, voit rarement sans inquiétude, ou du moins sans curiosité, entrer chez elle un homme de cet âge. | Secados y cambiados de ropa, volvemos a ver al dueño de la casa, quien nos presenta a su mujer, la cual nos acoge no sólo con respeto, sino con bondad. Mira con preferencia a Emilio. En la situación en que ella se encuentra, una madre rara vez mira sin inquietud al joven que entra en su casa. |
On fait hâter le souper pour l’amour de nous. En entrant dans la salle à manger, nous voyons cinq couverts : nous nous plaçons, il en reste un vide. Une jeune personne entre, fait une grande révérence, et s’assied modestement sans parler. Émile, occupé de sa faim ou de ses réponses, la salue, parle, et mange. Le principal objet de son voyage est aussi loin de sa pensée qu’il se croit lui-même encore loin du terme. L’entretien roule sur l’égarement des voyageurs. Monsieur, lui dit le maître de la maison, vous me paraissez un jeune homme aimable et sage ; et cela me fait songer que vous êtes arrivés ici, votre gouverneur et vous, las et mouillés, comme Télémaque et Mentor dans l’île de Calypso. Il est vrai, répond Émile, que nous trouvons ici l’hospitalité de Calypso. Son Mentor ajoute : Et les charmes d’Eucharis. Mais Émile connaît l’Odyssée et n’a point lu Télémaque ; il ne sait ce que c’est qu’Eucharis. Pour la jeune personne, je la vois rougir jusqu’aux yeux, les baisser sur son assiette, et n’oser souffler. La mère, qui remarque son embarras, fait signe au père, et celui-ci change de conversation. En parlant de sa solitude, il s’engage insensiblement dans le récit des événements qui l’y ont confiné ; les malheurs de sa vie, la constance de son épouse, les consolations qu’ils ont trouvées dans leur union, la vie douce et paisible qu’ils mènent dans leur retraite, et toujours sans dire un mot de la jeune personne ; tout cela forme un récit agréable et touchant qu’on ne peut entendre sans intérêt. Émile, ému, attendri, cesse de manger pour écouter. Enfin, à l’endroit où le plus honnête des hommes s’étend avec plus de plaisir sur l’attachement de la plus digne des femmes, le jeune voyageur, hors de lui, serre une main du mari, qu’il a saisie, et de l’autre prend aussi la main de la femme, sur laquelle il se penche avec transport en l’arrosant de pleurs. La naïve vivacité du jeune homme touche tout le monde ; mais la fille, plus sensible que personne à cette marque de son bon cœur, croit voir Télémaque affecté des malheurs de Philoctète. Elle porte à la dérobée les yeux sur lui pour mieux examiner sa figure ; elle n’y trouve rien qui démente la comparaison. Son air aisé a de la liberté sans arrogance ; ses manières sont vives sans étourderie ; sa sensibilité rend son regard plus doux, sa physionomie plus touchante : la jeune personne le voyant pleurer est près de mêler ses larmes aux siennes. Dans un si beau prétexte, une honte secrète la retient : elle se reproche déjà les pleurs prêts à s’échapper de ses yeux, comme s’il était mal d’en verser pour sa famille. | En atención a nosotros, adelantan la cena. En el comedor hay cinco cubiertos; nos sentamos y vemos que queda uno de vacío. Entra una joven, saluda con una reverencia y se sienta sin decir nada. Emilio corresponde a su saludo, pero sigue comiendo con fruición; el principal motivo de su viaje lo tiene tan olvidado que cree aún está muy lejos el final. Se habla de nuestro extravío. «Caballero -le dice el dueño de la casa-, usted me parece un joven amable y sensato, y esto me hace pensar que usted y su ayo han llegado aquí como Telémaco y Mentor a la isla de Calipso.» «Es verdad -responde Emilio- que encontramos aquí la hospitalidad de Calipso.» «Y las gracias de Eucaris», añado yo; pero Emilio conoce la Odisea y no ha leído a Telémaco, ni sabe lo que es Eucaris. Veo que la joven se sonroja, que mira su plato y que ni se atreve a respirar. La madre, que se ha dado cuenta de su confusión, hace una seña al padre, y entonces él cambia la conversación. Hablando de su soledad, cuenta los motivos que se han sucedido para elegirla, la vida serena y tranquila que pasan en este retiro después de las desventuras de su vida, la constancia de su esposa y los consuelos que en su unión han encontrado, pero sin decir una palabra respecto a su hija. Es un tierno y emotivo relato que no se puede escuchar sin que despierte interés. Emilio, conmovido e intrigado, deja de comer para poner mayor atención en lo que se dice. Por último, en el pasaje en que el más honrado de los hombres se explaya hablando del cariño de la más digna de las mujeres, el caminante joven, fuera de sí, estrecha una mano del marido, que tiene cogida, y con la otra la de la mujer, sobre la cual se inclina, llenándola de lágrimas. La cándida demostración del joven encanta a todos, pero la doncella, más enternecida que nadie ante su buen corazón, cree ver a Telémaco compadecido de las desdichas de Filoctetes. Le mira de soslayo para ver su figura, y no encuentra nada que desmienta la comparación. En su aspecto no hay arrogancia y sus modales no son extremados; su sensibilidad hace más suave su mirada y más tierna su expresión, y la doncella, al verle llorar, fundiría sus lágrimas con las de él. Con tan hermoso pretexto, la retiene una secreta vergüenza; ya no se acusa del llanto que iba a brotar de sus ojos, como si verterlo por su familia fuese reprensible. |
La mère, qui dès le commencement du souper n’a cessé de veiller sur elle, voit sa contrainte, et l’en délivre en l’envoyant faire une commission. Une minute après, la jeune fille rentre, mais si mal remise, que son désordre est visible à tous les yeux. La mère lui dit avec douceur : Sophie, remettez-vous ; ne cesserez-vous point de pleurer les malheurs de vos parents. Vous qui les en consolez, n’y soyez pas plus sensible qu’eux-mêmes. | La madre, que desde el principio de la cena no ha dejado de observarla, se da cuenta de que está violenta, para que se reponga la envía con un recado a otra agitación. Vuelve a entrar al cabo de un rato, pero tan desasosegada aún, que su agitación es visible a los ojos de todos. Su madre le dice con dulzura: «Sofía, serénate; nunca dejarás de llorar las desdichas de tus padres? Tú, que eres su consuelo, no las sientas más que ellos». |
À ce nom de Sophie, vous eussiez vu tressaillir Émile. Frappé d’un nom si cher, il se réveille en sursaut, et jette un regard avide sur celle qui l’ose porter. Sophie, ô Sophie ! est-ce vous que mon cœur cherche ? est-ce vous que mon cœur aime ? Il l’observe, il la contemple avec une sorte de crainte et de défiance. Il ne voit pas exactement la figure qu’il s’était peinte ; il ne sait si celle qu’il voit vaut mieux ou moins. Il étudie chaque trait, il épie chaque mouvement, chaque geste ; il trouve à tout mille interprétations confuses ; il donnerait la moitié de sa vie pour qu’elle voulût dire un seul mot. Il me regarde, inquiet et troublé ; ses yeux me font à la fois cent questions, cent reproches. Il semble me dire à chaque regard : Guidez-moi tandis qu’il est temps ; si mon cœur se livre et se trompe, je n’en reviendrai de mes jours. | Al oír el nombre de Sofía, Emilio se estremeció. Con la impresión que le ha producido tan amado nombre, se agita y clava una ansiosa mirada en ella. ¡Sofía, Sofía!... Sois vos la que busca mi corazón, la que yo amo... La observa, la contempla con una mezcla de temor y recelo. No ve exactamente la figura que él había supuesto, ni sabe si la que está mirando vale más o menos. Estudia cada facción, observa cada movimiento y cada ademán; para todo halla mil confusas interpretaciones y daría la mitad de su vida para que ella dijese algo. Me mira inquieto y turbado, sus ojos me hacen cien preguntas y cien reproches. Parece que cada mirada me diga: «Guiadme, que aún es tiempo: si se entrega mi corazón y se engaña, no me recobraré en mi vida». |
Émile est l’homme du monde qui sait le moins se déguiser. Comment se déguiserait-il dans le plus grand trouble de sa vie, entre quatre spectateurs qui l’examinent, et dont le plus distrait en apparence est en effet le plus attentif ? Son désordre n’échappe point aux yeux pénétrants de Sophie ; les siens l’instruisent de reste qu’elle en est l’objet : elle voit que cette inquiétude n’est pas de l’amour encore ; mais qu’importe ? il s’occupe d’elle, et cela suffit : elle sera bien malheureuse s’il s’en occupe impunément. | Emilio es el hombre que menos sabe disimular. ¿:Como puede disimular la mayor turbación de su vida, entre cuatro espectadores que le observan y que el que parece más distraído es el más atento? Su desasosiego no se oculta a los sagaces ojos de Sofía; sabe que ella es la causa, y yo sé que esa inquietud todavía no es amor, pero, ¿:qué importa? Se ocupa de ella, y esto basta; será mucha su desgracia si se ha ocupado inútilmente. |
Les mères ont des yeux comme leurs filles, et l’expérience de plus. La mère de Sophie sourit du succès de nos projets. Elle lit dans les cœurs des deux jeunes gens ; elle voit qu’il est temps de fixer celui du nouveau Télémaque ; elle fait parler sa fille. Sa fille, avec sa douceur naturelle, répond d’un ton timide qui ne fait que mieux son effet. Au premier son de cette voix, Émile est rendu ; c’est Sophie, il n’en doute plus. Ce ne la serait pas, qu’il serait trop tard pour s’en dédire. | Las madres tienen ojos como sus hijas, y, además, experiencia. La de Sofía se sonríe al deducir nuestros proyectos. Lee en el corazón de los dos jóvenes, ve que es el momento de fijar el del nuevo Telémaco, y hace que hable su hija, la cual, con su natural dulzura, responde en un tono tímido que produce más efecto. Al primer sonido de esa voz, Emilio se rinde; es Sofía, ya no lo duda, y aunque no lo fuese, es ya muy tarde para retroceder. |
C’est alors que les charmes de cette fille enchanteresse vont par torrents à son cœur, et qu’il commence d’avaler à long traits le poison dont elle l’enivre. Il ne parle plus, il ne répond plus ; il ne voit que Sophie ; il n’entend que Sophie : si elle dit un mot, il ouvre la bouche ; si elle baisse les yeux, il les baisse ; s’il la voit soupirer, il soupire : c’est l’âme de Sophie qui paraît l’animer. Que la sienne a changé dans peu d’instants ! Ce n’est plus le tour de Sophie de trembler, c’est celui d’Émile. Adieu la liberté, la naïveté, la franchise. Confus, embarrassé, craintif, il n’ose plus regarder autour de lui, de peur de voir qu’on le regarde. Honteux de se laisser pénétrer, il voudrait se rendre invisible à tout le monde pour se rassasier de la contempler sans être observé. Sophie, au contraire, se rassure de la crainte d’Émile ; elle voit son triomphe, elle en jouit. | Es entonces cuando los embelesos de esta encantadora joven inundan su corazón, y bebe con ansia el tósigo con que ella le embriaga. Ya no habla, ya no responde; sólo ve a Sofía, sólo oye a Sofía; si ella dice una palabra, él mueve los labios; si ella baja los ojos, él los baja; si la ve respirar, parece como si el alma de Sofía le animara. ¡Cómo ha cambiado la de él en pocos instantes! Ya no debe temblar Sofía, y ahora le toca a Emilio. Adiós libertad, candor, franqueza. Confuso, embargado y medroso, no se atreve a mirar en torno suyo temiendo que le miran. Avergonzado de que lo adivinen, quisiera ser invisible. Sofía, por el contrario, se ha serenado ante el temor de Emilio; segura de su victoria, goza con ella. |
No’l mostra già, ben che in suo cor ne rida. | No′l mostra già ben ché in suo cor ne rida. |
Elle n’a pas changé de contenance ; mais, malgré cet air modeste et ces yeux baissés, son tendre cœur palpite de joie, et lui dit que Télémaque est trouvé. | No ha cambiado de expresión, pero a pesar de su modesta actitud y sus ojos bajos, palpita de júbilo su tierno corazón y le dice que ha encontrado a Telémaco. |
Si j’entre ici dans l’histoire trop naïve et trop simple peut-être de leurs innocentes amours, on regardera ces détails comme un jeu frivole, et l’on aura tort. On ne considère pas assez l’influence que doit avoir la première liaison d’un homme avec une femme dans le cours de la vie de l’un et de l’autre. On ne voit pas qu’une première impression, aussi vive que celle de l’amour ou du penchant qui tient sa place, a de longs effets dont on n’aperçoit point la chaîne dans le progrès des ans, mais qui ne cessent d’agir jusqu’à la mort. On nous donne, dans les traités d’éducation, de grands verbiages inutiles et pédantesques sur les chimériques devoirs des enfants ; et l’on ne nous dit pas un mot de la partie la plus importante et la plus difficile de toute l’éducation, savoir, la crise qui sert de passage de l’enfance à l’état d’homme. Si j’ai pu rendre ces essais utiles par quelque endroit, ce sera surtout pour m’y être étendu fort au long sur cette partie essentielle, omise par tous les autres, et pour ne m’être point laissé rebuter dans cette entreprise par de fausses délicatesses, ni effrayer par des difficultés de langue. Si j’ai dit ce qu’il faut faire, j’ai dit ce que j’ai dû dire : il m’importe fort peu d’avoir écrit un roman. C’est un assez beau roman que celui de la nature humaine. S’il ne se trouve que dans cet écrit, est-ce ma faute ? Ce devrait être l’histoire de mon espèce ? Vous qui la dépravez, c’est vous qui faites un roman de mon livre. | Si entro aquí en la historia tal vez demasiado inocente y sencillísima de sus amores, acaso algunos creerán una frivolidad estas menudas circunstancias, y no tendrán razón. No se considera como se debe lo que influye el primer acercamiento de un hombre y una mujer y lo que significará en la vida de ambos, ni se advierte que la impresión primera, cuando es tan viva como la del amor, produce dilatados efectos, cuyo encadenamiento en el transcurso de los años no se percibe, pero que es activo hasta la muerte. En los tratados de educación nos ponen un montón de variedades acerca de las fantásticas obligaciones de los niños, y no nos dicen nada de la parte más importante y delicada de la educación, o sea, de la crisis que media el pasar de la niñez a la mocedad. Si he logrado que estos ensayos sean provechosos bajo algún aspecto, será por haberme extendido mucho en esta parte tan esencial, omitida por los demás, y por no haberme retraído de la empresa por falsas delicadezas ni asustado con las dificultades del lenguaje. Si he expuesto lo que es conveniente que se haga, he dicho lo que es una obligación; me importa muy poco haber escrito una novela. Es muy bella la novela de la naturaleza humana. Si no la encuentran en estas páginas, ¿:es mía la culpa? ¿:Debía ser la historia de mi especie? Vosotros la depraváis, sí, hacéis de mi libro una novela. |
Une autre considération qui renforce la première, est qu’il ne s’agit pas ici d’un jeune homme livré dès l’enfance à la crainte, à la convoitise, à l’envie, à l’orgueil, et à toutes les passions qui servent d’instruments aux éducations communes ; qu’il s’agit d’un jeune homme dont c’est ici, non seulement le premier amour, mais la première passion de toute espèce ; que de cette passion, l’unique peut-être qu’il sentira vivement dans toute sa vie, dépend la dernière forme que doit prendre son caractère. Ses manières de penser, ses sentiments, ses goûts, fixés par une passion durable, vont acquérir une consistance qui ne leur permettra plus de s’altérer. | Otra consideración que confirma la primera es que aquí no se trata de un joven entregado desde su infancia a la credulidad, a la codicia, a la envidia, a la soberbia y a todas las pasiones que sirven de instrumento a las educaciones comunes, sino de un joven cuyo primer amor no es ése, sino también su primera pasión de toda especie, y de esta pasión, tal vez la única que con tanto ímpetu puede sentir en toda su vida, depende su definitivo carácter. Fijado su modo de pensar, sus sentimientos, y sus gustos por una duradera pasión, adquirirán tal consistencia, que ya nunca se alterarán. |
On conçoit qu’entre Émile et moi la nuit qui suit une pareille soirée ne se passe pas toute à dormir. Quoi donc ! la seule conformité d’un nom doit-elle avoir tant de pouvoir sur un homme sage ? N’y a-t-il qu’une Sophie au monde ? Se ressemblent-elles toutes d’âmes comme de nom ? Toutes celles qu’il verra sont-elles la sienne ? Est-il fou de se passionner ainsi pour une inconnue à laquelle il n’a jamais parlé ? Attendez, jeune homme, examinez, observez. Vous ne savez pas même encore chez qui vous êtes ; et, à vous entendre, on vous croirait déjà dans votre maison. | Ya se comprenderá que la noche de esa cena, Emilio yo dormimos poco. Pues, ¿:qué? La coincidencia de os nombres, ¿:tanto ha de turbar a un hombre sensato? ¿:No hay más que una Sofía en el mundo? ¿:Se parecen las almas como los nombres? ¿:Todas las que vea han de ser la suya? ¿:Está loco el apasionarse por una desconocida con la que nunca habló? Esperad, joven, y observad, examinad. Ni siquiera sabéis en que casa estáis, y el que os oiga creerá que estáis en la vuestra. |
Ce n’est pas le temps des leçons, et celles-ci ne sont pas faites pour être écoutées. Elles ne font que donner au jeune homme un nouvel intérêt pour Sophie par le désir de justifier son penchant. Ce rapport des noms, cette rencontre qu’il croit fortuite, ma réserve même, ne font qu’irriter sa vivacité : déjà Sophie lui paraît trop estimable pour qu’il ne soit pas sûr de me la faire aimer. | No estamos en tiempos de lecciones, ni éstas están destinadas a que las escuchen-, no hacen más que inspirar al joven un nuevo interés por Sofía. con el deseo de justificar su inclinación. Esta identidad de nombre, este encuentro que él cree casual. mi misma reserva. tienden a agitar su vivacidad. Sofía le parece tan estimable que está seguro de hacérmela querer. |
Le matin, je me doute bien que, dans son mauvais habit de voyage, Émile tâchera de se mettre avec plus de soin. Il n’y manque pas ; mais je ris de son empressement à s’accommoder du linge de la maison. Je pénètre sa pensée ; je lis avec plaisir qu’il cherche, en se préparant des restitutions, des échanges, à s’établir une espèce de correspondance qui le mette en droit d’y renvoyer et d’y revenir. | Supongo que mañana Emilio procurará vestirse mejor. Seguro que lo hará. Y me río de la prisa que tiene en seguir la línea de los dueños. Profundizo en su idea y veo con placer que procura establecer una especie de correspondencia que le permita ir y volver, entrar y salir. |
Je m’étais attendu de trouver Sophie un peu plus ajustée aussi de son côté : je me suis trompé. Cette vulgaire coquetterie est bonne pour ceux à qui l’on ne veut que plaire. Celle du véritable amour est plus raffinée ; elle a bien d’autres prétentions. Sophie est mise encore plus simplement que la veille, et même plus négligemment, quoique avec une propreté toujours scrupuleuse. Je ne vois de la coquetterie dans cette négligence que parce que j’y vois de l’affectation. Sophie sait bien qu’une parure plus recherchée est une déclaration ; mais elle ne sait pas qu’une parure plus négligée en est une autre ; elle montre qu’on ne se contente pas de plaire par l’ajustement, qu’on veut plaire aussi par la personne. Eh ! qu’importe à l’amant comment on soit mise, pourvu qu’il voie qu’on s’occupe de lui ? Déjà sûre de son empire, Sophie ne se borne pas à frapper par ses charmes les yeux d’Émile, si son cœur ne va les chercher ; il ne lui suffit plus qu’il les voie, elle veut qu’il les suppose. N’en a-t-il pas assez vu pour être obligé de deviner le reste ? | Había esperado encontrar a Sofía algo más ataviada, y me equivoqué. Esa vulgar coquetería es buena para aquellos a quienes una mujer sólo quiere agradar. La del verdadero amor es más acentuada y tiene otras pretensiones. Sofía va vestida con más sencillez que la víspera, y con más negligencia, pero con escrupulosa seriedad. Yo no veo negligencia en esa coquetería, ni veo afectación. Sofía sabe que un adorno más estudiado es lo mismo, pues una mujer no se contenta con agra- dar por su adorno, sino también por ella misma. ¿:Qué le importa al amante cómo se haya vestido su amada si ve que se ocupa de él? Sofía, segura ya de su poder, no se limita a cautivar con sus encantos a Emilio; también desea que su corazón los prefiera; y no le basta con que los vea, quiere que los suponga. ¿:No ha visto ya bastante para obligarle a que adivine lo que no se ve? |
Il est à croire que, durant nos entretiens de cette nuit, Sophie et sa mère n’ont pas non plus resté muettes ; il y a eu des aveux arrachés, des instructions données. Le lendemain on se rassemble bien préparés. Il n’y a pas douze heures que nos jeunes gens se sont vus ; ils ne se sont pas dit encore un seul mot, et déjà l’on voit qu’ils s’entendent. Leur abord n’est pas familier ; il est embarrassé, timide ; ils ne se parlent point ; leurs yeux baissés semblent s’éviter, et cela même est un signe d’intelligence ; ils s’évitent, mais de concert ; ils sentent déjà le besoin du mystère avant de s’être rien dit. En partant nous demandons la permission de venir nous-mêmes rapporter ce que nous emportons. La bouche d’Émile demande cette permission au père, à la mère, tandis que ses yeux inquiets, tournés sur la fille, la lui demandent beaucoup plus instamment. Sophie ne dit rien, ne fait aucun signe, ne paraît rien voir, rien entendre ; mais elle rougit ; et cette rougeur est une réponse encore plus claire que celle de ses parents. | Hay que creer que durante nuestra conversación no hayan hablado Sofía y su madre; habrá habido confesiones e instrucciones. Se las vio preparadas al día siguiente. Nuestros jóvenes no hace doce horas que se han visto, no se han dicho una palabra y se ve que se entienden. No se acercan el uno a otro con familiaridad; se les ve tímidos y confusos, no se hablan y sus ojos parece que se evitan, y esto mismo es la señal de una mutua inteligencia; se huyen, pero como si fuese de acuerdo, y sienten ya la necesidad del misterio sin haberse dicho nada. Al irnos, pedimos permiso para traer nosotros mismos lo que nos llevamos. Emilio pide permiso al padre y a la madre mientras sus inquietos ojos, clavados en la hija, se lo piden con más ardor. Sofía no dice nada, ni hace ningún gesto y parece que no ve ni oye, pero se sonroja, y este rubor es una respuesta más clara todavía que la de sus padres. |
On nous permet de revenir sans nous inviter à rester. Cette conduite est convenable ; on donne le couvert à des passants embarrassés de leur gîte, mais il n’est pas décent qu’un amant couche dans la maison de sa maîtresse. | Nos permiten volver sin invitarnos a que nos quedemos. Esta conducta es prudente; se alberga a caminantes que no hallan posada, pero no es decoroso que un enamorado duerma en casa de su amada. |
À peine sommes-nous hors de cette maison chérie, qu’Émile songe à nous établir aux environs : la chaumière la plus voisine lui semble déjà trop éloignée ; il voudrait coucher dans les fossés du château. Jeune étourdi ! lui dis-je d’un ton de pitié, quoi ! déjà la passion vous aveugle ! Vous ne voyez déjà plus ni les bienséances ni la raison ! Malheureux ! vous croyez aimer, et vous voulez déshonorer votre maîtresse ! Que dira-t-on d’elle quand on saura qu’une jeune homme qui sort de sa maison couche aux environs ? Vous l’aimez, dites-vous ! Est-ce donc à vous de la perdre de réputation ? Est-ce là le prix de l’hospitalité que ses parents vous ont accordée ! Ferez-vous l’opprobre de celle dont vous attendez votre bonheur ? Eh ! qu’importent, répond-il avec vivacité, les vains discours des hommes et leurs injustes soupçons ? Ne m’avez-vous pas appris vous-même à n’en faire aucun cas ? Qui sait mieux que moi combien j’honore Sophie, combien je la veux respecter ? Mon attachement ne fera point sa honte, il fera sa gloire, il sera digne d’elle. Quand mon cœur et mes soins lui rendront partout l’hommage qu’elle mérite, en quoi puis-je l’outrager ? Cher Émile, reprends-je en l’embrassant, vous raisonnez pour vous : apprenez à raisonner pour elle. Ne comparez point l’honneur d’un sexe à celui de l’autre : ils ont des principes tout différents. Ces principes sont également solides et raisonnables, parce qu’ils dérivent également de la nature, et que la même vertu qui vous fait mépriser pour vous les discours des hommes vous oblige à les respecter pour votre maîtresse. Votre honneur est en vous seul, et le sien dépend d’autrui. Le négliger serait blesser le vôtre même, et vous ne vous rendez point ce que vous vous devez, si vous êtes cause qu’on ne lui rende pas ce qui lui est dû. | Apenas nos encontramos fuera de esta querida casa cuando Emilio piensa establecerse en los alrededores, y la choza más próxima le parece muy distante; él quisiera dormir en cualquier rincón de la hacienda. «Joven atolondrado -le dije, apiadado-. ¡Cómo os ciega la pasión! Ya no veis ni la razón ni el bien parecer. Desventurado, que porque estáis enamorado, ya queréis que calumnien a vuestra amada. ¿:Qué dirán de ella cuando sepan que el mozo que sale de su casa duerme a cuatro pasos de su alcoba? ¿:Y decís que la amáis? ¿:Cómo queréis, entonces, quitarle su reputación? ¿:Es ese el pago de la hospitalidad que os han dado sus padres? ¿:Seréis el oprobio de aquella de quien esperáis la felicidad?» «¿:Y qué me importan -me replicó en el acto- la habladuría de los hombres y sus injustas sospechas? ¿:No me habéis vos mismo enseñado a despreciarlos? Quién sabe mejor que yo cómo quiero respetar a Wía? Mi cariño no causará su afrenta, y, por el contrario, redundará en gloria suya, y será digno de ella. Aun cuando mi corazón le rinda en todas partes el homenaje y las atenciones que merece, ¿:en qué la puedo agraviar?» «Querido Emilio -le contesto mientras le abrazo-, razonáis por vos, pero aprended a razonar por ella. No comparéis el honor de un sexo con el del otro, porque tienen principios totalmente distintos. Esos principios son igualmente sólidos y racionales, porque provienen de la naturaleza, y la misma virtud que os hace despreciar los chismes de los hombres, os obliga a que los respetéis por vuestra amada. Vuestro honor radica en vos solo, pero el suyo depende de otro. Descuidarle sería faltar al vuestro, y no cumplís con lo que a vos os debéis si sois la causa de que no le tributen el que se le debe.» |
Alors, lui expliquant les raisons de ces différences, je lui fais sentir quelle injustice il y aurait à vouloir les compter pour rien. Qui est-ce qui lui a dit qu’il sera l’époux de Sophie, elle dont il ignore les sentiments, elle dont le cœur ou les parents ont peut-être des engagements antérieurs, elle qu’il ne connaît point, et qui n’a peut-être avec lui pas une des convenances qui peuvent rendre un mariage heureux ? Ignore-t-il que tout scandale est pour une fille une tache indélébile, que n’efface pas même son mariage avec celui qui l’a causé ? Eh ! quel est l’homme sensible qui veut perdre celle qu’il aime ? Quel est l’honnête homme qui veut faire pleurer à jamais à une infortunée le malheur de lui avoir plu ? | Luego, explicándole las causas de estas diferencias, procuro que comprenda lo injusto que sería el no hacer aprecio de ellas. ¿:Quién le ha dicho que ha de ser esposo de Sofía, cuyos sentimientos ignora, cuyo corazón o cuyos padres tal vez tienen contraídos compromisos anteriores; de Sofía, a quien no conoce y que acaso no tiene ninguna de las condiciones necesarias para hacer feliz un matrimonio? ¿:No sabe que para una joven todo escándalo es una mancha indeleble que no borra ni el matrimonio con el que la ha causado? ¿:Dónde está el hombre sensible que quiere perder a su amada? ¿:Qué hombre honrado quiere que llore para siempre una desventurada la desgracia de haberle querido? |
Le jeune homme, effrayé des conséquences que je lui fais envisager, et toujours extrême dans ses idées, croit déjà n’être jamais assez loin du séjour de Sophie : il double le pas pour fuir plus promptement ; il regarde autour de nous si nous ne sommes point écoutés ; il sacrifierait mille fois son bonheur à l’honneur de celle qu’il aime ; il aimerait mieux ne la revoir de sa vie que de lui causer un seul déplaisir. C’est le premier fruit des soins que j’ai pris dès sa jeunesse de lui former un cœur qui sache aimer. | El joven, asustado con las consecuencias que le preveo, y siempre extremado en sus ideas, ahora cree que nunca está lo bastante lejos del hogar de Sofía, y acelera el paso y mira a nuestro alrededor por si nos escuchan; sacrificaría toda su dicha por el honor de la que ama, y antes preferiría no volverla ver que causarle la más pequeña amargura. Este es el primer fruto de mis cuidados para conseguir que cuando sea hombre ten a un corazón que sepa amar. |
Il s’agit donc de trouver un asile éloigné, mais à portée. Nous cherchons, nous nous informons : nous apprenons qu’à deux grandes lieues est une ville ; nous allons chercher à nous y loger, plutôt que dans les villages plus proches, où notre séjour deviendrait suspect. C’est là qu’arrive enfin le nouvel amant, plein d’amour, d’espoir, de joie et surtout de bons sentiments ; et voilà comment, dirigeant peu à peu sa passion naissante vers ce qui est bon et honnête, je dispose insensiblement tous ses penchants à prendre le même pli. | Trata, pues, de encontrar un albergue apartado pero no lejano. Hacemos averiguaciones, nos informamos, sabemos que a dos leguas hay una ciudad, y vamos allí a buscar alojamiento, mejor que en las aldeas más cercanas, donde sería sospechoso el quedarnos. Por último, ahí llega el nuevo amante, lleno de amor, de esperanza, de alegría y, más que todo, de buenos sentimientos, y dirigiendo paso a paso su naciente pasión a lo que es bueno y honrado, consigo que sus inclinaciones tomen el mismo camino. |
J’approche du terme de ma carrière ; je l’aperçois déjà de loin. Toutes les grandes difficultés sont vaincues, tous les grands obstacles sont surmontés ; il ne me reste plus rien de pénible à faire que de ne pas gâter mon ouvrage en me hâtant de le consommer. Dans l’incertitude de la vie humaine, évitons surtout la fausse prudence d’immoler le présent à l’avenir ; c’est souvent immoler ce qui est à ce qui ne sera point. Rendons l’homme heureux dans tous les âges, de peur qu’après bien des soins il ne meure avant de l’avoir été. Or, s’il est un temps pour jouir de la vie, c’est assurément la fin de l’adolescence, où les facultés du corps et de l’âme ont acquis leur plus grande vigueur, et où l’homme, au milieu de sa course, voit de plus loin les deux termes qui lui en font sentir la brièveté. Si l’imprudente jeunesse se trompe, ce n’est pas en ce qu’elle veut jouir, c’est en ce qu’elle cherche la jouissance où elle n’est point, et qu’en s’apprêtant un avenir misérable, elle ne sait pas même user du moment présent. | Ya me acerco al final de mi carrera, pues lo veo con antelación. Están vencidas las grandes dificultades, superados los grandes obstáculos, y ya nada difícil me queda que hacer, como no sea estropear mi obra dándome prisa para terminarla. En la incertidumbre de la vida humana debemos evitar más que todo la falsa prudencia de sacrificar lo presente a lo venidero, pues de esta forma muchas veces se sacrifica lo que no será. Procuremos hacer dichoso al hombre en todas las edades, por si después de muchos afanes se muere antes de haberlo sido. Pero si hay un tiempo a propósito para disfrutar de la vida, con seguridad que es al final de la adolescencia, cuando las facultades del cuerpo y del alma han cobrado su mayor vigor, y en el curso de su carrera, el hombre ve desde muy lejos los dos términos que le hacen sentir su brevedad. Si la juventud imprudente se engaña, no es por querer gozar, sino por buscar el gozo donde no existe, y preparándose para un desgraciado porvenir, ni siquiera sabe aprovechar el momento presente. |
Considérez mon Émile, à vingt ans passés, bien formé, bien constitué d’esprit et de corps, fort, sain, dispos, adroit, robuste, plein de sens, de raison, de bonté, d’humanité, ayant des mœurs, du goût, aimant le beau, faisant le bien, libre de l’empire des passions cruelles, exempt du joug de l’opinion, mais soumis à la loi de la sagesse, et docile à la voix de l’amitié ; possédant tous les talents utiles et plusieurs talents agréables, se souciant peu des richesses, portant sa ressource au bout de ses bras, et n’ayant pas peur de manquer de pain, quoi qu’il arrive. Le voilà maintenant enivré d’une passion naissante, son cœur s’ouvre aux premiers feux de l’amour : ses douces illusions lui font un nouvel univers de délices et de jouissance ; il aime un objet aimable, et plus aimable encore par son caractère que par sa personne ; il espère, il attend un retour qu’il sent lui être dû. | Ved a mi Emilio a los veinte años cumplidos, bien formado, bien constituido de cuerpo y de espíritu, fuerte, sano, dispuesto, hábil y robusto, juicioso, apacible, bondadoso, humano, con buenas costumbres y cuando la belleza libre del imperio de las pasiones crueles, exento del yugo de la opinión, pero sujeto a la ley de la sabiduría y dócil a la voz de la amistad; poseedor de todos los talentos útiles y muchos agradables, cuidándose poco de las riquezas, pero llevando su defensa en los brazos, sin temor que le falte el pan. Ahora embriagado con una pasión naciente, su corazón se abre a los primeros juegos de amor, y sus dulces ilusiones forman para él un mundo nuevo de goces y delicias; su ídolo es amable, y todavía más amable por su persona; espera una correspondencia que sabe que se le debe. |
C’est du rapport des cœurs, c’est du concours des sentiments honnêtes, que s’est formé leur premier penchant : ce penchant doit être durable. Il se livre avec confiance, avec raison même, au plus charmant délire, sans crainte, sans regret, sans remords, sans autre inquiétude que celle dont le sentiment du bonheur est inséparable. Que peut-il manquer au sien ? Voyez, cherchez, imaginez ce qu’il lui faut encore, et qu’on puisse accorder avec ce qu’il a. Il réunit tous les biens qu’on peut obtenir à la fois ; on n’y en peut ajouter aucun qu’aux dépens d’un autre ; il est heureux autant qu’un homme peut l’être. Irai-je en ce moment abréger un destin si doux ? Irai-je troubler une volupté si pure ? Ah ! tout le prix de la vie est dans la félicité qu’il goûte. Que pourrais-je lui rendre qui valût ce que je lui aurais ôté ? Même en mettant le comble à son bonheur, j’en détruirais le plus grand charme. Ce bonheur suprême est cent fois plus doux à espérer qu’à obtenir ; on en jouit mieux quand on l’attend que quand on le goûte. O bon Émile, aime et sois aimé ! jouis longtemps avant que de posséder ; jouis à la fois de l’amour et de l’innocence ; fais ton paradis sur la terre en attendant l’autre : je n’abrégerai point cet heureux temps de ta vie ; j’en filerai pour toi l’enchantement ; je le prolongerai le plus qu’il sera possible. Hélas ! il faut qu’il finisse et qu’il finisse en peu de temps ; mais je ferai du moins qu’il dure toujours dans ta mémoire, et que tu ne te repentes jamais de l’avoir goûté. | De la armonía de los corazones, de la concurrencia de honrosos sentimientos se ha formado su primera inclinación, la cual .debe ser duradera. Confiado y fundado en razón, se entrega al delirio sin temor, sin pesar, sin remordimiento y sin otra inquietud que aquella que es inseparable del sentimiento de la felicidad. ¿:Qué le puede faltar a la suya? Ver, indagar, imaginar lo que todavía necesita y que se pueda hermanar con lo que posee. Reúne todos los bienes que se pueden alcanzar y no es posible añadirle ninguno si no es sacrificando otro, y es todo lo dichoso que puede ser un hombre. ¿:Acertaré yo en este momento tan dulce suerte? ¿:Enturbiaré tan puro contento? Todo el precio de la vida consiste en la felicidad que goza. ¿:Qué podría darle yo que tuviese tanto valor como lo que le hubiera quitado? Incluso colmándole de felicidad, destruiría su más poderoso encanto. La esperanza es cien veces más dulce que la posesión de esta dicha suprema; la goza más el que la espera que el que la disfruta. ¡Oh, buen Emilio! Ama y sé amado, goza durante mucho tiempo antes de que poseas, goza al mismo tiempo del amor y de la inocencia, disfruta la bienaventuranza en la tierra mientras te espera la otra; yo no abreviaré esta época feliz de tu vida; mantendré su encanto y lo prolongaré tanto como me sea posible. ¡Ay! Es forzoso que se acabe, y que se acabe pronto, pero por lo menos haré que dure eternamente en tu memoria, y que jamás te arrepientas de haberle disfrutado. |
Émile n’oublie pas que nous avons des restitutions à faire. Sitôt qu’elles sont prêtes, nous prenons des chevaux, nous allons grand train ; pour cette fois, en partant il voudrait être arrivé. Quand le cœur s’ouvre aux passions, il s’ouvre à l’ennui de la vie. Si je n’ai pas perdu mon temps, la sienne entière ne se passera pas ainsi. | Emilio no se olvida de que tenemos que hacer restituciones. Tan pronto como está preparado, tan pronto como partimos, ya querría haber llegado. Así que el corazón da cabida a las pasiones, nace el tedio de la vida. Si yo no he perdido mi tiempo, su vida no parará del mismo modo. |
Malheureusement la route est fort coupée et le pays difficile. Nous nous égarons ; il s’en aperçoit le premier, et, sans s’impatienter, sans se plaindre, il met toute son attention à retrouver son chemin ; il erre longtemps avant de se reconnaître, et toujours avec le même sang-froid. Ceci n’est rien pour vous, mais c’est beaucoup pour moi qui connais son naturel emporté : je vois le fruit des soins que j’ai mis dès son enfance à l’endurcir aux coups de la nécessité. | Por mala suerte, el camino es muy accidentado y el país muy montuoso. Nos perdemos; él lo advierte antes, y sin impacientarse, sin quejarse, pone el mayor celo en encontrar la senda; le cuesta encontrarla, pero no pierde la serenidad. Esto no quiere decir nada para nadie, pero mucho para mí, que conozco sus arrebatos. Ahora veo el fruto de los afanes que me he tomado para endurecerle desde su niñez contra los golpes de la necesidad. |
Nous arrivons enfin. La réception qu’on nous fait est bien plus simple et plus obligeante que la première fois ; nous sommes déjà d’anciennes connaissances. Émile et Sophie se saluent avec un peu d’embarras, et ne se parlent toujours point : que se diraient-ils en notre présence ? L’entretien qu’il leur faut n’a pas besoin de témoins. L’on se promène dans le jardin : ce jardin a pour parterre un potager très bien entendu ; pour parc, un verger couvert de grands et beaux arbres fruitiers de toute espèce, coupé en divers sens de jolis ruisseaux, et de plates-bandes pleines de fleurs. Le beau lieu ! s’écrie Émile plein de son Homère et toujours dans l’enthousiasme ; je crois voir le jardin d’Alcinoüs. La fille voudrait savoir ce que c’est qu’Alcinoüs, et la mère le demande. Alcinoüs, leur dis-je, était un roi de Corcyre, dont le jardin, décrit par Homère, est critiqué par les gens de goût, comme trop simple et trop peu paré [117]. Cet Alcinoüs avait une fille aimable, qui, la veille qu’un étranger reçut l’hospitalité chez son père, songea qu’elle aurait bientôt un mari. Sophie, interdite, rougit, baisse les yeux, se mord la langue ; on ne peut imaginer une pareille confusion. Le père, qui se plaît à l’augmenter, prend la parole, et dit que la jeune princesse allait elle-même laver le linge à la rivière. Croyez-vous, poursuit-il, qu’elle eût dédaigné de toucher aux serviettes sales, en disant qu’elles sentaient le graillon ? Sophie, sur qui le coup porte, oubliant sa timidité naturelle, s’excuse avec vivacité. Son papa sait bien que tout le menu linge n’eût point eu d’autre blanchisseuse qu’elle, si on l’avait laissée faire [118], et qu’elle en eût fait davantage avec plaisir, si on le lui eût ordonné. Durant ces mots, elle me regarde à la dérobée avec une inquiétude dont je ne puis m’empêcher de rire en lisant dans son cœur ingénu les alarmes qui la font parler. Son père a la cruauté de relever cette étourderie en lui demandant d’un ton railleur à quel propos elle parle ici pour elle, et ce qu’elle a de commun avec la fille d’Alcinoüs. Honteuse et tremblante, elle n’ose plus souffler, ni regarder personne. Fille charmante ! Il n’est plus temps de feindre : vous voilà déclarée en dépit de vous. | Por fin llegamos, y el recibimiento es mucho más sencillo y más afectuoso que la primera vez; ya somos conocidos antiguos. Emilio y Sofía se saludan con un poco de cortedad y todavía no se hablan; ¿:qué se han de decir en nuestra presencia? La conversación que necesitan no quiere testigos. Nos paseamos por el jardín, el cual, en vez de parterres, tiene un huerto muy bien distribuido, y en vez de césped, árboles frutales de todas clases, con algunos riatillos y caballones llenos de flores. «¡Qué hermoso sitio! -exclama Emilio, lleno de su Hornero y siempre con su entusiasmo-. Me parece que estoy en los jardines de Alcinoo.» La niña desea saber quién era Alcinoo, y se lo pregunta a su madre. «Alcinoo -les digo yo- era un rey de Corfú, cuyo jardín, que Homero describe, las personas de gusto lo encuentran demasiado sencillo y poco adornado [14] . Este Alcinoo tenía una simpática hija que la víspera de recibir un extranjero hospitalidad en casa de su padre, soñó que pronto tendría marido.» Sofía se sonroja, baja los ojos y se muerde los labios; no es posible imaginar una confusión semejante. Su padre, que se divierte en aumentarla, interviene en la conversación y añade que la princesa joven iba a lavar la ropa al río. ¿:Es de creer que no se había llevado las servilletas sucias porque olían a comida? Sofía, contra quien va la indirecta, se olvida de su timidez natural y se excusa con viveza. Su padre sabe que no hubiera habido otra lavandera mejor que ella si se lo hubiese permitido [15] , y con la mejor alegría si se lo hubiesen ordenado. Diciendo esto, me mira de refilón con una inquietud que me hace sonreír, leyendo en su ingenuo corazón el sobresalto que la obliga a contestar. Su padre tiene la crueldad de aguzar su desconcierto preguntándole con tono burlón a qué obedece el hablar de ella misma y si tiene algo de común con la hija de Alcinoo. Avergonzada y temblando, no se atreve a respirar ni a mirar a nadie. ¡Encantadora niña! Ya no puedes fingir; sin darte cuenta te has declarado. |
Bientôt cette petite scène est oubliée ou paraît l’être ; très heureusement pour Sophie, Émile est le seul qui n’y a rien compris. La promenade se continue, et nos jeunes gens, qui d’abord étaient à nos côtés, ont peine à se régler sur la lenteur de notre marche ; insensiblement ils nous précèdent, ils s’approchent, ils s’accostent à la fin ; et nous les voyons assez loin devant nous. Sophie semble attentive et posée ; Émile parle et gesticule avec feu : il ne paraît pas que l’entretien les ennuie. Au bout d’une grande heure on retourne, on les rappelle, ils reviennent, mais lentement à leur tour, et l’on voit qu’ils mettent le temps à profit. Enfin, tout à coup, leur entretien cesse avant qu’on soit à portée de les entendre, et ils doublent le pas pour nous rejoindre. Émile nous aborde avec un air ouvert et caressant ; ses yeux pétillent de joie ; il les tourne pourtant avec un peu d’inquiétude vers la mère de Sophie pour voir la réception qu’elle lui fera. Sophie n’a pas, à beaucoup près, un maintien si dégagé ; en approchant, elle semble toute confuse de se voir tête à tête avec un jeune homme, elle qui s’y est si souvent trouvée avec d’autres sans être embarrassée, et sans qu’on l’ait jamais trouvé mauvais. Elle se hâte d’accourir à sa mère, un peu essoufflée, en disant quelques mots qui ne signifient pas grand’chose, comme pour avoir l’air d’être là depuis longtemps. | Pronto esta pequeña escena es olvidada o lo parece. Por suerte de Sofía, el único que no ha comprendido nada es Emilio. Continúa el paseo, y nuestros jóvenes, que al principio iban a nuestro lado y seguían con dificultad la lentitud de nuestra marcha, poco a poco se adelantan y nosotros los vemos bastante lejos. Sofía parece atenta y reposada; Emilio habla y acciona vivamente; no parece que les aburra la conversación. Bastante después de una hora regresamos, los llamamos, pero vienen lentamente y se ve que aprovechan el tiempo. Luego dejan de hablar antes que les podamos oír, y aceleran el paso para reunirse con nosotros. Emilio llega con rostro franco y alegre, en sus ojos brilla el júbilo y los dirige con un poco de inquietud hacia la madre de Sofía, para ver cómo le recibirá. Sofía no tiene un aspecto muy tranquilo; al acercarse parece turbada por verse sola con. un joven, ella que tantas veces ha estado con. otros sin confusión y sin que lo hayan visto mal. Se apresura a ir al lado de su madre, titubeando un poco y diciendo palabras sin significado, como queriendo demostrar que hace ya un rato que ha llegado. |
À la sérénité qui se peint sur le visage de ces aimables enfants, on voit que cet entretien a soulagé leurs jeunes cœurs d’un grand poids. Ils ne sont pas moins réservés l’un avec l’autre, mais leur réserve est moins embarrassée ; elle ne vient plus que du respect d’Émile, de la modestie de Sophie, et de l’honnêteté de tous deux. Émile ose lui adresser quelques mots, quelquefois elle ose répondre, mais jamais elle n’ouvre la bouche pour cela sans jeter les yeux sur ceux de sa mère. Le changement qui paraît le plus sensible en elle est envers moi. Elle me témoigne une considération plus empressée, elle me regarde avec intérêt, elle me parle affectueusement, elle est attentive à ce qui peut me plaire ; je vois qu’elle m’honore de son estime, et qu’il ne lui est pas indifférent d’obtenir la mienne. Je comprends qu’Émile lui a parlé de moi ; on dirait qu’ils ont déjà comploté de me gagner : il n’en est rien pourtant, et Sophie elle-même ne se gagne pas si vite. Il aura peut-être plus besoin de ma faveur auprès d’elle, que de la sienne auprès de moi. Couple charmant !... En songeant que le cœur sensible de mon jeune ami m’a fait entrer pour beaucoup dans son premier entretien avec sa maîtresse, je jouis du prix de ma peine ; son amitié m’a tout payé. | Por la serenidad que se refleja en el rostro de estas amables criaturas, nos damos cuenta que su conversación quitó de un gran peso sus juveniles corazones. No son menos reservados uno con otro, pero es menos embarazosa su reserva, pues sólo procede del respeto de Emilio, de la modestia de Sofía y de la honestidad de los dos. Emilio se atreve a dirigirle algunas palabras; a veces también ella se atreve a contestar, pero mirando antes a su madre. El cambio que parece más sensible en ella es para conmigo. Me demuestra una consideración más solícita, me mira con interés, me habla afectuosamente, se fija en todo lo que me puede complacer; veo que me distingue con su aprecio y que no le es indiferente conseguir el mío. Comprendo que Emilio le ha hablado de mí, que han convenido ganarme, pero no es así, y la misma Sofía no se gana tan pronto. Tal vez precisará él más de mi valimiento con ella que del suyo conmigo. ¡Pareja encantadora! Al pensar que en la primera conversación con su dama mi joven amigo le ha hablado mucho de mí, recibo la compensación de mis desvelos; su amistad me ha pagado. |
Les visites se réitèrent. Les conversations entre nos jeunes gens deviennent plus fréquentes. Émile, enivré d’amour, croit déjà toucher à son bonheur. Cependant, il n’obtient point d’aveu formel de Sophie : elle l’écoute et ne lui dit rien. Émile connaît toute sa modestie ; tant de retenue l’étonne peu ; il sent qu’il n’est pas mal auprès d’elle ; il sait que ce sont les pères qui marient les enfants ; il suppose que Sophie attend un ordre de ses parents, il lui demande la permission de le solliciter ; elle ne s’y oppose pas. Il m’en parle ; j’en parle en son nom, même en sa présence. Quelle surprise pour lui d’apprendre que Sophie dépend d’elle seule, et que pour le rendre heureux elle n’a qu’à le vouloir ! Il commence à ne plus rien comprendre à sa conduite. Sa confiance diminue. Il s’alarme, il se voit moins avancé qu’il ne pensait l’être, et c’est alors que l’amour le plus tendre emploie son langage le plus touchant pour la fléchir. | Las visitas se repiten y las conversaciones entre ellos dos son más frecuentes. Emilio, embriagado de amor, cree que ya toca su felicidad. Sin embargo, no obtiene el consentimiento formal de Sofía, que le escucha y no le contesta. Emilio comprende su modestia, y tanto recato le extraña un poco, aunque se dice que quizá debe ser así; sabe que son los padres quienes casan a sus hijas, y supone que Sofía espera la conformidad de sus padres; le pide permiso para solicitarla, y ella no se opone. Me habla, hablo yo en su nombre y en presencia suya. ¡Qué extraño es para él saber que Sofía depende de sí misma y que para hacerle feliz a ella le basta con querer! Comienza por no comprender su conducta, pierde su confianza, se sobresalta, se considera menos adelantado de lo que pensaba, y entonces el amor emplea el más tierno lenguaje. |
Émile n’est pas fait pour deviner ce qui lui nuit : si on ne le lui dit, il ne le saura de ses jours, et Sophie est trop fière pour le lui dire. Les difficultés qui l’arrêtent feraient l’empressement d’une autre. Elle n’a pas oublié les leçons de ses parents. Elle est pauvre, Émile est riche, elle le sait. Combien il a besoin de se faire estimer d’elle ! Quel mérite ne lui faut-il point pour effacer cette inégalité ! Mais comment songerait-il à ces obstacles ? Émile sait-il s’il est riche ? Daigne-t-il même s’en informer ? Grâce au ciel, il n’a nul besoin de l’être, il sait être bienfaisant sans cela. Il tire le bien qu’il fait de son cœur, et non de sa bourse. Il donne aux malheureux son temps, ses soins, ses affections, sa personne ; et, dans l’estimation de ses bienfaits, à peine ose-t-il compter pour quelque chose l’argent qu’il répand sur les indigents. | Emilio no es capaz de adivinar lo que le perjudica, y si no se lo dicen, no lo sabrá nunca, y Sofía es demasiado orgullosa para decírselo. Las dificultades que la detienen, para otra cualquiera serían estímulos. No ha olvidado las experiencias de sus padres. Es pobre, Emilio es rico y ella lo sabe. ¿:Qué necesidad tiene de que la quiera ella? ¡Cuánto mérito necesita para borrar esa desigualdad! ¿:Y cómo allanará ese obstáculo? ¿:Sabe Emilio que es rico? ¿:Le preocupa saberlo? Gracias a Dios, no tiene necesidad de serlo, y sin eso sabe ser generoso. El bien que hace sale de su corazón y no de su bolsillo. A los desventurados les ofrece su tiempo, su afecto y su persona, y en la valoración de sus beneficios, casi se atreve a contar el dinero que reparte entre los indigentes. |
Ne sachant à quoi s’en prendre de sa disgrâce, il l’attribue à sa propre faute : car qui oserait accuser de caprice l’objet de ses adorations ? L’humiliation de l’amour-propre augmente les regrets de l’amour éconduit. Il n’approche plus de Sophie avec cette aimable confiance d’un cœur qui se sent digne du sien ; il est craintif et tremblant devant elle. Il n’espère plus la toucher par la tendresse, il cherche à la fléchir par la pitié. Quelquefois sa patience se lasse, le dépit est prêt à lui succéder. Sophie semble pressentir ses emportements, et le regarde. Ce seul regard le désarme et l’intimide : il est plus soumis qu’auparavant. | No sabiendo a quién culpar por su desgracia, se culpa a sí mismo, porque, ¿:quién se atreverá a suponer caprichosa a la que es el objeto de sus adoraciones? Con el desaire del amor propio se aumenta el desconsuelo del amor desdeñado. Ya no se acerca a Sofía con aquella amable confianza de un corazón que se siente digno del suyo; anee ella tiembla y teme. No espera moverla por la ternura y procura ablandarla por la piedad. Alguna vez agota la paciencia y el despecho le sustituye. Sofía, que parece presentir estos arrebatos, le mira, lo cual le desarma al momento, y queda más sumiso que antes. |
Troublé de cette résistance obstinée et de ce silence invincible, il épanche son cœur dans celui de son ami. Il y dépose les douleurs de ce cœur navré de tristesse ; il implore son assistance et ses conseils. Quel impénétrable mystère ! Elle s’intéresse à mon sort, je n’en puis douter : loin de m’éviter, elle se plaît avec moi ; quand j’arrive, elle marque de la joie, et du regret quand je pars ; elle reçoit mes soins avec bonté ; mes services paraissent lui plaire ; elle daigne me donner des avis, quelquefois même des ordres. Cependant, elle rejette mes sollicitations, mes prières. Quand j’ose parler d’union, elle m’impose impérieusement silence ; et, si j’ajoute un mot, elle me quitte à l’instant. Par quelle étrange raison veut-elle bien que je sois à elle sans vouloir entendre parler d’être à moi ? Vous qu’elle honore, vous qu’elle aime et qu’elle n’osera faire taire, parlez, faites-la parler ; servez votre ami, couronnez votre ouvrage ; ne rendez pas vos soins funestes à votre élève : ah ! ce qu’il tient de vous fera sa misère, si vous n’achevez son bonheur. | Turbado con su obstinada resistencia y ese invencible silencio, vierte su corazón en el de su amigo, deposita en él los duelos de su pecho desgarrado por el pesar, e implora su asistencia y sus consejos. ¡Qué impenetrable misterio! «Ella se interesa por mi suerte, no lo puedo dudar; lejos de evitarme, se acerca a mí; cuando llego demuestra alegría y sentimiento, y cuando me voy se entristece; me avisa sobre esto y aquello y a veces me reprende. No obstante, rechaza mis solicitudes y mis ruegos. Cuando me atrevo a hablarle de la unión, me impone silencio, y si añado una palabra, me deja al instante. ¿:Por qué extraña razón quiere que yo sea suyo sin querer oír que ella sea mía? Vos, a quien honra, a quien ama y a quien no mandará callar, hablad, haced que hable ella, servid a vuestro amigo y coronad vuestra obra; no queráis que vuestros afanes sean funestos para vuestro alumno. Los que os debe labrarán su miseria si no completáis su felicidad.» |
Je parle à Sophie, et j’en arrache avec peu de peine un secret que je savais avant qu’elle me l’eût dit. J’obtiens plus difficilement la permission d’en instruire Émile : je l’obtiens enfin, et j’en use. Cette explication le jette dans un étonnement dont il ne peut revenir. Il n’entend rien à cette délicatesse ; il n’imagine pas ce que des écus de plus ou de moins font au caractère et au mérite. Quand je lui fais entendre ce qu’ils font au préjugés, il se met à rire, et, transporté de joie, il veut partir à l’instant, aller tout déchirer tout jeter, renoncer à tout, pour avoir l’honneur d’être aussi pauvre que Sophie, et revenir digne d’être son époux. | Hablo con Sofía, y con poca dificultad le arranco un secreto que yo no ignoraba antes de que ella me lo descubriese. Me da licencia para instruir de él a Emilio; lo consigo al fin y lo aprovecho. Esta explicación le asombra tanto que casi no la comprende. No entiende su delicadeza ni concibe qué pueden representar para el carácter y el mérito unos doblones más o menos. Cuando le hago comprender que son la causa de muchas preocupaciones, se echa a reír, y arrebatado de júbilo quiere irse al instante, destruirlo todo, renunciar a todo, para tener la honra de ser tan pobre como Sofía y volver digno de ser su esposo. |
Hé quoi ! dis-je en l’arrêtant, et riant à mon tour de son impétuosité, cette jeune tête ne mûrira-t-elle point ? et, après avoir philosophé toute votre vie, n’apprendrez-vous jamais à raisonner ? Comment ne voyez-vous pas qu’en suivant votre insensé projet, vous allez empirer votre situation et rendre Sophie plus intraitable ? C’est un petit avantage d’avoir quelques biens de plus qu’elle, c’en serait un très grand de les lui avoir tous sacrifiés ; et si sa fierté ne peut se résoudre à vous avoir la première obligation, comment se résoudrait-elle à vous avoir l’autre ? Si elle ne peut souffrir qu’un mari puisse lui reprocher de l’avoir enrichie, souffrira-t-elle qu’il puisse lui reprocher de s’être appauvri pour elle ? Eh malheureux ! tremblez qu’elle ne vous soupçonne d’avoir eu ce projet. Devenez au contraire économe et soigneux pour l’amour d’elle, de peur qu’elle ne vous accuse de vouloir la gagner par adresse, et de lui sacrifier volontairement ce que vous perdrez par négligence. | «¿:Cómo? -dije, deteniéndole y riéndome de su ímpetu-. ¿:Nunca sentaremos esa juvenil cabeza? Y después de filosofar durante toda la vida, ¿:no aprenderéis nunca a razonar? ¿:Cómo no os dais cuenta que con llevar a cabo vuestro desatinado proyecto vais a empeorar vuestra situación y haréis a Sofía intratable? Poseer algún caudal más que ella es una pequeña ventaja, pero sería muy grande habérselo sacrificado todo, y si no puede resolverse su altivez a deberos la obligación primera, ¿:cómo había de resolverse a deberos otra? Si no quiere consentir que su esposo pueda echarle en cara que la hizo rica, ¿:cómo había de consentir que pudiese acusarla de que por ella se había empobrecido? ¡Ah, desventurado! Temblad de que sospeche que habéis tenido semejante proyecto. Haceos, por el contrario, económico y cuidadoso por el amor de ella; que no llegue a sospechar que la queréis ganar por astucia, y que le sacrificáis voluntariamente lo que por negligencia perdáis. |
Croyez-vous au fond que de grands biens lui fassent peur, et que ses oppositions viennent précisément des richesses ? Non, cher Émile ; elles ont une cause plus solide et plus grave dans l’effet que produisent ces richesses dans l’âme du possesseur. Elle sait que les biens de la fortune sont toujours préférés à tout par ceux qui les ont. Tous les riches comptent l’or avant le mérite. Dans la mise commune de l’argent et des services, ils trouvent toujours que ceux-ci n’acquittent jamais l’autre, et pensent qu’on leur en doit de reste quand on a passé sa vie à les servir en mangeant leur pain. Qu’avez-vous donc à faire, ô Émile ! pour la rassurer sur ses craintes ? Faites-vous bien connaître à elle ; ce n’est pas l’affaire d’un jour. Montrez-lui dans les trésors de votre âme noble de quoi racheter ceux dont vous avez le malheur d’être partagé. À force de constance et de temps, surmontez sa résistance ; à force de sentiments grands et généreux, forcez-la d’oublier vos richesses. Aimez-la, servez-la, servez ses respectables parents. Prouvez-lui que ces soins ne sont pas l’effet d’une passion folle et passagère, mais des principes ineffaçables gravés au fond de votre cœur. Honorez dignement le mérite outragé par la fortune : c’est le seul moyen de le réconcilier avec le mérite qu’elle a favorisé. | ¿:Creéis que la van asustar los muchos bienes, que su oposición procede precisamente de vuestras riquezas? No, querido Emilio; tienen más sólida y grave causa en el efecto que producen estas riquezas que en el alma del poseedor. Sabe que los que tienen bienes de fortuna siempre son preferidos. Los ricos estiman el oro más que el mérito. En la puesta común del dinero y los servicios, jamás encuentran que éstos pagan lo suficiente por aquél y piensan que les es deudor el que pasa su vida sirviéndolos y comiendo su pan. ¿:Qué debéis hacer, pues, para tranquilizar sus temores? Haceos conocer bien por ella, que no es cuestión de un día. En los tesoros de vuestra noble alma enseñadle con qué rescatar aquellos que por vuestra desgracia os han cabido en suerte. A fuerza de tiempo y constancia venced su resistencia; a fuerza de grandes y generosos sentimientos hacedle olvidar vuestras riquezas. Amadla, servidla y servid a sus respetables padres. Demostradle que vuestros afanes no son efecto de una loca y pasajera pasión, sino de los principios indelebles grabados en vuestro corazón. Honrad dignamente el mérito agraviado por la fortuna, único medio de reconciliarlo con el mérito por ella favorecido.» |
On conçoit quels transports de joie ce discours donne au jeune homme, combien il lui rend de confiance et d’espoir, combien son honnête cœur se félicite d’avoir à faire, pour plaire à Sophie, tout ce qu’il ferait de lui-même quand Sophie n’existerait pas, ou qu’il ne serait pas amoureux d’elle. Pour peu qu’on ait compris son caractère, qui est-ce qui n’imaginera pas sa conduite en cette occasion ? | Se comprenden los raptos de júbilo que en el joven produce este razonamiento, cuánta esperanza y confianza le restituye, cuántos parabienes se da su honrado corazón por saber qué hacer para agradar a Sofía y lo que haría por sí mismo, aun cuando Sofía no existiera o no estuviese enamorado de ella. ¿:Quién no adivinará su conducta en esta ocasión por poco que haya comprendido su carácter? |
Me voilà donc le confident de mes deux bonnes gens et le médiateur de leurs amours ! Bel emploi pour un gouverneur ! Si beau que je ne fis de ma vie rien qui m’élevât tant à mes propres yeux, et qui me rendît si content de moi-même. Au reste, cet emploi ne laisse pas d’avoir ses agréments : je ne suis pas mal venu dans la maison ; l’on s’y fie à moi du soin d’y tenir les deux amants dans l’ordre : Émile, toujours tremblant de déplaire, ne fut jamais si docile. La petite personne m’accable d’amitiés dont je ne suis pas la dupe, et dont je ne prends pour moi que ce qui m’en revient. C’est ainsi qu’elle se dédommage indirectement du respect dans lequel elle tient Émile. Elle lui fait en moi mille tendres caresses, qu’elle aimerait mieux mourir que de lui faire à lui-même ; et lui qui sait que je ne veux pas nuire à ses intérêts, est charmé de ma bonne intelligence avec elle. Il se console quand elle refuse son bras à la promenade et que c’est pour lui préférer le mien. Il s’éloigne sans murmure en me serrant la main, et me disant tout bas de la voix et de l’œil : Ami, parlez pour moi. Il nous suit des yeux avec intérêt ; il tâche de lire nos sentiments sur nos visages, et d’interpréter nos discours par nos gestes ; il sait que rien de ce qui se dit entre nous ne lui est indifférent. Bonne Sophie, combien votre cœur sincère est à son aise, quand, sans être entendue de Télémaque, vous pouvez vous entretenir avec son Mentor ! Avec quelle aimable franchise vous lui laissez lire dans ce tendre cœur tout ce qui s’y passe ! Avec quel plaisir vous lui montrez toute votre estime pour son élève ! Avec quelle ingénuité touchante vous lui laissez pénétrer des sentiments plus doux ! Avec quelle feinte colère vous renvoyez l’importun quand l’impatience le force à vous interrompre ! Avec quel charmant dépit vous lui reprochez son indiscrétion quand il vient vous empêcher de dire du bien de lui, d’en entendre, et de tirer toujours de mes réponses quelque nouvelle raison de l’aimer ! | Vedme, pues, confidente de mis dos buenas personas y mediador de sus amores. ¡Bello empleo para un ayo! Tan bello que no hice nada en mi vida que me enalteciese tanto a mis propios ojos de más, me dejase tan contento de mí. En cuanto a lo demás, este empleo no deja de tener sus encantos; no soy mal recibido en la casa, se fían de mí para que vigile que no se desmanden los amantes. Emilio, que siempre tiene miedo de disgustarme, nunca ha sido tan dócil. La niña me llena de halagos que no me engañan, y sólo guardo para mí la parte que me pertenece, y así, indirectamente, se resarce del respeto en que contiene a Emilio. Me hace mil tiernas caricias, que antes preferiría morir que hacérselas a él, y él, que sabe que yo no deseo perjudicar sus intereses, está encantado cor. nuestra recíproca armonía. Se consuela cuando ella rehúsa su brazo en el paseo y prefiere el mío. Se aleja sin murmurar, apretándome la mano y diciéndome, en voz baja y enérgica «Habladle en mi favor». Sus ojos nos siguen con interés, y procura leer en nuestros semblantes nuestras palabras e interpretarlas por los gestos; sabe que todo lo que decimos ella y yo le concierne. Buena Sofía, ¡qué sosegado está tu sincero corazón cuando sin que te oiga Telémaco puedes departir con su mentor! ¡Con qué amable franqueza le dejas que lea todos los afectos de tu tierno corazón! ¡Con qué gusto le demuestras toda tu estimación hacia su alumno! ¡Con cuánta ingenuidad me permites que adivine tus dulces sentimientos! ¡Con qué fingido enojo despides al importuno cuando su impaciencia le obliga a interrumpirte! ¡Con cuán seductor acento le afeas su imprudencia cuando viene a estorbar que hables o que oigas hablar bien de él y que de mis respuestas saques algún nuevo motivo para quererle! |
Ainsi parvenu à se faire souffrir comme amant déclaré, Émile en fait valoir tous les droits ; il parle, il presse, il sollicite, il importune. Qu’on lui parle durement, qu’on le maltraite, peu lui importe, pourvu qu’il se fasse écouter. Enfin il obtient, non sans peine, que Sophie de son côté veuille bien prendre ouvertement sur lui l’autorité d’une maîtresse, qu’elle lui prescrive ce qu’il doit faire, qu’elle commande au lieu de prier, qu’elle accepte au lieu de remercier, qu’elle règle le nombre et le temps des visites, qu’elle lui défende de venir jusqu’à tel jour et de rester passé telle heure. Tout cela ne se fait point par jeu, mais très sérieusement, et si elle accepta ces droits avec peine, elle en use avec une rigueur qui réduit souvent le pauvre Émile au regret de les lui avoir donnés. Mais, quoi qu’elle ordonne, il ne réplique point ; et souvent, en partant pour obéir, il me regarde avec des yeux pleins de joie qui me disent : Vous voyez qu’elle a pris possession de moi. Cependant, l’orgueilleuse l’observe en dessous, et sourit en secret de la fierté de son esclave. | Habiendo llegado Emilio a que se le reciba en la casa como novio declarado, hace valer todos sus derechos; habla, apremia, solicita, importuna... Si le responden con aspereza o le maltratan, poco le importa mientras le escuchen. Por último, no sin dificultad, logra que Sofía consienta en tomar sin disimulo sobre él la autoridad de ama, que le prescriba lo que ha de hacer, que le mande en vez de rogarle, y en vez de darle gracias acepte, que disponga cuándo y el número de visitas, que le prohíba que vuelva hasta tal día y que se quede hasta tal hora. Todo esto no se hace como un juego, sino muy de veras, y si ella con dificultad admitió estos derechos, los usa con un rigor que el pobre Emilio muchas veces siente el habérselos dado. Pero ordene ella lo que quiera, él no replica, y muchas veces, cuando por obediencia se va, me mira con unos ojos tan felices que me dicen: «Ya veis que ha tomado posesión de mí». La picaruela lo observa todo con disimulo, y secretamente se sonríe de la sumisión de su esclavo. |
Albane et Raphaël, prêtez-moi le pinceau de la volupté ! Divin Milton, apprends à ma plume grossière à décrire les plaisirs de l’amour et de l’innocence ! Mais non, cachez vos arts mensongers devant la sainte vérité de la nature. Ayez seulement des cœurs sensibles, des âmes honnêtes ; puis laisser errer votre imagination sans contrainte sur les transports de deux jeunes amants qui, sous les yeux de leurs parents et de leurs guides, se livrent sans trouble à la douce illusion qui les flatte, et, dans l’ivresse des désirs, s’avançant lentement vers le terme, entrelacent de fleurs et de guirlandes l’heureux lien qui doit les unir jusqu’au tombeau. Tant d’images charmantes m’enivrent moi-même ; je les rassemble sans ordre et sans suite ; le délire qu’elles me causent m’empêche de les lier. Oh ! qui est-ce qui a un cœur, et qui ne saura pas faire en lui-même le tableau délicieux des situations diverses du père, de la mère, de la fille, du gouverneur, de l’élève, et du concours des uns et des autres à l’union du plus charmant couple dont l’amour et la vertu puissent faire le bonheur ? | Albano y Rafael, prestadme el pincel de la voluptuosidad. Divino Mil-ton, enseña a mi tosca pluma a describir los placeres del amor y de la inocencia, pero no escondáis vuestras artes mentirosas ante la santa verdad de la naturaleza. Tened sólo corazones sensibles y almas honestas; después dejad vagar sin trabas vuestra imaginación, pues los raptos de dos enamorados jóvenes, que delante de sus padres y de sus guías se abandonan a la dulcísima ilusión que los halaga y en la embriaguez de sus deseos, se adelantan con pasos lentos hacia un final enlazado con guirnaldas de flores, hacia el bienhadado vínculo que ha de unirlos hasta el sepulcro. Tantas imágenes llenas de hechizo hasta a mí me embriagan; las amontono sin orden y enlace, pues el delirio que en mí excitan me impide ordenarlas. ¿:Quién, teniendo entrañas, no sabrá interpretar la deliciosa imagen de las varias situaciones del padre, de la madre, de la hija, del ayo, del alumno y del concierto de unos y otros para la unión de la más encantadora pareja que el amor y la virtud han podido hacer dichosos? |
C’est à présent que, devenu véritablement empressé de plaire, Émile commence à sentir le prix des talents agréables qu’il s’est donnés. Sophie aime à chanter, il chante avec elle ; il fait plus, il lui apprend la musique. Elle est vive et légère, elle aime à sauter, il danse avec elle ; il change ses sauts en pas, il la perfectionne. Ces leçons sont charmantes, la gaieté folâtre les anime, elle adoucit le timide respect de l’amour : il est permis à un amant de donner ces leçons avec volupté ; il est permis d’être le maître de sa maîtresse. | Ahora sí que sintiendo verdaderos deseos de agradar, Emilio comienza a sentir el valor de los talentos recreativos que ha adquirido. A Sofía le gusta el canto, y canta con ella; hace más: le enseña música. Es viva y ágil y le gusta saltar; baila con ella, convierte en pasos sus saltos y los perfecciona. Estas lecciones encantan; las anima la juguetona alegría, que dulcifica el tímido respeto del amor; es lícito a un amante dar estas lecciones con voluptuosidad y ser el maestro de su amada. |
On a un vieux clavecin tout dérangé ; Émile l’accommode et l’accorde ; il est facteur, il est luthier aussi bien que menuisier ; il eut toujours pour maxime d’apprendre à se passer du secours d’autrui dans tout ce qu’il pouvait faire lui-même. La maison est dans une situation pittoresque, il en tire différentes vues auxquelles Sophie a quelquefois mis la main, et dont elle orne le cabinet de son père. Les cadres n’en sont point dorés et n’ont pas besoin de l’être. En voyant dessiner Émile, en l’imitant, elle se perfectionne à son exemple ; elle cultive tous les talents, et son charme les embellit tous. Son père et sa mère se rappellent leur ancienne opulence en revoyant briller autour d’eux les beaux-arts, qui seuls la leur rendaient chère ; l’amour a paré toute leur maison ; lui seul y fait régner sans frais et sans peine les mêmes plaisirs qu’ils n’y rassemblaient autrefois qu’à force d’argent et d’ennui. | Hay un clavicordio viejo descompuesto: Emilio lo arregla y lo templa; es tan buen aficionado como buen carpintero, y su máxima fue siempre no necesitar de socorro ajeno para todo lo que podía hacer él mismo. La casa está en un sitio muy pintoresco y saca vistas viéndose a Sofía arreglando el gabinete de su padre; los marcos no son dorados ni tienen que serlo. Viendo dibujar a Emilio, e imitándola ella, se perfecciona con su ejemplo, cultiva su talento y los hermosea todos con su donaire. Cuando sus padres ven brillar de nuevo a su alrededor las bellas artes, únicas que les hacía amar su pasada opulencia, las recuerdan en su memoria; la casa está enriquecida por el amor y basta ese amor para que reinen en ella los placeres que en otro tiempo se reunían a fuerza de afanes y dinero. |
Comme l’idolâtre enrichit des trésors qu’il estime l’objet de son culte, et pare sur l’autel le dieu qu’il adore, l’amant a beau voir sa maîtresse parfaite, il lui veut sans cesse ajouter de nouveaux ornements. Elle n’en a pas besoin pour lui plaire ; mais il a besoin, lui, de la parer : c’est un nouvel hommage qu’il croit lui rendre, c’est un nouvel intérêt qu’il donne au plaisir de la contempler. Il lui semble que rien de beau n’est à sa place quand il n’orne pas la suprême beauté. C’est un spectacle à la fois touchant et risible, de voir Émile empressé d’apprendre à Sophie tout ce qu’il sait, sans consulter si ce qu’il lui veut apprendre est de son goût ou lui convient. Il lui parle de tout, il lui explique tout avec un empressement puéril ; il croit qu’il n’a qu’à dire et qu’à l’instant elle l’entendra ; il se figure d’avance le plaisir qu’il aura de raisonner, de philosopher avec elle ; il regarde comme inutile tout l’acquis qu’il ne peut point étaler à ses yeux ; il rougit presque de savoir quelque chose qu’elle ne sait pas. | Del mismo modo que el idólatra enriquece con los tesoros que aprecia el objeto de su culto y atavía en el altar al dios creador, el amante, aunque tenga por perfecta su dama, continuamente quiere añadirle nuevos adornos. No es que los necesite para agradarle, pero él siente necesidad de adornarla, lo que es un nuevo homenaje que le tributa y un nuevo interés que añade al gusto de contemplarla. Le parece que no hay nada hermoso que esté en su lugar cuando no adorna a la beldad suprema. Es un espectáculo tierno y joven, a la vez, ver a Emilio queriendo enseñar a Sofía todo lo que sabe, sin consultar si es de su gusto o si le conviene lo que le quiere enseñar. Le habla de todo, se lo explica todo con un pueril anhelo; cree que le basta con hablar y que se le ha entendido al instante; piensa en lo que disfrutará al discurrir y meditar con ella, y considera inútil todo lo que sabe si no puede alardear de ello ante Sofía, y casi se avergüenza de saber cosas que ella ignora. |
Le voilà donc lui donnant une leçon de philosophie, de physique, de mathématiques, d’histoire, de tout en un mot. Sophie se prête avec plaisir à son zèle, et tâche d’en profiter. Quand il peut obtenir de donner ses leçons à genoux devant elle, qu’Émile est content ! Il croit voir les cieux ouverts. Cependant, cette situation, plus gênante pour l’écolière que pour le maître, n’est pas la plus favorable à l’instruction. L’on ne sait pas trop alors que faire de ses yeux pour éviter ceux qui les poursuivent, et quand ils se rencontrent la leçon n’en va pas mieux. | Y vedle dándole lecciones de filosofía, de física, de matemáticas, de historia... En una palabra, de todo. Sofía se presta con placer a su celo y procura sacar provecho. ¡Cómo se alegra Emilio cuando puede dar sus lecciones de rodillas delante de ella! Cree que ve el cielo abierto. No obstante, esta situación, más incómoda para la discípula que para el maestro, no es la más favorable para la instrucción. Entonces Sofía no sabe hacia dónde mirar para evitar los ojos que persiguen los suyos, y cuando se encuentran, poco les aprovecha la lección. |
L’art de penser n’est pas étranger aux femmes, mais elles ne doivent faire qu’effleurer les sciences de raisonnement. Sophie conçoit tout et ne retient pas grand’chose. Ses plus grands progrès sont dans la morale et les choses du goût ; pour la physique, elle n’en retient que quelque idée des lois générales et du système du monde. Quelquefois, dans leurs promenades, en contemplant les merveilles de la nature, leurs cœurs innocents et purs osent s’élever jusqu’à son auteur : ils ne craignent pas sa présence, ils s’épanchent conjointement devant lui. | El arte de pensar no es extraño en las mujeres, pero no deben hacer otra cosa que quedarse en la superficie del raciocinio. Sofía lo concibe todo, pero retiene poco. En la moral es donde más progresa, y en las cosas de gusto; en cuanto a la física, sólo conserva alguna idea de las leyes generales y del sistema del mundo. Algunas veces, al contemplar en sus paseos las maravillas de la naturaleza, sus inocentes y puros corazones se atreven a elevarse hasta su Autor, pues como no temen su presencia, conjuntamente abren el alma ante El. |
Quoi ! deux amants dans la fleur de l’âge emploient leur tête-à-tête à parler de religion ! Ils passent leur temps à dire leur catéchisme ! Que sert d’avilir ce qui est sublime ? Oui, sans doute, ils le disent dans l’illusion qui les charme : ils se voient parfaits, ils s’aiment, ils s’entretiennent avec enthousiasme de ce qui donne un prix à la vertu. Les sacrifices qu’ils lui font la leur rendent chère. Dans des transports qu’il faut vaincre, ils versent quelquefois ensemble des larmes plus pures que la rosée du ciel, et ces douces larmes font l’enchantement de leur vie : ils sont dans le plus charmant délire qu’aient jamais éprouvé des âmes humaines. Les privations mêmes ajoutent à leur bonheur et les honorent à leurs propres yeux de leurs sacrifices. Hommes sensuels, corps sans âme, ils connaîtront un jour vos plaisirs, et regretteront toute leur vie l’heureux temps où ils se les sont refusés ! | ¿:Cómo? ¿:Dos amantes en la flor de su edad llenan su tiempo hablando de religión y repasando la doctrina? ¿:Por qué manosear lo que es sublime? Sí, sin duda se dicen la ilusión que les encanta, y se imaginan perfectos, se aman, hablan con entusiasmo de lo que es el premio de la virtud. Los sacrificios que le rinden se la hace más querida. En los arrebatos que es preciso vencer alguna vez, vierten lágrimas más puras que el rocío del cielo, y esas dulces lágrimas son el encanto de su vida y viven en el más inefable delirio que nunca almas humanas disfrutaron. Las mismas privaciones acrecientan su dicha, y a sus propios ojos las honran con sus sacrificios. Hombres sensuales, cuerpos sin alma, un día ellos conocerán vuestros deleites, y toda su vida se dolerán del tiempo dichoso que habéis perdido. |
Malgré cette bonne intelligence, il ne laisse pas d’y avoir quelquefois des dissensions, même des querelles ; la maîtresse n’est pas sans caprice, ni l’amant sans emportement ; mais ces petits orages passent rapidement et ne font que raffermir l’union ; l’expérience même apprend à Émile à ne les plus tant craindre ; les raccommodements lui sont toujours plus avantageux que les brouilleries ne lui sont nuisibles. Le fruit de la première lui en a fait espérer autant des autres ; il s’est trompé : mais enfin, s’il n’en rapporte pas toujours un profit aussi sensible, il y gagne toujours de voir confirmé par Sophie l’intérêt sincère qu’elle prend à son cœur. On veut savoir quel est donc ce profit. J’y consens d’autant plus volontiers que cet exemple me donnera lieu d’exposer une maxime très utile et d’en combattre une très funeste. | A pesar de esta buena inteligencia, no deja de haber algunas discusiones y hasta disputas; la amada tiene sus caprichos y el amante sus enfados; pero estas ligeras tormentas carecen de duración y no hacen más que fortalecer lo que les une; la experiencia ha enseñado también a Emilio a no temerlas tanto, y siempre le traen más provecho las reconciliaciones que daño las riñas. El fruto de la primera le ha enseñado a esperar las otras, y si se ha equivocado, si no siempre saca un beneficio tan claro, gana siempre al ver que Sofía confirma el noble interés que tiene en conservar su corazón. ¿:Quiere el lector saber cuál es este beneficio? Me place, con tanto más gusto cuanto que me dará ocasión este ejemplo para explicar una máxima utilísima y para impugnar otra muy funesta. |
Émile aime, il n’est donc pas téméraire ; et l’on conçoit encore mieux que l’impérieuse Sophie n’est pas fille à lui passer des familiarités. Comme la sagesse a son terme en toute chose, on la taxerait bien plutôt de trop de dureté que de trop d’indulgence ; et son père lui-même craint quelquefois que son extrême fierté ne dégénère en hauteur. Dans les tête-à-tête les plus secrets, Émile n’oserait solliciter la moindre faveur, pas même y paraître aspirer ; et quand elle veut bien passer son bras sous le sien à la promenade, grâce qu’elle ne laisse pas changer en droit, à peine ose-t-il quelquefois, en soupirant, presser ce bras contre sa poitrine. Cependant, après une longue contrainte, il se hasarde à baiser furtivement sa robe ; et plusieurs fois il est assez heureux pour qu’elle veuille bien ne pas s’en apercevoir. Un jour qu’il veut prendre un peu plus ouvertement la même liberté, elle s’avise de le trouver très mauvais. Il s’obstine, elle s’irrite, le dépit lui dicte quelques mots piquants ; Émile ne les endure pas sans réplique : le reste du jour se passe en bouderie, et l’on se sépare très mécontents. | Emilio ama; por lo tanto, no es temerario, y, además, no ignora que la imperiosa Sofía no es una joven que le consienta familiaridades. Como en todas las cosas, el recato tiene sus límites, y antes se la podría tachar de excesivamente áspera que de indulgente, y su mismo padre a veces recela que su excesivo orgullo degenere en altanería. En las conversaciones más secretas, a solas, Emilio no se atrevería a solicitar el más leve favor, ni siquiera a dar ninguna señal que demuestra su deseo, y cuando en el paseo quiere pasar el brazo bajo el suyo, gracia que no permite que se convierta en derecho, apenas él se atreve a estrechar el brazo contra su pecho. No obstante, después de una larga sujeción, se aventura a besar con disimulo su vestido, y muchas veces es tan feliz que ella consiente y hace como si no lo viese. Un día que quiere tomarse con más franqueza la misma libertad, se le ocurre a ella enfadarse. El se empeña, ella se irrita, .y la indignación le dicta algunas expresiones un poco duras; Emilio no las tolera sin replicar y están serios todo lo que resta del día; luego se separan muy disgustados. |
Sophie est mal à son aise. Sa mère est sa confidente ; comment lui cacherait-elle son chagrin ? C’est sa première brouillerie ; et une brouillerie d’une heure est une si grande affaire ! Elle se repent de sa faute : sa mère lui permet de la réparer, son père le lui ordonne. | Sofía está fuera de sí. Su madre es su confidente. ¿:Cómo ha de esconder su sentimiento? Esta es su primera riña, y una riña de una hora es un asunto de mucha importancia. Está arrepentida de su culpa, su madre le permite que la repare y su padre se lo ordena. |
Le lendemain, Émile, inquiet, revient plus tôt qu’à l’ordinaire. Sophie est à la toilette de sa mère, le père est aussi dans la même chambre : Émile entre avec respect, mais d’un air triste. À peine le père et la mère l’ont-ils salué, que Sophie se retourne, et, lui présentant la main, lui demande, d’un ton caressant, comment il se porte. Il est clair que cette jolie main ne s’avance ainsi que pour être baisée : il la reçoit et ne la baise pas. Sophie, un peu honteuse, la retire d’aussi bonne grâce qu’il lui est possible. Émile, qui n’est pas fait aux manières des femmes, et qui ne sait à quoi le caprice est bon, ne l’oublie pas aisément et ne s’apaise pas si vite. Le père de Sophie, la voyant embarrassée, achève de la déconcerter par des railleries. La pauvre fille, confuse, humiliée, ne sait plus ce qu’elle fait, et donnerait tout au monde pour oser pleurer. Plus elle se contraint, plus son cœur se gonfle ; une larme s’échappe enfin malgré qu’elle en ait. Émile voit cette larme, se précipite à ses genoux, lui prend la main, la baise plusieurs fois avec saisissement. Ma foi, vous êtes trop bon, dit le père en éclatant de rire ; j’aurais moins d’indulgence pour toutes ces folles, et je punirais la bouche qui m’aurait offensé. Émile, enhardi par ce discours, tourne un œil suppliant vers la mère, et, croyant voir un signe de consentement, s’approche en tremblant du visage de Sophie, qui détourne la tête, et, pour sauver la bouche, expose une joue de roses. L’indiscret ne s’en contente pas ; on résiste faiblement. Quel baiser, s’il n’était pas pris sous les yeux d’une mère ! Sévère Sophie, prenez garde à vous ; on vous demandera souvent votre robe à baiser, à condition que vous la refuserez quelquefois. | El día siguiente, Emilio, inquieto, vuelve antes de lo acostumbrado; Sofía está en el gabinete de su madre y su padre también está allí; Emilio entra muy respetuosamente, pero con gesto triste. Después de saludar al padre y a la madre, se vuelve a Sofía, le tiende la mano y con voz cariñosa le pregunta cómo está. Bien se ve que esta bonita mano se adelanta así para que se la besen, pero Emilio la coge y no la besa. Algo avergonzada, Sofía la retira como mejor puede. Emilio, que no está acostumbrado a las maneras de las mujeres, no sabe para qué sirven los caprichos, no los olvida con facilidad ni se apacigua tan pronto. Viéndola confusa, el padre acaba de confundirla con su risa. La pobre muchacha, avergonzada, humillada, no sabe qué hacer y lo daría todo para poder llorar. Cuanto más se contiene, más se le aprieta el corazón, y, por último, a pesar suyo, le brilla una lágrima. Emilio ve esa lágrima, se arroja a los pies de Sofía, le coge una mano y la besa con arrebato muchas veces. «La verdad es que sois demasiado bueno -dice el padre, soltando una carcajada-, y yo sería menos indulgente con esas locuelas y castigaría la boca que me hubiese ofendido.» Emilio, alentado con estas palabras, mira con ojos suplicantes a la madre, y creyendo observar una señal de asentimiento, temblando se acerca al rostro de Sofía, quien desvía la cabeza, y para librar la boca presenta su sonrojada mejilla. El imprudente no se contenta, y ella se resiste con blandura. ¡Qué beso si no lo recibiese delante de su madre! Severa, Sofía, tened mucho cuidado; muchas veces os pedirán vuestro vestido para besarlo, con la condición de que lo neguéis algunas. |
Après cette exemplaire punition, le père sort pour quelque affaire ; la mère envoie Sophie sous quelque prétexte, puis elle adresse la parole à Émile et lui dit d’un ton sérieux : | Después de este castigo ejemplar, el padre se va a sus asuntos, la madre despide a Sofía alegando un pretexto, y luego se dirige a Emilio y le dice en un tono bastante serio- |
« Monsieur, je crois qu’un jeune homme aussi bien né, aussi bien élevé que vous, qui a des sentiments et des mœurs, ne voudrait pas payer du déshonneur d’une famille l’amitié qu’elle lui témoigne. Je ne suis ni farouche ni prude ; je sais ce qu’il faut passer à la jeunesse folâtre ; et ce que j’ai souffert sous mes yeux vous le prouve assez. Consultez votre ami sur vos devoirs ; il vous dira quelle différence il y a entre les jeux que la présence d’un père et d’une mère autorise et les libertés qu’on prend loin d’eux en abusant de leur confiance, et tournant en pièges les mêmes faveurs qui, sous leurs yeux, ne sont qu’innocentes. Il vous dira, Monsieur, que ma fille n’a eu d’autre tort avec vous que celui de ne pas voir, dès la première fois, ce qu’elle ne devait jamais souffrir ; il vous dira que tout ce qu’on prend pour faveur en devient une, et qu’il est indigne d’un homme d’honneur d’abuser de la simplicité d’une jeune fille pour usurper en secret les mêmes libertés qu’elle peut souffrir devant tout le monde. Car on sait ce que la bienséance peut tolérer en public ; mais on ignore où s’arrête, dans l’ombre du mystère, celui qui se fait seul juge de ses fantaisies. » | «Caballero, creo que un joven de tan buena condición, tan educado como vos, que pasee buenos sentimientos y costumbres, no querrá pagar con el deshonor la amistad que una familia le demuestra. Yo no soy melindrosa ni gazmoña; sé lo que se debe permitir a la festiva juventud, y buena prueba de ello es lo que os he consentido. Consultad a vuestro amigo acerca de vuestras obligaciones, y os dirá la diferencia que hay entre los juegos que autoriza la presencia de un padre y las libertades que lejos de ellos se toman, abusando de su confianza y convirtiendo en lazos los mismos favores que delante de ellos son inocentes. También os diré, caballero, que la única falta que mi hija ha cometido con vos ha sido no atajar desde la primera vez lo que nunca debió permitir; os diré que todo lo que se atribuye a favor lo es, pero es indigno de un hombre de honor abusar de la sencillez de una niña para robarle en secreto los mismos favores que delante de todo el mundo ella puede dispensar. Sabemos lo que el buen parecer tolera en público, pero ignoramos dónde se detiene, si en la oscuridad del misterio, el que se constituye en el único juez de sus fantasías.» |
Après cette juste réprimande, bien plus adressée à moi qu’à mon élève, cette sage mère nous quitte, et me laisse dans l’admiration de sa rare prudence, qui compte pour peu qu’on baise devant elle la bouche de sa fille, et qui s’effraye qu’on ose baiser sa robe en particulier. En réfléchissant à la folie de nos maximes, qui sacrifient toujours à la décence la véritable honnêteté, je comprends pourquoi le langage est d’autant plus chaste que les cœurs sont plus corrompus, et pourquoi les procédés sont d’autant plus exacts que ceux qui les ont sont plus malhonnêtes. | Luego de esta justa reprensión, más bien dirigida a mí que a mi alumno, la prudente madre se va y me deja absorto con esa rara tolerancia que no se alarma de que delante de ella besen a su hija en la boca y se asusta de que a solas se atrevan a besarle el vestido. Reflexionando en lo desatinado de nuestras máximas, que siempre sacrifican la verdadera honestidad a la decencia, comprendo por qué cuanto más estragados están los corazones el idioma es más casto, y los procedimientos más correctos cuanto más ruines los que los utilizan. |
En pénétrant, à cette occasion, le cœur d’Émile des devoirs que j’aurais dû plutôt lui dicter, il me vient une réflexion nouvelle, qui fait peut-être le plus d’honneur à Sophie, et que je me garde pourtant bien de communiquer à son amant ; c’est qu’il est clair que cette prétendue fierté qu’on lui reproche n’est qu’une précaution très sage pour se garantir d’elle-même. Ayant le malheur de se sentir un tempérament combustible, elle redoute la première étincelle et l’éloigne de tout son pouvoir. Ce n’est pas par fierté qu’elle est sévère, c’est par humilité. Elle prend sur Émile l’empire qu’elle craint de n’avoir pas sur Sophie ; elle se sert de l’un pour combattre l’autre. Si elle était plus confiante, elle serait bien moins fière. Otez ce seul point, quelle fille au monde est plus facile et plus douce ? qui est-ce qui supporte plus patiemment une offense ? qui est-ce qui craint plus d’en faire à autrui ? qui est-ce qui a moins de prétentions en tout genre, hors la vertu ? Encore n’est-ce pas de sa vertu qu’elle est fière, elle ne l’est que pour la conserver ; et quand elle peut se livrer sans risque au penchant de son cœur, elle caresse jusqu’à son amant. Mais sa discrète mère ne fait pas tous ces détails à son père même : les hommes ne doivent pas tout savoir. | Con este motivo, inculcando yo en el corazón de Emilio las obligaciones que le debí dictar antes, se me ocurre una nueva reflexión que tal vez honra en mayor grado a Sofía, pero que, no obstante, me guardo de comunicar a su enamorado, y es que la pretendida soberbia de que la acusan no es más que una precaución muy sensata para guardarse a sí misma. Como tiene la desdicha de sentirse con un temperamento ardiente, teme la primera chispa, y la desvía con todo su poder. No es severa por soberbia, sino por humildad. Con Emilio toma el dominio que teme no tener para sí, y recurre al uno para contrarrestar el otro. Si fuera más confiada, sería menos altiva. Exceptuando esto, ¿:qué doncella hay en el mundo que sea más fácil y más dócil? ¿:Quién que con mayor paciencia sufra un agravio. ¿:Quién que sienta más agraviar a otro? ¿:Quién que no presuma de algo que no sea de su virtud? Ni tampoco se envanece de su virtud, o si se envanece es sólo para conservarla, y cuando puede abandonarse sin peligro a las inclinaciones de su corazón, hasta a su prometido acaricia. Pero su prudente madre no explica estas circunstancias ni siquiera a su propio padre, pues los hombres no tienen porqué saberlo todo. |
Loin même qu’elle semble s’enorgueillir de sa conquête, Sophie en est devenue encore plus affable et moins exigeante avec tout le monde, hors peut-être le seul qui produit ce changement. Le sentiment de l’indépendance n’enfle plus son noble cœur. Elle triomphe avec modestie d’une victoire qui lui coûte sa liberté. Elle a le maintien moins libre et le parler plus timide depuis qu’elle n’entend plus le mot d’amant sans rougir ; mais le contentement perce à travers son embarras, et cette honte elle-même n’est pas un sentiment fâcheux. C’est surtout avec les jeunes survenants que la différence de sa conduite est le plus sensible. Depuis qu’elle ne les craint plus, l’extrême réserve qu’elle avait avec eux s’est beaucoup relâchée. Décidée dans son choix, elle se montre sans scrupule gracieuse aux indifférents ; moins difficile sur leur mérite depuis qu’elle n’y prend plus d’intérêt, elle les trouve toujours assez aimables pour des gens qui ne lui seront jamais rien. | Lejos de parecer orgullosa con su conquista, Sofía todavía se ha vuelto más afable y menos esquiva con todo el mundo, excepto con el único que ha coaccionado su cambio. El sentimiento de la independencia ya no la engríe y con modestia triunfa en una batalla que ha recortado su libertad. Se presenta con menos desenvoltura y tiene el hablar más tímido desde que no oye sin sonrojarse la voz de su amante, pero entre el encogimiento se observa su satisfacción, y su misma vergüenza no es un sentimiento que la aflija. La diferencia de su conducta es más palpable, especialmente con los jóvenes que se presentan. Desde que les ha perdido el miedo, ha cedido mucho la excesiva reserva con que los trataba. Decidida su selección, se muestra obsequiosa sin reparo con los indiferentes, desde que no le interesan, y siempre encuentra la correcta amabilidad en gentes con las que nada de común puede tener. |
Si le véritable amour pouvait user de coquetterie, j’en croirais même voir quelques traces dans la manière dont Sophie se comporte avec eux en présence de son amant. On dirait que non contente de l’ardente passion dont elle l’embrase par un mélange exquis de réserve et de caresse, elle n’est pas fâchée encore d’irriter cette même passion par un peu d’inquiétude ; on dirait qu’égayant à dessein ses jeunes hôtes, elle destine au tourment d’Émile les grâces d’un enjouement qu’elle n’ose avoir avec lui : mais Sophie est trop attentive, trop bonne, trop judicieuse, pour le tourmenter en effet. Pour tempérer ce dangereux stimulant, l’amour et l’honnêteté lui tiennent lieu de prudence : elle sait l’alarmer et le rassurer précisément quand il faut ; et si quelquefois elle l’inquiète, elle ne l’attriste jamais. Pardonnons le souci qu’elle donne à ce qu’elle aime à la peur qu’elle a qu’il ne soit jamais assez enlacé. | Si el verdadero amor pudiera hacer uso de la coquetería, yo creería ver algunos vestigios de ella en la forma como Sofía, en presencia de su enamorado, se comporta con ellos. Se diría que no satisfecha con la ardiente pasión que por una mezcla exquisita de reserva y cariño le abrasa, se complace en irritar todavía esa misma pasión con alguna inquietud; que divirtiendo intencionadamente a los jóvenes, huéspedes suyos, agrava el tormento de Emilio demostrándoles una jovialidad que con él no se atreve a usar, pero Sofía es demasiado atenta, buena y juiciosa, para atormentarle. El amor y la honestidad sustituyen en ella a la prudencia para frenar ese peligroso estimulante; cuando es preciso sabe alarmarle y tranquilizarle en el acto, y si alguna vez le inquieta, nunca le entristece. Debemos disculpar la zozobra que causa al que ama por el temor de que nunca está bastante sujeto. |
Mais quel effet ce petit manège fera-t-il sur Émile ? Sera-t-il jaloux ? ne le sera-t-il pas ? C’est ce qu’il faut examiner : car de telles digressions entrent aussi dans l’objet de mon livre et m’éloignent peu de mon sujet. | Pero, ¿:qué efecto causará en Emilio este juguete? ¿:Tendrá celos o no los tendrá? Esto es motivo de examen, puesto que semejantes digresiones forman parte del objeto de mi libro y me apartan poco de mi asunto. |
J’ai fait voir précédemment comment, dans les choses qui ne tiennent qu’à l’opinion, cette passion s’introduit dans le cœur de l’homme. Mais en amour c’est autre chose ; la jalousie paraît alors tenir de si près à la nature, qu’on a bien de la peine à croire qu’elle n’en vienne pas ; et l’exemple même des animaux, dont plusieurs sont jaloux jusqu’à la fureur, semble établir le sentiment opposé sans réplique. Est-ce l’opinion des hommes qui apprend aux coqs à se mettre en pièces, et aux taureaux à se battre jusqu’à la mort ? | Hice observar antes cómo en las cosas que sólo dependen de la opinión, se introduce esta pasión en el corazón del hombre. Pero en el amor es muy diferente; entonces los celos parecen estar tan unidos con la naturaleza que con dificultad se puede creer que no provengan de ella, y el mismo ejemplo de los animales, muchos de los cuales tienen furiosos celos, establece sin apariencias de réplica el dictamen opuesto. ¿:La opinión de los hombres es que aprenden de los gallos a despedazarse, y de los toros a batirse hasta matarse? |
L’aversion contre tout ce qui trouble et combat nos plaisirs est un mouvement naturel, cela est incontestable. Jusqu’à certain point le désir de posséder exclusivement ce qui nous plaît est encore dans le même cas. Mais quand ce désir, devenu passion, se transforme en fureur ou en une fantaisie ombrageuse et chagrine appelée jalousie, alors c’est autre chose ; cette passion peut être naturelle, ou ne l’être pas : il faut distinguer. | El sentir aversión hacia todo lo que perturba nuestros gustos y se opone a ellos es muy natural; en esto no cabe discusión alguna. Hasta cierto punto también se halla en el mismo caso el deseo de poseer exclusivamente lo que nos complace. Pero cuando volviéndose en pasión, ese deseo se convierte en furor, o en el triste y tenebroso desvarío llamado celos, entonces es otra cosa; esta pasión puede ser o no ser natural. Importa distinguir. |
L’exemple tiré des animaux a été ci-devant examiné dans le Discours sur l’Inégalité ; et maintenant que j’y réfléchis de nouveau, cet examen me paraît assez solide pour oser y renvoyer les lecteurs. J’ajouterai seulement aux distinctions que j’ai faites dans cet écrit que la jalousie qui vient de la nature tient beaucoup à la puissance du sexe, et que, quand cette puissance est ou paraît être illimitée, cette jalousie est à son comble ; car le mâle alors, mesurant ses droits sur ses besoins, ne peut jamais voir un autre mâle que comme un importun concurrent. Dans ces mêmes espèces, les femelles, obéissant toujours au premier venu, n’appartiennent aux mâles que par le droit de conquête, et causent entre eux des combats éternels. | El ejemplo sacado de los animales está examinado en el Discurso sobre la desigualdad, y ahora que de nuevo reflexiono sobre ello, ese examen me parece tan sólido que me atrevo a remitir a él a mis lectores, y sólo añadiré a las distinciones de mi escrito que los celos que provienen de la naturaleza tienen mucho enlace con la potencia del sexo, y cuando esta potencia es o parece ser ilimitada, los celos llegan al mayor exceso, porque como entonces el macho mide sus derechos por sus necesidades, no puede mirar a otro macho sino como a un adversario importuno. En estas mismas especies, las hembras obedecen siempre al primero que llega y perteneciendo de este modo a los machos por derecho de conquista, provocan entre ellos combates eternos. |
Au contraire, dans les espèces où un s’unit avec une, où l’accouplement produit une sorte de lien moral, une sorte de mariage, la femelle, appartenant par son choix au mâle qu’elle s’est donné, se refuse communément à tout autre ; et le mâle ayant pour garant de sa fidélité cette affection de préférence, s’inquiète aussi moins de la vue des autres mâles, et vit plus paisiblement avec eux. Dans ces espèces, le mâle partage le soin des petits ; et par une de ces lois de la nature qu’on n’observe point sans attendrissement, il semble que la femelle rende au père l’attachement qu’il a pour ses enfants. | Por el contrario, en las especies en que un macho se une con una hembra, en que el emparejamiento produce una especie de vínculo moral, una especie de matrimonio, perteneciendo la hembra por elección suya al macho que ha escogido, generalmente se niega a cualquier otro, y como el macho confía en la fidelidad de ella por el cariño de que es objeto, siente menos inquietud a la vista de otros machos y vive más pacíficamente con ellos. En estas especies, el macho toma parte en el cuidado de los hijos, y por una de las leyes de la naturaleza que se observan con enternecimiento, parece que la hembra agradece al padre el cariño que tiene puesto en sus hijos. |
Or, à considérer l’espèce humaine dans sa simplicité primitive, il est aisé de voir, par la puissance bornée du mâle et par la tempérance de ses désirs, qu’il est destiné par la nature à se contenter d’une seule femelle ; ce qui se confirme par l’égalité numérique des individus des deux sexes, au moins dans nos climats ; égalité qui n’a pas lieu, à beaucoup près, dans les espèces où la plus grande force des mâles réunit plusieurs femelles à un seul. Et bien que l’homme ne couve pas comme le pigeon, et que n’ayant pas non plus des mamelles pour allaiter, il soit à cet égard dans la classe des quadrupèdes, les enfants sont si longtemps rampants et faibles, que la mère et eux se passeraient difficilement de l’attachement du père, et des soins qui en sont l’effet. | Si se considera a la especie humana en su primitiva sencillez, es fácil ver la limitada potencia del macho y la templanza de sus deseos, que fue destinado por la naturaleza a contentarse con una sola hembra, y esto lo confirma la igualdad numérica de los individuos de ambos sexos, por lo menos en nuestros climas; igualdad que, ni con mucho, existe en las especies en que la mayor fuerza de los machos agrupa muchas hembras para uno solo. Y si bien el hombre no empolla como el palomo, careciendo de mamilas para criar a sus vástagos; se encuentra bajo este aspecto en la clase de los cuadrúpedos: son débiles y se arrastran durante tanto tiempo los pequeños, que con dificultad podrían ellos y la madre vivir sin la protección del padre. |
Toutes les observations concourent donc à prouver que la fureur jalouse des mâles, dans quelques espèces d’animaux, ne conclut point du tout pour l’homme ; et l’exception même des climats méridionaux, où la polygamie est établie, ne fait que mieux confirmer le principe, puisque c’est de la pluralité des femmes que vient la tyrannique précaution des maris, et que le sentiment de sa propre faiblesse porte l’homme à recourir à la contrainte pour éluder les lois de la nature. | Todas las observaciones contribuyen a demostrar que el furor celoso de los machos en algunas especies de animales, no prueba nada con respecto al hombre, y hasta la excepción de los climas meridionales, donde se halla establecida la poligamia, no hace más que confirmar este principio, porque de la pluralidad de las mujeres proviene la tiránica precaución de los maridos, y el sentimiento de su propia flaqueza incita al hombre a que recurra a la sujeción para eludir las leyes de la naturaleza. |
Parmi nous, où ces mêmes lois, en cela moins éludées, le sont dans un sens contraire et plus odieux, la jalousie a son motif dans les passions sociales plus que dans l’instinct primitif. Dans la plupart des liaisons de galanterie, l’amant hait bien plus ses rivaux qu’il n’aime sa maîtresse ; s’il craint de n’être pas seul écouté, c’est l’effet de cet amour-propre dont j’ai montré l’origine, et la vanité pâtit en lui bien plus que l’amour. D’ailleurs nos maladroites institutions ont rendu les femmes si dissimulées [119], et ont si fort allumé leurs appétits, qu’on peut à peine compter sur leur attachement le mieux prouvé, et qu’elles ne peuvent plus marquer de préférences qui rassurent sur la crainte des concurrents. | Entre nosotros, donde estas mismas leyes menos eludidas en esta parte lo son en sentido contrario y más odioso, el motivo de los celos se funda más en las pasiones sociales que en el instinto primitivo. En la mayor parte de las relaciones de amor, el amante más odia a sus rivales que lo que quiere a su amada, y si teme no ser el único favorecido, es debido al, amor propio, cuyo origen he demostrado, y su vanidad sufre mucho más que su amor. Por otra parte, nuestras torpes instituciones han hecho a nuestras mujeres tan disimuladas [16] , y han inflamado tanto sus apetitos, que casi no se puede contar con el cariño mejor probado, y ellas ya no pueden demostrar preferencias que extingan el miedo a los rivales. |
Pour l’amour véritable, c’est autre chose. J’ai fait voir, dans l’écrit déjà cité, que ce sentiment n’est pas aussi naturel que l’on pense ; et il y a bien de la différence entre la douce habitude qui affectionne l’homme à sa compagne, et cette ardeur effrénée qui l’enivre des chimériques attraits d’un objet qu’il ne voit plus tel qu’il est. Cette passion, qui ne respire qu’exclusions et préférences, ne diffère en ceci de la vanité, qu’en ce que la vanité, exigeant tout et n’accordant rien, est toujours inique ; au lieu que l’amour, donnant autant qu’il exige, est par lui-même un sentiment rempli d’équité. D’ailleurs plus il est exigeant, plus il est crédule : la même illusion qui le cause le rend facile à persuader. Si l’amour est inquiet, l’estime est confiante ; et jamais l’amour sans estime n’exista dans un cœur honnête, parce que nul n’aime dans ce qu’il aime que les qualités dont il fait cas. | En cuanto al verdadero amor, es una cosa muy distinta. Ya observé en el escrito señalado antes que este afecto no es tan natural como se piensa, y que existe una gran diferencia entre el dulce hábito que aficiona al hombre a su compañera y el ardor desenfrenado que le embriaga. Esta pasión, que sólo respira exclusiones y preferencias, se diferencia de la vanidad en que, como ésta todo lo exige y nada otorga, siempre es inicua, y el amor, dándole todo lo que exige, es por sí mismo un afecto lleno de equidad. Por otra parte, cuanto mayor es su exigencia, mayor es su credulidad; la misma ilusión que le causa facilita el convencerle. Si el amor es inquieto, la estimación es confiada, y nunca en un corazón honrado ha existido amor sin estimación, porque nadie ama en el objeto amado otras cualidades que las que aprecia. |
Tout ceci bien éclairci, l’on peut dire, à coup sûr, de quelle sorte de jalousie Émile sera capable ; car, puisqu’à peine cette passion a-t-elle un germe dans le cœur humain, sa forme est déterminée uniquement par l’éducation. Émile amoureux et jaloux ne sera point colère, ombrageux, méfiant, mais délicat, sensible et craintif ; il sera plus alarmé qu’irrité ; il s’attachera bien plus à gagner sa maîtresse qu’à menacer son rival ; il l’écartera, s’il peut, comme un obstacle, sans le haïr comme un ennemi ; s’il le hait, ce ne sera pas pour l’audace de lui disputer un cœur auquel il prétend, mais pour le danger réel qu’il lui fait courir de le perdre ; son injuste orgueil ne s’offensera point sottement qu’on ose entrer en concurrence avec lui ; comprenant que le droit de préférence est uniquement fondé sur le mérite, et que l’honneur est dans le succès, il redoublera de soins pour se rendre aimable, et probablement il réussira. La généreuse Sophie, en irritant son amour par quelques alarmes, saura bien les régler, l’en dédommager ; et les concurrents, qui n’étaient soufferts que pour le mettre à l’épreuve, ne tarderont pas d’être écartés. | Puesto en claro todo esto, puede decirse con certeza de qué especie de celos es capaz Emilio, porque en cuanto el germen de esa pasión apunta en el corazón humano, sólo la educación determina su forma. Enamorado y celoso, Emilio no será sañudo, suspicaz, desconfiado, sino delicado, sensible y tímido; estará más alarmado que irritado, y se esforzará más por ganar a su dama que en amenazar a su rival; le desviará, si puede, como un obstáculo, sin odiarle como a un enemigo; si le aborrece, no será porque se atreve a disputarle un corazón que sabe suyo, sino por el peligro de perderle; su orgullo no se ofenderá neciamente porque otro se declare rival suyo; convencido de que el derecho de preferencia se funda únicamente en el mérito, y que en el triunfo está vinculada la honra, su sentimiento le impulsará a ser amable y probablemente lo conseguirá. Si la generosa Sofía irrita su amor con algunos sobresaltos, sabrá regularlos y reparar el daño, y no tardará en expulsar los rivales que únicamente consentía por ponerle a prueba. |
Mais où me sens-je insensiblement entraîné ? O Émile, qu’es-tu devenu ? Puis-je reconnaître en toi mon élève ? Combien je te vois déchu ! Où est ce jeune homme formé si durement, qui bravait les rigueurs des saisons, qui livrait son corps aux plus rudes travaux et son âme aux seules lois de la sagesse ; inaccessible aux préjugés, aux passions ; qui n’aimait que la vérité, qui ne cédait qu’à la raison, et ne tenait à rien de ce qui n’était pas lui ? Maintenant, amolli dans une vie oisive, il se laisse gouverner par des femmes ; leurs amusements sont ses occupations, leurs volontés sont ses lois ; une jeune fille est l’arbitre de sa destinée ; il rampe et fléchit devant elle ; le grave Émile est le jouet d’un enfant ! | ¿:Pero adónde me veo arrastrado sin darme cuenta? ¡Ah, Emilio!, ¿:cómo eres ahora? ¿:Puedo reconocer en ti a mi alumno? ¡Qué decaído te veo! ¿:Dónde está aquel joven formado con tanta dureza, que arrostraba los rigores de las estaciones, que entregaba su cuerpo a los más rudos trabajos y su alma a las leyes de la sabiduría; inaccesible a la preocupación y a las pasiones, que sólo amaba a la verdad, únicamente cedía a la razón y sólo lo que había en él le interesaba? Ahora, entregado a una vida ociosa, se deja gobernar por mujeres; sus ocupaciones son simples pasatiempos, y sus lees la voluntad de una mujer; una joven es el árbitro de su destino; se postra, se arrastra por el suelo ante ella y el grave Emilio es el juguete de una criatura. |
Tel est le changement des scènes de la vie : chaque âge a ses ressorts qui le font mouvoir ; mais l’homme est toujours le même. À dix ans, il est mené par des gâteaux, à vingt par une maîtresse, à trente par les plaisirs, à quarante par l’ambition, à cinquante par l’avarice : quand ne court-il qu’après la sagesse ? Heureux celui qu’on y conduit malgré lui ! Qu’importe de quel guide on se serve, pourvu qu’il le mène au but ? Les héros, les sages eux-mêmes, ont payé ce tribut à la faiblesse humaine ; et tel dont les doigts ont cassé des fuseaux n’en fut pas pour cela moins grand homme. | Tal es el cambio de las escenas de la vida; cada edad posee sus resortes que la hacen mover, pero el hombre siempre es el mismo. A los diez años se le domina con pasteles y a los veinte con una amada; a los treinta son los deleites, a los cuarenta es la ambición, a los cincuenta es la avaricia..., ¿:y cuándo persigue la sabiduría? Dichoso es el que llega a ella aun contra su voluntad. ¿:Qué importa el guía de que nos sirvamos con tal que nos lleve a la meta? Los héroes, y hasta los mismos sabios, han pagado este tributo a la flaqueza humana, y hasta hubo quien rompió husos con sus dedos, y no por eso dejó de ser un gran hombre. |
Voulez-vous étendre sur la vie entière l’effet d’une heureuse éducation, prolongez durant la jeunesse les bonnes habitudes de l’enfance ; et, quand votre élève est ce qu’il doit être, faites qu’il soit le même dans tous les temps. Voilà la dernière perfection qu’il vous reste à donner à votre ouvrage. C’est pour cela surtout qu’il importe de laisser un gouverneur aux jeunes hommes ; car d’ailleurs il est peu à craindre qu’ils ne sachent pas faire l’amour sans lui. Ce qui trompe les instituteurs, et surtout les pères, c’est qu’ils croient qu’une manière de vivre en exclut une autre, et qu’aussitôt qu’on est grand on doit renoncer à tout ce qu’on faisait étant petit. Si cela était, à quoi servirait de soigner l’enfance, puisque le bon ou le mauvais usage qu’on en ferait s’évanouirait avec elle, et qu’en prenant des manières de vivre absolument différentes, on prendrait nécessairement d’autres façons de penser. | La eficacia de una feliz educación, ¿:queréis que se extienda a la vida entera? Pues prolongad durante la juventud los buenos hábitos de la niñez, y cuando vuestro alumno sea lo que deba ser, procurad que continúa siendo el mismo en todos los tiempos. Esta es la perfección que os falta dar a vuestra obra. Por esto particularmente es importante el dejar un ayo a los jóvenes; en cuanto a los demás, no hay que temer que sin él no sepan enamorar. Lo que engaña a los instructores, y más a los padres, es que se figuran que un modo de vivir excluye otro, y que cuando uno es mayor debe renunciar a todo lo que hacía siendo pequeño, pero si fuese así, ¿:de qué serviría cuidar de la infancia, puesto que del buen o mal uso que hiciesen de ella dependería todo, y tomando modos de vivir absolutamente diversos, por necesidad adquirirían otros modos de pensar? |
Comme il n’y a que de grandes maladies qui fassent solution de continuité dans la mémoire, il n’y a guère que de grandes passions qui la fassent dans les mœurs. Bien que nos goûts et nos inclinaisons changent, ce changement, quelquefois assez brusque, est adouci par les habitudes. Dans la succession de nos penchants, comme dans une bonne dégradation de couleurs, l’habile artiste doit rendre les passages imperceptibles, confondre et mêler les teintes, et, pour qu’aucune ne tranche, en étendre plusieurs sur tout son travail. Cette règle est confirmée par l’expérience ; les gens immodérés changent tous les jours d’affections, de goûts, de sentiments, et n’ont pour toute constance que l’habitude du changement ; mais l’homme réglé revient toujours à ses anciennes pratiques, et ne perd pas même dans sa vieillesse le goût des plaisirs qu’il aimait enfant. | Como sólo las graves enfermedades constituyen una solución de continuidad en la memoria, así también las pasiones fuertes nacen de las costumbres, y si bien nuestros gustos y nuestras inclinaciones varían, esta mudanza, a veces atropellada, se suaviza con los hábitos. En la sucesión de nuestras inclinaciones, como en una buena gradación de colores, el artista debe hacer imperceptibles los pasos, confundir y mezclar las tintas, y para que no sobresalga ninguna, extenderá muchas en el lienzo. Esta regla la confirma la experiencia; las personas inmoderadas mudan de aficiones todos los días, de gustos y sentimientos, y sólo en el vicio de variar son constantes, pero el hombre ordenado vuelve siempre a sus antiguas costumbres, y ni en la vejez pierde el gusto de los deleites que amaba de niño. |
Si vous faites qu’en passant dans un nouvel âge les jeunes gens ne prennent point en mépris celui qui l’a précédé, qu’en contractant de nouvelles habitudes ils n’abandonnent point les anciennes, et qu’ils aiment toujours à faire ce qui est bien, sans égard au temps où ils ont commencé, alors seulement vous aurez sauvé votre ouvrage, et vous serez sûrs d’eux jusqu’à la fin de leurs jours ; car la révolution la plus à craindre est celle de l’âge sur lequel vous veillez maintenant. Comme on le regrette toujours, on perd difficilement dans la suite les goûts qu’on y a conservés ; au lieu que, quand ils sont interrompus, on ne les reprend de la vie. | Si procuráis que cuando los jóvenes pasan a una nueva edad no desprecien la anterior, que cuando con. traigan nuevos hábitos no abandonen los antiguos, y que siempre quieran hacer lo que está bien, sin tener en cuenta el tiempo en que empezaron a hacerlo, sólo entonces habréis puesto a salvo vuestra obra y estaréis seguros de ellos hasta el fin de su vida, porque la revolución más temible es la de la edad que ahora veláis. Como siempre sentimos su falta con tristeza, perderemos más tarde los gustos que hemos conservado, pero una vez interrumpidos, ya no se recobran. |
La plupart des habitudes que vous croyez faire contracter aux enfants et aux jeunes gens ne sont point de véritables habitudes, parce qu’ils ne les ont prises que par force, et que, les suivant malgré eux, ils n’attendent que l’occasion de s’en délivrer. On ne prend point le goût d’être en prison à force d’y demeurer ; l’habitude alors, loin de diminuer l’aversion, l’augmente. Il n’en est pas ainsi d’Émile, qui, n’ayant rien fait dans son enfance que volontairement et avec plaisir, ne fait, en continuant d’agir de même étant homme, qu’ajouter l’empire de l’habitude aux douceurs de la liberté. La vie active, le travail des bras, l’exercice, le mouvement, lui sont tellement devenus nécessaires, qu’il n’y pourrait renoncer sans souffrir. Le réduire tout à coup à une vie molle et sédentaire serait l’emprisonner, l’enchaîner, le tenir dans un état violent et contraint ; je ne doute pas que son humeur et sa santé n’en fussent également altérées. À peine peut-il respirer à son aise dans une chambre bien fermée ; il lui faut le grand air, le mouvement, la fatigue. Aux genoux même de Sophie, il ne peut s’empêcher de regarder quelquefois la campagne du coin de l’œil, et de désirer de la parcourir avec elle. Il reste pourtant quand il faut rester ; mais il est inquiet, agité ; il semble se débattre ; il reste parce qu’il est dans les fers. Voilà donc, allez-vous dire, des besoins auxquels je l’ai soumis, des assujettissements que je lui ai donnés : et tout cela est vrai ; je l’ai assujetti à l’état d’homme. | La mayor parte de los hábitos que hacéis contraer a los niños jóvenes no son verdaderos hábitos, porque los han adquirido a la fuerza, y como los siguen contra su voluntad, únicamente aguardan la ocasión para dejarlos. Nadie se aficiona a la cárcel por vivir en ella; entonces el hábito, lejos de disminuirla, aumenta la aversión. Con Emilio no sucede así, pues, no habiendo hecho en su niñez nada que no fuese voluntariamente y con agrado, si continúa haciendo lo mismo cuando es hombre, a la dulzura de la libertad añade el placer de la costumbre. La vida activa, los trabajos manuales, el ejercicio, el movimiento, se le han hecho necesarios de tal manera, que no podría renunciar a ellos sin molestia. Sería aprisionarle, encadenarle, retenerle en un estado de violencia y apremio el reducirle a una vida sedentaria, y no dudo que su índole y su salud se resentirían. Apenas si respira a su gusto en una habitación cerrada, y necesita aire libre, movimiento y fatiga. Hasta estando con Sofía mira con codicia el campo y desea correr con ella. Sin embargo, cuando es preciso está parado, pero se siente inquieto, agitado, parece que lucha, consigo mismo; no se mueve porque se encuentra encadenado. Me diréis que son necesidades a las cuales yo le he amoldado, sujeciones que le he impuesto, y es verdad: le he sujetado al estado del hombre. |
Émile aime Sophie ; mais quels sont les premiers charmes qui l’ont attaché ? La sensibilité, la vertu, l’amour des choses honnêtes. En aimant cet amour dans sa maîtresse, l’aurait-il perdu pour lui-même ? À quel prix à son tour Sophie s’est-elle mise ? À celui de tous les sentiments qui sont naturels au cœur de son amant : l’estime des vrais biens, la frugalité, la simplicité, le généreux désintéressement, le mépris du faste et des richesses. Émile avait ces vertus avant que l’amour les eût imposées. En quoi donc Émile est-il véritablement changé ? Il a de nouvelles raisons d’être lui-même ; c’est le seul point où il soit différent de ce qu’il était. | Emilio ama a Sofía, ¿:pero cuáles son los primeros encantos que le han enamorado? La sensibilidad, la virtud, el amor de las cosas honestas. Si ama ese amor en su dama, ¿:cómo le ha de haber perdido por sí mismo? ¿:Qué precio se ha puesto Sofía? El de todos los afectos que son naturales en el corazón de su amante: la estimación de los verdaderos bienes, la frugalidad, la sencillez, el desinterés generoso, el menosprecio del fausto y las riquezas. Antes de que el amor le hubiera impuesto estas virtudes, Emilio ya las poseía. ¿:Pues, en qué ha cambiado? Tiene nuevos motivos para ser el mismo, y únicamente en este punto se diferencia de lo que era antes. |
Je n’imagine pas qu’en lisant ce livre avec quelque attention, personne puisse croire que toutes les circonstances de la situation où il se trouve se soient ainsi rassemblées autour de lui par hasard. Est-ce par hasard que, les villes fournissant tant de filles aimables, celle qui lui plaît ne se trouve qu’au fond d’une retraite éloignée ? Est-ce par hasard qu’il la rencontre ? Est-ce par hasard qu’ils se conviennent ? Est-ce par hasard qu’ils ne peuvent loger dans le même lieu ? Est-ce par hasard qu’il ne trouve un asile que si loin d’elle ? Est-ce par hasard qu’il la voit si rarement, et qu’il est forcé d’acheter par tant de fatigues le plaisir de la voir quelquefois ? Il s’effémine, dites-vous. Il s’endurcit, au contraire ; il faut qu’il soit aussi robuste que je l’ai fait pour résister aux fatigues que Sophie lui fait supporter. | No pienso que nadie que lea este libro con alguna atención crea que se han reunido por casualidad todas las circunstancias de la situación en que Emilio se encuentra. ¿:Es casualidad el que, ofreciendo las ciudades tantas jóvenes amables, la que le gusta esté en un sitio tan lejano y aislado? ¿:Es una casualidad el dar con ella? ¿:Es .una casualidad si se convienen? ¿:Es casualidad si no pueden vivir en el mismo lugar? ¿:Es casualidad si la ve tan pocas veces y está obligado a tantas fatigas para darse la satisfacción de verla? Decís que se afemina, y por el contrario se endurece, y es preciso que sea tan robusto como yo le he formado para resistir las fatigas que Sofía le hace sufrir. |
Il loge à deux grandes lieues d’elle. Cette distance est le soufflet de la forge ; c’est par elle que je trempe les traits de l’amour. S’ils logeaient porte à porte, ou qu’il pût l’aller voir mollement assis dans un bon carrosse, il l’aimerait à son aise, il l’aimerait en Parisien. Léandre eût-il voulu mourir pour Héro, si la mer ne l’eût séparé d’elle ? Lecteur, épargnez-moi des paroles ; si vous êtes fait pour m’entendre, vous suivrez assez mes règles dans mes détails. | Vive a dos leguas de su casa, y esa distancia sirve de estímulo a su amor. Si viviesen puerta por puerta, o si pudiera ir a verla cómodamente sentado en un buen coche, tal vez por esa misma facilidad la amaría menos. ¿:Habría querido morir Leandro por Hero si no les hubiera separado el mar? Ahorradme, lector, más detalles; si sois capaz de entenderme, los seguiréis sin vacilar. |
Les premières fois que nous sommes allés voir Sophie, nous avons pris des chevaux pour aller plus vite. Nous trouvons cet expédient commode, et à la cinquième fois nous continuons de prendre des chevaux. Nous étions attendus ; à plus d’une demi-lieue de la maison, nous apercevons du monde sur le chemin. Émile observe, le cœur lui bat ; il approche, il reconnaît Sophie, il se précipite à bas de son cheval, il part, il vole, il est aux pieds de l’aimable famille. Émile aime les beaux chevaux ; le sien est vif, il se sent libre, il s’échappe à travers champs : je le suis, je l’atteins avec peine, je le ramène. Malheureusement Sophie a peur des chevaux, je n’ose approcher d’elle. Émile ne voit rien ; mais Sophie l’avertit à l’oreille de la peine qu’il a laissé prendre à son ami. Émile accourt tout honteux, prend les chevaux, reste en arrière : il est juste que chacun ait son tour. Il part le premier pour se débarrasser de nos montures. En laissant ainsi Sophie derrière lui, il ne trouve plus le cheval une voiture aussi commode. Il revient essoufflé, et nous rencontre à moitié chemin. | Las primeras veces que fuimos a ver a Sofía, pedimos caballos para llegar más pronto, y nos pareció cómodo, y la quinta vez aún seguimos yendo a caballo. Nos esperan; a más de media legua de la casa vemos gente en el camino. Emilio observa, el corazón le late, se acerca, reconoce a Sofía, salta del caballo, corre, vuela y ya está con la amable familia. Emilio prefiere briosos caballos, y el suyo lo es; se siente libre y corre por el campo; yo le sigo, le alcanzo con mucha dificultad y me lo traigo. Sofía tiene miedo de los caballos y no me atrevo a acercarme a ella. Emilio no ve nada, pero Sofía le dice al oído el trabajo que ha dejado que se tome su amigo. Emilio acude avergonzado, coge los caballos y se queda atrás, pues es justo que le toque a cada uno su vez. Se va el primero para librarse de la montura. Dejando de esta manera a Sofía detrás, ya no encuentra que el caballo sea un medio tan cómodo, y vuelve jadeando y nos encuentra a mitad de camino. |
Au voyage suivant Émile ne veut plus de chevaux. | Al siguiente viaje, Emilio ya no quiere más caballos. |
Pourquoi ? lui dis-je ; nous n’avons qu’à prendre un laquais pour en avoir soin. Ah ! dit-il, surchargerons-nous ainsi la respectable famille ? Vous voyez bien qu’elle veut tout nourrir, hommes et chevaux. Il est vrai, reprends-je, qu’ils ont la noble hospitalité de l’indigence. Les riches, avares dans leur faste, ne logent que leurs amis ; mais les pauvres logent aussi les chevaux de leurs amis. Allons à pied, dit-il ; n’en avez-vous pas le courage, vous qui partagez de si bon cœur les fatigants plaisirs de votre enfant ? Très volontiers, reprends-je à l’instant : aussi bien l’amour, à ce qu’il me semble, ne veut pas être fait avec tant de bruit. | «¿:Por qué? -le digo-; tomaremos un lacayo que cuide de ellos.» «No -me contesta-; ¿:hemos de aumentar los gastos de tan respetable familia? Ya veis que lo quieren mantener todo, hombres y caballos.» «Es verdad -admito-; tienen la noble hospitalidad de la pobreza. Avarientos los ricos en medio de su fausto, sólo alojan a sus amigos, pero los pobres también alojan a los caballos de sus amigos.» «Vamos a pie -dijo; ¿:no tenéis ánimos para ello, vos que con tan buena voluntad compartís las fatigas de vuestro hijo?» «Con mucho gusto», le respondo al momento, y la verdad es que también a mí me parece que no se requiere tanto ruido para enamorar. |
En approchant, nous trouvons la mère et la fille plus loin encore que la première fois. Nous sommes venus comme un trait. Émile est tout en nage : une main chérie daigne lui passer un mouchoir sur les joues. Il y aurait bien des chevaux au monde, avant que nous fussions désormais tentés de nous en servir. | Al llegar hallamos a la madre y a la hija todavía más lejos que la primera vez. Hemos venido como el rayo; Emilio está empapado de sudor; una mano querida se digna enjugarle las mejillas con su pañuelo. Habían de sobrar caballos en el mundo antes de sentir otra vez la tentación de servirnos de ellos. |
Cependant, il est assez cruel de ne pouvoir jamais passer la soirée ensemble. L’été s’avance, les jours commencent à diminuer. Quoi que nous puissions dire, on ne nous permet jamais de nous en retourner de nuit ; et, quand nous ne venons pas dès le matin, il faut presque repartir aussitôt qu’on est arrivé. À force de nous plaindre et de s’inquiéter de nous, la mère pense enfin qu’à la vérité l’on ne peut nous loger décemment dans la maison, mais qu’on peut nous trouver un gîte au village pour y coucher quelquefois. À ces mots Émile frappe des mains, tressaillit de joie ; et Sophie, sans y songer, baise un peu plus souvent sa mère le jour qu’elle a trouvé cet expédient. | No obstante, es muy cruel el no poder permanecer juntos más tiempo que la tarde. El otoño se acerca y empiezan a ser más cortos los días. Por más que nos excusemos, no nos permiten que regresemos de noche, y cuando no venimos por la mañana, tenemos que irnos poco después de llegar. De tanto quejarnos, y compadeciéndose de nosotros, a la madre se le ocurre que no siendo posible alojarnos con decencia en su casa, tal vez se pueda encontrar en el lugar un albergue para pasar algunas veces la noche. Al oír estas palabras, Emilio da palmadas y salta de alegría, y Sofía le da más besos que nunca a su madre el día que se le ocurre esta solución. |
Peu à peu la douceur de l’amitié, la familiarité de l’innocence s’établissent et s’affermissent entre nous. Les jours prescrits par Sophie ou par sa mère, je viens ordinairement avec mon ami, quelquefois aussi je le laisse aller seul. La confiance élève l’âme, et l’on ne doit plus traiter un homme en enfant ; et qu’aurais-je avancé jusque-là, si mon élève ne méritait pas mon estime ? Il m’arrive aussi d’aller sans lui ; alors il est triste et ne murmure point : que serviraient ses murmures ? Et puis il sait bien que je ne vais pas nuire à ses intérêts. Au reste, que nous allions ensemble ou séparément, on conçoit qu’aucun temps ne nous arrête, tout fiers d’arriver dans un état à pouvoir être plaints. Malheureusement, Sophie nous interdit cet honneur, et défend qu’on vienne par le mauvais temps. C’est la seule fois que je la trouve rebelle aux règles que je lui dicte en secret. | Poco a poco se establecen y consolidan entre nosotros la dulzura de la amistad y de la inocencia. Los días señalados por Sofía o por su madre, regularmente voy con mi amigo, pero algunas veces le dejo que vaya solo. La confianza enaltece el alma y un hombre no debe ser tratado como una criatura. ¿:Qué habría adelantado hasta aquí si mi alumno no mereciera mi total estimación? Algunas veces también yo voy sin él, y entonces se queda triste, pero no murmura, ¿:pues de qué le valdrían sus quejas? Por otra parte sabe muy bien que yo no voy a perjudicar sus intereses. En lo que se refiere a lo demás, lo mismo si vamos juntos que separados, se entiende que no nos importa el tiempo, orgullosos por llegar en estado que no inspire lástima. Por desdicha, Sofía nos priva de este honor y nos prohíbe viajar con mal tiempo. Esta es la única vez que la encuentro rebelde a las reglas que le dicto secretamente. |
Un jour qu’il est allé seul, et que je ne l’attends que le lendemain, je le vois arriver le soir même, et je lui dis en l’embrassant : Quoi ! cher Émile, tu reviens à ton ami ! Mais, au lieu de répondre à mes caresses, il me dit avec un peu d’humeur : Ne croyez pas que je revienne si tôt de mon gré, je viens malgré moi. Elle a voulu que je vinsse ; je viens pour elle et non pas pour vous. Touché de cette naïveté, je l’embrasse derechef, en lui disant : Ame franche, ami sincère, ne me dérobe pas ce qui m’appartient. Si tu viens pour elle, c’est pour moi que tu le dis : ton retour est son ouvrage, mais ta franchise est le mien. Garde à jamais cette noble candeur des belles âmes. On peut laisser penser aux indifférents ce qu’ils veulent ; mais c’est un crime de souffrir qu’un ami nous fasse un mérite de ce que nous n’avons pas fait pour lui. | Un día que ha ido solo, y que yo no le esperaba hasta el siguiente, veo que llega la misma tarde y le digo mientras le abrazo: «Amado Emilio, ¿:te vuelves con tu amigo?» Pero en vez de corresponder a mi halago me dice con acento de enfado: «No creáis que vuelvo tan pronto por mi gusto, sino contra mi voluntad. Ha querido que regresase, y lo hago por ella, no por vos». Enternecido con esta ingenuidad le abrazo otra vez, diciéndole: «Alma franca, amigo sincero, no me robes lo que me pertenece. Si vienes por ella, por mí lo dices; tu vuelta es obra suya, pero tu franqueza es mía. Conserva siempre ese candor de las almas nobles. Dejemos que piensen como quieran los indiferentes, pero es un delito consentir que un amigo nos agradezca lo que no hemos hecho por él». |
Je me garde bien d’avilir à ses yeux le prix de cet aveu, en y trouvant plus d’amour que de générosité, et en lui disant qu’il veut moins s’ôter le mérite de ce retour que le donner à Sophie. Mais voici comment il me dévoile le fond de son cœur sans y songer : s’il est venu à son aise, à petits pas, et rêvant à ses amours, Émile n’est que l’amant de Sophie ; s’il arrive à grands pas, échauffé, quoique un peu grondeur, Émile est l’ami de son Mentor. | Me guardo bien de disminuir a sus ojos el valor de esta confesión, encontrando en ella más amor que generosidad y diciéndole que no se quiere quitar tanto el mérito de esta vuelta como atribuírselo a Sofía. Pero me dice lo que siente su corazón sin que piense en ello; si ha vuelto despacio, y soñando en sus amores, Emilio es el fiel, el amante de Sofía; si llega de prisa, sofocado, aunque murmure por lo bajo, Emilio es el amigo de su mentor. |
On voit par ces arrangements que mon jeune homme est bien éloigné de passer sa vie auprès de Sophie et de la voir autant qu’il voudrait. Un voyage ou deux par semaine bornent les permissions qu’il reçoit ; et ses visites, souvent d’une seule demi-journée, s’étendent rarement au lendemain. Il emploie bien plus de temps à espérer de la voir, ou à se féliciter de l’avoir vue, qu’à la voir en effet. Dans celui même qu’il donne à ses voyages, il en passe moins auprès d’elle qu’à s’en approcher ou s’en éloigner. Ses plaisirs vrais, purs, délicieux, mais moins réels qu’imaginaires, irritent son amour sans efféminer son cœur. | Por estas circunstancias se ve que mi joven está muy lejos de pasarse la vida al lado de Sofía y verla cuando quiera. Los permisos que le dan los limitan a un viaje o dos por semana, y sus visitas, que muchas veces no son más que de medio día, rara vez llegan al siguiente. Gasta más tiempo esperando verla o en disfrutar el placer de haberla visto, que en verla realmente. Del tiempo que emplea en sus viajes, pasa más en el camino que al lado de Sofía. Verdaderas, puras, deliciosas, pero más imaginarias que reales, sus satisfacciones irritan su amor sin entibiar su corazón. |
Les jours qu’il ne la voit point, il n’est pas oisif et sédentaire. Ces jours-là c’est Émile encore : il n’est point du tout transformé. Le plus souvent, il court les campagnes des environs, il suit son histoire naturelle ; il observe, il examine les terres, leurs productions, leur culture ; il compare les travaux qu’il voit à ceux qu’il connaît ; il cherche les raisons des différences : quand il juge d’autres méthodes préférables à celles du lieu, il les donne aux cultivateurs ; s’il propose une meilleure forme de charrue, il en fait faire sur ses dessins : s’il trouve une carrière de marne, il leur en apprend l’usage inconnu dans le pays ; souvent il met lui-même la main à l’œuvre ; ils sont tout étonnés de lui voir manier leurs outils plus aisément qu’ils ne font eux-mêmes, tracer des sillons plus profonds et plus droits que les leurs, semer avec plus d’égalité, diriger des ados avec plus d’intelligence. Ils ne se moquent pas de lui comme d’un beau diseur d’agriculture : ils voient qu’il la sait en effet. En un mot, il étend son zèle et ses soins à tout ce qui est d’utilité première et générale ; même il ne s’y borne pas : il visite les maisons des paysans, s’informe de leur état, de leurs familles, du nombre de leurs enfants, de la quantité de leurs terres, de la nature du produit, de leurs débouchés, de leurs facultés, de leurs charges, de leurs dettes, etc. Il donne peu d’argent, sachant que, pour l’ordinaire, il est mal employé, mais il en dirige l’emploi lui-même, et le leur rend utile malgré qu’ils en aient. Il leur fournit des ouvriers, et souvent leur paye leurs propres journées pour les travaux dont ils ont besoin. À l’un il fait relever ou couvrir sa chaumière à demi tombée ; à l’autre il fait défricher sa terre abandonnée faute de moyens ; à l’autre il fournit une vache, un cheval, du bétail de toute espèce à la place de celui qu’il a perdu ; deux voisins sont près d’entrer en procès, il les gagne, il les accommode ; un paysan tombe malade, il le fait soigner, il le soigne lui-même [120] ; un autre est vexé par un voisin puissant, il le protège et le recommande ; de pauvres jeunes gens se recherchent, il aide à les marier ; une bonne femme a perdu son enfant chéri, il va la voir, il la console, il ne sort point aussitôt qu’il est entré ; il ne dédaigne point les indigents, il n’est point pressé de quitter les malheureux, il prend souvent son repas chez les paysans qu’il assiste, il l’accepte aussi chez ceux qui n’ont pas besoin de lui ; en devenant le bienfaiteur des uns et l’ami des autres, il ne cesse point d’être leur égal. Enfin, il fait toujours de sa personne autant de bien que de son argent. | Los días que no la ve no permanece ocioso y sedentario; esos días todavía es Emilio, y no está transformado. La mayor parte de las veces recorre las campiñas inmediatas, sigue su historia natural, observa, examina las tierras, sus producciones y su cultivo; compara las labores que ve con las que ya conoce y averigua los motivos de las diferencias; cuando juzga otros métodos que son preferibles a los usados en el país, se los enseña a los labradores; si propone un tipo de arado mejor, lo manda construir conforme a su dibujo; si encuentra una veta de marga les enseña su uso, ignorado en el país; muchas veces, él mismo pone mano a la obra; se quedan atónitos al contemplar que maneja con más habilidad que ellos sus aperos, que abre surcos más derechos y profundos que los suyos, que siembra con mayor igualdad y traza los arriates con más seguridad. No se burlan de él como de un peripuesto charlatán de agricultura, pues se dan cuenta de que verdaderamente sabe. En una palabra, su celo y sus afanes abrazan todo le bueno y útil, y no se limita a eso: visita las casas de los labradores, se informa de su estado, de sus familias, del número de sus hijos, de la extensión de sus tierras, de la naturaleza de las producciones, de su venta, de sus cargas y sus deudas. Da poco dinero, pues sabe que generalmente lo emplean mal, pero él mismo se cuida de su empleo y procura que les sea provechoso incluso contra su voluntad. Les ofrece operarios y muchas veces les paga los jornales para las labores que necesitan. A uno le hace reparar o techar su choza medio agrietada, al otro desmontar su tierra abandonada por alta de medios, a éste otro le da una vaca, una mula, o unas reses que le compensen de las que ha perdido; dos vecinos que entablen un pleito, los persuade y reconcilia; si enferma un aldeano, le hace cuidar y le cuida él mismo [17] ; otro sufre la opresión de un vecino poderoso, y él lo recomienda y le ampara; si dos jóvenes pobres se quieren casar, les ofrece su ayuda para que se casen; si una infeliz mujer ha perdido a su hijo, le hace una visita, la consuela y la acompaña durante un largo rato; no desdeña a los miserables, y muchas veces come en casa de los rústicos que asiste, como también acepta las invitaciones de vecinos que no le necesitan; es el bienhechor de unos y amigo de otros, y nunca deja de ser el mismo. Por último; siempre hace tanto bien con su persona como con su dinero. |
Quelquefois, il dirige ses tournées du côté de l’heureux séjour : il pourrait espérer d’apercevoir Sophie à la dérobée, de la voir à la promenade sans en être vu ; mais Émile est toujours sans détour dans sa conduite, il ne sait et ne veut rien éluder. Il a cette aimable délicatesse qui flatte et nourrit l’amour-propre du bon témoignage de soi. Il garde à la rigueur son ban, et n’approche jamais assez pour tenir du hasard ce qu’il ne veut devoir qu’à Sophie. En revanche, il erre avec plaisir dans les environs, recherchant les traces des pas de sa maîtresse, s’attendrissant sur les peines qu’elle a prises et sur les courses qu’elle a bien voulu faire par complaisance pour lui. La veille des jours qu’il doit la voir, il ira dans quelque ferme voisine ordonner une collation pour le lendemain. La promenade se dirige de ce côté sans qu’il y paraisse ; on entre comme par hasard ; on trouve des fruits, des gâteaux, de la crème. La friande Sophie n’est pas insensible à ces attentions, et fait volontiers honneur à notre prévoyance ; car j’ai toujours ma part au compliment, n’en eussé-je eu aucune au soin qui l’attire : c’est un détour de petite fille pour être moins embarrassée en remerciant. Le père et moi mangeons des gâteaux et buvons du vin : mais Émile est de l’écot des femmes, toujours au guet pour voler quelque assiette de crème où la cuillère de Sophie ait trempé. | Alguna vez dirige sus paseos hacia la venturosa mansión; tal vez espere divisar a Sofía, verla paseando sin que ella lo advierta. Pero Emilio no gasta rodeos en su modo de obrar, ni sabe ni quiere eludir nada. Posee aquella amable delicadeza que con el buen testimonio de sí mismo alimenta el amor propio y le halaga. Cumple rigurosamente su destierro, y nunca se acerca lo suficiente para alcanzar del acaso lo que sólo quiere deber a Sofía. En cambio, vaga placenteramente en las inmediaciones buscando de hallar las huellas de los pasos de su amada, enterneciéndose con la molestia que se ha tomado y las caminatas que ha realizado por condescendencia de él. La víspera de los días que la debe ver, entra en un caserío inmediato a preparar una merienda para el día siguiente. Dirige su paseo hacia esta parte como por casualidad, entran en el caserío, y se encuentran con frutas, pasteles y nata. Estas atenciones complacen mucho a la golosa Sofía, y agradece nuestra previsión, pues yo siempre tomo parte en el cumplimento, aunque no haya tenido ninguna en la diligencia que la motiva, pero es una astucia de muchacha para dar las gracias con mas afecto. Su padre y yo comemos unos bollos y bebemos vino, pero Emilio se pega a las mujeres, estando siempre al acecho para coger el plato de nata en el que Sofía haya metido la cuchara. |
À propos de gâteaux, je parle à Émile de ses anciennes courses. On veut savoir ce que c’est que ces courses ; je l’explique, on en rit ; on lui demande s’il sait courir encore. Mieux que jamais, répond-il ; je serais bien fâché de l’avoir oublié. Quelqu’un de la compagnie aurait grande envie de le voir, et n’ose le dire ; quelque autre se charge de la proposition ; il accepte : on fait rassembler deux ou trois jeunes gens des environs ; on décerne un prix, et, pour mieux imiter les anciens jeux, on met un gâteau sur le but. Chacun se tient prêt, le papa donne le signal en frappant des mains. L’agile Émile fend l’air, et se trouve au bout de la carrière qu’à peine mes trois lourdauds sont partis. Émile reçoit le prix des mains de Sophie, et, non moins généreux qu’Enée, fait des présents à tous les vaincus. | A propósito de bollos, hablo a Emilio de sus antiguas carreras. Sienten curiosidad para saber en qué consistían estas carreras; lo explico, se ríen y le preguntan si todavía sabe correr. Mejor que nunca, responde, y sentiría mucho haberlo olvidado. Alguno de los presentes tiene muchas ganas de verle correr y no se atreve a decirlo; otro se encarga de la propuesta, y la acepta; se reúne a dos o tres mozos de las inmediaciones, se fija un premio, y para imitar mejor los antiguos juegos, se pone un bollo encima de la meta. Cada uno ya está preparado; el padre da la señal con una palmada. El ágil Emilio atraviesa el viento, y llega al final de la carrera cuando los otros tres patanes acaban de arrancar. Emilio recibe el premio de las manos de Sofía, y no menos generoso que Eneas, reparte dádivas a los vencidos. |
Au milieu de l’éclat du triomphe, Sophie ose défier le vainqueur, et se vante de courir aussi bien que lui. Il ne refuse point d’entrer en lice avec elle ; et, tandis qu’elle s’apprête à l’entrée de la carrière, qu’elle retrousse sa robe des deux côtés, et que, plus curieuse d’étaler une jambe fine aux yeux d’Émile que de le vaincre à ce combat, elle regarde si ses jupes sont assez courtes, il dit un mot à l’oreille de la mère ; elle sourit et fait un signe d’approbation. Il vient alors se placer à côté de sa concurrente ; et le signal n’est pas plus tôt donné, qu’on la voit partir comme un oiseau. | En medio de los aplausos del triunfo, Sofía se atreve a desafiar al vencedor, y se jacta de correr tanto como él. Emilio acepta, y mientras ella se dispone para la carrera, levantándose un poco la falda, y con más deseos de mostrar a Emilio una pierna bien formada que de vencer en la carrera, mira si queda demasiado corto el vestido, él dice una palabra al oído de su madre, que sonríe, y le hace una señal de aprobación. Luego se pone al lado de su competidora, y tan pronto como se da la señal, la ve que parte ligera como un pájaro. |
Les femmes ne sont pas faites pour courir ; quand elles fuient, c’est pour être atteintes. La course n’est pas la seule chose qu’elles fassent maladroitement, mais c’est la seule qu’elles fassent de mauvaise grâce : leurs coudes en arrière et collés contre leur corps leur donnent une attitude risible, et les hauts talons sur lesquels elles sont juchées les font paraître autant de sauterelles qui voudraient courir sans sauter. | Las mujeres carecen de disposición para correr, y cuando huyen es para que las alcancen. La carrera no es lo único que hacen sin habilidad, pero sí que es lo único que hacen sin gracia; sus codos echados atrás y pegados al cuerpo les dan una postura ridícula y los altos tacones sobre los cuales se empinan les dan una apariencia de saltamontes que quieren correr sin dar saltos. |
Émile, n’imaginant point que Sophie coure mieux qu’une autre femme, ne daigne pas sortir de sa place, et la voit partir avec un sourire moqueur. Mais Sophie est légère et porte des talons bas ; elle n’a pas besoin d’artifice pour paraître avoir le pied petit ; elle prend les devants d’une telle rapidité, que, pour atteindre cette nouvelle Atalante, il n’a que le temps qu’il lui faut quand il l’aperçoit si loin devant lui. Il part donc à son tour, semblable à l’aigle qui fond sur sa proie ; il la poursuit, la talonne, l’atteint enfin tout essoufflée, passe doucement son bras gauche autour d’elle, l’enlève comme une plume, et, pressant sur son cœur cette douce charge, il achève ainsi la course, lui fait toucher le but la première, puis, criant Victoire à Sophie ! met devant elle un genou en terre, et se reconnaît le vaincu. | Emilio no se imaginaba que Sofía corriese mejor que otra mujer, y no se digna moverse de su sitio, viéndola partir con una sonrisa burlona. Pero como Sofía es ágil y no lleva tacones, no necesita ningún artificio para que se vea la pequeñez de su pie, y se aleja con tal velocidad que él apenas tendrá tiempo para alcanzar a esta nueva Atalanta. Por fin se lanza adelante, como el águila que se arroja sobre la presa, la sigue, casi tropieza con ella cuando la alcanza y se ve cómo jadea; le ciñe con suavidad el cuerpo con su brazo izquierdo, la levanta como una pluma y, estrechando sobre su pecho la dulce carga, termina de este modo la carrera, pero haciendo que sea ella quien primero toque la meta, y grita: ¡Victoria por Sofía!»; seguidamente dobla la rodilla ante ella y se reconoce vencido. |
À ces occupations diverses se joint celle du métier que nous avons appris. Au moins un jour par semaine, et tous ceux où le mauvais temps ne nous permet pas de tenir la campagne, nous allons, Émile et moi, travailler chez un maître. Nous n’y travaillons pas pour la forme, en gens au-dessus de cet état, mais tout de bon et en vrais ouvriers. Le père de Sophie nous venant voir nous trouve tout de bon à l’ouvrage, et ne manque pas de rapporter avec admiration à sa femme et à sa fille ce qu’il a vu. Allez voir, dit-il, ce jeune homme à l’atelier, et vous verrez s’il méprise la condition du pauvre ! On peut imaginer si Sophie entend ce discours avec plaisir ! On en reparle, on voudrait le surprendre à l’ouvrage. On me questionne sans faire semblant de rien ; et, après s’être assurées d’un de nos jours, la mère et la fille prennent une calèche, et viennent à la ville le même jour. | A estas diversas ocupaciones se añade la del oficio que hemos aprendido. Por lo menos un día a la semana, y todos aquellos en que el mal tiempo no nos permite salir al campo, Emilio y yo vamos a trabajar en casa de un maestro. No trabajamos por cumplido y como personas superiores a esta condición, sino de veras y como verdaderos artesanos. La vez que recibimos la visita del padre de Sofía, nos encuentra trabajando, y no deja de contar con admiración a su hija y a su esposa lo que ha visto. «Id a ver -les dice- a ese joven al taller y veréis si tiene en poco la condición de pobre.» Podéis imaginar si Sofía oiría con satisfacción estas razones. Halan de ello y quisieran cogerle trabajando. Indirectamente me preguntan y, habiéndose informado del día fijo, la madre y la hija toman un coche y el día señalado vienen a la ciudad. |
En entrant dans l’atelier, Sophie aperçoit à l’autre bout un jeune homme en veste, les cheveux négligemment rattachés, et si occupé de ce qu’il fait qu’il ne la voit point : elle s’arrête et fait signe à sa mère. Émile, un ciseau d’une main et le maillet de l’autre, achève une mortaise ; puis il scie une planche et en met une pièce sous le valet pour la polir. Ce spectacle ne fait point rire Sophie ; il la touche, il est respectable. Femme, honore ton chef ; c’est lui qui travaille pour toi, qui te gagne ton pain, qui te nourrit : voilà l’homme. | Al entrar en el taller, Sofía descubre al otro extremo a un joven con una blusa, despeinado y tan ocupado en lo que está haciendo que no la ve; se detiene y hace una seña a su madre; Emilio con un escoplo en una mano y el martillo en la otra, concluye una muesca; luego asierra una tabla y pone una parte de ella sobre el banco para cepillarla. Este espectáculo tan respetable no hace reír a Sofía, sino que la emociona. Mujer, honra a tu jefe; él es quien trabaja para ti, quien te gana el pan y quien te mantiene; ése es el hombre. |
Tandis qu’elles sont attentives à l’observer, je les aperçois, je tire Émile par la manche ; il se retourne, les voit, jette ses outils, et s’élance avec un cri de joie. Après s’être livré à ses premiers transports, il les fait asseoir et reprend son travail. Mais Sophie ne peut rester assise ; elle se lève avec vivacité, parcourt l’atelier, examine les outils, touche le poli des planches, ramasse des copeaux par terre, regarde à nos mains, et puis dit qu’elle aime ce métier, parce qu’il est propre. La folâtre essaye même d’imiter Émile. De sa blanche et débile main, elle pousse un rabot sur la planche ; le rabot glisse et ne mord point. Je crois voir l’Amour dans les airs rire et battre des ailes ; je crois l’entendre pousser des cris d’allégresse, et dire : Hercule est vengé. | Mientras le observan, yo me doy cuenta de ellas, tiro a Emilio de una manga, se vuelve y las ve, arroja las herramientas y de un salto llega hasta a ellas, dando un grito de júbilo. Luego de sus primeros arrebatos, las hace sentar y se vuelve a su trabajo, pero Sofía no puede estar sentada, y recorre el taller, lo mira todo, toca las tablas pulimentadas, pisotea las astillas del suelo, mira nuestras manos, y después dice que ese oficio le gusta porque es limpio. La locuela también quiere imitar a Emilio. Con su débil y blanca mano empuja el cepillo sobre la tabla, pero le resbala y no prende. Cree que ve al amor riéndose en los aires, batiendo las alas y gritar alegremente: «Hércules está vengado». |
Cependant, la mères questionne le maître. Monsieur, combien payez-vous ces garçons-là ? Madame, je leur donne à chacun vingt sous par jour, et je les nourris ; mais si ce jeune homme voulait, il gagnerait bien davantage, car c’est le meilleur ouvrier du pays. Vingt sous par jour, et vous les nourrissez ! dit la mère en nous regardant avec attendrissement. Madame, il en est ainsi, reprend le maître. À ces mots, elle court à Émile, l’embrasse, le presse contre son sein en versant sur lui des larmes, et sans pouvoir dire autre chose que de répéter plusieurs fois : Mon fils ! ô mon fils ! | Entre tanto, la madre hace preguntas al jefe: «Señor maestro, ¿:cuánto paga usted a esos oficiales?» «Señora, les doy un franco diario a cada uno y comida, pero si ese joven quisiera, ganaría mucho más, pues es el mejor oficial de esta tierra.» «¿:Un franco al día y la comida?», dice mirándonos enternecida la madre. «Sí, señora», afirma el maestro. Al oír estas palabras, corre hacia Emilio, le abraza casi llorando y repitiendo varias veces: «¡Hijo mío, hijo mío...!». |
Après avoir passé quelque temps à causer avec nous, mais sans nous détourner : Allons-nous-en, dit la mère à sa fille ; il se fait tard, il ne faut pas nous faire attendre. Puis, s’approchant d’Émile, elle lui donne un petit coup sur la joue en lui disant : Eh bien ! bon ouvrier, ne voulez-vous pas venir avec nous ? Il lui répond d’un ton fort triste : Je suis engagé, demandez au maître. On demande au maître s’il veut bien se passer de nous. Il répond qu’il ne peut. J’ai, dit-il, de l’ouvrage qui presse et qu’il faut rendre après-demain. Comptant sur ces messieurs, j’ai refusé des ouvriers qui se sont présentés ; si ceux-ci me manquent, je ne sais plus où en prendre d’autres, et je ne pourrai rendre l’ouvrage au jour promis. La mère ne réplique rien ; elle attend qu’Émile parle. Émile baisse la tête est se tait. Monsieur, lui dit-elle un peu surprise de ce silence, n’avez-vous rien à dire à cela ? Émile regarde tendrement la fille et ne répond que ces mots : Vous voyez bien qu’il faut que je reste. Là-dessus les dames partent et nous laissent. Émile les accompagne jusqu’à la porte, les suit des yeux autant qu’il peut, soupire, et revient se mettre au travail sans parler. | Después de pasar Emilio un rato en conversación con nosotros, pero sin dejar el trabajo, la madre dice que hay que irse, pues es ya tarde y las estarán esperando. Luego se acerca a Emilio y, dándole una palmadita en la mejilla, le dice: «Buen oficial, ¿:no quiere venir con nosotras?» El responde con voz muy triste: «He dado mi palabra; dígaselo usted al maestro». Le preguntan al maestro si nos deja ir, y responde que no puede. «Tengo -dice-, un trabajo que urge y debo entregarlo pasado mañana. Contando con estos señores, no he admitido a otros trabajadores que se me han presentado, si éstos me faltan no sé dónde encontrar otros y no podré entregar la obra el día que he prometido.» La madre no replica y espera a que hable Emilio, quien baja los ojos y calla. «Señor -le dice, sorprendida por su silencio-, ¿:no dice usted nada?» Emilio mira con tiernos ojos a la hija y responde sólo estas palabras: «Usted ya ve que debo quedarme». Al oírle, ellas se van y nos dejan. Emilio las acompaña hasta la puerta, las sigue con los ojos hasta perderlas de vista, suspira y vuelve a su trabajo sin hablar. |
En chemin, la mère, piquée, parle à sa fille de la bizarrerie de ce procédé ! Quoi ! dit-elle, était-il si difficile de contenter le maître sans être obligé de rester ? Et ce jeune homme si prodigue, qui verse l’argent sans nécessité, n’en sait-il plus trouver dans les occasions convenables ? O maman ! répond Sophie, à Dieu ne plaise qu’Émile donne tant de force à l’argent, qu’il s’en serve pour rompre un engagement personnel, pour violer impunément sa parole, et faire violer celle d’autrui ! Je sais qu’il dédommagerait aisément l’ouvrier du léger préjudice que lui causerait son absence ; mais cependant il asservirait son âme aux richesses, il s’accoutumerait à les mettre à la place de ses devoirs, et à croire qu’on est dispensé de tout, pourvu qu’on paye. Émile a d’autres manières de penser, et j’espère n’être pas cause qu’il en change. Croyez-vous qu’il ne lui en ait rien coûté de rester ? Maman, ne vous y trompez pas, c’est pour moi qu’il reste ; je l’ai bien vu dans ses yeux. | Ya en el camino y contrariada, la madre habla a su hija de lo absurdo del procedimiento. «¿:Cómo?, ¿:era tan difícil contentar al maestro sin verse obligado a quedarse? ¿:Un joven tan pródigo, que tira sin necesidad el dinero, no encuentra la solución que conviene?» «Mamá -responde Sofía-, no quiera Dios que Emilio conceda tanto poder al dinero, valiéndose de él para romper sus compromisos personales, para faltar impunemente a su palabra y hacer que otro falte a la suya. Estoy segura de que fácilmente resarciría al jefe del ligero perjuicio que le causaría su ausencia, pero obrando de este modo sometería su alma a las riquezas, se acostumbraría a dejar a un lado sus obligaciones y a creer que el que paga está dispensado de todo. Emilio tiene otro modo de pensar y espero que yo no seré la causa de que cambie. ¿:Creéis que no le ha dolido tenerse que quedar? El ha hecho eso por mí; me lo han dicho muy bien sus ojos.» |
Ce n’est pas que Sophie soit indulgente sur les vrais soins de l’amour ; au contraire, elle est impérieuse, exigeante ; elle aimerait mieux n’être point aimée que de l’être modérément. Elle a le noble orgueil du mérite qui se sent, qui s’estime et qui veut être honoré comme il s’honore. Elle dédaignerait un cœur qui ne sentirait pas tout le prix du sien, qui ne l’aimerait pas pour ses vertus autant et plus que pour ses charmes ; un cœur qui ne lui préférerait pas son propre devoir, et qui ne la préférerait pas à toute autre chose. Elle n’a point voulu d’amant qui ne connût de loi que la sienne ; elle veut régner sur un homme qu’elle n’ait point défiguré. C’est ainsi qu’ayant avili les compagnons d’Ulysse, Circé les dédaigne, et se donne à lui seul, qu’elle n’a pu changer. | Esto no quiere decir que Sofía sea indulgente en los verdaderos sentimientos del amor; por el contrario, es imperiosa, exigente, y antes preferiría no ser amada que serlo a medias. Tiene el noble orgullo del mérito propio, y lo estima y quiere ser correspondida como él corresponde. Desdeñaría a un corazón que la amase por sus encantos más que por sus virtudes, un corazón que no la prefiriese a todo lo demás. No ha querido un amante que sólo obedeciese la ley de ella; quiere reinar en un hombre que no haya cambiado. Es así como Circe desprecia a los compañeros de Ulises que ella ha humillado y sólo se entrega a él, a quien no ha podido cambiar. |
Mais ce droit inviolable et sacré mis à part, jalouse à l’excès de tous les siens, Sophie épie avec quel scrupule Émile les respecte, avec quel zèle il accomplit ses volontés, avec quelle adresse il les devine, avec quelle vigilance il arrive au moment prescrit ; elle ne veut ni qu’il retarde ni qu’il anticipe ; elle veut qu’il soit exact. Anticiper, c’est se préférer à elle ; retarder, c’est la négliger. Négliger Sophie ! cela n’arriverait pas deux fois. L’injuste soupçon d’une a failli tout perdre ; mais Sophie est équitable et sait bien réparer ses torts. | Pero dejando aparte este inviolable y sagrado derecho, excesivamente celosa de todos los suyos, Sofía observa con qué escrúpulos los respeta Emilio, con qué fervor cumple su voluntad, con qué facilidad la adivina; con qué puntualidad llega en el instante convenido; no quiere que se retarde ni que se adelante, sino que sea puntual. Adelantarse es preferirse a ella; retrasarse es un desaire. ¡Desairar a Sofía! No ocurriría dos veces. La injusta sospecha de un desaire los puso al borde de una ruptura, pero Sofía es sensata y sabe reparar sus faltas. Una tarde nos esperan; Emilio ha recibido la orden. Vienen a recibirnos y no llegamos. ¿:Qué ha pasado? |
Un soir nous sommes attendus ; Émile a reçu l’ordre. On vient au-devant de nous ; nous n’arrivons point. Que sont-ils devenus ? Quel malheur leur est arrivé ? Personne de leur part ? La soirée s’écoule à nous attendre. La pauvre Sophie nous croit morts ; elle se désole, elle se tourmente ; elle passe la nuit à pleurer. Dès le soir on a expédié un messager pour s’informer de nous et rapporter de nos nouvelles le lendemain matin. Le messager revient accompagné d’un autre de notre part, qui fait nos excuses de bouche et dit que nous nous portons bien. Un moment après, nous paraissons nous-mêmes. Alors la scène change ; Sophie essuie ses pleurs, ou, si elle en verse, ils sont de rage. Son cœur altier n’a pas gagné à se rassurer sur notre vie : Émile vit, et s’est fait attendre inutilement. | ¿:Qué desgracia les habrá sucedido? Nadie les da noticias y pasan las horas esperándonos. La pobre Sofía nos cree muertos, se desconsuela, se atormenta y no para de llorar. Al anochecer, mandan a un mensajero para informarse de nosotros y les lleve noticias nuestras a la mañana siguiente; el enviado es seguido de otro nuestro, que les presenta nuestras excusas y diciéndoles que estamos bien. Poco más tarde, aparecemos. Entonces la escena cambia; Sofía enjuga sus lágrimas, y si las vierte son de ira. Su altivo corazón no ha ganado nada con torturarse; Emilio vive y ha hecho que ella le esperara inútilmente. |
À notre arrivée, elle veut s’enfermer. On veut qu’elle reste ; il faut rester : mais, prenant à l’instant son parti, elle affecte un air tranquille et content qui en imposerait à d’autres. Le père vient au-devant de nous et nous dit : Vous avez tenu vos amis en peine ; il y a ici des gens qui ne vous le pardonneront pas aisément. Qui donc, mon papa ? dit Sophie avec une manière de sourire le plus gracieux qu’elle puisse affecter. Que vous importe, répond le père, pourvu que ce ne soit pas vous ? Sophie ne réplique point, et baisse les yeux sur son ouvrage. La mère nous reçoit d’un air froid et composé. Émile embarrassé n’ose aborder Sophie. Elle lui parle la première, lui demande comment il se porte, l’invite à s’asseoir, et se contrefait si bien que le pauvre jeune homme, qui n’entend rien encore au langage des passions violentes, est la dupe de ce sang-froid, et presque sur le point d’en être piqué lui-même. | Cuando llegamos quiere encerrarse. Le mandan que se quede, y tiene que obedecer, pero en seguida toma una decisión, y finge una alegría que engañaría a otros. Su padre viene a recibirnos, y nos dice: «Mucha angustia nos han hecho pasar, amigos; aquí hay quien no se lo perdonará fácilmente». «¿:Quién es, papá?», pregunta Sofía, sonriendo, sin que su sonrisa le pase de los labios. «¿:Qué importa -contesta su padre-, mientras no seas tú?» Sofía calla y se fija en su labor. Su madre nos recibe con frío y estudiado gesto; Emilio, cortado, no se atreve a acercarse a Sofía, pero ella le habla, le pregunta cómo está, le invita a que se siente y disimula de tal modo que el pobre joven, que todavía no conoce el lenguaje de las vehementes pasiones, se desconcierta de tanto aplomo, y casi se indigna más de lo que lo está ella. |
Pour le désabuser je vais prendre la main de Sophie, j’y veux porter mes lèvres comme je fais quelquefois : elle la retire brusquement, avec un mot de Monsieur si singulièrement prononcé, que ce mouvement involontaire la décèle à l’instant aux yeux d’Émile. | Para apaciguarle voy a coger la mano de Sofía y quiero llevármela á los labios, como hago algunas veces, pero ella la retira bruscamente y exclama: «¡Señor!», en un tono tan vivo, que este involuntario movimiento la descubre al instante a los ojos de Emilio. |
Sophie elle-même, voyant qu’elle s’est trahie, se contraint moins. Son sang-froid apparent se change en un mépris ironique. Elle répond à tout ce qu’on lui dit par des monosyllabes prononcés d’une voix lente et mal assurée, comme craignant d’y laisser trop percer l’accent de l’indignation. Émile, demi-mort d’effroi, la regarde avec douleur, et tâche de l’engager à jeter les yeux sur les siens pour y mieux lire ses vrais sentiments. Sophie, plus irritée de sa confiance, lui lance un regard qui lui ôte l’envie d’en solliciter un second. Émile, interdit et tremblant, n’ose plus, très heureusement pour lui, ni lui parler ni la regarder, car, n’eût-il pas été coupable, s’il eût pu supporter sa colère, elle ne lui eût jamais pardonné. | La misma Sofía, viendo que se ha traicionado, se apacigua un poco. Su aparente serenidad se convierte en un irónico desdén. A todo lo que le dicen responde con monosílabos, insegura la voz, como temerosa de que se advierta su indignación. Emilio, muerto del susto, la mira con dolor y trata de que ella le mire a los ojos y lea sus nobles sentimientos. Más irritada Sofía con su confianza, le dirige una mirada que le quita el deseo de pedirle otra. Confundido y temblando, Emilio no se atreve a mirarla, ni hablarle, pues aunque no tenga ninguna culpa, si hubiera soportado su cólera, ella no se lo hubiera perdonado nunca. |
Voyant alors que c’est mon tour, et qu’il est temps de s’expliquer, je reviens à Sophie. Je reprends sa main, qu’elle ne retire plus, car elle est prête à se trouver mal. Je lui dis avec douceur : Chère Sophie, nous sommes malheureux ; mais vous êtes raisonnable et juste, vous ne nous jugerez pas sans nous entendre : écoutez-nous. Elle ne répond rien, et je parle ainsi : | Entonces, viendo yo que ha llegado mi hora, y que hay que explicarse, vuelvo a Sofía. Cojo otra vez su mano, que ya no la retira porque le falta poco para desmayarse, y le digo con suavidad- «Querida Sofía, somos desgraciados, pero vos sois razonable y justa, y no debéis juzgarnos sin antes oírnos; escuchadnos». Ella no responde, y yo le digo esto: |
« Nous sommes partis hier à quatre heures ; il nous était prescrit d’arriver à sept, et nous prenons toujours plus de temps qu’il ne nous est nécessaire afin de nous reposer en approchant d’ici. Nous avions déjà fait les trois quarts du chemin, quand des lamentations douloureuses nous frappent l’oreille ; elles partaient d’une gorge de la colline à quelque distance de nous. Nous accourons aux cris : nous trouvons un malheureux paysan qui, revenant de la ville un peu pris de vin sur son cheval, en était tombé si lourdement qu’il s’était cassé la jambe. Nous crions, nous appelons du secours ; personne ne répond ; nous essayons de remettre le blessé sur son cheval, nous n’en pouvons venir à bout : au moindre mouvement le malheureux souffre des douleurs horribles. Nous prenons le parti d’attacher le cheval dans le bois à l’écart ; puis, faisant un brancard de nos bras, nous y posons le blessé, et le portons le plus doucement qu’il est possible, en suivant ses indications sur la route qu’il fallait tenir pour aller chez lui. Le trajet était long ; il fallut nous reposer plusieurs fois. Nous arrivons enfin, rendus de fatigue ; nous trouvons avec une surprise amère que nous connaissions déjà la maison, et que ce misérable que nous rapportions avec tant de peine était le même qui nous avait si cordialement reçus le jour de notre première arrivée ici. Dans le trouble où nous étions tous, nous ne nous étions point reconnus jusqu’à ce moment. | «Salimos ayer a las cuatro, teníamos que llegar aquí a las siete, y siempre nos tomamos más tiempo del necesario para poder descansar cuando estamos ya cerca. Habíamos andado las tres cuartas partes del camino cuando llegaron a nuestros oídos unos dolorosos lamentos que salían de un barranco cercano. Acudimos a los gritos, y hallamos a un desventurado aldeano que, volviendo de la ciudad un poco bebido, había caído y se había roto una pierna. Dimos voces llamando a gente, pero nadie contestó; probamos de montarlo en el caballo y no pudimos; al menor movimiento, el desventurado chillaba de dolor. Decidimos atar al caballo en un rincón del bosque y, haciendo cama con nuestros cuatro brazos, cogidas las manos, cargamos al desgraciado y anduvimos muy despacio, siguiendo sus indicaciones, por el camino que le llevaba a su casa. El trecho era largo y tuvimos que descansar muchas veces. Al fin llegamos, rendidos de fatiga, y nos encontramos con la triste sorpresa de ver que conocíamos la casa, pues el infeliz que con santo cuidado llevábamos era el mismo que tan cordialmente nos recibió el primer día de nuestra visita a esta casa. La turbación de los tres, hizo que no nos reconociésemos hasta entonces. |
« Il n’avait que deux petits enfants. Prête à lui en donner un troisième, sa femme fut si saisie en le voyant arriver, qu’elle sentit des douleurs aiguës et accoucha peu d’heures après. Que faire en cet état dans une chaumière écartée où l’on ne pouvait espérer aucun secours ? Émile prit le parti d’aller prendre le cheval que nous avions laissé dans le bois, de le monter, de courir à toute bride chercher un chirurgien à la ville. Il donna le cheval au chirurgien ; et, n’ayant pu trouver assez tôt une garde, il revint à pied avec un domestique, après vous avoir expédié un exprès, tandis qu’embarrassé, comme vous pouvez croire, entre un homme ayant une jambe cassée et une femme en travail, je préparais dans la maison tout ce que je pouvais prévoir être nécessaire pour le secours de tous les deux. | »No tenía más que dos críos que no le podían auxiliar en nada, y como su mujer estaba próxima a dar a luz al tercer hijo, se asustó de tal modo al verle, que se sintió con agudos dolores y alumbró poca horas después. ¿:Qué podíamos hacer en una apartada choza donde no era posible esperar ningún socorro? Emilio fue a buscar el caballo que habíamos dejado en el bosque y corrió a llamar a un médico, al que le dio el caballo; y no habiendo podido encontrar a una mujer que los cuidase, volvió a pie con un criado, después de despacharos un propio, mientras que yo, apurado como os podéis figurar, entre un hombre con la pierna rota y una mujer que iba de parto, disponía lo que creía que, era necesario para ayudar a los dos. |
« Je ne vous ferai point le détail du reste ; ce n’est pas de cela qu’il est question. Il était deux heures après minuit avant que nous ayons eu ni l’un ni l’autre un moment de relâche. Enfin nous sommes revenus avant le jour dans notre asile ici proche, où nous avons attendu l’heure de votre réveil pour vous rendre compte de notre accident. » | »No os contaré con detalle lo demás, pues eso ya no importa. Eran las dos de la madrugada antes de que consiguiésemos que el uno y el otro descansaran un poco. En fin, que hemos llegado antes del amanecer a nuestro albergue, aquí cerca, donde hemos esperado la hora de que estuvieseis despierta para daros cuenta de nuestro accidente.» |
Je me tais sans rien ajouter. Mais, avant que personne parle, Émile s’approche de sa maîtresse, élève la voix et lui dit avec plus de fermeté que je ne m’y serais attendu : Sophie, vous êtes l’arbitre de mon sort, vous le savez bien. Vous pouvez me faire mourir de douleur ; mais n’espérez pas me faire oublier les droits de l’humanité : ils me sont plus sacrés que les vôtres, je n’y renoncerai jamais pour vous. | No digo más, pero antes de que nadie hable, Emilio se acerca a su amada, y con una firmeza que yo no hubiera esperado, le dice a ella: «Sofía, sois árbitro de mi suerte, bien lo sabéis. Podéis matarme de pesar, pero no esperéis que me olvide de los derechos de la humanidad, más sagrados para mí que los vuestros y a los cuales nunca renunciaré por vos». |
Sophie, à ces mots, au lieu de répondre, se lève, lui passe un bras autour du cou, lui donne un baiser sur la joue ; puis, lui tendant la main avec une grâce inimitable, elle lui dit : Émile, prends cette main : elle est à toi. Sois, quand tu voudras, mon époux et mon maître ; je tâcherai de mériter cet honneur. | Sofía, en vez de contestarle, se levanta, le ciñe el cuello con un brazo, le besa una mejilla y, tendiéndole la mano, le dice: «Emilio, toma esta mano; es tuya. Serás, cuando tú quieras, mi esposo y mi dueño, y yo trataré de merecer ese honor». |
À peine l’a-t-elle embrassé, que le père, enchanté, frappe des mains, en criant bis, bis, et Sophie, sans se faire presser, lui donne aussitôt deux baisers sur l’autre joue ; mais, presque au même instant, effrayée de tout ce qu’elle vient de faire, elle se sauve dans les bras de sa mère et cache dans ce sein maternel son visage enflammé de honte. | Apenas le ha abrazado, cuando su padre, encantado, da palmadas, gritando: «Otro, otro», y Sofía, sin hacerse rogar, le da dos besos en la otra mejilla, pero al momento, asustada con lo que acaba de hacer, se echa a los brazos de su madre, y en el seno maternal esconde su rostro, rojo de vergüenza. |
Je ne décrirai point la commune joie ; tout le monde la doit sentir. Après le dîner, Sophie demande s’il y aurait trop loin pour aller voir ces pauvres malades. Sophie le désire et c’est une bonne œuvre. On y va : on les trouve dans deux lits séparés ; Émile en avait fait apporter un : on trouve autour d’eux du monde pour les soulager : Émile y avait pourvu. Mais au surplus tous deux sont si mal en ordre, qu’ils souffrent autant du malaise que de leur état. Sophie se fait donner un tablier de la bonne femme, et va la ranger dans son lit ; elle en fait ensuite autant à l’homme ; sa main douce et légère sait aller chercher tout ce qui les blesse, et faire poser plus mollement leurs membres endoloris. Ils se sentent déjà soulagés à son approche ; on dirait qu’elle devine tout ce qui fait leur mal. Cette fille si délicate ne se rebute ni de la malpropreté ni de la mauvaise odeur, et sait faire disparaître l’une et l’autre sans mettre personne en œuvre, et sans que les malades soient tourmentés. Elle qu’on voit toujours si modeste et quelquefois si dédaigneuse, elle qui, pour tout au monde, n’aurait pas touché du bout du doigt le lit d’un homme, retourne et change le blessé sans aucun scrupule, et le met dans une situation plus commode pour y pouvoir rester longtemps. Le zèle de la charité vaut bien la modestie ; ce qu’elle fait, elle le fait si légèrement et avec tant d’adresse, qu’il se sent soulagé sans presque s’être aperçu qu’on l’ait touché. La femme et le mari bénissent de concert l’aimable fille qui les sert, qui les plaint, qui les console. C’est un ange du ciel que Dieu leur envoie, elle en a la figure et la bonne grâce, elle en a la douceur et la bonté. Émile attendri la contemple en silence. Homme, aime ta compagne. Dieu te la donne pour te consoler dans tes peines, pour te soulager dans tes maux : voilà la femme. | No describiré la común alegría, pues todo el mundo se lo puede imaginar. Después de comer, Sofía pregunta si la casa de esos pobres enfermos está muy lejos, para ir a visitarlos. Sofía quiere, y es una buena obra. Vamos allá y los encontramos a cada uno en una cama, pues Emilio hizo traer una, y hallamos gentes que los cuidan, que Emilio también ha buscado. Pero hay tal desorden, que sufren por lo incómodo y por su situación. Sofía busca un delantal de la buena mujer y arregla su cama; después hace lo mismo con el hombre, y su tierna y hábil mano sabe encontrar lo que le duele y consigue la postura que le permita descansar mejor. Cuando ella se les acerca, se sienten más aliviados. Ahora esta delicada joven, no siente asco ni de la suciedad ni del mal olor, y lo limpia todo sin pedir ayuda y sin molestar a los enfermos. Siempre tan modesta y a veces tan desdeñosa, que ni por todo el oro del mundo habría tocado con la punta del dedo la cama de un hombre, mueve y da vueltas al herido sin ningún escrúpulo, le coloca en una posición más cómoda para que pueda descansar mucho tiempo. El celo de la caridad le va bien a la modestia; lo que hace, lo hace con tal habilidad y ligereza, que el enfermo se siente aliviado sin casi darse cuenta de que le hayan tocado. El marido y la mujer bendicen a la amable joven que les sirve, que les compadece y los consuela. Es un ángel del cielo que Dios les ha enviado, en su angelical rostro, hay gracia, dulzura y bondad. Enternecido, Emilio la mira en silencio. Hombre, ama tu compañera; Dios te la ofrece para que te consuele en tus penas, para que te alivie en tus males, y eso es la mujer. |
On fait baptiser le nouveau-né. Les deux amants le présentent, brûlant au fond de leurs cœurs d’en donner bientôt autant à faire à d’autres. Ils aspirent au moment désiré ; ils croient y toucher : tous les scrupules de Sophie sont levés, mais les miens viennent. Ils n’en sont pas encore où ils pensent : il faut que chacun ait son tour. | Se bautiza al recién nacido. Los dos amantes son los padrinos, y sólo desean proteger a otras criaturas. Sueñan en el instante tan deseado, y todos los escrúpulos de Sofía han desaparecido..., pero empiezan los míos. Aún no han llegado adonde creen, y a cada uno le espera su turno. |
Un matin qu’ils ne se sont vus depuis deux jours, j’entre dans la chambre d’Émile une lettre à la main, et je lui dis en le regardant fixement : Que feriez-vous si l’on vous apprenait que Sophie est morte ? Il fait grand cri, se lève en frappant des mains, et, sans dire un seul mot, me regarde d’un œil égaré. Répondez donc, poursuis-je avec la même tranquillité. Alors, irrité de mon sang-froid, il s’approche, les yeux enflammés de colère ; et, s’arrêtant dans une attitude presque menaçante : Ce que je ferais ?... je n’en sais rien ; mais ce que je sais, c’est que je ne reverrais de ma vie celui qui me l’aurait appris. Rassurez vous, répondis-je en souriant : elle vit, elle se porte bien, elle pense à vous, et nous sommes attendus ce soir. Mais allons faire un tour de promenade, et nous causerons. | Una mañana, después de dos días sin verse, entro en la habitación de Emilio con una carta en la mano y le digo, mirándole fijamente: «¿:Qué haríais si os dijesen que ha muerto Sofía?» Da un grito terrible, se levanta descompuesto, y sin contestar, me mira aterrado. Continúo con la misma tranquilidad, le digo que conteste y, enfurecido ante mi frialdad, se me acerca mirándome con ira, se detiene y su gesto es una amenaza. «¿:Qué haría? No lo sé, pero sí sé que no volvería a ver en mi vida a quien me lo hubiese dicho.» «Tranquilizaos -le respondo sonriendo-, pues vive, está bien, piensa en vos y nos espera esta tarde. Pero vamos a dar un paseo y hablaremos.» |
La passion dont il est préoccupé ne lui permet plus de se livrer, comme auparavant, à des entretiens purement raisonnés : il faut l’intéresser par cette passion même à se rendre attentif à mes leçons. C’est ce que j’ai fait par ce terrible préambule ; je suis bien sûr maintenant qu’il m’écoutera. | La pasión que tanto le absorbe no le permite entregarse como antes a diálogos en los que se considera todo, y debo despertar su interés para estudiar su misma pasión, a fin de que ponga atención en mis lecciones. Con este terrible preámbulo estoy seguro de que me escuchará. |
« Il faut être heureux, cher Émile : c’est la fin de tout être sensible ; c’est le premier désir que nous imprima la nature, et le seul qui ne nous quitte jamais. Mais où est le bonheur ? qui le sait ? Chacun le cherche, et nul ne le trouve. On use la vie à le poursuivre et l’on meurt sans l’avoir atteint. Mon jeune ami, quand à ta naissance je te pris dans mes bras, et qu’attestant l’Etre suprême de l’engagement que j’osai contracter, je vouai mes jours au bonheur des tiens, savais-je moi-même à quoi je m’engageais ? Non : je savais seulement qu’en te rendant heureux j’étais sûr de l’être. En faisant pour toi cette utile recherche, je la rendais commune à tous deux. | «Hay que ser feliz, querido Emilio; el fin de todo ser sensible es ése, el primer deseo que nos imprimió la naturaleza y el único que no nos abandona. ¿:Pero dónde está la felicidad? ¿:Quién lo sabe? Todos la buscan y nadie la encuentra. Pasamos la vida corriendo tras ella y morimos sin alcanzarla. Querido joven, cuando naciste, tomándote en mis brazos y poniendo a Dios por testigo, prometí que me disponía a sacrificar mi vida por tu felicidad. ¿:Sabia yo a 1o que me obligaba? No lo sé, pero sabía que haciéndote feliz, yo también lo sería. Velando por ti, velaría por los dos. |
« Tant que nous ignorons ce que nous devons faire, la sagesse consiste à rester dans l’inaction. C’est de toutes les maximes celle dont l’homme a le plus grand besoin, et celle qu’il sait le moins suivre. Chercher le bonheur sans savoir où il est, c’est s’exposer à le fuir, c’est courir autant de risques contraires qu’il y a de routes pour s’égarer. Mais il n’appartient pas à tout le monde de savoir ne point agir. Dans l’inquiétude où nous tient l’ardeur du bien-être, nous aimons mieux nous tromper à le poursuivre, que de ne rien faire pour le chercher : et, sortis une foi de la place où nous pouvons le connaître, nous n’y savons plus revenir. | »Mientras ignoramos lo que debemos hacer, la sabiduría consiste en permanecer en la inacción. Esta es entre todas las máximas la más necesaria al hombre y la que menos sabe seguir. Buscar la felicidad ignorando dónde está exponerse a huir de ella y correr tantos peligros como sendas hay para descarriarse. Pero a todo el mundo le es posible estar quieto. En la inquietud del deseo por nuestro bienestar preferimos engañarnos corriendo tras él antes que dejar lo que sea para encontrarlo, y una vez nos alejamos de donde está, ya no sabemos retroceder. |
« Avec la même ignorance j’essayai d’éviter la même faute. En prenant soin de toi, je résolus de ne pas faire un pas inutile et de t’empêcher d’en faire. Je me tins dans la route de la nature, en attendant qu’elle me montrât celle du bonheur. Il s’est trouvé qu’elle était la même, et qu’en n’y pensant pas je l’avais suivie. | »Traté de evitar el mismo error con la misma ignorancia. Cuidando de ti, determiné no dar un paso inútil e impedir que lo dieras tú. No me aparté de la senda de la naturaleza, puesto que ella me enseñaba la senda de la felicidad. Ha resultado que eran una misma y que sin pensarlo la había seguido. |
Sois mon témoin, sois mon juge ; je ne te récuserai jamais. Tes premiers ans n’ont pas été sacrifiés à ceux qui les doivent suivre ; tu as joui de tous les biens que la nature t’avait donnés. Des maux auxquels elle t’assujettit, et dont j’ai pu te garantir, tu n’as senti que ceux qui pouvaient t’endurcir aux autres. Tu n’en as jamais souffert aucun que pour en éviter un plus grand. Tu n’as connu ni la haine, ni l’esclavage. Libre et content, tu es resté juste et bon ; car la peine et le vice son inséparables, et jamais l’homme ne devient méchant que lorsqu’il est malheureux. Puisse le souvenir de ton enfance se prolonger jusqu’à tes vieux jours ! Je ne crains pas que jamais ton bon cœur se la rappelle sans donner quelques bénédictions à la main qui la gouverna. | »Sé mi testigo, sé mi juez, y jamás te recusaré. Tus primeros años no han sido sacrificados a los que debían venir después, y has disfrutado de todos los bienes que la naturaleza te había otorgado. De los males a que te sujeto, y los que he podido evitar, sólo has sufrido los que podían endurecerte para los demás. No has soportado ninguno que no fuera para evitar otro mayor. No has conocido ni el odio ni la esclavitud; contento y libre, has sido justo y bueno pero el pesar y el vicio son inseparables y solo son malvados los desgraciados. Ojalá que el recuerdo de tu infancia te dure hasta la vejez. Espero que tu buen corazón siempre se acordará de ella para bendecir la mano que la dirigió. |
« Quand tu es entré dans l’âge de raison, je t’ai garanti de l’opinion des hommes ; quand ton cœur est devenu sensible, je t’ai préservé de l’empire des passions. Si j’avais pu prolonger ce calme intérieur jusqu’à la fin de ta vie, j’aurais mis mon ouvrage en sûreté, et tu serais toujours heureux autant qu’un homme peut l’être ; mais, cher Émile, j’ai eu beau tremper ton âme dans le Styx, je n’ai pu la rendre partout invulnérable ; il s’élève un nouvel ennemi que tu n’as pas encore appris à vaincre, et dont je n’ai pu te sauver. Cet ennemi, c’est toi-même. La nature et la fortune t’avaient laissé libre. Tu pouvais endurer la misère ; tu pouvais supporter les douleurs du corps, celles de l’âme t’étaient inconnues ; tu ne tenais à rien qu’à la condition humaine, et maintenant tu tiens à tous les attachements que tu t’es donnés ; en apprenant à désirer, tu t’es rendu l’esclave de tes désirs. Sans que rien change en toi, sans que rien t’offense, sans que rien touche à ton être, que de douleurs peuvent attaquer ton âme ! que de maux tu peux sentir sans être malade ! que de morts tu peux souffrir sans mourir ! Un mensonge, une erreur, un doute peut te mettre au désespoir. | »Al entrar en la edad de uso de razón, te guardé de la opinión de los hombres; al hacerse sensible tu corazón, te preservé del imperio de las pasiones. Si hubiera podido prolongar esta interior tranquilidad hasta el fin de tu vida, yo habría afirmado mi obra y siempre serías todo lo feliz que un hombre puede ser, pero en vano, querido Emilio, he templado tu alma en la Estigia, pues no he conseguido hacerla invulnerable por todas partes; se presenta un nuevo enemigo que aún no has aprendido a vencer y del que no puedo liberarte. Ese enemigo eres tú mismo. La naturaleza y la fortuna te habían dejado libre. Podías soportar la miseria, sufrir los dolores corporales y desconocías los del espíritu; no estabas obligado más que a tu condición humana, y ahora lo estás con todos los vínculos en que tú te has atado; al aprender a desear, te has convertido en esclavo de tus deseos. Sin que cambie nada en ti, sin que nada te ofenda, sin que nada toque tu ser, muchos sinsabores pueden ensombrecer tu alma. Muchos dolores puedes sentir sin estar enfermo y muchas muertes puedes padecer sin morir. Una mentira, un error, una duda, puede conducirte a la desesperación. |
« Tu voyais au théâtre les héros, livrés à des douleurs extrêmes, faire retentir la scène de leurs cris insensés, s’affliger comme des femmes, pleurer comme des enfants, et mériter ainsi les applaudissements publics. Souviens-toi du scandale que te causaient ces lamentations, ces cris, ces plaintes, dans des hommes dont on ne devait attendre que des actes de constance et de fermeté. Quoi ! disais-tu, tout indigné, ce sont là les exemples qu’on nous donne à suivre, les modèles qu’on nous offre à imiter ! A-t-on peur que l’homme ne soit pas assez petit, assez malheureux, assez faible, si l’on ne vient encore encenser sa faiblesse sous la fausse image de la vertu ? Mon jeune ami, sois plus indulgent désormais pour la scène : te voilà devenu l’un de ses héros. | »En el teatro has visto a los héroes, víctimas de grandes dolores, que ensordecen con sus alaridos, que se afligen como mujeres, que lloran como criaturas y se ganan el aplauso del público. Recuerda la sorpresa que estas lamentaciones, estos clamores y estas quejas te causaban en hombres de los que sólo los actos de constancia y de entereza debían esperarse. Decías, indignado, si eran los ejemplos que querían que siguiésemos, los modelos que debíamos imitar. "Temen que el hombre no sea lo bastante mezquino, desventurado y débil, y todavía vienen a exaltar a su flaqueza con la falsa imagen de la virtud", agregabas. Pues, querido joven, de hoy en adelante sé más indulgente con el teatro del mundo, que ya eres uno de sus héroes. |
« Tu sais souffrir et mourir : tu sais endurer la loi de la nécessité dans les maux physiques ; mais tu n’as point encore imposé de lois aux appétits de ton cœur ; et c’est de nos affections, bien plus que de nos besoins, que naît le trouble de notre vie. Nos désirs sont étendus, notre force est presque nulle. L’homme tient par ses vœux à mille choses, et par lui-même il ne tient à rien, pas même à sa propre vie ; plus il augmente ses attachements, plus il multiplie ses peines. Tout ne fait que passer sur la terre : tout ce que nous aimons nous échappera tôt ou tard, et nous y tenons comme s’il devait durer éternellement. Quel effroi sur le seul soupçon de la mort de Sophie ! As-tu donc compté qu’elle vivrait toujours ? Ne meurt-il personne à son âge ? Elle doit mourir, mon enfant, et peut-être avant toi. Qui sait si elle est vivante à présent même ? La nature ne t’avait asservi qu’à une seule mort, tu t’asservis à une seconde ; te voilà dans le cas de mourir deux fois. | Sabes sufrir y morir, sabes soportar la ley de la necesidad en los males físicos, pero aún no han impuesto leyes a los apetitos del corazón, y los pesares de nuestra vida, más que de nuestras necesidades, nacen de nuestra casi nula fuerza. El hombre está unido con mil cosas por sus anhelos, y por sí mismo no lo está con nada, ni siquiera con su misma vida; cuanto más aumenta sus vínculos, más multiplica sus penas. Por la tierra todo pasa rápidamente; todo lo que amamos, tarde o temprano ha de faltarnos, y sentimos ese amor como si hubiera de durar eternamente. ¡Qué terror ante la sospecha de la muerte de Sofía! ¿:Has creído que ha de vivir siempre? ¿:No muere ninguna a sus años? Tiene que morir, hijo mío y quizá antes que tú, y, ¿:quién sabe si en este momento vive? La naturaleza te había sujetado a una sola muerte, y tú te sujetas a una segunda, y te hallas en el caso de morir dos veces. |
« Ainsi soumis à tes passions déréglées, que tu vas rester à plaindre ! Toujours des privations, toujours des pertes, toujours des alarmes ; tu ne jouiras pas même de ce qui te sera laissé. La crainte de tout perdre t’empêchera de rien posséder ; pour n’avoir voulu suivre que tes passions, jamais tu ne les pourras satisfaire. Tu chercheras toujours le repos, il fuira toujours devant toi, tu seras misérable, et tu deviendras méchant. Et comment pourrais-tu ne pas l’être, n’ayant de loi que tes désirs effrénés ! Si tu ne peux supporter des privations involontaires, comment t’en imposeras-tu volontairement ? comment sauras-tu sacrifier le penchant au devoir et résister à ton cœur pour écouter ta raison ? Toi qui ne veux déjà plus voir celui qui t’apprendra la mort de ta maîtresse, comment verrais-tu celui qui voudrait te l’ôter vivante, celui qui t’oserait dire : Elle est morte pour toi, la vertu te sépare d’elle ? S’il faut vivre avec elle quoi qu’il arrive, que Sophie soit mariée ou non, que tu sois libre ou ne le sois pas, qu’elle t’aime ou te haïsse, qu’on te l’accorde ou qu’on te la refuse, n’importe, tu la veux, il la faut posséder à quelque prix que ce soit. Apprends-moi donc à quel crime s’arrête celui qui n’a de lois que les vœux de son cœur, et ne sait résister à rien de ce qu’il désire. | »Sometido así a tus desordenadas pasiones, ¡qué compasión merecerás! Siempre privaciones, pérdidas y sobresaltos, nunca disfrutarás de lo que te han dejado. El temor de perderlo todo evitará que poseas nada, y por haber querido seguir tus pasiones, nunca podrás satisfacerlas. Siempre desearás el sosiego, y huirá siempre de ti; serás desgraciado y te volverás malo. ¿:Y cómo podrías no serlo si no tienes otra ley que tus desenfrenados deseos? Si no puedes sufrir las privaciones involuntarias, ¿:cómo te has de imponer las voluntarias? ¿:Cómo has de sacrificar tu inclinación y resistirte a tu corazón por escuchar la razón? Tú, que ya no quieres ver al que te anunciase la muerte de tu amada, ¿:cómo verías a quien quisiera quitártela viva, a quien se atreviese a decirte que para ti ha muerto? Si forzosamente has de vivir con ella, sea o no casada Sofía, seas tú libre o no, te ame o te deteste, que te la den o te la nieguen, nada importa que tú la quieras; es forzoso que la poseas a cualquier precio. Dime, pues, ¿:en qué delito incurre el que no sigue otras leyes que los ímpetus de su corazón y a nada de lo que desea sabe resistirse? |
« Mon enfant, il n’y a point de bonheur sans courage, ni de vertu sans combat. Le mot de vertu vient de force ; la force est la base de toute vertu. La vertu n’appartient qu’à un être faible par sa nature, et fort par sa volonté ; c’est en cela seul que consiste le mérite de l’homme juste ; et quoique nous appelions Dieu bon, nous ne l’appelons pas vertueux, parce qu’il n’a pas besoin d’efforts pour bien faire. Pour t’expliquer ce mot si profané, j’ai attendu que tu fusses en état de m’entendre. Tant que la vertu ne coûte rien à pratiquer, on a peu besoin de la connaître. Ce besoin vient quand les passions s’éveillent : il est déjà venu pour toi. | »Hijo mío, no existe felicidad sin valor, ni virtud sin resistencia. La palabra "virtud" viene de "fuerza", y la fuerza es la base de toda virtud. La virtud sólo pertenece a un ser débil por su naturaleza y fuerte por su voluntad, y aunque digamos que Dios es bueno, no le llamamos virtuoso, porque para obrar bien no necesita hacer esfuerzo alguno. He esperado a que estuvieses en la edad de entenderme para explicarte esta palabra tan profana. Cuando no cuesta nada practicarla hay poca necesidad de conocer la virtud. Esta necesidad llega cuando las pasiones se despiertan, y para ti ya ha llegado. |
« En t’élevant dans toute la simplicité de la nature, au lieu de te prêcher de pénibles devoirs, je t’ai garanti des vices qui rendent ces devoirs pénibles ; je t’ai moins rendu le mensonge odieux qu’inutile ; je t’ai moins appris à rendre à chacun ce qui lui appartient, qu’à ne te soucier que de ce qui est à toi ; je t’ai fait plutôt bon que vertueux. Mais celui qui n’est que bon ne demeure tel qu’autant qu’il a du plaisir à l’être : la bonté se brise et périt sous le choc des passions humaines ; l’homme qui n’est que bon n’est bon que pour lui. | »Educándote con toda la sencillez de la naturaleza, en lugar de prescribir penosas obligaciones, te he preservado de los vicios que hacen penosas estas obligaciones; he hecho que aborrezcas la mentira porque es inútil; te he enseñado a darle a cada uno lo suyo y a no interesarte por lo que no es tuyo, y antes he tratado de que fueses bueno que virtuoso. Pero el que es bueno y no disfruta siéndolo, no se mantiene en esa situación; la bondad se rompe y muere con el choque de las pasiones, y el hombre que no únicamente es bueno, sólo es bueno para sí mismo. |
« Qu’est-ce donc que l’homme vertueux ? C’est celui qui sait vaincre ses affections ; car alors il suit sa raison, sa conscience ; il fait son devoir ; il se tient dans l’ordre, et rien ne l’en peut écarter. Jusqu’ici tu n’étais libre qu’en apparence ; tu n’avais que la liberté précaire d’un esclave à qui l’on n’a rien commandé. Maintenant sois libre en effet ; apprends à devenir ton propre maître ; commande à ton cœur, ô Émile, et tu seras vertueux. | »¿:Pues cuál es el hombre virtuoso? El que sabe vencer sus afectos, porque entonces sigue la norma de la razón y de la conciencia, cumple con su deber, persiste fiel al orden y nada puede apartarle de él. Hasta aquí tu libertad sólo era aparente; poseías la ínfima libertad de un esclavo a quien no han ordenado nada. Ahora aprende a ser dueño de ti y a ser efectivamente libre. Manda, Emilio, en tu corazón, y serás virtuoso. |
« Voilà donc un autre apprentissage à faire, et cet apprentissage est plus pénible que le premier : car la nature nous délivre des maux qu’elle nous impose, ou nous apprend à les supporter ; mais elle ne nous dit rien pour ceux qui nous viennent de nous ; elle nous abandonne à nous-mêmes ; elle nous laisse, victimes de nos passions, succomber à nos vaines douleurs, et nous glorifier encore des pleurs dont nous aurions dû rougir. | »He aquí otro aprendizaje que te espera, más penoso que el primero, pues la naturaleza nos libra de los males que nos impone, o nos enseña cómo hay que sufrirlos; mas en los que provienen por nuestra causa, no nos ayuda, nos abandona a nosotros mismos, dejando que, víctimas de nuestras pasiones, nos rindamos a nuestros inútiles dolores, y aun nos desahogamos con llantos que debieran avergonzarnos. |
« C’est ici la première passion. C’est la seule peut-être qui soit digne de toi. Si tu la sais régir en homme, elle sera la dernière ; tu subjugueras toutes les autres, et tu n’obéiras qu’à celle de la vertu. | »Esta es tu primera pasión, y quizá la única digna de ti. Si como hombre sabes regirla, será la última; dominarás las demás y sólo obedecerás la que atañe a la virtud. |
« Cette passion n’est pas criminelle, je le sais bien ; elle est aussi pure que les âmes qui la ressentent. L’honnêteté la forma, l’innocence l’a nourrie. Heureux amants ! les charmes de la vertu ne font qu’ajouter pour vous à ceux de l’amour ; et le doux lien qui vous attend n’est pas moins le prix de votre sagesse que celui de votre attachement. Mais dis-moi, homme sincère, cette passion si pure t’en a-t-elle moins subjugué ? t’en es-tu moins rendu l’esclave ? et si demain elle cessait d’être innocente, l’étoufferais-tu dès demain ? C’est à présent le moment d’essayer tes forces ; il n’est plus temps quand il les faut employer. Ces dangereux essais doivent se faire loin du péril. On ne s’exerce point au combat devant l’ennemi, on s’y prépare avant la guerre ; on s’y présente déjà tout préparé. | »Sé que esta pasión no es culpable y que es tan pura como las almas que la sienten. La honestidad la crea y la inocencia la nutre. ¡Venturosos amantes! Los encantos de la virtud no tienen otros efectos que la de aumentar en vosotros los del amor, y el suave yugo que os aguarda es unía recompensa que proviene más de vuestro recato que de vuestro cariño. Pero dime, hombre sincero, ¿:no te ha dominado esa pasión tan pura? ¿:No te ha hecho su esclavo? Y si mañana dejara de ser inocente, ¿:la estrujarías en el acto? Ha llegado la hora de probar tus fuerzas, pues debe hacerse cuando es necesario. Los peligros deben afrontarse antes de que sea tarde. El soldado no se ejercita para la lucha delante del enemigo, sino que se dispone antes de la guerra y cuando se presenta ya está preparado. |
« C’est une erreur de distinguer les passions en permises et défendues, pour se livrer aux premières et se refuser aux autres. Toutes sont bonnes quand on en reste le maître ; toutes sont mauvaises quand on s’y laisse assujettir. Ce qui nous est défendu par la nature, c’est d’étendre nos attachements plus loin que nos forces : ce qui nous est défendu par la raison, c’est de vouloir ce que nous ne pouvons obtenir ; ce qui nous est défendu par la conscience n’est pas d’être tentés, mais de nous laisser vaincre aux tentations. Il ne dépend pas de nous d’avoir ou de n’avoir pas des passions, mais il dépend de nous de régner sur elles. Tous les sentiments que nous dominons sont légitimes ; tous ceux qui nous dominent sont criminels. Un homme n’est pas coupable d’aimer la femme d’autrui, s’il tient cette passion malheureuse asservie à la loi du devoir ; il est coupable d’aimer sa propre femme au point d’immoler tout à son amour. | »El distinguir las pasiones en lícitas y prohibidas, para abandonarse a las primeras y negarse a las otras, es un error. Para quien las sabe dominar, todas son buenas, como son malas para el que se deja vencer por ellas. Lo que nos tiene vedado la naturaleza, es extender nuestros lazos más allá de lo que permiten nuestras fuerzas; lo que rechaza la razón es pretender lo que no podemos alcanzar; lo que nos prohíbe la conciencia no son las tentaciones, sino que nos dejemos vencer por ellas. El tener o no tener pasiones no depende de nosotros, pero sí depende de nosotros el regularlas. Todos los sentimientos que sepamos dominar son legítimos, y despreciables todos los que nos dominan. Un hombre no peca por amar a la mujer de otro si sujeta esta desdichada pasión a la ley del deber, pero sí peca cuando ama a su propia mujer hasta el extremo de sacrificarlo todo a su amor. |
« N’attends pas de moi de longs préceptes de morale ; je n’en ai qu’un seul à te donner, et celui-là comprend tous les autres. Sois homme ; retire ton cœur dans les bornes de ta condition. Etudie et connais ces bornes ; quelque étroites qu’elles soient, on n’est point malheureux tant qu’on s’y renferme ; on ne l’est que quand on veut les passer ; on l’est quand dans ses désirs insensés, on met au rang des possibles ce qui ne l’est pas ; on l’est quand on oublie son état d’homme pour s’en forger d’imaginaires, desquels on retombe toujours dans le sien. Les seuls biens dont la privation coûte sont ceux auxquels on croit avoir droit. L’évidente impossibilité de les obtenir en détache ; les souhaits sans espoir ne tourmentent point. Un gueux n’est point tourmenté du désir d’être roi ; un roi ne veut être dieu que quand il croit n’être plus homme. | »No esperes de mí largos preceptos de moral; sólo tengo que darte uno y ése comprende todos los demás. Sé hombre; limita tu deseo a los límites de tu condición. Estudia y conoce estos límites, pues si uno se encierra en ellos, por estrechos que sean, nunca será infeliz, pero lo es el que los rebasa, el que con sus desatinados deseos cree posible lo que no lo es, el que se olvida de su estado de hombre para forjarse otro imaginario, del que ya no se libra. Los únicos bienes cuya privación nos es un sacrificio son aquellos a los que creemos que tenemos derecho. La imposibilidad de poderlos alcanzar nos detiene y nos atormentan los deseos sin esperanza. Un mendigo no sufre con el deseo de ser rey, y un rey quiere ser Dios sólo cuando cree que es más que hombre. |
« Les illusions de l’orgueil sont la source de nos plus grands maux ; mais la contemplation de la misère humaine rend le sage toujours modéré. Il se tient à sa place, il ne s’agite point pour en sortir ; il n’use point inutilement ses forces pour jouir de ce qu’il ne peut conserver ; et, les employant toutes à bien posséder ce qu’il a, il est en effet plus puissant et plus riche de tout ce qu’il désire de moins que nous. Etre mortel et périssable, irai-je me former des nœuds éternels sur cette terre, où tout change, où tout passe, et dont je disparaîtrai demain ? O Émile, ô mon fils ! en te perdant, que me resterait-il de moi ? Et pourtant il faut que j’apprenne à te perdre : car qui sait quand tu me seras ôté ? | »La fuente de nuestros mayores males son las ilusiones del orgullo, pero siempre nos modera la contemplación de la miseria humana. Permanece en su puesto, no se impacienta por salir de él, ni gasta inútilmente sus fuerzas para disfrutar lo que no puede conservar, y empleándolas todas en la posesión de lo que tiene, en realidad es más poderoso y rico en todo lo que desea con menos intensidad que nosotros. Siendo yo mortal y deleznable, ¿:he de poner lazos con nudos externos sobre esta tierra, donde todo cambia, todo para y de donde desapareceré mañana? ¡Ah, Emilio, hijo mío!, si te perdiera, ¿:qué es lo que quedaría de mí? Pero es preciso que me vaya acostumbrando a perderte, porque, ¿:quién sabe cuándo me serás robado? |
« Veux-tu donc vivre heureux et sage, n’attache ton cœur qu’à la beauté qui ne périt point : que ta condition borne tes désirs, que tes devoirs aillent avant tes penchants : étends la loi de la nécessité aux choses morales ; apprends à perdre ce qui peut t’être enlevé ; apprends à tout quitter quand la vertu l’ordonne, à te mettre au-dessus des événements, à détacher ton cœur sans qu’ils le déchirent, à être courageux dans l’adversité, afin de n’être jamais misérable, à être ferme dans ton devoir, afin de n’être jamais criminel. Alors tu seras heureux malgré la fortune, et sage malgré les passions. Alors tu trouveras dans la possession même des biens fragiles une volupté que rien ne pourra troubler ; tu les posséderas sans qu’ils te possèdent, et tu sentiras que l’homme, à qui tout échappe, ne jouit que de ce qu’il sait perdre. Tu n’auras point, il est vrai, l’illusion des plaisirs imaginaires ; tu n’auras point aussi les douleurs qui en sont le fruit. Tu gagneras beaucoup à cet échange ; car ces douleurs sont fréquentes et réelles, et ces plaisirs sont rares et vains. Vainqueur de tant d’opinions trompeuses, tu le seras encore de celle qui donne un si grand prix à la vie. Tu passeras la tienne sans trouble et la termineras sans effroi ; tu t’en détacheras, comme de toutes choses. Que d’autres, saisis d’horreur, pensent en la quittant cesser d’être ; instruit de son néant, tu croiras commencer. La mort est la fin de la vie du méchant, et le commencement de celle du juste. » | ¿:Quieres, pues, vivir feliz y sabio? No entregues tu corazón más que a la belleza, que nunca muere; limita tu condición, tus deseos, y que tus obligaciones sean antes que tus inclinaciones; extiende la ley de la necesidad a las cosas morales, aprende a perder lo que te pueden quitar, y a dejarlo todo cuando lo manda la virtud, a superar los acontecimientos adversos antes de que destrocen tu corazón, a ser fuerte en las horas difíciles, a someterte a tu obligación para no ser un delincuente. Entonces serás feliz a despecho de la fortuna y feliz y sabio a pesar de las pasiones; entonces, en la misma posesión de los bienes frágiles, encontrarás un deleite que nada podrá perturbar; los poseerás sin que te posean, y sabrás que el hombre de quien todo huye, sólo goza de lo que sabe perder. Es verdad que carecerás de los placeres imaginarios, pero también te librarás de los sufrimientos que producen. De este cambio sacarás mucha ventaja, porque los sufrimientos son reales y frecuentes, y los placeres son raros y vanos. Vencedor de tantas opiniones falaces, también lo serás de la que tanto premio atribuye a la vida; pasarás la tuya sin turbación y la terminarás sin espanto; sabrás desprenderte de ella como de todas las cosas. Otros, invadidos por el terror, piensan que dejan de existir cuando la dejan, pero tú, consciente ya de que la vida no tiene ningún valor, creerás que comienzas a vivir. La muerte es el fin de la vida del malvado y el principio de la del justo.» |
Émile m’écoute avec une attention mêlée d’inquiétude. Il craint à ce préambule quelque conclusion sinistre. Il pressent qu’en lui montrant la nécessité d’exercer la force de l’âme, je veux le soumettre à ce dur exercice ; et, comme un blessé qui frémit en voyant approcher le chirurgien, il croit déjà sentir sur sa plaie la main douloureuse, mais salutaire, qui l’empêche de tomber en corruption. | Temiendo de este preámbulo alguna conclusión siniestra, Emilio me escucha con una atención mezclada de inquietud. Tiene el presentimiento de que, habiéndole expuesto la necesidad de ejercitar la fuerza de ánimo, le quiero sujetar a esta dura prueba, y como el herido que se estremece al ver acercarse al cirujano, ya cree sentir la dolorosa mano en su llaga, que, benéfica, impide que se gangrene. |
Incertain, troublé, pressé de savoir où j’en veux venir, au lieu de répondre, il m’interroge, mais avec crainte. Que faut-il faire ? me dit-il presque en tremblant et sans oser lever les yeux. Ce qu’il faut faire, réponds-je d’un ton ferme, il faut quitter Sophie. Que dites-vous ? s’écrie-t-il avec emportement : quitter Sophie ! la quitter, la tromper, être un traître, un fourbe, un parjure !... Quoi ! reprends-je en l’interrompant, c’est de moi qu’Émile craint d’apprendre à mériter de pareils noms ? Non, continue-t-il avec la même impétuosité, ni de vous ni d’un autre ; je saurai, malgré vous, conserver votre ouvrage ; je saurai ne les pas mériter. | Irresoluto, perturbado, ansioso por saber adónde quiero ir a parar, en vez de responder, me pregunta con miedo. «¿:Qué es lo que hay que hacer?» «Lo que conviene hacer -le respondo con firmeza-, es dejar a Sofía.» «¿:Qué decís? -exclama arrebatado-; ¡dejar a Sofía!, ¡abandonarla, engañarla, ser un hombre falso, un traidor, un perjuro...!» «¿:Cómo? -le replico, interrumpiéndole-, ¿:piensas aprender de mí a merecer esos nombres?» «No -continúa con el mismo ímpetu-; ni de vos ni de nadie, pues yo sabré, para conservar vuestra obra, no merecerlos.» |
Je me suis attendu à cette première furie ; je la laisse passer sans m’émouvoir. Si je n’avais pas la modération que je lui prêche, j’aurais bonne grâce à la lui prêcher ! Émile me connaît trop pour me croire capable d’exiger de lui rien qui soit mal, et il sait bien qu’il ferait mal de quitter Sophie, dans le sens qu’il donne à ce mot. Il attend donc enfin que je m’explique. Alors je reprends mon discours. | Esa irascibilidad ya la esperaba yo, y sin inquietarme, dejo que se le pase. Si no tuviese la moderación que le predico, mal me estaría predicársela. Emilio me conoce muy bien para creerme capaz de exigirle nada que sea malo, y también sabe que obraría muy mal si dejara a Sofía, en el sentido que le da a esa palabra. Por lo tanto espera que yo me explique. Entonces reanudo mi discurso. |
« Croyez-vous, cher Émile, qu’un homme, en quelque situation qu’il se trouve, puisse être plus heureux que vous l’êtes depuis trois mois ? Si vous le croyez, détrompez-vous. Avant de goûter les plaisirs de la vie, vous en avez épuisé le bonheur. Il n’y a rien au delà de ce que vous avez senti. La félicité des sens est passagère ; l’état habituel du cœur y perd toujours. Vous avez plus joui par l’espérance que vous ne jouirez jamais en réalité. L’imagination qui pare ce qu’on désire l’abandonne dans la possession. Hors le seul être existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas. Si cet état eût pu durer toujours, vous auriez trouvé le bonheur suprême. Mais tout ce qui tient à l’homme se sent de sa caducité ; tout est fini, tout est passager dans la vie humaine : et quand l’état qui nous rend heureux durerait sans cesse, l’habitude d’en jouir nous en ôterait le goût. Si rien ne change au dehors, le cœur change ; le bonheur nous quitte, ou nous le quittons. | «¿:Creéis, querido Emilio, que un hombre puede ser, en cualquier situación en que se encuentre, más feliz que lo que lo sois vos desde hace tres meses? Si lo pensáis, debéis desengañaros. Antes de gozar de los deleites de la vida, tenéis ya vacío el vaso de la felicidad. No hay más de lo que ya habéis gozado. La felicidad de los sentidos es transitoria; el estado del corazón siempre pierde con ella. Habéis gozado más con la esperanza que lo que nunca gozaréis en realidad. La imaginación, que cubre todo lo que deseamos, en la posesión la abandona. Fuera del único ser existente para él, no hay nada más hermoso que lo que no existe. Si ese estado hubiese podido durar siempre, habríais hallado la suma felicidad. Pero habéis de saber que todo lo que depende del hombre se resiente de su miseria; todo termina, todo es efímero en la vida humana, y aun cuando el estado que nos hace felices durara sin cesar, el hábito de gozarlo nos quitaría el gusto de poseerlo. Si en el exterior nada sufre ningún cambio, sí cambia el corazón; la dicha nos deja o la dejamos nosotros. |
« Le temps que vous ne mesuriez pas s’écoulait durant votre délire. L’été finit, l’hiver s’approche. Quand nous pourrions continuer nos courses dans une saison si rude, on ne le souffrirait jamais. Il faut bien, malgré nous, changer de manière de vivre ; celle-ci ne peut plus durer. Je vois dans vos yeux impatients que cette difficulté ne vous embarrasse guère : l’aveu de Sophie et vos propres désirs vous suggèrent un moyen facile d’éviter la neige et de n’avoir plus de voyage à faire pour l’aller voir. L’expédient est commode sans doute : mais le printemps venu, la neige fond et le mariage reste ; il y faut penser pour toutes les saisons. | »Mientras duraba vuestro delirio, el tiempo transcurría sin que os dieseis cuenta, pero el verano se acaba y se acerca el invierno. Aun cuando pudiéramos repetir nuestras caminatas en tan mala estación, no nos lo consentirían. Por fuerza, aun a pesar nuestro, tenemos que cambiar el modo de vivir. Observo en vuestros impacientes ojos que esta dificultad no os preocupa mucho; el consentimiento de Sofía y vuestros propios deseos os indican un medio fácil para evitar la nieve y no tener que hacer más caminatas para ir a verla. El expediente sin duda resulta cómodo, pero llegada la primavera la nieve se derrite y el noviazgo sigue, pero hay que pensar en todas las estaciones del año. |
« Vous voulez épouser Sophie, et il n’y a pas cinq mois que vous la connaissez ! Vous voulez l’épouser, non parce qu’elle vous convient, mais parce qu’elle vous plaît ; comme si l’amour ne se trompait jamais sur les convenances, et que ceux qui commencent par s’aimer ne finissent jamais par se haïr ! Elle est vertueuse, je le sais ; mais en est-ce assez ? suffit-il d’être honnêtes gens pour se convenir ? ce n’est pas sa vertu que je mets en doute, c’est son caractère. Celui d’une femme se montre-t-il en un jour ? Savez-vous en combien de situations il faut l’avoir vue pour connaître à fond son humeur ? Quatre mois d’attachement vous répondent-ils de toute la vie ? Peut-être deux mois d’absence vous feront-ils oublier d’elle ; peut-être un autre n’attend-il que votre éloignement pour vous effacer de son cœur ; peut-être, à votre retour, la trouverez-vous aussi indifférente que vous l’avez trouvée sensible jusqu’à présent. Les sentiments ne dépendent pas des principes ; elle peut rester fort honnête et cesser de vous aimer. Elle sera constante et fidèle, je penche à le croire ; mais qui vous répond d’elle et qui lui répond de vous, tant que vous ne vous êtes point mis à l’épreuve ? Attendrez-vous, pour cette épreuve, qu’elle vous devienne inutile ? Attendrez-vous, pour vous connaître, que vous ne puissiez plus vous séparer ? | »Queréis casaros con Sofía y todavía no hace cinco meses que la conocéis. Queréis casaros, no porque os conviene ella, sino porque os gusta, como si el amor no se engañase nunca acerca de las conveniencias, y como si nunca los que empiezan amándose acabasen despreciándose. Es virtuosa, lo sé, ¿:pero basta con eso? ¿:Es suficiente el ser personas honestas para avenirse? No es de su virtud de lo que dudo, sino de su carácter. ¿:El de una mujer se revela en un día? ¿:Sabéis en cuántas situaciones hay que verla para conocerla bien? Cuatro meses de cariño, ¿:os responden de la vida entera? Dos meses de ausencia tal vez sean suficientes para que os olvide, y quizá otro espera a que estéis lejos para borraros de su pecho; acaso cuando volváis la encontraréis tan indiferente como hasta ahora la habéis hallado sensible. Los afectos no dependen de los principios; puede seguir siendo muy digna y dejar de amaros. Yo me inclino a creer que será constante y fiel, ¿:pero quién os responde de ella, y quién le responde a ella de vos mientras no habéis llegado a las mayores pruebas? Para la prueba, ¿:esperáis que sea inútil? Para conoceros, ¿:esperáis a cuando ya no os podréis separar? |
« Sophie n’a pas dix-huit ans ; à peine en passez-vous vingt-deux ; cet âge est celui de l’amour, mais non celui du mariage. Quel père et quelle mère de famille ! Eh ! pour savoir élever des enfants, attendez au moins de cesser de l’être. Savez-vous à combien de jeunes personnes les fatigues de la grossesse supportées avant l’âge ont affaibli la constitution, ruiné la santé, abrégé la vie ? Savez-vous combien d’enfants sont restés languissants et faibles, faute d’avoir été nourris dans un corps assez formé ? Quand la mère et l’enfant croissent à la fois, et que la substance nécessaire à l’accroissement de chacun des deux se partage, ni l’un ni l’autre n’a ce que lui destinait la nature : comment se peut-il que tous deux n’en souffrent pas ? Ou je connais fort mal Émile, ou il aimera mieux avoir plus tard une femme et des enfants robustes, que de contenter son impatience aux dépens de leur vie et de leur santé. | »Sofía aún no tiene dieciocho años y vos acabáis de cumplir veintidós; esta edad es la del amor, pero no la del matrimonio. ¡Qué padre y madre de familia! Para saber educar niños, esperad por lo menos que no lo seáis. ¿:Sabéis cuántos jóvenes han visto su salud alterada y cuántas han muerto a causa de un embarazo precoz? ¿:Ignoráis cuántos niños, por no haber tomado su primera sustancia de un cuerpo lo suficientemente desarrollado, han vivido endebles y enfermizos? Cuando el crecimiento de la madre y el del hijo vayan a la par, y se reparte la sustancia necesaria para el incremento de cada uno, ni a él ni a ella les llega lo que señala la naturaleza, ¿:y cómo es posible, entonces, que los dos no sufran? O conozco muy mal a Emilio, o querrá tener más tarde hijos y mujer robustos en vez de que su impaciencia sacrifique su vida y su salud. |
« Parlons de vous. En aspirant à l’état d’époux et de père, en avez-vous bien médité les devoirs ? En devenant chef de famille, vous allez devenir membre de l’Etat. Et qu’est-ce qu’être membre de l’Etat ? le savez-vous ? Vous avez étudié vos devoirs d’homme, mais ceux de citoyen, les connaissez-vous ? savez-vous ce que c’est que gouvernement, lois, patrie ? Savez-vous à quel prix il vous est permis de vivre, et pour qui vous devez mourir ? Vous croyez avoir tout appris, et vous ne savez rien encore. Avant de prendre une place dans l’ordre civil, apprenez à le connaître et à savoir quel rang vous y convient. | »Hablemos de vos, Emilio. Aspiráis al estado de esposo y padre, ¿:pero habéis pensado en vuestras obligaciones? Haciéndoos cabeza de familia, os vais a hacer miembro del Estado. ¿:Y qué es ser miembro del Estado? ¿:Lo sabéis? Habéis estudiado vuestras obligaciones de hombre, ¿:pero conocéis las de ciudadano? ¿:Sabéis qué cosa es Gobierno, leyes y patria? ¿:Sabéis a qué precio os es lícito vivir y por quién debéis morir? Creéis que todo lo habéis aprendido y todavía no sabéis nada. Antes de tomar asiento en el orden civil, aprended a conocerlo y a saber qué puesto os corresponde. |
« Émile, il faut quitter Sophie : je ne dis pas l’abandonner ; si vous en étiez capable, elle serait trop heureuse de ne vous avoir point épousé : il la faut quitter pour revenir digne d’elle. Ne soyez pas assez vain pour croire déjà la mériter. O combien il vous reste à faire ! Venez remplir cette noble tâche ; venez apprendre à supporter l’absence ; venez gagner le prix de la fidélité, afin qu’à votre retour vous puissiez vous honorer de quelque chose auprès d’elle, et demander sa main, non comme une grâce, mais comme un récompense. » | »Emilio, hay que dejar a Sofía; no digo abandonarla, aunque si fueseis capaz, para ella sería una gran dicha no casarse con vos; es preciso dejarla para volver siendo digno de ella. No seáis tan vano pensando que ya la merecéis. ¡Con lo que aún tenéis que hacer! Venid a desempeñar esta noble tarea, venid a aprender a sufrir la ausencia-, venid a ganar el premio de la fidelidad, para que al volver podáis honraros por algo junto a ella, y pedir su mano, no como una gracia, sino como una recompensa.» |
Non encore exercé à lutter contre lui-même, non encore accoutumé à désirer une chose et à en vouloir une autre, le jeune homme ne se rend pas ; il résiste, il dispute. Pourquoi se refuserait-il au bonheur qui l’attend ? Ne serait-ce pas dédaigner la main qui lui est offerte que de tarder à l’accepter ? Qu’est-il besoin de s’éloigner d’elle pour s’instruire de ce qu’il doit savoir ? Et quand cela serait nécessaire, pourquoi ne lui laisserait-il pas, dans des nœuds indissolubles, le gage assuré de son retour ? Qu’il soit son époux, et il est prêt à me suivre ; qu’ils soient unis, et il la quitte sans crainte... Vous unir pour vous quitter, cher Émile, quelle contradiction ! Il est beau qu’un amant puisse vivre sans sa maîtresse ; mais un mari ne doit jamais quitter sa femme sans nécessité. Pour guérir vos scrupules, je vois que vos délais doivent être involontaires : il faut que vous puissiez dire à Sophie que vous la quittez malgré vous. Eh bien ! soyez content, et, puisque vous n’obéissez pas à la raison, reconnaissez un autre maître. Vous n’avez pas oublié l’engagement que vous avez pris avec moi. Émile, il faut quitter Sophie ; je le veux. | No acostumbrado todavía a luchar contra sí mismo, aún inexperto en desear una cosa y querer otra, el joven no se rinde y se resiste, diciendo: «¿:Por qué he de rehusar la felicidad que me espera? ¿:No sería desdeñar la mano que me brindan si tardase en aceptarla? ¿:Qué necesidad tengo de apartarme de ella para saber lo que le debo? Y aun cuando así fuese necesario, ¿:por qué no dejar con indisolubles vínculos la prenda segura de mi vuelta? Siendo su esposo, estoy dispuesto a separarme de ella; unámonos y la dejo sin temor». «¿:Uniros para separaros, querido Emilio? ¡Qué contradicción! Es muy hermoso que un hombre pueda vivir sin su amante, pero un marido no debe dejar a su mujer sin necesidad. Observo que para atenuar vuestros escrúpulos, vuestras dilaciones han de ser involuntarias; es preciso que le podáis decir a Sofía que la dejáis contra vuestra voluntad. Bien está, contentaos, y puesto que no obedecéis a la razón, reconoced a otro dueño. No habréis olvidado el compromiso que habéis contraído conmigo. Emilio, hay que dejar a Sofía; yo lo ordeno.» |
À ce mot il baisse la tête, se tait, rêve un moment, et puis, me regardant avec assurance, il me dit : Quand partons-nous ? Dans huit jours, lui dis-je ; il faut préparer Sophie à ce départ. Les femmes sont plus faibles, on leur doit des ménagements ; et cette absence n’étant pas un devoir pour elle comme pour vous, il lui est permis de la supporter avec moins de courage. | Ante estas palabras inclina la cabeza, calla, medita un momento, y luego, mirándome con entereza, me dice «¿:Cuándo nos vamos?» «Dentro de ocho días -le contesto-; hay que preparar a Sofía para esta partida. A las mujeres se les deben más contemplaciones, y como esa ausencia no es para ella una obligación como lo es para vos, le es lícito el sufrirla con menos conformidad.» |
Je ne suis que trop tenté de prolonger jusqu’à la séparation de mes jeunes gens le journal de leurs amours ; mais j’abuse depuis longtemps de l’indulgence des lecteurs ; abrégeons pour finir une fois. Émile osera-t-il porter aux pieds de sa maîtresse la même assurance qu’il vient de montrer à son ami ? Pour moi, je le crois ; c’est de la vérité même de son amour qu’il doit tirer cette assurance. Il serait plus confus devant elle s’il lui en coûtait moins de la quitter ; il la quitterait en coupable, et ce rôle est toujours embarrassant pour un cœur honnête : mais plus le sacrifice lui coûte, plus il s’en honore aux yeux de celle qui le lui rend pénible. Il n’a pas peur qu’elle prenne le change sur le motif qui le détermine. Il semble lui dire à chaque regard : O Sophie ! lis dans mon cœur, et sois fidèle ; tu n’as pas un amant sans vertu. | Tentado estoy de prolongar hasta la separación de mis dos jóvenes el diario de sus amores, pero hace mucho tiempo que estoy abusando de la indulgencia de mis lectores, por lo que debo terminar de una vez. ¿:Se atreverá Emilio a tener con su amada la misma entereza que conmigo? Así lo creo; de la misma verdad de su amor debe sacar esa seguridad. Más confuso estaría en su presencia si le fuese menos costoso el dejarla; la dejaría como cargado de culpa, y este papel es siempre difícil para un corazón honrado; cuanto mayor es su sacrificio, más se honra a los ojos de la que le es tan querida. No teme que su amada no acierte el motivo que lo determina, y parece que con cada mirada le dice «Sofía, lee dentro de mi corazón y me serás fiel; tu amante no es un hombre sin virtud». |
La fière Sophie, de son côté, tâche de supporter avec dignité le coup imprévu qui la frappe. Elle s’efforce d’y paraître insensible ; mais, comme elle n’a pas, ainsi qu’Émile, l’honneur du combat et de la victoire, sa fermeté se soutient moins. Elle pleure, elle gémit en dépit d’elle, et la frayeur d’être oubliée aigrit la douleur de la séparation. Ce n’est pas devant son amant qu’elle pleure, ce n’est pas à lui qu’elle montre ses frayeurs ; elle étoufferait plutôt que de laisser échapper un soupir en sa présence : c’est moi qui reçois ses plaintes, qui vois ses larmes, qu’elle affecte de prendre pour confident. Les femmes sont adroites et savent se déguiser : plus elle murmure en secret contre ma tyrannie, plus elle est attentive à me flatter ; elle sent que son sort est dans mes mains. | La altiva Sofía procura sufrir con dignidad el imprevisto golpe que la hiere. Hace esfuerzos para parecer insensible, pero no teniendo, como Emilio, el afán de combatir y vencer, flaquea su entereza. Llora, gime contra su voluntad, y el temor de verse olvidada hace más agudo el dolor de la separación. Pero no llora delante de él, no le demuestra sus temores, y antes se ahogaría que dejar que se le escapase un suspiro; en cambio, teniéndome a mí por confidente, soy yo el que recoge su dolor y ve sus lágrimas. Las mujeres son sagaces y saben fingir; cuanto más murmura para sí contra mi tiranía, más se desvive en serme grata, pues sabe que su suerte está en mis manos. |
Je la console, je la rassure, je lui réponds de son amant, ou plutôt de son époux : qu’elle lui garde la même fidélité qu’il aura pour elle, et dans deux ans il le sera, je le jure. Elle m’estime assez pour croire que je ne veux pas la tromper. Je suis garant de chacun des deux envers l’autre. Leurs cœurs, leur vertu, ma probité, la confiance de leurs parents, tout les rassure. Mais que sert la raison contre la faiblesse ? Ils se séparent comme s’ils ne devaient plus se voir. | La consuelo, la tranquilizo, le respondo de su amante, o más bien de su esposo, porque si ella le guarda la misma fidelidad que él, le aseguro que lo será dentro de dos años. Me aprecia lo suficiente para creer que no la quiero engañar. Soy el fiador del uno para el otro. Sus corazones, su virtud, mi probidad, la confianza de sus padres, todo los anima. ¿:Pero qué vale la razón contra la debilidad? Se separan como si ya no tuviesen que volver a verse. |
C’est alors que Sophie se rappelle les regrets d’Eucharis et se croit réellement à sa place. Ne laissons point durant l’absence réveiller ces fantasques amours. Sophie, lui dis-je un jour, faites avec Émile un échange de livres. Donnez-lui votre Télémaque, afin qu’il apprenne à lui ressembler ; et qu’il vous donne le Spectateur, dont vous aimez la lecture. Etudiez-y les devoirs des honnêtes femmes, et songez que dans deux ans ces devoirs seront les vôtres. Cet échange plaît à tous deux, et leur donne de la confiance. Enfin vient le triste jour, il faut se séparer. | Es entonces cuando Sofía, acordándose del sentimiento de Eucaris, cree que realmente está en su lugar. No dejemos que se despierten estos fantásticos amores durante la ausencia. «Sofía -le dije un día-, haced con Emilio un cambio de libros. Dadle vuestro Telémaco para que aprenda a parecérsele y él os dará el Espectador, cuya lectura os gusta. Estudiad en él las obligaciones de las esposas honestas, pues dentro de dos años estas obligaciones van a ser las vuestras.» Este cambio complace a los dos y les inspira confianza. Por fin llega el triste día, hay que separarse. |
Le digne père de Sophie, avec lequel j’ai tout concerté, m’embrasse en recevant mes adieux ; puis, me prenant à part, il me dit ces mots d’un ton grave et d’un accent un peu appuyé : « J’ai tout fait pour vous complaire ; je savais que je traitais avec un homme d’honneur. Il ne me reste qu’un mot à vous dire : Souvenez-vous que votre élève a signé son contrat de mariage sur la bouche de ma fille. » | El digno padre de Sofía, con quien lo he concertado todo, me abraza al despedirnos, y en seguida, llevándome aparte, me dice con grave y expresivo acento las siguientes palabras: «Yo he hecho lo que habéis querido para complacer-os; sabía que trataba con un hombre de honor, y sólo me falta deciros dos palabras: No olvidéis que vuestro alumno firmó en la boca de mi hija su contrato de matrimonio». |
Quelle différence dans la contenance des deux amants ! Émile, impétueux, ardent, agité, hors de lui, pousse des cris, verse des torrents de pleurs sur les mains du père, de la mère, de la fille, embrasse en sanglotant tous les gens de la maison, et répète mille fois les mêmes choses avec un désordre qui ferait rire en toute autre occasion. Sophie, morne, pâle, l’œil éteint, le regard sombre, reste en repos, ne dit rien, ne pleure point, ne voit personne, pas même Émile. Il a beau lui prendre les mains, la presser dans ses bras ; elle reste immobile, insensible à ses pleurs, à ses caresses, à tout ce qu’il fait ; il est déjà parti pour elle. Combien cet objet est plus touchant que la plainte importune et les regrets bruyants de son amant ! Il le voit, il le sent, il en est navré : je l’entraîne avec peine ; si je le laisse encore un moment, il ne voudra plus partir. Je suis charmé qu’il emporte avec lui cette triste image. Si jamais il est tenté d’oublier ce qu’il doit à Sophie, en la lui rappelant telle qu’il la vit au moment de son départ, il faudra qu’il ait le cœur bien aliéné si je ne le ramène pas à elle. | ¡Qué distinto el aspecto de los dos amantes! Emilio, impetuoso, ardiente, agitado, fuera de sí, gime, vierte raudales de lágrimas sobre las manos del padre, de la madre y de la hija; abraza sollozando a la gente de casa, y repite mil veces las mismas cosas con un desorden tal que en otras circunstancias harían reír. Sofía, abatida, pálida, los ojos enrojecidos, la mirada turbia, no llora, no ve a nadie, ni siquiera a Emilio. En vano él la coge de las manos y la estrecha en sus brazos; permanece inmóvil, insensible a sus llantos, a sus halagos y a todo lo que hace; para ella él ya se fue. Eso conmueve más que los quejidos y el aparatoso desconsuelo de su amante, y él lo ve, lo siente y se le desgarra el corazón; me lo llevo a la fuerza, pues si le dejo un instante más, no querrá partir. Estoy muy satisfecho de que se lleve impresa esta triste imagen. Si alguna vez le viniera la tentación de olvidarse de lo que debe a Sofía, recordándola tal como la ha visto en el momento de su partida, ha de tener un abyecto corazón si no se lo devuelvo a ella. |
Des voyages | ... |
On demande s’il est bon que les jeunes gens voyagent, et l’on dispute beaucoup là-dessus. Si l’on proposait autrement la question, et qu’on demandât s’il est bon que les hommes aient voyagé, peut-être ne disputerait-on pas tant. | Se pregunta si es útil que los jóvenes viajen, y se discute mucho sobre esto. Si lo propusieran de otro modo, y preguntaran si es útil que hayan viajado los hombres, quizá no discutirían tanto. |
L’abus des livres tue la science. Croyant savoir ce qu’on a lu, on se croit dispensé de l’apprendre. Trop de lecture ne sert qu’à faire de présomptueux ignorants. De tous les siècles de littérature, il n’y en a point où l’on lût tant que dans celui-ci, et point où l’on fût moins savant ; de tous les pays de l’Europe, il n’y en a point où l’on imprime tant d’histoires, de relations de voyages qu’en France, et point où l’on connaisse moins le génie et les mœurs des autres nations. Tant de livres nous font négliger le livre du monde ; ou, si nous y lisons encore, chacun s’en tient à son feuillet. Quand le mot Peut-on être Persan ? me serait inconnu, je devinerais, à l’entendre dire, qu’il vient du pays où les préjugés nationaux sont le plus en règne, et du sexe qui les propage le plus. | El abuso de los libros mata la ciencia. Creyendo que sabemos lo que hemos leído, ya no creemos que tengamos que aprender. La mucha lectura sólo sirve para hacer ignorantes presuntuosos. No ha habido siglo en que se haya leído tanto como en éste y en que haya menos ciencia; entre todos los países de Europa no hay uno en el que se impriman tantas historias, relaciones y viajes como en Francia, ni ninguno donde menos se conozcan el genio y costumbres de las otras naciones. Tantos libros nos hacen olvidar el libro del mundo, y si aún leemos en él, sólo son más páginas. Aun cuando yo no supiera el dicho «¿:Es posible ser persa?», de tanto oírlo habría adivinado que se dijo en el país donde las preocupaciones nacionales son una obsesión. |
Un Parisien croit connaître les hommes, et ne connaît que les Français ; dans sa ville, toujours pleine d’étrangers, il regarde chaque étranger comme un phénomène extraordinaire qui n’a rien d’égal dans le reste de l’univers. Il faut avoir vu de près les bourgeois de cette grande ville, il faut avoir vécu chez eux, pour croire qu’avec tant d’esprit on puisse être aussi stupide. Ce qu’il y a de bizarre est que chacun d’eux a lu dix fois peut-être la description du pays dont un habitant va si fort l’émerveiller. | Un parisién cree que conoce a los hombres, y sólo conoce a los franceses; en su capital, llena siempre de extranjeros, mira a cada uno como un fenómeno extraordinario que no tiene par en el resto del mundo. Hay que haber visto desde cerca a los burgueses de esta gran ciudad, y haber vivido entre ellos para creer que con tanto espíritu puedan ser tan estúpidos. Lo extraño es que cada uno ha leído quizá diez veces la descripción del país de que tanto se admira cuando ve a uno de sus habitantes. |
C’est trop d’avoir à percer à la fois les préjugés des auteurs et les nôtres pour arriver à la vérité. J’ai passé ma vie à lire des relations de voyages, et je n’en ai jamais trouvé deux qui m’aient donné la même idée du même peuple. En comparant le peu que je pouvais observer avec ce que j’avais lu, j’ai fini par laisser là les voyageurs, et regretter le temps que j’avais donné pour m’instruire à leur lecture, bien convaincu qu’en fait d’observations de toute espèce il ne faut pas lire, il faut voir. Cela serait vrai dans cette occasion, quand tous les voyageurs seraient sincères, qu’ils ne diraient que ce qu’ils ont vu ou ce qu’ils croient, et qu’ils ne déguiseraient la vérité que par les fausses couleurs qu’elle prend à leurs yeux. Que doit-ce être quand il la faut démêler encore à travers leurs mensonges et leur mauvaise foi ! | Es excesivo el tener que observar a la vez las preocupaciones de los autores y las nuestras para llegar a la verdad. He pasado mi vida leyendo relatos de viajes, y nunca he encontrado dos que me dieran la misma idea de un mismo pueblo. Comparando lo poco que podía observar con lo que había leído, he terminado por dejar a los viajeros y sentir el tiempo gastado en su inútil lectura, convencido de que en cuanto se refiere a observaciones de cualquier género, no se ha de leer, sino que se ha de ver. Esto sería verdad en esta ocasión, aunque fuesen sinceros todos los viajeros, o sólo dijesen lo que han visto y lo que creen y únicamente disfrazasen los falsos colores que a sus ojos tiene la verdad. ¿:Qué será cuando también sea necesario comprenderla a través de su mala fe y sus mentiras? |
Laissons donc la ressource des livres qu’on vous vante à ceux qui sont faits pour se contenter. Elle est bonne, ainsi que l’art de Raymond Lulle, pour apprendre à babiller de ce qu’on ne sait point. Elle est bonne pour dresser des Platons de quinze ans à philosopher dans des cercles, et à instruire une compagnie des usages de l’Egypte et des Indes, sur la foi de Paul Lucas ou de Tavernier. | Dejemos, pues, el recurso de los libros á los que son capaces de contentarse con ellos. Es bueno, como el Arte magna de Raimundo Lulio, para aprender a hablar de lo que no se entiende o para adiestrar Platones de quince años a filosofar y a ilustrar sobre los usos y las costumbres de Egipto y de las Indias, según las aportaciones de Pablo Lucas o de Tabernier. |
Je tiens pour maxime incontestable que quiconque n’a vu qu’un peuple, au lieu de connaître les hommes, ne connaît que les gens avec lesquels il a vécu. Voici donc encore une autre manière de poser la même question des voyages : Suffit-il qu’un homme bien élevé ne connaisse que ses compatriotes, ou s’il lui importe de connaître les hommes en général ? Il ne reste plus ici ni dispute ni doute. Voyez combien la solution d’une question difficile dépend quelquefois de la manière de la poser. | Tengo por máxima indiscutible que aquel que sólo ha visto un pueblo, en vez de conocer a los hombres, únicamente conoce las gentes con las cuales ha vivido. Esto es otra forma de fiar la cuestión de los viajes. ¿:Es suficiente con que un hombre bien educado no conozca más que a sus compatriotas, o le importa conocer a los hombres en general? Aquí ya no cabe ninguna discusión ni duda. La solución de una cuestión difícil a veces depende del modo de presentarla. |
Mais, pour étudier les hommes, faut-il parcourir la terre entière ? Faut-il aller au Japon observer les Européens ? Pour connaître l’espèce, faut-il connaître tous les individus ? Non ; il y a des hommes qui se ressemblent si fort, que ce n’est pas la peine de les étudier séparément. Qui a vu dix Français les a vus tous. Quoiqu’on n’en puisse pas dire autant des Anglais et de quelques autres peuples, il est pourtant certain que chaque nation a son caractère propre et spécifique, qui se tire par induction, non de l’observation d’un seul de ses membres, mais de plusieurs. Celui qui a comparé dix peuples connaît les hommes, comme celui qui a vu dix Français connaît les Français. | Pero para estudiar a los hombres, ¿:hay que recorrer toda la tierra? ¿:Hay que ir al Japón para observar a los europeos? Para conocer la especie, ¿:hay que conocer a todos los individuos? No, puesto que hay hombres tan parecidos que no hace falta que se los estudie separadamente. Quien haya visto a diez franceses es como si los hubiera visto a todos. Aunque no pueda decirse lo mismo de los ingleses ni de otras naciones, pues cada nación tiene su carácter propio, que se saca por inducción, no de la observación de uno de sus miembros, sino de muchos. El que haya comparado a diez pueblos conoce a los hombres, como el que ha visto a diez franceses conoce a los franceses. |
Il ne suffit pas pour s’instruire de courir les pays ; il faut savoir voyager. Pour observer il faut avoir des yeux, et les tourner vers l’objet qu’on veut connaître. Il y a beaucoup de gens que les voyages instruisent encore moins que les livres, parce qu’ils ignorent l’art de penser, que, dans la lecture, leur esprit est au moins guidé par l’auteur, et que, dans leurs voyages, ils ne savent rien voir d’eux-mêmes. D’autres ne s’instruisent point, parce qu’ils ne veulent pas s’instruire. Leur objet est si différent que celui-là ne les frappe guère ; c’est grand hasard si l’on voit exactement ce que l’on ne se soucie point de regarder. De tous les peuples du monde, le Français est celui qui voyage le plus ; mais, plein de ses usages, il confond tout ce qui n’y ressemble pas. Il y a des Français dans tous les coins du monde. Il n’y a point de pays où l’on trouve plus de gens qui aient voyagé qu’on n’en trouve en France. Avec cela pourtant, de tous les peuples de l’Europe, celui qui en voit le plus les connaît le moins. | Para instruirse no basta recorrer países, sino saber viajar. Para observar, hay que tener ojos y fijarlos en el objeto que se quiere conocer. Hay muchas gentes a las que todavía instruyen menos los viajes que los libros porque ignorando el arte de pensar, en la lectura el autor guía su espíritu, y en sus viajes nada saben ver por sí mismos. Otros no se instruyen porque no quieren instruirse. Llevan un fin distinto, y todo les impresiona poco, y es mucha casualidad que veamos con exactitud lo que no nos interesamos en mirar. De todos los pueblos del mundo, el francés es el que más viaja, pero saturado de sus costumbres, todo lo que no tiene un parecido con ellos lo confunde. Donde quiera que sea hay franceses, y en ningún país hay mayor número de personas que hayan viajado que en Francia, y con todo eso, el pueblo de Europa que más recorre los otros el que menos los conoce. |
L’Anglais voyage aussi ; mais d’une autre manière ; il faut que ces deux peuples soient contraires en tout. La noblesse anglaise voyage, la noblesse française ne voyage point ; le peuple français voyage, le peuple anglais ne voyage point. Cette différence me paraît honorable au dernier. Les Français ont presque toujours quelque vue d’intérêt dans leur voyage ; mais les Anglais ne vont point chercher fortune chez les autres nations, si ce n’est par le commerce et les mains pleines ; quand ils voyagent, c’est pour y verser leur argent, non pour vivre d’industrie ; ils sont trop fiers pour aller ramper hors de chez eux. Cela fait aussi qu’ils s’instruisent mieux chez l’étranger que ne font les Français, qui ont un tout autre objet en tête. Les Anglais ont pourtant aussi leurs préjugés nationaux, ils en ont même plus que personne ; mais ces préjugés tiennent moins à l’ignorance qu’à la passion. L’Anglais a les préjugés de l’orgueil, et le Français ceux de la vanité. | También viaja el inglés, pero éste lo hace de otro modo; es forzoso que estos dos pueblos sean contrarios en todo. La nobleza inglesa viaja y la francesa no; la plebe francesa viaja y la inglesa no. Esta diferencia me parece muy honrosa para los ingleses. Los franceses casi siempre llevan algún asunto de interés comercial en sus viajes, pero los ingleses no van a buscar fortuna en las otras naciones, sino que incrementan su comercio y van con las manos llenas; cuando viajan es para gastar su dinero y no para vivir de su industria; son demasiado orgullosos para ir a humillarse fuera de su patria. También esto es causa de que en país extranjero se instruyan peor que los franceses, quienes llevan otras ideas en la cabeza. No obstante, también tienen sus preocupaciones nacionales los ingleses, y quizá más que ningún otro país, pero sus preocupaciones son hijas de la pasión, no de la ignorancia. El inglés tiene las preocupaciones de la soberbia, y el francés las de la vanidad. |
Comme les peuples les moins cultivés sont généralement les plus sages, ceux qui voyagent le moins voyagent le mieux ; parce qu’étant moins avancés que nous dans nos recherches frivoles, et moins occupés des objets de notre vaine curiosité, ils donnent toute leur attention à ce qui est véritablement utile. Je ne connais guère que les Espagnols qui voyagent de cette manière. Tandis qu’un Français court chez les artistes d’un pays, qu’un Anglais en fait dessiner quelque antique, et qu’un Allemand porte son album chez tous les savants, l’Espagnol étudie en silence le gouvernement, les mœurs, la police, et il est le seul des quatre qui, de retour chez lui, rapporte de ce qu’il a vu quelque remarque utile à son pays. | Por regla general, los pueblos menos cultivados, los más cuerdos y los que menos viajan, hacen mejor sus viajes, pues al ser menos adelantados que nosotros en nuestras frívolas investigaciones, y menos ocupados en los objetos de nuestra vana curiosidad, ponen toda su atención en lo que es verdaderamente útil. No conozco más que los españoles que viajen de esta forma. Mientras que un francés frecuenta a los artistas de un país, un inglés hace dibujar alguna antigüedad y un alemán lleva su álbum a casa de los sabios, el español estudia en silencio el gobierno, las costumbres y la policía, y él es el único de los cuatro que saca del viaje observaciones útiles para su patria. |
Les anciens voyageaient peu, lisaient peu, faisaient peu de livres ; et pourtant on voit, dans ceux qui nous restent d’eux, qu’ils s’observaient mieux les uns les autres que nous n’observons nos contemporains. Sans remonter aux écrits d’Homère, le seul poète qui nous transporte dans les pays qu’il décrit, on ne peut refuser à Hérodote l’honneur d’avoir peint les mœurs dans son histoire, quoiqu’elle soit plus en narrations qu’en réflexions, mieux que ne font tous nos historiens en chargeant leurs livres de portraits et de caractères. Tacite a mieux décrit les Germains de son temps qu’aucun écrivain n’a décrit les Allemands d’aujourd’hui. Incontestablement ceux qui sont versés dans l’histoire ancienne connaissent mieux les Grecs, les Carthaginois, les Romains, les Gaulois, les Perses, qu’aucun peuple de nos jours ne connaît ses voisins. | Sabemos de los antiguos que viajaban muy poco, que leían menos y que escribían escasos libros, y, no obstante, en los que nos quedan vemos que se observan mejor unos a otros que lo que nosotros observamos a nuestros contemporáneos. Sin remontarnos a los escritos de Homero, el único poeta que nos transporta a los países que describe, no se le puede negar a Herodoto el honor de haber pintado las costumbres en su Historia, aunque abunde más en narraciones que en reflexiones, y siempre mejor que nuestros historiadores llenando sus libros de retratos y caracteres. Tácito describió mejor a los germanos de su tiempo que ningún historiador moderno ha descrito a los alemanes. Los que están versados en la historia antigua, indiscutiblemente, conocen a los griegos, cartagineses, romanos, galos y persas mejor que ningún pueblo de nuestro tiempo a sus vecinos. |
Il faut avouer aussi que les caractères originaux des peuples, s’effaçant de jour en jour, deviennent en même raison plus difficiles à saisir. À mesure que les races se mêlent, et que les peuples se confondent, on voit peu à peu disparaître ces différences nationales qui frappaient jadis au premier coup d’œil. Autrefois chaque nation restait plus renfermée en elle-même ; il y avait moins de communications, moins de voyages, moins d’intérêts communs ou contraires, moins de liaisons politiques et civiles de peuple à peuple, point tant de ces tracasseries royales appelées négociations, point d’ambassadeurs ordinaires ou résidant continuellement ; les grandes navigations étaient rares ; il y avait peu de commerce éloigné ; et le peu qu’il y en avait était fait ou par le prince même, qui s’y servait d’étrangers, ou par des gens méprisés, qui ne donnaient le ton à personne et ne rapprochaient point les nations. Il y a cent fois plus de liaisons maintenant entre l’Europe et l’Asie qu’il n’y en avait jadis entre la Gaule et l’Espagne : l’Europe seule était plus éparse que la terre entière ne l’est aujourd’hui. | Es necesario también advertir que, desapareciendo paulatinamente los caracteres primitivos de los pueblos, es más difícil conocer el carácter propio de cada uno. A la vez que se mezclan las castas y se confunden los pueblos, poco a poco vemos desaparecer aquellas diferencias nacionales que antes se notaban a primera vista. En la antigüedad, cada nación permanecía más encerrada dentro de sí misma había menos comunicaciones, menos relaciones políticas y civiles de un pueblo con el otro, y tampoco habían tantos conflictos de los que llamamos negociaciones, ni embajadores ordinarios o residentes perpetuos; las largas navegaciones escaseaban y era muy exiguo el comercio lejano, y el poco que se hacía lo emprendía el mismo príncipe sirviéndose de extranjeros, o lo ejercían hombres despreciables que no se sujetaban a ley ninguna ni aproximaban a las naciones entre sí. Hay actualmente cien veces más relación entre Europa y Asia que la que antiguamente había entre la Galia y España; Europa estaba más aislada que lo que hoy lo está el globo entero. |
Ajoutez à cela que les anciens peuples, se regardant la plupart comme autochtones ou originaires de leur propre pays, l’occupaient depuis assez longtemps pour avoir perdu la mémoire des siècles reculés où leurs ancêtres s’y étaient établis, et pour avoir laissé le temps au climat de faire sur eux des impressions durables : au lieu que, parmi nous, après les invasions des Romains, les récentes émigrations des barbares ont tout mêlé, tout confondu. Les Français d’aujourd’hui ne sont plus ces grands corps blonds et blancs d’autrefois ; les Grecs ne sont plus ces beaux hommes faits pour servir de modèles à l’art ; la figure des Romains eux-mêmes a changé de caractère, ainsi que leur naturel ; les Persans, originaires de Tartarie, perdent chaque jour de leur laideur primitive par le mélange du sang circassien ; les Européens ne sont plus Gaulois, Germains, Ibériens, Allobroges ; ils ne sont tous que des Scythes diversement dégénérés quant à la figure, et encore plus quant aux mœurs. | Agréguese a esto que considerándose la mayor parte de los pueblos antiguos como autóctonos, u oriundos de su propio país, pues lo ocupaban desde los remotos tiempos en que se establecieron en ellos sus antepasados y el clima ya había tenido tiempo de absorberlos, entre nosotros, después de las invasiones romanas, las emigraciones modernas de los bárbaros lo han mezclado todo y confundido. Los franceses de hoy ya no son aquellos cuerpos rudos, blancos y rubios de otros tiempos; los griegos tampoco son aquellos bellos hombres para servir de modelo al arte; los mismos romanos han variado de carácter y de constitución; los persas, oriundos de la Tartaria, van perdiendo su primitiva fealdad con la mezcla de la sangre circasiana ; los europeos ya no son ni galos, ni germanos, ni iberos, sino escitas que han degenerado de diversas formas en la figura, y todavía más en las costumbres. |
Voilà pourquoi les antiques distinctions des races, les qualités de l’air et du terroir marquaient plus fortement de peuple à peuple les tempéraments, les figures, les mœurs, les caractères, que tout cela ne peut se marquer de nos jours, où l’inconstance européenne ne laisse à nulle cause naturelle le temps de faire ses impressions, et où les forêts abattues, les marais desséchés, la terre plus uniformément, quoique plus mal cultivée, ne laisse plus, même au physique, la même différence de terre à terre et de pays à pays. | Queda aquí descrita de una forma palpable por qué las antiguas distinciones de las castas, las calidades del aire y del terruño deslindaban con mayor energía de la que actualmente podemos emplear, las costumbres y los caracteres, pues la falta de permanencia constante en la población europea no da tiempo a ninguna causa natural para imprimir sus caracteres, y taladas las selvas, desecados los pantanos y cultivada la tierra con mayor uniformidad pero peor, ya no permite, ni siquiera en lo físico, tan notables diferencias ni de país. |
Peut-être, avec de semblables réflexions, se presserait-on moins de tourner en ridicule Hérodote, Ctésias, Pline, pour avoir représenté les habitants de divers pays avec des traits originaux et des différences marquées que nous ne leur voyons plus. Il faudrait retrouver les mêmes hommes pour reconnaître en eux les mêmes figures ; il faudrait que rien ne les eût changés pour qu’ils fussent restés les mêmes. Si nous pouvions considérer à la fois tous les hommes qui ont été, peut-on douter que nous ne les trouvassions plus variés de siècle à siècle, qu’on ne les trouve aujourd’hui de nation à nation ? | Quizá, reflexionando de esta forma, pondríamos menos en ridículo a Herodoto, Ctesias y Plinio por haber representado a los moradores de ciertos países con caracteres originales y diferencias muy marcadas que ya no les encontramos. Habría que ver de nuevo a los mismos hombres para reconocer en ellos las mismas figuras y que nada los hubiera hecho variar para que fuesen iguales. Si pudiésemos contemplar a un mismo tiempo todos los hombres que han existido, ¿:cabe la menor duda de que los encontraríamos más diversos de un siglo a otro que ahora de una a otra nación? |
En même temps que les observations deviennent plus difficiles, elles se font plus négligemment et plus mal ; c’est une autre raison du peu de succès de nos recherches dans l’histoire naturelle du genre humain. L’instruction qu’on retire des voyages se rapporte à l’objet qui les fait entreprendre. Quand cet objet est un système de philosophie, le voyageur ne voit jamais que ce qu’il veut voir ; quand cet objet est l’intérêt, il absorbe toute l’attention de ceux qui s’y livrent. Le commerce et les arts, qui mêlent et confondent les peuples, les empêchent aussi de s’étudier. Quand ils savent le profit qu’ils peuvent faire l’un avec l’autre, qu’ont-ils de plus à savoir ? | A la vez que aumentan las dificultades para las observaciones, se ejecutan de una forma peor y con mayor negligencia, y es otra de las razones que justifican el poco fruto de nuestras investigaciones en la historia del género humano. La instrucción obtenida de los viajes se refiere a la causa que los motiva; si ésta es un sistema filosófico, el viajero ve únicamente lo que quiere ver; si es el interés, absorbe la atención de los que se dedican a él. El comercio y las artes, que mezclan y confunden los pueblos, también son obstáculos para su estudio. Cuando ya saben el beneficio que pueden reportarse mutuamente, ¿:qué necesidad tienen de saber otras cosas? |
Il est utile à l’homme de connaître tous les lieux où l’on peut vivre, afin de choisir ensuite ceux où l’on peut vivre le plus commodément. Si chacun se suffisait à lui-même, il ne lui importerait de connaître que l’étendue du pays qui peut le nourrir. Le sauvage, qui n’a besoin de personne et ne convoite rien au monde, ne connaît et ne cherche à connaître d’autres pays que le sien. S’il est forcé de s’étendre pour subsister, il fuit les lieux habités par les hommes ; il n’en veut qu’aux bêtes, et n’a besoin que d’elles pour se nourrir. Mais pour nous, à qui la vie civile est nécessaire, et qui ne pouvons plus nous passer de manger des hommes, l’intérêt de chacun de nous est de fréquenter les pays où l’on en trouve le plus à dévorer. Voilà pourquoi tout afflue à Rome, à Paris, à Londres. C’est toujours dans les capitales que le sang humain se vend à meilleur marché. Ainsi l’on ne connaît que les grands peuples, et les grands peuples se ressemblent tous. | Para el hombre es útil conocer todos los sitios donde se puede vivir más cómodamente. Si cada uno se bastara a sí mismo, no le interesaría conocer más que el país que le puede mantener; el salvaje, que no necesita a nadie y tampoco desea nada, no conoce ni trata de conocer otro país que el suyo. Si para vivir se ve forzado a salir de él, se aparta de los sitios habitados, y sólo persigue a los animales porque necesita comer. Pero nosotros, siéndonos necesaria la vida civil, y porque no podemos vivir sin comer, nuestro interés es frecuentar los países donde más fácil es encontrar el sustento. Por eso hay tanta afluencia en Roma, en París y en Londres. Es siempre en las capitales donde se vende más barata la sangre humana. Así que sólo conocemos las grandes ciudades y todas se parecen. |
Nous avons, dit-on, des savants qui voyagent pour s’instruire ; c’est une erreur ; les savants voyagent par intérêt comme les autres. Les Platon, les Pythagore ne se trouvent plus, ou, s’il y en a, c’est bien loin de nous. Nos savants ne voyagent que par ordre de la cour ; on les dépêche, on les défraye, on les paye pour voir tel ou tel objet, qui très sûrement n’est pas un objet moral. Ils doivent tout leur temps à cet objet unique ; ils sont trop honnêtes gens pour voler leur argent. Si, dans quelque pays que ce puisse être, des curieux voyagent à leurs dépens, ce n’est jamais pour étudier les hommes, c’est pour les instruire. Ce n’est pas de science qu’ils ont besoin, mais d’ostentation. Comment apprendraient-ils dans leurs voyages à secouer le joug de l’opinion ? ils ne les font que pour elle. | Se dice que tenemos sabios que viajan para instruirse, y esto es un error: los sabios hacen esos viajes por interés, como los demás. Ya no hay Platones ni Pitágoras, y si los hay, están muy lejos de nosotros. Nuestros sabios sólo viajan por orden de la corte; los despachan, los mantienen, los pagan para ver un objeto determinado, el cual no es un objeto moral. A este objeto único le dedican su tiempo, y son demasiado honestos para robar el dinero. Si a su costa en un país cualquiera viajan curiosos, no es para estudiar a los hombres, sino para instruirlos, y para eso no necesitan ninguna ciencia, sino ostentación. ¿:Cómo en sus viajes han de aprender a sacudir el yugo de la opinión cuando sólo los hacen por ella? |
Il y a bien de la différence entre voyager pour voir du pays ou pour voir des peuples. Le premier objet est toujours celui des curieux, l’autre n’est pour eux qu’accessoire. Ce doit être tout le contraire pour celui qui veut philosopher. L’enfant observe les choses en attendant qu’il puisse observer les hommes. L’homme doit commencer par observer ses semblables, et puis il observe les choses s’il en a le temps. | Hay una gran diferencia entre viajar para ver países o para ver sus pueblos. Lo primero es siempre propio de los curiosos, y lo segundo es accesorio. Mientras no puede observar a los hombres, el niño observa las cosas; el hombre debe empezar observando a sus semejantes, y después, si tiene tiempo, las cosas. |
C’est donc mal raisonner que de conclure que les voyages sont inutiles, de ce que nous voyageons mal. Mais, l’utilité des voyages reconnue, s’ensuivra-t-il qu’ils conviennent à tout le monde ? Tant s’en faut ; ils ne conviennent au contraire qu’à très peu de gens ; ils ne conviennent qu’aux hommes assez fermes sur eux-mêmes pour écouter les leçons de l’erreur sans se laisser séduire, et pour voir l’exemple du vice sans se laisser entraîner. Les voyages poussent le naturel vers sa pente, et achèvent de rendre l’homme bon ou mauvais. Quiconque revient de courir le monde est à son retour ce qu’il sera toute sa vie : il en revient plus de méchants que de bons, parce qu’il en part plus d’enclins au mal qu’au bien. Les jeunes gens mal élevés et mal conduits contractent dans leurs voyages tous les vices des peuples qu’ils fréquentent, et pas une des vertus dont ces vices sont mêlés ; mais ceux qui sont heureusement nés, ceux dont on a bien cultivé le bon naturel et qui voyagent dans le vrai dessein de s’instruire, reviennent tous meilleurs et plus sages qu’ils n’étaient partis. Ainsi voyagera mon Émile : ainsi avait voyagé ce jeune homme, digne d’un meilleur siècle, dont l’Europe étonnée admira le mérite, qui mourut pour son pays à la fleur de ses ans, mais qui méritait de vivre, et dont la tombe, ornée de ses seules vertus, attendait pour être honorée qu’une main étrangère y semât des fleurs. | Por lo tanto, no se puede deducir que los viajes sean inútiles cuando viajamos mal. Una vez reconocida la utilidad de los viajes, ¿:se deduce que son convenientes a todo el mundo? Muy al contrario; convienen a poca gente, y sólo son convenientes para hombres dueños de sí mismos, que sepan escuchar las lecciones del error sin dejarse seducir, y ver los ejemplos del vicio sin dejarse arrastrar. Los viajes empujan la inclinación hacia su pendiente y terminan por hacer bueno o malo al hombre. El que regresa de correr el mundo, ya es lo que será durante su vida; son más los que vuelven malos que no buenos, pues entre los que emprenden viajes, son más los inclinados a lo peor que a lo mejor. Los jóvenes mal educados y mal conducidos, contraen en sus viajes todos los vicios de los pueblos que visitan, pero ni una de las virtudes mezcladas con estos vicios; en cambio, los que tienen buenas inclinaciones, aquellos en quienes se ha cultivado su buen natural y que viajan con intención de instruirse, regresan mejores y más juiciosos de lo que eran. Así viajará mi Emilio; así había viajado aquel joven digno de un siglo mejor, cuyo mérito asombró a la atónita Europa y que murió por su país en la flor de sus años, pero que merecía vivir, y cuya tumba, adornada únicamente con sus virtudes, esperaba ara ser honrada, que una mano extranjera esparciese ores sobre ella. (El conde de Siron.) |
Tout ce qui se fait par raison doit avoir ses règles. Les voyages, pris comme une partie de l’éducation, doivent avoir les leurs. Voyager pour voyager, c’est errer, être vagabond ; voyager pour s’instruire est encore un objet trop vague : l’instruction qui n’a pas un but déterminé n’est rien. Je voudrais donner au jeune homme un intérêt sensible à s’instruire, et cet intérêt bien choisi fixerait encore la nature de l’instruction. C’est toujours la suite de la méthode que j’ai tâché de pratiquer. | Todo lo que se hace de una forma racional tiene sus reglas. Los viajes mirados bajo el punto de vista educativo, también deben tener las suyas. El viajar por viajar es andar errante, ser un vagabundo; el viajar para instruirse todavía es un objeto muy vago, ya que la instrucción sin un fin determinado es nula. Yo quisiera excitar en el joven un vivo interés por instruirse, y este interés, bien escogido, también fijaría la naturaleza de la instrucción, pues es la consecuencia del método que he procurado practicar. |
Or, après s’être considéré par ses rapports physiques avec les autres êtres, par ses rapports moraux avec les autres hommes, il lui reste à se considérer par ses rapports civils avec ses concitoyens. Il faut pour cela qu’il commence par étudier la nature du gouvernement en général, les diverses formes de gouvernement, et enfin le gouvernement particulier sous lequel il est né, pour savoir s’il lui convient d’y vivre ; car, par un droit que rien ne peut abroger, chaque homme, en devenant majeur et maître de lui-même, devient maître aussi de renoncer au contrat par lequel il tient à la communauté, en quittant le pays dans lequel elle est établie. Ce n’est que par le séjour qu’il y fait après l’âge de raison qu’il est censé confirmer tacitement l’engagement qu’ont pris ses ancêtres. Il acquiert le droit de renoncer à sa patrie comme à la succession de son père ; encore le lieu de la naissance étant un don de la nature, cède-t-on du sien en y renonçant. Par le droit rigoureux, chaque homme reste libre à ses risques en quelque lieu qu’il naisse, à moins qu’il ne se soumette volontairement aux lois pour acquérir le droit d’en être protégé. | Así, pues, luego de haberse considerado por sus relaciones físicas con los demás seres, y por sus relaciones morales con los demás hombres, le falta considerarse por sus relaciones civiles con sus conciudadanos. A esta finalidad necesita que primero estudie la naturaleza del Gobierno en general, sus diversas formas, y, por último, el Gobierno particular en que cada uno ha nacido, para saber si le conviene vivir en él, porque en virtud de un derecho que nadie puede revocar, todo hombre, al ser mayor de edad y dueño de sí mismo, tiene el derecho de denunciar el contrato por el cual está ligado a la comunidad, dejando el país donde vive. Únicamente por la estancia que hace en él después de su mayoría de edad, confirma el compromiso adquirido por sus antepasados. El derecho de renunciar a su patria lo ha adquirido como renuncia de la sucesión de su padre, y siendo el sitio de nuestro nacimiento un don de la naturaleza, cede lo que le pertenece quien a él renuncia. En un riguroso derecho, cada hombre permanece libre por su cuenta y riesgo en cualquier país que nazca, a menos que de una forma espontánea se sujeto a las leyes para adquirir el derecho de ser amparado por ellas. |
Je lui dirais donc par exemple : Jusqu’ici vous avez vécu sous ma direction, vous étiez hors d’état de vous gouverner vous-même. Mais vous approchez de l’âge où les lois, vous laissant la disposition de votre bien, vous rendent maître de votre personne. Vous allez vous trouver seul dans la société, dépendant de tout, même de votre patrimoine. Vous avez en vue un établissement ; cette vue est louable, elle est un des devoirs de l’homme ; mais, avant de vous marier, il faut savoir quel homme vous voulez être, à quoi vous voulez passer votre vie, quelles mesures vous voulez prendre pour assurer du pain à vous et à votre famille ; car, bien qu’il ne faille pas faire d’un tel soin sa principale affaire, il y faut pourtant songer une fois. Voulez-vous vous engager dans la dépendance des hommes que vous méprisez ? Voulez-vous établir votre fortune et fixer votre état par des relations civiles qui vous mettront sans cesse à la discrétion d’autrui, et vous forceront, pour échapper aux fripons, de devenir fripon vous-même ? | Yo le diría, por ejemplo: «Hasta aquí habéis vivido bajo mi dirección porque vuestra edad no era para gobernaros vos mismo. Pero llegáis a la época en que permitiéndoos las leyes disponer de vuestro caudal, os hacen dueño de- vuestros pasos. Os vais a ver solo en la sociedad, dependiente de todo, hasta de vuestro patrimonio. Tenéis voluntad de estableceros, una idea loable, porque esta es una de los obligaciones del hombre, pero antes de casaros es indispensable que sepáis lo que queréis ser, en qué queréis emplear la vida, cuáles son las medidas que vais a tomar para asegurar vuestro pan y el de vuestra familia; pues, aunque no deba mirarse esto como lo principal de la vida, es indispensable no descuidarlo. ¿:Queréis depender de los hombres que despreciáis? ¿:Queréis cimentar vuestro caudal y fijar vuestro estado, en las relaciones civiles, a discreción de los demás y que os obliguen, para libraros de pícaros, a serlo sólo de vos? |
Là-dessus je lui décrirai tous les moyens possibles de faire valoir son bien, soit dans le commerce, soit dans les charges, soit dans la finance ; et je lui montrerai qu’il n’y en a pas un qui ne lui laisse des risques à courir, qui ne le mette dans un état précaire et dépendant, et ne le force de régler ses mœurs, ses sentiments, sa conduite, sur l’exemple et les préjugés d’autrui. | Después le hablaré de todos los medios posibles para que su patrimonio le produzca beneficios, ya sea en el comercio, ya en los cargos o rentas públicas, y le haré observar que no hay uno que carezca de riesgos, y que le conviene cambiar de costumbres, de opinión y de conducta, tomando ejemplo de los otros. |
Il y a, lui dirai-je, un autre moyen d’employer son temps et sa personne, c’est de se mettre au service, c’est-à-dire de se louer à très bon compte pour aller tuer des gens qui ne nous ont point fait de mal. Ce métier est en grande estime parmi les hommes, et ils font un cas extraordinaire de ceux qui ne sont bons qu’à cela. Au surplus, loin de vous dispenser des autres ressources, il ne vous les rend que plus nécessaires ; car il entre aussi dans l’honneur de cet état de ruiner ceux qui s’y dévouent. Il est vrai qu’ils ne s’y ruinent pas tous ; la mode vient même insensiblement de s’y enrichir comme dans les autres ; mais je doute qu’en vous expliquant comment s’y prennent pour cela ceux qui réussissent, je vous rende curieux de les imiter. | Le diré que hay otro medio de emplear el tiempo y su persona, que es el de servir en el ejército, o sea, cobrar una miseria para ir a matar gente que ningún daño le ha hecho. Este oficio es muy apreciado entre los hombres, y tienen en gran estima los que sólo sirven para él. En lo referente a lo demás, lejos de soslayar otros recursos, deben tenerse en cuenta, porque es una parte del honor de este estado el arruinar a los que a él se dedican. Es verdad que no empobrece a todos y que se va introduciendo la moda de enriquecerse como en los otros, pero dudo que explicándoos cómo se las arreglan los que logran esto, deseéis imitarlos. |
Vous saurez encore que, dans ce métier même, il ne s’agit plus de courage ni de valeur, si ce n’est peut-être auprès des femmes ; qu’au contraire le plus rampant, le plus bas, le plus servile, est toujours le plus honoré : que si vous vous avisez de vouloir faire tout de bon votre métier, vous serez méprisé, haï, chassé peut-être, tout au moins accablé de passe-droits et supplanté par tous vos camarades, pour avoir fait votre service à la tranchée, tandis qu’ils faisaient le leur à la toilette. | Ved que en esta misma profesión ya no se trata de valor ni de esfuerzo, como no sea quizá por las mujeres; por el contrario, el más rastrero, el más adulador, el más servil, es siempre el más honrado, y si pensáis cumplir con vuestra obligación, seréis despreciado, aborrecido, tal vez expulsado de vuestro cuerpo o bien os aislarán procurando que vuestros camaradas os posterguen por haber cumplido con vuestro deber en la trinchera, mientras ellos cumplían el suyo en el tocador de las damas. |
On se doute bien que tous ces emplois ne seront pas fort du goût d’Émile. Eh quoi ! me dira-t-il, ai-je oublié les jeux de mon enfance ? ai-je perdu mes bras ? ma force est-elle épuisée ? ne sais-je plus travailler ? Que m’importe tous vos beaux emplois et toutes les sottes opinions des hommes ? Je ne connais point d’autre gloire que d’être bienfaisant et juste ; je ne connais point d’autre bonheur que de vivre indépendant avec ce qu’on aime, en gagnant tous les jours de l’appétit et de la santé par son travail. Tous ces embarras dont vous me parlez ne me touchent guère. Je ne veux pour tout bien qu’une petite métairie dans quelque coin du monde. Je mettrai toute mon avarice à la faire valoir, et je vivrai sans inquiétude. Sophie et mon champ, et je serai riche. | Ya se puede uno dar cuenta de que todos estos diversos empleos no serán del agrado de Emilio. «Pues, ¿:acaso se me han olvidado los juegos de mi niñez? ¿:He agotado mis fuerzas? ¿:No sé trabajar? ¿:Qué me importan estos soberbios empleos y las necias opiniones de los hombres? No conozco otra gloria que la de ser justo y benéfico, ni otra felicidad que la de vivir independiente con lo que uno quiere, teniendo todos los días apetito y salud para trabajar. Toda esa barahúnda de que me habláis me afecta muy poco. No aspiro a otras riquezas ? que la de un pequeño hogar en un rincón del mundo. Toda mi avaricia se limitará a cultivar el huerto y vivir sin inquietudes. Sofía y mi campo, y seré rico.» |
Oui, mon ami, c’est assez pour le bonheur du sage d’une femme et d’un champ qui soient à lui ; mais ces trésors, bien que modestes, ne sont pas si communs que vous pensez. Le plus rare est trouvé par vous ; parlons de l’autre. | Sí, amigo mío, para la dicha del sabio basta con una mujer y un campo que sean suyos, pero estos tesoros, aunque modestos, no son tan comunes como pensáis. El más raro ya lo habéis visto, y hablemos del otro. |
Un champ qui soit à vous, cher Émile ! et dans quel lieu le choisirez-vous ? En quel coin de la terre pourrez-vous dire : Je suis ici mon maître et celui du terrain qui m’appartient ? On sait en quels lieux il est aisé de se faire riche, mais qui sait où l’on peut se passer de l’être ? Qui sait où l’on peut vivre indépendant et libre sans avoir besoin de faire du mal à personne et sans crainte d’en recevoir ? Croyez-vous que le pays où il est toujours permis d’être honnête homme soit si facile à trouver ? S’il est quelque moyen légitime et sûr de subsister sans intrigue, sans affaire, sans dépendance, c’est, j’en conviens, de vivre du travail de ses mains, en cultivant sa propre terre : mais où est l’Etat où l’on peut se dire : La terre que je foule est à moi ? Avant de choisir cette heureuse terre, assurez-vous bien d’y trouver la paix que vous cherchez ; gardez qu’un gouvernement violent, qu’une religion persécutante, que des mœurs perverses ne vous y viennent troubler. Mettez-vous à l’abri des impôts sans mesure qui dévoreraient le fruit de vos peines, des procès sans fin qui consumeraient votre fonds. Faites en sorte qu’en vivant justement vous n’ayez point à faire votre cour à des intendants, à leurs substituts, à des juges, à des prêtres, à de puissants voisins, à des fripons de toute espèce, toujours prêts à vous tourmenter si vous les négligez. Mettez-vous surtout à l’abri des vexations des grands et des riches ; songez que partout leurs terres peuvent confiner à la vigne de Naboth. Si votre malheur veut qu’un homme en place achète ou bâtisse une maison près de votre chaumière, répondez-vous qu’il ne trouvera pas le moyen, sous quelque prétexte, d’envahir votre héritage pour s’arrondir, ou que vous ne verrez pas, dès demain peut-être, absorber toutes vos ressources dans un large grand chemin ? Que si vous vous conservez du crédit pour parer à tous ces inconvénients, autant vaut conserver aussi vos richesses, car elles ne vous coûteront pas plus à garder. La richesse et le crédit s’étayent mutuellement ; l’un se soutient toujours mal sans l’autre. | Un campo que sea vuestro, querido Emilio. ¿:Y en qué país lo escogeréis? ¿:En qué rincón de la tierra podréis decir: «Aquí soy dueño de mí mismo y del terreno que me pertenece»? Sabemos en qué lugares están los parajes donde enriquecerse es fácil, pero, ¿:quién sabe dónde se puede vivir libre careciendo de riquezas, dónde con independencia y libertad no tendrás que perjudicar a nadie ni temerás que se le haga ningún daño? Si hay algún medio legítimo y seguro para poder vivir sin intrigas, sin negocios ni dependencia, debo decir que es el de vivir de su trabajo y cuidando su tierra. Pero, ¿:cuál es la situación en que uno puede decir que la tierra que pisa es suya? Antes de elegir esta magnífica tierra, debéis aseguraros de que en ella encontraréis la paz que buscáis; tened presente que lo mismo un Gobierno violento que una religión perseguidora con perversas costumbres pueden perturbar-os. Fijaos en los impuestos excesivos que destrozarán el fruto de vuestro trabajo, y con los continuos pleitos que irán disminuyendo vuestro capital. Procurad que viviendo rectamente no tengáis necesidad de obsequiar a los intendentes, a los jueces, a sus clérigos, a los poderosos vecinos y a todo género de bribones siempre a punto para atormentaras si os distraéis. Guardaos de las vejaciones de los grandes y de los ricos, pensad que vuestras tierras en todos los lugares pueden confinar con la viña de Nabot. Si por desgracia un hombre de valimiento pretende comprar o construir una casa cerca de la vuestra, ¿:quién os ha asegurado que no hallará ningún medio, con cualquier excusa, para ocupar vuestra propiedad y ensanchar la suya, o que el día menos pensado veréis vuestra posesión convertida en un camino real? Y si tenéis crédito para evitar todos estos inconvenientes, también podréis conservar vuestras riquezas, pues no os será muy difícil guardarlas. Tanto la riqueza como el crédito se fortalecen de forma recíproca, y la primera sin la segunda siempre es de mal sostenimiento. |
J’ai plus d’expérience que vous, cher Émile ; je vois mieux la difficulté de votre projet. Il est beau pourtant, il est honnête, il vous rendrait heureux en effet : efforçons-nous de l’exécuter. J’ai une proposition à vous faire : consacrons les deux ans que nous avons pris jusqu’à votre retour à choisir un asile en Europe où vous puissiez vivre heureux avec votre famille, à l’abri de tous les dangers dont je viens de vous parler. Si nous réussissons, vous aurez trouvé le vrai bonheur vainement cherché par tant d’autres, et vous n’aurez pas regret à votre temps. Si nous ne réussissons pas, vous serez guéri d’une chimère ; vous vous consolerez d’un malheur inévitable, et vous vous soumettrez à la loi de la nécessité. | Tengo más experiencia que vos, querido Emilio, y por eso veo mejor lo difícil que es vuestro proyecto No obstante, es bello, honroso, y en realidad os haría feliz; debemos hacer todos los esfuerzos para ponerlo en práctica. Tengo que haceros una proposición: pongamos nuestro empeño, durante los dos años que hemos señalado para la época de vuestro regreso, en buscar un rincón en Europa, donde podáis vivir feliz con vuestra familia, salvando todos los peligros que os he seña lado últimamente. Si logramos conseguirlo, habréis alcanzado la verdadera felicidad por la que tantos se desviven en vano, y no os daréis cuenta del tiempo invertido para conseguirla. Si no podemos lograrlo, os libraréis de una idea fantástica, os consolaréis de una desdicha inevitable y os sujetaréis a la ley de la necesidad. |
Je ne sais si tous mes lecteurs apercevront jusqu’où va nous mener cette recherche ainsi proposée ; mais je sais bien que si, au retour de ses voyages, commencés et continués dans cette vue, Émile n’en revient pas versé dans toutes les matières de gouvernement, de mœurs publiques, et de maximes d’Etat de toute espèce, il faut que lui ou moi soyons bien dépourvus, l’un d’intelligence, et l’autre de jugement. | Ignoro si mis lectores saben adónde nos conducirá esta investigación así propuesta, pero sé que si al regreso de sus viajes y hechos con esa idea, Emilio no regresa enterado de todas las materias del Gobierno, moral pública y máximas de Estado de toda especie, es necesario que seamos muy cortos, él de inteligencia y yo de discernimiento. |
Le droit politique est encore à naître, et il est à présumer qu’il ne naîtra jamais. Grotius, le maître de tous nos savants en cette partie, n’est qu’un enfant, et, qui pis est, un enfant de mauvaise foi. Quand j’entends élever Grotius jusqu’aux nues et couvrir Hobbes d’exécration, je vois combien d’hommes sensés lisent ou comprennent ces deux auteurs. La vérité est que leurs principes sont exactement semblables ; ils ne diffèrent que par les expressions. Ils diffèrent aussi par la méthode. Hobbes s’appuie sur des sophismes, et Grotius sur des poètes ; tout le reste leur est commun. | El derecho político todavía está por nacer, y es presumible que no nacerá jamás. Grocio, el maestro de todos nuestros sabios en esta cuestión, es un niño, y lo peor es que lo es de mala fe. Al ver cómo se encumbra a Grocio hasta las estrellas y execran a Hobes, me doy cuenta de las gentes de juicio que leen o comprenden a estos dos autores. Lo cierto es que son exactamente semejantes y que sólo se diferencian en las expresiones y en el método. Hobes se apoya en sofismas y Grocio en los poetas; todo lo demás les es común. |
Le seul moderne en état de créer cette grande et inutile science eût été l’illustre Montesquieu. Mais il n’eut garde de traiter des principes du droit politique ; il se contenta de traiter du droit positif des gouvernements établis ; et rien au monde n’est plus différent que ces deux études. | El único escritor moderno capaz de crear esta inútil y vasta ciencia hubiera sido el ilustre Montesquieu, pero tuvo mucho cuidado en no tratar de los principios del derecho político, limitándose a tratar del derecho positivo de los Gobiernos establecidos, y no hay nada más distinto que esos dos estudios. |
Celui pourtant qui veut juger sainement des gouvernements tels qu’ils existent est obligé de les réunir toutes deux : il faut savoir ce qui doit être pour bien juger de ce qui est. La plus grande difficulté pour éclaircir ces importantes matières est d’intéresser un particulier à les discuter, de répondre à ces deux questions : Que m’importe ? et : Qu’y puis-je faire ? Nous avons mis notre Émile en état de répondre à toutes deux. | No obstante, el que pretenda formarse un juicio verdadero de los Gobiernos, tal como son, forzosamente tiene que reunir los dos; es indispensable saber lo que hay para ver con acierto lo que no hay. La más grave dificultad para poner en claro estas importantes materias es saber contestar a estas dos preguntas: ¿:Qué me importa? ¿:Qué tengo que ver yo con esto? A nuestro Emilio lo hemos preparado ya para poder responder a la una y a la otra. |
La deuxième difficulté vient des préjugés de l’enfance, des maximes dans lesquelles on a été nourri, surtout de la partialité des auteurs, qui, parlant toujours de la vérité dont ils ne se soucient guère, ne songent qu’à leur intérêt dont ils ne parlent point. Or le peuple ne donne ni chaires, ni pensions, ni places d’académies : qu’on juge comment ses droits doivent être établis par ces gens-là ! J’ai fait en sorte que cette difficulté fût encore nulle pour Émile. À peine sait-il ce que c’est que gouvernement ; la seule chose qui lui importe est de trouver le meilleur. Son objet n’est point de faire des livres ; et si jamais il en fait, ce ne sera point pour faire sa cour aux puissances, mais pour établir les droits de l’humanité. | La segunda dificultad procede de las preocupaciones de la niñez, de las máximas que nos han inculcado, y, de un modo especial, de la parcialidad de los autores, que siempre hablan de la verdad en que no piensan y sólo atienden a su interés, del que no hablan. Pero si el pueblo no ofrece cátedras, ni pensiones, ni empleos académicos, fíjense cómo debe establecer sus derechos esta gente. He procurado que tampoco existiera para Emilio esta dificultad. Casi ignora lo que es un Gobierno, y lo único que le importa es encontrar el mejor; su finalidad no es la de componer libros, y si alguna vez los escribe, no será para adular a los poderosos, sino para defender los derechos de la humanidad. |
Il reste une troisième difficulté, plus spécieuse que solide, et que je ne veux ni résoudre ni proposer : il me suffit qu’elle n’effraye point mon zèle ; bien sûr qu’en des recherches de cette espèce, de grands talents sont moins nécessaires qu’un sincère amour de la justice et un vrai respect pour la vérité. Si donc les matières de gouvernement peuvent être équitablement traitées, en voici, selon moi, le cas ou jamais. | Queda la tercera dificultad, más aparente que sólida, la cual no quiero resolver ni proponer; basta con que mi celo no se impresione; es verdad que en esta clase de investigaciones es menos tener un gran talento que un sincero amor a la justicia y un verdadero respeto a la verdad. Por consiguiente, si se pueden tratar en algún caso sin pasión las materias de gobierno, a mi modo de ver es en el que nos encontramos, y, en caso contrario, jamás. |
Avant d’observer, il faut se faire des règles pour ses observations : il faut se faire une échelle pour y rapporter les mesures qu’on prend. Nos principes de droit politique sont cette échelle. Nos mesures sont les lois politiques de chaque pays. | Antes de proceder a la observación, es necesario la adquisición de reglas para hacer las observaciones pertinentes y construir una escala para con ella comparar las medidas que se hayan tomado. Esta escala la constituyen nuestros principios de derecho político, y nuestras medidas las leyes políticas de cada país. |
Nos éléments seront clairs, simples, pris immédiatement dans la nature des choses. Ils se formeront des questions discutées entre nous, et que nous ne convertirons en principes que quand elles seront suffisamment résolues. | Nuestros elementos serán claros, sencillos y tomados inmediatamente de la naturaleza de las casas, y se formarán por las cuestiones que se ventilen entre nosotros, las que no convertiremos en principios hasta que no estén resueltas. |
Par exemple, remontant d’abord à l’état de nature, nous examinerons si les hommes naissent esclaves ou libres, associés ou indépendants ; s’ils se réunissent volontairement ou par force ; si jamais la force qui les réunit peut former un droit permanent, par lequel cette force antérieure oblige, même quand elle est surmontée par une autre, en sorte que, depuis la force du roi Nembrod, qui, dit-on, lui soumit les premiers peuples, toutes les autres forces qui ont détruit celle-là soient devenues iniques et usurpatoires, et qu’il n’y ait plus de légitimes rois que les descendants de Nembrod ou ses ayants cause ; ou bien si cette première force venant à cesser, la force qui lui succède oblige à son tour, et détruit l’obligation de l’autre, en sorte qu’on ne soit obligé d’obéir qu’autant qu’on y est forcé, et qu’on en soit dispensé sitôt qu’on peut faire résistance : droit qui, ce semble, n’ajouterait pas grand’chose à la force, et ne serait guère qu’un jeu de mots. | Por ejemplo, subamos primero al estado de naturaleza, veamos si los hombres nacen esclavos o libres, asociados o independientes; si se reúnen de forma espontánea o bien obligados, si en algún caso la fuerza que fue motivo de reunión puede constituir un derecho permanente en virtud del cual esa fuerza anterior obligue, aun cuando fuese superada por otra, de tal forma que desde la fuerza del rey Nembrod, que, según dicen, sujetó a los primeros pueblos, todas las otras fuerzas que destruyan aquélla, sean infames y usurpadoras, y no hayan otros reyes legítimos que los descendientes del tal rey Nembrod, o los que de él derivan su título, o bien si cesando esta primera fuerza, la que le sucede obliga alternativamente y destruye la obligación de la otra de tal forma que nadie está obligado a obedecer sino cuando se ve forzado a ello, y de este modo queda dispensado de la obligación de oponer resistencia, con derecho a que a mi modo de ver significaría poco más que la fuerza, y esto sólo sería un juego de palabras. |
Nous examinerons si l’on ne peut pas dire que toute maladie vient de Dieu, et s’il s’ensuit pour cela que ce soit un crime d’appeler le médecin. | Examinaremos si no se puede decir que toda enfermedad nos viene de Dios y si de esto se puede deducir que el llamar al médico es un delito. |
Nous examinerons encore si l’on est obligé en conscience de donner sa bourse à un bandit qui nous la demande sur le grand chemin, quand même on pourrait la lui cacher ; car enfin le pistolet qu’il tient est aussi une puissance. | También examinaremos si obligados en conciencia, estamos en condiciones de tener que entregar nuestro bolsillo a un bandolero que nos lo pide en el camino porque su pistola también es un poder. |
Si ce mot de puissance en cette occasion veut dire autre chose qu’une puissance légitime, et par conséquent soumise aux lois dont elle tient son être. | Si en este caso la palabra poder quiere decir otra cosa que legítimo, es a consecuencia de las leyes que le dieron el ser. |
Supposé qu’on rejette ce droit de force, et qu’on admette celui de la nature ou l’autorité paternelle comme principe des sociétés, nous rechercherons la mesure de cette autorité, comment elle est fondée dans la nature, si elle a d’autre raison que l’utilité de l’enfant, sa faiblesse et l’amour naturel que le père a pour lui ; si donc, la faiblesse de l’enfant venant à cesser, et sa raison à mûrir, il ne devient pas seul juge naturel de ce qui convient à sa conservation, par conséquent son propre maître, et indépendant de tout autre homme, même de son père ; car il est encore plus sûr que le fils s’aime lui-même, qu’il n’est sûr que le père aime le fils. | Suponiendo que ese derecho de la fuerza sea rechazado y admitido el de la naturaleza, o el de la autoridad paterna como el principio de las sociedades, buscaremos la medida de esa autoridad, qué fundamento tiene en la naturaleza, si su debilidad reconoce otro origen distinto que el de la utilidad del hijo y el natural cariño de su padre; por consiguiente, el haber terminado ya la debilidad del hijo y haber madurado su razón, no se convierte en juez natural, de lo que resulta conveniente para su conservación el ser dueño de sí mismo, y sin depender de otro hombre, aunque sea su padre, porque es más que cierto que el hijo siente más amor hacia sí mismo que no el padre hacia el hijo. |
Si, le père mort, les enfants sont tenus d’obéir à leur aîné ou à quelque autre qui n’aura pas pour eux l’attachement naturel d’un père ; et si de race en race, il y aura toujours un chef unique, auquel toute la famille soit tenue d’obéir. Auquel cas on chercherait comment l’autorité pourrait jamais être partagée, et de quel droit il y aurait sur la terre entière plus d’un chef qui gouvernât le genre humain. | Si cuando el padre ha muerto los hijos están obligados a obedecer al hermano mayor, o a otro que no les tenga el cariño natural del padre, y si de generación en generación tiene que haber siempre una cabeza única a la cual toda la familia está obligada a obedecer, averiguaremos cómo se ha podido dividir la autoridad, y qué derecho hay para que en toda la tierra exista más de una autoridad que gobierne el linaje humano. |
Supposé que les peuples se fussent formés par choix, nous distinguerons alors le droit du fait ; et nous demanderons si, s’étant ainsi soumis à leurs frères, oncles ou parents, non qu’ils y fussent obligés, mais parce qu’ils l’ont bien voulu, cette sorte de société ne rentre pas toujours dans l’association libre et volontaire. | Suponiendo que los pueblos hayan sido formados con su libre consentimiento, distinguiremos el derecho consumado y preguntaremos si habiéndose sujetado de esta forma a sus hermanos, tíos o parientes, no por obligación, sino por su propia voluntad, esta especie de sociedad no queda en una asociación libre y voluntaria. |
Passant ensuite au droit d’esclavage, nous examinerons si un homme peut légitimement s’aliéner à un autre, sans restriction, sans réserve, sans aucune espèce de condition ; c’est-à-dire s’il peut renoncer à sa personne, à sa vie, à sa raison, à son moi, à toute moralité dans ses actions, et cesser en un mot d’exister avant sa mort, malgré la nature qui le charge immédiatement de sa propre conservation, et malgré sa conscience et sa raison qui lui prescrivent ce qu’il doit faire et ce dont il doit s’abstenir. | Pasando luego al derecho de esclavitud, miraremos si de una forma legítima un hombre puede enajenarse a otro, sin resistencia ni reserva, ni ninguna clase de condición, o sea, si puede renunciar a su persona, a su vida, a su razón, a «su yo» a toda moralidad en sus acciones; en una palabra, dejar de existir antes de -su muerte contra la voluntad de la naturaleza, que le encarga su propia conservación, y contra su conciencia y su razón, que le ordena lo que debe hacer y de lo que se debe abstener. |
Que s’il y a quelque réserve, quelque restriction dans l’acte d’esclavage, nous discuterons si cet acte ne devient pas alors un vrai contrat, dans lequel chacun des deux contractants, n’ayant point en cette qualité de supérieur commun [121], restent leurs propres juges quant aux conditions du contrat, par conséquent libres chacun dans cette partie, et maîtres de le rompre sitôt qu’ils s’estiment lésés. | Y si hay alguna reserva, alguna restricción en el acta de esclavitud, deliberaremos si el acta no se convierte en un verdadero contrato, en el cual, no teniendo ambos contrayentes, en calidad de tales, un superior común [18] , permanecen sus jueces propios en cuanto a las condiciones del contrato, libres, por consiguiente, en esta parte y árbitros para romperlo en cuanto se consideren perjudicados. |
Que si donc un esclave ne peut s’aliéner sans réserve à son maître, comment un peuple peut-il s’aliéner sans réserve à son chef ? et si l’esclave reste juge de l’observation du contrat par son maître, comment le peuple ne restera-t-il pas juge de l’observation du contrat par son chef ? | Y si un esclavo no puede liberarse sin reserva de su duelo, ¿:cómo un pueblo puede liberase sin reserva de su caudillo? Y si el esclavo sigue siendo juez del cumplimiento del contrato por su dueño, ¿:cómo no ha de seguir siendo juez el pueblo de la observación del contrato por su caudillo? |
Forcés de revenir ainsi sur nos pas, et considérant le sens de ce mot collectif de peuple, nous chercherons si, pour l’établir, il ne faut pas un contrat, au moins tacite, antérieur à celui que nous supposons. | Obligados a volver atrás y teniendo en consideración el significado de la palabra «pueblo», veremos si para fundar éste es necesario un contrato, entendiendo que ha de ser anterior al que suponemos. |
Puisque avant de s’élire un roi le peuple est un peuple, qu’est-ce qui l’a fait tel sinon le contrat social ? Le contrat social est donc la base de toute société civile, et c’est dans la nature de cet acte qu’il faut chercher celle de la société qu’il forme. | Puesto que antes de que el pueblo elija rey, el pueblo ya es pueblo, ¿:qué es lo que le concede la condición de pueblo si no el contrato social? Entonces, el contrato social es el fundamento de toda sociedad civil, y en la naturaleza del acta debe hacerse la de la sociedad que forma. |
Nous rechercherons quelle est la teneur de ce contrat, et si l’on ne peut pas à peu près l’énoncer par cette formule : « Chacun de nous met en commun ses biens, sa personne, sa vie, et toute sa puissance, sous la suprême direction de la volonté générale, et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. » | Averiguaremos la condición de este contrato, y no es posible enunciarlo con esta fórmula sin una pequeña diferencia: Cada uno de nosotros aporta a la comunidad sus bienes, su persona, su vida y su poder bajo la superior dirección de la voluntad general, y todos en un cuerpo recibimos a cada uno de los miembros como una indivisible parte del todo. |
Ceci supposé, pour définir les termes dont nous avons besoin, nous remarquerons qu’au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d’association produit un corps moral et collectif, composé d’autant de membres que l’assemblée a de voix. Cette personne publique prend en général le nom de corps politique, lequel est appelé par ses membres Etat quand il est passif, souverain quand il est actif, puissance en le comparant à ses semblables. À l’égard des membres eux-mêmes, ils prennent le nom de peuple collectivement, et s’appellent en particulier citoyens, comme membres de la cité ou participants à l’autorité souveraine, et sujets, comme soumis à la même autorité. | Esto supuesto, para definir los términos que nos son necesarios, observaremos que en lugar de la persona particular de cada contrayente, esta acta de asociación produce un cuerpo moral y colectivo, el cual consta de tantos miembros como votos tiene la asamblea. Esta persona pública en general se llama «cuerpo político», al cual sus miembros llaman «estado» cuando es pasivo, «soberano» cuando es activo y «poder» cuando se compara con sus semejantes. En lo que hace referencia a los mismos miembros, colectivamente considerados, es llamado «pueblo», y en particular «ciudadanos» como miembros de la ciudad o partícipes de la autoridad soberana, y «súbditos» en cuanto están sujetos a esta misma autoridad. |
Nous remarquons que cet acte d’association renferme un engagement réciproque du public et des particuliers, et que chaque individu, contractant pour ainsi dire avec lui-même, se trouve engagé sous un double rapport, savoir, comme membre du souverain envers les particuliers, et comme membre de l’Etat envers le souverain. | Observaremos, además, que esta acta de asociación contiene un compromiso recíproco del pueblo y los particulares, y viéndose cada individuo, por decirlo así, obligado bajo dos conceptos, esto es, como miembro del soberano hacia los particulares y como miembro del Estado hacia el soberano. |
Nous remarquerons encore que nul n’étant tenu aux engagements qu’on n’a pris qu’avec soi, la délibération publique qui peut obliger tous les sujets envers le souverain, à cause des deux différents rapports sous lesquels chacun d’eux est envisagé, ne peut obliger l’Etat envers lui-même. Par où l’on voit qu’il n’y a ni ne peut y avoir d’autre loi fondamentale proprement dite que le seul pacte social. Ce qui ne signifie pas que le corps politique ne puisse, à certains égards, s’engager envers autrui ; car, par rapport à l’étranger, il devient un être simple, un individu. | Todavía queda otra observación, y es que no estando ninguno obligado a los compromisos que consigo ha contraído, la deliberación pública que puede obligar a todos los súbditos con el soberano, a causa de los dos aspectos distintos bajo el cual está mirado cada uno de ellos, no puede obligar al Estado. De donde infiere que no puede haber otra ley fundamental que con propiedad pueda llamarse así como no sea el pacto social, lo que no significa que en ciertos aspectos no pueda el cuerpo social contraer compromisos con otro, ya que con respecto a los otros países se convierte en un simple individuo. |
Les deux parties contractantes, savoir chaque particulier et le public, n’ayant aucun supérieur commun qui puisse juger leurs différends, nous examinerons si chacun des deux reste le maître de rompre le contrat quand il lui plaît, c’est-à-dire d’y renoncer pour sa part sitôt qu’il se croit lésé. | Las dos partes contratantes, o sea, cada particular y el público, no habiendo un superior común que pueda juzgar en sus diferencias, observaremos si uno de los dos es dueño de romper el contrato cuando le acomode, es decir, renunciar a él cuando se considere perjudicado. |
Pour éclaircir cette question, nous observons que, selon le pacte social, le souverain ne pouvant agir que par des volontés communes et générales, ses actes ne doivent de même avoir que des objets généraux et communs ; d’où il suit qu’un particulier ne saurait être lésé directement par le souverain qu’ils ne le soient tous, ce qui ne se peut, puisque ce serait vouloir se faire du mal à soi-même. Ainsi le contrat social n’a jamais besoin d’autre garant que la force publique, parce que la lésion ne peut jamais venir que des particuliers ; et alors ils ne sont pas pour cela libres de leur engagement, mais punis de l’avoir violé. | Con el fin de poner en claro esta cuestión, observaremos que no pudiendo actuar el soberano de conformidad con el pacto social, a no ser por las voluntades generales y comunes, sus actas tampoco deben tener otros fines distintos de los comunes y generales; de donde se deduce que un individuo no puede ser perjudicado directamente por el soberano sin que lo sean todos los demás, lo cual no puede suceder, debido a que sería perjudicarse a sí mismo. Por consiguiente, el contrato social no necesita otra fianza que el de la fuerza pública, ya que la lesión sólo puede provenir de los particulares, y entonces no por eso quedan libres de su obligación, sino que son castigados por haberla violado. |
Pour bien décider toutes les questions semblables, nous aurons soin de nous rappeler toujours que le pacte social est d’une nature particulière, et propre à lui seul, en ce que le peuple ne contracte qu’avec lui-même, c’est-à-dire le peuple en corps comme souverain, avec les particuliers comme sujets : condition qui fait tout l’artifice et le jeu de la machine politique, et qui seule rend légitimes, raisonnables et sans danger des engagements qui sans cela seraient absurdes, tyranniques et sujets aux plus énormes abus. | Para solucionar debidamente las cuestiones que tienen analogía, debemos recordar siempre que el pacto social es de naturaleza particular y propia de él solo en cuanto que el pueblo únicamente se debe a sí mismo, esto es, el pueblo en cuerpo como soberano, con los particulares como súbditos, condición que crea el artificio y el juego de la máquina política y que constituye empeños legítimos, racionales y exentos de riesgo, pues sin eso serían absurdos, tiránicos y sujetos a los más grandes abusos. |
Les particuliers ne s’étant soumis qu’au souverain, et l’autorité souveraine n’étant autre chose que la volonté générale, nous verrons comment chaque homme, obéissant au souverain, n’obéit qu’à lui-même, et comment on est plus libre dans le pacte social que dans l’état de nature. | Como los particulares se han sometido al soberano, y como la autoridad soberana no es otra cosa que la voluntad general, veremos de qué modo, obedeciendo cada hombre al soberano, sólo se obedece a sí mismo, y cómo es más libre en el pacto social que en el estado de naturaleza. |
Après avoir fait la comparaison de la liberté naturelle avec la liberté civile quant aux personnes, nous ferons, quant aux biens, celle du droit de propriété avec le droit de souveraineté, du domaine particulier avec le domaine éminent. Si c’est sur le droit de propriété qu’est fondée l’autorité souveraine, ce droit est celui qu’elle doit le plus respecter ; il est inviolable et sacré pour elle tant qu’il demeure un droit particulier et individuel ; sitôt qu’il est considéré comme commun à tous les citoyens, il est soumis à la volonté générale, et cette volonté peut l’anéantir. Ainsi le souverain n’a nul droit de toucher au bien d’un particulier, ni de plusieurs ; mais il peut légitimement s’emparer du bien de tous, comme cela se fit à Sparte au temps de Lycurgue, au lieu que l’abolition des dettes par Solon fut un acte illégitime. | Cuando hayamos comparado la libertad natural con la civil, en lo referente a las personas y a los bienes, haremos la del derecho de propiedad con el de soberanía, la del dominio particular con el prominente. Si la autoridad soberana está basada en el derecho de propiedad, es este el derecho que más se debe respetar, pues es inviolable y sagrado mientras exista el derecho individual y particular, pero desde el momento que se considera común a todos los ciudadanos, queda sujeto a la voluntad general, la cual puede destruirlo. Entonces el soberano carece de derecho para tocar los bienes de un particular ni los de nadie, pero puede legítimamente apoderarse de los bienes de todos, tal como se hizo en Esparta en los tiempos de Licurgo; en cambio, la abolición de deudas por Solón fue un acto ilegítimo. |
Puisque rien n’oblige les sujets que la volonté générale, nous rechercherons comment se manifeste cette volonté, à quels signes on est sûr de la reconnaître, ce que c’est qu’une loi, et quels sont les vrais caractères de la loi. Ce sujet est tout neuf : la définition de la loi est encore à faire. | Ya que sólo obliga a los súbditos la voluntad general, se debe averiguar la forma cómo se manifiesta esta voluntad, las señales seguras que tiene para reconocerla, en qué consiste la ley y cuáles son sus caracteres verdaderos. Este asunto es nuevo y falta dar la definición de la ley. |
À l’instant que le peuple considère en particulier un ou plusieurs de ses membres, le peuple se divise. Il se forme entre le tout et sa partie une relation qui en fait deux êtres séparés, dont la partie est l’un, et le tout, moins cette partie, est l’autre. Mais le tout moins une partie n’est pas le tout ; tant que ce rapport subsiste, il n’y a donc plus de tout, mais deux parties inégales. | Desde el momento en que el pueblo considera en particular a uno o a muchos de sus miembros, se divide. Entre el todo y su parte se forma una relación que los constituye en dos seres separados, uno de los cuales es la parte y el otro es el todo menos dicha parte. Pero el todo menos una parte no es el todo; por lo tanto, mientras subsista esta relación, no existe el todo, sino dos partes desiguales. |
Au contraire, quand tout le peuple statue sur tout le peuple, il ne considère que lui-même ; et s’il se forme un rapport, c’est de l’objet entier sous un point de vue à l’objet entier sous un autre point de vue, sans aucune division du tout. Alors l’objet sur lequel on statue est général, et la volonté qui statue est aussi générale. Nous examinerons s’il y a quelque autre espèce d’acte qui puisse porter le nom de loi. | Y al revés: cuando todo el pueblo establece unos estatutos sobre todo el pueblo, se considera a sí mismo, y si se forma una relación, es el objeto entero bajo otro punto de vista, sin división del todo. Entonces el objeto sobre el que estatuye es general y lo es también la voluntad que impone los estatutos. Haremos un examen por si hay alguna otra clase de acta que merezca el nombre de ley. |
Si le souverain ne peut parler que par des lois, et si la loi ne peut jamais avoir qu’un objet général et relatif également à tous les membres de l’Etat, il s’ensuit que le souverain n’a jamais le pouvoir de rien statuer sur un objet particulier ; et, comme il importe cependant à la conservation de l’Etat qu’il soit aussi décidé des choses particulières, nous rechercherons comment cela peut se faire. | Si el soberano sólo puede hablar por medio de las leyes, y si la ley nunca puede tener otro objeto que no sea general y relativo a todos los miembros del Estado por igual, se deduce que el soberano nunca está facultado para estatuir sobre un objeto particular, y como es importante, para la conservación del Estado, que se decida también acerca de los asuntos particulares, estudiaremos de qué forma se puede hacer. |
Les actes du souverain ne peuvent être que des actes de volonté générale, des lois ; il faut ensuite des actes déterminants, des actes de force ou de gouvernement, pour l’exécution de ces mêmes lois ; et ceux-ci, au contraire, ne peuvent avoir que des objets particuliers. Ainsi l’acte par lequel le souverain statue qu’on élira un chef est une loi, et l’acte par lequel on élit ce chef en exécution de la loi n’est qu’un acte de gouvernement. | Las actas del soberano únicamente pueden ser actas de voluntad general, o sea, leyes; después son precisas actas determinantes, actas de fuerza o de gobierno, para la ejecución de estas mismas leyes, las cuales, por el contrario, sólo pueden tener objetos particulares. Así, el acta por la cual el soberano estatuye que se elija un jefe es una ley, y el acta por la cual se elige, en cumplimiento de la ley, ese jefe, sólo es un acta de gobierno. |
Voici donc un troisième rapport sous lequel le peuple assemblé peut être considéré, savoir, comme magistrat ou exécuteur de la loi qu’il a portée comme souverain [122]. | Así tenemos el tercer aspecto bajo el cual podemos considerar al pueblo congregado, es decir, como magistrado o ejecutor de la ley que como soberano ha dictado [19] . |
Nous examinerons s’il est possible que le peuple se dépouille de son droit de souveraineté pour en revêtir un homme ou plusieurs ; car l’acte d’élection n’étant pas une loi, et dans cet acte le peuple n’étant pas souverain lui-même, on ne voit point comment alors il peut transférer un droit qu’il n’a pas. | Haremos un examen para ver si es posible que el pueblo se desprenda de su derecho de soberanía para que recaiga en un hombre o en muchos, pues al no ser el acta de elección una ley, ni siendo soberano el mismo pueblo, no vemos cómo puede transmitir un derecho de que carece. |
L’essence de la souveraineté consistant dans la volonté générale, on ne voit point non plus comment on peut s’assurer qu’une volonté particulière sera toujours d’accord avec cette volonté générale. On doit bien plutôt présumer qu’elle y sera souvent contraire ; car l’intérêt privé tend toujours aux préférences, et l’intérêt public à l’égalité ; et, quand cet accord serait possible, il suffirait qu’il ne fût pas nécessaire et indestructible pour que le droit souverain n’en pût résulter. | Ya que la esencia de la soberanía consiste en la voluntad general, tampoco vemos cómo puede ser posible asegurarse de que una voluntad particular tenga que estar siempre de acuerdo con la voluntad general. Se debe presumir que muchas veces se halla en contradicción con ella, ya que el interés privado siempre aspira a las preferencias, mientras que el público tiende a la igualdad, y aun cuando fuera posible esta concordancia, bastaría que no fuese indestructible y necesaria para que no pudiese resultar de ella el derecho soberano. |
Nous rechercherons si, sans violer le pacte social, les chefs du peuple, sous quelque nom qu’ils soient élus, peuvent jamais être autre chose que les officiers du peuple, auxquels il ordonne de faire exécuter les lois ; si ces chefs ne lui doivent pas compte de leur administration, et ne sont pas soumis eux-mêmes aux lois qu’ils sont chargés de faire observer. | Veremos, sin violar el pacto social, si los caudillos son otra cosa, sea lo que fuere su denominación, que unos oficiales del pueblo a quienes éste ordena que hagan cumplir las leyes; si esos caudillos no le deben rendir cuentas de su administración, y si ellos mismos no están sujetos a las leyes por cuyo cumplimiento deben velar. |
Si le peuple ne peut aliéner son droit suprême, peut-il le confier pour un temps ? s’il ne peut se donner un maître, peut-il se donner des représentants ? cette question est importante et mérite discussion. | Si un pueblo no puede enajenar su derecho supremo, ¿:podrá confiarlo por un tiempo determinado? Si no puede nombrar dueño, ¿:podrá nombrar representantes? Esta importante cuestión merece que se discuta. |
Si le peuple ne peut avoir ni souverain ni représentants, nous examinerons comment il peut porter ses lois lui-même ; s’il doit avoir beaucoup de lois ; s’il doit les changer souvent ; s’il est aisé qu’un grand peuple soit son propre législateur ; | Si un pueblo no puede tener ni soberano ni representantes, veremos cómo puede imponer las leyes por sí mismo, si debe tener muchas, si deben cambiarse frecuentemente, y si es fácil que un gran pueblo sea su propio legislador. |
Si le peuple romain n’était pas un grand peuple ;
S’il est bon qu’il y ait de grands peuples. |
Si no era un pueblo grande el pueblo romano,:
y si conviene que haya pueblos grandes. |
Il suit des considérations précédentes qu’il y a dans l’Etat un corps intermédiaire entre les sujets et le souverain ; et ce corps intermédiaire, formé d’un ou de plusieurs membres, est chargé de l’administration publique, de l’exécution des lois, et du maintien de la liberté civile et politique. | De las precedentes consideraciones, se deduce que en el Estado hay un cuerpo intermedio, compuesto de uno o muchos miembros, que está encargado de loa administración pública, de la ejecución de las leyes y de mantener la libertad civil y política. |
Les membres de ce corps s’appellent magistrats ou rois, c’est-à-dire gouverneurs. Le corps entier, considéré par les hommes qui le composent, s’appelle prince, et, considéré par son action, il s’appelle gouvernement. | Sus miembros son llamados magistrados o reyes, es decir, gobernadores. El cuerpo entero, en lo que se refiere a los hombres que lo componen, se llama príncipe, y considerado por su acción, se llama gobierno. |
Si nous considérons l’action du corps entier agissant sur lui-même, c’est-à-dire le rapport du tout au tout, ou du souverain à l’Etat, nous pouvons comparer ce rapport à celui des extrêmes d’une proportion continue, dont le gouvernement donne le moyen terme. Le magistrat reçoit du souverain les ordres qu’il donne au peuple ; et, tout compensé, son produit ou sa puissance est au même degré que le produit ou la puissance des citoyens, qui sont sujets d’un côté et souverains de l’autre. On ne saurait altérer aucun des trois termes sans rompre à l’instant la proportion. Si le souverain veut gouverner, ou si le prince veut donner des lois, ou si le sujet refuse d’obéir, le désordre succède à la règle, et l’Etat dissous tombe dans le despotisme ou dans l’anarchie. | Si tenemos en cuenta la acción del cuerpo entero actuando en sí mismo, o sea, la relación del todo con el todo, o del soberano con el Estado, podemos establecer una comparación entre esta relación con la de los extremos de una proporción continua cuyo término medio es el Gobierno. El magistrado recibe del soberano las órdenes que da el pueblo; y regulado todo, su producto o su potencia está en el mismo grado que el producto o la potencia de los ciudadanos, que son súbditos por una parte y soberanos por otra. No es posible la alteración de ninguno de los tres términos sin romper la proporción. Si el soberano quiere gobernar, si el príncipe quiere dar leyes, o si el súbdito se niega a la obediencia, el desorden sustituye a la regla, y disuelto el Estado, cae en el despotismo o en la anarquía. |
Supposons que l’Etat soit composé de dix mille citoyens. Le souverain ne peut être considéré que collectivement et en corps ; mais chaque particulier a, comme sujet, une existence individuelle et indépendante. Ainsi le souverain est au sujet comme dix mille à un ; c’est-à-dire que chaque membre de l’Etat n’a pour sa part que la dix millième partie de l’autorité souveraine, quoiqu’il lui soit soumis tout entier. Que le peuple soit composé de cent mille hommes, l’état des sujets ne change pas et chacun porte toujours tout l’empire des lois, tandis que son suffrage, réduit à un cent millième, a dix fois moins d’influence dans leur rédaction. Ainsi, le sujet restant toujours un, le rapport du souverain augmente en raison du nombre des citoyens. D’où il suit que plus l’Etat s’agrandit, plus la liberté diminue. | Supongamos que el Estado esté formado por diez mil ciudadanos. El soberano sólo puede considerarse colectivamente y en cuerpo, pero cada particular tiene, ` como súbdito, su existencia individual e independiente, de tal modo que el soberano está con el súbdito en la relación de diez mil a uno, esto es, que a cada miembro del Estado sólo le corresponde la diez milésima parte de la autoridad soberana, aunque esté sujeto a ella. Si el pueblo consta de cien mil hombres, el estado de los súbditos no sufre variación, y cada uno de ellos lleva siempre sobre sí el imperio de las leyes, ya que reducido su voto a una cien milésima, tiene diez veces menos influencia en su redacción. Así, siendo el súbdito siempre uno, queda aumentada la relación del soberano en razón del número de ciudadanos. De ahí que cuanto más se engrandece el Estado, más disminuye su libertad. |
Or, moins les volontés particulières se rapportent à la volonté générale, c’est-à-dire les mœurs aux lois, plus la force réprimante doit augmenter. D’un autre côté, la grandeur de l’Etat donnant aux dépositaires de l’autorité publique plus de tentations et de moyens d’en abuser, plus le gouvernement a de force pour contenir le peuple, plus le souverain doit en avoir à son tour pour contenir le gouvernement. | Ahora bien, cuanto menor sea la concordancia de las voluntades particulares con la voluntad general, o sea, las costumbres con las leyes, mayor debe ser la fuerza represiva. Proporcionando la grandeza del Estado más tentaciones y medios para que abusen de ella los depositarios de la autoridad pública, cuanto mayor es la fuerza de que dispone el Gobierno para contener al pueblo, mayor debe ser también la del soberano para contener al Gobierno. |
Il suit de ce double rapport que la proportion continue entre le souverain, le prince et le peuple n’est point une idée arbitraire, mais une conséquence de la nature de l’Etat. Il suit encore que l’un des extrêmes, savoir le peuple, étant fixe, toutes les fois que la raison doublée augmente ou diminue, la raison simple augmente ou diminue à son tour ; ce qui ne peut se faire sans que le moyen terme change autant de fois. D’où nous pouvons tirer cette conséquence, qu’il n’y a pas une constitution de gouvernement unique et absolue, mais qu’il doit y avoir autant de gouvernements différents en nature qu’il y a d’Etats différents en grandeur. | De esta relación doble se infiere que la proporción continua entre el soberano, el príncipe y el pueblo, no es una idea arbitraria, sino una consecuencia de la naturaleza del Estado. Al ser fijo uno de los extremos, el pueblo, también se deduce que siempre que se aumenta o disminuye, aumenta o disminuye la razón simple, lo cual no puede ser si sufre cambio otras tantas veces el término medio, de donde se puede sacar la consecuencia de que no hay constitución de gobierno que sea única y absoluta, sino que debe haber tantos Gobiernos de diferente naturaleza como haya Estados de diferente importancia. |
Si plus le peuple est nombreux, moins les mœurs se rapportent aux lois, nous examinerons si, par une analogie assez évidente, on ne peut pas dire aussi que plus les magistrats sont nombreux, plus le gouvernement est faible. | Si el país es muy poblado, concuerdan menos las leyes con las costumbres, y veamos si por una analogía bastante evidente, podremos afirmar que cuanto más numerosos son los magistrados, más débil es el Gobierno. |
Pour éclaircir cette maxime, nous distinguerons dans la personne de chaque magistrat trois volontés essentiellement différentes : premièrement, la volonté propre de l’individu, qui ne tend qu’à son avantage particulier ; secondement, la volonté commune des magistrats, qui se rapporte uniquement au profit du prince ; volonté qu’on peut appeler volonté de corps, laquelle est générale par rapport au gouvernement, et particulière par rapport à l’Etat dont le gouvernement fait partie ; en troisième lieu, la volonté du peuple ou la volonté souveraine, laquelle est générale, tant par rapport à l’Etat considéré comme le tout, que par rapport au gouvernement considéré comme partie du tout. Dans une législation parfaite, la volonté particulière et individuelle doit être presque nulle ; la volonté de corps propre au gouvernement très subordonnée ; et par conséquent la volonté générale et souveraine est la règle de toutes les autres. Au contraire, selon l’ordre naturel, ces différentes volontés deviennent plus actives à mesure qu’elles se concentrent ; la volonté générale est toujours la plus faible, la volonté de corps a le second rang, et la volonté particulière est préférée à tout ; en sorte que chacun est premièrement soi-même, et puis magistrat, et puis citoyen : gradation directement opposée à celle qu’exige l’ordre social. | Para poner en claro esta máxima, haremos una distinción en la persona de cada magistrado, tres voluntades esencialmente distintas; primero, la voluntad propia del individuo, que sólo aspira a su provecho personal; segundo, la voluntad común de los magistrados, que sólo se refiere al beneficio del príncipe, que podemos llamar de cuerpo y que es general con respecto al Gobierno y particular con respecto al Estado de que es parte el Gobierno; tercero, la voluntad del pueblo o la voluntad soberana, la cual es general, tanto en lo referente al Estado considerado como el todo, como en lo referente al Gobierno considerado como parte del todo. En una legislación perfecta, la voluntad individual y particular debe ser casi nula, muy subordinada debe ser también la del cuerpo propio del Gobierno, y regla, por consiguiente, de todas las demás voluntades, la general y soberana. Por el contrario, siguiendo el orden natural, a medida que estas diversas voluntades se van concentrando se vuelven más activas, pues la voluntad general es siempre la más débil; luego viene la de cuerpo y después la individual, que se prefiere a todo, de tal modo que cada uno es primero él mismo, luego magistrado y después ciudadano; una graduación opuesta a la que exige el orden social. |
Cela posé, nous supposerons le gouvernement entre les mains d’un seul homme. Voilà la volonté particulière et la volonté de corps parfaitement réunies, et par conséquent celle-ci au plus haut degré d’intensité qu’elle puisse avoir. Or, comme c’est de ce degré que dépend l’usage de la force, et que la force absolue du gouvernement, étant toujours celle du peuple, ne varie point, il s’ensuit que le plus actif des gouvernements est celui d’un seul. | Sentado esto como base, supondremos el Gobierno a manos de un solo hombre. Aquí están reunidas la voluntad particular y la de cuerpo, y, por lo tanto, posee el mayor grado de intensidad posible. Pero como de este grado depende el uso de la fuerza, y como la fuerza absoluta del Gobierno no sufre ningún cambio, puesto que siempre es la del pueblo, se deduce que el Gobierno más activo es el gobierno de uno solo. |
Au contraire, unissons le gouvernement à l’autorité suprême, faisons le prince du souverain, et des citoyens autant de magistrats : alors la volonté de corps, parfaitement confondue avec la volonté générale, n’aura pas plus d’activité qu’elle, et laissera la volonté particulière dans toute sa force. Ainsi le gouvernement, toujours avec la même force absolue, sera dans son minimum d’activité. | En cambio, unamos el Gobierno con la autoridad suprema, hagamos príncipe al soberano y los ciudadanos otros tantos magistrados-, entonces perfectamente confundida la voluntad del cuerpo con la general, no tendrá otra actividad que ésta y abandonará toda su fuerza a la particular. Entonces el Gobierno, siempre con la misma fuerza absoluta, permanecerá en el menor grado de actividad. |
Ces règles sont incontestables, et d’autres considérations servent à les confirmer. On voit, par exemple, que les magistrats sont plus actifs dans leur corps que le citoyen n’est dans le sien, et que par conséquent la volonté particulière y a beaucoup plus d’influence. Car chaque magistrat est presque toujours chargé de quelque fonction particulière du gouvernement ; au lieu que chaque citoyen pris à part, n’a aucune fonction de la souveraineté. D’ailleurs, plus l’Etat s’étend, plus sa force réelle augmente, quoiqu’elle n’augmente pas en raison de son étendue ; mais, l’Etat restant le même, les magistrats ont beau se multiplier, le gouvernement n’en acquiert pas une plus grande force réelle, parce qu’il est dépositaire de celle de l’Etat, que nous supposons toujours égale. Ainsi, par cette pluralité, l’activité du gouvernement diminue sans que sa force puisse augmenter. | Estas reglas son incontestables, y otras consideraciones sirven para confirmarlas. Vemos que los magistrados son más activos en su cuerpo que el ciudadano en el suyo, y que, por lo tanto, la voluntad individual tiene mayor influencia, porque cada magistrado casi siempre tiene a su cargo alguna función particular del Gobierno, pero cada ciudadano, tomado individualmente, no desempeña ninguna función de la soberanía. Por otra parte, cuanto más se extiende el Estado, más aumenta su fuerza real, aunque aumente en relación directa con la de su extensión, pero siendo el Estado el mismo, en vano se multiplican los magistrados, pues no por eso adquiere más fuerza real el Gobierno, ya que es depositario de la del Estado, la que suponemos siempre igual. De modo que con esta pluralidad, la actividad del Gobierno disminuye sin que pueda aumentar su fuerza. |
Après avoir trouvé que le gouvernement se relâche à mesure que les magistrats se multiplient, et que, plus le peuple est nombreux, plus la force réprimante du gouvernement doit augmenter, nous conclurons que le rapport des magistrats au gouvernement doit être inverse de celui des sujets au souverain ; c’est-à-dire que plus l’Etat s’agrandit, plus le gouvernement doit se resserrer, tellement que le nombre des chefs diminue en raison de l’augmentation du peuple. | Después de advertir que el Gobierno se debilita a medida que los magistrados se multiplican, y que cuanto más numeroso es el pueblo, la fuerza represiva del Gobierno debe aumentar, concluiremos que la relación de los magistrados con el Gobierno debe estar en relación inversa a la de los súbditos con el soberano, o sea, que cuanto más se extiende el Estado, más se debe apiñar el Gobierno, de forma que disminuya el número de jefes en proporción a lo que haya aumentado la población. |
Pour fixer ensuite cette diversité de formes sous des dénominations plus précises, nous remarquerons en premier lieu que le souverain peut commettre le dépôt du gouvernement à tout le peuple ou à la plus grande partie du peuple, en sorte qu’il y ait plus de citoyens magistrats que de citoyens simples particuliers. On donne le nom de démocratie à cette forme de gouvernement. | Para que esta diversidad de formas queden pronto fijadas con denominaciones más rigurosas, observaremos que el soberano puede confiar el depósito del Gobierno a todo el pueblo o a la mayor parte de él, de tal modo que haya más ciudadanos magistrados que simples ciudadanos particulares. Esta forma de Gobierno es llamada «democracia». |
Ou bien il peut resserrer le gouvernement entre les mains d’un moindre nombre, en sorte qu’il y ait plus de simples citoyens que de magistrats ; et cette forme porte le nom d’aristocratie. | También puede concentrarse el Gobierno en un número de ciudadanos más pequeño, de manera que haya más ciudadanos que magistrados; esta forma toma el nombre de «aristocracia». |
Enfin il peut concentrer tout le gouvernement entre les mains d’un magistrat unique. Cette troisième forme est la plus commune, et s’appelle monarchie ou gouvernement royal. | Por último, puede reunir todo el Gobierno en manos de un magistrado único. Esta forma es la más común y se llama monarquía o Gobierno real. |
Nous remarquerons que toutes ces formes, ou du moins les deux premières, sont susceptibles de plus et de moins, et ont même une assez grande latitude. Car la démocratie peut embrasser tout le peuple ou se resserrer jusqu’à la moitié. L’aristocratie, à son tour, peut de la moitié du peuple se resserrer indéterminément jusqu’aux plus petits nombres. La royauté même admet quelquefois un partage, soit entre le père et le fils, soit entre deux frères, soit autrement. Il y avait toujours deux rois à Sparte, et l’on a vu dans l’empire romain jusqu’à huit empereurs à la fois, sans qu’on pût dire que l’empire fût divisé. Il y a un point où chaque forme de gouvernement se confond avec la suivante ; et, sous trois dénominations spécifiques, le gouvernement est réellement capable d’autant de formes que l’Etat a de citoyens. | Subrayemos que todas estas formas de Gobierno, o por lo menos las dos primeras, son capaces de más o menos, y tienen bastante latitud, pues la democracia puede comprender todo el pueblo, o reducirse a la mitad. De la misma forma puede limitarse la aristocracia desde la mitad del pueblo hasta los números más bajos. Hasta el cetro en algunas ocasiones puede ser como partido, sea entre el padre y el hijo, entre dos hermanos o de otra forma. En Esparta siempre había dos reyes, y en el Imperio romano incluso se vieron ocho emperadores a la vez sin que pudiese decirse que el Imperio estuviese dividido. Existe un punto en el cual cada forma de Gobierno se confunde con la inmediata, y bajo tres específicas denominaciones, el Gobierno es realmente capaz de tantas formas diferentes como ciudadanos tiene el Estado. |
Il y a plus : chacun de ces gouvernements pouvant à certains égards se subdiviser en diverses parties, l’une administrée d’une manière et l’autre d’une autre, il peut résulter de ces trois formes combinées une multitude de formes mixtes, dont chacune est multipliable par toutes les formes simples. | Todavía hay más: como bajo diferentes puntos de vista cada uno de estos Gobiernos puede subdividirse en diversas partes, una administrada de una manera y otra de distinta forma, de la combinación de estas tres formas pueden resultar numerosas formas mixtas, cada una de las cuales se puede multiplicar por todas las formas simples. |
On a de tout temps beaucoup disputé la meilleure forme de gouvernement, sans considérer que chacune est la meilleure en certains cas, et la pire en d’autres. Pour nous, si, dans les différents Etats, le nombre des magistrats [123] doit être inverse de celui des citoyens, nous conclurons qu’en général le gouvernement démocratique convient aux petits Etats, l’aristocratique aux médiocres, et le monarchique aux grands. | Se ha discutido siempre en todos los tiempos sobre la mejor forma de Gobierno, sin tener en cuenta que cada una es la mejor en un caso determinado y la peor en otros. Por lo que afecta a nosotros, si en los diversos Estados el número de los magistrados [20] debe ser inverso al de los ciudadanos, concluiremos, que en general, conviene el Gobierno democrático a los Estados pequeños, el aristocrático a los medianos y el monárquico a los grandes. |
C’est par le fil de ces recherches que nous parviendrons à savoir quels sont les devoirs et les droits des citoyens, et si l’on peut séparer les uns des autres ; ce que c’est que la patrie, en quoi précisément elle consiste, et à quoi chacun peut connaître s’il a une patrie ou s’il n’en a point. | Por el curso de estas investigaciones llegaremos a saber cuáles son los deberes y derechos de los ciudadanos y si es posible separar unos de otros, qué es la patria, en qué consiste precisamente y por dónde cada uno puede comprender si tiene o no tiene patria. |
Après avoir ainsi considéré chaque espèce de société civile en elle-même, nous les comparerons pour en observer les divers rapports : les unes grandes, les autres petites ; les unes fortes, les autres faibles ; s’attaquant, s’offensant, s’entre-détruisant ; et, dans cette action et réaction continuelle, faisant plus de misérables et coûtant la vie à plus d’hommes que s’ils avaient tous gardé leur première liberté. Nous examinerons si l’on n’en a pas fait trop ou trop peu dans l’institution sociale ; si les individus soumis aux lois et aux hommes, tandis que les sociétés gardent entre elles l’indépendance de la nature, ne restent pas exposés aux maux des deux Etats, sans en avoir les avantages, et s’il ne vaudrait pas mieux qu’il n’y eût point de société civile au monde que d’y en avoir plusieurs. N’est-ce pas cet Etat mixte qui participe à tous les deux et n’assure ni l’un ni l’autre, per quem neutrum licet, nec tanquam in bello paratum esse, nec tanquam in pace securum ? N’est-ce pas cette association partielle et imparfaite qui produit la tyrannie et la guerre ? et la tyrannie et la guerre ne sont-elles pas les plus grands fléaux de l’humanité ? | Luego de examinar de este modo a cada especie de sociedad civil en sí misma, las compararemos con el fin de observar sus diversas relaciones, unas grandes y otras pequeñas, acometiéndose, ofendiéndose y destruyéndose entre sí, y en esta acción y reacción continua hace más hombres miserables y cuesta más vidas que si todos hubieran conservado su primitiva libertad. Veamos si la institución social ha ido muy adelante o se ha quedado muy atrás, si los individuos sujetos a las leyes y a los hombres, mientras las sociedades conservan entre sí la independencia de la naturaleza, no permanecen expuestos a los males de los dos estados, sin que se gocen sus beneficios, y si no sería mejor que no hubiera sociedad civil en el mundo en vez de que haya muchas, y ni una ni otra segura, per quem neutrum licet, nes tanquam in bello paratum esse, nec tanquam in pace seculorum? Esta imperfecta y parcial asociación, ¿:no es la que produce la guerra y la tiranía? ¿:Y no son los dos azotes más crueles de la humanidad? |
Nous examinerons enfin l’espèce de remèdes qu’on a cherchés à ces inconvénients par les ligues et confédérations, qui, laissant chaque Etat son maître au dedans, l’arment au dehors contre tout agresseur injuste. Nous rechercherons comment on peut établir une bonne association fédérative, ce qui peut la rendre durable, et jusqu’à quel point on peut étendre le droit de la confédération, sans nuire à celui de la souveraineté. | Por último analizaremos la especie de remedios que contra estos inconvenientes se han imaginado con las ligas y confederaciones que, dejando a cada Estado árbitro suyo en lo interior, lo arman en lo exterior contra todo agresor injusto. Indagaremos el modo cómo se puede establecer una buena asociación federativa, que es lo que puede hacerla duradera y hasta qué punto puede extenderse el derecho de la confederación, sin causar perjuicio al de la soberanía. |
L’abbé de Saint-Pierre avait proposé une association de tous les Etats de l’Europe pour maintenir entre eux une paix perpétuelle. Cette association était-elle praticable ? et, supposant qu’elle eût été établie, était-il à présumer qu’elle eût duré [124] ? Ces recherches nous mènent directement à toutes les questions de droit public qui peuvent achever d’éclaircir celles du droit politique. | El abate de Saint-Pierre propuso una asociación todos los Estados de Europa con el fin de mantener entre ellos una paz perpetua. ¿:Era practicable esta asociación? Y suponiendo que se hubiera establecido, ¿:era de presumir que hubiera durado? [21] . Estas indagaciones nos conducen directamente hacia todas las cuestiones de derecho público, que pueden ayudar a aclarar las de derecho político. |
Enfin nous poserons les vrais principes du droit de la guerre, et nous examinerons pourquoi Grotius et les autres n’en ont donné que de faux. | Finalmente, pondremos los verdaderos principios del derecho de guerra, y veremos por qué Grocio y los otros no han hecho más que sentar principios falsos. |
Je ne serais pas étonné qu’au milieu de tous nos raisonnements, mon jeune homme, qui a du bon sens, me dît en m’interrompant : On dirait que nous bâtissons notre édifice avec du bois, et non pas avec des hommes, tant nous alignons exactement chaque pièce à la règle ! Il est vrai, mon ami ; mais songez que le droit ne se plie point aux passions des hommes, et qu’il s’agissait entre nous d’établir les vrais principes du droit politique. À présent que nos fondements sont posés, venez examiner ce que les hommes ont bâti dessus, et vous verrez de belles choses ! | No sería de extrañar que en medio de nuestros razonamientos, mi joven, poseedor de un sano juicio, me dijera: «Dirán que levantamos nuestro edificio con tablas y no con hombres a medida que ponemos en línea cada pieza según la regla». «Es cierto, amigo mío, pero ved que no se doblega el derecho a las pasiones de los hombres, y que entre nosotros se trata de sentar primero los verdaderos principios del derecho político. Ahora que ya tenemos puestos los cimientos, venid a ver todo lo que sobre ellos han edificado los hombres y podréis apreciar bellas cosas.» |
Alors je lui fais lire Télémaque et poursuivre sa route ; nous cherchons l’heureuse Salente, et le bon Idoménée rendu sage à force de malheurs. Chemin faisant, nous trouvons beaucoup de Protésilas, et point de Philoclès. Adraste, roi des Dauniens, n’est pas non plus introuvable. Mais laissons les lecteurs imaginer nos voyages, ou les faire à notre place un Télémaque à la main ; et ne leur suggérons point des applications affligeantes que l’auteur même écarte ou fait malgré lui. | Después le hago leer Telémaco y que siga su camino; buscamos la feliz Salento y el buen Idomeneo, prudente a fuerza de desdichas. En la ruta encontraremos a muchos Protesilaos y a ningún Filocles. Tampoco a Adrasto, rey de los daunos, es posible hallarlo. Pero dejemos que los lectores imaginen nuestros viajes o que los hagan con Telémaco en la mano, y no les sugiramos tristes aplicaciones que el mismo autor aparta de sí o ejecuta contra su voluntad. |
Au reste, Émile n’étant pas roi, ni moi dieu, nous ne nous tourmentons point de ne pouvoir imiter Télémaque et Mentor dans le bien qu’ils faisaient aux hommes : personne ne sait mieux que nous se tenir à sa place, et ne désire moins d’en sortir. Nous savons que la même tâche est donnée à tous ; que quiconque aime le bien de tout son cœur, et le fait de tout son pouvoir, l’a remplie. Nous savons que Télémaque et Mentor sont des chimères. Émile ne voyage pas en homme oisif, et fait plus de bien que s’il était prince. Si nous étions rois, nous ne serions plus bienfaisants. Si nous étions rois et bienfaisants, nous ferions sans le savoir mille maux réels pour un bien apparent que nous croirions faire. Si nous étions rois et sage, le premier bien que nous voudrions faire à nous-mêmes et aux autres serait d’abdiquer la royauté et de redevenir ce que nous sommes. | En cuanto a lo demás, como Emilio no es rey ni yo soy Dios, no nos atormentamos por no poder imitar a Telémaco y a Mentor en el bien que proporcionaban a los hombres; nadie sabe mantenerse mejor que nosotros en su puesto, ni tiene menos deseos de salir de él. Sabemos que fue señalada la misma tarea a todos, que la ha desempeñado con todo corazón quien ama lo bueno y lo ejecuta con todo su poder. También sabemos que Mentor y Telémaco no son otra cosa que ficciones. Emilio no hace sus viajes como un hombre ocioso, sino como si fuese un príncipe. Si fuésemos reyes no seríamos bienhechores. Y si fuésemos lo uno y lo otro, aun sin quererlo, haríamos mil males reales por un bien aparente. Si fuésemos reyes y sensatos, el primer bien que a nosotros y a los demás querríamos hacer sería el de abdicar y volver a ser lo que somos. |
J’ai dit ce qui rend les voyages infructueux à tout le monde. Ce qui les rend encore plus infructueux à la jeunesse, c’est la manière dont on les lui fait faire. Les gouverneurs, plus curieux de leur amusement que de son instruction, la mènent de ville en ville, de palais en palais, de cercle en cercle ; ou, s’ils sont savants et gens de lettres, ils lui font passer son temps à courir des bibliothèques, à visiter des antiquaires, à fouiller de vieux monuments, à transcrire de vieilles inscriptions. Dans chaque pays, ils s’occupent d’un autre siècle ; c’est comme s’ils s’occupaient d’un autre pays ; en sorte qu’après avoir à grands frais parcouru l’Europe, livrés aux frivolités ou à l’ennui, ils reviennent sans avoir rien vu de ce qui peut les intéresser, ni rien appris de ce qui peut leur être utile. | Ya he dicho la causa de que los viajes sean infructuosos, y es por como los hace todo el mundo. Lo que todavía hace que sean más inútiles para la juventud es el modo como se la obliga a viajar. Los ayos, más atentos a su propia diversión que a la instrucción de sus alumnos, los llevan de pueblo en pueblo, de palacio en palacio, de concurrencia en concurrencia, y si son sabios o eruditos, transcurre su tiempo en registrar bibliotecas, visitar anticuarios, contemplar monumentos antiguos y copiar inscripciones medio borradas. En cada país se ocupan de otro siglo, que es como si se ocuparan de otro país, por lo que después de recorrer una gran parte de Europa, abandonándose a frivolidades o al fastidio, regresan sin que hayan visto nada que les sea útil. |
Toutes les capitales se ressemblent, tous les peuples s’y mêlent, toutes les mœurs s’y confondent ; ce n’est pas là qu’il faut aller étudier les nations. Paris et Londres ne sont à mes yeux que la même ville. Leurs habitants ont quelques préjugés différents, mais il n’en ont pas moins les uns que les autres, et toutes leurs maximes pratiques sont les mêmes. On sait quelles espèces d’hommes doivent se rassembler dans les cours. On sait quelles mœurs l’entassement du peuple et l’inégalité des fortunes doit partout produire. Sitôt qu’on me parle d’une ville composée de deux cent mille âmes, je sais d’avance comment on y vit. Ce que je saurais de plus sur les lieux ne vaut pas la peine d’aller l’appendre. | Todas las capitales se parecen, se mezclan todos los pueblos, se confunden las costumbres y no son sitios para el estudio de las naciones. Londres y París son para mí una misma ciudad. Sus habitantes tienen algunas preocupaciones distintas, pero no las tienen en menor número los unos que los otros y sus máximas y sus prácticas son las mismas. Sabemos la especie de hombres que deben reunirse en las cortes, no ignoramos la clase de costumbres que se dan en todas partes con el hacinamiento del pueblo y con la desigualdad de bienes materiales. Tan pronto como se me habla de una ciudad de doscientas mil almas, sé cómo viven en ella. Lo poco más que sabría viajando no merece el esfuerzo que me significaría. |
C’est dans les provinces reculées, où il y a moins de mouvement, de commerce, où les étrangers voyagent moins, dont les habitants se déplacent moins, changent moins de fortune et d’état, qu’il faut aller étudier le génie et les mœurs d’une nation. Voyez en passant la capitale, mais allez observer au loin le pays. Les Français ne sont pas à Paris, ils sont en Touraine ; les Anglais sont plus Anglais en Mercie qu’à Londres et les Espagnols, plus Espagnols en Galice qu’à Madrid. C’est à ces grandes distances qu’un peuple se caractérise et se montre tel qu’il est sans mélange ; c’est là que les bons et les mauvais effets du gouvernement se font mieux sentir, comme au bout d’un plus grand rayon al mesure des arcs est plus exacte. | En las más apartadas provincias, donde hay menos movimiento y menos comercio y por donde viajan menos los extranjeros, cuyos habitantes salen menos de su pueblo y cambian menos de posición y de estado, necesitan estudiar el carácter y las costumbres de una nación. Contemplad de paso la capital, pero id a ver los lugares apartados del país. Los franceses no están en París, sino en Turena ; los ingleses son más ingleses en Merci que en Londres, y los españoles le son más en Galicia que en Madrid. En estos sitios alejados, un pueblo se caracteriza y se manifiesta tal como es, sin mezcla, y es donde se observan mejor los buenos y malos efectos del Gobierno, como en el extremo de un radio mayor es más exacta la medida de los arcos. |
Les rapports nécessaires des mœurs au gouvernement ont été si bien exposés dans le livre de l’Esprit des Lois, qu’on ne peut mieux faire que de recourir à cet ouvrage pour étudier ces rapports. Mais, en général, il y a deux règles faciles et simples pour juger de la bonté relative des gouvernements. L’une est la population. Dans tout pays qui se dépeuple, l’Etat tend à sa ruine ; et le pays qui peuple le plus, fût-il le plus pauvre, est infailliblement le mieux gouverné [125]. | Las necesarias relaciones de las costumbres con el Gobierno se hallan tan bien explicadas en el libro el Espíritu de las leyes, que lo mejor es leer esta obra para estudiar esas relaciones. Pero, en general, hay dos reglas fáciles y sencillas para juzgar de la bondad relativa de los Gobiernos. Una es la población. En todo país que se despuebla, el Estado propende a su ruina, y el que aumenta de población aunque sea el más pobre, es el mejor gobernado [22] . |
Mais il faut pour cela que cette population soit un effet naturel du gouvernement et des mœurs ; car, si elle se faisait par des colonies, ou par d’autres voies accidentelles et passagères, alors elles prouveraient le mal par le remède. Quand Auguste porta des lois contre le célibat, ces lois montraient déjà le déclin de l’empire romain. Il faut que la bonté du gouvernement porte les citoyens à se marier, et non pas que la loi les y contraigne ; il ne faut pas examiner ce qui se fait par force, car la loi qui combat la constitution s’élude et devient vaine, mais ce qui se fait par l’influence des mœurs et par la pente naturelle du gouvernement ; car ces moyens ont seuls un effet constant. C’était la politique du bon abbé de Saint-Pierre de chercher toujours un petit remède à chaque mal particulier, au lieu de remonter à leur source commune, et de voir qu’on ne les pouvait guérir que tous à la fois. Il ne s’agit pas de traiter séparément chaque ulcère qui vient sur le corps d’un malade, mais d’épurer la masse du sang qui les produit tous. On dit qu’il y a des prix en Angleterre pour l’agriculture ; je n’en veux pas davantage : cela me prouve qu’elle n’y brillera pas longtemps. | Mas para ello es preciso que este aumento sea producido por un efecto natural del Gobierno y de las costumbres, porque si resultase de colonias o de otras causas accidentales y transitorias, entonces probarían el mal por el remedio. Las leyes promulgadas por Augusto contra el celibato, eran una muestra de la decadencia del Imperio romano. Es preciso que la bondad del Gobierno induzca a los ciudadanos a casarse, y no que lo hagan obligados por la ley; no debe analizarse lo que se hace a la fuerza, pues la ley que impone la Constitución se evita y se frustra, más que lo que se hace por la influencia de las costumbres y la bondad del Gobierno, pues sólo estos medios tienen una eficacia constante. La política del buen abate de Saint-Pierre era siempre buscar un medicamento para cada dolencia particular en vez de subir a su fuente común y ver si podía curarlos a todos al mismo tiempo. No se trata de curar separadamente cada úlcera en el cuerpo de un enfermo, sino de purificar la sangre que las produce. Dicen que en Inglaterra se premia a la agricultura; no quiero saber más, pues no prosperará mucho tiempo. |
La seconde marque de la bonté relative du gouvernement et des lois se tire aussi de la population, mais d’une autre manière, c’est-à-dire de sa distribution, et non pas de sa quantité. Deux Etats égaux en grandeur et en nombre d’hommes peuvent être fort inégaux en force ; et le plus puissant des deux est toujours celui dont les habitants sont le plus également répandus sur le territoire ; celui qui n’a pas de si grandes villes, et qui par conséquent brille le moins, battra toujours l’autre. Ce sont les grandes villes qui épuisent un Etat et font sa faiblesse : la richesse qu’elles produisent est une richesse apparente et illusoire ; c’est beaucoup d’argent et peu d’effet. On dit que la ville de Paris vaut une province au roi de France ; mais je crois qu’elle lui en coûte plusieurs ; que c’est à plus d’un égard que Paris est nourri par les provinces, et que la plupart de leurs revenus se versent dans cette ville et y restent, sans jamais retourner au peuple ni au roi. Il et inconcevable que, dans ce siècle de calculateurs, il n’y en ait pas un qui sache voir que la France serait beaucoup plus puissante si Paris était anéanti. Non seulement le peuple mal distribué n’est pas avantageux à l’Etat, mais il est plus ruineux que la dépopulation même, en ce que la dépopulation ne donne qu’un produit nul, et que la consommation mal entendue donne un produit négatif. Quand j’entends un Français et un Anglais, tout fiers de la grandeur de leurs capitales, disputer entre eux lequel de Paris ou de Londres contient le plus d’habitants, c’est pour moi comme s’ils disputaient ensemble lequel des deux peuples a l’honneur d’être le plus mal gouverné. | La segunda señal de la bondad relativa del Gobierno y las leyes, también se obtiene de la población, pero de otro modo, de su distribución y no de su cantidad. Dos Estados iguales en territorio y en población puede que sean muy desiguales en fuerza, y siempre el más poderoso es aquel cuyos habitantes están repartidos con más igualdad; el que no tiene ciudades tan populosas, y, por consiguiente, brilla menos, siempre vencerá al otro. Las ciudades populosas son las que dejan a un Estado exhausto y son su debilidad; la riqueza que producen es ilusoria y aparente, es mucho dinero y poco efecto. Se viene diciendo que la ciudad de París vale para el rey de Francia tanto como una provincia, pero creo que le cuesta algunas, pues en muchos aspectos París se mantiene de las provincias, y la mayor parte de las rentas afluyen a esta ciudad y se quedan en ella sin que vuelvan jamás ni al pueblo ni al rey. Es increíble que en este siglo de calculadores no haya quien vea que Francia sería mucho más poderosa si se destruyese a París. Una mala distribución del pueblo no sólo no es provechosa para el Estado, sino que es más funesta que la misma despoblación, porque ésta produce un producto nulo y el mal entendido consumo lo da negativo. Cuando oigo a un francés y a un inglés enorgullecidos por la grandeza de sus capitales y discuten si tiene más habitantes París o Londres, para mí es como si discutieran sobre cuál de los dos tiene el honor de ser peor gobernado. |
Etudiez un peuple hors de ses villes, ce n’est qu’ainsi que vous le connaîtrez. Ce n’est rien de voir la forme apparente d’un gouvernement, fardée par l’appareil de l’administration et par le jargon des administrateurs, si l’on n’en étudie aussi la nature par les effets qu’il produit sur le peuple et dans tous les degrés de l’administration. La différence de la forme au fond se trouvant partagée entre tous ces degrés, ce n’est qu’en les embrassant tous qu’on connaît cette différence. Dans tel pays, c’est par les manœuvres des subdélégués qu’on commence à sentir l’esprit du ministère ; dans tel autre, il faut voir élire les membres du parlement pour juger s’il est vrai que la nation soit libre ; dans quelque pays que ce soit, il est impossible que qui n’a vu que les villes connaisse le gouvernement, attendu que l’esprit n’en est jamais le même pour la ville et pour la campagne. Or, c’est la campagne qui fait le pays, et c’est le peuple de la campagne qui fait la nation. | Estudiad a un pueblo tuera de sus ciudades y sólo así lo conoceréis. Ver la forma aparente de un Gobierno con todo el aparato de la administración y el lenguaje de los administradores, es no ver nada si no estudiamos también su naturaleza por los efectos que produce en el pueblo y si no la estudiamos en todos los grados de la administración. Encontrándose repartida entre todos estos grados, la diferencia de lo que es pura fórmula y lo que es en realidad, sólo cuando se confunden se aprecia esta diferencia. En este país se comienza a sentir el espíritu del ministerio por las maniobras de los subdelegados, y en el otro, es necesario ver elegir a los miembros del Parlamento para comprender si la nación es libre. En todo país, sea el que fuere, es imposible que conozca su Gobierno quien sólo recorre las ciudades, ya que nunca es el mismo el espíritu de las ciudades y el del campo. Ahora es el campo el que hace al país, y el pueblo del campo el que hace a la nación. |
Cette étude des divers peuples dans leurs provinces reculées, et dans la simplicité de leur génie originel, donne une observation générale bien favorable à mon épigraphe, et bien consolante pour le cœur humain ; c’est que toutes les nations, ainsi observées, paraissent en valoir beaucoup mieux ; plus elles se rapprochent de la nature, plus la bonté domine dans leur caractère ; ce n’est qu’en se renfermant dans les villes, ce n’est qu’en s’altérant à force de culture, qu’elles se dépravent, et qu’elles changent en vices agréables et pernicieux quelques défauts plus grossiers que malfaisants. | Este estudio de los varios pueblos que viven en sus apartadas provincias, y en la sencillez de su carácter original, ofrece una visión general favorable a mi epígrafe y que consuela al corazón humano, y es que, observadas así las naciones, parece que aumenta su valor, y cuanto más se acercan a la naturaleza, más predomina la bondad en su carácter; sólo encerrándose en las ciudades y alterándose a fuerza de cultura, se depravan y convierten en perniciosos y agradables vicios algunos defectos más groseros que destructores. |
De cette observation résulte un nouvel avantage dans la manière de voyager que je propose, en ce que les jeunes gens, séjournant peu dans les grandes villes où règne une horrible corruption, sont moins exposés à la contracter, et conservent parmi des hommes plus simples, et dans des sociétés moins nombreuses, un jugement plus sûr, un goût plus sain, des mœurs plus honnêtes. Mais, au reste, cette contagion n’est guère à craindre pour mon Émile ; il a tout ce qu’il faut pour s’en garantir. Parmi toutes les précautions que j’ai prises pour cela, je compte pour beaucoup l’attachement qu’il a dans le cœur. | De esta observación resulta una nueva ventaja en la forma de viajar que propongo, y es que los jóvenes, en las ciudades populosas donde hay una horrible corrupción, están menos expuestos a contraerla, y entre hombres más sencillos y en ciudades menos pobladas, conservan un gusto más sano y costumbres más honestas. Pero esta epidemia no será temible para mi Emilio, pues está preparado para defenderse. Entre las precauciones que he tomado veo, como la más eficaz, los sentimiento que le he inculcado. |
On ne sait plus ce que peut le véritable amour sur les inclinations des jeunes gens, parce que, ne le connaissant pas mieux qu’eux, ceux qui les gouvernent les en détournent. Il faut pourtant qu’un jeune homme aime ou qu’il soit débauché. Il est aisé d’en imposer par les apparences. On me citera mille jeunes gens qui, dit-on, vivent fort chastement sans amour ; mais qu’on me cite un homme fait, un véritable homme qui dise avoir ainsi passé sa jeunesse, et qui soit de bonne foi. Dans toutes les vertus, dans tous les devoirs, on ne cherche que l’apparence ; moi, je cherche la réalité, et je suis trompé s’il y a, pour y parvenir, d’autres moyens que ceux que je donne. | Yo no sé todo lo que puede lograr el verdadero amor en las inclinaciones de los jóvenes, pues sus dirigentes, que no lo ignoran menos que ellos, los desvían de él. No obstante, es indispensable que el joven esté enamorado, si no es un disoluto. Imponerse por las apariencias es fácil. Me citarán mil jóvenes que, según dicen, viven con mucha castidad, pero cítenme un hombre maduro que diga que pasó así su mocedad. En todas las virtudes y en todas las obligaciones sólo buscan la apariencia, y yo quiero la realidad, y me engaño o no hay para conseguirla otros medios que los que propongo. |
L’idée de rendre Émile amoureux avant de le faire voyager n’est pas de mon invention. Voici le trait qui me l’a suggérée. | La idea de procurar que Emilio se enamore antes de hacerle viajar, no es una invención mía, sino que me la sugirió lo que voy a relatar. |
J’étais à Venise en visite chez le gouverneur d’un jeune Anglais. C’était en hiver, nous étions autour du feu. Le gouverneur reçoit ses lettres de la poste. Il les lit, et puis en relit une tout haut à son élève. Elle était en Anglais : je n’y compris rien ; mais, durant la lecture, je vis le jeune homme déchirer de très belles manchettes de point qu’il portait, et les jeter au feu l’une après l’autre, le plus doucement qu’il put, afin qu’on ne s’en aperçût pas. Surpris de ce caprice je le regarde au visage, et je crois y voir de l’émotion ; mais les signes extérieurs des passions, quoique assez semblables chez tous les hommes, ont des différences nationales sur lesquelles il est facile de se tromper. Les peuples ont divers langages sur le visage, aussi bien que dans la bouche. J’attends la fin de la lecture, et puis montrant au gouverneur les poignets nus de son élève, qu’il cachait pourtant de son mieux, je lui dis : Peut-on savoir ce que cela signifie ? | Estaba yo en Venecia en casa del ayo de un joven inglés; era invierno y nos hallábamos alrededor de la lumbre. El ayo recibe las cartas del correo, las lee, y luego su alumno lee otra en voz alta. Estaba escrita en inglés y no la entendía, pero durante la lectura me di cuenta de que el joven rasgaba unos bonitos encajes que tenía en la manga y los arrojaba al fuego con el mayor disimulo posible para que no lo advirtiesen. Extrañándome, le miro de frente y creo que le veo cierta emoción, pero los signos exteriores de las pasiones tienen diferencias en cada país, acerca de los cuales es fácil engañarse, ya que los pueblos tienen distinta expresión tanto en su lenguaje como en su semblante. Espero el final de la lectura, y señalando luego al ayo los puños desnudos de su alumno, que éste procura esconder, le digo: «¿:Se puede saber qué significa esto?» |
Le gouverneur, voyant ce qui s’était passé, se mit à rire, embrassa son élève d’un air de satisfaction ; et, après avoir obtenu son consentement, il me donna l’explication que je souhaitais. | Viendo el ayo lo sucedido, soltó la risa, abrazó a su alumno con la mayor satisfacción, y después de obtener su consentimiento, me dio la explicación que yo pedía. |
Les manchettes, me dit-il, que M. John vient de déchirer sont un présent qu’une dame de cette ville lui a fait il n’y a pas longtemps. Or vous saurez que M. John est promis dans son pays à une jeune demoiselle pour laquelle il a beaucoup d’amour, et qui en mérite encore davantage. Cette lettre est de la mère de sa maîtresse, et je vais vous en traduire l’endroit qui a causé le dégât dont vous avez été le témoin. | «Los encajes que acaba de rasgar John -me dijo-, son un regalo que hace poco le hizo una señora de este pueblo. Pero debéis saber que John está comprometido en su país con una señorita a la que quiere mucho y la cual lo merece todo. Esta carta es de la madre de su amada, y voy a traduciros el párrafo culpa del arrebato que habéis visto. |
« Lucy ne quitte point les manchettes de lord John. Miss Betty Roldham vint hier passer l’après-midi avec elle, et voulut à toute force travailler à son ouvrage. Sachant que Lucy s’était levée aujourd’hui plus tôt qu’à l’ordinaire, j’ai voulu voir ce qu’elle faisait, et je l’ai trouvée occupée à défaire tout ce qu’avait fait hier miss Betty. Elle ne veut pas qu’il y ait dans son présent un seul point d’une autre main que la sienne. » | »"Lucía no deja nunca los vuelos de lord John. Su amiga Beta Roldán vino ayer a pasar la tarde con ella y quiso ayudarle en un bordado. Sabiendo que hoy Lucía se había levantado más temprano que de costumbre, quise ver lo que hacía, y la encontré deshaciendo lo que hizo Beta. No quiere que en su regalo haya ni un punto que sea de otra mano que la suya".» |
M. John sortit un moment après pour prendre d’autres manchettes, et je dis à son gouverneur : Vous avez un élève d’un excellent naturel ; mais parlez-moi vrai, la lettre de la mère de miss Lucy n’est-elle point arrangée ? N’est-ce point un expédient de votre façon contre la dame aux manchettes ? Non, me dit-il, la chose est réelle ; je n’ai pas mis tant d’art à mes soins ; j’y ai mis de la simplicité, du zèle, et Dieu a béni mon travail. | Poco después salió John para repasar otros encajes y yo le dije a su ayo: «Tenéis un alumno de un carácter excelente, pero decidme la verdad: ¿:es cierta esa carta de la señorita Lucía que dice haberla recibido de su madre, o es un expediente arreglado por vos contra la dama de los encajes?». «No -me dijo-, es la pura verdad, no he puesto tanto arte en mis cuidados; sólo me valgo de la sencillez, y Dios ha bendecido mi obra. |
Le trait de ce jeune homme n′est point sorti de ma mémoire : il n′étoit pas propre à ne rien produire dans la tête d′un rêveur comme moi. | Nunca he olvidado la acción de ese joven y tenía que impresionar una cabeza tan imaginativa como la mía. |
Il est temps de finir. Ramenons lord John à miss Luci, c′est-à-dire Emile à Sophie. Il lui rapporte, avec un cœur non moins tendre qu′avant son départ, un esprit plus éclairé, & il rapporte dans son pays l′avantage d′avoir connu les gouvernements par tous leurs vices, & les peuples par toutes leurs vertus. J′ai même pris soin qu′il se liât dans chaque nation avec quelque homme de mérite par un traité d′hospitalité à la manière des anciens, & je ne serai pas fâché qu′il cultive ces connaissances par un commerce de lettres. Outre qu′il peut être utile et qu′il est toujours agréable d′avoir des correspondances dans les pays éloignés, c′est une excellente précaution contre l′empire des préjugés nationaux, qui, nous attaquant toute la vie, ont tôt ou tard quelque prise sur nous. Rien n′est plus propre à leur ôter cette prise que le commerce désintéressé de gens sensés qu′on estime, lesquels, n′ayant point ces préjugés & les combattant par les leurs, nous donnent les moyens d′opposer sans cesse les uns aux autres, & de nous garantir ainsi de tous. Ce n′est point la même chose de commercer avec les étrangers chez nous ou chez eux. Dans le premier cas, ils ont toujours pour le pays où ils vivent un ménagement qui leur fait déguiser ce qu′ils en pensent, ou qui leur en fait penser favorablement tandis qu′ils y sont ; de retour chez eux, ils en rabattent, et ne sont que justes. Je serois bien aise que l′étranger que je consulte eût vu mon pays, mais je ne lui en demanderai son avis que dans le sien. Après avoir presque employé deux ans à parcourir quelques-uns des grands Etats de l′Europe & beaucoup plus des petits ; après en avoir appris les deux ou trois principales langues ; après y avoir vu ce qu′il y a de vraiment curieux, soit en histoire naturelle, soit en gouvernement, soit en arts, soit en hommes, Emile, dévoré d′impatience, m′avertit que notre terme approche. Alors je lui dis : Eh bien ! mon ami, vous vous souvenez du principal objet de nos voyages ; vous avez vu, vous avez observé : quel est enfin le résultat de vos observations ? À quoi vous fixez-vous ? Ou je me suis trompé dans ma méthode, ou il doit me répondre à peu près ainsi : | Es tiempo de terminar. Llevemos a lord John ante su Lucía, es decir, a Emilio delante de su Sofía. Un corazón no menos enamorado que antes de su partida y un espíritu más ilustrado, y lleva á su país la ventaja de haber conocido los Gobiernos con todos sus vicios y los pueblos con todas sus virtudes. He procurado que en cada nación se hiciera amigo de algún hombre de mérito mediante lazos de hospitalidad, como hacían los antiguos, y no me dolerá que por medio de la correspondencia continúe cultivando esas relaciones. Además de que puede ser provechoso y siempre es agradable tener corresponsales en países alejados, es una excelente precaución contra el imperio de las preocupaciones nacionales, que acometiéndonos continuamente durante toda la vida, tarde o temprano ejercen sobre nosotros alguna influencia. Con el fin de neutralizarla, lo más conveniente es el trato desinteresado con los hombres juiciosos a quienes apreciamos, y que careciendo de precauciones, exponiéndoles las nuestras, nos proporcionan los medios de contrarrestar las unas con las otras, y de este modo preservarnos de todas. El tratar con los extranjeros en nuestro país no es lo mismo que tratarlos en el suyo. En el primer caso, siempre tienen para el país dónde viven algunas reservas que encubren lo que piensan de él, o piensan favorablemente mientras residan en él, pero al regresar al suyo van rectificando la opinión que se llevaron, y casi siempre son justos. Me gustaría mucho que el extranjero a quien yo consultase hubiese recorrido mi país, pero sólo estando en el suyo le preguntaría su parecer respecto al mío. Después de recorrer durante cerca de dos años algunos de los grandes Estados de Europa, y otros pequeños; luego de aprender las dos o tres lenguas principales y haber visto lo más interesante, en historia natural, en gobierno, en artes, en hombres, Emilio devorado por la impaciencia me advierte que nuestro plazo llega al final. Entonces yo le digo: «Muy bien, amigo mío; recordáis el principal objeto de nuestros viajes; habéis visto y habéis observado. ¿:Cuál es el resultado de vuestras observaciones? ¿:En qué os habéis fijado más? O estoy equivocado con mi método o más o menos me responderéis esto » |
"À quoi je me fixe ? à rester tel que vous m′avez fait être, & à n′ajouter volontairement aucune autre chaîne à celle dont me chargent la nature & les lois. Plus j′examine l′ouvrage des hommes dans leurs institutions, plus je vois qu′à force de vouloir être indépendants, ils se font esclaves, & qu′ils usent leur liberté même en vains efforts pour l′assurer. Pour ne pas céder au torrent des choses, ils se font mille attachements ; puis, sitôt qu′ils veulent faire un pas, ils ne peuvent, et sont étonnés de tenir à tout. Il me semble que pour se rendre libre on n′a rien à faire ; il suffit de ne pas vouloir cesser de l′être. C′est vous, ô mon maître, qui m′avez fait libre en m′apprenant à céder à la nécessité. Qu′elle vienne quand il lui plaît, je m′y laisse entraîner sans contrainte ; & comme je ne veux pas la combattre, je ne m′attache à rien pour me retenir. J′ai cherché dans nos voyages si je trouverois quelque coin de terre où je pusse être absolument mien ; mais en quel lieu parmi les hommes ne dépend-on plus de leurs passions ? Tout bien examiné, j′ai trouvé que mon souhoit même étoit contradictoire ; car, dussé-je ne tenir à nulle autre chose, je tiendrois au moins à la terre où je me serois fixé ; ma vie seroit attachée à cette terre comme celle des dryades l′étoit à leurs arbres ; j′ai trouvé qu′empire & liberté étant deux mots incompatibles, je ne pouvois être maître d′une chaumière qu′en cessant de l′être de moi." | "¿:En qué me he fijado? ¿:Qué decido? Pues ser como habéis logrado que sea y no añadir voluntariamente ninguna otra cadena distinta de la que me han cargado la naturaleza y las leyes. Cuando con mayor detalle analizo la obra de los hombres en sus instituciones, más me doy cuenta de que a fuerza de aspirar a ser independientes se hacen esclavos, y que invierten su propia libertad en inútiles esfuerzos para asegurarla. Para no ceder al torrente de las cosas, se forman mil sujeciones, y después, cuando pretenden dar un paso, no pueden, y les asombra verse atados a todo. Creo que para vivir libre no hay que hacer nada; basta con no querer dejar de serlo. Vos, maestro mío, me habéis hecho libre enseñándome a ceder ante la necesidad. Que se presente cuando quiera, que yo me dejaré llevar sin oposición, y como no pretendo combatirla, no recurriré a nada que me retenga. En nuestros viajes he procurado ver si hallaría un rincón de tierra que pudiera ser absolutamente mío, pero entre los hombres, ¿:dónde no depende uno de sus pasiones? Bien examinado, he visto que este anhelo mío es contradictorio, pues aunque no estuviera ligado a ninguna otra cosa, quedaría sujeto a la tierra donde me hubiese fijado; mi vida estaría atada a la tierra, al igual que lo estaba la de las dríadas a los árboles. He comprendido que las palabras imperio y libertad son incompatibles y que no podría ser dueño de una choza si no fuese dueño de mí mismo."» |
«Hoc erat in votis : modus agri non ita magnus. | «Hoc erat in votis: modus agri non ita magnus.» |
"Je me souviens que mes biens furent la cause de nos recherches. Vous prouviez très solidement que je ne pouvois garder à la fois ma richesse & ma liberté ; mais quand vous vouliez que je fusse à la fois libre & sans besoins, vous vouliez deux choses incompatibles, car je ne saurois me tirer de la dépendance des hommes qu′en rentrant sous celle de la nature. Que ferai-je donc avec la fortune que mes parents m′ont laissée ? Je commencerai par n′en point dépendre ; je relâcherai tous les liens qui m′y attachent. Si on me la laisse, elle me restera ; si on me l′ôte, on ne m′entraînera point avec elle. Je ne me tourmenterai point pour la retenir, mais je resterai ferme à ma place. Riche ou pauvre, je serai libre. Je ne le serai point seulement en tel pays, en telle contrée ; je le serai par toute la terre. Pour moi toutes les chaînes de l′opinion sont brisées ; je ne connois que celle de la nécessité. J′appris à les porter dès ma naissance, & je les porterai jusqu′à la mort, car je suis homme ; & pourquoi ne saurois-je pas les porter étant libre, puisque étant esclave il les faudroit bien porter encore, & celle de l′esclavage pour surcroît ?" | "Recuerdo que la causa de nuestras investigaciones fueron mis bienes. Con una gran solidez me demostrabais que yo no podía conservar a la vez mi riqueza y mi libertad, pero cuando queríais que fuese libre y sin necesidades, pretendíais dos cosas incompatibles, puesto que no puedo salir de la dependencia de los hombres sin entrar en la de la naturaleza. Entonces, ¿:qué voy a hacer de los bienes que me dejaron mis padres? Lo primero será evitar el depender de ellos; romperé los nudos que me sujetan; si me los dejan, los conservaré, y si me los quitan, no seré arrastrado con ellos. No me atormentaré para retenerlos y seguiré firme en mi puesto. Pobre o rico, seré libre y no lo seré sólo en un país, o en una comarca, sino que lo seré en cualquier parte del mundo. Quedan rotos para mí todos los lazos de la opinión; solamente conozco los de la necesidad. Desde mi infancia aprendí a llevarlos, y los llevaré hasta la muerte, porque soy hombre; ¿:y por qué no los he de llevar siendo libre si también sería forzoso llevarlos siendo esclavo, y los de la esclavitud por añadidura? |
"Que m′importe ma condition sur la terre ? que m′importe où que je sois ? Partout où il y a des hommes, je suis chez mes frères ; partout où il n′y en a pas, je suis chez moi. Tant que je pourrai rester indépendant & riche, j′ai du bien pour vivre, & je vivrai. Quand mon bien m′assujettira, je l′abandonnerai sans peine ; j′ai des bras pour travailler, & je vivrai. Quand mes bras me manqueront, je vivrai si l′on me nourrit, je mourrai si l′on m′abandonne ; je mourrai bien aussi quoiqu′on ne m′abandonne pas ; car la mort n′est pas une peine de la pauvreté, mais une loi de la nature. Dans quelque temps que la mort vienne, je la défie, elle ne me surprendra jamais faisant des préparatifs pour vivre ; elle ne m′empêchera jamais d′avoir vécu." | »"¿:Qué me importa mi condición en la tierra? ¿:Qué me importa el país donde viva? En todas partes donde vivan hombres, sea cualquiera, convivo con mis hermanos, y donde no los haya, estoy en mi casa. »"En tanto pueda seguir independiente y rico, poseo caudal para vivir y viviré. Cuando me sujete mi caudal, sin pesar alguno lo abandonaré; tengo brazos para trabajar, y viviré. Cuando me falten los brazos, viviré si me dan de comer, o moriré si me abandonan, pero también moriré sin que me abandonen, pues la muerte no es el castigo de la pobreza, sino una ley de la naturaleza. Cualquiera que sea la época que viva, puedo afirmar que me encontrará haciendo preparativos para vivir, sin que nada pueda evitarme el haber vivido. |
"Voilà, mon père, à quoi je me fixe. Si j′étois sans passions, je serais, dans mon état d′homme, indépendant comme Dieu même, puisque, ne voulant que ce qui est, je n′aurois jamais à lutter contre la destinée. Au moins je n′ai qu′une chaîne, c′est la seule que je porterai jamais, & je puis m′en glorifier. Venez donc, donnez-moi Sophie, & je suis libre." "--Cher Emile, je suis bien aise d′entendre sortir de ta bouche des discours d′homme, & d′en voir les sentiments dans ton cœur. Ce désintéressement outré ne me déplaît pas à ton âge. Il diminuera quand tu auras des enfants, & tu seras alors précisément ce que doit être un bon père de famille & un homme sage. Avant tes voyages je savois quel en seroit l′effet ; je savois qu′en regardant de prés nos institutions, tu serois bien éloigné d′y prendre la confiance qu′elles ne méritent pas. C′est en vain qu′on aspire à la liberté sous la sauvegarde des lois. Des lois ! où est-ce qu′il y en a, & où est-ce qu′elles sont respectées ? Partout tu n′as vu régner sous ce nom que l′intérêt particulier & les passions des hommes. Mais les lois éternelles de la nature & de l′ordre existent. Elles tiennent lieu de loi positive au sage ; elles sont écrites au fond de son cœur par la conscience & par la raison ; c′est à celles-là qu′il doit s′asservir pour être libre ; & il n′y a d′esclave que celui qui fait mal, car il le fait toujours malgré lui. La liberté n′est dans aucune forme de gouvernement, elle est dans le cœur de l′homme libre ; il la porte partout avec lui. L′homme vil porte partout la servitude. L′un seroit esclave à Genève, & l′autre libre à Paris." | »′ved, mi buen padre, cómo y qué determino. Si no tuviera una pasión, vivirías en mi estado de hombre, independiente como Dios mismo, pues deseando únicamente lo que existe, jamás tendría necesidad de luchar contra el destino. No tengo más que un solo yugo, el único al que siempre estaré ligado, y del cual me puedo enorgullecer. Dadme a Sofía y soy libre." »No sabes, querido Emilio, lo mucho que me complace oírte razones de hombre y ver los sentimientos de tu corazón. No me disgusta ese desinterés excesivo a tu edad. Será menor cuando tengas hijos, y entonces serás lo que debe ser un buen padre de familia y un hombre sensato. Antes de que emprendieras tus viajes ya sabía yo cuáles serían los efectos, sabía que, observando nuestras instituciones, estarías muy distante de poner en ellas la confianza que no se merecen. Es inútil aspirar a la libertad bajo el amparo de las leyes. ¡Leyes! ¿:Dónde las hay? ¿:Y dónde son respetadas? En todas partes sólo has visto el interés particular y las pasiones humanas. Pero hay las leyes eternas de la naturaleza y del orden, que para el sabio sustituyen la ley positiva; están escritas en lo más íntimo de nuestro corazón por la razón y la conciencia; para poder ser un hombre libre es preciso que primero uno se haga esclavo de ellas, y no hay más esclavo que el que obra mal, pues siempre va movido por fuerzas contrarias a las de su voluntad. La libertad no está en ninguna forma de Gobierno, pero está en el pecho del hombre libre y la lleva consigo a todas partes, mientras que el hombre vil lleva a todas partes la esclavitud. El uno sería esclavo en Ginebra y el otro lo sería en París. |
"Si je te parlois des devoirs du citoyen, tu me demanderois peut-être où est la patrie, & tu croirois m avoir confondu. Tu te tromperois pourtant, cher Emile ; car qui n′a pas une patrie a du moins un pays. Il y a toujours un gouvernement & des simulacres de lois sous lesquels il a vécu tranquille. Que le contrat social n′ait point été observé, qu′importe, si l′intérêt particulier l′a protégé comme auroit fait la volonté générale, si la violence publique l′a garanti des violences particulières, si le mal qu′il a vu faire lui a fait aimer ce qui étoit bien, & si nos institutions mêmes lui ont fait connoître & haÏr leurs propres iniquités ? Ô Emile ! où est l′homme de bien qui ne doit rien à son pays ? Quel qu′il soit, il lui doit ce qu′il y a de plus précieux pour l′homme, la moralité de ses actions & l′amour de la vertu. Né dans le fond d′un bois, il eût vécu plus heureux & plus libre ; mais n′ayant rien à combattre pour suivre ses penchants, il eût été bon sans mérite, il n′eût point été vertueux, & maintenant il sait l′être malgré ses passions. La seule apparence de l′ordre le porte à le connaître, à l′aimer. Le bien public, qui ne sert que de prétexte aux autres, est pour lui seul un motif réel. Il apprend à se combattre, à se vaincre, à sacrifier son intérêt à l′intérêt commun. Il n′est pas vrai qu′il ne tire aucun profit des lois ; elles lui donnent le courage d′être juste, même parmi les méchants. Il n′est pas vrai qu′elles ne l′ont pas rendu libre, elles lui ont appris à régner sur lui." | "Si te hablara de los deberes del ciudadano, tal vez me preguntaras dónde está la patria, y creerías que me habías confundido. Pero te engañarías, querido Emilio, porque quien no tiene patria, tiene por lo menos un país. Siempre hay un Gobierno y simulacros de leyes bajo los cuales ha vivido tranquilo. ¿:Qué importancia tiene que no se haya cumplido el contrato social si le ha amparado el interés particular como lo hubiera hecho la voluntad general, si la pública violencia le ha preservado de las violencias particulares, si lo malo que ha visto hacer ha sido la causa de que amara lo que era bueno, y si nuestras instituciones han hecho que conociera y odiara sus propias iniquidades? ¡Ah, Emilio! ¿:Dónde está el hombre de bien que no debe nada a su país? Sea quien fuere, le debe lo más hermoso que hay para el hombre: la moralidad de sus acciones y el amor a la virtud. Nacido de la selva, hubiera vivido más venturoso y más libre, pero careciendo de obstáculos a los cuales tuviera que vencer para seguir sus inclinaciones, habría sido ser bueno sin mérito alguno, pero no virtuoso, mientras que ahora lo es, a pesar de sus pasiones. La sola apariencia del orden le induce a que lo conozca y lo quiera. El bien público, que sirve de simple pretexto para los demás, para él sólo es un motivo real. Aprende a combatirse, a vencerse y a sacrificar su interés al de los demás. El provecho que obtiene de las leyes consiste en que le inspiran e′ desee de ser justo, incluso entre los malvados. También le han hecho libre, puesto que le han enseñado a ser dueño de sí mismo. |
"Ne dis donc pas : que m′importe ou je sois ? Il t′importe d′être où tu peux remplir tous tes devoirs ; & l′un de ces devoirs est l′attachement pour le lieu de ta naissance. Tes compatriotes te protégèrent enfant, tu dois les aimer étant homme. Tu dois vivre au milieu d′eux, ou du moins en lieu d′où tu puisses leur être utile autant que tu peux l′être, & où ils sachent où te prendre si jamais ils ont besoin de toi. Il y a telle circonstance où un homme peut être plus utile à ses concitoyens hors de sa patrie que s′il vivoit sans son sein. Alors il doit n′écouter que son zèle et supporter son exil sans murmure ; cet exil même est un de ses devoirs. Mais toi, bon Emile, à qui rien n′impose ces douloureux sacrifices, toi qui n′as pas pris le triste emploi de dire la vérité aux hommes, va vivre au milieu d′eux, cultive leur amitié dans un doux commerce, sois leur bienfaiteur, leur modèle : ton exemple leur servira plus que tous nos livres, & le bien qu′ils te verront faire les touchera plus que tous nos vains discours." | »Entonces, no digas: "¿:Qué me importa el sitio donde estoy?". Es importante para ti estar donde puedas cumplir tus deberes, y uno de ellos es sentirte raíz de la tierra donde naciste. Tus compatriotas te protegieron siendo niño, y tú debes amarlos siendo hombre. Tienes que vivir entre ellos, en un lugar donde les puedas ser útil y donde te puedan encontrar así alguna vez si necesitan de ti. Hay circunstancias en que un hombre puede ser más útil a sus conciudadanos viviendo fuera de su patria que en ella. Entonces sólo debe escuchar su celo y sufrir sin quejarse su destierro, puesto que ese destierro es uno de sus deberes. Pero tú, buen Emilio, a quien nadie ha impuesto tan dolorosos sacrificios; tú, que no te has tomado la triste obligación de decir la verdad a los hombres, vete, vive con ellos, cultiva su amistad con suave trato, sé tú su bienhechor y su modelo, y les será más provechoso tu ejemplo que todos nuestros libros, y las buenas acciones que vean en ti les valdrán más que todos nuestros discursos. |
"Je ne t′exhorte pas pour cela d′aller vivre dans les grandes villes ; au contraire, un des exemples que les bons doivent donner aux autres est celui de la vie patriarcale & champêtre, la première vie de l′homme, la plus paisible, la plus naturelle & la plus douce à qui n′a pas le cœur corrompu. Heureux, mon jeune ami, le pays où l′on n′a pas besoin d′aller chercher la paix dans un désert ! Mais où est ce pays ? Un homme bienfaisant satisfoit mal son penchant au milieu des villes, où il ne trouve presque à exercer son zèle que pour des intrigants ou pour des fripons. L′accueil qu′on y fait aux fainéants qui viennent y chercher fortune ne fait qu′achever de dévaster le pays, qu′au contraire il faudroit repeupler aux dépens des villes. Tous les hommes qui se retirent de la grande société sont utiles précisément parce qu′ils s′en retirent, puisque tous ses vices lui viennent d′être trop nombreuse. Ils sont encore utiles lorsqu′ils peuvent ramener dans les lieux déserts de la vie la culture & l′amour de leur premier état. Je m′attendris en songeant combien, de leur simple retraite, Emile & Sophie peuvent répandre de bienfaits autour d′eux, combien ils peuvent vivifier la campagne & ranimer le zèle éteint de l′infortuné villageois. Je crois voir le peuple se multiplier, les champs se fertiliser, la terre prendre une nouvelle parure, la multitude & l′abondance transformer les travaux en fêtes, les cris de joie & les bénédictions s′élever du milieu des jeux rustiques autour du couple aimable qui les a ranimés. On traite l′âge d′or de chimère, et c′en sera toujours une pour quiconque a le cœur & le goût gâtés. Il n′est pas même vrai qu′on le regrette, puisque ces regrets sont toujours vains. Que faudroit-il donc pour le faire renaître ? une seule chose, mais impossible, ce seroit de l′aimer." | »Con esto no te exhorto para que vayas a vivir en las grandes ciudades, sino al contrario; uno de los ejemplos que los buenos deben a los demás es el de la vida patriarcal y compasiva, la vida primitiva del hombre, la más pacífica, más natural y más dulce para quien no tiene cansado el corazón. ¡Dichoso el país donde no hay que ir a buscar la paz en un desierto! Pero, ¿:cuál es ese país? Un hombre generoso satisface mal esa inclinación suya en las ciudades, donde casi no halla a quien pueda favorecer, si no cae en las tretas de los intrigantes y los bribones. La acogida que se hace a los incautos que van a probar fortuna acaba de arruinar al país, cuando debería repoblarse a costa de las ciudades. Todos los que huyen de las grandes urbes son útiles por el solo hecho de irse, pues todos sus vicios provienen de ser muy pobladas. También son útiles cuando pueden llevar al desierto la vida, la cultura y el amor de su primitivo estado. Me conmuevo pensando en los beneficios que pueden aportar Emilio y Sofía desde su sencillo retiro, la vida que pueden proporcionar a las campiñas y cómo van a reanimar el apagado celo del infeliz aldeano. Ya creo ver cómo el pueblo se multiplica, cómo se fertilizan los campos, cómo se engalana la tierra con nuevos frutos y la muchedumbre y la abundancia transforman en fiestas los trabajos y se elevan bendiciones y alegres clamores en torno a la amable pareja que ha reanimado los rústicos juegos. Tratan de fantástico el siglo de oro, y lo será siempre para quien tenga estragados el gusto y el corazón. Tampoco es cierto que sientan haberlo perdido, pues ese sentimiento siempre es vano. ¿:Qué se necesita para que renazca? Una sola cosa, pero imposible amarle. |
"Il semble déjà renaître autour de l′habitation de Sophie ; vous ne ferez qu′achever ensemble ce que ses dignes parents ont commencé. Mais, cher Emile, qu′une vie si douce ne te dégoûte pas des devoirs pénibles, si jamais ils te sont imposés : souviens-toi que les Romains passoient de la charrue au consulat. Si le prince ou l′Etat t′appelle au service de la patrie, quitte tout pour aller remplir, dans le poste qu′on t′assigne, l′honorable fonction de citoyen. Si cette fonction t′est onéreuse, il est un moyen honnête & sûr de t′en affranchir, c′est de la remplir avec assez d′intégrité pour qu′elle ne te soit pas longtemps laissée. Au reste, crains peu l′embarras d′une pareille charge ; tant qu′il y aura des hommes de ce siècle, ce n′est pas toi qu′on viendra chercher pour servir l′Etat." Que ne m′est-il permis de peindre le retour d′Emile auprès de Sophie & la fin de leurs amours, ou plutôt le commencement de l′amour conjugal qui les unit ! amour fondé sur l′estime qui dure autant que la vie, sur les vertus qui ne s′effacent point avec la beauté, sur les convenances des caractères qui rendent le commerce aimable & prolongent dans la vieillesse le charme de la première union. Mais tous ces détails pourroient plaire sans être utiles ; & jusqu′ici je me suis permis de détails agréables que ceux dont j′ai cru voir l′utilité. Quitterois je cette règle à la fin de ma tâche ? Non ; je sens aussi bien que ma plume est lassée. Trop faible pour des travaux de si longue haleine, j′abandonnerois celui-ci s′il étoit moins avancé ; pour ne pas le laisser imparfait, il est temps que j′achève. | »Ya me parece que está renaciendo alrededor de la morada de Sofía; no haréis más que acabar juntos lo que sus dignos padres han empezado. Pero no rechaces, querido Emilio, las obligaciones penosas si alguna vez te las imponen; acuérdate de que los romanos abandonaban el arado por la toga consular. Si el príncipe o el Estado te llama para el servicio de la patria, déjalo todo para desempeñar el puesto que se te señale, el honroso papel de ciudadano. Si esta función te resultase costosa, hay un medio decente y eficaz para librarte de ella, y es desempeñarla con tanta integridad que se te releve al poco tiempo. No deben inquietarte las dificultades de semejante carga; mientras hayan hombres de este siglo, no será a ti a quien irán a buscar para servir al Estado.» Si pudiera pintar la vuelta de Emilio a casa de Sofía y el fin de sus amores, o mejor, el principio del amor conyugal que los une... Amor fundado en la estimación, tan duradero como la vida; en las virtudes, que no se desvanecen con la hermosura; en la armonía de los caracteres, que hacen amable el trato y prolongan en la vejez el encanto de la unión primera. Pero estos detalles pudieran distraer sin ser provechosos, y hasta aquí sólo he descrito las circunstancias agradables que me han parecido útiles. ¿:Abandonaré ese sistema al final de mi tarea? No, y veo, además, que mi pluma siente ya el cansancio. Muy débil para tan extenso trabajo, lo abandonaría si estuviera menos adelantado, dejándolo imperfecto, pero ya es hora de que lo concluya. |
Enfin je vois naître le plus charmant des jours d′Emile, & le plus heureux des miens ; je vois couronner mes soins, & je commence d′en goûter le fruit. Le digne couple s′unit d′une chaîne indissoluble ; leur bouche prononce & leur cœur confirme des serments qui ne seront point vains : ils sont époux. En revenant du temple, ils se laissent conduire ; ils ne savent où ils sont, où ils vont, ce qu′on fait autour d′eux. Ils n′entendent point, ils ne répondent que des mots confus, leurs yeux troublés ne voient plus rien. Ô délire ! ô faiblesse humaine ! le sentiment du bonheur écrase l′homme, il n′est pas assez fort pour le supporter. | Al fin veo nacer el más encantador de los días de Emilio y el más feliz de los míos; veo coronados mis afanes y empiezo a saborear su fruto. Que se una la muy digna pareja con una indisoluble cadena; lo dice su boca y confirma su corazón que sus juramentos no serán vanos; son ya esposos. Al regreso del templo, se dejan conducir; no saben dónde están, ni adónde van, ni lo que harán a su alrededor. No oyen, no responden más que palabras confusas; sus temblorosos ojos no ven nada. ¡Oh, delirio y flaqueza humana! El sentimiento de la felicidad entontece al hombre, sin fuerzas para resistirlo. |
Il y a bien peu de gens qui sachent, un jour de mariage, prendre un ton convenable avec les nouveaux époux. La morne décence des uns & le propos léger des autres me semblent également déplacés. J′aimerois mieux qu′on laissât ces jeunes cœurs se replier sur eux-mêmes, & se livrer à une agitation qui n′est pas sans charme, que de les en distraire si cruellement pour les attrister par une fausse bienséance, ou pour les embarrasser par de mauvaises plaisanteries, qui, dussent-elles leur plaire en tout autre temps, leur sont très sûrement importunes un pareil jour. | Son muy pocos los que en el día de una boda sepan hablar con los novios en el tono más conveniente. El triste decoro de unos y las chocarrerías de otros, me parecen del mismo modo impertinentes. Preferiría que dejasen que estos jóvenes corazones se recogieran dentro de sí mismos y se abandonaran a una agitación que tiene cierta delicia, en vez de distraerlos con tanta crueldad, entristeciéndolos con una inoportuna seriedad, o incomodándolos con humoradas que si los hubieran divertido en otra ocasión, son más que importunas en ese día. |
Je vois mes deux jeunes gens, dans la douce langueur qui les trouble, n′écouter aucun des discours qu′on leur tient. Moi, qui veux qu′on jouisse de tous les jours de la vie, leur en laisserai-je perdre un si précieux ? Non, je veux qu′ils le goûtent, qu′ils le savourent, qu′il ait pour eux ses voluptés. Je les arrache à la foule indiscrète qui les accable, &, les menant promener à l′écart, je les rappelle à eux-mêmes en leur parlant d′eux. Ce n′est pas seulement à leurs oreilles que je veux parler, c′est à leurs cœurs ; & je n′ignore pas quel est le sujet unique dont ils peuvent s′occuper ce jour-là. | Veo que mis dos jóvenes, en la dulce emoción que los turba, no escuchan nada de todo lo que se les dice. Yo, que deseo que el hombre goce de todos los días de la vida, ¿:he de permitir que pierdan uno tan precioso? No; quiero que lo gusten, que lo paladeen, que disfruten de sus delicias. Les arranco de la indiscreta muchedumbre que les cansa, y llevándomelos a pasear en un sitio apartado, les llamo a la realidad hablándoles de ellos. No sólo quiero llegar a su oído, sino también a su corazón, y no ignoro cuál es el único asunto con que han de llenar este día. |
Mes enfans, leur dis-je en les prenant tous deux parla main, il y a trois ans que j′ai vu naître cette flamme vive & pure qui fait votre bonheur aujourd′hui. Elle n′a fait qu′augmenter sans cesse ; je vois dans vos yeux qu′elle est à son dernier degré de véhémence ; elle ne peut plus que s′affaiblir. Lecteurs, ne voyez-vous pas les transports, les emportements, les serments d′Emile, l′air dédaigneux dont Sophie dégage sa main de la mienne, & les tendres protestations que leurs yeux se font mutuellement de s′adorer jusqu′au dernier soupir ? Je les laisse faire, & puis je reprends. | «Hijos míos -les digo, cogiéndolos de la mano-, hace tres años que vi nacer esta viva y pura llama que hoy es vuestra felicidad. Ha ido en aumento, y en vuestros ojos leo que ha llegado a su mayor grado de vehemencia, y no se puede debilitar.» Lectores, ¿:no veis los arrebatos, la emoción, los juramentos de Emilio, el aire desdeñoso con que Sofía desprende su mano de la mía y las tiernas protestas que sus ojos se hacen mutuamente de adorarse hasta el último aliento? Les dejo que sigan y vuelvo a mi tema. |
J′ai souvent pensé que si l′on pouvoit prolonger le bonheur de l′amour dans le mariage, on auroit le paradis sur la terre. Cela ne s′est jamais vu jusqu′ici. Mais si la chose n′est pas tout à fait impossible, vous êtes bien dignes l′un & l′autre de donner un exemple que vous n′aurez reçu de personne, & que peu d′époux sauront imiter. Voulez-vous, mes enfants, que je vous dise un moyen que j′imagine pour cela, & que je crois être le seul possible ? | «He pensado muchas veces que si se pudiera prolongar la dicha del amor en el matrimonio, habría el paraíso en la tierra. Hasta hoy nunca se ha visto. Pero si no es totalmente imposible, uno y otro sois dignos de dar un ejemplo que de nadie habéis recibido y que pocos esposos sabrán imitar. ¿:Queréis, hijos míos, que os diga los medios que imagino para ello y que creo los únicos posibles?» |
Ils se regardent en souriant & se moquent de ma simplicité. Emile me remercie nettement de ma recette, en me disant qu′il croit que Sophie en a une meilleure, et que, quant à lui, celle-là lui suffit. Sophie approuve, & paroit tout aussi confiante. Cependant, à travers son air de raillerie, je crois démêler un peu de curiosité. J′examine Emile ; ses yeux ardents dévorent les charmes de son épouse ; c′est la seule chose dont il soit curieux, & tous mes propos ne l′embarrassent guère. Je souris à mon tour en disant en moi-même : Je saurai bientôt te rendre attentif. | Se miran sonriendo y burlándose de mi simplicidad. Emilio me agradece mis palabras y me dice que cree que Sofía tiene una receta mejor que la mía y que a él con eso le basta. Sofía aprueba, y parece muy confiada; no obstante, en medio de su risueña expresión, creo percibir cierta curiosidad. Observo a Emilio; sus ardientes ojos devoran los encantos de su esposa; es lo único que le interesa, y mis razonamientos no le dicen nada. Yo me sonrío diciéndome que pronto conseguiré que me haga caso. |
La différence presque imperceptible de ces mouvements secrets en marque une bien caractéristique dans les deux sexes, & bien contraire aux préjugés reçus ; c′est que généralement les hommes sont moins constants que les femmes, & se rebutent plus tôt qu′elles de l′amour heureux. La femme pressent de loin l′inconstance de l′homme, & s′en inquiète ;* [*En France, les femmes se détachent les premières ; & cela doit être, parce qu′ayant peu de tempérament, et ne voulant que des hommages, quand un mari n′en rend plus, on se soucie peu de sa personne. Dans les autres pays, au contraire, c′est le mari qui se détache le premier ; cela doit être encore parce que les femmes, fidèles, mais indiscrètes, en les importunant de leurs désirs, les dégoûtent d′elles. Ces vérités générales peuvent souffrir beaucoup d′exceptions ; mais je crois maintenant que ce sont des vérités générales.] c′est ce qui la rend aussi plus jalouse. Quand il commence à s′attiédir, forcée à lui rendre pour le garder tous les soins qu′il prit autrefois pour lui plaire, elle pleure, elle s′humilie à son tour, & rarement avec le même succès. L′attachement & les soins gagnent les cœurs, mais ils ne les recouvrent guère. Je reviens à ma recette contre le refroidissement de l′amour dans le mariage | La diferencia casi imperceptible de estos movimientos secretos señalan una muy característica en los dos sexos y muy contraria a las preocupaciones admitidas, y es que, por regla general, los hombres son más inconstantes que las mujeres y se fatigan más pronto del amor satisfecho. Desde muy atrás, la mujer presiente la inconstancia del hombre y se alarma [23] . Esto la vuelve celosa. Cuando él empieza a entibiarse, ella aumenta los cuidados que le dedicó en otros tiempos para serle grata, y llora, se humilla y pocas veces con buen resultado. El cariño y los obsequios se ganan los corazones, pero no tienen el poder de recobrarlos. Vuelvo a mi receta contra el enfriamiento del amor en el matrimonio. |
Elle est simple & facile, reprends-je ; c′est de continuer d′être amants quand on est époux. --En effet, dit Emile en riant du secret, elle ne nous sera pas pénible. | »Es fácil y sencillo: el secreto está en que sigan siendo amantes cuando son esposos.» «Efectivamente -dice Emilio, riéndose del secreto-. |
Plus pénible à vous qui parlez que vous ne pensez peut-être. Laissez-moi, je vous prie, le temps de m′expliquer. | Esta receta no nos será pesada seguirla.» «Pesada será para vos que habláis de lo que no sabéis. Dejad que me explique. |
Les nœuds qu′on veut trop serrer rompent. Voilà ce qui arrive à celui du mariage quand on veut lui donner plus de force qu′il n′en doit avoir. La fidélité qu′il impose aux deux époux est le plus saint de tous les droits ; mais le pouvoir qu′il donne à chacun des deux sur l′autre est de trop. La contrainte & l′amour vont mal ensemble, & le plaisir ne se commande pas. Ne rougissez point, ô Sophie ! & ne songez pas à fuir. À Dieu ne plaise que je veuille offenser votre modestie ! mais il s′agit du destin de vos jours. Pour un si grand objet, souffrez, entre un époux & un père, des discours que vous ne supporteriez pas ailleurs. | »Los nudos que se quieren apretar demasiado se rompen. Esto es lo que sucede con el matrimonio cuando se le quiere dar más fuerza de la que debe tener. La fidelidad que impone a los esposos es el más santo de todos los derechos, pero el poder que da a cada uno sobre el otro es demasiado. La violencia y el amor son de mal unir, y el deleite no se dirige. No os sonrojéis, Sofía, ni os vayáis. Dios no permita que yo quiera ofender vuestra modestia, pero aquí se trata de vuestro destino. Ante tan importante causa, debéis sufrir de un padre y un esposo razones que de otros no soportar dais. |
Ce n′est pas tant la possession que l′assujettissement qui rassasie, & l′on garde pour une fille entretenue un bien plus long attachement que pour une femme. Comment a-t-on pu faire un devoir des plus tendres caresses, & un droit des plus doux témoignages de l′amour ? C′est le désir mutuel qui fait le droit, la nature n′en connaît point d′autre. La loi peut restreindre ce droit, mais elle ne saurait l′étendre. La volupté est si douce par elle-même ! doit-elle recevoir de la triste gêne la force qu′elle n′aura pu tirer de ses propres attraits ? Non, mes enfants, dans le mariage les cœurs sont liés, mais les corps ne sont point asservis. Vous vous devez la fidélité, non la complaisance. Chacun des deux ne peut être qu′à l′autre, mais nul des deux ne doit être à l′autre qu′autant qu′il lui plaît. | »La posesión no causa el hastío que produce la sujeción, y el hombre que tiene una querida le conserva el cariño mucho más tiempo que a su propia mujer. ¿:Cómo ha sido posible transformar en obligación los más tiernos cariños y en derecho las más dulces prendas de amor? El deseo mutuo hace el derecho, y la naturaleza no conoce otro. La ley puede restringir este derecho, pero no extenderlo. El deleite es dulce por sí mismo. ¿:Ha de recibir de la sujeción la fuerza que no haya podido lograr con sus atractivos? No, hijos míos; en el matrimonio están ligados los corazones, pero no están esclavizados los cuerpos. Os debéis fidelidad, pero no condescendencia. Cada uno de los dos sólo puede ser del otro, pero ninguno debe ser del otro más que cuando a éste le plazca. |
S′il est donc vrai, cher Emile, que vous vouliez être l′amant de votre femme, qu′elle soit toujours votre maîtresse & la sienne ; soyez amant heureux, mais respectueux ; obtenez tout de l′amour sans rien exiger du devoir, & que les moindres faveurs ne soient jamais pour vous des droits, mais des grâces. Je sais que la pudeur fuit les aveux formels & demande d′être vaincue ; mais avec de la délicatesse & du véritable amour, l′amant se trompe-t-il sur la volonté secrète ? Ignore-t-il quand le cœur & les yeux accordent ce que la bouche feint de refuser ? Que chacun des deux, toujours maître de sa personne & de ses caresses, ait droit de ne les dispenser à l′autre qu′à sa propre volonté. Souvenez-vous toujours que, même dans le mariage, le plaisir n′est légitime que quand le désir est partagé. Ne craignez pas, mes enfants, que cette loi vous tienne éloignés ; au contraire, elle vous rendra tous deux plus attentifs à vous plaire, & préviendra la satiété. Bornés uniquement l′un à l′autre, la nature & l′amour vous rapprocheront assez. | »Por lo tanto, querido Emilio, si es verdad que queréis ser amante de vuestra mujer, ella debe ser siempre dueña de vos y de sí misma; sed un amante feliz, pero respetuoso; debéis alcanzarlo todo del amor sin exigir nada de la obligación, y los más pequeños favores no deben ser nunca derechos, sino gracias para vos. Ya sé que el pudor aparta los consentimientos malos y pide que sea vencido, pero con verdadero amor y delicadeza, ¿:se engaña el amante acerca de la voluntad secreta? ¿:No sabe cuándo los ojos y el corazón otorgan lo que la boca niega? Que cada uno tenga derecho a ser dueño de su persona y de su cariño, sin debérselo conceder contra su propia voluntad. Recordad que ni siquiera en el matrimonio el deleite es legítimo cuando no es compartido. No temáis de que esta ley os desvíe al uno del otro; por el contrario, hará que los dos os esforcéis en agradaros, y evitaréis el hastío. Limitados el uno al otro, os acercarán la naturaleza y el amor.» |
À ces propos & d′autres semblables, Emile se fâche, se récrie ; Sophie, honteuse, tient son éventail sur ses yeux, & ne dit rien. Le plus mécontent des deux, peut-être, n′est pas celui qui se plaint le plus. J′insiste impitoyablement : je fais rougir Emile de son peu de délicatesse ; je me rends caution pour Sophie qu′elle accepte pour sa part le traité. Je la provoque à parler ; on se doute bien qu′elle n′ose me démentir. Emile, inquiet, consulte les yeux de sa jeune épouse ; il les voit, à travers leur embarras, pleins d′un trouble voluptueux qui le rassure contre le risque de la confiance. Il se jette à ses pieds, baise avec transport la main qu′elle lui tend, & jure que, hors la fidélité promise, il renonce à tout autre droit sur elle. Sois, lui dit-il, chère épouse, l′arbitre de mes plaisirs comme tu l′es de mes jours & de ma destinée. Dût ta cruauté me coûter la vie, je te rends mes droits les plus chers. Je ne veux rien devoir à ta complaisance, je veux tout tenir de ton cœur. | Al oír estas y otras semejantes razones, Emilio se enoja y gruñe; Sofía, avergonzada, se tapa los ojos con su abanico y no dice nada. El más descontento de los dos no es, tal vez, el que más se queja. Sin ablandarme, insisto; avergüenzo a Emilio por su poca delicadeza, salgo fiador de Sofía, quien admite el pacto, la invito a que hable y veo que no se atreve a desmentirme. Emilio, inquieto, consulta con los ojos a su esposa y observa, en medio de su cortedad, que hay en los de ella una deliciosa turbación que le tranquiliza contra los riesgos de la confianza. Se arroja a sus pies, besa la mano que ella le ofrece y jura que, excepto la prometida fidelidad, renuncia a cualquier otro derecho sobre ella. «Sé tú, amada mía -le dice-, árbitro de mis placeres como lo eres de mi vida y de mi destino. Aunque tu crueldad tuviese que costarme la vida, te hago entrega de mis queridos derechos. No quiero deber nada a tu complacencia; lo que quiero es tu corazón.» |
Bon Emile, rassure-toi : Sophie est trop généreuse elle-même pour te laisser mourir victime de ta. Générosité. | Buen Emilio, tranquilízate. Sofía es demasiado generosa para dejarte morir víctima de tu generosidad. |
Le soir, prêt à les quitter, je leur dis du ton le plus grave qu′il m′est possible : Souvenez-vous tous deux que vous êtes libres, & qu′il n′est pas ici question des devoirs d′époux ; croyez-moi, point de fausse déférence. Emile, veux-tu venir ? Sophie le permet. Emile, en fureur, voudra me battre. & vous, Sophie, qu′en dites-vous ? faut-il que je l′emmène ? La menteuse, en rougissant, dira que oui. Charmant & doux mensonge, qui vaut mieux que la vérité ! | Por la noche, al despedirme, les digo en el tono más grave que puedo: Acordaos el uno y el otro de que sois libres, que no haya diferencias falsas, que no se trata de obligaciones conyugales». ¿:Quieres venir, Emilio? Sofía te lo permite. Enfurecido. Emilio querrá pegarme. ¿:Y vos, Sofía, qué decís? ¿:Queréis que me lo lleve? La embusterilla, sonrojada, dirá que sí. ¡Bella y dulce mentira que vale más que la verdad! |
Le lendemain... L′image de la félicité ne flatte plus les hommes : la corruption du vice n′a pas moins dépravé leur goût que leurs cœurs. Ils ne savent plus sentir ce qui est touchant ni voir ce qui est aimable. Vous qui, pour peindre la volupté, n′imaginez jamais que d′heureux amants nageant dans le sein des délices, que vos tableaux sont encore imparfaits ! vous n′en avez que la moitié la plus grossière ; les plus doux attraits de la volupté n′y sont point. Ô qui de vous n′a jamais vu deux jeunes époux, unis sous d′heureux auspices, sortant du lit nuptial, & portant à la fois dans leurs regards languissants & chastes l′ivresse des doux plaisirs qu′ils viennent de goûter, l′aimable sécurité de l′innocence, & la certitude alors si charmante de couler ensemble le reste de leurs jours ? Voici l′objet le plus ravissant qui puisse être offert au cœur de l′homme ; voilà le vrai tableau de la volupté : vous l′avez vu cent fois sans le reconnaître ; vos cœurs endurcis ne sont plus faits pour l′aimer. Sophie, heureuse & paisible, passe le jour dans les bras de sa tendre mère ; c′est un repos bien doux à prendre après avoir passé la nuit dans ceux d′un époux. | Al día siguiente... La imagen de la felicidad complace a los hombres; la corrupción del vicio ha depravado su gusto no menos que sus corazones. Ya no saben sentir lo tierno ni ver lo amable. Vosotros, que para pintar el deleite nunca imagináis más que dichosos amantes embriagados en el seno de las delicias, qué imperfectas son todavía vuestras pinturas; sólo ofrecéis la más grosera mitad, los atractivos más dulces del deleite no los recogéis. ¿:Quién de vosotros no vio jamás dos esposos jóvenes salir del tálamo nupcial, y en su lánguido y casto mirar, el reflejo de los dulces deleites que acaban de disfrutar, la amable serenidad de la inocencia y la certidumbre de vivir juntos toda su vida? Este es el objeto más encantador que puede presentarse al corazón del hombre y la verdadera pintura del deleite; la habéis visto cien veces sin reconocerla; vuestros endurecidos corazones no están hechos para amar. Dichosa y serena, Sofía pasa el día en brazos de su madre, blando descanso para la que ha pasado la noche en los de su esposo. |
Le surlendemain, j′aperçois déjà quelque changement de scène. Emile veut paraître un peu mécontent ; mais, à travers cette affectation, je remarque un empressement si tendre, & même tant de soumission, que je n′en augure rien de bien fâcheux. Pour Sophie, elle est plus gaie que la veille, je vois briller dans ses yeux un air satisfait ; elle est charmante avec Emile ; elle lui fait presque des agaceries dont il n′est plus dépité. | Al otro día observo ya un cambio. Emilio quiere dar muestras de descontento, pero a través de esa afectación noto un ardor tan tierno y tanto rendimiento, que no auguro nada que sea triste. Sofía está más alegre que el día anterior, en sus ojos brilla una visible satisfacción, es muy cariñosa con Emilio, casi le provoca, .y parece que él se enfada más con sus halagos. |
Ces changements sont peu sensibles ; mais ils ne m′échappent pas : je m′en inquiète, j′interroge Emile en particulier ; j′apprends qu′à son grand regret, et malgré toutes ses instances, il a fallu faire lit à part la nuit précédente. L′impérieuse s′est hâtée d′user de son droit. On a un éclaircissement : Emile se plaint amèrement, Sophie plaisante ; mais enfin, le voyant prêt à se fâcher tout de bon, elle lui jette un regard plein de douceur & d′amour, & me serrant la main, ne prononce que ce seul mot, mais d′un ton qui va chercher l′âme : L′ingrat ! Emile est si bête qu′il n′entend rien à cela. Moi, je l′entends ; j′écarte Emile, & je prends à son tour Sophie en particulier. | Estos cambios son poco notables, pero no se me escapan. Inquieto, consulto a Emilio a solas, y me entero de su mucho sentimiento porque, a pesar de sus instancias, ha tenido que dormir en otra cama la noche pasada. La imperiosa se ha dado prisa en hacer uso de su derecho. Se explican, Emilio se queja con amargura, Sofía bromea y, por último, viendo que se pueda enfadar de verdad, fija una mirada de dulzura en él, y apretándome la mano, pronuncia esta palabra, pero con un acento que llega al alma: «¡Ingrato!». Emilio es tan tonto que no entiende nada de eso. Yo sí lo entiendo, y apartando a Emilio, hablo con Sofía. |
Je vois, lui dis-je, la raison de ce caprice. On ne sauroit avoir plus de délicatesse ni l′employer plus mal à propos. Chère Sophie, rassurez-vous ; c′est un homme que je vous ai donné, ne craignez pas de le prendre pour tel : vous avez eu les prémices de sa jeunesse ; il ne l′a prodiguée à personne, il la conservera longtemps pour vous. | «Ya veo, le digo, la razón de ese capricho. No es posible tener más miramiento, ni emplearlo más inoportunamente. Tranquilizaos, querida Sofía; es un hombre el que os he dado, y debéis tener miedo de tratarle como a un hombre; estáis en las primicias de la juventud, y con ninguno la ha gastado él y la conservará para vos. |
"Il faut, ma chère enfant, que je vous explique mes vues dans la conversation que nous eûmes tous trois avant-hier. Vous n′y avez peut-être aperçu qu′un art de ménager vos plaisirs pour les rendre durables. Ô Sophie ! elle eut un autre objet plus digne de mes soins. En devenant votre époux, Emile est devenu votre chef ; c′est à vous d′obéir, ainsi l′a voulu la nature. Quand la femme ressemble à Sophie, il est pourtant bon que l′homme soit conduit par elle ; c′est encore la loi de la nature ; & c′est pour vous rendre autant d′autorité sur son cœur que son sexe lui en donne sur votre personne, que je vous ai faite l′arbitre de ses plaisirs. Il vous en coûtera des privations pénibles ; mais vous régnerez sur lui si vous savez régner sur vous ; & ce qui s′est déjà passé me montre que cet art si difficile n′est pas au-dessus de votre courage. Vous régnerez longtemps par l′amour, si vous rendez vos faveurs rares & précieuses, si vous savez les faire valoir. Voulez-vous voir votre mari sans cesse à vos pieds, tenez-le toujours à quelque distance de votre personne. Mais, dans votre sévérité, mettez de la modestie, et non du caprice ; qu′il vous voie réservée, & non pas fantasque ; gardez qu′en ménageant son amour vous ne le fassiez douter du vôtre. Faites-vous chérir par vos faveurs & respecter par vos refus ; qu′il honore la chasteté de sa femme sans avoir à se plaindre de sa froideur." | »Es necesario, querida niña, que os explique con más una mujer se parece a Sofía, merece que el marido sepa. Tal vez sólo visteis como un modo de hacer uso con economía de vuestros deleites para que fuesen duraderos. No, Sofía; era otro objeto más digno de mis cuidados. Convertido en vuestro esposo, Emilio pasa a ser vuestro dueño; la naturaleza lo quiere así. Mas cuando una mujer se parece a Sofía, merece que el marido sea llevado por ella, también es una ley de la naturaleza y para que tengáis tanta autoridad en su corazón como su sexo os la da a vuestra persona, yo os he hecho árbitro de sus gustos. Lo conseguiréis a costa de privaciones, pero reinaréis en él si sabéis reinar en vos, y lo que ha sucedido me demuestra que ese difícil arte no es superior a vuestras fuerzas. Reinaréis por el amor mucho tiempo sí hacéis que sean preciosos y escasos vuestros favores, si sabéis hacerlos valer. ¿:Queréis ver siempre a Emilio a vuestros pies? Mantenedle siempre a cierta distancia de vuestra persona, pero sed modesta en vuestra severidad, y no caprichosa; que os vea reservada y no maniática; evitad que por no hastiar su amor dude del vuestro. Lograd que os ame por vuestros favores y os respete por vuestras repulsas, y que adore la castidad de su mujer sin tener que sentir agravios por su tibieza. |
"C′est ainsi, mon enfant, qu′il vous donnera sa confiance, qu′il écoutera vos avis, qu′il vous consultera dans ses affaires, & ne résoudra rien sans en délibérer avec vous. C′est ainsi que vous pouvez le rappeler à la sagesse quand il s′égare, le ramener par une douce persuasion, vous rendre aimable pour vous rendre utile, employer la coquetterie aux intérêts de la vertu, & l′amour au profit de la raison." | »De esta forma os entregará su confianza, escuchará vuestros consejos, os consultará en sus negocios y no resolverá nada sin antes meditarlo con vos. De este modo lo podéis llevar a la razón cuando se extravíe, reducirle mediante una dulce persuasión, haceros amable para ser útil, emplear el arte de agradar en servicio de la virtud y el amor en servicio de la razón. |
"Ne croyez pas avec tout cela que cet art même puisse vous servir toujours. Quelque précaution qu′on puisse prendre, la jouissance use les plaisirs, & l′amour avant tous les autres. Mais, quand l′amour a duré longtemps, une douce habitude en remplit levi de, & l′attroit de la confiance succède aux transports de la passion. Les enfans forment entre ceux qui leur ont donné l′être une liaison non moins douce & souvent plus forte que l′amour même. Quand vous cesserez d′être la maîtresse d′Emile, vous serez sa femme & son amie ; vous serez la mère de ses enfants. Alors, au lieu de votre première réserve, établissez entre vous la plus grande intimité ; plus de lit à part, plus de refus, plus de caprice. Devenez tellement sa moitié, qu′il ne puisse plus se passer de vous, & que, sitôt qu′il vous quitte, il se sente loin de lui-même. Vous qui fîtes si bien régner les charmes de la vie domestique dans la maison paternelle, faites-les régner ainsi dans la vôtre. Tout homme qui se plaît dans sa maison aime sa femme. Souvenez-vous que si votre époux vit heureux chez lui, vous serez une femme heureuse." | »Sin embargo, no vayáis a creer que siempre puede daros resultado este arte. Por más precauciones que se tomen, el gozo gasta los deleites, y el amor antes que todos los demás. Pero cuando el amor ha durado mucho tiempo, un dulce hábito llena su vacío, y a los raptos de la pasión suceden los atractivos de la confianza. Los hijos forman un vínculo no menos suave y a veces más fuerte que el mismo amor entre los padres. Cuando dejéis de ser la amante de Emilio, seréis su mujer y su amiga, seréis la madre de sus hijos. Entonces, en lugar de vuestra primera reserva, estableced la mayor intimidad entre vosotros; no más lecho aparte, no más repulsas, no más caprichos. Sed su otra mitad, que no pueda vivir sin vos y tan pronto como se separe de vuestro lado, que se sienta lejos de sí mismo. Vos que conseguisteis que reinaran en casa de vuestros padres los encantos de la vida doméstica, procurad que también reinen en la vuestra. Todo hombre que se encuentra a gusto con su familia ama a su mujer. No olvidéis que si vuestro esposo vive feliz en casa, seréis una mujer feliz. |
"Quant à présent, ne soyez pas si sévère à votre amant ; il a mérité plus de complaisance ; ils offenseroit de vos alarmes ; ne ménagez plus si fort sa santé aux dépens de son bonheur, & jouissez du vôtre. Il ne faut point attendre le dégoût ni rebuter le désir ; il ne faut point refuser pour refuser, mais pour faire valoir ce qu′on accorde." | »Por lo que hace al presente, no seáis tan severa con vuestro amante, pues es merecedor de la mayor condescendencia, y vuestros temores le ofenderían; no miréis tanto por su salud a costa de su dicha, y gozad de la vuestra. No se debe esperar que venga el hastío, ni repeler el deseo, ni se ha de negar por el simple capricho de negar, sino para aumentar el valor a lo que se concede.» |
Ensuite, les réunissant, je dis devant elle à son jeune époux : Il faut bien supporter le joug qu′on s′est imposé. Méritez qu′il vous soit rendu léger. Surtout sacrifiez aux grâces, & n′imaginez pas vous rendre plus aimable en boudant. La paix n′est pas difficile à faire, & chacun se doute aisément des conditions. Le traité se signe par un baiser. Après quoi je dis à mon élève : Cher Emile, un homme a besoin toute sa vie de conseil & de guide. J′ai fait de mon mieux pour remplir jusqu′à présent ce devoir envers vous ; ici finit ma longue tâche & commence celle d′un autre. J′abdique aujourd′hui l′autorité que vous m avez confiée, & voici désormois votre gouverneur. | Acto seguido los reúno y delante de ella, digo al joven esposo: «Hay que soportar el yugo que uno mismo se ha impuesto, y entonces proceded de suerte que seáis merecedor de que os lo hagan más suave. Ante todo, debéis mostraros agradecido por las gracias recibidas, y no debéis pensar que se gana nada demostrando descontento. No es difícil lograr la paz, y cualquiera acierta las condiciones.» El tratado se firma con un beso. Después le añado -a mi discípulo: «Querido Emilio, tienes que saber que el hombre necesita durante el transcurso de su vida consejo y guía. Yo he hecho todo lo que me ha sido posible para cumplir esta obligación contigo, pero aquí termina mi larga tarea y comienza la de otro. Hoy renuncio a la autoridad que me confiasteis, y de ahora en adelante aquí tenéis a vuestro guía.» |
Peu à peu le premier délire se calme, & leur laisse goûter en paix les charmes de leur nouvel état. Heureux amants ! dignes époux ! pour honorer leurs vertus, pour peindre leur félicité, il faudroit faire l′histoire de leur vie. Combien de fois, contemplant en eux mon ouvrage, je me sens saisi d′un ravissement qui fait palpiter mon cœur ! Combien de fois je joins leurs mains dans les miennes en bénissant la Providence & poussant d′ardents soupirs ! Que de baisers j′applique sur ces deux mains qui se serrent ! de Combien de larmes de joie ils me les sentent arroser ! Ils s′attendrissent à leur tour en partageant mes transports. Leurs respectables parents jouissent encore une fois de leur jeunesse dans celle de leurs enfants ; ils recommencent pour ainsi dire de vivre en eux, ou plutôt ils connaissent pour la première fois le prix de la vie : ils maudissent leurs anciennes richesses qui les empêchèrent au même âge de goûter un sort si charmant. S′il y a du bonheur sur la terre, c′est dans l′asile où nous vivons qu′il faut le chercher. | Poco a poco se va calmando el primer delirio, y les deja que gocen en paz el momento de su nuevo estado. ¡Dichosos amantes, dignos esposos para honrar sus virtudes y trazar el cuadro de su felicidad, habría que escribir la historia de su vida. ¡Cuántas veces, contemplando en ellos mi obra, siento cómo me palpita, estremecido, el corazón! ¡Cuántas veces estrecho con las mías sus manos y bendigo a la Providencia entre mis más hondos suspiros! ¡Cuántos besos imprimo sobre esas manos que aprietan las mías! ¡ Y cuántas lágrimas mías de gozo sobre sus manos! También a ellos les conmueven mis transportes. Sus respetables padres gozan por segunda vez de la juventud viendo la felicidad de sus hijos; vuelven, por decirlo así, a comenzar su vida en ellos, o comprenden por primera vez el valor que tiene la vida, y maldicen sus antiguas riquezas, las que cuando tenían la misma edad impidieron que disfrutasen tan deliciosa suerte. Si existe la felicidad en la tierra, hay que venir al albergue donde vivimos para encontrarla. |
Au bout de quelques mois, Emile entre un matin dans ma chambre, & me dit en m′embrassant : Mon maître, félicitez votre enfant ; il espère avoir bientôt l′honneur d′être père. Oh ! quels soins vont être imposés à notre zèle, & que nous allons avoir besoin de vous ! À Dieu ne plaise que je vous laisse encore élever le fils après avoir élevé le père. À Dieu ne plaise qu′un devoir si saint & si doux soit jamais rempli par un autre que moi, dusse-je aussi bien choisir pour lui qu′on a choisi pour moi-même ! Mais restez le maître des jeunes maîtres. Conseillez-nous, gouvernez-nous, nous serons dociles : tant que je vivrai, j′aurai besoin de vous. J′en ai plus besoin que jamais, maintenant que mes fonctions d′homme commencent. Vous avez rempli les vôtres ; guidez-moi pour vous imiter ; et reposez-vous, il en est tems. | Al cabo de algunos meses, Emilio entra en mi habitación y dándome un abrazo me dice: «Maestro mío, felicitad a vuestro hijo, pues espera para muy pronto tener el honor de ser padre. ¡Oh, cuántos desvelos nos esperan y cuánto vamos a necesitar de vos! Que Dios no permita que yo os deje educar a mi hijo después de haber educado a su padre, ni que otro que sea yo desempeñe un deber tan dulce y santo, aunque pudiese escoger con tanto acierto para él como escogieron para mí. Pero queremos que seáis el maestro de los maestros jóvenes. Aconsejadnos, dirigidnos, pues nosotros seremos dóciles, y mientras yo viva, tendré siempre necesidad de vos. Os necesito más que nunca, porque ahora comienzan mis funciones de hombre. Vos habéis cumplido las vuestras; guiadme para imitaros. Ha llegado el tiempo de que descanséis». |
FIN. |
FIN |
N O T A S | |
J’ai déjà remarqué que les refus de simagrée & d’agacerie sont communs à presque toutes les femelles, même parmi les animaux, & même quand elles sont plus disposées à se rendre ; il faut n’avoir jamais observé leur manège pour disconvenir de cela.
| [1] Yo he notado que las repulsas por melindres y provocativas son comunes en casi todas las hembras, incluso en los animales, y hasta cuando están más dispuestas a rendirse; es preciso no haber observado nunca sus procedimientos para discrepar de esta opinión. |
[2] Il peut y avoir une telle disproportion d’âge et de force qu’une violence réelle ait lieu : mais traitant ici de l’état relatif des sexes selon l’ordre de la nature, je les prends tous deux dans le rapport commun qui constitue cet état.
| [2] Puede haber tanta desproporción en la edad y en la fuerza que haya una violencia real, pero como aquí trato del estado relativo de los sexos según el orden de la naturaleza, los considero ambos en la relación común que constituye este estado. |
[3] Sans cela l’espèce dépérirait nécessairement : pour qu’elle se conserve, il faut, tout compensé, que chaque femme fasse à peu près quatre enfants : car des enfants qui naissent il en meurt près de la moitié avant qu’ils puissent en avoir d’autres, et il en faut deux restants pour représenter le père et la mère. Voyez si les villes vous fourniront cette population-là.
| [3] Sin eso la especie humana forzosamente iría a menos; para que ésta se conserve, es indispensable que, compensándolo todo, cada mujer tenga cuatro hijos sin demasiado tiempo entre uno y otro, ya que muriendo cerca de la mitad de los niños que nacen, es necesario que queden dos para representar al padre y la madre. Obsérvese si las ciudades dan esa población. |
[4] La timidité des femmes est encore un instinct de la nature contre le double risque qu’elles courent durant leur grossesse.
| [4] La timidez; de las mujeres también es un instinto de la naturaleza contra el doble peligro que corren durante su embarazo. |
[5] Un enfant se rend importun quand il trouve son compte à l’être ; mais il ne demandera jamais deux fois la même chose, si la première réponse est toujours irrévocable.
| [5] Un niño es inoportuno cuando se da cuenta de que le conviene serlo, pero nunca pedirá dos veces la misma cosa si la primera negativa ha sido irrevocable. |
[6] Les femmes qui ont la peau assez blanche pour se passer de dentelle donneraient bien du dépit aux autres, si elles n’en portaient pas. Ce sont presque toujours de laides personnes qui amènent les modes, auxquelles les belles ont la bêtise de s’assujettir.
| [6] Las mujeres que tienen la piel tan blanca que no necesitan encajes, darían mucho que sentir a las otras si no los usasen. Casi siempre son las feas las que introducen las modas, a las que las bonitas se someten tontamente. |
[7] Si partout ou j’ai mis je ne sais, la petite répond autrement, il faut se méfier de sa réponse et la lui faire expliquer avec soin.
| [7] Si donde he puesto no la sé, la chica responde de otro modo, conviene no fiarse de su respuesta y hacérsela explicar con claridad. |
[8] La petite dira cela parce qu’elle l’a entendu dire ; mais il faut vérifier si elle a quelque juste idée de la mort, car cette idée n’est pas si simple ni si à la portée des enfants que l’on pense. On peut voir, dans le petit poème d’Abel, un exemple de la manière dont on doit la leur donner. Ce charmant ouvrage respire une simplicité délicieuse dont on ne peut trop se nourrir pour converser avec les enfants.
| [8] La chica dirá esto porque lo ha oído decir, pero hay que asegurarse de si tiene una verdadera idea de la muerte, porque esta idea no es tan sencilla, ni está tan al alcance de los niños como se cree. En el poemita Abel puede verse un ejemplo del modo cómo se le debe dar. Esta deliciosa obra respira una sencillez que encanta y de la que nunca se saturará demasiado quien haya de conversar con las criaturas. |
[9] L’idée de l’éternité ne saurait s’appliquer aux générations humaines avec le consentement de l’esprit. Toute succession numérique réduite en acte est incompatible avec cette idée.
| [9] La idea de la eternidad no se puede aplicar a las generaciones humanas más que con el consentimiento del espíritu. Toda sucesión numérica reducida en acto es incompatible con esta idea. |
[10] Je sais que les femmes qui ont ouvertement pris leur parti sur un certain point prétendent bien se faire valoir de cette franchise, et jurent qu’à cela près il n’y a rien d’estimable qu’on ne trouve en elles ; mais je sais bien aussi qu’elles n’ont jamais persuadé cela qu’à des sots. Le plus grand frein de leur sexe ôté, que reste-t-il qui les retienne ? et de quel honneur feront-elles cas après avoir renoncé à celui qui leur est propre ? Ayant mis une fois leurs passions à l’aise, elles n’ont plus aucun intérêt d’y résister; {I>Nec fæemina. amissa pudicitia, alia abnuerit. Jamais auteur connut-il mieux le cœur humain dans les deux sexes que celui qui a dit cela ?
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[10] «La mujer recurre a todas las astucias para coger en sus redes a un nuevo amante. Con nadie ni nunca aparece con el mismo rostro. Según el momento, cambia de actitud y de aspecto»
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