L'Étranger -- El extanjero


Alber Camus


I - I

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Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. Hoy ha muerto mamá. O quizá ayer. No lo sé. Recibí un telegrama del asilo: «Falleció su madre. Entierro mañana. Sentidas condolencias.» Pero no quiere decir nada. Quizá haya sido ayer.
L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. Je prendrai l’autobus à deux heures et j’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J’ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. J’ai pensé alors que je n’aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. C’était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte. Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle. El asilo de ancianos está en Marengo, a ochenta kilómetros de Argel. Tomaré el autobús a las dos y llegaré por la tarde. De esa manera podré velarla, y regresaré mañana por la noche. Pedí dos días de licencia a mi patrón y no pudo negármelos ante una excusa semejante. Pero no parecía satisfecho. Llegué a decirle: «No es culpa mía.» No me respondió. Pensé entonces que no debía haberle dicho esto. Al fin y al cabo, no tenía por qué excusarme. Más bien le correspondía a él presentarme las condolencias. Pero lo hará sin duda pasado mañana, cuando me vea de luto. Por ahora, es un poco como si mamá no estuviera muerta. Después del entierro, por el contrario, será un asunto archivado y todo habrá adquirido aspecto más oficial.
J’ai pris l’autobus à deux heures. Il faisait très chaud. J’ai mangé au restaurant, chez Céleste, comme d’habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m’a dit : « On n’a qu’une mère. » Quand je suis parti, ils m’ont accompagné à la porte. J’étais un peu étourdi parce qu’il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il y a quelques mois. Tomé el autobús a las dos. Hacía mucho calor. Comí en el restaurante de Celeste como de costumbre. Todos se condolieron mucho de mí, y Celeste me dijo: «Madre hay una sola.» Cuando partí, me acompañaron hasta la puerta. Me sentía un poco aturdido pues fue necesario que subiera hasta la habitación de Manuel para pedirle prestados una corbata negra y un brazal. El perdió a su tío hace unos meses.
J’ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c’est à cause de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi. J’ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j’étais tassé contre un militaire qui m’a souri et qui m’a demandé si je venais de loin. J’ai dit « oui » pour n’avoir plus à parler. Corrí para alcanzar el autobús. Me sentí adormecido sin duda por la prisa y la carrera, añadidas a los barquinazos, al olor a gasolina y a la reverberación del camino y del cielo. Dormí casi todo el trayecto. Y cuando desperté, estaba apoyado contra un militar que me sonrió y me preguntó si venía de lejos. Dije «sí» para no tener que hablar más.
L’asile est à deux kilomètres du village. J’ai fait le chemin à pied. J’ai voulu voir maman tout de suite. Mais le concierge m’a dit qu’il fallait que je rencontre le directeur. Comme il était occupé, j’ai attendu un peu. Pendant tout ce temps, le concierge a parlé et ensuite, j’ai vu le directeur : il m’a reçu dans son bureau. C’était un petit vieux, avec la Légion d’honneur. Il m’a regardé de ses yeux clairs. Puis il m’a serré la main qu’il a gardée si longtemps que je ne savais trop comment la retirer. Il a consulté un dossier et m’a dit : « Mme Meursault est entrée ici il y a trois ans. Vous étiez son seul soutien. » J’ai cru qu’il me reprochait quelque chose et j’ai commencé à lui expliquer. Mais il m’a interrompu : « Vous n’avez pas à vous justifier, mon cher enfant. J’ai lu le dossier de votre mère. Vous ne pouviez subvenir à ses besoins. Il lui fallait une garde. Vos salaires sont modestes. Et tout compte fait, elle était plus heureuse ici. » J’ai dit : « Oui, monsieur le Directeur. » Il a ajouté : « Vous savez, elle avait des amis, des gens de son âge. Elle pouvait partager avec eux des intérêts qui sont d’un autre temps. Vous êtes jeune et elle devait s’ennuyer avec vous. » El asilo está a dos kilómetros del pueblo. Hice el camino a pie. Quise ver a mamá en seguida. Pero el portero me dijo que era necesario ver antes al director. Como estaba ocupado, esperé un poco. Mientras tanto, el portero me estuvo hablando, y en seguida vi al director. Me recibió en su despacho. Era un viejecito condecorado con la Legión de Honor. Me miró con sus ojos claros. Después me estrechó la mano y la retuvo tanto tiempo que yo no sabía cómo retirarla. Consultó un legajo y me dijo: «La señora de Meursault entró aquí hace tres años. Usted era su único sostén.» Creí que me reprochaba alguna cosa y empecé a darle explicaciones. Pero me interrumpió: «No tiene usted por qué justificarse, hijo mío. He leído el legajo de su madre. Usted no podía subvenir a sus necesidades. Ella necesitaba una enfermera. Su salario es modesto. Y, al fin de cuentas, era más feliz aquí.» Dije: «Sí, señor director.» El agregó: «Sabe usted, aquí tenía amigos, personas de su edad. Podía compartir recuerdos de otros tiempos. Usted es joven y ella debía de aburrirse con usted.»
C’était vrai. Quand elle était à la maison, maman passait son temps à me suivre des yeux en silence. Dans les premiers jours où elle était à l’asile, elle pleurait souvent. Mais c’était à cause de l’habitude. Au bout de quelques mois, elle aurait pleuré si on l’avait retirée de l’asile. Toujours à cause de l’habitude. C’est un peu pour cela que dans la dernière année je n’y suis presque plus allé. Et aussi parce que cela me prenait mon dimanche — sans compter l’effort pour aller à l’autobus, prendre des tickets et faire deux heures de route. Era verdad. Cuando mamá estaba en casa pasaba el tiempo en silencio, siguiéndome con la mirada. Durante los primeros días que estuvo en el asilo lloraba a menudo. Pero era por la fuerza de la costumbre. Al cabo de unos meses habría llorado si se la hubiera retirado del asilo. Siempre por la fuerza de la costumbre. Un poco por eso en el último año casi no fui a verla. Y también porque me quitaba el domingo, sin contar el esfuerzo de ir hasta el autobús, tomar los billetes y hacer dos horas de camino.
Le directeur m’a encore parlé. Mais je ne l’écoutais presque plus. Puis il m’a dit : « Je suppose que vous voulez voir votre mère. » Je me suis levé sans rien dire et il m’a précédé vers la porte. Dans l’escalier, il m’a expliqué : « Nous l’avons transportée dans notre petite morgue. Pour ne pas impressionner les autres. Chaque fois qu’un pensionnaire meurt, les autres sont nerveux pendant deux ou trois jours. Et ça rend le service difficile. » Nous avons traversé une cour où il y avait beaucoup de vieillards, bavardant par petits groupes. Ils se taisaient quand nous passions. Et derrière nous, les conversations reprenaient. On aurait dit d’un jacassement assourdi de perruches. À la porte d’un petit bâtiment, le directeur m’a quitté : « Je vous laisse, monsieur Meursault. Je suis à votre disposition dans mon bureau. En principe, l’enterrement est fixé à dix heures du matin. Nous avons pensé que vous pourrez ainsi veiller la disparue. Un dernier mot : votre mère a, paraît-il, exprimé souvent à ses compagnons le désir d’être enterrée religieusement. J’ai pris sur moi, de faire le nécessaire. Mais je voulais vous en informer. » Je l’ai remercié. Maman, sans être athée, n’avait jamais pensé de son vivant à la religion. El director me habló aún. Pero casi no le escuchaba. Luego me dijo: «Supongo que usted quiere ver a su madre.» Me levanté sin decir nada, y salió delante de mí. En la escalera me explicó: «La hemos llevado a nuestro pequeño depósito. Para no impresionar a los otros. Cada vez que un pensionista muere, los otros se sienten nerviosos durante dos o tres días. Y dificulta el servicio.» Atravesamos un patio en donde había muchos ancianos, charlando en pequeños grupos. Callaban cuando pasábamos. Y reanudaban las conversaciones detrás de nosotros. Hubiérase dicho un sordo parloteo de cotorras. En la puerta de un pequeño edificio el director me abandonó: «Le dejo a usted, señor Meursault. Estoy a su disposición en mi despacho. En principio, el entierro está fijado para las diez de la mañana. Hemos pensado que así podría usted velar a la difunta. Una última palabra: según parece, su madre expresó a menudo a sus compañeros el deseo de ser enterrada religiosamente. He tomado a mi cargo hacer lo necesario. Pero quería informar a usted.» Le di las gracias. Mamá, sin ser atea, jamás había pensado en la religión mientras vivió.
Je suis entré. C’était une salle très claire, blanchie à la chaux et recouverte d’une verrière. Elle était meublée de chaises et de chevalets en forme de X. Deux d’entre eux, au centre, supportaient une bière recouverte de son couvercle. On voyait seulement des vis brillantes, à peine enfoncées, se détacher sur les planches passées au brou de noix. Près de la bière, il y avait une infirmière arabe en sarrau blanc, un foulard de couleur vive sur la tête. Entré. Era una sala muy clara, blanqueada a la cal, con techo de vidrio. Estaba amueblada con sillas y caballetes en forma de X. En el centro de la sala, dos caballetes sostenían un féretro cerrado con la tapa. Sólo se veían los tornillos relucientes, hundidos apenas, destacándose sobre las tapas pintadas de nogalina. Junto al féretro estaba una enfermera árabe, con blusa blanca y un pañuelo de color vivo en la cabeza.
À ce moment, le concierge est entré derrière mon dos. Il avait dû courir. Il a bégayé un peu : « On l’a couverte, mais je dois dévisser la bière pour que vous puissiez la voir. » Il s’approchait de la bière quand je l’ai arrêté. Il m’a dit : « Vous ne voulez pas ? » J’ai répondu : « Non. » Il s’est interrompu et j’étais gêné parce que je sentais que je n’aurais pas dû dire cela. Au bout d’un moment, il m’a regardé et il m’a demandé : « Pourquoi ? » mais sans reproche, comme s’il s’informait. J’ai dit : « Je ne sais pas. » Alors tortillant sa moustache blanche, il a déclaré sans me regarder : « Je comprends. » Il avait de beaux yeux, bleu clair, et un teint un peu rouge. Il m’a donné une chaise et lui-même s’est assis un peu en arrière de moi. La garde s’est levée et s’est dirigée vers la sortie. À ce moment, le concierge m’a dit : « C’est un chancre qu’elle a. » Comme je ne comprenais pas, j’ai regardé l’infirmière et j’ai vu qu’elle portait sous les yeux un bandeau qui faisait le tour de la tête. À la hauteur du nez, le bandeau était plat. On ne voyait que la blancheur du bandeau dans son visage. En ese momento el portero entró por detrás de mí. Debió de haber corrido. Tartamudeó un poco: «La hemos tapado, pero voy a destornillar el cajón para que usted pueda verla.» Se aproximaba al féretro cuando lo paré. Me dijo: «¿No quiere usted?» Respondí: «No.» Se detuvo, y yo estaba molesto porque sentía que no debí haber dicho esto. Al cabo de un instante me miró y me preguntó: «¿Por qué?», pero sin reproche, como si estuviera informándose. Dije: «No sé.» Entonces, retorciendo el bigote blanco, declaró, sin mirarme: «Comprendo.» Tenía ojos hermosos, azul claro, y la tez un poco roja. Me dio una silla y se sentó también, un poco a mis espaldas. La enfermera se levantó y se dirigió hacia la salida. El portero me dijo: «Tiene un chancro.» Como no comprendía, miré a la enfermera y vi que llevaba, por debajo de los ojos, una venda que le rodeaba la cabeza. A la altura de la nariz la venda estaba chata. En su rostro sólo se veía la blancura del vendaje.
Quand elle est partie, le concierge a parlé : « Je vais vous laisser seul. » Je ne sais pas quel geste j’ai fait, mais il est resté, debout derrière moi. Cette présence dans mon dos me gênait. La pièce était pleine d’une belle lumière de fin d’après-midi. Deux frelons bourdonnaient contre la verrière. Et je sentais le sommeil me gagner. J’ai dit au concierge, sans me retourner vers lui : « Il y a longtemps que vous êtes là ? »Immédiatement il a répondu : « Cinq ans » — comme s’il avait attendu depuis toujours ma demande. Cuando hubo salido, el portero habló: «Lo voy a dejar solo.» No sé qué ademán hice, pero se quedó, de pie detrás de mí. Su presencia a mis espaldas me molestaba. Llenaba la habitación una hermosa luz de media tarde. Dos abejorros zumbaban contra el techo de vidrio. Y sentía que el sueño se apoderaba de mí. Sin volverme hacia él, dije al portero: «¿Hace mucho tiempo que está usted aquí?» Inmediatamente respondió: «Cinco años», como si hubiese estado esperando mi pregunta.
Ensuite, il a beaucoup bavardé. On l’aurait bien étonné en lui disant qu’il finirait concierge à l’asile de Marengo. Il avait soixante-quatre ans et il était Parisien. À ce moment je l’ai interrompu : « Ah, vous n’êtes pas d’ici ? » Puis je me suis souvenu qu’avant de me conduire chez le directeur, il m’avait parlé de maman. Il m’avait dit qu’il fallait l’enterrer très vite, parce que dans la plaine il faisait chaud, surtout dans ce pays. C’est alors qu’il m’avait appris qu’il avait vécu à Paris et qu’il avait du mal à l’oublier. À Paris, on reste avec le mort trois, quatre jours quelquefois. Ici on n’a pas le temps, on ne s’est pas fait à l’idée que déjà il faut courir derrière le corbillard. Sa femme lui avait dit alors : « Tais-toi, ce ne sont pas des choses à raconter à Monsieur. »Le vieux avait rougi et s’était excusé. J’étais intervenu pour dire : « Mais non. Mais non. » Je trouvais ce qu’il racontait juste et intéressant. Charló mucho en seguida. Se habría que dado muy asombrado si alguien le hubiera dicho que acabaría de portero en el asilo de Marengo. Tenía sesenta y cuatro años y era parisiense. Le interrumpí en ese momento: «¡Ah! ¿Usted no es de aquí?» Luego recordé que antes de llevarme a ver al director me había hablado de mamá. Me había dicho que era necesario enterrarla cuanto antes porque en la llanura hacía calor, sobre todo en esta región. Entonces me había informado que había vivido en París y que le costaba mucho olvidarlo. En París se retiene al muerto tres, a veces cuatro días. Aquí no hay tiempo; todavía no se ha hecho uno a la idea cuando hay que salir corriendo detrás del coche fúnebre. Su mujer le había dicho: «Cállate, no son cosas para contarle al señor.» El viejo había enrojecido y había pedido disculpas. Yo intervine para decir: «Pero no, pero no...» Me pareció que lo que contaba era apropiado e interesante.
Dans la petite morgue, il m’a appris qu’il était entré à l’asile comme indigent. Comme il se sentait valide, il s’était proposé pour cette place de concierge. Je lui ai fait remarquer qu’en somme il était un pensionnaire. Il m’a dit que non. J’avais déjà été frappé par la façon qu’il avait de dire : « ils », « les autres », et plus rarement « les vieux », en parlant des pensionnaires dont certains n’étaient pas plus âgés que lui. Mais naturellement, ce n’était pas la même chose. Lui était concierge, et, dans une certaine mesure, il avait des droits sur eux. En el pequeño depósito me informó que había ingresado en el asilo como indigente. Como se sentía válido, se había ofrecido para el puesto de portero. Le hice notar que en resumidas cuentas era pensionista. Me dijo que no. Ya me había llamado la atención la manera que tenía de decir: «ellos», «los otros» y, más raramente, «los viejos», al hablar de los pensionistas, algunos de los cuales no tenían más edad que él. Pero, naturalmente, no era la misma cosa. El era portero y, en cierta medida, tenía derechos sobre ellos.
La garde est entrée à ce moment. Le soir était tombé brusquement. Très vite, la nuit s’était épaissie au-dessus de la verrière. Le concierge a tourné le commutateur et j’ai été aveuglé par l’éclaboussement soudain de la lumière. Il m’a invité à me rendre au réfectoire pour dîner. Mais je n’avais pas faim. Il m’a offert alors d’apporter une tasse de café au lait. Comme j’aime beaucoup le café au lait, j’ai accepté et il est revenu un moment après avec un plateau. J’ai bu. J’ai eu alors envie de fumer. Mais j’ai hésité parce que je ne savais pas si je pouvais le faire devant maman. J’ai réfléchi, cela n’avait aucune importance. J’ai offert une cigarette au concierge et nous avons fumé. La enfermera entró en ese momento. La tarde había caído bruscamente. La noche habíase espesado muy rápidamente sobre el vidrio del techo. El portero oprimió el conmutador y quedé cegado por el repentino resplandor de la luz. Me invitó a dirigirme al refectorio para cenar. Pero no tenía hambre. Me ofreció entonces traerme una taza de café con leche. Como me gusta mucho el café con leche, acepté, y un momento después regresó con una bandeja. Bebí. Tuve deseos de fumar. Pero dudé, porque no sabía si podía hacerlo delante de mamá. Reflexioné. No tenía importancia alguna. Ofrecí un cigarrillo al portero y fumamos.
À un moment, il m’a dit : « Vous savez, les amis de Madame votre mère vont venir la veiller aussi. C’est la coutume. Il faut que j’aille chercher des chaises et du café noir. » Je lui ai demandé si on pouvait éteindre une des lampes. L’éclat de la lumière sur les murs blancs me fatiguait. Il m’a dit que ce n’était pas possible. L’installation était ainsi faite : c’était tout ou rien. Je n’ai plus beaucoup fait attention à lui. Il est sorti, est revenu, a disposé des chaises. Sur l’une d’elles, il a empilé des tasses autour d’une cafetière. Puis il s’est assis en face de moi, de l’autre côté de maman. La garde était aussi au fond, le dos tourné. Je ne voyais pas ce qu’elle faisait. Mais au mouvement de ses bras, je pouvais croire qu’elle tricotait. Il faisait doux, le café m’avait réchauffé et par la porte ouverte entrait une odeur de nuit et de fleurs. Je crois que j’ai somnolé un peu. En un momento dado, me dijo: «Sabe usted, los amigos de su señora madre van a venir a velarla también. Es la costumbre. Tengo que ir a buscar sillas y café negro.» Le pregunté si se podía apagar una de las lámparas. El resplandor de la luz contra las paredes blancas me fatigaba. Me dijo que no era posible. La instalación estaba hecha así: o todo o nada. Después no le presté mucha atención. Salió, volvió, dispuso las sillas. Sobre una de ellas apiló tazas en torno de una cafetera. Luego se sentó enfrente de mí, del otro lado de mamá. También estaba la enfermera, en el fondo, vuelta de espaldas. Yo no veía lo que hacía. Pero por el movimiento de los brazos me pareció que tejía. La temperatura era agradable, el café me había recalentado y por la puerta abierta entraba el aroma de la noche y de las flores. Creo que dormité un poco.
C’est un frôlement qui m’a réveillé. D’avoir fermé les yeux, la pièce m’a paru encore plus éclatante de blancheur. Devant moi, il n’y avait pas une ombre et chaque objet, chaque angle, toutes les courbes se dessinaient avec une pureté blessante pour les yeux. C’est à ce moment que les amis de maman sont entrés. Ils étaient en tout une dizaine, et ils glissaient en silence dans cette lumière aveuglante. Ils se sont assis sans qu’aucune chaise grinçât. Je les voyais comme je n’ai jamais vu personne et pas un détail de leurs visages ou de leurs habits ne m’échappait. Pourtant je ne les entendais pas et j’avais peine à croire à leur réalité. Presque toutes les femmes portaient un tablier et le cordon qui les serrait à la taille faisait encore ressortir leur ventre bombé. Je n’avais encore jamais remarqué à quel point les vieilles femmes pouvaient avoir du ventre. Les hommes étaient presque tous très maigres et tenaient des cannes. Ce qui me frappait dans leurs visages, c’est que je ne voyais pas leurs yeux, mais seulement une lueur sans éclat au milieu d’un nid de rides. Lorsqu’ils se sont assis, la plupart m’ont regardé et ont hoché la tête avec gêne, les lèvres toutes mangées par leur bouche sans dents, sans que je puisse savoir s’ils me saluaient ou s’il s’agissait d’un tic. Je crois plutôt qu’ils me saluaient. C’est à ce moment que je me suis aperçu qu’ils étaient tous assis en face de moi à dodeliner de la tête, autour du concierge. J’ai eu un moment l’impression ridicule qu’ils étaient là pour me juger. Me despertó un roce. Como había tenido los ojos cerrados, la habitación me pareció aún más deslumbrante de blancura. Delante de mí no había ni la más mínima sombra, y cada objeto, cada ángulo, todas las curvas, se dibujaban con una pureza que hería los ojos. En ese momento entraron los amigos de mamá. Eran una decena en total, y se deslizaban en silencio en medio de aquella luz enceguecedora. Se sentaron sin que crujiera una silla. Los veía como no he visto a nadie jamás, y ni un detalle de los rostros o de los trajes se me escapaba. Sin embargo, no los oía y me costaba creer en su realidad. Casi todas las mujeres llevaban delantal, y el cordón que les ceñía la cintura hacía resaltar aún más sus abultados vientres. Nunca había notado hasta qué punto podían tener vientre las mujeres ancianas. Casi todos los hombres eran flaquísimos y llevaban bastón. Me llamaba la atención no ver los ojos en los rostros, sino solamente un resplandor sin brillo en medio de un nido de arrugas. Cuando se hubieron sentado, casi todos me miraron e inclinaron la cabeza con modestia, los labios sumidos en la boca desdentada, sin que pudiera saber si me saludaban o si se trataba de un tic. Creo más bien que me saludaban. Advertí en ese momento que estaban todos cabeceando, sentados enfrente de mí, en torno del portero. Por un momento tuve la ridícula impresión de que estaban allí para juzgarme.
Peu après, une des femmes s’est mise à pleurer. Elle était au second rang, cachée par une de ses compagnes, et je la voyais mal. Elle pleurait à petits cris, régulièrement : il me semblait qu’elle ne s’arrêterait jamais. Les autres avaient l’air de ne pas l’entendre. Ils étaient affaissés, mornes et silencieux. Ils regardaient la bière ou leur canne, ou n’importe quoi, mais ils ne regardaient que cela. La femme pleurait toujours. J’étais très étonné parce que je ne la connaissais pas. J’aurais voulu ne plus l’entendre. Pourtant je n’osais pas le lui dire. Le concierge s’est penché vers elle, lui a parlé, mais elle a secoué la tête, a bredouillé quelque chose, et a continué de pleurer avec la même régularité. Le concierge est venu alors de mon côté. Il s’est assis près de moi. Après un assez long moment, il m’a renseigné sans me regarder : « Elle était très liée avec Madame votre mère. Elle dit que c’était sa seule amie ici et que maintenant elle n’a plus personne. » Poco después una de las mujeres se echó a llorar. Estaba en segunda fila, oculta por una de sus compañeras, y no la veía bien. Lloraba con pequeños gritos, regularmente; me parecía que no se detendría jamás. Los demás parecían no oírla. Se mostraban abatidos, tristes y silenciosos. Miraban el féretro o a sus bastones, o a cualquier cosa, pero no miraban a nada más. La mujer seguía llorando. Yo estaba muy asombrado porque no la conocía. Hubiera querido no oírla más. Sin embargo, no me atrevía a decírselo. El portero se inclinó hacia ella y le habló, pero sacudió la cabeza, murmuró algo, y continuó llorando con la misma regularidad. El portero vino entonces hacia mi lado. Se sentó cerca de mí. Después de un rato bastante largo me informó sin mirarme: «Estaba muy unida con su señora madre. Dice que era su única amiga aquí y que ahora ya no le queda nadie »
Nous sommes restés un long moment ainsi. Les soupirs et les sanglots de la femme se faisaient plus rares. Elle reniflait beaucoup. Elle s’est tue enfin. Je n’avais plus sommeil, mais j’étais fatigué et les reins me faisaient mal. À présent c’était le silence de tous ces gens qui m’était pénible. De temps en temps seulement, j’entendais un bruit singulier et je ne pouvais comprendre ce qu’il était. À la longue, j’ai fini par deviner que quelques-uns d’entre les vieillards suçaient l’intérieur de leurs joues et laissaient échapper ces clappements bizarres. Ils ne s’en apercevaient pas tant ils étaient absorbés dans leurs pensées. J’avais même l’impression que cette morte, couchée au milieu d’eux, ne signifiait rien à leurs yeux. Mais je crois maintenant que c’était une impression fausse. Quedamos un largo rato así. Los suspiros y los sollozos de la mujer se hicieron más raros. Sorbía mucho, luego calló por fin. Yo no tenía más sueño, pero me sentía fatigado y me dolía la cintura. Ahora me resultaba penoso el silencio de todas esas gentes. Sólo de vez en cuando oía un ruido singular y no podía comprender qué era. A la larga acabé por adivinar que algunos de los ancianos chupaban el interior de las mejillas y dejaban escapar unos raros chasquidos. Tan absortos estaban en sus pensamientos que ni se daban cuenta. Tenía la impresión de que aquella muerta, acostada en medio de ellos, no significaba nada ante sus ojos Pero creo ahora que era una impresión falsa.
Nous avons tous pris du café, servi par le concierge. Ensuite, je ne sais plus. La nuit a passé. Je me souviens qu’à un moment j’ai ouvert les yeux et j’ai vu que les vieillards dormaient tassés sur eux-mêmes, à l’exception d’un seul qui, le menton sur le dos de ses mains agrippées à la canne, me regardait fixement comme s’il n’attendait que mon réveil. Puis j’ai encore dormi. Je me suis réveillé parce que j’avais de plus en plus mal aux reins. Le jour glissait sur la verrière. Peu après, l’un des vieillards s’est réveillé et il a beaucoup toussé. Il crachait dans un grand mouchoir à carreaux et chacun de ses crachats était comme un arrachement. Il a réveillé les autres et le concierge a dit qu’ils devraient partir. Ils se sont levés. Cette veille incommode leur avait fait des visages de cendre. En sortant, et à mon grand étonnement, ils m’ont tous serré la main — comme si cette nuit où nous n’avions pas échangé un mot avait accru notre intimité. Todos tomamos café, servido por el portero. Después, no sé más. La noche pasó. Recuerdo que en cierto momento abrí los ojos y vi que los ancianos dormían amontonados, excepto uno que me miraba fijamente, con la barbilla apoyada en el dorso de las manos aferradas al bastón, como si no esperase sino mi despertar. Luego volví a dormirme. Me desperté porque cada vez me dolía mas la cintura. El día resbalaba sobre el techo de vidrio. Poco después uno de los ancianos se despertó, y tosió mucho. Escupía en un gran pañuelo a cuadros y cada una de las escupidas era como un desgarramiento. Despertó a los demás, y el portero dijo que debían marcharse. Se levantaron. La incómoda velada les había dejado los rostros de color ceniza. Al salir, con gran asombro mío, todos me estrecharon la mano, como si esa noche durante la cual no cambiamos una palabra hubiese acrecentado nuestra intimidad.
J’étais fatigué. Le concierge m’a conduit chez lui et j’ai pu faire un peu de toilette. J’ai encore pris du café au lait qui était très bon. Quand je suis sorti, le jour était complètement levé. Au-dessus des collines qui séparent Marengo de la mer, le ciel était plein de rougeurs. Et le vent qui passait au-dessus d’elles apportait ici une odeur de sel. C’était une belle journée qui se préparait. Il y avait longtemps que j’étais allé à la campagne et je sentais quel plaisir j’aurais pris à me promener s’il n’y avait pas eu maman. Estaba fatigado. El portero me condujo a su habitación y pude arreglarme un poco. Tomé café con leche, que estaba muy bueno. Cuando salí era completamente de día. Sobre las colinas que separan a Marengo del mar, el cielo estaba arrebolado. Y el viento traía olor a sal. Se preparaba un hermoso día. Hacía mucho que no iba al campo y sentía el placer que habría tenido en pasearme de no haber sido por mamá.
Mais j’ai attendu dans la cour, sous un platane. Je respirais l’odeur de la terre fraîche et je n’avais plus sommeil. J’ai pensé aux collègues du bureau. À cette heure, ils se levaient pour aller au travail : pour moi c’était toujours l’heure la plus difficile. J’ai encore réfléchi un peu à ces choses, mais j’ai été distrait par une cloche qui sonnait à l’intérieur, des bâtiments. Il y a eu du remue-ménage derrière les fenêtres, puis tout s’est calmé. Le soleil était monté un peu plus dans le ciel : il commençait à chauffer mes pieds. Le concierge a traversé la cour et m’a dit que le directeur me demandait. Je suis allé dans son bureau. Il m’a fait signer un certain nombre de pièces. J’ai vu qu’il était habillé de noir avec un pantalon rayé. Il a pris le téléphone en main et il m’a interpellé : « Les employés des pompes funèbres sont là depuis un moment. Je vais leur demander de venir fermer la bière. Voulez-vous auparavant voir votre mère une dernière fois ? » J’ai dit non. Il a ordonné dans le téléphone en baissant la voix : « Figeac, dites aux hommes qu’ils peuvent aller. » Pero esperé en el patio, debajo de un plátano. Aspiraba el olor de la tierra fresca y no tenía más sueño. Pensé en los compañeros de oficina. A esta hora se levantaban para ir al trabajo; para mí era siempre la hora más difícil. Reflexioné un momento sobre esas cosas, pero me distrajo una campana que sonaba en el interior de los edificios. Hubo movimientos detrás de las ventanas: luego, todo quedó en calma. El sol estaba algo más alto en el cielo; comenzaba a calentarme los pies. El portero cruzó el patio y me dijo que el director me llamaba. Fui a su despacho. Me hizo firmar cierta cantidad de documentos. Vi que estaba vestido de negro con pantalón a rayas. Tomó el teléfono y me interpeló: «Los empleados de pompas fúnebres han llegado hace un momento. Voy a pedirles que vengan a cerrar el féretro. ¿Quiere usted ver antes a su madre por última vez?» Dije que no. Ordenó por teléfono, bajando la voz: «Figeac, diga usted a los hombres que pueden ir.»
Ensuite il m’a dit qu’il assisterait à l’enterrement et je l’ai remercié. Il s’est assis derrière son bureau, il a croisé ses petites jambes. Il m’a averti que moi et lui serions seuls, avec l’infirmière de service. En principe, les pensionnaires ne devaient pas assister aux enterrements. Il les laissait seulement veiller : « C’est une question d’humanité », a-t-il remarqué. Mais en l’espèce, il avait accordé l’autorisation de suivre le convoi à un vieil ami de maman : « Thomas Pérez. » Ici, le directeur a souri. Il m’a dit : « Vous comprenez, c’est un sentiment un peu puéril. Mais lui et votre mère ne se quittaient guère. À l’asile, on les plaisantait, on disait à Pérez : « C’est votre fiancée. » Lui riait. Ça leur faisait plaisir. Et le fait est que la mort de Mme Meursault l’a beaucoup affecté. Je n’ai pas cru devoir lui refuser l’autorisation. Mais sur le conseil du médecin visiteur, je lui ai interdit la veillée d’hier. » En seguida me dijo que asistiría al entierro y le di las gracias. Se sentó ante el escritorio y cruzó las pequeñas piernas. Me advirtió que yo y él estaríamos solos, con la enfermera de servicio. En principio los pensionistas no debían de asistir a los entierros. El sólo les permitía velar. «Es cuestión de humanidad», señaló. Pero en este caso había autorizado a seguir el cortejo a un viejo amigo de mamá: «Tomás Pérez». Aquí e director sonrió. Me dijo: «Comprende usted, es un sentimiento un poco pueril. Pero él y su madre casi no se separaban. En el asilo les hacían bromas; le decían a Pérez: 'Es su novia.' Pérez reía. Aquello les complacía. La muerte de la señora de Meursault le ha afectado mucho. Creí que no debía de negarle la autorización. Pero le prohibí velarla ayer, por consejo del médico visitador.»
Nous sommes restés silencieux assez longtemps. Le directeur s’est levé et a regardé par la fenêtre de son bureau. À un moment, il a observé : « Voilà déjà le curé de Marengo. Il est en avance. » Il m’a prévenu qu’il faudrait au moins trois quarts d’heure de marche pour aller à l’église qui est au village même. Nous sommes descendus. Devant le bâtiment, il y avait le curé et deux enfants de chœur. L’un de ceux-ci tenait un encensoir et le prêtre se baissait vers lui pour régler la longueur de la chaîne d’argent. Quand nous sommes arrivés, le prêtre s’est relevé. Il m’a appelé « mon fils » et m’a dit quelques mots. Il est entré ; je l’ai suivi. Quedamos silenciosos bastante tiempo. El director se levantó y miró por la ventana del despacho. Después de un momento observó: «Ahí está el cura de Marengo. Viene antes de la hora.» Me advirtió que llevaría tres cuartos de hora de marcha, por lo menos, llegar a la iglesia, que se halla en el pueblo mismo. Bajamos, Delante del edificio estaban el cura y dos monaguillos. Uno de éstos tenía el incensario, y el sacerdote se inclinaba hacia él para regular el largo de la cadena de plata. Cuando llegamos, el sacerdote se incorporó. Me llamó "hijo mío" y me dijo algunas palabras. Entró; yo le seguí.
J’ai vu d’un coup que les vis de la bière étaient enfoncées et qu’il y avait quatre hommes noirs dans la pièce. J’ai entendu en même temps le directeur me dire que la voiture attendait sur la route et le prêtre commencer ses prières. À partir de ce moment, tout est allé très vite. Les hommes se sont avancés vers la bière avec un drap. Le prêtre, ses suivants, le directeur et moi-même sommes sortis. Devant la porte, il y avait une dame que je ne connaissais pas : « M. Meursault », a dit le directeur. Je n’ai pas entendu le nom de cette dame et j’ai compris seulement qu’elle était infirmière déléguée. Elle a incliné sans un sourire son visage osseux et long. Puis nous nous sommes rangés pour laisser passer le corps. Nous avons suivi les porteurs et nous sommes sortis de l’asile. Devant la porte, il y avait la voiture. Vernie, oblongue et brillante, elle faisait penser à un plumier. À côté d’elle, il y avait l’ordonnateur, petit homme aux habits ridicules, et un vieillard à l’allure empruntée. J’ai compris que c’était M. Pérez. Il avait un feutre mou à la calotte ronde et aux ailes larges (il l’a ôté quand la bière a passé la porte), un costume dont le pantalon tirebouchonnait sur les souliers et un nœud d’étoffe noire trop petit pour sa chemise à grand col blanc. Ses lèvres tremblaient au-dessous d’un nez truffé de points noirs. Ses cheveux blancs assez fins laissaient passer de curieuses oreilles ballantes et mal ourlées dont la couleur rouge sang dans ce visage blafard me frappa. L’ordonnateur nous donna nos places. Le curé marchait en avant, puis la voiture. Autour d’elle, les quatre hommes. Derrière, le directeur, moi-même et, fermant la marche, l’infirmière déléguée et M. Pérez. Vi de una ojeada que los tornillos del féretro estaban hundidos y que había cuatro hombres negros en la habitación. Oí al mismo tiempo al director decirme que el coche esperaba en la calle y al sacerdote comenzar las oraciones. A partir de ese momento todo se desarrolló muy rápidamente. Los hombres avanzaron hacia el féretro con un lienzo. El sacerdote, sus acompañantes, el director y yo salimos. Delante de la puerta estaba una señora que no conocía. «El señor Meursault», dijo el director. No oí el nombre de la señora y comprendí solamente que era la enfermera delegada. Inclinó sin una sonrisa el rostro huesudo y largo. Luego nos apartamos para dejar pasar el cuerpo. Seguimos a los hombres que lo llevaban y salimos del asilo. Delante de la puerta estaba el coche. Lustroso, oblongo y brillante, hacía pensar en una caja de lápices. A su lado estaban el empleado de la funeraria, hombrecillo de traje ridículo y un anciano de aspecto tímido. Comprendí que era Pérez. Llevaba un fieltro blando de copa redonda y alas anchas (se lo quitó cuando el féretro pasó por la puerta) un traje cuyo pantalón se arrollaba sobre los zapatos, y un lazo de género negro demasiado pequeño para la camisa de cuello blanco grande. Los labios le temblaban bajo la nariz mechada de puntos negros. Los cabellos blancos, bastante finos, dejaban pasar unas curiosas orejas, colgantes y mal orladas, cuyo color rojo sangre me sorprendió en aquella pálida fisonomía. El hombre de la funeraria nos indicó nuestros lugares. El sacerdote caminaba delante; luego el coche; en torno de él, los cuatro hombres. Detrás, el director, yo y, cerrando la marcha, la enfermera delegada y Pérez.
Le ciel était déjà plein de soleil. Il commençait à peser sur la terre et la chaleur augmentait rapidement. Je ne sais pas pourquoi nous avons attendu assez longtemps avant de nous mettre en marche. J’avais chaud sous mes vêtements sombres. Le petit vieux, qui s’était recouvert, a de nouveau ôté son chapeau. Je m’étais un peu tourné de son côté, et je le regardais lorsque le directeur m’a parlé de lui. Il m’a dit que souvent ma mère et M. Pérez allaient se promener le soir jusqu’au village, accompagnés d’une infirmière. Je regardais la campagne autour de moi. À travers les lignes de cyprès qui menaient aux collines près du ciel, cette terre rousse et verte, ces maisons rares et bien dessinées, je comprenais maman. Le soir, dans ce pays, devait être comme une trêve mélancolique. Aujourd’hui, le soleil débordant qui faisait tressaillir le paysage le rendait inhumain et déprimant. El cielo estaba lleno de sol. Comenzaba a pesar sobre la tierra y el calor aumentaba rápidamente. No sé por qué habíamos esperado tanto tiempo antes de ponernos en marcha. Tenía calor con mi traje oscuro El viejecito, que se había cubierto, se quitó nuevamente el sombrero. Me había vuelto un poco hacia su lado y le miraba cuando el director me habló de él. Me dijo que a menudo mi madre y Pérez iban a pasear por la tarde hasta el pueblo, acompañados por una enfermera. Miré el campo a mi alrededor. A través de las líneas de cipreses que aproximaban las colinas al cielo, de aquella tierra rojiza y verde, de aquellas casas, pocas y bien dibujadas, comprendía a mi madre. La tarde, en esta región, debía de ser como una tregua melancólica. Hoy, el sol desbordante que hacía estremecer el paisaje, lo tornaba inhumano y deprimente.
Nous nous sommes mis en marche. C’est à ce moment que je me suis aperçu que Pérez claudiquait légèrement. La voiture, peu à peu, prenait de la vitesse et le vieillard perdait du terrain. L’un des hommes qui entouraient la voiture s’était laissé dépasser aussi et marchait maintenant à mon niveau. J’étais surpris de la rapidité avec laquelle le soleil montait dans le ciel. Je me suis aperçu qu’il y avait déjà longtemps que la campagne bourdonnait du chant des insectes et de crépitements d’herbe. La sueur coulait sur mes joues. Comme je n’avais pas de chapeau, je m’éventais avec mon mouchoir. L’employé des pompes funèbres m’a dit alors quelque chose que je n’ai pas entendu. En même temps, il s’essuyait le crâne avec un mouchoir qu’il tenait dans sa main gauche, la main droite soulevant le bord de sa casquette. Je lui ai dit : « Comment ? »Il a répété en montrant le ciel : « Ça tape. » J’ai dit : « Oui. »Un peu après, il m’a demandée : « C’est votre mère qui est là ? » J’ai encore dit : « Oui. » « Elle était vieille ? » J’ai répondu : « Comme ça », parce que je ne savais pas le chiffre exact. Ensuite, il s’est tu. Je me suis retourné et j’ai vu le vieux Pérez à une cinquantaine de mètres derrière nous. Il se hâtait en balançant son feutre à bout de bras. J’ai regardé aussi le directeur. Il marchait avec beaucoup de dignité, sans un geste inutile. Quelques gouttes de sueur perlaient sur son front, mais il ne les essuyait pas. Nos pusimos en marcha. En ese momento noté que Pérez renqueaba ligeramente. Poco a poco el coche tomaba velocidad y el anciano perdía terreno. Uno de los hombres que rodeaban el coche también se había dejado pasar y caminaba ahora a mi altura. Me sorprendía la rapidez con qué el sol se elevaba en el cielo. Advertí que hacía ya tiempo que el campo resonaba con el canto de los insectos y el crujir de la hierba. El sudor me corría por las mejillas. Como no tenía sombrero, me abanicaba con el pañuelo. El empleado de pompas fúnebres me dijo entonces algo que no oí. Al mismo tiempo se enjugaba el cráneo con un pañuelo que tenía en la mano izquierda, mientras que con la derecha levantaba el borde de la gorra. Le dije: «¿Cómo?» Repitió señalando al cielo: «Está sofocante.» Dije: «Sí.» Poco después me preguntó: «¿Es su madre la que va ahí?» Otra vez dije: «Sí.» «¿Era vieja?» Respondí: «Más o menos», pues no sabía la edad exacta. En seguida se calló. Me di vuelta y vi al viejo Pérez a unos cincuenta metros detrás de nosotros. Se apresuraba columpiando el sombrero al vaivén del brazo Mire también al director. Caminaba con mucha dignidad, sin un gesto inútil. Algunas gotas de sudor le perlaban la frente pero no las enjugaba.
Il me semblait que le convoi marchait un peu plus vite. Autour de moi, c’était toujours la même campagne lumineuse gorgée de soleil. L’éclat du ciel était insoutenable. À un moment donné, nous sommes passés sur une partie de la route qui avait été récemment refaite. Le soleil avait fait éclater le goudron. Les pieds y enfonçaient et laissaient ouverte sa pulpe brillante. Au-dessus de la voiture, le chapeau du cocher, en cuir bouilli, semblait avoir été pétri dans cette boue noire. J’étais un peu perdu entre le ciel bleu et blanc et la monotonie de ces couleurs, noir gluant du goudron ouvert, noir terne des habits, noir laque de la voiture. Tout cela, le soleil, l’odeur de cuir et de crottin de la voiture, celle du vernis et celle de l’encens, la fatigue d’une nuit d’insomnie, me troublait le regard et les idées. Je me suis retourné une fois de plus : Pérez m’a paru très loin, perdu dans une nuée de chaleur, puis je ne l’ai plus aperçu. Je l’ai cherché du regard et j’ai vu qu’il avait quitté la route et pris à travers champs. J’ai constaté aussi que devant moi la route tournait. J’ai compris que Pérez qui connaissait le pays coupait au plus court pour nous rattraper. Au tournant il nous avait rejoints. Puis nous l’avons perdu. Il a repris encore à travers champs et comme cela plusieurs fois. Moi, je sentais le sang qui me battait aux tempes. Me pareció que el cortejo marchaba un poco mas de prisa. A mi alrededor continuaba siempre el mismo campo luminoso colmado de sol. El resplandor del cielo era insostenible. En un momento dado pasamos por una parte del camino que había sido arreglada recientemente: El sol había hecho estallar el alquitrán. Los pies se hundían en el y dejaban abierta su carne brillante. Por encima del coche, la galera luciente del cochero parecía haber sido amasada con ese fango negro. Yo estaba un poco perdido entre el cielo azul y blanco y la monotonía de aquellos colores, negro viscoso del alquitrán abierto, negro opaco de las ropas, negro lustroso del coche. Todo esto, el sol, el olor del cuero y del estiércol del coche, el del barniz y el del incienso y la fatiga de una noche de insomnio, me turbaba la mirada y las ideas. Me volví una vez más: Pérez me pareció muy lejos, perdido en una nube de calor; luego, no lo divisé más. Lo busqué con la mirada y vi que había dejado el camino y tomado a campo traviesa. Comprobé también que el camino doblaba delante de mí. Comprendí que Pérez, que conocía la región, cortaba campo para alcanzarnos. Al dar la vuelta se nos había reunido. Luego lo perdimos. Volvió a tomar a campo traviesa, y así varias veces. Yo sentía la sangre que me golpeaba en las sienes.
Tout s’est passé ensuite avec tant de précipitation, de certitude et de naturel, que je ne me souviens plus de rien. Une chose seulement : à l’entrée du village, l’infirmière déléguée m’a parlé. Elle avait une voix singulière qui n’allait pas avec son visage, une voix mélodieuse et tremblante. Elle m’a dit : « Si on va doucement, on risque une insolation. Mais si on va trop vite, on est en transpiration et dans l’église on attrape un chaud et froid. » Elle avait raison. Il n’y avait pas d’issue. J’ai encore gardé quelques images de cette journée : par exemple, le visage de Pérez quand, pour la dernière fois, il nous a rejoints près du village. De grosses larmes d’énervement et de peine ruisselaient sur ses joues. Mais, à cause des rides, elles ne s’écoulaient pas. Elles s’étalaient, se rejoignaient et formaient un vernis d’eau sur ce visage détruit. Il y a eu encore l’église et les villageois sur les trottoirs, les géraniums rouges sur les tombes du cimetière, l’évanouissement de Pérez (on eût dit un pantin disloqué), la terre couleur de sang qui roulait sur la bière de maman, la chair blanche des racines qui s’y mêlaient, encore du monde, des voix, le village, l’attente devant un café, l’incessant ronflement du moteur, et ma joie quand l’autobus est entré dans le nid de lumières d’Alger et que j’ai pensé que j’allais me coucher et dormir pendant douze heures. Todo ocurrió en seguida con tanta precipitación, certidumbre y naturalidad, que no recuerdo nada más. Sólo una cosa: a la entrada del pueblo la enfermera delegada me habló. Tenía una voz singular, que no correspondía a su rostro; una voz melodiosa y trémula. Me dijo: «Si uno anda despacio, corre el riesgo de una insolación. Pero si anda demasiado aprisa, transpira y, en la iglesia, pesca un resfriado.» Tenía razón. No había escapatoria. Todavía retengo algunas imágenes de aquel día: por ejemplo, el rostro de Pérez cuando se nos reunió cerca del pueblo por última vez. Gruesas lágrimas de nerviosidad y de pena le chorreaban por las mejillas. Pero las arrugas no las dejaban caer. Se extendían, se juntaban y formaban un barniz de agua sobre el rostro marchito. Hubo también la iglesia y los aldeanos en las aceras, los geranios rojos en las tumbas del cementerio, el desvanecimiento de Pérez (habríase dicho un títere dislocado), la tierra color de sangre que rodaba sobre el féretro de mamá, la carne blanca de las raíces que se mezclaban, gente aún, voces, el pueblo, la espera delante de un café el incesante ronquido del motor, y mi alegría cuando el autobús entró en el nido de luces de Argel y pensé que iba a acostarme y a dormir durante doce horas.






I - II

I - II

En me réveillant, j’ai compris pourquoi mon patron avait l’air mécontent quand je lui ai demandé mes deux jours de congé : c’est aujourd’hui samedi. Je l’avais pour ainsi dire oublié, mais en me levant, cette idée m’est venue. Mon patron, tout naturellement, a pensé que j’aurais ainsi quatre jours de vacances avec mon dimanche et cela ne pouvait pas lui faire plaisir. Mais d’une part, ce n’est pas ma faute si on a enterré maman hier au lieu d’aujourd’hui et d’autre part, j’aurais eu mon samedi et mon dimanche de toute façon. Bien entendu, cela ne m’empêche pas de comprendre tout de même mon patron. Cuando me desperté comprendí por qué el patrón tenía aspecto descontento cuando le pedí los dos días de licencia: hoy es sábado. Por decirlo así, lo había olvidado, pero se me ocurrió la idea al levantarme. Naturalmente, el patrón pensó que con el domingo tendría cuatro días de licencia, y eso no podía gustarle. Pero, por una parte, no es culpa mía que hayan enterrado a mamá ayer en vez de hoy, y, por otra parte, hubiera tenido el sábado y el domingo de todos modos. Por supuesto, esto no me impide comprender a mi patrón.
J’ai eu de la peine à me lever parce que j’étais fatigué de ma journée d’hier. Pendant que je me rasais, je me suis demandé ce que j’allais faire et j’ai décidé d’aller me baigner. J’ai pris le tram pour aller à l’établissement de bains du port. Là, j’ai plongé dans la passé. Il y avait beaucoup de jeunes gens. J’ai retrouvé dans l’eau Marie Cardona, une ancienne dactylo de mon bureau dont j’avais eu envie à l’époque. Elle aussi, je crois. Mais elle est partie peu après et nous n’avons pas eu le temps. Je l’ai aidée à monter sur une bouée et, dans ce mouvement, j’ai effleuré ses seins. J’étais encore dans l’eau quand elle était déjà a plat ventre sur la bouée. Elle s’est retournée vers moi. Elle avait les cheveux dans les yeux et elle riait. je me suis hissé à côté d’elle sur la bouée. Il faisait bon et, comme en plaisantant, j’ai laissé aller ma tête en arrière et je l’ai posée sur son ventre. Elle n’a rien dit et je suis resté ainsi. J’avais tout le ciel dans les yeux et il était bleu et doré. Sous ma nuque, je sentais le ventre de Marie battre doucement. Nous sommes restés longtemps sur la bouée, à moitié endormis. Quand le soleil est devenu trop fort, elle a plongé et je l’ai suivie. Je l’ai rattrapée, j’ai passé ma main autour de sa taille et nous avons nagé ensemble. Elle riait toujours. Sur le quai, pendant que nous nous séchions, elle m’a dit : « Je suis plus brune que vous. » Je lui ai demandé si elle voulait venir au cinéma, le soir. Elle a encore ri et m’a dit qu’elle avait envie de voir un film avec Fernandel. Quand nous nous sommes rhabillés, elle a eu l’air très surprise de me voir avec une cravate noire et elle m’a demandé si j’étais en deuil. Je lui ai dit que maman était morte. Comme elle voulait savoir depuis quand, j’ai répondu : « Depuis hier. » Elle a eu un petit recul, mais n’a fait aucune remarque. J’ai eu envie de lui dire que ce n’était pas ma faute, mais je me suis arrêté parce que j’ai pensé que je l’avais déjà dit à mon patron. Cela ne signifiait rien. De toute façon, on est toujours un peu fautif. Me costó levantarme porque la jornada de ayer me había cansado. Mientras me afeitaba me pregunté qué podía hacer y resolví ir a bañarme. Tomé el tranvía para ir al establecimiento de baños del puerto. Allí me zambullí en la entrada. Había muchos jóvenes. En el agua encontré a María Cardona, antigua dactilógrafa de mi oficina, a la que había deseado en otro tiempo. Creo que ella también. Pero se había marchado poco después y no tuvimos ocasión. La ayudé a subir a una balsa y rocé sus senos en ese movimiento. Yo estaba todavía en el agua cuando ella ya se había colocado boca abajo sobre la balsa. Se volvió hacia mí. Tenía los cabellos sobre los ojos y reía. Me icé a su lado sobre la balsa. El tiempo estaba espléndido y, como bromeando, dejé ir la cabeza hacia atrás y la posé sobre su vientre. No dijo nada y quedé así. Me daba en los ojos todo el cielo, azul y dorado. Bajo la nuca sentía latir suavemente el vientre de María. Nos quedamos largo rato sobre la balsa, medio dormidos. Cuando el sol estuvo demasiado fuerte se zambulló y la seguí. La alcancé, pasé la mano alrededor de su cintura y nadamos juntos. Ella reía siempre. En el muelle mientras nos secábamos me dijo: «Soy más morena que tú.» Le pregunté si quería ir al cine esa noche. Volvió a reír y me dijo que quería ver una película de Fernandel. Cuando nos hubimos vestido pareció muy asombrada al verme con corbata negra y me preguntó si estaba de luto. Le dije que mamá había muerto. Como quisiera saber cuándo, respondí: «Ayer.» Se estremeció un poco, pero no dijo nada. Estuve a punto de decirle que no era mi culpa, pero me detuve porque pensé que ya lo había dicho a mi patrón. Todo esto no significaba nada. De todos modos uno siempre es un poco culpable.
Le soir, Marie avait tout oublié. Le film était drôle par moments et puis vraiment trop bête. Elle avait sa jambe contre la mienne. Je lui caressais les seins. Vers la fin de la séance, je l’ai embrassée, mais mal. En sortant, elle est venue chez moi. Por la noche María había olvidado todo. La película era graciosa a ratos y, luego, demasiado tonta, en verdad. Ella apretaba su pierna contra la mía. Yo le acariciaba los senos. Hacia el fin de la función, la besé, pero mal. Al salir vino a mi casa.
Quand je me suis réveillé, Marie était partie. Elle m’avait expliqué qu’elle devait aller chez sa tante. J’ai pensé que c’était dimanche et cela m’a ennuyé : je n’aime pas le dimanche. Alors, je me suis retourné dans mon lit, j’ai cherché dans le traversin l’odeur de sel que les cheveux de Marie y avaient laissée et j’ai dormi jusqu’à dix heures. J’ai fumé ensuite des cigarettes, toujours couché, jusqu’à midi. Je ne voulais pas déjeuner chez Céleste comme d’habitude parce que, certainement, ils m’auraient posé des questions et je n’aime pas cela. Je me suis fait cuire des œufs et je les ai mangés à même le plat, sans pain parce que je n’en avais plus et que je ne voulais pas descendre pour en acheter. Cuando me desperté, María se había marchado. Me había explicado que tenía que ir a casa de su tía. Pensé que era domingo y me fastidió: no me gusta el domingo. Me di vuelta en la cama, busqué en la almohada el olor a sal que habían dejado allí los cabellos de María, y dormí hasta las diez. Luego estuve fumando cigarrillos hasta mediodía, siempre acostado. No quería almorzar en el restaurante de Celeste como de costumbre, porque indudablemente me hubieran formulado preguntas, cosa que no me gusta. Cocí unos huevos y los comí solos, sin pan, porque no tenía más y no quería bajar a comprarlo.
Après le déjeuner, je me suis ennuyé un peu et j’ai erré dans l’appartement. Il était commode quand maman était là. Maintenant il est trop grand pour moi et j’ai dû transporter dans ma chambre la table de la salle à manger. Je ne vis plus que dans cette pièce, entre les chaises de paille un peu creusées, l’armoire dont la glace est jaunie, la table de toilette et le lit de cuivre. Le reste est à l’abandon. Un peu plus tard, pour faire quelque chose, j’ai pris un vieux journal et je l’ai lu. J’y ai découpé une réclame des sels Kruschen et je l’ai collée dans un vieux cahier où je mets les choses qui m’amusent dans les journaux. Je me suis, aussi lavé les mains et, pour finir, je me suis mis au balcon. Después del almuerzo me aburrí un poco y erré por el departamento. Resultaba cómodo cuando mamá estaba allí. Ahora es demasiado grande para mí, y he debido trasladar a mi cuarto la mesa del comedor. No vivo más que en esta habitación, entre sillas de paja un poco hundidas, el ropero cuyo espejo está amarillento, el tocador y la cama de bronce. El resto está abandonado. Un poco más tarde, por hacer algo, cogí un periódico viejo y lo leí. Recorté un aviso de las sales Kruschen y lo pegué en un cuaderno viejo donde pongo las cosas que me divierten en los periódicos. También me lavé las manos y, para concluir, me asomé al balcón.
Ma chambre donne sur la rue principale du faubourg. L’après-midi était beau. Cependant, le pavé était gras, les gens rares et pressés encore. C’étaient d’abord des familles allant en promenade, deux petits garçons en costume marin, la culotte au-dessous du genou, un peu empêtrés dans leurs vêtements raides, et une petite fille avec un gros nœud rose et des souliers noirs vernis. Derrière eux, une mère énorme, en robe de soie marron, et le père, un petit homme assez frêle que je connais de vue. Il avait un canotier, un nœud papillon et une canne à la main. En le voyant avec sa femme, j’ai compris pourquoi dans le quartier on disait de lui qu’il était distingué. Un peu plus tard passèrent les jeunes gens du faubourg, cheveux laqués et cravate rouge, le veston très cintré, avec une pochette brodée et des souliers à bouts carrés. J’ai pensé qu’ils allaient aux cinémas du centre. C’était pourquoi ils partaient si tôt et se dépêchaient vers le tram en riant très fort. Mi cuarto da sobre la calle principal del barrio. Era una hermosa tarde. Sin embargo, el pavimento estaba grasiento; había poca gente y apurada. Pasó primero una familia que iba de paseo: dos niños de traje marinero, los pantalones sobre las rodillas, un tanto trabados dentro de las ropas rígidas, y una niña con un gran lazo color de rosa y zapatos de charol. Detrás de ellos, una madre enorme vestida de seda castaña, y el padre, un hombrecillo bastante endeble que conocía de vista. Llevaba sombrero de paja, corbata de lazo, y un bastón en la mano. Al verle con su mujer comprendí por qué en el barrio se decía de él que era distinguido. Un poco más tarde pasaron los jóvenes del arrabal, de pelo lustroso y corbata roja, chaqueta muy ajustada, bolsillo bordado y zapatos de punta cuadrada. Pensé que iban a los cines del centro porque partían muy temprano y se apresuraban a tomar el tranvía, riendo estrepitosamente.
Après eux, la rue peu à peu est devenue déserte. Les spectacles étaient partout commencés, je crois. Il n’y avait plus dans la rue que les boutiquiers et les chats. Le ciel était pur mais sans éclat au-dessus des ficus qui bordent la rue. Sur le trottoir d’en face, le marchand de tabac a sorti une chaise, l’a installée devant sa porte et l’a enfourchée en s’appuyant des deux bras sur le dossier. Les trams tout à l’heure bondés étaient presque vides. Dans le petit café : « Chez Pierrot », à côté du marchand de tabac, le garçon balayait de la sciure dans la salle déserte. C’était vraiment dimanche. Después que ellos pasaron, la calle quedó poco a poco desierta. Creo que en todas partes habían comenzado los espectáculos. En la calle sólo quedaban los tenderos y los gatos. Sobre las higueras que bordeaban la calle el cielo estaba límpido, pero sin brillo. En la acera de enfrente el cigarrero sacó la silla, la instaló delante de la puerta, y montó sobre ella, apoyando los dos brazos en el respaldo. Los tranvías, un momento antes cargados de gente, estaban casi vacíos. En el cafetín Chez Pierrot, contiguo a la cigarrería, el mozo barría aserrín en el salón desierto. Era realmente domingo.
J’ai retourné ma chaise et je l’ai placée comme celle du marchand de tabac parce que j’ai trouvé que c’était plus commode. J’ai fumé deux cigarettes, je suis rentré pour prendre un morceau de chocolat et je suis revenu le manger à la fenêtre. Peu après, le ciel s’est assombri et j’ai cru que nous allions avoir un orage d’été. Il s’est découvert peu à peu cependant. Mais le passage des nuées avait laissé sur la rue comme une promesse de pluie qui l’a rendue plus sombre. Je suis resté longtemps à regarder le ciel. Volví a la silla y la coloqué como la del cigarrero porque me pareció que era más cómodo. Fumé dos cigarrillos, entré a buscar un trozo de chocolate, y volví a la ventana a comerlo. Poco después el cielo se oscureció y creí que íbamos a tener una tormenta de verano. Se despejó poco a poco, sin embargo. Pero el paso de las nubes había dejado en la calle una promesa de lluvia que la volvía más sombría. Quedó largo rato mirando el cielo.
À cinq heures, des tramways sont arrivés dans le bruit. Ils ramenaient du stade de banlieue des grappes de spectateurs perchés sur les marchepieds et, les rambardes. Les tramways suivants ont ramené les joueurs que j’ai reconnus à leurs petites valises. Ils hurlaient et chantaient à pleins poumons que leur club ne périrait pas. Plusieurs m’ont fait des signes. L’un m’a même crié : « On les a eus. » Et j’ai fait : « Oui », en secouant la tête. À partir de ce moment, les autos ont commencé à affluer. A las cinco los tranvías llegaron ruidosamente. Traían del estadio circunvecino racimos de espectadores colgados de los estribos y de los pasamanos. Los tranvías siguientes trajeron a los jugadores, que reconocí por las pequeñas valijas. Gritaban y cantaban a voz en cuello que su club no perecería jamás. Varios me hicieron señas. Uno hasta llegó a gritarme: «¡Les ganamos!» Dije: «Sí», sacudiendo la cabeza. A partir de ese instante los automóviles comenzaron a afluir.
La journée a tourné encore un peu. Au-dessus des toits, le ciel est devenu rougeâtre et, avec le soir naissant, les rues se sont animées. Les promeneurs revenaient peu à peu. J’ai reconnu le monsieur distingué au milieu d’autres. Les enfants pleuraient ou se laissaient traîner. Presque aussitôt, les cinémas du quartier ont déversé dans la rue un flot de spectateurs. Parmi eux, les jeunes gens avaient des gestes plus décidés que d’habitude et j’ai pensé qu’ils avaient vu un film d’aventures. Ceux qui revenaient des cinémas de la ville arrivèrent un peu plus tard. Ils semblaient plus graves. Ils riaient encore, mais de temps en temps, ils paraissaient fatigués et songeurs. Ils sont restés dans la rue, allant et venant sur le trottoir d’en face. Les jeunes filles du quartier, en cheveux, se tenaient par le bras. Les jeunes gens s’étaient arrangés pour les croiser et ils lançaient des plaisanteries dont elles riaient en détournant la tête. Plusieurs d’entre elles, que je connaissais, m’ont fait des signes. El día avanzó un poco más. El cielo enrojeció sobre los techos y, con la tarde que caía, las calles se animaron. Pero a poco regresaban los paseantes. Reconocí al señor distinguido en medio de otros. Los niños lloraban o se dejaban arrastrar. Casi en seguida los cines del barrio volcaron sobre la calle una marea de espectadores. Los jóvenes tenían gestos más resueltos que de costumbre y pensé que habían visto una película de aventuras. Los que regresaban de los cines del centro llegaron un poco más tarde. Parecían más graves. Todavía reían, pero sólo de cuando en cuando; parecían fatigados y soñadores. Se quedaron en la calle, yendo y viniendo por la acera de enfrente. Las jóvenes del barrio andaban tomadas del brazo, en cabeza. Los muchachos se habían arreglado para cruzarse con ellas y les lanzaban piropos de los que ellas reían volviendo la cabeza. Varias que yo conocía me hicieron señas.
Les lampes de la rue se sont alors allumées brusquement et elles ont fait pâlir les premières étoiles qui montaient dans la nuit. J’ai senti mes yeux se fatiguer à regarder ainsi les trottoirs avec leur chargement d’hommes et de lumières. Les lampes faisaient luire le pavé mouille, et les tramways, à intervalles réguliers, mettaient leurs reflets sur des cheveux brillants, un sourire ou un bracelet d’argent. Peu après, avec les tramways plus rares et la nuit déjà noire au-dessus des arbres et des lampes, le quartier s’est vidé insensiblement, jusqu’à ce que le premier chat traverse lentement la rue de nouveau déserte. J’ai pensé alors qu’il fallait dîner. J’avais un peu mal au cou d’être resté longtemps appuyé sur le dos de ma chaise. Je suis descendu acheter du pain et des pâtes, j’ai fait ma cuisine et j’ai mangé debout. J’ai voulu fumer une cigarette à la fenêtre, mais l’air avait fraîchi et j’ai eu un peu froid. J’ai fermé mes fenêtres et en revenant j’ai vu dans la glace un bout de table ou ma lampe à alcool voisinait avec des morceaux de pain. J’ai pensé que c’était toujours un dimanche de tiré, que maman était maintenant enterrée, que j’allais reprendre mon travail et que, somme toute, il n’y avait rien de changé. Las lámparas de la calle se encendieron bruscamente e hicieron palidecer las primeras estrellas que surgían en la noche. Sentía fatigárseme los ojos mirando las aceras con su cargamento de hombres y de luces. Las lámparas hacían relucir el piso grasiento y, con intervalos regulares, los tranvías volcaban sus reflejos sobre los cabellos brillantes, una sonrisa, o una pulsera de plata. Poco después, con los tranvías más escasos y la noche ya oscura sobre los árboles y las lámparas, el barrio se vació insensiblemente, hasta que el primer gato atravesó lentamente la calle de nuevo desierta. Pensé entonces que era necesario comer. Me dolía un poco el cuello por haber estado tanto tiempo apoyado en el respaldo de la silla. Bajé a comprar pan y pastas, cociné y comí de pie. Quise fumar aún un cigarrillo en la ventana, pero sentí un poco de frío. Eché los cristales y, al volverme, vi por el espejo un extremo de la mesa en el que estaban juntos la lámpara de alcohol y unos pedazos de pan. Pensé que, después de todo, era un domingo de menos, que mamá estaba ahora enterrada, que iba a reanudar el trabajo y que, en resumen, nada había cambiado.






I - III

I - III

Aujourd’hui j’ai beaucoup travaillé au bureau. Le patron a été aimable. Il m’a demandé si je n’étais pas trop fatigué et il a voulu savoir aussi l’âge de maman. J’ai dit « une soixantaine d’années », pour ne pas me tromper et je ne sais pas pourquoi il a eu l’air d’être soulagé et de considérer que c’était une affaire terminée. Hoy trabajé mucho en la oficina. El patrón estuvo amable. Me preguntó si no estaba demasiado cansado y quiso saber también la edad de mamá. Dije «alrededor de los sesenta» para no equivocarme y no sé por qué pareció quedar aliviado y considerar que era un asunto concluido.
Il y avait un tas de connaissements qui s’amoncelaient sur ma table et il a fallu que je les dépouille tous. Avant de quitter le bureau pour aller déjeuner, je me suis lavé les mains. À midi, j’aime bien ce moment. Le soir, j’y trouve moins de plaisir parce que la serviette roulante qu’on utilise est tout à fait humide : elle a servi toute la journée. J’en ai fait la remarque un jour à mon patron. Il m’a répondu qu’il trouvait cela regrettable, mais que c’était tout de même un détail sans importance. Je suis sorti un peu tard, à midi et demi, avec Emmanuel, qui travaille à l’expédition. Le bureau donne sur la mer et nous avons perdu un moment à regarder les cargos dans le port brûlant de soleil. À ce moment, un camion est arrivé dans un fracas de chaînes et d’explosions. Emmanuel m’a demandé « si on y allait » et je me suis mis à courir. Le camion nous a dépassés et nous nous sommes lancés à sa poursuite. J’étais noyé dans le bruit et la poussière. Je ne voyais plus rien et ne sentais que cet élan désordonné de la course, au milieu des treuils et des machines, des mats qui dansaient sur l’horizon et des coques que nous longions. J’ai pris appui le premier et j’ai sauté au vol. Puis j’ai aidé Emmanuel à s’asseoir. Nous étions hors de souffle, le camion sautait sur les pavés inégaux du quai, au milieu de la poussière et du soleil. Emmanuel riait à perdre haleine. Sobre mi mesa se apilaba un montón de conocimientos y tuve que examinarlos todos. Antes de abandonar la oficina para ir a almorzar me lavé las manos. Me gusta mucho ese momento a mediodía. Por la tarde encuentro menos placer porque la toalla sin fin que utilizamos está completamente húmeda; ha servido durante toda la jornada. Un día se lo hice notar al patrón. Me respondió que era de lamentar, pero que asimismo era un detalle sin importancia. Salí un poco tarde, a las doce y media, con Manuel, que trabaja en la expedición. La oficina da al mar y perdimos un momento mirando los barcos de carga en el puerto ardiente de sol. En ese instante llegó un camión en medio de un estrépito de cadenas y explosiones. Manuel me preguntó: «¿Vamos?», y eché a correr. El camión nos dejó atrás y nos lanzamos en su persecución. El ruido y el polvo me ahogaban. No veía nada más y no sentía otra cosa que el desordenado impulso de la carrera, en medio de los tornos y de las máquinas, de los mástiles que danzaban en el horizonte y de los cabos que esquivábamos. Fui el primero en tomar apoyo y salté al vuelo. Luego ayudé a Manuel a sentarse. Estábamos sin resuello. El camión saltaba sobre el pavimento desparejo del muelle, en medio del polvo y del sol. Manuel reía hasta perder el aliento.
Nous sommes arrivés en nage chez Céleste. Il était toujours là, avec son gros ventre, son tablier et ses moustaches blanches. Il m’a demandé si « ça allait quand même ». Je lui ai dit que oui et que j’avais faim. J’ai mangé très vite et j’ai pris du café. Puis je suis rentré chez moi, j’ai dormi un peu parce que j’avais trop bu de vin et, en me réveillant, j’ai eu envie de fumer. Il était tard et j’ai couru pour attraper un tram. J’ai travaillé tout l’après-midi. Il faisait très chaud dans le bureau et le soir, en sortant, j’ai été heureux de revenir en marchant lentement le long des quais. Le ciel était vert, je me sentais content. Tout de même, je suis rentré directement chez moi parce que je voulais me préparer des pommes de terre bouillies. Llegamos empapados a casa de Celeste. Allí estaba como siempre, con el vientre abultado, el delantal y los bigotes blancos. Me preguntó si «andaba bien a pesar de todo.» Le dije que sí y que tenía hambre. Comí rápidamente y tomé café. Luego volví a mi casa; dormí un poco porque había bebido demasiado vino, y al despertar tuve ganas de fumar. Era tarde, y corrí para alcanzar un tranvía. Trabajé toda la tarde. Hacía mucho calor en la oficina y cuando salí al atardecer me sentí feliz caminando de vuelta lentamente a lo largo de los muelles. El cielo estaba verde. Me sentía contento. Sin embargo, volví directamente a mi casa porque quería prepararme unas papas hervidas.
En montant, dans l’escalier noir, j’ai heurté le vieux Salamano, mon voisin de palier. Il était avec son chien. Il y a huit ans qu’on les voit ensemble. L’épagneul a une maladie de peau, le rouge, je crois, qui lui fait perdre presque tous ses poils et qui le couvre de plaques et de croûtes brunes. À force de vivre avec lui, seuls tous les deux dans une petite chambre, le vieux Salamano a fini par lui ressembler. Il a des croûtes rougeâtres sur le visage et le poil jaune et rare. Le chien, lui, a pris de son patron une sorte d’allure voûtée, le museau en avant et le cou tendu. Ils ont l’air de la même race et pourtant ils se détestent. Deux fois par jour, à onze heures et à six heures, le vieux mène son chien promener. Depuis huit ans, ils n’ont pas changé leur itinéraire. On peut les voir le long de la rue de Lyon, le chien tirant l’homme jusqu’à ce que le vieux Salamano bute. Il bat son chien alors et il l’insulte. Le chien rampe de frayeur et se laisse traîner. À ce moment, c’est au vieux de le tirer. Quand le chien a oublié, il entraîne de nouveau son maître et il est de nouveau battu et insulté. Alors, ils restent tous les deux sur le trottoir et ils se regardent, le chien avec terreur, l’homme avec haine. C’est ainsi tous les jours. Quand le chien veut uriner, le vieux ne lui en laisse pas le temps et il le tire, l’épagneul semant derrière lui une traînée de petites gouttes. Si par hasard le chien fait dans la chambre, alors il est encore battu. Il y a huit ans que cela dure. Céleste dit toujours que « c’est malheureux », mais au fond, personne ne peut savoir. Quand je l’ai rencontré dans l’escalier, Salamano était en train d’insulter son chien. Il lui disait : « Salaud ! Charogne ! » et le chien gémissait. J’ai dit : « Bonsoir », mais le vieux insultait toujours. Alors je lui ai demandé ce que le chien lui avait fait. Il ne m’a pas répondu. Il disait seulement : « Salaud ! Charogne ! » Je le devinais, penché sur son chien, en train d’arranger quelque chose sur le collier. J’ai parlé plus fort. Alors sans se retourner, il m’a répondu avec une sorte de rage rentrée : « Il est toujours là. » Puis il est parti en tirant la bête qui se laissait traîner sur ses quatre pattes, et gémissait. Al subir topé en la escalera oscura con el viejo Salamano, mi vecino de piso. Estaba con su perro. Hace ocho años que se los ve juntos. El podenco tiene una enfermedad en la piel, creo que sarna, que le hace perder casi todo el pelo y lo cubre de placas y costras oscuras. A fuerza de vivir con él, solos los dos en una pequeña habitación, el viejo Salamano ha concluido por parecérsele. Tiene costras rojizas en el rostro y pelo amarillo y escaso. A su vez el perro ha tomado del amo una especie de andar encorvado, con el hocico hacia adelante y el cuello tendido. Parecen de la misma raza y, sin embargo, se detestan. Dos veces por día, a once y a las seis, el viejo lleva el perro a pasear. Desde hace ocho años no han cambiado el itinerario. Puede vérseles a lo largo de la calle de Lyon, el perro tirando hombre hasta que el viejo Salamano tropieza. Entonces pega al perro y lo insulta. El perro se arrastra de terror y se deja arrastrar. Y el viejo debe tirar de él. Cuando el perro ha olvidado, aplasta de nuevo al amo y de nuevo el amo le pega y lo insulta. Entonces quedan los dos en la acera y se miran, el perro con terror, el hombre con odio. Así todos los días. Cuando el perro quiere orinar, el viejo no le da tiempo y tira; el podenco siembra tras sí un reguero de gotitas. Si por casualidad el perro lo hace en la habitación, entonces también le pega. Hace ocho años que ocurre lo mismo. Celeste dice siempre que «es una desgracia», pero, en el fondo, no se puede saber. Cuando lo encontré en la escalera, Salamano estaba insultando al perro. Le decía: «¡Cochino! ¡Carroña!», y el perro gemía. Dije: «Buenas tardes», pero el viejo continuó con los insultos. Entonces le pregunté qué le había hecho el perro. No me respondió. Decía solamente: «¡Cochino! ¡Carroña!» Me lo imaginaba, inclinado sobre el perro, arreglando alguna cosa en el collar. Hablé más alto. Entonces me respondió sin volverse, con una especie de rabia contenida: «Se queda siempre ahí.» Y se marchó tirando del animal, que se dejaba arrastrar sobre las cuatro patas y gemía.
Juste à ce moment est entré mon deuxième voisin de palier. Dans le quartier, on dit qu’il vit des femmes. Quand on lui demande son métier, pourtant, il est « magasinier ». En général, il n’est guère aimé. Mais il me parle souvent et quelquefois il passe un moment chez moi parce que je l’écoute. Je trouve que ce qu’il dit est intéressant. D’ailleurs, je n’ai aucune raison de ne pas lui parler. Il s’appelle Raymond Sintès. Il est assez petit, avec de larges épaules et un nez de boxeur. Il est toujours habillé très correctement. Lui aussi m’a dit, en parlant de Salamano : « Si c’est pas malheureux ! » Il m’a demandé si ça ne me dégoûtait pas et j’ai répondu que non. En ese mismo momento entró el segundo vecino de piso. En el barrio se dice que vive de las mujeres. Sin embargo, cuando se le pregunta acerca de su oficio, es «guardalmacén». En general, es poco querido. Pero me habla a menudo y a veces entra un momento en mi habitación porque yo le escucho. Encuentro interesante lo que dice. Por otra parte, no tengo razón alguna para no hablarle. Se llama Raimundo Sintés. Es bastante pequeño, con hombros anchos y nariz de boxeador. Va siempre muy correctamente vestido. También él me ha dicho, hablando de Salamano: «¡Dígame si no es una desgracia!» Me preguntó si no me repugnaba y respondí que no.
Nous sommes montés et j’allais le quitter quand il m’a dit : « J’ai chez moi du boudin et du vin. Si vous voulez manger un morceau avec moi ?... » J’ai pensé que cela m’éviterait de faire ma cuisine et j’ai accepté. Lui aussi n’a qu’une chambre, avec une cuisine sans fenêtre. Au-dessus de son lit, il a un ange en stuc blanc et rose, des photos de champions et deux ou trois clichés de femmes nues. La chambre était sale et le lit défait. Il a d’abord allumé sa lampe à pétrole, puis il a sorti un pansement assez douteux de sa poche et a enveloppé sa main droite. Je lui ai demandé ce qu’il avait. Il m’a dit qu’il avait eu une bagarre avec un type qui lui cherchait des histoires. Subimos y le iba a dejar, cuando me dijo: «Tengo en mi habitación morcilla y vino. ¿Quiere usted comer algo conmigo?...» Pensé que me evitaría cocinar y acepté. El también tiene una sola pieza, con una cocina sin ventana. Sobre la cama hay un ángel de estuco blanco y rosa, fotos de campeones y dos o tres clisés de mujeres desnudas. La habitación estaba sucia y la cama deshecha. Encendió primero la lámpara de petróleo; luego extrajo del bolsillo una venda bastante sucia y se envolvió la mano derecha. Le pregunté qué tenía. Me dijo que había tenido una trifulca con un sujeto que le buscaba camorra.
« Vous comprenez, monsieur Meursault, m’a-t-il dit, c’est pas que je suis méchant, mais je suis vif. L’autre, il m’a dit : « Descends du tram si tu es un homme. » le lui ai dit : « Allez, reste tranquille. » Il m’a dit que je n’étais pas un homme. Alors je suis descendu et je lui ai dit : « Assez, ça vaut mieux, ou je vais te mûrir. » Il m’a répondu : « De quoi ? » Alors je lui en ai donne un. Il est tombé. Moi, j’allais le relever. Mais il m’a donné des coups de pied de par terre. Alors je lui ai donné un coup de genou et deux taquets. Il avait la figure en sang. Je lui ai demandé s’il avait son compte. Il m’a dit : « Oui. » Pendant tout ce temps, Sintès arrangeait son pansement. J’étais assis sur le lit. Il m’a dit : « Vous voyez que je ne l’ai pas cherché. C’est lui qui m’a manqué. » C’était vrai et je l’ai reconnu. Alors il m’a déclaré que, justement, il voulait me demander un conseil au sujet de cette affaire, que moi, j’étais un homme, je connaissais la vie, que je pouvais l’aider et qu’ensuite il serait mon copain. Je n’ai rien dit et il m’a demandé encore si je voulais être son copain. J’ai dit que ça m’était égal : il a eu l’air content. Il a sorti du boudin, il l’a fait cuire à la poêle, et il a installé des verres, des assiettes, des couverts et deux bouteilles de vin. Tout cela en silence. Puis nous nous sommes installés. En mangeant, il a commencé à me raconter son histoire. Il hésitait d’abord un peu. « J’ai connu une dame... c’était pour autant dire ma maîtresse. » L’homme avec qui il s’était battu était le frère de cette femme. Il m’a dit qu’il l’avait entretenue. Je n’ai rien répondu et pourtant il a ajouté tout de suite qu’il savait ce qu’on disait dans le quartier, mais qu’il avait sa conscience pour lui et qu’il était magasinier. «Comprende usted, señor Meursault», me dijo, «no se trata de que yo sea malo; pero soy rápido. El otro me dijo: 'Baja del tranvía si eres hombre.' Yo le dije: '¡Vamos, quédate tranquilo!' Me dijo que yo no era hombre. Entonces bajé y le dije: 'Basta, es mejor; o te rompo la jeta.' Me contestó: '¿Con qué?' Entonces le pegué. Se cayó. Yo iba a levantarlo. Pero me tiró unos puntapiés desde el suelo. Entonces le di un rodillazo y dos taconazos. Tenía la cara llena de sangre. Le pregunté si tenía bastante. Me dijo: 'Sí.'» Durante todo este tiempo Sintés arreglaba el vendaje. Yo estaba sentado en la cama. Me dijo: «Usted ve que no lo busqué. El se metió conmigo.» Era verdad y lo reconocí. Entonces me declaró que precisamente quería pedirme un consejo con motivo de este asunto; que yo era un hombre que conocía la vida; que podía ayudarlo y que inmediatamente sería mi camarada. No dije nada y me preguntó otra vez si quería ser su camarada. Dije que me era indiferente, y pareció quedar contento. Sacó una morcilla, la cocinó en la sartén, y colocó vasos, platos, cubiertos y dos botellas de vino. Todo en silencio. Luego nos instalamos. Mientras comíamos comenzó a contarme la historia. Al principio vacilaba un poco. «Conocí a una señora..., para decir verdad era mi amante...» El hombre con quien se había peleado era el hermano de esa mujer. Me dijo que la había mantenido. No contesté nada y sin embargo se apresuró a añadir que sabía lo que se decía en el barrio, pero que tenía su conciencia limpia y que era guardalmacén.
« Pour en venir à mon histoire, m’a-t-il dit, je me suis aperçu, qu’il y avait de la tromperie. » Il lui donnait juste de quoi vivre. Il payait lui-même le loyer de sa chambre et il lui donnait vingt francs par jour pour la nourriture. « Trois cents francs de chambre, six cents francs de nourriture, une paire de bas de temps en temps, ça faisait mille francs. Et madame ne travaillait pas. Mais elle me disait que c’était juste, qu’elle n’arrivait pas avec ce que je lui donnais. Pourtant, je lui disais : « Pourquoi tu travailles pas une demi-journée ? Tu me soulagerais bien pour toutes ces petites choses. Je t’ai acheté un ensemble ce mois-ci, je te paye vingt francs par jour, je te paye le loyer et toi, tu prends le café l’après-midi avec tes amies. Tu leur donnes le café et le sucre. Moi, je te donne l’argent. J’ai bien agi avec toi et tu me le rends mal. » Mais elle ne travaillait pas, elle disait toujours qu’elle n’arrivait pas et c’est comme ça que je me suis aperçu qu’il y avait de la tromperie. » «Pero volviendo a mi historia», me dijo, «me di cuenta de que me engañaba». Le daba lo necesario para vivir. Pagaba el alquiler de la habitación y le daba veinte francos por día para el alimento. "Trescientos francos por la pieza, seiscientos francos por el alimento, un par de medias de vez en cuando, esto sumaba mil francos. Y la señora no trabajaba. Pero me decía que era poco, que no le alcanzaba con lo que le daba. Sin embargo, yo le decía: '¿Por qué no trabajas medio día? Me ayudarías para todas las cosas chicas. Este mes te he comprado un conjunto, te pago veinte francos por día, te pago el alquiler, y tú lo que haces es tomar café por las tardes con tus amigas. Tú les das el café y el azúcar. Yo te doy el dinero. Me he portado bien contigo y tú me correspondes mal.' Pero no trabajaba, decía que no le alcanzaba, y así me di cuenta de que había engaño.»
Il m’a alors raconté qu’il avait trouvé un billet de loterie dans son sac et qu’elle n’avait pas pu lui expliquer comment elle l’avait acheté. Un peu plus tard, il avait trouvé chez elle « une indication » du mont-de-piété qui prouvait qu’elle avait engagé deux bracelets. Jusque-là, il ignorait l’existence de ces bracelets. « J’ai bien vu qu’il y avait de la tromperie. Alors, je l’ai quittée. Mais d’abord, je l’ai tapée. Et puis, je lui ai dit ses vérités. Je lui ai dit que tout ce qu’elle voulait, c’était s’amuser avec sa chose. Comme je lui ai dit, vous comprenez, monsieur Meursault : « Tu ne vois pas que le monde il est jaloux du bonheur que je te donne. Tu connaîtras plus tard le bonheur que tu avais. » Me contó entonces que le había encontrado un billete de lotería en el bolso sin que ella pudiera explicarle cómo lo había comprado. Poco después encontró en casa de ella una papeleta del Monte de Piedad, prueba de que había empeñado dos pulseras. Hasta ahí él ignoraba la existencia de las pulseras. «Vi bien claro que me engañaba. Entonces la dejé. Pero antes le di una paliza. Y le canté las verdades. Le dije que todo lo que quería era divertirse. Usted comprende, señor Meursault, yo le dije: 'No ves que la gente está celosa de la felicidad que te doy. Más tarde te darás cuenta de la felicidad que tenías.'»
Il l’avait battue jusqu’au sang. Auparavant, il ne la battait pas. « Je la tapais, mais tendrement pour ainsi dire. Elle criait un peu. Je fermais les volets et ça finissait comme toujours. Mais maintenant, c’est sérieux. Et pour moi, je l’ai pas assez punie. » Le había pegado hasta hacerla sangrar. Antes no le pegaba. «La golpeaba pero con ternura, por así decir. Ella gritaba un poco. Yo cerraba las persianas y todo concluía como siempre. Pero ahora es serio. Y para mí no la he castigado bastante.»
Il m’a expliqué alors que c’était pour cela qu’il avait besoin d’un conseil. Il s’est arrêté pour régler la mèche de la lampe qui charbonnait. Moi, je l’écoutais toujours. J’avais bu près d’un litre de vin et j’avais très chaud aux tempes. je fumais les cigarettes de Raymond parce qu’il ne m’en restait plus. Les derniers trams passaient et emportaient avec eux les bruits maintenant lointains du faubourg. Raymond a continué. Ce qui l’ennuyait, « c’est qu’il avait encore un sentiment pour son coït ». Mais il voulait la punir. Il avait d’abord pensé à l’emmener dans un hôtel et à appeler les « mœurs » pour causer un scandale et la faire mettre en carte. Ensuite, il s’était adressé à des amis qu’il avait dans le milieu. Ils n’avaient rien trouvé. Et comme me le faisait remarquer Raymond, c’était bien la peine d’être du milieu. Il le leur avait dit et ils avaient alors proposé de la « marquer ». Mais ce n’était pas ce qu’il voulait. Il allait réfléchir. Auparavant il voulait me demander quelque chose. D’ailleurs, avant de me le demander, il voulait savoir ce que je pensais de cette histoire. J’ai répondu que je n’en pensais rien mais que c’était intéressant. Il m’a demandé si je pensais qu’il y avait de la tromperie, et moi, il me semblait bien qu’il y avait de la tromperie, si je trouvais qu’on devait la punir et ce que je ferais à sa place, je lui ai dit qu’on ne pouvait jamais savoir, mais je comprenais qu’il veuille la punir. J’ai encore bu un peu de vin. Il a allumé une cigarette et il m’a découvert son idée. Il voulait lui écrire une lettre « avec des coups de pied et en même temps des choses pour la faire regretter ». Après, quand elle reviendrait, il coucherait avec elle et « juste au moment de finir » il lui cracherait à la figure et il la mettrait dehors. J’ai trouvé qu’en effet, de cette façon, elle serait punie. Mais Raymond m’a dit qu’il ne se sentait pas capable de faire la lettre qu’il fallait et qu’il avait pensé à moi pour la rédiger. Comme je ne disais rien, il m’a demandé si cela m’ennuierait de le faire tout de suite et j’ai répondu que non. Me explicó entonces que por eso necesitaba consejo. Se interrumpió para arreglar la mecha de la lámpara que carbonizaba. Yo continuaba escuchándole. Había bebido casi un litro de vino y me ardían las sienes. Como no me quedaban más cigarrillos fumaba los de Raimundo. Los últimos tranvías pasaban y llevaban consigo los ruidos ahora lejanos del barrio. Raimundo continuó. Le fastidiaba «sentir todavía deseos de hacer el coito con ella.» Pero quería castigarla. Primero había pensado llevarla a un hotel y llamar a los «costumbres» para provocar un escándalo y hacerla fichar como prostituta. Luego se había dirigido a los amigos que tenía en el ambiente. Pero no se les había ocurrido nada. Y para eso no valía la pena ser del ambiente, como me lo hacía notar Raimundo. Se lo había dicho, y ellos entonces le propusieron «marcarla.» Pero no era eso lo que él quería. Iba a reflexionar. Pero antes deseaba preguntarme algo. Por otra parte, antes de preguntármelo, quería saber qué opinaba de la historia, Respondí que no opinaba nada, pero que era interesante. Me preguntó si creía que le había engañado, y a mí me parecía, por cierto, que le había engañado. Me preguntó si encontraba que se la debía castigar y qué haría yo en su lugar. Le dije que era difícil saber, pero comprendí que quisiera castigarla. Bebí todavía un poco de vino. Encendió un cigarrillo y me descubrió su idea. Quería escribirle una carta «con patadas y al mismo tiempo cosas para hacerla arrepentir.» Después, cuando regresara, se acostaría con ella, y «justo en el momento de acabar» le escupiría en la cara y la echaría a la calle. Me pareció que, en efecto, de ese modo quedaría castigada. Pero Raimundo me dijo que no se sentía capaz de escribir la carta adecuada y que había pensado en mí para redactarla. Como no dijera nada, me preguntó si me molestaría hacerlo en seguida y respondí que no.
Il s’est alors levé après avoir bu un verre de vin. Il a repoussé les assiettes et le peu de boudin froid que nous avions laissé. Il a soigneusement essuyé la toile cirée de la table. Il a pris dans un tiroir de sa table de nuit une feuille de papier quadrillé, une enveloppe jaune, un petit porte-plume de bois rouge et un encrier carré d’encre violette. Quand il m’a dit le nom de la femme, j’ai vu que c’était une Mauresque. J’ai fait la lettre. Je l’ai écrite un peu au hasard, mais je me suis appliqué à contenter Raymond parce que je n’avais pas de raison de ne pas le contenter. Puis j’ai lu la lettre à haute voix. Il m’a écouté en fumant et en hochant la tête, puis il m’a demandé de la relire. Il a été tout à fait content. Il m’a dit : « Je savais bien que tu connaissais la vie. » Je ne me suis pas aperçu d’abord qu’il me tutoyait. C’est seulement quand il m’a déclaré : « Maintenant, tu es un vrai copain », que cela m’a frappé. Il a répété sa phrase et j’ai dit : « Oui. » Cela m’était égal d’être son copain et il avait vraiment l’air d’en avoir envie. Il a cacheté la lettre et nous avons fini le vin. Puis nous sommes restés un moment à fumer sans rien dire. Au-dehors, tout était calme, nous avons entendu le glissement d’une auto qui passait. J’ai dit : « Il est tard. » Raymond le pensait aussi. Il a remarqué que le temps passait vite et, dans un sens, c’était vrai. J’avais sommeil, mais j’avais de la peine à me lever. J’ai dû avoir l’air fatigué parce que Raymond m’a dit qu’il ne fallait pas se laisser aller. D’abord, je n’ai pas compris. Il m’a expliqué alors qu’il avait appris la mort de maman mais que c’était une chose qui devait arriver un jour ou l’autre. C’était aussi mon avis. Bebió un vaso de vino y se levantó. Apartó los platos y la poca morcilla fría que habíamos dejado. Limpió cuidadosamente el hule de la mesa. Sacó de un cajón de la mesa de noche una hoja de papel cuadriculado, un sobre amarillo, un pequeño cortaplumas de madera roja y un tintero cuadrado, con tinta violeta. Cuando me dijo el nombre de la mujer vi que era mora. Hice la carta. La escribí un poco al azar, pero traté de contentar a Raimundo porque no tenía razón para no dejarlo contento. Luego leí la carta en alta voz. Me escuchó fumando y asintiendo con la cabeza, y me pidió que la releyera. Quedó enteramente contento. Me dijo: «Sabía que tú conocías la vida.» Al principio no advertí que me tuteaba. Sólo cuando me declaró: «Ahora eres un verdadero camarada, me llamó la atención. Repitió la frase, y dije: «Sí.» Me era indiferente ser su camarada y él realmente parecía desearlo. Cerró el sobre y terminamos el vino. Luego quedamos un momento fumando sin decir nada. Afuera todo estaba en calma y oímos deslizarse un auto que pasaba. Dije: «Es tarde.» Raimundo pensaba lo mismo. Hizo notar que el tiempo pasaba rápidamente, y, en cierto sentido, era verdad. Tenía sueño, pero me costaba levantarme. Debía de tener aspecto fatigado porque Raimundo me dijo que no había que dejarse abatir. En el primer momento no comprendí. Me explicó entonces que se había enterado de la muerte de mamá pero que era una cosa que debía de llegar un día u otro. Era lo que yo pensaba.
Je me suis levé, Raymond m’a serré la main très fort et m’a dit qu’entre hommes on se comprenait toujours. En sortant de chez lui, j’ai refermé la porte et je suis resté un moment dans le noir, sur le palier. La maison était calme et des profondeurs de la cage d’escalier montait un souffle obscur et humide. Je n’entendais que les coups de mon sang qui bourdonnait à mes oreilles. Je suis resté immobile. Mais dans la chambre du vieux Salamano, le chien a gémi sourdement. Me levanté. Raimundo me estrechó la mano con fuerza y me dijo que entre hombres siempre acaba uno por entenderse. Al salir de la pieza cerré la puerta y quedé un momento en el rellano, en la oscuridad. La casa estaba tranquila y de las profundidades de la caja de la escalera subía un soplo oscuro y húmedo. No oía más que los golpes de la sangre zumbándome en los oídos y quedé inmóvil. Pero en la habitación del viejo Salamano el perro gimió sordamente.






I - IV

I - IV

J’ai bien travaillé toute la semaine, Raymond est venu et m’a dit qu’il avait envoyé la lettre. Je suis allé au cinéma deux fois avec Emmanuel qui ne comprend pas toujours ce qui se passe sur l’écran. Il faut alors lui donner des explications. Hier, c’était samedi et Marie est venue, comme nous en étions convenus. J’ai eu très envie d’elle parce qu’elle avait une belle robe à raies rouges et blanches et des sandales de cuir. On devinait ses seins durs et le brun du soleil lui faisait un visage de fleur. Nous avons pris un autobus et nous sommes allés à quelques kilomètres d’Alger, sur une plage resserrée entre des rochers et bordée de roseaux du côté de la terre. Le soleil de quatre heures n’était pas trop chaud, mais l’eau était tiède, avec de petites vagues longues et paresseuses. Marie m’a appris un jeu. Il fallait, en nageant, boire à la crête des vagues, accumuler dans sa bouche toute l’écume et se mettre ensuite sur le dos pour la projeter contre le ciel. Cela faisait alors une dentelle mousseuse qui disparaissait dans l’air ou me retombait en pluie tiède sur le visage. Mais au bout de quelque temps, j’avais la bouche brûlée par l’amertume du sel. Marie m’a rejoint alors et s’est collée à moi dans l’eau. Elle a mis sa bouche contre la mienne. Sa langue rafraîchissait mes lèvres et nous nous sommes roulés dans les vagues pendant un moment. Trabajé mucho toda la semana. Raimundo vino y me dijo que había enviado la carta. Fui dos veces al cine con Manuel, que nunca comprende lo que sucede en la pantalla. Siempre hay que darle explicaciones. Ayer era sábado, y María vino, como habíamos convenido. La deseé mucho porque tenía un lindo vestido a rayas rojas y blancas, y sandalias de cuero. Se adivinaban sus senos firmes, y el tostado del sol le daba un rostro de flor. Tomamos un autobús y fuimos a algunos kilómetros de Argel a una playa encerrada entre rocas y rodeada de cañaverales del lado de la ribera. El sol de las cuatro no calentaba demasiado, pero el agua estaba tibia, con pequeñas olas alargadas y perezosas. María me enseñó un juego. Al nadar había que beber en la cresta de las olas, conservar en la boca toda la espuma, y ponerse en seguida de espaldas para proyectarla hacia el cielo. Se formaba entonces un encaje espumoso que se desvanecía en el aire o caía como lluvia tibia sobre la cara. Pero al cabo sentí la boca quemada por la amargura de la sal. María se me acercó entonces y se estrechó contra mí en el agua. Puso su boca contra la mía. Su lengua refrescaba mis labios y rodamos entre las olas durante un momento.
Quand nous nous sommes rhabillés sur la plage, Marie me regardait avec des yeux brillants. Je l’ai embrassée. À partir de ce moment, nous n’avons plus parlé. Je l’ai tenue contre moi et nous avons été pressés de trouver un autobus, de rentrer, d’aller chez moi et de nous jeter sur mon lit. J’avais laissé ma fenêtre ouverte et c’était bon de sentir la nuit d’été couler sur nos corps bruns. Cuando nos vestimos nuevamente en la playa, María me miraba con ojos brillantes. La besé. A partir de ese momento no hablamos más. La estreché contra mí y nos apresuramos a buscar un autobús, regresar, ir a casa y arrojarnos sobre la cama. Había dejado la ventana abierta y era agradable sentir derramarse la noche de verano sobre nuestros cuerpos morenos.
Ce matin, Marie est restée et je lui ai dit que nous déjeunerions ensemble. Je suis descendu pour acheter de la viande. En remontant, j’ai entendu une voix de femme dans la chambre de Raymond. Un peu après, le vieux Salamano a grondé son chien, nous avons entendu un bruit de semelles et de griffes sur les marches en bois de l’escalier et puis : « Salaud, charogne », ils sont sortis dans la rue. J’ai raconté à Marie l’histoire du vieux et elle a ri. Elle avait un de mes pyjamas dont elle avait retroussé les manches. Quand elle a ri, j’ai eu encore envie d’elle. Un moment après, elle m’a demandé si je l’aimais. Je lui ai répondu que cela ne voulait rien dire, mais qu’il me semblait que non. Elle a eu l’air triste. Mais en préparant le déjeuner, et à propos de rien, elle a encore ri de telle façon que je l’ai embrassée. C’est à ce moment que les bruits d’une dispute ont éclaté chez Raymond. Esa mañana María se quedó y le dije que almorzaríamos juntos. Bajé a comprar carne. Al subir oía una voz de mujer en la habitación de Raimundo. Poco después, el viejo Salamano regañó al perro, oímos ruido de suelas y uñas en los peldaños de madera de la escalera y luego: «¡Cochino! ¡Carroña!» Salieron a la calle. Conté a María la historia del viejo y se rió. Tenía puesto uno de mis pijamas cuyas mangas había recogido. Cuando rió, tuve nuevamente deseos de ella. Un momento después me preguntó si la amaba. Le contesté que no tenía importancia, pero que me parecía que no. Pareció triste. Mas al preparar el almuerzo, y sin motivo alguno, se echó otra vez a reír de tal manera que la besé. En ese momento el ruido de una disputa estalló en la habitación de Raimundo.
On a d’abord entendu une voix aiguë de femme et puis Raymond qui disait : « Tu m’as manqué, tu m’as manqué. Je vais t’apprendre à me manquer. » Quelques bruits sourds et la femme a hurlé, mais de si terrible façon qu’immédiatement le palier s’est empli de monde. Marie et moi nous sommes sortis aussi. La femme criait toujours et Raymond frappait toujours. Marie m’a dit que c’était terrible et je n’ai rien répondu. Elle m’a demandé d’aller chercher un agent, mais je lui ai dit que je n’aimais pas les agents. Pourtant, il en est arrivé un avec le locataire du deuxième qui est plombier. Il a frappé à la porte et on n’a plus rien entendu. Il a frappé plus fort et au bout d’un moment, la femme a pleuré et Raymond a ouvert. Il avait une cigarette à la bouche et l’air doucereux. La fille s’est précipitée à la porte et a déclaré à l’agent que Raymond l’avait frappée. « Ton nom », a dit l’agent. Raymond a répondu. « Enlève ta cigarette de la bouche quand tu me parles », a dit l’agent. Raymond a hésité, m’a regardé et a tiré sur sa cigarette. À ce moment, l’agent l’a giflé à toute volée d’une claque épaisse et lourde, en pleine joue. La cigarette est tombée quelques mètres plus loin. Raymond a changé de visage, mais il n’a rien dit sur le moment et puis il a demandé d’une voix humble s’il pouvait ramasser son mégot. L’agent a déclaré qu’il le pouvait et il a ajouté : « Mais la prochaine fois, tu sauras qu’un agent n’est pas un guignol. » Pendant ce temps, la fille pleurait et elle a répété « Il m’a tapée. C’est un maquereau. » -« Monsieur l’agent, a demandé alors Raymond, c’est dans la loi, ça, de dire maquereau à un homme ? » Mais l’agent lui a ordonné « de fermer sa gueule ». Raymond s’est alors retourné vers la fille et il lui a dit : « Attends, petite, on se retrouvera. » L’agent lui a dit de fermer ça, que la fille devait partir et lui rester dans sa chambre en attendant d’être convoqué au commissariat. Il a ajouté que Raymond devrait avoir honte d’être soûl au point de trembler comme il le faisait. À ce moment, Raymond lui a expliqué : « Je ne suis pas soûl, monsieur l’agent. Seulement, je suis là, devant vous, et je tremble, c’est forcé. » Il a fermé sa porte et tout le monde est parti. Marie et moi avons fini de préparer le déjeuner. Mais elle n’avait pas faim, j’ai presque tout mangé. Elle est partie à une heure et j’ai dormi un peu. Se oyó al principio una voz aguda de mujer y luego a Raimundo que decía: «¡Me has engañado, me has engañado! Yo te voy a enseñar a engañarme.» Algunos ruidos sordos y la mujer aulló, pero de tan terrible manera que inmediatamente el pasillo se llenó de gente. También María y yo salimos. La mujer gritaba sin cesar y Raimundo pegaba sin cesar. María me dijo que era terrible y no respondí. Me pidió que fuese a buscar a un agente, pero le dije que no me gustaban los agentes. Sin embargo, llegó con el inquilino del segundo, que es plomero. Golpeó en la puerta y no se oyó nada más. Golpeó con más fuerza y, al cabo de un momento, la mujer lloró otra vez y Raimundo abrió. Tenía un cigarrillo en la boca y el aire dulzón. La muchacha se precipitó hacia la puerta y declaró al agente que Raimundo le había pegado. «Tu nombre», dijo el agente. Raimundo respondió. «Quítate el cigarrillo de la boca cuando me hablas», dijo el agente. Raimundo titubeó, me miró y se quedó con el cigarrillo. Entonces el agente le cruzó la cara al vuelo con una bofetada espesa y pesada, en plena mejilla. El cigarrillo cayó algunos metros más lejos. Raimundo se demudó, pero no dijo nada en seguida. Luego preguntó con voz humilde si podía recoger la colilla. El agente respondió que sí y agregó: «Pero la próxima vez sabrás que un agente no es un monigote.» Mientras tanto, la muchacha lloraba y repetía: «¡Me golpeó! ¡Es un rufián!» «Señor agente", preguntó entonces Raimundo, «¿permite la ley que se llame rufián a un hombre?» Pero el agente le ordenó «cerrar el pico.» Raimundo se volvió entonces hacia la muchacha y le dijo: «Espera, chiquita, ya nos volveremos a encontrar.» El agente le dijo que se callara, que la muchacha debía marcharse y él permanecer en la habitación aguardando que la comisaría lo citara. Agregó que Raimundo debería de sentirse avergonzado de estar borracho al punto de temblar como lo hacía. Entonces Raimundo le explicó: «No estoy borracho, señor agente. Estoy aquí, delante de usted, y tiemblo contra mi voluntad.» Cerró la puerta y todos se fueron. María y yo concluimos de preparar el almuerzo. Pero ella no tenía hambre; yo comí casi todo. A la una se fue y dormí un poco.
Vers trois heures, on a frappé à ma porte et Raymond est entré. Je suis resté couché. Il s’est assis sur le bord de mon lit. Il est resté un moment sans parler et je lui ai demandé comment son affaire s’était passée. Il m’a raconté qu’il avait fait ce qu’il voulait mais qu’elle lui avait donné une gifle et qu’alors il l’avait battue. Pour le reste, je l’avais vu. Je lui ai dit qu’il me semblait que maintenant elle était punie et qu’il devait être content. C’était aussi son avis, et il a observé que l’agent avait beau faire, il ne changerait rien aux coups qu’elle avait reçus. Il a ajouté qu’il connaissait bien les agents et qu’il savait comment il fallait s’y prendre avec eux. Il m’a demandé alors si j’avais attendu qu’il réponde à la gifle de l’agent. J’ai répondu que je n’attendais rien du tout et que d’ailleurs je n’aimais pas les agents. Raymond a eu l’air très content. Il m’a demandé si je voulais sortir avec lui. Je me suis levé et j’ai commencé à me peigner. Il m’a dit qu’il fallait que je lui serve de témoin. Moi cela m’était égal, mais je ne savais pas ce que je devais dire. Selon Raymond, il suffisait de déclarer que la fille lui avait manqué. J’ai accepté de lui servir de témoin. A eso de las tres llamaron a mi puerta y entró Raimundo. Me quedé acostado. Se sentó en el borde de la cama. Quedó un momento sin hablar y le pregunté cómo había ocurrido el asunto. Me contó que había hecho lo que quería, pero que ella le había dado un bofetón y entonces él le había pegado. En cuanto al resto, yo lo había visto. Le dije que me parecía que ahora estaba castigada y que debía de sentirse contento. Era también su Opinión, y observó que el agente había actuado bien, pero que no cambiaría en nada los golpes que ella había recibido. Agregó que conocía bien a los agentes y que sabía cómo había que manejarse con ellos. Me preguntó entonces si había esperado que respondiera al bofetón del agente. Contesté que no había esperado nada y que por otra parte no me gustaban los agentes. Raimundo pareció muy contento. Me preguntó si quería salir con él. Me levanté y comencé a peinarme. Me dijo entonces que era necesario que le sirviera como testigo. A mí me era indiferente, pero no sabía qué debía decir. Según Raimundo, bastaba declarar que la muchacha lo había engañado. Acepté servirle como testigo.
Nous sommes sortis et Raymond m’a offert une fine. Puis il a voulu faire une partie de billard et j’ai perdu de justesse. Il voulait ensuite aller au bordel, mais j’ai dit non parce que je n’aime pas ça. Alors nous sommes rentrés doucement et il me disait combien il était content d’avoir réussi à punir sa maîtresse. Je le trouvais très gentil avec moi et j’ai pensé que c’était un bon moment. Salimos, y Raimundo me ofreció un aguardiente. Luego quiso jugar una partida de billar y perdí por un pelo. Después quería ir al burdel, pero le dije que no porque no tenía ganas. Regresamos lentamente mientras me decía cuánto celebraba haber logrado castigar a su amante. Estuvo muy amable conmigo y pensé que era un momento agradable.
De loin, j’ai aperçu sur le pas de la porte le vieux Salamano qui avait l’air agité. Quand nous nous sommes rapprochés, j’ai vu qu’il n’avait pas son chien. Il regardait de tous les cotés, tournait sur lui-même, tentait de percer le noir du couloir, marmonnait des mots sans suite et recommençait à fouiller la rue de ses petits yeux rouges. Quand Raymond lui a demandé ce qu’il avait, il n’a pas répondu tout de suite. J’ai vaguement entendu qu’il murmurait : « Salaud, charogne », et il continuait à s’agiter. Je lui ai demandé où était son chien. Il m’a répondu brusquement qu’il était parti. Et puis tout d’un coup, il a parlé avec volubilité : « Je l’ai emmené au Champ de Manœuvres, comme d’habitude. Il y avait du monde, autour des baraques foraines. Je me suis arrêté pour regarder « le Roi de l’Évasion ». Et quand j’ai voulu repartir, il n’était plus là. Bien sûr, il y a longtemps que je voulais lui acheter un collier moins grand. Mais je n’aurais jamais cru que cette charogne pourrait partir comme ça. » Desde lejos divisé en el umbral de la puerta al viejo Salamano, que tenía aspecto agitado. Cuando nos acercamos vi que no tenía consigo al perro. Miraba para todos lados, se volvía sobre sí mismo, trataba de perforar la oscuridad del pasillo, mascullaba palabras sueltas y volvía a escudriñar la calle con los ojillos enrojecidos. Cuando Raimundo le preguntó qué le sucedía, no respondió inmediatamente. Oí vagamente que murmuraba: «¡Cochino! ¡Carroña!», y continuaba agitándose. Le pregunté dónde estaba el perro. Bruscamente me respondió que se había marchado. Luego, de golpe, habló con volubilidad: «Lo llevé al Campo de Maniobras como de costumbre. Había mucha gente en torno de los kioscos de saltimbanquis. Me detuve a mirar 'El rey de la evasión'. Y cuando quise seguir no estaba más allí. Hace tiempo que estaba por comprarle un collar menos grande. Pero jamás hubiera creído que esa carroña pudiera marcharse así.»
Raymond lui a expliqué alors que le chien avait pu s’égarer et qu’il allait revenir. Il lui a cité des exemples de chiens qui avaient fait des dizaines de kilomètres pour retrouver leur maître. Malgré cela, le vieux a eu l’air plus agité. « Mais ils me le prendront, vous comprenez. Si encore quelqu’un le recueillait. Mais ce n’est pas possible, il dégoûte tout le monde avec ses croûtes. Les agents le prendront, c’est sûr. » Je lui ai dit alors qu’il devait aller à la fourrière et qu’on le lui rendrait moyennant le paiement de quelques droits. Il m’a demandé si ces droits étaient, élevés. Je ne savais pas. Alors, il s’est mis en colère : « Donner de l’argent pour cette charogne. Ah ! il peut bien crever ! » Et il s’est mis à l’insulter. Raymond a ri et a pénétré dans la maison. Je l’ai suivi et nous nous sommes quittés sur le palier de l’étage. Un moment après, j’ai entendu le pas du vieux et il a frappé à ma porte. Quand j’ai ouvert, il est resté un moment sur le seuil et il m’a dit : « Excusez-moi, excusez-moi. » Je l’ai invité à entrer, mais il n’a pas voulu. Il regardait la pointe de ses souliers et ses mains croûteuses tremblaient. Sans me faire face, il m’a demandé : « Ils ne vont pas me le prendre, dites, monsieur Meursault. Ils vont me le rendre. Ou qu’est-ce que je vais devenir ? » Je lui ai dit que la fourrière gardait les chiens trois jours à la disposition de leurs propriétaires et qu’ensuite elle en faisait ce que bon, lui semblait. Il m’a regardé en silence. Puis il m’a dit : « Bonsoir. » Il a fermé sa porte et je l’ai entendu aller et venir. Son lit a craqué. Et au bizarre petit bruit qui a traversé la cloison, j’ai compris qu’il pleurait. Je ne sais pas pourquoi j’ai pensé à maman. Mais il fallait que je me lève tôt le lendemain. Je n’avais pas faim et je me suis couché sans dîner. Raimundo le explicó entonces que el perro podía haberse perdido y que iba a volver. Le citó ejemplos de perros que habían hecho decenas de kilómetros para encontrar a su amo. A pesar de todo, el viejo pareció más agitado. «Pero ellos lo agarrarán, ¿comprende usted? Si por lo menos alguien lo recogiera. Pero no es posible, da asco a todo el mundo con las costras. Los agentes lo agarrarán es seguro.» Le dije entonces que debía ir a la perrera y que se lo devolverían mediante el pago de algunos derechos. Me preguntó si los derechos serían elevados. Yo no lo sabía. Entonces montó en cólera: «¡Dar dinero por esa carroña! ¡Ah, que reviente!» Y se puso a insultarlo. Raimundo rió y entró en la casa. Le seguí y nos separamos en el rellano del piso. Un momento después oí los pasos del viejo que golpeó en mi puerta. Cuando abrí quedó un momento en el umbral y me dijo: «¡Discúlpeme, discúlpeme! ...» Le invité a entrar, pero no quiso. Miraba la punta de los zapatos y le temblaban las manos costrosas. Sin mirarme de frente, me preguntó: «¿No me lo han de agarrar, diga, señor Meursault? ¡Tienen que devolvérmelo! Si no, ¿qué va a ser de mí?» Le dije que la perrera guardaba los perros tres días a disposición de los propietarios y que después hacía con ellos lo que le parecía. Me miró en silencio. Luego dijo: «Buenas noches.» Cerró la puerta. Le oí ir y venir. La cama crujió. Y por el extraño y leve ruido que atravesó el tabique comprendí que lloraba. No sé por qué pensé en mamá. Pero tenía que levantarme temprano al día siguiente. No tenía hambre y me acosté sin cenar.






I - V

I - V

Raymond m’a téléphoné au bureau. Il m’a dit qu’un de ses amis (il lui avait parlé de moi) m’invitait à passer la journée de dimanche dans son cabanon, près d’Alger. J’ai répondu que je le voulais bien, mais que j’avais promis ma journée à une amie. Raymond m’a tout de suite déclaré qu’il l’invitait aussi. La femme de son ami serait très contente de ne pas être seule au milieu d’un groupe d’hommes. Raimundo me telefoneó a la oficina. Me dijo que uno de sus amigos (a quien le había hablado de mí) me invitaba a pasar el día del domingo en su cabañuela, cerca de Argel. Contesté que me gustaría mucho ir, pero que había prometido dedicar el día a una amiga. Raimundo me dijo en seguida que también la invitaba a ella. La mujer de su amigo se sentiría muy contenta de no hallarse sola en medio de un grupo de hombres.
J’ai voulu raccrocher tout de suite parce que je sais que le patron n’aime pas qu’on nous téléphone de la ville. Mais Raymond m’a demandé d’attendre et il m’a dit qu’il aurait pu me transmettre cette invitation le soir, mais qu’il voulait m’avertir d’autre chose. Il avait été suivi toute la journée par un groupe d’Arabes parmi lesquels se trouvait le frère de son ancienne maîtresse. « Si tu le vois près de la maison ce soir en rentrant, avertis-moi. » J’ai dit que c’était entendu. Quise cortar en seguida porque sé que al patrón no le gusta que nos telefoneen de afuera. Pero Raimundo me pidió que esperase y me dijo que hubiera podido trasmitirme la invitación por la noche, pero que quería advertirme de otra cosa. Había sido seguido todo el día por un grupo de árabes entre los cuales se encontraba el hermano de su antigua amante. «Sí lo ves cerca de casa avísame.» Dije que quedaba convenido.
Peu après, le patron m’a fait appeler et sur le moment j’ai été ennuyé parce que j’ai pensé qu’il allait me dire de moins téléphoner et de mieux travailler. Ce n’était pas cela du tout. Il m’a déclaré qu’il allait me parler d’un projet encore très vague. Il voulait seulement avoir mon avis sur la question. Il avait l’intention d’installer un bureau à Paris qui traiterait ses affaires sur la place, et directement, avec les grandes compagnies et il voulait savoir si j’étais disposé à y aller. Cela me permettrait de vivre à Paris et aussi de voyager une partie de l’année. « Vous êtes jeune, et il me semble que c’est une vie qui doit vous plaire. » J’ai dit que oui mais que dans le fond cela m’était égal. Il m’a demandé alors si je n’étais pas intéressé par un changement de vie. J’ai répondu qu’on ne changeait jamais de vie, qu’en tout cas toutes se valaient et que la mienne ici ne me déplaisait pas du tout. Il a eu l’air mécontent, m’a dit que je répondais toujours à côté, que je n’avais pas d’ambition et que cela était désastreux dans les affaires. Je suis retourné travailler alors. J’aurais préféré ne pas le mécontenter, mais je ne voyais pas de raison pour changer ma vie. En y réfléchissant bien, je n’étais pas malheureux. Quand j’étais étudiant, j’avais beaucoup d’ambitions de ce genre. Mais quand j’ai dû abandonner mes études, j’ai très vite compris que tout cela était sans importance réelle. Poco después el patrón me hizo llamar, y en el primer momento me sentí molesto porque pensé que iba a decirme que telefoneara menos y trabajara más. Pero no era nada de eso. Me declaró que iba a hablarme de un proyecto todavía muy vago. Quería solamente tener mi opinión sobre el asunto. Tenía la intención de instalar una oficina en París que trataría directamente en esa plaza sus asuntos con las grandes compañías, y quería saber si estaría dispuesto a ir. Ello me permitiría vivir en París y también viajar una parte del año. «Usted es joven y me parece que es una vida que debe de gustarle.» Dije que sí, pero que en el fondo me era indiferente. Me preguntó entonces si no me interesaba un cambio de vida. Respondí que nunca se cambia de vida, que en todo caso todas valían igual y que la mía aquí no me disgustaba en absoluto. Se mostró descontento, me dijo que siempre respondía con evasivas, que no tenía ambición y que eso era desastroso en los negocios. Volví a mi trabajo. Hubiera preferido no desagradarle, pero no veía razón para cambiar de vida. Pensándolo bien, no me sentía desgraciado. Cuando era estudiante había tenido muchas ambiciones de ese género. Pero cuando debí abandonar los estudios comprendí muy rápidamente que no tenían importancia real.
Le soir, Marie est venue me chercher et m’a demandé si je voulais me marier avec elle. J’ai dit que cela m’était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l’aimais. J’ai répondu comme je l’avais déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l’aimais pas. « Pourquoi m’épouser alors ? » a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n’avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D’ailleurs, c’était elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. J’ai répondu : « Non. » Elle s’est tue un moment et elle m’a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si j’aurais accepté la même proposition venant d’une autre femme, à qui je serais attaché de la même façon. J’ai dit : « Naturellement. » Elle s’est demandé alors si elle m’aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j’étais bizarre, qu’elle m’aimait sans doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais, n’ayant rien à ajouter, elle m’a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu’elle voulait se marier avec moi. J’ai répondu que nous le ferions dès qu’elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition du patron et Marie m’a dit qu’elle aimerait connaître Paris. Je lui ai, appris que j’y avais vécu dans un temps et elle m’a demandé comment c’était. Je lui ai dit : « C’est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche. » María vino a buscarme por la tarde y me preguntó si quería casarme con ella. Dije que me era indiferente y que podríamos hacerlo si lo quería. Entonces quiso saber si la amaba. Contesté como ya lo había hecho otra vez: que no significaba nada, pero que sin duda no la amaba. «¿Por qué, entonces, casarte conmigo?», dijo. Le expliqué que no tenía ninguna importancia y que si lo deseaba podíamos casarnos. Por otra parte era ella quien lo pedía y yo me contentaba con decir que sí. Observó entonces que el matrimonio era una cosa grave. Respondí: «No.» Calló un momento y me miró en silencio. Luego volvió a hablar. Quería saber simplemente si habría aceptado la misma proposición hecha por otra mujer a la que estuviera ligado de la misma manera. Dije: «Naturalmente.» Se preguntó entonces a sí misma si me quería, y yo, yo no podía saber nada sobre este punto. Tras otro momento de silencio murmuró que yo era extraño, que sin duda me amaba por eso mismo, pero que quizá un día le repugnaría por las mismas razones. Como callara sin tener nada que agregar, me tomó sonriente del brazo y declaró que quería casarse conmigo. Respondí que lo haríamos cuando quisiera. Le hablé entonces de la proposición del patrón, y María me dijo que le gustaría conocer París. Le dije que había vivido allí en otro tiempo y me preguntó cómo era. Le dije: «Es sucio. Hay palomas y patios oscuros. La gente tiene la piel blanca.»
Puis nous avons marché et traversé la ville par ses grandes rues. Les femmes étaient belles et j’ai demandé à Marie si elle le remarquait. Elle m’a dit que oui et qu’elle me comprenait. Pendant un moment, nous n’avons plus parlé. Je voulais cependant qu’elle reste avec moi et je lui ai dit que nous pouvions dîner ensemble chez Céleste. Elle en avait bien envie, mais elle avait à faire. Nous étions près de chez moi et le lui ai dit au revoir. Elle m’a regardé : « Tu ne veux pas savoir ce que j’ai à faire ? » Je voulais bien le savoir, mais je n’y avais pas pensé et c’est ce qu’elle avait l’air de me reprocher. Alors, devant mon air emparé, elle a encore ri et elle a eu vers moi un mouvement de tout le corps pour me tendre sa bouche. Luego caminamos y cruzamos la ciudad por las calles importantes. Las mujeres estaban hermosas y pregunté a María si lo notaba. Me dijo que sí y que me comprendía. Luego no hablamos más. Quería sin embargo que se quedara conmigo y le dije que podíamos cenar juntos en el restaurante de Celeste. A ella le agradaba mucho, pero tenía que hacer. Estábamos cerca de mi casa y le dije adiós. Me miró: «¿No quieres saber qué tengo que hacer?» Quería de veras saberlo, pero no había pensado en ello, y era lo que parecía reprocharme. Se echó a reír ante mi aspecto cohibido y se acercó con todo el cuerpo para ofrecerme la boca.
J’ai dîné chez Céleste. J’avais déjà commencé à manger lorsqu’il est entré une bizarre petite femme qui m’a demandé si elle pouvait s’asseoir à ma table. Naturellement, elle le pouvait. Elle avait des gestes saccadés et des yeux brillants dans une petite figure de pomme. Elle s’est débarrassée de sa jaquette, s’est assise et a consulté fiévreusement la carte. Elle a appelé Céleste et a commandé immédiatement tous ses plats d’une voix à la fois précise et précipitée. En attendant les hors-d’œuvre, elle a ouvert son sac, en a sorti un petit carré de papier et un crayon, a fait d’avance l’addition, puis a tiré d’un gousset, augmentée du pourboire, la somme exacte qu’elle a placée devant elle. À ce moment, on lui a apporté des hors-d’œuvre qu’elle a engloutis à toute vitesse. En attendant le plat suivant, elle a encore sorti de son sac un crayon bleu et un magazine qui donnait les programmes radiophoniques de la semaine. Avec beaucoup de soin, elle a coché une à une presque toutes les émissions. Comme le magazine avait une douzaine de pages, elle a continué ce travail méticuleusement pendant tout le repas. J’avais déjà fini qu’elle cochait encore avec la même application. Puis elle s’est levée, a remis sa jaquette avec les mêmes gestes précis d’automate et elle est partie. Comme je n’avais rien à faire, je suis sorti aussi et je l’ai suivie un moment. Elle s’était placée sur la bordure du trottoir et avec une vitesse et une sûreté incroyables, elle suivait son chemin sans dévier et sans se retourner. J’ai fini par la perdre de vue et par revenir sur mes pas. J’ai pensé qu’elle était bizarre, mais je l’ai oubliée assez vite. Cené en el restaurante de Celeste. Había comenzado a comer cuando entró una extraña mujercita que me preguntó si podía sentarse a mi mesa. Naturalmente que podía. Tenía ademanes bruscos y ojos brillantes en una pequeña cara de manzana. Se quitó la chaqueta, se sentó y consultó febrilmente la lista. Llamó a Celeste y pidió inmediatamente todos los platos con voz a la vez precisa y precipitada. Mientras esperaba los entremeses, abrió el bolso, sacó un cuadradito de papel y un lápiz, calculó de antemano la cuenta, luego extrajo de un bolsillo la suma exacta, aumentada con la propina, y la puso delante de sí. En ese momento le trajeron los entremeses, que devoró a toda velocidad. Mientras esperaba el plato siguiente sacó además del bolso un lápiz azul y una revista que publicaba los programas radiofónicos de la semana. Con mucho cuidado señaló una por una casi todas las audiciones. Como la revista tenía una docena de páginas continuó minuciosamente este trabajo durante toda la comida. Yo había terminado ya y ella seguía señalando con la misma aplicación. Luego se levantó, se volvió a poner la chaqueta con los mismos movimientos precisos de autómata y se marchó. Como no tenía nada que hacer, salí también y la seguí un momento. Se había colocado en el cordón de la acera y con rapidez y seguridad increíbles seguía su camino sin desviarse ni volverse. Acabé por perderla de vista y volver sobre mis pasos. Me pareció una mujer extraña, pero la olvidé bastante pronto.
Sur le pas de ma porte, j’ai trouvé le vieux Salamano. Je l’ai fait entrer et il m’a appris que son chien était perdu, car il n’était pas à la fourrière. Les employés lui avaient dit que, peut-être, il avait été écrasé. Il avait demandé s’il n’était pas possible de le savoir dans les commissariats. On lui avait répondu qu’on ne gardait pas trace de ces choses-là, parce qu’elles arrivaient tous les jours. J’ai dit au vieux Salamano qu’il pourrait avoir un autre chien, mais il a eu raison de me faire remarquer qu’il était habitué à celui-là. Encontré al viejo Salamano en el umbral de mi puerta. Le hice entrar y me enteró de que el perro estaba perdido, puesto que no se hallaba en la perrera. Los empleados le habían dicho que quizá lo hubieran aplastado. Había preguntado si no era posible que en las comisarías lo supiesen. Se le había respondido que no se llevaba cuenta de tales cosas porque ocurrían todos los días. Le dije al viejo Salamano que podría tener otro perro, pero me hizo notar con razón que estaba acostumbrado a éste.
J’étais accroupi sur mon lit et Salamano s’était assis sur une chaise devant la table. Il me faisait face et il avait ses deux mains sur les genoux. Il avait garde son vieux feutre. Il mâchonnait des bouts de phrases sous sa moustache jaunie. Il m’ennuyait un peu, mais je n’avais rien à faire et je n’avais pas sommeil. Pour dire quelque chose, je l’ai interrogé sur son chien. Il m’a dit qu’il l’avait eu après la mort de sa femme. Il s’était marié assez tard. Dans sa jeunesse, il avait eu envie de faire du théâtre : au régiment il jouait dans les vaudevilles militaires. Mais finalement, il était entré dans les chemins de fer et il ne le regrettait pas, parce que maintenant il avait une petite retraite. Il n’avait pas été heureux avec sa femme, mais dans l’ensemble il s’était bien habitué à elle. Quand elle était morte, il s’était senti très seul. Alors, il avait demandé un chien à un camarade d’atelier et il avait eu celui-là très jeune. Il avait fallu le nourrir au biberon. Mais comme un chien vit moins qu’un homme, ils avaient fini par être vieux ensemble. « Il avait mauvais caractère, m’a dit Salamano. De temps en temps, on avait des prises de bec. Mais c’était un bon chien quand même. » J’ai dit qu’il était de belle race et Salamano a eu l’air content. « Et encore, a-t-il ajouté, vous ne l’avez pas connu avant sa maladie. C’était le poil qu’il avait de plus beau. » Tous les soirs et tous les matins, depuis que le chien avait eu cette maladie de peau, Salamano le passait à la pommade. Mais selon lui, sa vraie maladie, c’était la vieillesse, et la vieillesse ne se guérit pas. Yo estaba acurrucado en mi cama y Salamano se había sentado en una silla delante de la mesa. Estaba enfrente de mí y apoyaba las dos manos en las rodillas. Tenía puesto el viejo sombrero. Mascullaba frases incompletas bajo el bigote amarillento. Me fastidiaba un poco, pero no tenía nada que hacer y no sentía sueño. Por decir algo le interrogué sobre el perro. Me dijo que lo tenía desde la muerte de su mujer. Se había casado bastante tarde. En su juventud tuvo intención de dedicarse al teatro; en el regimiento representaba en las zarzuelas militares. Pero había entrado finalmente en los ferrocarriles y no lo lamentaba porque ahora tenía un pequeño retiro. No había sido feliz con su mujer, pero, en conjunto, se había acostumbrado a ella. Cuando murió se había sentido muy solo. Entonces había pedido un perro a un camarada del taller y había recibido aquél, apenas recién nacido. Había tenido que alimentarlo con mamadera. Pero como un perro vive menos que un hombre habían concluido por ser viejos al mismo tiempo. «Tenía mal carácter», me dijo Salamano. «De vez en cuando nos tomábamos del pico. Pero a pesar de todo era un buen perro.» Dije que era de buena raza y Salamano se mostró satisfecho. «Y eso», agregó, «que usted no lo conoció antes de la enfermedad. El pelo era lo mejor que tenía.» Todas las tardes y todas las mañanas, desde que el perro tuvo aquella enfermedad de la piel, Salamano le ponía una pomada. Pero según él su verdadera enfermedad era la vejez, y la vejez no se cura.
À ce moment, j’ai baillé et le vieux m’a annoncé qu’il allait partir. Je lui ai dit qu’il pouvait rester, et que j’étais ennuyé de ce qui était arrive à son chien : il m’a remercié. Il m’a dit que maman aimait beaucoup son chien. En parlant d’elle, il l’appelait « votre pauvre mère. ». Il a émis la supposition que je devais être bien malheureux depuis que maman était morte et je n’ai rien répondu. Il m’a dit alors, très vite et avec un air gêné, qu’il savait que dans le quartier on m’avait mal jugé parce que j’avais mis ma mère à l’asile, mais il me connaissait et il savait que j’aimais beaucoup maman. J’ai répondu, je ne sais pas encore pourquoi, que j’ignorais jusqu’ici qu’on me jugeât mal à cet égard, mais que l’asile m’avait paru une chose naturelle puisque je n’avais pas assez d’argent pour faire garder maman. « D’ailleurs, ai-je ajouté, il y avait longtemps qu’elle n’avait rien à me dire et qu’elle s’ennuyait toute seule. — Oui, m’a-t-il dit, et à l’asile, du moins, on se fait des camarades. » Puis il s’est excusé. Il voulait dormir. Sa vie avait changé maintenant et il ne savait pas trop ce qu’il allait faire. Pour la première fois depuis que je le connaissais, d’un geste furtif, il m’a tendu la main et j’ai senti les écailles de sa peau. Il a souri un peu et avant de partir, il m’a dit : « J’espère que les chiens n’aboieront pas cette nuit. Je crois toujours que c’est le mien. » Bostecé y el viejo me anunció que iba a marcharse. Le dije que podía quedarse y que lamentaba lo que había sucedido al perro. Me lo agradeció. Me dijo que mamá quería mucho al perro. Al referirse a ella la llamaba «su pobre madre». Suponía que debía de sentirme muy desgraciado desde que mamá murió, pero no respondí nada. Me dijo entonces, muy rápidamente y con aire molesto, que sabía que en el barrio me habían juzgado mal porque había puesto a mi madre en el asilo, pero él me conocía y sabía que quería mucho a mamá. Respondí, aún no sé por qué, que hasta ese instante ignoraba que se me juzgase mal a este respecto, pero que el asilo me había parecido una cosa natural desde que no tenía bastante dinero para cuidar a mamá. «Por otra parte», agregué, «hacía mucho tiempo que no tenía nada que decirme y que se aburría sola.» «Sí», me dijo, «y en el asilo por lo menos se hacen compañeros». Luego se disculpó. Quería dormir. Su vida había cambiado ahora y no sabía exactamente qué iba a hacer. Por primera vez desde que le conocía, me tendió la mano con gesto furtivo y sentí las escamas de su piel. Sonrió levemente y antes de partir me dijo: «Espero que los perros no ladrarán esta noche. Siempre me parece que es el mío.»






I - VI

I - VI

Le dimanche, j’ai eu de la peine à me réveiller et il a fallu que Marie m’appelle et me secoue. Nous n’avons pas mangé parce que nous voulions nous baigner tôt. Je me sentais tout à fait vide et j’avais un peu mal à la tête. Ma cigarette avait un goût amer. Marie s’est moquée de moi parce qu’elle disait que j’avais « une tête d’enterrement ». Elle avait mis une robe de toile blanche et lâché ses cheveux. Je lui ai dit qu’elle était belle, elle a ri de plaisir. El domingo me costó mucho despertarme y fue necesario que María me llamara y me sacudiera. No habíamos comido porque queríamos bañarnos temprano. Me sentía completamente vacío y me dolía un poco la cabeza. El cigarrillo tenía gusto amargo. María se burló de mí porque decía que tenía «cara de entierro». Se había puesto un traje de tela blanca y se había soltado los cabellos. Le dije que estaba hermosa y rió de placer.
En descendant, nous avons frappé à la porte de Raymond. Il nous a répondu qu’il descendait. Dans la rue, à cause de ma fatigue et aussi parce que nous n’avions pas ouvert les persiennes, le jour, déjà tout plein de soleil, m’a frappé comme une gifle. Marie sautait de joie et n’arrêtait pas de dire qu’il faisait beau. Je me suis senti mieux et je me suis aperçu que j’avais faim. Je l’ai dit à Marie qui m’a montré son sac en toile cirée où elle avait mis nos deux maillots et une serviette. Je n’avais plus qu’à attendre et nous avons entendu Raymond fermer sa porte. Il avait un pantalon bleu et une chemise blanche à manches courtes. Mais il avait mis un canotier, ce qui a fait rire Marie, et ses avant-bras étaient très blancs sous les poils noirs. J’en étais un peu dégoûté. Il sifflait en descendant et il avait l’air très content. Il m’a dit : « Salut, vieux », et il a appelé Marie « Mademoiselle ». Al bajar golpeamos en la puerta de Raimundo. Nos respondió que bajaba. En la calle, por el cansancio y también porque no habíamos abierto las persianas, la claridad del día, lleno de sol, me golpeó como una bofetada. María saltaba de alegría y no se cansaba de decir que era un día magnífico. Me sentí mejor y me di cuenta de que tenía hambre. Se lo dije a María, quien me señaló el bolso de hule donde había puesto las dos mallas de baño y una toalla. Teníamos que esperar y oímos cómo Raimundo cerraba la puerta. Llevaba pantalones azules y camisa blanca de manga corta. Pero se había puesto sombrero de paja, lo que hizo reír a María, y sus antebrazos eran muy blancos debajo del vello oscuro. Yo estaba un poco repugnado. Silbaba al bajar y parecía muy contento. Me dijo: «Salud, viejo», y llamó «señorita» a María.
La veille nous étions allés au commissariat et j’avais témoigné que la fille avait « manqué » à Raymond. Il en a été quitte pour un avertissement. On n’a pas contrôlé mon affirmation. Devant la porte, nous en avons parlé avec Raymond, puis nous avons décidé de prendre l’autobus. La plage n’était pas très loin, mais nous irions plus vite ainsi. Raymond pensait que son ami serait content de nous voir arriver tôt. Nous allions partir quand Raymond, tout d’un coup, m’a fait signe de regarder en face. J’ai vu un groupe d’Arabes adossés à la devanture du bureau de tabac. Ils nous regardaient en silence, mais à leur manière, ni plus ni moins que si nous étions des pierres ou des arbres morts. Raymond m’a dit que le deuxième à partir de la gauche était son type, et il a eu l’air préoccupé. Il a ajouté que, pourtant, c’était maintenant une histoire finie. Marie ne comprenait pas très bien et nous a demandé ce qu’il y avait. Je lui ai dit que c’étaient des Arabes qui en voulaient à Raymond. Elle a voulu qu’on parte tout de suite. Raymond s’est redressé et il a ri en disant qu’il fallait se dépêcher. La víspera habíamos ido a la comisaría y yo había atestiguado que la muchacha había «engañado» a Raimundo. No le costó a éste más que una advertencia. No comprobaron mi afirmación. Delante de la puerta hablamos con Raimundo; luego resolvimos tomar el autobús. La playa no estaba muy lejos, pero así iríamos más rápidamente. Raimundo creía que su amigo se alegraría al vernos llegar temprano, íbamos a partir, cuando Raimundo, de golpe, me hizo una señal para que mirara enfrente. Vi un grupo de árabes pegados contra el escaparate de la tabaquería. Nos miraban en silencio, pero a su modo, ni más ni menos que si fuéramos piedras o árboles secos. Raimundo me dijo que el segundo a partir de la izquierda era el individuo y pareció preocupado. Sin embargo, agregó que la historia ya estaba concluida. María no comprendía muy bien y nos preguntó de qué se trataba. Le dije que eran unos árabes que odiaban a Raimundo. Quiso entonces que partiéramos en seguida. Raimundo se irguió, rió y dijo que era necesario apresurarse.
Nous sommes allés vers l’arrêt d’autobus qui était un peu plus loin et Raymond m’a annoncé que les Arabes ne nous suivaient pas. Je me suis retourné. Ils étaient toujours à la même place et ils regardaient avec la même indifférence l’endroit que nous venions de quitter. Nous avons pris l’autobus. Raymond, qui paraissait tout à fait soulagé, n’arrêtait pas de faire des plaisanteries pour Marie. J’ai senti qu’elle lui plaisait, mais elle ne lui répondait presque pas. De temps en temps, elle le regardait en riant. Nos dirigimos a la parada del autobús, que estaba un poco más lejos, y Raimundo me anunció que los árabes no nos seguían. Me volví. Estaban siempre en el mismo sitio y miraban con la misma indiferencia el lugar que acabábamos de dejar. Tomamos el autobús. Raimundo, que parecía completamente aliviado, no cesaba de hacerle bromas a María. Me di cuenta de que le gustaba, pero ella casi no le respondía. De vez en cuando me miraba riéndose.
Nous sommes descendus dans la banlieue d’Alger. La plage n’est pas loin de l’arrêt d’autobus. Mais il a fallu traverser un petit plateau qui domine la mer et qui dévale ensuite vers la plage. Il était couvert de pierres jaunâtres et d’asphodèles tout blancs sur le bleu déjà dur du ciel. Marie s’amusait à en éparpiller les pétales à grands coups de son sac de toile cirée. Nous avons marché entre des files de petites villas à barrières vertes ou blanches, quelques-unes enfouies avec leurs vérandas sous les tamaris, quelques autres nues au milieu des pierres. Avant d’arriver au bord du plateau, on pouvait voir déjà la mer immobile et plus loin un cap somnolent et massif dans l’eau claire. Un léger bruit de moteur est monté dans l’air calme jusqu’à nous. Et nous avons vu, très loin, un petit chalutier qui avançait, imperceptiblement, sur la mer éclatante. Marie a cueilli quelques iris de roche. De la pente qui descendait vers la mer nous avons vu qu’il y avait déjà quelques baigneurs. Bajamos a los arrabales de Argel. La playa no queda lejos de la parada del autobús, pero tuvimos que cruzar una pequeña meseta que domina el mar y que baja luego hacia la playa. Estaba cubierta de piedras amarillentas y de asfódelos blanquísimos que se destacaban en el azul, ya firme, del cielo. María se entretenía en deshojar las flores, golpeándolas con el bolso de hule. Caminamos entre filas de pequeñas casitas de cercos verdes o blancos, algunas hundidas con sus corredores bajo los tamarindos; otras, desnudas en medio de las piedras. Desde antes de llegar al borde de la meseta podía verse el mar inmóvil y, más lejos, un cabo soñoliento y macizo en el agua clara. Un ligero ruido de motor se elevó hasta nosotros en el aire calmo. Y vimos, muy lejos, un pequeño barco pescador que avanzaba imperceptiblemente por el mar deslumbrante. María recogió algunos lirios de roca. Desde la pendiente que bajaba hacia el mar vimos que había ya bañistas en la playa.
L’ami de Raymond habitait un petit cabanon de bois à l’extrémité de la plage. La maison était adossée à des rochers et les pilotis qui la soutenaient sur le devant baignaient déjà dans l’eau. Raymond nous a présentés. Son ami s’appelait Masson. C’était un grand type, massif de taille et d’épaules, avec une petite femme ronde et gentille, à l’accent parisien. Il nous a dit tout de suite de nous mettre à l’aise et qu’il y avait une friture de poissons qu’il avait pêchés le matin même. Je lui ai dit combien je trouvais sa maison jolie. Il m’a appris qu’il y venait passer le samedi, le dimanche et tous ses jours de congé. « Avec ma femme, on s’entend bien », a-t-il ajouté. Justement, sa femme riait avec Marie. Pour la première fois peut-être, j’ai pensé vraiment que j’allais me marier. El amigo de Raimundo vivía en una pequeña cabañuela de madera en el extremo de la playa. La casa estaba adosada a las rocas y el agua bañaba los pilares que la sostenían por el frente. Raimundo nos presentó. El amigo se llamaba Masson. Era un individuo grande, de cintura y espaldas macizas, con una mujercita regordeta y graciosa, de acento parisiense. Nos dijo en seguida que nos pusiésemos cómodos y que había peces fritos, que había pescado esa misma mañana. Le dije cuánto me gustaba su casa. Me informó que pasaba allí los sábados, los domingos y todos los días de asueto. «Me llevo muy bien con mi mujer», agregó. Precisamente, su mujer se reía con María. Por primera vez, quizá, pensé verdaderamente en que iba a casarme.
Masson voulait se baigner, mais sa femme et Raymond ne voulaient pas venir. Nous sommes descendus tous les trois et Marie s’est immédiatement jetée dans l’eau. Masson et moi, nous avons attendu un peu. Lui parlait lentement et j’ai remarqué qu’il avait l’habitude de compléter tout ce qu’il avançait par un « et je dirai plus », même quand, au fond, il n’ajoutait rien au sens de sa phrase. À propos de Marie, il m’a dit : « Elle est épatante, et je dirai plus, charmante. » Puis je n’ai plus fait attention à ce tic parce que j’étais occupé à éprouver que le soleil me faisait du bien. Le sable commençait à chauffer sous les pieds. J’ai retardé encore l’envie que j’avais de l’eau, mais j’ai fini par dire à Masson : « On y va ? » J’ai plongé. Lui est entré dans l’eau doucement et s’est jeté quand il a perdu pied. Il nageait à la brasse et assez mal, de sorte que je l’ai laissé pour rejoindre Marie. L’eau était froide et j’étais content de nager. Avec Marie, nous nous sommes éloignés et nous nous sentions d’accord dans nos gestes et dans notre contentement. Masson quería bañarse, pero su mujer y Raimundo no querían ir. Bajamos los tres y María se arrojó inmediatamente al agua. Masson y yo esperamos un poco. Hablaba lentamente y noté que tenía la costumbre de completar todo lo que decía con un «y diré más», incluso cuando, en el fondo, no agregaba nada al sentido de la frase. A propósito de María me dijo: «Es deslumbrante, y diré más, encantadora.» No presté más atención a ese tic porque estaba ocupado en gozar del bienestar que me producía el sol. La arena comenzaba a calentar bajo los pies. Contuve aún el deseo de entrar en el agua, pero concluí por decir a Masson: «¿Vamos?» Me zambullí. El entró en el agua lentamente y se sumergió cuando perdió pie. Nadaba bastante mal, de manera que le dejé para reunirme con María. El agua estaba fría y me gustaba nadar. Nos alejamos con María y nos sentimos unidos en nuestros movimientos y en nuestra satisfacción.
Au large, nous avons fait la planche et sur mon visage tourné vers le ciel le soleil écartait les derniers voiles d’eau qui me coulaient dans la bouche. Nous avons vu que Masson regagnait la plage pour s’étendre au soleil. De loin, il paraissait énorme. Marie a voulu que nous nagions ensemble. Je me suis mis derrière elle pour la prendre par la taille et elle avançait à la force des bras pendant que je l’aidais en battant des pieds. Le petit bruit de l’eau battue nous a suivis dans le matin jusqu’à ce que je me sente fatigué. Alors j’ai laissé Marie et je suis rentré en nageant régulièrement et en respirant bien. Sur la plage, je me suis étendu à plat ventre près de Masson et j’ai mis ma figure dans le sable. Je lui ai dit que « c’était bon » et il était de cet avis. Peu après, Marie est venue. Je me suis retourné pour la regarder avancer. Elle était toute visqueuse d’eau salée et elle tenait ses cheveux en arrière. Elle s’est allongée flanc à flanc avec moi et les deux chaleurs de son corps et du soleil m’ont un peu endormi. Hicimos la plancha mar adentro, y sobre mi rostro, vuelto hacia el cielo, el sol secaba los últimos velos de agua que me corrían hacia la boca. Vimos que Masson regresaba a la playa para tenderse al sol. De lejos parecía enorme. María quiso que nadáramos juntos. Me puse detrás para tomarla por la cintura. Ella avanzaba a brazadas y yo la ayudaba agitando los pies. El leve ruido del agua removida nos siguió durante la mañana hasta que me sentí fatigado. Entonces dejé a María y volví nadando regularmente y respirando con fuerza. En la playa me tendí boca abajo junto a Masson y apoyé la cara en la arena. Le dije: « ¡qué agradable! », y él pensaba lo mismo. Poco después vino María. Me volví para verla llegar. Estaba completamente viscosa con el agua salada, y sujetaba los cabellos hacia atrás. Se tendió lado a lado conmigo y los dos calores de su cuerpo y del sol me adormecieron un poco.
Marie m’a secoué et m’a dit que Masson était remonté chez lui, il fallait déjeuner. Je me suis levé tout de suite parce que j’avais faim, mais Marie m’a dit que je ne l’avais pas embrassée depuis ce matin. C’était vrai et pourtant j’en avais envie. « Viens dans l’eau », m’a-t-elle dit. Nous avons couru pour nous étaler dans les premières petites vagues. Nous avons fait quelques brasses et elle s’est collée contre moi. J’ai senti ses jambes autour des miennes et je l’ai désirée. María me sacudió y me dijo que Masson había regresado a la casa. Teníamos que almorzar. Me levanté en seguida porque tenía hambre, pero María me dijo que no la había besado desde la mañana. Era cierto y sin embargo habría querido hacerlo. «Ven al agua», me dijo. Corrimos para lanzarnos sobre las primeras olas. Dimos algunas brazadas y ella se pegó contra mí. Sentí sus piernas en torno de las mías y la deseé.
Quand nous sommes revenus, Masson nous appelait déjà. J’ai dit que j’avais très faim et il a déclaré tout de suite à sa femme que je lui plaisais. Le pain était bon, j’ai dévoré ma part de poisson. Il y avait ensuite de la viande et des pommes de terre frites. Nous mangions tous sans parler. Masson buvait souvent du vin et il me servait sans arrêt. Au café, j’avais la tête un peu lourde et j’ai fumé beaucoup. Masson, Raymond et moi, nous avons envisagé de passer ensemble le mois d’août à la plage, à frais communs. Marie nous a dit tout d’un coup : « Vous savez quelle heure il est ? Il est onze heures et demie. » Nous étions tous étonnés, mais Masson a dit qu’on avait mangé très tôt, et que c’était naturel parce que l’heure du déjeuner, c’était l’heure où l’on avait faim. Je ne sais pas pourquoi cela a fait rire Marie. Je crois qu’elle avait un peu trop bu. Masson m’a demandé alors si je voulais me promener sur la plage avec lui. « Ma femme fait toujours la sieste après le déjeuner. Moi, je n’aime pas ça. Il faut que je marche. Je lui dis toujours que c’est meilleur pour la santé. Mais après tout, c’est son droit. » Marie a déclaré qu’elle resterait pour aider Mme Masson à faire la vaisselle. La petite Parisienne a dit que pour cela, il fallait mettre les hommes dehors. Nous sommes descendus tous les trois. Cuando volvimos, Masson ya nos estaba llamando. Dije que tenía mucha hambre y Masson afirmó en seguida que yo le gustaba. El pan estaba sabroso. Devoré mi parte de pescado. Después había carne y papas fritas. Todos comimos sin hablar. Masson bebía mucho vino y me servía sin descanso. Cuando llegó el café tenía la cabeza un poco pesada, y luego fumé mucho. Masson, Raimundo y yo habíamos proyectado pasar juntos el mes de agosto en la playa, con gastos comunes. María nos dijo de golpe: «¿Saben qué hora es? Son las once y media.» Quedamos todos asombrados, pero Masson dijo que habíamos comido muy temprano y que era lógico, porque la hora del almuerzo es la hora en que se tiene hambre. No sé por qué aquello hizo reír a María. Creo que había bebido un poco de más. Masson me preguntó entonces si quería pasear con él por la playa. «Mi mujer siempre duerme la siesta después de almorzar. A mí no me gusta hacerlo. Tengo que caminar. Siempre le digo que es mejor para la salud. Pero, después de todo, tiene derecho a hacerlo.» María declaró que se quedaría para ayudar a la señora de Masson a lavar la vajilla. La pequeña parisiense dijo que para eso era necesario echar a los hombres. Bajamos los tres.
Le soleil tombait presque d’aplomb sur le sable et son éclat sur la mer était insoutenable. Il n’y avait plus personne sur la plage. Dans les cabanons qui bordaient le plateau et qui surplombaient la mer, on entendait des bruits d’assiettes et de couverts. On respirait à peine dans la chaleur de pierre qui montait du sol. Pour commencer, Raymond et Masson ont parlé de choses et de gens que je ne connaissais pas. J’ai compris qu’il y avait longtemps qu’ils se connaissaient et qu’ils avaient même vécu ensemble à un moment. Nous nous sommes dirigés vers l’eau et nous avons longé la mer. Quelquefois, une petite vague plus longue que l’autre venait mouiller nos souliers de toile. Je ne pensais à rien parce que j’étais à moitié endormi par ce soleil sur ma tête nue. El sol caía casi a plomo sobre la arena y el resplandor en el mar era insoportable. Ya no había nadie en la playa. En las cabañuelas que bordeaban la meseta, suspendidas sobre el mar, se oían ruidos de platos y de cubiertos. Se respiraba apenas en el calor de piedra que subía desde el suelo. Al principio Raimundo y Masson hablaron de cosas y personas que yo no conocía. Comprendí que hacía mucho que se conocían y que hasta habían vivido juntos en cierta época. Nos dirigimos hacia el agua y caminamos por la orilla del mar. De vez en cuando una pequeña ola más larga que otra venía a mojar nuestros zapatos de lona. Yo no pensaba en nada porque estaba medio amodorrado con tanto sol sobre la cabeza desnuda.
À ce moment, Raymond a dit à Masson quelque chose que j’ai mal entendu. Mais j’ai aperçu en même temps, tout au bout de la plage et très loin de nous, deux Arabes en bleu de chauffe qui venaient dans notre direction. J’ai regardé Raymond et il m’a dit : « C’est lui. » Nous avons continué à marcher. Masson a demandé comment ils avaient pu nous suivre jusque-là. J’ai pensé qu’ils avaient dû nous voir prendre l’autobus avec un sac de plage, mais je n’ai rien dit. De pronto, Raimundo dijo a Masson algo que no oí bien. Pero al mismo tiempo divisé en el extremo de la playa, y muy lejos de nosotros, a dos árabes de albornoz que venían en nuestra dirección. Miré a Raimundo y me dijo: «Es él.» Continuamos caminando. Masson preguntó cómo habrían podido seguirnos hasta allí. Pensé que debían de habernos visto tomar el autobús con el bolso de playa, pero no dije nada.
Les Arabes avançaient lentement et ils étaient déjà beaucoup plus rapprochés. Nous n’avons pas changé notre allure, mais Raymond a dit : « S’il y a de la bagarre, toi, Masson, tu prendras le deuxième. Moi, je me charge de mon type. Toi, Meursault, s’il en arrive un autre, il est pour toi. » J’ai dit : « Oui » et Masson a mis ses mains dans les poches. Le sable surchauffé me semblait rouge maintenant. Nous avancions d’un pas égal vers les Arabes. La distance entre nous a diminué régulièrement. Quand nous avons été à quelques pas les uns des autres, les Arabes se sont arrêtés. Masson et moi nous avons ralenti notre pas. Raymond est allé tout droit vers son type. J’ai mal entendu ce qu’à lui a dit, mais l’autre a fait mine de lui donner un coup de tête. Raymond a frappé alors une première fois et il a tout de suite appelé Masson. Masson est allé à celui qu’on lui avait désigné et il a frappé deux fois avec tout son poids. L’Arabe s’est aplati dans l’eau, la face contre le fond, et il est resté quelques secondes ainsi, des bulles crevant à la surface, autour de sa tête. Pendant ce temps Raymond aussi a frappé et l’autre avait la figure en sang. Raymond s’est retourné vers moi et a dit : « Tu vas voir ce qu’il va prendre. » Je lui ai crié : « Attention, il a un couteau ! » Mais déjà Raymond avait le bras ouvert et la bouche tailladée. Los árabes avanzaban lentamente y estaban ya mucho más próximos. Nosotros no habíamos cambiado nuestro paso, pero Raimundo dijo: «Si hay gresca, tú, Masson, tomas al segundo. Yo me encargo de mi individuo. Tú, Meursault, si llega otro, es para ti.» Dije: «Sí», y Masson metió las manos en los bolsillos. La arena recalentada me parecía roja ahora. Avanzábamos con paso parejo hacia los árabes. La distancia entre nosotros disminuyó regularmente. Cuando estuvimos a algunos pasos unos de otros, los árabes se detuvieron. Masson y yo habíamos disminuido el paso. Raimundo fue directamente hacia el individuo. No pude oír bien lo que le dijo, pero el otro hizo ademán de darle un cabezazo. Raimundo golpeó entonces por primera vez y llamó en seguida a Masson. Masson fue hacia aquel que se le había designado y golpeó dos veces con todas sus fuerzas. El otro se desplomó en el agua con la cara hacia el fondo y quedó algunos segundos así mientras las burbujas rompían en la superficie en tomo de su cabeza. Raimundo había golpeado también al mismo tiempo y el otro tenía el rostro ensangrentado. Raimundo se volvió hacia mí y dijo: «Vas a ver lo que va a cobrar.» Le grité: «¡Cuidado! ¡Tiene cuchillo!.» Pero Raimundo tenía ya el brazo abierto y la boca tajeada.
Masson a fait un bond en avant. Mais l’autre Arabe s’était relevé et il s’est placé derrière celui qui était armé. Nous n’avons pas osé bouger. Ils ont reculé lentement, sans cesser de nous regarder et de nous tenir en respect avec le couteau. Quand ils ont vu qu’ils avaient assez de champ, ils se sont enfuis très vite, pendant que nous restions cloués sous le soleil et que Raymond tenait serré son bras dégouttant de sang. Masson dio un salto hacia adelante. Pero el otro árabe se había levantado y se había colocado detrás del que estaba armado. No nos atrevimos a movernos. Retrocedimos lentamente sin dejar de mirarnos y de tenernos a raya con el cuchillo. Cuando vieron que tenían bastante campo huyeron rápidamente mientras nosotros quedamos clavados bajo el sol y Raimundo se apretaba el brazo, que goteaba sangre.
Masson a dit immédiatement qu’il y avait un docteur qui passait ses dimanches sur le plateau. Raymond a voulu y aller tout de suite. Mais chaque fois qu’il parlait, le sang de sa blessure faisait des bulles dans sa bouche. Nous l’avons soutenu et nous sommes revenus au cabanon aussi vite que possible. Là, Raymond a dit que ses blessures étaient superficielles et qu’il pouvait aller chez le docteur. Il est parti avec Masson et je suis resté pour expliquer aux femmes ce qui était arrivé. Mme Masson pleurait et Marie était très pâle. Moi, cela m’ennuyait de leur expliquer. J’ai fini par me taire et j’ai fumé en regardant la mer. Masson dijo inmediatamente que había un médico que pasaba los domingos en la meseta. Raimundo quiso ir en seguida. Pero cada vez que hablaba, la sangre de la herida le formaba burbujas en la boca. Le sostuvimos y regresamos a la cabañuela lo más pronto posible. Allí Raimundo dijo que las heridas eran superficiales y que podía ir hasta la casa del médico. Se marchó con Masson y me quedé para explicar a las mujeres lo que había ocurrido. La señora de Masson lloraba y María estaba muy pálida. A mí me molestaba darles explicaciones. Acabé por callarme y fumé mirando el mar.
Vers une heure et demie, Raymond est revenu avec Masson. Il avait le bras bandé et du sparadrap au coin de la bouche. Le docteur lui avait dit que ce n’était rien, mais Raymond avait l’air très sombre. Masson a essayé de le faire rire. Mais il ne parlait toujours pas. Quand il a dit qu’il descendait sur la plage, je lui ai demandé où il allait. Il m’a répondu qu’il voulait prendre l’air. Masson et moi avons dit que nous allions l’accompagner. Alors, il s’est mis en colère et nous a insultés. Masson a déclaré qu’il ne fallait pas le contrarier. Moi, je l’ai suivi quand même. Hacia la una y media Raimundo regresó con Masson. Tenía el brazo vendado y un esparadrapo en el rincón de la boca. El médico le había dicho que no era nada, pero Raimundo tenía aspecto muy sombrío. Masson trató de hacerle reír. Pero no hablaba más. Cuando dijo que bajaba a la playa le pregunté a dónde iba. Me respondió que quería tomar aire. Masson y yo dijimos que íbamos a acompañarle. Entonces montó en cólera y nos insultó. Masson declaró que no había que contrariarle. Pero, de todos modos, le seguí.
Nous avons marché longtemps sur la plage. Le soleil était maintenant écrasant. Il se brisait en morceaux sur le sable et sur la mer. J’ai eu l’impression que Raymond savait où il allait, mais c’était sans doute faux. Tout au bout de la plage, nous sommes arrivés enfin à une petite source qui coulait dans le sable, derrière un gros rocher. Là, nous avons trouvé nos deux Arabes. Ils étaient couchés, dans leurs bleus de chauffe graisseux. Ils avaient l’air tout à fait calmes et presque contents. Notre venue n’a rien changé. Celui qui avait frappé Raymond le regardait sans rien dire. L’autre soufflait dans un petit roseau et répétait sans cesse, en nous regardant du coin de l’œil, les trois notes qu’il obtenait de son instrument. Caminamos mucho tiempo por la playa. El sol estaba ahora abrasador. Se rompía en pedazos sobre la arena y sobre el mar. Tuve la impresión de que Raimundo sabía a dónde iba, pero sin duda era una falsa impresión. En el extremo de la playa llegamos al fin a un pequeño manantial que corría por la arena hacia el mar detrás de una gran roca. Allí encontramos a los dos árabes. Estaban acostados con los grasientos albornoces. Parecían enteramente tranquilos y casi apaciguados. Nuestra llegada no cambió nada. El que había herido a Raimundo le miraba sin decir nada. El otro soplaba una cañita y, mirándonos de reojo, repetía sin cesar las tres notas que sacaba del instrumento.
Pendant tout ce temps, il n’y a plus eu que le soleil et ce silence, avec le petit bruit de la source et les trois notes. Puis Raymond a porté la main à sa poche revolver, mais l’autre n’a pas bougé et ils se regardaient toujours. J’ai remarqué que celui qui jouait de la flûte avait les doigts des pieds très écartés. Mais sans quitter des yeux son adversaire, Raymond m’a demandé : « Je le descends ? » J’ai pensé que si je disais non il s’exciterait tout seul et tirerait certainement. Je lui ai seulement dit : « Il ne t’a pas encore parlé. Ça ferait vilain de tirer comme ça. » On a encore entendu le petit bruit d’eau et de flûte au cœur du silence et de la chaleur. Puis Raymond a dit : « Alors, je vais l’insulter et quand il répondra, je le descendrai. » J’ai répondu : « C’est ça. Mais s’il ne sort pas son couteau, tu ne peux pas tirer. » Raymond a commencé à s’exciter un peu. L’autre jouait toujours et tous deux observaient chaque geste de Raymond. « Non, ai-je dit à Raymond. Prends-le d’homme à homme et donne-moi ton revolver. Si l’autre intervient, ou s’il tire son couteau, je le descendrai. » Durante todo este tiempo no hubo otra cosa más que el sol y el silencio con el leve ruido del manantial y las tres notas. Luego Raimundo echó mano al revólver de bolsillo, pero el otro no se movió y continuaron mirándose. Noté que el que tocaba la flauta tenía los dedos de los pies muy separados. Sin quitar los ojos de su adversario, Raimundo me preguntó: «¿Lo tumbo?» Pensé que si le decía que no, se excitaría y seguramente tiraría. Me limité a decirle: «Todavía no te ha hablado. Sería feo tirar así.» En medio del silencio y del calor se oyó aún el leve ruido del agua y de la flauta. Luego Raimundo dijo: «Entonces voy a insultarlo, y cuando conteste, lo tumbaré.» Le respondí: «Así es. Pero si no saca el cuchillo no puedes tirar.» Raimundo comenzó a excitarse un poco. El otro tocaba siempre y los dos observaban cada movimiento de Raimundo. «No», dije a Raimundo. «Tómalo de hombre a hombre y dame el revólver. Si el otro interviene, o saca el cuchillo, yo lo tumbaré.»
Quand Raymond m’a donné son revolver, le soleil a glissé dessus. Pourtant, nous sommes restés encore immobiles comme si tout s’était refermé autour de nous. Nous nous regardions sans baisser les yeux et tout s’arrêtait ici entre la mer, le sable et le soleil, le double silence de la flûte et de l’eau. J’ai pensé à ce moment qu’on pouvait tirer ou ne pas tirer. Mais brusquement, les Arabes, à reculons, se sont coulés derrière le rocher. Raymond et moi sommes alors revenus sur nos pas. Lui paraissait mieux et il a parlé de l’autobus du retour. Cuando Raimundo me dio el revólver el sol resbaló encima. Sin embargo, quedamos aún inmóviles como si todo se hubiera vuelto a cerrar en torno de nosotros. Nos mirábamos sin bajar los ojos y todo se detenía aquí entre el mar, la arena y el sol, el doble silencio de la flauta y del agua. Pensé en ese momento que se podía tirar o no tirar y que lo mismo daba. Pero bruscamente los árabes se deslizaron retrocediendo y desaparecieron detrás de la roca. Raimundo y yo volvimos entonces sobre nuestros pasos. Parecía mejor y habló del autobús de regreso.
Je l’ai accompagné jusqu’au cabanon et, pendant qu’il gravissait l’escalier de bois, je suis resté devant la première marche, la tête retentissante de soleil, découragé devant l’effort qu’il fallait faire pour monter l’étage de bois et aborder encore les femmes. Mais la chaleur était telle qu’il m’était pénible aussi de rester immobile sous la pluie aveuglante qui tombait du ciel. Rester ici ou partir, cela revenait au même. Au bout d’un moment, je suis retourné vers la plage et je me suis mis à marcher. Le acompañé hasta la cabañuela, y mientras trepaba por la escalera de madera quedé delante del primer peldaño, con la cabeza resonante de sol, desanimado ante el esfuerzo que era necesario hacer para subir al piso de madera y hablar otra vez con las mujeres. Pero el calor era tal que me resultaba penoso también permanecer inmóvil bajo la enceguecedora lluvia que caía del cielo. Quedar aquí o partir, lo mismo daba. Al cabo de un momento volví hacia la playa y me puse a caminar.
C’était le même éclatement rouge. Sur le sable, la mer haletait de toute la respiration rapide et étouffée de ses petites vagues. Je marchais lentement vers les rochers et je sentais mon front se gonfler sous le soleil. Toute cette chaleur s’appuyait sur moi et s’opposait à mon avance. Et chaque fois que je sentais son grand souffle chaud sur mon visage, je serrais les dents, je fermais les poings dans les poches de mon pantalon, je me tendais tout entier pour triompher du soleil et de cette ivresse opaque qu’il me déversait. À chaque épée de lumière jaillie du sable, d’un coquillage blanchi ou d’un débris de verre, mes mâchoires se crispaient. J’ai marché longtemps. Persistía el mismo resplandor rojo. Sobre la arena el mar jadeaba con la respiración rápida y ahogada de las olas pequeñas. Caminaba lentamente hacia las rocas y sentía que la frente se me hinchaba bajo el sol. Todo aquel calor pesaba sobre mí y se oponía a mi avance. Y cada vez que sentía el poderoso soplo cálido sobre el rostro, apretaba los dientes, cerraba los puños en los bolsillos del pantalón, me ponía tenso todo entero para vencer al sol y a la opaca embriaguez que se derramaba sobre mí. Las mandíbulas se me crispaban ante cada espada de luz surgida de la arena, de la conchilla blanqueada o de un fragmento de vidrio. Caminé largo tiempo.
Je voyais de loin la petite masse sombre du rocher entourée d’un halo aveuglant par la lumière et la poussière de mer. Je pensais à la source fraîche derrière le rocher. J’avais envie de retrouver le murmure de son eau, envie de fuir le soleil, l’effort et les pleurs de femme, envie enfin de retrouver l’ombre et son repos. Mais quand j’ai été plus près, j’ai vu que le type de Raymond était revenu. Veía desde lejos la pequeña masa oscura de la roca rodeada de un halo deslumbrante por la luz y el polvo del mar. Pensaba en el fresco manantial que nacía detrás de la roca. Tenía deseos de oír de nuevo el murmullo del agua, deseos de huir del sol, del esfuerzo y de los llantos de mujer, deseos, en fin, de alcanzar la sombra y su reposo. Pero cuando estuve más cerca vi que el individuo de Raimundo había vuelto.
Il était seul. Il reposait sur le dos, les mains sous la nuque, le front dans les ombres du rocher, tout le corps au soleil. Son bleu de chauffe fumait dans la chaleur. J’ai été un peu surpris. Pour moi, c’était une histoire finie et j’étais venu là sans y penser. Estaba solo. Reposaba sobre la espalda, con las manos bajo la nuca, la frente en la sombra de la roca, todo el cuerpo al sol. El albornoz humeaba en el calor. Quedé un poco sorprendido. Para mí era un asunto concluido y había llegado allí sin pensarlo.
Dès qu’il m’a vu, il s’est soulevé un peu et a mis la main dans sa poche. Moi, naturellement, j’ai serré le revolver de Raymond dans mon veston. Alors de nouveau, il s’est laissé aller en arrière, mais sans retirer la main de sa poche. J’étais assez loin de lui, à une dizaine de mètres. Je devinais son regard par instants, entre ses paupières mi-closes. Mais le plus souvent, son image dansait devant mes yeux, dans l’air enflammé. Le bruit des vagues était encore plus paresseux, plus étalé qu’à midi. C’était le même soleil, la même lumière sur le même sable qui se prolongeait ici. Il y avait déjà deux heures que la journée n’avançait plus, deux heures qu’elle avait jeté l’ancre dans un océan de métal bouillant. À l’horizon, un petit vapeur est passé et j’en ai deviné la tache noire au bord de mon regard, parce que je n’avais pas cessé de regarder l’Arabe. No bien me vio, se incorporó un poco y puso la mano en el bolsillo. Yo, naturalmente empuñé el revólver de Raimundo en mi chaqueta. Entonces se dejó caer de nuevo hacia atrás, pero sin retirar la mano del bolsillo. Estaba bastante lejos de él, a una decena de metros. Adivinaba su mirada por instantes entre los párpados entornados. Pero más a menudo su imagen danzaba delante de mis ojos en el aire inflamado. El ruido de las olas parecía aun más perezoso, más inmóvil que a mediodía. Era el mismo sol, la misma luz sobre la misma arena que se prolongaba aquí. Hacía ya dos horas que el día no avanzaba, dos horas que había echado el ancla en un océano de metal hirviente. En el horizonte pasó un pequeño navío y hube de adivinar de reojo la mancha oscura porque no había cesado de mirar al árabe.
J’ai pensé que je n’avais qu’un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J’ai fait quelques pas vers la source. L’Arabe n’a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire. J’ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils. C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, la glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur. Pensé que me bastaba dar media vuelta y todo quedaría concluido. Pero toda una playa vibrante de sol apretábase detrás de mí. Di algunos pasos hacia el manantial. El árabe no se movió. A pesar de todo, estaba todavía bastante lejos. Parecía reírse, quizá por el efecto de las sombras sobre el rostro. Esperé. El ardor del sol me llegaba hasta las mejillas y sentí las gotas de sudor amontonárseme en las cejas. Era el mismo sol del día en que había enterrado a mamá y, como entonces, sobre todo me dolían la frente y todas las venas juntas bajo la piel. Impelido por este ardor que no podía soportar más, hice un movimiento hacia adelante. Sabía que era estúpido, que no iba a librarme del sol desplazándome un paso. Pero di un paso, un solo paso hacia adelante. Y esta vez, sin levantarse, el árabe sacó el cuchillo y me lo mostró bajo el sol. La luz se inyectó en el acero y era como una larga hoja centelleante que me alcanzara en la frente. En el mismo instante el sudor amontonado en las cejas corrió de golpe sobre mis párpados y los recubrió con un velo tibio y espeso. Tenía los ojos ciegos detrás de esta cortina de lágrimas y de sal. No sentía más que los címbalos del sol sobre la frente e, indiscutiblemente, la refulgente lámina surgida del cuchillo, siempre delante de mí. La espada ardiente me roía las cejas y me penetraba en los ojos doloridos. Entonces todo vaciló. El mar cargó un soplo espeso y ardiente. Me pareció que el cielo se abría en toda su extensión para dejar que lloviera fuego. Todo mi ser se distendió y crispé la mano sobre el revólver. El gatillo cedió, toqué el vientre pulido de la culata y allí, con el ruido seco y ensordecedor, todo comenzó. Sacudí el sudor y el sol. Comprendí que había destruido el equilibrio del día, el silencio excepcional de una playa en la que había sido feliz. Entonces, tiré aún cuatro veces sobre un cuerpo inerte en el que las balas se hundían sin que se notara. Y era como cuatro breves golpes que- daba en la puerta de la desgracia.






II - I

II - I

Tout de suite après mon arrestation, j’ai été interrogé plusieurs fois. Mais il s’agissait d’interrogatoires d’identité qui n’ont pas duré longtemps. La première fois au commissariat, mon affaire semblait n’intéresser personne. Huit jours après, le juge d’instruction, au contraire, m’a regardé avec curiosité. Mais pour commencer, il m’a seulement demandé mon nom et mon adresse, ma profession, la date et le lieu de ma naissance. Puis il a voulu savoir si j’avais choisi un avocat. J’ai reconnu que non et je l’ai questionné pour savoir s’il était absolument nécessaire d’en avoir un. « Pourquoi ? » a-t-il dit. J’ai répondu que je trouvais mon affaire très simple. Il a souri en disant : « C’est un avis. Pourtant, la loi est là. Si vous ne choisissez pas d’avocat, nous en désignerons un d’office. »J’ai trouvé qu’il était très commode que la justice se chargeât de ces détails. Je le lui ai dit. Il m’a approuvé et a conclu que la loi était bien faite. Inmediatamente después de mi arresto fui interrogado varias veces. Pero se trataba de interrogatorios de identificación que no duraron largo tiempo. La primera vez el asunto pareció no interesar a nadie en la comisaría. Por el contrario, ocho días después el juez de instrucción me miró con curiosidad. Pero me preguntó, para empezar, solamente mi nombre y dirección, mi profesión, la fecha y el lugar de nacimiento. Luego quiso saber si había elegido abogado. Reconocí que no, y simplemente por saber, le pregunté si era absolutamente necesario tener uno. «¿Por qué?» dijo. Le contesté que encontraba el asunto muy simple. Sonrió y dijo: «Es una opinión. Sin embargo, ahí está la ley. Si no elige usted abogado nosotros designaremos uno de oficio.» Me pareció muy cómodo que la justicia se encargara de esos detalles. Se lo dije. Estuvo de acuerdo y llegó a la conclusión de que la ley estaba bien hecha.
Au début, je ne l’ai pas pris au sérieux. Il m’a reçu dans une pièce tendue de rideaux, il avait sur son bureau une seule lampe qui éclairait le fauteuil où il m’a fait asseoir pendant que lui-même restait dans l’ombre. J’avais déjà lu une description semblable dans des livres et tout cela m’a paru un jeu. Après notre conversation, au contraire, je l’ai regardé et j’ai vu un homme aux traits fins, aux yeux bleus enfoncés, grand, avec une longue moustache grise et d’abondants cheveux presque blancs. Il m’a paru très raisonnable et, somme toute, sympathique, malgré quelques tics nerveux qui lui tiraient la bouche. En sortant, j’allais même lui tendre la main, mais je me suis souvenu à temps que j’avais tué un homme. Al principio no le tomé en serio. Me recibió en una habitación cubierta de cortinajes; sobre el escritorio había una sola lámpara que iluminaba el sillón donde me hizo sentar mientras él quedaba en la oscuridad. Había leído una descripción semejante en los libros y todo me pareció un juego. Después de nuestra conversación, por el contrario, le miré y vi un hombre de rasgos finos, ojos azules hundidos, muy alto, con largos bigotes grises y abundantes cabellos casi blancos. Me pareció muy razonable y simpático en resumen, a pesar de algunos tics nerviosos que le estiraban la boca. Cuando salí, hasta iba a tenderle la mano, pero recordé a tiempo que había matado a un hombre.
Le lendemain, un avocat est venu me voir à la prison. Il était petit et rond, assez jeune, les cheveux soigneusement collés. Malgré la chaleur (j’étais en manches de chemise), il avait un costume sombre, un col cassé et une cravate bizarre à grosses raies noires et blanches. Il a posé sur mon lit la serviette qu’il portait sous le bras, s’est présenté et m’a dit qu’il avait étudié mon dossier. Mon affaire était délicate, mais il ne doutait pas du succès, si je lui faisais confiance. Je l’ai remercié et il m’a dit : « Entrons dans le vif du sujet. » Al día siguiente un abogado vino a verme a la prisión. Era bajito y grueso, bastante joven, con los cabellos cuidadosamente alisados. A pesar del calor (yo estaba en mangas de camisa) llevaba traje oscuro, cuello palomita y una extraña corbata de gruesas rayas blancas y negras. Puso sobre la cama la cartera que llevaba bajo el brazo, se presentó y me dijo que había estudiado el expediente. El asunto era delicado, pero no dudaba del éxito si le tenía confianza. Le agradecí y me dijo: «Vamos al grano.»
Il s’est assis sur le lit et m’a expliqué qu’on avait pris des renseignements sur ma vie privée. On avait su que ma mère était morte récemment à l’asile. On avait alors fait une enquête à Marengo. Les instructeurs avaient appris que « j’avais fait preuve d’insensibilité » le jour de l’enterrement de maman. « Vous comprenez, m’a dit mon avocat, cela me gêne un peu de vous demander cela. Mais c’est très important. Et ce sera un gros argument pour l’accusation, si je ne trouve rien à répondre. » Il voulait que je l’aide. il m’a demandé si j’avais eu de la peine ce jour-là. Cette question m’a beaucoup étonné et il me semblait que j’aurais été très gêne si j’avais eu à la poser. J’ai répondu cependant que j’avais un peu perdu l’habitude de m’interroger et qu’il m’était difficile de le renseigner. Sans doute, j’aimais bien maman, mais cela ne voulait rien dire. Tous les êtres sains avaient plus ou moins souhaité la mort de ceux qu’ils aimaient. Ici, l’avocat m’a coupé et a paru très agité. Il m’a fait promettre de ne pas dire cela à l’audience, ni chez le magistrat instructeur. Cependant, je lui ai expliqué que j’avais une nature telle que mes besoins physiques dérangeaient souvent mes sentiments. Le jour où j’avais enterré maman, j’étais très fatigué et j’avais sommeil. De sorte que je ne me suis pas rendu compte de ce qui se passait. Ce que je pouvais dire à coup sur, c’est que j’aurais préféré que maman ne mourût pas. Mais mon avocat n’avait pas l’air content. Il m’a dit : « Ceci n’est pas assez. » Se sentó en la cama y me explicó que habían tomado informes sobre mi vida privada. Se había sabido que mi madre había muerto recientemente en el asilo. Se había hecho entonces una investigación en Marengo. Los instructores se habían enterado de que «yo había dado pruebas de insensibilidad» el día del entierro de mamá. «Usted comprenderá», me dijo el abogado, «me molesta un poco tener que preguntarle esto. Pero es muy importante. Si no encuentro alguna propuesta será un sólido argumento para la acusación». Quería que le ayudara. Me preguntó si había sentido pena aquel día. Esta pregunta me sorprendió mucho y me parecía que me habría sentido muy molesto si yo hubiera tenido que formularla. Sin embargo, respondí que había perdido un poco la costumbre de interrogarme y que me era difícil informarle. Sin duda quería mucho a mamá, pero eso no quería decir nada. Todos los seres normales habían deseado más o menos la muerte de aquellos a quienes amaban. Aquí el abogado me interrumpió y pareció muy agitado. Me hizo prometer que no diría tal cosa en la audiencia ni ante el juez instructor. Le expliqué que tenía una naturaleza tal que las necesidades físicas alteraban a menudo mis sentimientos. El día del entierro de mamá estaba muy cansado y tenía sueño, de manera que no me di cuenta de lo que pasaba. Lo que podía afirmar con seguridad es que hubiera preferido que mamá no hubiese muerto. Pero el abogado no pareció conforme. Me dijo: «Eso no es bastante.»
Il a réfléchi. Il m’a demandé s’il pouvait dire que ce jour-là j’avais dominé mes sentiments naturels. Je lui ai dit : « Non, parce que c’est faux. » Il m’a regardé d’une façon bizarre, comme si je lui inspirais un peu de dégoût. Il m’a dit presque méchamment que dans tous les cas le directeur et le personnel de l’asile seraient entendus comme témoins et que « cela pouvait me jouer un très sale tour ». Je lui ai fait remarquer que cette histoire n’avait pas de rapport avec mon affaire, mais il m’a répondu seulement qu’il était visible que je n’avais jamais eu de rapports avec la justice. Reflexionó. Me preguntó si podía decir que aquel día había dominado mis sentimientos naturales. Le dije: «No, porque es falso.» Me miró en forma extraña como si le inspirase un poco de repugnancia. Me dijo casi malignamente que en cualquier caso el director y el personal del asilo serían oídos como testigos y que «podía resultarme una muy mala jugada». Le hice notar que esa historia no tenía relación con mi asunto, pero se limitó a responderme que era evidente que nunca había estado en relaciones con la justicia.
Il est parti avec un air fâché. J’aurais voulu le retenir, lui expliquer que je désirais sa sympathie, non pour être mieux défendu, mais, si je puis dire, naturellement. Surtout, je voyais que je le mettais mal à l’aise. Il ne me comprenait pas et il m’en voulait un peu. J’avais le désir de lui affirmer que j’étais comme tout le monde, absolument comme tout le monde. Mais tout cela, au fond, n’avait pas grande utilité et j’y ai renoncé par paresse. Se fue con aire enfadado. Hubiese querido retenerle; explicarle que deseaba su simpatía, no para ser defendido mejor, sino, si puedo decirlo, naturalmente. Me daba cuenta sobre todo de que lo ponía en una situación incómoda. No me comprendía y estaba un poco resentido conmigo. Sentía deseos de asegurarle que yo era como todo el mundo, absolutamente como todo el mundo. Pero todo esto en el fondo no tenía gran utilidad y renuncié por pereza.
Peu de temps après, j’étais conduit de nouveau devant le juge d’instruction. Il était deux heures de l’après-midi et cette fois, son bureau était plein d’une lumière à peine tamisée par un rideau de voile. Il faisait très chaud. Il m’a fait asseoir et avec beaucoup de courtoisie m’a déclaré que mon avocat, « par suite d’un contretemps », n’avait pu venir. Mais j’avais le droit de ne pas répondre à ses questions et d’attendre que mon avocat pût m’assister. J’ai dit que je pouvais répondre seul. Il a touché du doigt un bouton sur la table. Un jeune greffier est venu s’installer presque dans mon dos. Poco después me condujeron nuevamente ante el juez de instrucción. Eran las dos de la tarde, y esta vez el escritorio estaba lleno de luz apenas tamizada por una cortina de gasa. Hacía mucho calor. Me hizo sentar y con suma cortesía me declaró que por «un contratiempo» mi abogado no había podido venir. Pero tenía derecho de no contestar a sus preguntas y de esperar a que el abogado pudiese asistirme. Dije que podía contestárselo. Apretó con el dedo un botón sobre la mesa. Un joven escribiente vino a colocarse casi a mis espaldas.
Nous nous sommes tous les deux carrés dans nos fauteuils. L’interrogatoire a commencé. Il m’a d’abord dit qu’on me dépeignait comme étant d’un caractère taciturne et renfermé et il a voulu savoir ce que j’en pensais. J’ai répondu : « C’est que je n’ai jamais grand-chose à dire. Alors je me tais. » Il a souri comme la première fois, a reconnu que c’était la meilleure des raisons et a ajouté : « D’ailleurs, cela n’a aucune importance. » Il s’est tu, m’a regardé et s’est redressé assez brusquement pour me dire très vite : « Ce qui m’intéresse, c’est vous. » Je n’ai pas bien compris ce qu’il entendait par là et je n’ai rien répondu. « Il y a des choses, a-t-il ajouté, qui m’échappent dans votre geste. Je suis sûr que vous allez m’aider à les comprendre. » J’ai dit que tout était très simple. Il m’a pressé de lui retracer ma journée. Je lui ai retracé ce que déjà je lui avais raconté : Raymond, la plage, le bain, la querelle, encore la plage, la petite source, le soleil et les cinq coups de revolver. À chaque phrase il disait : « Bien, bien. » Quand je suis arrivé au corps étendu, il a approuvé en disant: « Bon. » Moi, j’étais lasse de répéter ainsi la même histoire et il me semblait que je n’avais jamais autant parlé. Nos acomodamos ambos en los sillones. Comenzó el interrogatorio. Me dijo en primer término que se me describía como un carácter taciturno y reservado y quiso saber cuál era mi opinión. Respondí: «Nunca tengo gran cosa que decir. Por eso me callo.» Sonrió como la primera vez; estuvo de acuerdo en que era la mejor de las razones, y agregó: «Por otra parte, esto no tiene importancia alguna.» Se calló, me miró y se irguió bruscamente, diciéndome con rapidez: «Quien me interesa es usted.» No comprendí bien qué quería decir con eso y no contesté nada. «Hay cosas», agregó, «que no entiendo en su acto. Estoy seguro de que usted me ayudará a comprenderlas.» Dije que todo era muy simple. Me apremió para que describiese el día. Le relaté lo que ya le había contado, resumido para él: Raimundo, la playa, el baño, la reyerta, otra vez la playa, el pequeño manantial, el sol y los cinco disparos de revólver. A cada frase decía: «Bien, bien.» Cuando llegué al cuerpo tendido, aprobó diciendo: «Bueno.» Me sentía cansado de tener que repetir la misma historia y me parecía que nunca había hablado tanto.
Après un silence, il s’est levé et m’a dit qu’il voulait m’aider, que je l’intéressais et qu’avec l’aide de Dieu, il ferait quelque chose pour moi. Mais auparavant, il voulait me poser encore quelques questions. Sans transition, il m’a demandé si j’aimais maman. J’ai dit : « Oui, comme tout le monde » et le greffier, qui jusqu’ici tapait régulièrement sur sa machine, a dû se tromper de touches, car il s’est embarrassé et a été obligé de revenir en arrière. Toujours sans logique apparente, le juge m’a alors demandé si j’avais tiré les cinq coups de revolver à la suite. J’ai réfléchi et précisé que j’avais tiré une seule fois d’abord et, après quelques secondes, les quatre autres coups. « Pourquoi avez-vous attendu entre le premier et le second coup ? » dit-il alors. Une fois de plus, j’ai revu la plage rouge et j’ai senti sur mon front la brûlure du soleil. Mais cette fois, je n’ai rien répondu. Pendant tout le silence qui a suivi le juge a eu l’air de s’agiter. Il s’est assis, a fourragé dans ses cheveux, a mis ses coudes sur son bureau et s’est penché un peu vers moi avec un air étrange : « Pourquoi, pourquoi avez-vous tiré sur un corps à terre ? » Là encore, je n’ai pas su répondre. Le juge a passé ses mains sur son front et a répété sa question d’une voix un peu altérée : « Pourquoi ? Il faut que vous me le disiez. Pourquoi » Je me taisais toujours. Después de un silencio se levantó y me dijo que quería ayudarme, que yo le interesaba, y que, con la ayuda de Dios, haría algo por mí. Pero antes quería hacerme aún algunas preguntas. Sin transición me preguntó si quería a mamá. Dije: «Sí, como todo el mundo» y el escribiente, que hasta aquí escribía con regularidad en la máquina, debió de equivocarse de tecla, pues quedó confundido y tuvo que volver atrás. Siempre sin lógica aparente, el juez me preguntó entonces si había disparado los cinco tiros de revólver uno tras otro. Reflexioné y precisé que había disparado primero una sola vez y, después de algunos segundos, los otros cuatro disparos. «¿Por qué esperó usted entre el primero y el segundo disparo?», dijo entonces. De nuevo revivió en mí la playa roja y sentí en la frente el ardor del sol. Pero esta vez no contesté nada. Durante todo el silencio que siguió, el juez pareció agitarse. Se sentó, se revolvió el pelo con las manos, apoyó los codos en el escritorio, y con extraña expresión se inclinó hacia mí: «¿Por qué, por qué disparó usted contra un cuerpo caído?» Tampoco a esto supe responder. El juez se pasó las manos por la frente y repitió la pregunta con voz un poco alterada: «¿Por qué? Es preciso que usted me lo diga. ¿Por qué?» Yo seguía callado.
Brusquement, il s’est levé, a marché à grands pas vers une extrémité de son bureau et a ouvert un tiroir dans un classeur. Il en a tiré un crucifix d’argent qu’il a brandi en revenant vers moi. Et d’une voix toute changée, presque tremblante, il s’est écrié : « Est-ce que vous le connaissez, celui-là ? » J’ai dit : « Oui, naturellement. » Alors il m’a dit très vite et d’une façon passionnée que lui croyait en Dieu, que sa conviction était qu’aucun homme n’était assez coupable pour que Dieu ne lui pardonnât pas, mais qu’il fallait pour cela que l’homme par son repentir devînt comme un enfant dont l’âme est vide et prête à tout accueillir. Il avait tout son corps penché sur la table. Il agitait son crucifix presque au-dessus de moi. À vrai dire, je l’avais très mal suivi dans son raisonnement, d’abord parce que j’avais chaud et qu’il y avait dans son cabinet de grosses mouches qui se posaient sur ma figure, et aussi parce qu’il me faisait un peu peur. Je reconnaissais en même temps que c’était ridicule parce que, après tout, c’était moi le criminel. Il a continué pourtant. J’ai à peu près compris qu’à son avis il n’y avait qu’un point d’obscur dans ma confession, le fait d’avoir attendu pour tirer mon second coup de revolver. Pour le reste, c’était très bien, mais cela, il ne le comprenait pas. Bruscamente se levantó, se dirigió a grandes pasos hacia un extremo del despacho y abrió el cajón de un archivo. Extrajo de él un crucifijo de plata que blandió volviendo hacia mí. Y con voz enteramente cambiada, casi trémula, gritó: «¿Conoce usted a Este?» Dije: «Sí, naturalmente.» Entonces me dijo muy de prisa y de un modo apasionado que él creía en Dios y que estaba convencido de que ningún hombre era tan culpable como para que Dios no lo perdonase, pero que para eso era necesario que el hombre, por su arrepentimiento, se volviese como un niño cuya alma está vacía y dispuesta a aceptarlo todo. Se había inclinado con todo el cuerpo sobre la mesa. Agitaba el crucifijo casi sobre mí. A decir verdad, yo había seguido muy mal su razonamiento, ante todo porque tenía calor, porque unos moscardones se posaban en mi cara, y también porque me atemorizaba un poco. Me daba cuenta al mismo tiempo de que era ridículo porque yo era el criminal, después de todo. Sin embargo, continuó. Comprendí más o menos que en su opinión no había más que un punto oscuro en mi confesión: era el hecho de haber esperado para tirar el segundo disparo de revólver. El resto estaba muy bien, pero él no comprendía por qué había esperado.
J’allais lui dire qu’il avait tort de s’obstiner : ce dernier point n’avait pas tellement d’importance. Mais il m’a coupé et m’a exhorté une dernière fois, dressé de toute sa hauteur, en me demandant si je croyais en Dieu. J’ai répondu que non. Il s’est assis avec indignation. Il m’a dit que c’était impossible, que tous les hommes croyaient en Dieu, même ceux qui se détournaient de son visage. C’était là sa conviction et, s’il devait jamais en douter, sa vie n’aurait plus de sens. « Voulez-vous, s’est-il exclamé, que ma vie n’ait pas de sens ? » À mon avis, cela ne me regardait pas et je le lui ai dit. Mais à travers la table, il avançait déjà le Christ sous mes yeux et s’écriait d’une façon déraisonnable : « Moi, je suis chrétien. Je demande pardon de tes fautes à celui-là. Comment peux-tu ne pas croire qu’il a souffert pour toi ? » J’ai bien remarqué qu’il me tutoyait, mais j’en avais assez. La chaleur se faisait de plus en plus grande. Comme toujours, quand j’ai envie de me débarrasser de quelqu’un que j’écoute à peine, j’ai eu l’air d’approuver. À ma surprise, il a triomphé : « Tu vois, tu vois, disait-il. N’est-ce pas que tu crois et que tu vas te confier à lui ? » Évidemment, j’ai dit non une fois de plus. Il est retombé sur son fauteuil. Iba a decirle que hacía mal en obstinarse: el último punto no tenía tanta importancia. Pero me interrumpió y me exhortó por última vez, irguiéndose entero, y preguntándome si creía en Dios. Contesté que no. Se sentó indignado. Me dijo que era imposible, que todos los hombres creían en Dios, aun aquellos que le volvían la espalda. Tal era su convicción, y si alguna vez llegara a dudar, la vida no tendría sentido. «¿Quiere usted», exclamó, «que mi vida carezca de sentido?» Según mi opinión aquello no me concernía y se lo dije. Entonces me puso el Cristo bajo los ojos por sobre la mesa y gritó en forma irrazonable: «Yo soy cristiano. Pido a Este el perdón de tus pecados. ¿Cómo puedes no creer que ha sufrido por ti?» Me di perfecta cuenta de que me tuteaba, pero..., también, estaba harto. Cada vez hacía más y más calor Como siempre que siento deseos de librarme de alguien a quien apenas escucho, puse cara de aprobación. Con gran sorpresa mía, exclamó triunfante: «Ves, ves», decía. «¿No es cierto que crees y que vas a confiarte en El?» Evidentemente, dije «no» una vez más. Se dejó caer en el sillón.
Il avait l’air très fatigué. Il est resté un moment silencieux pendant que la machine, qui n’avait pas cessé de suivre le dialogue, en prolongeait encore les dernières phrases. Ensuite, il m’a regardé attentivement et avec un peu de tristesse. Il a murmuré : « Je n’ai jamais vu d’âme aussi endurcie que la vôtre. Les criminels qui sont venus devant moi ont toujours pleuré devant cette image de la douleur. » J’allais répondre que c’était justement parce qu’il s’agissait de criminels. Mais j’ai pensé que moi aussi j’étais comme eux. C’était une idée à quoi je ne pouvais pas me faire. Le juge s’est alors levé, comme s’il me signifiait que l’interrogatoire était terminé. Il m’a seulement demandé du même air un peu las si je regrettais mon acte. J’ai réfléchi et j’ai dit que, plutôt que du regret véritable, j’éprouvais un certain ennui. J’ai eu l’impression qu’il ne me comprenait pas. Mais ce jour-là les choses ne sont pas allées plus loin. Parecía muy fatigado. Quedó un momento silencioso mientras la máquina, que no había cesado de seguir el diálogo, prolongaba todavía las últimas frases. En seguida me miró atentamente y con un poco de tristeza. Murmuró: «Nunca he visto un alma tan endurecida como la suya. Los criminales que han comparecido delante de mí han llorado siempre ante esta imagen del dolor.» Iba a responder que eso sucedía justamente porque se trataba de criminales. Pero pensé que yo también era criminal. Era una idea a la que no podía acostumbrarme. Entonces el juez se levantó como si quisiera indicarme que el interrogatorio había terminado. Se limitó a preguntarme, con el mismo aspecto de cansancio, si lamentaba el acto que había cometido. Reflexioné y dije que más que pena verdadera sentía cierto aburrimiento. Tuve la impresión de que no me comprendía. Pero aquel día las cosas no fueron más lejos.
Par la suite j’ai souvent revu le juge d’instruction. Seulement, j’étais accompagné de mon avocat à chaque fois. On se bornait à me faire préciser certains points de mes déclarations précédentes. Ou bien encore le juge discutait les charges avec mon avocat. Mais en vérité ils ne s’occupaient jamais de moi àces moments-là. Peu à peu en tout cas, le ton des interrogatoires a changé. Il semblait que le juge ne s’intéressât plus à moi et qu’il eût classé mon cas en quelque sorte. Il ne m’a plus parlé de Dieu et je ne l’ai jamais revu dans l’excitation de ce premier jour. Le résultat, c’est que nos entretiens sont devenus plus cordiaux. Quelques questions, un peu de conversation avec mon avocat, les interrogatoires étaient finis. Mon affaire suivait son cours, selon l’expression même du juge. Quelquefois aussi, quand la conversation était d’ordre général, on m’y mêlait. Je commençais à respirer. Personne, en ces heures-là, n’était méchant avec moi. Tout était si naturel, si bien réglé et si sobrement joué que j’avais l’impression ridicule de « faire partie de la famille ». Et au bout des onze mois qu’a duré cette instruction, je peux dire que je m’étonnais presque de m’être jamais réjoui d’autre chose que de ces rares instants où le juge me reconduisait à la porte de son cabinet en me frappant sur l’épaule et en me disant d’un air cordial : « C’est fini pour aujourd’hui, monsieur l’Antéchrist. » On me remettait alors entre les mains des gendarmes. Después de esto, volví a ver a menudo al juez de instrucción. Pero cada vez estaba acompañado por mi abogado. Se limitaban a hacerme precisar ciertos puntos de las declaraciones precedentes. O el juez discutía los cargos con el abogado. Pero, en verdad, no se ocupaban nunca de mí en esos momentos. Sin embargo, poco a poco cambió el tono de los interrogatorios. Parecía que el juez no se interesaba más por mí y que había archivado el caso, en cierto modo. No me habló más de Dios y no lo volví a ver más con la excitación del primer día. Las entrevistas se hicieron más cordiales. Algunas preguntas, un poco de conversación con el abogado, y los interrogatorios concluían. El asunto seguía su curso, según la propia expresión del juez. Algunas veces también, cuando la conversación era de orden general, me mezclaban en ella. Comenzaba a respirar. Nadie en esos momentos se mostraba malo conmigo. Todo era tan natural, tan bien arreglado y tan sobriamente representado, que tenía la ridícula impresión de «formar parte de la familia.» Y al cabo de los once meses que duró la instrucción, puedo decir que estaba casi asombrado de que mis únicos regocijos hubiesen sido los raros momentos en los que el juez me acompañaba hasta la puerta del despacho, palmeándome el hombro, y diciéndome con aire cordial: «Basta por hoy, señor Anticristo.» Entonces me ponían nuevamente en manos de los gendarmes.






II - II

II - II

Il y a des choses dont je n’ai jamais aimé parler. Quand je suis entré en prison, j’ai compris au bout de quelques jours que je n’aimerais pas parler de cette partie de ma vie. Hay cosas de las que nunca me ha gustado hablar. Cuando entré en la cárcel comprendí al cabo de algunos días que no me gustaría hablar de esta parte de mi vida.
Plus tard, je n’ai plus trouvé d’importance à ces répugnances. En réalité, je n’étais pas réellement en prison les premiers jours : j’attendais vaguement quelque événement nouveau. C’est seulement après la première et la seule visite de Marie que tout a commencé. Du jour où j’ai reçu sa lettre (elle me disait qu’on ne lui permettait plus de venir parce qu’elle n’était pas ma femme), de ce jour-là, j’ai senti que j’étais chez moi dans ma cellule et que ma vie s’y arrêtait. Le jour de mon arrestation, on m’a d’abord enfermé dans une chambre où il y avait déjà plusieurs détenus, la plupart des Arabes. Ils ont ri en me voyant. Puis ils m’ont demandé ce que j’avais fait. J’ai dit que j’avais tué un Arabe et ils sont restés silencieux. Mais un moment après, le soir est tombé. Ils m’ont expliqué comment il fallait arranger la natte où je devais coucher. En roulant une des extrémités, on pouvait en faire un traversin. Toute la nuit, des punaises ont couru sur mon visage. Quelques jours après, on m’a isolé dans une cellule où je couchais sur un bat-flanc de bois. J’avais un baquet d’aisances et une cuvette de fer. La prison était tout en haut de la ville et, par une petite fenêtre, je pouvais voir la mer. C’est un jour que j’étais agrippé aux barreaux, mon visage tendu vers la lumière, qu’un gardien est entré et m’a dit que j’avais une visite. J’ai pensé que c’était Marie. C’était bien elle. Más tarde dejé de dar importancia a estas repugnancias. En realidad, yo no estaba realmente en la cárcel los primeros días; esperaba vagamente algún nuevo acontecimiento. Todo comenzó después de la primera y única visita de María. Desde el día en que recibí su carta (me decía que no le permitían venir más porque no era mi mujer), desde ese día sentí que la celda era mi casa y que mi vida se detenía allí. El día de mi arresto me encerraron al principio en una habitación donde había varios detenidos, la mayor parte árabes. Al verme, se rieron. Luego me preguntaron qué había hecho. Dije que había matado a un árabe y quedaron silenciosos. Pero un momento después cayó la noche. Me explicaron cómo había que arreglar la estera en la que debía de acostarme. Arrollando uno de los extremos podía hacerse una almohada. Toda la noche me corrieron las chinches en la cara. Algunos días después me aislaron en una celda en la que dormía sobre una tabla de madera. Tenía una cubeta para las necesidades y una jofaina de hierro. La cárcel se hallaba en lo alto de la ciudad y por la pequeña ventana podía ver el mar. Un día en que estaba aferrado a los barrotes con el rostro extendido hacia la luz, entro un guardián y me dijo que tenía una visita. Se me ocurrió que sería María. Y era ella.
J’ai suivi pour aller au parloir un long corridor, puis un escalier et pour finir un et pour finir un autre couloir. Je suis entré dans une très grande salle éclairée par une vaste baie. La salle était séparée en trois parties par deux grandes grilles qui la coupaient dans sa longueur. Entre les deux grilles se trouvait un espace de huit à dix mètres qui séparait les visiteurs des prisonniers. J’ai aperçu Marie en face de moi avec sa robe à raies et son visage bruni. De mon côté, il y avait une dizaine de détenus, des Arabes pour la plupart. Marie était entourée de Mauresques et se trouvait entre deux visiteuses : une petite vieille aux lèvres serrées, habillée de noir, et une grosse femme en cheveux qui parlait très fort avec beaucoup de gestes. À cause de la distance entre les grilles, les visiteurs et les prisonniers étaient obligés de parler très haut. Quand je suis entré, le bruit des voix qui rebondissaient contre les grands murs nus de la salle, la lumière crue qui coulait du ciel sur les vitres et rejaillissait dans la salle, me causèrent une sorte d’étourdissement. Ma cellule était plus calme et plus sombre. Il m’a fallu quelques secondes pour m’adapter. Pourtant, j’ai fini par voir chaque visage avec netteté, détaché dans le plein jour. J’ai observé qu’un gardien se tenait assis à l’extrémité du couloir entre les deux grilles. La plupart des prisonniers arabes ainsi que leurs familles s’étaient accroupis en vis-à-vis. Ceux-là ne criaient pas. Malgré le tumulte, ils parvenaient à s’entendre en parlant très bas. Leur murmure sourd, parti de plus bas, formait comme une basse continue aux conversations qui s’entrecroisaient au-dessus de leurs têtes. Tout cela, je l’ai remarqué très vite en m’avançant vers Marie. Déjà collée contre la grille, elle me souriait de toutes ses forces. Je l’ai trouvée très belle, mais je n’ai pas su le lui dire. Para ir al locutorio seguí por un largo pasillo, luego una escalera y, para terminar otro pasillo. Entré en una gran habitación iluminada por una amplia abertura. La sala estaba dividida en tres partes por dos altas rejas que la cortaban a lo largo. Entre las dos rejas había un espacio de ocho a diez metros que separaba a los visitantes de los presos. Vi a María enfrente de mí, con el vestido a rayas y el rostro tostado. De mi lado había una decena de detenidos, árabes la mayor parte. María estaba rodeada de moras y se encontraba entre dos visitantes, una viejecita de labios apretados, vestida de negro, y una mujer gorda, en cabeza, que hablaba muy alto y gesticulaba. Debido a la distancia que había entre las rejas, los visitantes y los presos se veían obligados a hablar muy alto. Cuando entré, el ruido de las voces que rebotaba contra las grandes paredes desnudas de la sala, y la cruda luz que bajaba desde el cielo sobre los vidrios y brotaba en la sala, me causaron una especie de aturdimiento. Mi celda era más tranquila y más oscura. Necesité algunos segundos para adaptarme. Sin embargo, concluí por ver cada rostro con nitidez, destacado a plena luz. Observé que un guardián estaba sentado en el extremo del pasillo entre las dos rejas. La mayor parte de los presos árabes, así como sus familias, estaban en cuclillas frente a frente. Pero no gritaban. A pesar del tumulto lograban entenderse hablando muy bajo. El murmullo sordo, surgido desde abajo, formaba un bajo continuo a las conversaciones que se entrecruzaban por sobre las cabezas. Observé todo rápidamente y avancé hacia María. Pegada ya a la reja me sonreía con toda el alma. La encontré muy bella, pero no supe decírselo.
« Alors ? » m’a-t-elle dit très haut. « Alors, voilà. — Tu es bien, tu as tout ce que tu veux ? — Oui, tout. » «¿Qué tal?», me dijo muy alto. «¿Qué tal?, ya lo ves.» «¿Estás bien? ¿Tienes todo lo que precisas?» «Sí, todo.»
Nous nous sommes tus et Marie souriait toujours. La grosse femme hurlait vers mon voisin, son mari sans doute, un grand type blond au regard franc. C’était la suite d’une conversation déjà commencée. Nos callamos y María seguía sonriendo. La mujer gorda aullaba a mi vecino, sin duda el mando, un sujeto alto, rubio, de mirada franca. Era la continuación de una conversación ya comenzada.
« Jeanne n’a pas voulu le prendre » criait-elle à tue-tête. « Oui, oui », disait l’homme. « Je lui ai dit que tu le reprendrais en sortant, mais elle n’a pas voulu le prendre. » «Juana no quiso tomarlo», gritaba a voz en cuello. «Sí, sí», decía el hombre. «Le dije que al salir volverías a llevártelo pero no quiso tomarlo.»
Marie a crié de son côté que Raymond me donnait le bonjour et j’ai dit : « Merci. » Mais ma voix a été couverte par mon voisin qui a demandé « s’il allait bien ». Sa femme a ri en disant « qu’il ne s’était jamais mieux porté ». Mon voisin de gauche, un petit jeune homme aux mains fines, ne disait rien. J’ai remarqué qu’il était en face de la petite vieille et que tous les deux se regardaient avec intensité. Mais je n’ai pas eu le temps de les observer plus longtemps parce que Marie m’a crié qu’il fallait espérer. J’ai dit : « Oui. » En même temps, je la regardais et j’avais envie de serrer son épaule par-dessus sa robe. J’avais envie de ce tissu fin et je ne savais pas très bien ce qu’il fallait espérer en dehors de lui. Mais c’était bien sans doute ce que Marie voulait dire parce qu’elle souriait toujours. Je ne voyais plus que l’éclat de ses dents et les petits plis de ses yeux. Elle a crié de nouveau : « Tu sortiras et on se mariera ! » J’ai répondu : « Tu crois ? » mais c’était surtout pour dire quelque chose. Elle a dit alors ces vite et toujours très haut que oui, que je serais acquitté et qu’on prendrait encore des bains. Mais l’autre femme hurlait de son côté et disait qu’elle avait laissé un panier au greffe. Elle énumérait tout ce qu’elle y avait mis. Il fallait vérifier, car tout cela coûtait cher. Mon autre voisin et sa mère se regardaient toujours. Le murmure des Arabes continuait au-dessous de nous. Dehors la lumière a semblé se gonfler contre la baie. María me gritó por su parte que Raimundo me mandaba saludos. Dije: «Gracias» pero mi voz quedó tapada por el vecino que pregunto «si estaba bien». Su mujer rió y dijo «que nunca se había sentido mejor» El vecino de la izquierda, un jovenzuelo de manos finas. no decía nada. Noté que estaba frente a la viejecita y que ambos se miraban con intensidad. Pero no tuve tiempo de observarlos más porque María me gritó que era necesario tener esperanzas. Dije: «Sí.» Al mismo tiempo la miraba y tenía deseos de oprimirle el hombro por encima del vestido. Tenía deseos de tocar la tela fina, pues no sabia qué otra cosa podía esperar. Pero sin duda era lo que María quería decir porque seguía sonriendo. Yo no veía más que el brillo de sus dientes y los pequeños pliegues de sus ojos. Gritó de nuevo: «¡Saldrás y nos casaremos!» Respondí: «¿Lo crees?» pero lo dije sobre todo por decir algo Dijo entonces rápidamente y siempre muy alto que sí, que saldría libre y que volveríamos a bañarnos. Pero la otra mujer aullaba por su lado y decía que había dejado un canasto en la portería. Enumeraba todo lo que había puesto en él. Habría que verificarlo pues todo costaba caro. El otro vecino y su madre seguían mirándose. El murmullo de los árabes continuaba por debajo de nosotros. Afuera, la luz pareció hincharse contra la ventana. Se derramó sobre todos los rostros como un jugo fresco.
Je me sentais un peu malade et j’aurais voulu partir. Le bruit me faisait mal. Mais d’un autre côté, je voulais profiter encore de la présence de Marie. Je ne sais pas combien de temps a passé. Marie m’a parlé de son travail et elle souriait sans arrêt. Le murmure, les cris, les conversations se croisaient. Le seul îlot de silence était à côté de moi dans ce petit jeune homme et cette vieille qui se regardaient. Peu à peu, on a emmené les Arabes. Presque tout le monde s’est tu dès que le premier est sorti. La petite vieille s’est rapprochée des barreaux et, au même moment, un gardien a fait signe à son fils. Il a dit : « Au revoir, maman » et elle a passé sa main entre deux barreaux pour lui faire un petit signe lent et prolongé. Me sentía un poco enfermo y hubiese querido irme. El ruido me hacía daño. Pero, por otro lado, quería aprovechar aun más la presencia de María. No sé cuánto tiempo pasó. María me habló de su trabajo y no cesaba de sonreír. Se cruzaban los murmullos, los gritos y las conversaciones. El único islote de silencio estaba a mi lado, en el muchacho y la anciana que se miraban. Poco a poco los árabes fueron llevados. No bien salió el primero, casi todo el mundo calló. La viejecita se aproximó a los barrotes y, al mismo tiempo, un guardián hizo una señal al hijo. Dijo: «Hasta pronto, mamá», y ella pasó la mano entre dos barrotes para hacerle un saludo lento y prolongado.
Elle est partie pendant qu’un homme entrait, le chapeau à la main, et prenait sa place. On a introduit un prisonnier et ils se sont parlé avec animation, mais à demi-voix, parce que la pièce était redevenue silencieuse. On est venu chercher mon voisin de droite et sa femme lui a dit sans baisser le ton comme si elle n’avait pas remarqué qu’il n’était plus nécessaire de crier : « Soigne-toi bien et fais attention. » Puis est venu mon tour. Marie a fait signe qu’elle m’embrassait. Je me suis retourné avant de disparaître. Elle était immobile, le visage écrasé contre la grille, avec le même sourire écartelé et crispé. La viejecita se fue mientras un hombre entraba y ocupaba el lugar, con el sombrero en la mano. Se introdujo a otro preso y hablaron con animación, pero a media voz porque la habitación había vuelto a quedar silenciosa. Vinieron a buscar al vecino de la derecha y su mujer le dijo sin bajar el tono, como si no hubiese notado que ya no era necesario gritar: «¡Cuídate y fíjate en lo que haces!» Luego me llegó el tumo. María hizo ademán de besarme. Me volví antes de salir. Permanecía inmóvil, con el rostro apretado contra la reja, con la misma sonó risa abierta y crispada.
C’est peu après qu’elle m’a écrit. Et c’est à partir de ce moment qu’ont commencé les choses dont je n’ai jamais aimé parler. De toute façon, il ne faut rien exagérer et cela m’a été plus facile qu’à d’autres. Au début de ma détention, pourtant, ce qui a été le plus dur, c’est que j’avais des pensées d’homme libre. Par exemple, l’envie me prenait d’être sur une plage et de descendre vers la mer. À imaginer le bruit des premières vagues sous la plante de mes pieds, l’entrée du corps dans l’eau et la délivrance que j’y trouvais, je sentais tout d’un coup combien les murs de ma prison étaient rapprochés. Mais cela dura quelques mois. Ensuite, je n’avais que des pensées de prisonnier. J’attendais la promenade quotidienne que je faisais dans la cour ou la visite de mon avocat. Je m’arrangeais très bien avec le reste de mon temps. J’ai souvent pensé alors que si l’on m’avait fait vivre dans un tronc d’arbre sec, sans autre occupation que de regarder la fleur du ciel au-dessus de ma tête, je m’y serais peu à peu habitué. J’aurais attendu des passages d’oiseaux ou des rencontres de nuages comme j’attendais ici les curieuses cravates de mon avocat et comme, dans un autre monde, je patientais jusqu’au samedi pour étreindre le corps de Marie. Or, à bien réfléchir, je n’étais pas dans un arbre sec. Il y avait plus malheureux que moi. C’était d’ailleurs une idée de maman, et elle le répétait souvent, qu’on finissait par s’habituer à tout. Poco después me escribió. Y a partir de ese momento comenzaron las cosas de las que nunca me ha gustado hablar. De todos modos, no se debe exagerar nada y para mí resultó más fácil que para otros. Al principio de la detención lo más duro fue que tenía pensamientos de hombre libre por ejemplo, sentía deseos de estar en una playa y de bajar hacia el mar. Al imaginar el ruido de las primeras olas bajo las plantas de los pies, la entrada del cuerpo en el agua y el alivio que encontraba, sentía de golpe cuánto se habían estrechado los muros de la prisión. Pero esto duró algunos meses. Después no tuve sino pensamientos de presidiario. Esperaba el paseo cotidiano que daba por el patio o la visita del abogado. Disponía muy bien el resto del tiempo. Pensé a menudo entonces que si me hubiesen hecho vivir en el tronco de un árbol seco sin otra ocupación que la de mirar la flor del cielo sobre la cabeza, me habría acostumbrado poco a poco. Hubiese esperado el paso de los pájaros y el encuentro de las nubes como esperaba aquí las curiosas corbatas de mi abogado y como, en otro mundo, esperaba pacientemente el sábado para estrechar el cuerpo de María. Después de todo, pensándolo bien, no estaba en un árbol seco. Había otros más desgraciados que yo. Por otra parte, mamá tenía la idea, y la repetía a menudo, de que uno acaba por acostumbrarse a todo.
Du reste, je n’allais pas si loin d’ordinaire. Les premiers mois ont été durs. Mais justement l’effort que j’ai dû faire aidait à les passer. Par exemple, j’étais tourmenté par le désir d’une femme. C’était naturel, j’étais jeune. Je ne pensais jamais à Marie particulièrement. Mais je pensais tellement à une femme, aux femmes, à toutes celles que j’avais connues, à toutes les circonstances où je les avais aimées, que ma cellule s’emplissait de tous les visages et se peuplait de mes désirs. Dans un sens, cela me déséquilibrait. Mais dans un autre, cela tuait le temps. J’avais fini par gagner la sympathie du gardien-chef qui accompagnait à l’heure des repas le garçon de cuisine. C’est lui qui, d’abord, m’a parlé des femmes. Il m’a dit que c’était la première chose dont se plaignaient les autres. Je lui ai dit que j’étais comme eux et que je trouvais ce traitement injuste. « Mais, a-t-il dit, c’est justement pour ça qu’on vous met en prison. — Comment, pour ça ? — Mais oui, la liberté, c’est ça. On vous prive de la liberté. » Je n’avais jamais pensé à cela. Je l’ai approuvé : « C’est vrai, lui ai-je dit, où serait la punition ? — Oui, vous comprenez les choses, vous. Les autres non. Mais ils finissent par se soulager eux-mêmes. » Le gardien est parti ensuite. En cuanto a lo demás, en general no iba tan lejos. Los primeros meses fueron duros. Pero precisamente el esfuerzo que debía hacer ayudaba a pasarlos. Por ejemplo, estaba atormentado por el deseo de una mujer. Era natural: yo era joven. No pensaba nunca en María particularmente. Pero pensaba de tal manera en una mujer, en las mujeres, en todas las que había conocido, en todas las circunstancias en las que las había amado, que la celda se llenaba con todos sus rostros y se poblaba con mis deseos. En cierto sentido esto me desequilibraba. Pero en otro, mataba el tiempo. Había concluido por ganar la simpatía del guardián jefe que acompañaba al mozo de la cocina a la hora de las comidas. El fue quien primero me habló de mujeres. Me dijo que era la primera cosa de la que se quejaban los otros. Le dije que yo era como ellos y que encontraba injusto este tratamiento. «Pero», dijo, «precisamente para eso los ponen a ustedes en la cárcel.» —«¿Cómo, para eso?»— «Pues sí. La libertad es eso. Se les priva de la libertad.» Nunca había pensado en ello. Asentí: «Es verdad», le dije, «si no, ¿dónde estaría el castigo?» —«Sí, usted comprende las cosas. Los demás no. Pero concluyen por satisfacerse por sí mismos.» El guardián se marchó en seguida.
Il y a eu aussi les cigarettes. Quand je suis entré en prison, on m’a pris ma ceinture, mes cordons de souliers, ma cravate et tout ce que je portais dans mes poches, mes cigarettes en particulier. Une fois en cellule, j’ai demandé qu’on me les rende. Mais on m’a dit que c’était défendu. Les premiers jours ont été très durs. C’est peut-être cela qui m’a le plus abattu. Je suçais des morceaux de bois que j’arrachais de la planche de mon lit. Je promenais toute la journée une nausée perpétuelle. Je ne comprenais pas pourquoi on me privait de cela qui ne faisait de mal à personne. Plus tard, j’ai compris que cela faisait partie aussi de la punition. Mais à ce moment-là, je m’étais habitué à ne plus fumer et cette punition n’en était plus une pour moi. Hubo también los cigarrillos. Cuando entré en la cárcel me quitaron el cinturón, los cordones de los zapatos, la corbata y todo lo que llevaba en los bolsillos, especialmente los cigarrillos, una vez en la celda pedí que me los devolvieran. Pero se me dijo que estaba prohibido. Los primeros días fueron muy duros. Quizá haya sido esto lo que más me abatió. Chupaba trozos de madera que arrancaba de la tabla de la cama. Soportaba durante todo el día una náusea perpetua. No comprendía por qué me privaban de aquello que no hacía mal a nadie. Más tarde comprendí que también formaba parte del castigo. Pero ya me había acostumbrado a no fumar más y este castigo había dejado de ser tal para mí.
À part ces ennuis, je n’étais pas trop malheureux. Toute la question, encore une fois, était de tuer le temps. J’ai fini par ne plus m’ennuyer du tout à partir de l’instant où j’ai appris à me souvenir. Je me mettais quelquefois à penser à ma chambre et, en imagination, je partais d’un coin pour y revenir en dénombrant mentalement tout ce qui se trouvait sur mon chemin. Au début, c’était vite fait. Mais chaque fois que je recommençais, c’était un peu plus long. Car je me souvenais de chaque meuble, et, pour chacun d’entre eux, de chaque objet qui s’y trouvait et, pour chaque objet, de tous les détails et pour les détails eux-mêmes, une incrustation, une fêlure ou un bord ébréché, de leur couleur ou de leur grain. En même temps, j’essayais de ne pas perdre le fil de mon inventaire, de faire une énumération complète. Si bien qu’au bout de quelques semaines, je pouvais passer des heures, rien qu’à dénombrer ce qui se trouvait dans ma chambre. Ainsi, plus je réfléchissais et plus de choses méconnues et oubliées je sortais de ma mémoire. J’ai compris alors qu’un homme qui n’aurait vécu qu’un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il aurait assez de souvenirs pour ne pas s’ennuyer. Dans un sens, c’était un avantage. Fuera de estas molestias no me sentía demasiado desgraciado. Una vez más todo el problema consistía en matar el tiempo. A partir del instante en que aprendí a recordar, concluí por no aburrirme en absoluto. Me ponía a veces a pensar en mi cuarto, y, con la imaginación, salía de un rincón para volver detallando mentalmente todo lo que encontraba en el camino. Al principio lo hacía rápidamente. Pero cada vez que volvía a empezar era un poco más largo. Recordaba cada mueble, y de cada uno, cada objeto que en él se encontraba, y de cada objeto, todos los detalles, y de los detalles, una incrustación, una grieta o un borde gastado, los colores y las imperfecciones. Al mismo tiempo ensayaba no perder el hilo del inventario, hacer una enumeración completa. Es cierto que fue al cabo de algunas semanas, pero podía pasar horas nada más que con enumerar lo que se encontraba en mi cuarto. Así, cuanto más reflexionaba, más cosas desconocidas u olvidadas extraía de la memoria. Comprendí entonces que un hombre que no hubiera vivido más que un solo día podía vivir fácilmente cien años en una cárcel. Tendría bastantes recuerdos para no aburrirse. En cierto sentido era una ventaja.
Il y avait aussi le sommeil. Au début, je dormais mal la nuit et pas du tout le jour. Peu à peu, mes nuits ont été meilleures et j’ai pu dormir aussi le jour. Je peux dire que, dans les derniers mois, je dormais de seize à dix-huit heures par jour. Il me restait alors six heures à tuer avec les repas, les besoins naturels, mes souvenirs et l’histoire du Tchécoslovaque. Existía también el sueño. Al principio dormía mal por la noche y nada durante el día. Poco a poco las noches fueron mejores y pude también dormir de día. Puedo decir que en los últimos meses dormía de dieciséis a dieciocho horas por día. Me quedaban por lo tanto seis horas para matar con comida, las necesidades naturales, los recuerdos y la historia del checoslovaco.
Entre ma paillasse et la planche du lit, j’avais trouvé, en effet, un vieux morceau de journal presque collé à l’étoffe, jauni et transparent. Il relatait un fait divers dont le début manquait, mais qui avait dû se passer en Tchécoslovaquie. Un homme était parti d’un village tchèque pour faire fortune. Au bout de vingt-cinq ans, riche, il était revenu avec une femme et un enfant. Sa mère tenait un hôtel avec sa sœur dans son village natal. Pour les surprendre, il avait laissé sa femme et son enfant dans un autre établissement, était allé chez sa mère qui ne l’avait pas reconnu quand il était entré. Par plaisanterie, il avait eu l’idée de prendre une chambre. Il avait montré son argent. Dans la nuit, sa mère et sa sœur l’avaient assassiné à coups de marteau pour le voler et avaient jeté son corps dans la rivière. Le matin, la femme était venue, avait révélé sans le savoir l’identité du voyageur. La mère s’était pendue. La sœur s’était jetée dans un puits. J’ai dû lire cette histoire des milliers de fois. D’un côté, elle était invraisemblable. D’un autre, elle était naturelle. De toute façon, je trouvais que le voyageur l’avait un peu mérité et qu’il ne faut jamais jouer. Entre el jergón y la tabla de la cama había encontrado, en efecto, casi pegado al género, un viejo trozo de periódico, amarillento y transparente. Relataba un hecho policial cuyo comienzo faltaba pero que había debido ocurrir en Checoslovaquia. Un hombre había partido de un pueblo checo para hacer fortuna. Al cabo de veinticinco años había regresado rico, con su mujer y un hijo. La madre y una hermana dirigían un hotel en el pueblo natal. Para sorprenderlas, había dejado a la mujer y al hilo en otro establecimiento y había ido a casa de la madre, que no le había reconocido cuando entró. Por broma, se le ocurrió tomar una habitación. Había mostrado el dinero. Durante la noche, la madre y la hermana le habían asesinado a martillazos para robarle y habían arrojado el cuerpo al río. Por la mañana había venido la mujer y sin saberlo, había revelado la identidad del viajero. La madre se había ahorcado. La hermana se había arrojado a un pozo. Debo de haber leído esta historia miles de veces Por un lado era inverosímil; por otro, era natural. De todos modos, me parecía que el viajero lo había merecido en parte y que nunca se debe jugar.
Ainsi, avec les heures de sommeil, les souvenirs, la lecture de mon fait divers et l’alternance de la lumière et de l’ombre, le temps a passé. J’avais bien lu qu’on finissait par perdre la notion du temps en prison. Mais cela n’avait pas beaucoup de sens pour moi. Je n’avais pas compris à quel point les jours pouvaient être à la fois longs et courts. Longs à vivre sans doute, mais tellement distendus qu’ils finissaient par déborder les uns sur les autres. Ils y perdaient leur nom. Les mots hier ou demain étaient les seuls qui gardaient un sens pour moi. Así pasó el tiempo, con las horas de sueño los recuerdos, la lectura del hecho policial y la alteración de la luz y de la sombra. Había leído que en la cárcel se concluía por perder la noción del tiempo. Pero no tenía mucho sentido para mí. No había comprendido hasta qué punto los días podían ser a la vez largos y cortos. Largos para vivirlos sin duda, pero tan distendidos que concluían por desbordar unos sobre los otros. Perdían el nombre. Las palabras ayer y mañana eran las únicas que conservaban un sentido para mí.
Lorsqu’un jour, le gardien m’a dit que j’étais la depuis cinq mois, je l’ai cru, mais je ne l’ai pas compris. Pour moi, c’était sans cesse le même jour qui déferlait dans ma cellule et la même tâche que je poursuivais. Ce jour-là, après le départ du gardien, je me suis regardé dans ma gamelle de fer. Il m’a semblé que mon image restait sérieuse alors même que j’essayais de lui sourire. Je l’ai agitée devant moi. J’ai souri et elle a gardé le même air sévère et triste. Le jour finissait et c’était l’heure dont je ne veux pas parler, l’heure sans nom, où les bruits du soir montaient de tous les étages de la prison dans un cortège de silence. Je me suis approché de la lucarne et, dans la dernière lumière, j’ai contemplé une fois de plus mon image. Elle était toujours sérieuse, et quoi d’étonnant puisque, à ce moment, je l’étais aussi ? Mais en même temps et pour la première fois depuis des mois, j’ai entendu distinctement le son de ma voix. Je l’ai reconnue pour celle qui résonnait déjà depuis de longs jours à mes oreilles et j’ai compris que pendant tout ce temps j’avais parlé seul. Je me suis souvenu alors de ce que disait l’infirmière à l’enterrement de maman. Non, il n’y avait pas d’issue et personne ne peut imaginer ce que sont les soirs dans les prisons. Cuando un día el guardián me dijo que estaba allí desde hacía cinco meses, le creí, pero no le comprendí. Para mí era el mismo día que se desarrollaba sin cesar en la celda y la misma tarea que proseguía. Ese día, después de la partida del guardián, me miré en el agua de la escudilla. Me pareció que mi imagen continuaba seria, aun cuando ensayaba sonreír. La agité delante de mí. Sonreí y conservó el mismo aire severo y triste. El día concluía y era la hora de la que no quiero hablar, la hora sin nombre, en la que los ruidos de la noche subían desde todos los pisos de la cárcel en un cortejo de silencio. Me acerqué a la claraboya y con la última luz contemplé una vez más mi imagen. Seguía siempre seria y nada tenía de sorprendente pues en ese momento yo lo estaba también. Pero al mismo tiempo, y por primera vez desde hacía largos meses, oí distintamente el sonido de mi voz. Reconocí que era la que resonaba desde hacía muchos días en mi oído y comprendí que durante todo ese tiempo había hablado solo Recordé entonces lo que decía la enfermera en el entierro de mamá. No, no había escapatoria y nadie puede imaginar lo que son las noches en las cárceles.






II - III

II - III

Je peux dire qu’au fond l’été a très vite remplacé l’été. Je savais qu’avec la montée des premières chaleurs surviendrait quelque chose de nouveau pour moi. Mon affaire était inscrite à la dernière session de la cour d’assises et cette session se terminerait avec le mois de juin. Les débats se sont ouverts avec, au-dehors, tout le plein du soleil. Mon avocat m’avait assuré qu’ils ne dureraient pas plus de deux ou trois jours. « D’ailleurs, avait-il ajoute, la cour sera pressée parce que votre affaire n’est pas la plus importante de la session. Il y a un parricide qui passera tout de suite après. » À sept heures et demie du matin, on est venu me chercher et la voiture cellulaire m’a conduit au Palais de justice. Les deux gendarmes m’ont fait entrer dans une petite pièce qui sentait l’ombre. Nous avons attendu, assis près d’une porte derrière laquelle on entendait des voix, des appels, des bruits de chaises et tout un remue-ménage qui m’a fait penser à ces fêtes de quartier où, après le concert, on range la salle pour pouvoir danser. Les gendarmes m’ont dit qu’il fallait attendre la cour et l’un d’eux m’a offert une cigarette que j’ai refusée. Il m’a demandé peu après « si j’avais le trac ». J’ai répondu que non. Et même, dans un sens, cela m’intéressait de voir un procès. Je n’en avais jamais eu l’occasion dans ma vie : « Oui, a dit le second gendarme, mais cela finit par fatiguer. » Puedo decir que, en rigor, el verano reemplazó muy pronto al verano. Sabía que con la subida de los primeros calores sobrevendría algo nuevo para mí. Mi proceso estaba inscripto para la última reunión del Tribunal, que se realizaría en el mes de junio. La audiencia comenzó mientras afuera el sol estaba en su plenitud. El abogado me había asegurado que no duraría más de dos o tres días. «Por otra parte», había agregado, «el Tribunal tendrá prisa porque su asunto no es el más importante de la audiencia. Hay un parricidio que pasará inmediatamente después». A las siete y media de la mañana vinieron a buscarme y el coche celular me condujo al Palacio de Justicia. Los dos gendarmes me hicieron entrar en una habitación pequeña que olía a humedad. Esperamos sentados cerca de una puerta tras la cual se oían voces, llamamientos, ruidos de sillas y todo un bullicio que me hizo pensar en esas fiestas de barrio en las que se arregla la sala para poder bailar después del concierto. Los gendarmes me dijeron que era necesario esperar al Tribunal y uno de ellos me ofreció un cigarrillo, que rechacé. Me preguntó poco después si estaba nervioso. Respondí que no. Y aun, en cierto sentido, me interesaba ver un proceso. No había tenido nunca ocasión de hacerlo en mi vida. «Sí», dijo el segundo gendarme, «pero concluye por cansar.»
Après un peu de temps, une petite sonnerie a résonné dans la pièce. Ils m’ont alors ôté les menottes. Ils ont ouvert la porte et m’ont fait entrer dans le box des accusés. La salle était pleine à craquer. Malgré les stores, le soleil s’infiltrait par endroits et l’air était déjà étouffant. On avait laissé les vitres closes. Je me suis assis et les gendarmes m’ont encadré. C’est à ce moment que j’ai aperçu une rangée de visages devant moi. Tous me regardaient : j’ai compris que c’étaient les jurés. Mais je ne peux pas dire ce qui les distinguait les uns des autres. Je n’ai eu qu’une impression : j’étais devant une banquette de tramway et tous ces voyageurs anonymes épiaient le nouvel arrivant pour en apercevoir les ridicules. Je sais bien que c’était une idée niaise puisque ici ce n’était pas le ridicule qu’ils cherchaient, mais le crime. Cependant la différence n’est pas grande et c’est en tout cas l’idée qui m’est venue. Después de un momento un breve campanilleo sonó en la sala. Me quitaron entonces las esposas. Abrieron la puerta y me hicieron entrar al lugar de los acusados. La sala estaba llena de bote en bote. A pesar de las cortinas, el sol se filtraba por algunas partes y el aire estaba sofocante. Habían dejado los vidrios cerrados. Me senté y los gendarmes me rodearon. En ese momento vi una fila de rostros delante de mí. Todos me miraban: comprendí que eran los jurados. Pero no puedo decir en qué se diferenciaban unos de otros. Sólo tuve una impresión: estaba delante de una banqueta de tranvía y todos los viajeros anónimos espiaban al recién llegado para notar lo que tenía de ridículo. Sé perfectamente que era una idea tonta, pues allí no buscaban el ridículo, sino el crimen. Sin embargo, la diferencia no es grande y, en cualquier caso, es la idea que se me ocurrió.
J’étais un peu étourdi aussi par tout ce monde dans cette salle close. J’ai regardé encore le prétoire et je n’ai distingué aucun visage. Je crois bien que d’abord je ne m’étais pas rendu compte que tout ce monde se pressait pour me voir. D’habitude, les gens ne s’occupaient pas de ma personne. Il m’a fallu un effort pour comprendre que j’étais la cause de toute cette agitation. J’ai dit au gendarme : « Que de monde ! » Il m’a répondu que c’était à cause des journaux et il m’a montré un groupe qui se tenait près d’une table sous le banc des jurés. Il m’a dit : « Les voilà. » J’ai demandé : « Qui ? » et il a répété : « Les journaux. » Il connaissait l’un des journalistes qui l’a vu a ce moment et qui s’est dirigé vers nous. C’était un homme déjà âgé, sympathique, avec un visage un peu grimaçant. Il a serré la main du gendarme avec beaucoup de chaleur. J’ai remarqué à ce moment que tout le monde se rencontrait, s’interpellait et conversait, comme dans un club où l’on est heureux de se retrouver entre gens du même monde. Je me suis expliqué aussi la bizarre impression que j’avais d’être de trop, un peu comme un intrus. Pourtant, le journaliste s’est adressé à moi en souriant. Il m’a dit qu’il espérait que tout irait bien pour moi. Je l’ai remercié et il a ajouté : « Vous savez, nous avons monté un peu votre affaire. L’été, c’est la saison creuse pour les journaux. Et il n’y avait que votre histoire et celle du parricide qui vaillent quelque chose. » Il m’a montré ensuite, dans le groupe qu’il venait de quitter, un petit bonhomme qui ressemblait à une belette engraissée, avec d’énormes lunettes cerclées de noir. Il m’a dit que c’était l’envoyé spécial d’un journal de Paris : « Il n’est pas venu pour vous, d’ailleurs. Mais comme il est chargé de rendre compte du procès du parricide, on lui a demandé de câbler votre affaire en même temps. » Là encore, j’ai failli le remercier. Mais j’ai pensé que ce serait ridicule. Il m’a fait un petit signe cordial de la main et nous a quittés. Nous avons encore attendu quelques minutes. Estaba un poco aturdido también ante tanta gente en la sala cerrada. Miré otra vez hacia el público y no distinguí ningún rostro. Creo que al principio no me había dado cuenta de que toda esa gente se apretujaba para verme. Generalmente, los demás no se ocupaban de mi persona. Me costó un esfuerzo comprender que yo era la causa de toda esta agitación. Dije al gendarme: «¡Cuánta gente!» Me respondió que era por los periódicos y me mostró un grupo que estaba cerca de una mesa, debajo del estrado de los jurados. Me dijo: «Ahí están.» Pregunté: «¿Quiénes?», y repitió: «Los periódicos.» Conocía a uno de los periodistas que le vio en ese momento y se dirigió hacia nosotros. Era un hombre ya bastante entrado en años, simpático, con una cara gesticulosa. Estrechó la mano del gendarme con mucho calor. Noté en ese momento que toda la gente se reunía, se interpelaba y conversaba como en un club donde es agradable encontrarse entre personas del mismo mundo. Me expliqué también la extraña impresión que sentía de estar de más, de ser un poco intruso. Sin embargo, el periodista se dirigió a mí, sonriente. Me dijo que esperaba que todo saldría bien para mí. Le agradecí, y agregó: «Usted sabe, hemos hinchado un poco el asunto. El verano es la estación vacía para los periódicos. Y lo único que valía algo era su historia y la del parricida.» Me mostró en seguida, en el grupo que acababa de dejar, a un hombrecillo que parecía una comadreja cebada con enormes gafas de aro negro. Me dijo que era el enviado especial de un diario de París: «No ha venido por usted, desde luego. Pero como está encargado de informar acerca del proceso del parricida, se le ha pedido que telegrafíe sobre su asunto al mismo tiempo.» Ahí, otra vez, estuve a punto de agradecerle. Pero pensé que sería ridículo. Me hizo un breve ademán cordial con la mano y nos dejó. Esperamos aún algunos minutos.
Mon avocat est arrivé, en robe, entouré de beaucoup d’autres confrères. Il est allé vers les journalistes, a serré des mains. Ils ont plaisanté, ri et avaient l’air tout à fait à leur aise, jusqu’au moment où la sonnerie a retenti dans le prétoire. Tout le monde a regagné sa place. Mon avocat est venu vers moi, m’a serré la main et m’a conseillé de répondre brièvement aux questions qu’on me poserait, de ne pas prendre d’initiatives et de me reposer sur lui pour le reste. Llegó el abogado, de toga, rodeado de muchos otros colegas. Fue hacia los periodistas y dio algunos apretones de mano. Bromearon, rieron, y parecían sentirse muy a su gusto, hasta el momento en que el campanilleo sonó en la sala. Todos volvieron a sus lugares. El abogado vino hacia mí, me estrechó la mano y me aconsejó que contestara brevemente a las preguntas que se me formularan, que no tomara la iniciativa y que confiara en él para todo lo demás.
À ma gauche, j’ai entendu le bruit d’une chaise qu’on reculait et j’ai vu un grand homme mince, vêtu de rouge, portant lorgnon, qui s’asseyait en pliant sa robe avec soin. C’était le procureur. Un huissier a annoncé la cour. Au même moment, deux gros ventilateurs ont commencé de vrombir. Trois juges, deux en noir, le troisième en rouge, sont entrés avec des dossiers et ont marché très vite vers la tribune qui dominait la salle. L’homme en robe rouge s’est assis sur le fauteuil du milieu, a posé sa toque devant lui, essuyé son petit crâne chauve avec un mouchoir et déclaré que l’audience était ouverte. Oí el ruido de una silla que hacían retroceder a la izquierda y vi a un hombre alto, delgado, vestido de rojo, con lentes, que se sentaba arreglando cuidadosamente la toga. Era el Procurador. Un ujier anunció la presencia del Tribunal. En el mismo momento comenzaron a zumbar dos enormes ventiladores. Tres jueces, dos de negro y el tercero de rojo, entraron con expedientes y caminaron rápidamente hacia el estrado que dominaba la sala. El hombre de toga roja se sentó en el sillón del centro, colocó el birrete delante de sí, se enjugó el pequeño cráneo calvo con un pañuelo y declaró que la audiencia quedaba abierta.
Les journalistes tenaient déjà leur stylo en main. Ils avaient tous le même air indiffèrent et un peu narquois. Pourtant, l’un d’entre eux, beaucoup plus jeune, habillé en flanelle grise avec une cravate bleue, avait laissée son stylo devant lui et me regardait. Dans son visage un peu asymétrique, je ne voyais que ses deux yeux, très clairs, qui m’examinaient attentivement, sans rien exprimer qui fût définissable. Et j’ai eu l’impression bizarre d’être regardé par moi-même. C’est peut-être pour cela, et aussi parce que je ne connaissais pas les usages du lieu, que je n’ai pas très bien compris tout ce qui s’est passé ensuite, le tirage au sort des jurés, les questions posées par le président à l’avocat, au procureur et au jury (à chaque fois, toutes les têtes des jurés se retournaient en même temps vers la cour), une lecture rapide de l’acte d’accusation, où je reconnaissais des noms de lieux et de personnes, et de nouvelles questions à mon avocat. Los periodistas tenían ya la estilográfica en la mano. Aparentaban todos el mismo aire indiferente y un poco zumbón. Sin embargo, uno de ellos, mucho más joven, vestido de franela gris con corbata azul, había dejado la estilográfica delante de sí y me miraba. En su rostro un poco asimétrico no veía más que los dos ojos, muy claros, que me examinaban atentamente, sin expresar nada definible. Y tuve la singular impresión de ser mirado por mí mismo. Quizá haya sido por esto, o también porque no conocía las costumbres del lugar, pero no comprendí claramente todo lo que ocurrió en seguida, el sorteo de los jurados, las preguntas planteadas por el Presidente al abogado, al Procurador y al Jurado (cada vez todas las cabezas de los jurados se volvían al mismo tiempo hacia el Tribunal), una rápida lectura del acta de acusación, en la que reconocía nombres de lugares y de personas, y nuevas preguntas al abogado.
Mais le président a dit qu’il allait faire procéder à l’appel des témoins. L’huissier a lu des noms qui ont attiré mon attention. Du sein de ce public tout à l’heure informe, j’ai vu se lever un à un, pour disparaître ensuite par une porte latérale, le directeur et le concierge de l’asile, le vieux Thomas Pérez, Raymond, Masson, Salamano, Marie. Celle-ci m’a fait un petit signe anxieux. Je m’étonnais encore de ne pas les avoir aperçus plus tôt, lorsque à l’appel de son nom, le dernier, Céleste s’est levé. J’ai reconnu à côté de lui la petite bonne femme du restaurant, avec sa jaquette et son air précis et décidé. Elle me regardait avec intensité. Mais je n’ai pas eu le temps de réfléchir parce que le président a pris la parole. Il a dit que les véritables débats allaient commencer et qu’il croyait inutile de recommander au public d’être calme. Selon lui, il était là pour diriger avec impartialité les débats d’une affaire qu’il voulait considérer avec objectivité. La sentence rendue par le jury serait prise dans un esprit de justice et, dans tous les cas, il ferait évacuer la salle au moindre incident. El Presidente dijo que iba a proceder al llamado de los testigos. El ujier leyó unos nombres que me atrajeron la atención. Del seno del público, informe un momento antes, vi levantarse uno por uno, para desaparecer en seguida por una puerta lateral, al director y al portero del asilo, al viejo Tomás Pérez, a Raimundo, a Masson, a Salamano y a María. Esta me hizo una ligera seña ansiosa. Estaba asombrado aún de no haberlos visto antes, cuando al llamado de su nombre se levantó el último: Celeste. Reconocí a su lado a la mujercita del restaurante con la chaqueta y el aire preciso y decidido. Me miraba con intensidad. Pero no tuve tiempo de reflexionar porque el Presidente tomó la palabra. Dijo que iba a comenzar la verdadera audiencia y que creía inútil recomendar al público que conservara la calma. Según él, estaba allí para dirigir con imparcialidad la audiencia de un asunto que quería considerar con objetividad. La sentencia dictada por el Jurado sería adoptada con espíritu de justicia y, en cualquier caso, haría desalojar la sala al menor incidente.
La chaleur montait et je voyais dans la salle les assistants s’éventer avec des journaux. Cela faisait un petit bruit continu de papier froissé. Le président a fait un signe et l’huissier a apporte trois éventails de paille tressée que les trois juges ont utilisés immédiatement. El calor aumentaba. En la sala los asistentes se abanicaban con los periódicos, lo que producía un leve ruido continuo de papel arrugado. El Presidente hizo una señal y el ujier trajo tres abanicos de paja trenzada que los tres jueces utilizaron inmediatamente.
Mon interrogatoire a commencé aussitôt. Le président m’a questionné avec calme et même, m’a-t-il semblé, avec une nuance de cordialité. On m’a encore fait décliner mon identité et malgré mon agacement, j’ai pensé qu’au fond c’était assez naturel, parce qu’il serait trop grave de juger un homme pour un autre. Puis le président a recommencé le récit de ce que j’avais fait, en s’adressant à moi toutes les trois phrases pour me demander : « Est-ce bien cela ? » À chaque fois, j’ai répondu : « Oui, monsieur le Président », selon les instructions de mon avocat. Cela a été long parce que le président apportait beaucoup de minutie dans son récit. Pendant tout ce temps, les journalistes écrivaient. Je sentais les regards du plus jeune d’entre eux et de la petite automate. La banquette de tramway était tout entière tournée vers le président. Celui-ci a toussé, feuilleté son dossier et il s’est tourné vers moi en s’éventant. El interrogatorio comenzó en seguida. El Presidente me preguntó con calma y me pareció que aun con un matiz de cordialidad. Se me hizo declarar otra vez sobre mi identidad y, a pesar de mi irritación, pensé que en el fondo era bastante natural porque sería muy grave juzgar a un hombre por otro. Luego el Presidente volvió a comenzar el relato de lo que y o, había hecho, dirigiéndose a mí cada tres frases para preguntarme: «¿Es así?» Cada vez respondí: «Sí, señor Presidente», según las instrucciones del abogado. Esto fue largo porque el presidente era muy minucioso en su relato. Entretanto, los periodistas escribían. Yo sentía la mirada del periodista más joven y de la pequeña autómata. La banqueta de tranvía se había vuelto toda entera hacia el Presidente. Este tosió, hojeó el expediente y se volvió hacia mí abanicándose.
Il m’a dit qu’il devait aborder maintenant des questions apparemment étrangères à mon affaire, mais qui peut-être la touchaient de fort près. J’ai compris qu’il allait encore parler de maman et j’ai senti en même temps combien cela m’ennuyait. Il m’a demandé pourquoi j’avais mis maman à l’asile. J’ai répondu que c’était parce que je manquais d’argent pour la faire garder et soigner. Il m’a demandé si cela m’avait coûté personnellement et j’ai répondu que ni maman ni moi n’attendions plus rien l’un de l’autre, ni d’ailleurs de personne, et que nous nous étions habitués tous les deux à nos vies nouvelles. Le président a dit alors qu’il ne voulait pas insister sur ce point et il a demandé au procureur s’il ne voyait pas d’autre question à me poser. Me dijo que debía abordar ahora cuestiones aparentemente extrañas al asunto, pero que quizá le tocasen bien de cerca. Comprendí que iba a hablarme otra vez de mamá y sentí al mismo tiempo cuánto me aburría. Me preguntó por qué había metido a mamá en el asilo. Contesté que porque carecía de dinero para hacerla atender y cuidar. Me preguntó si me había costado personalmente y contesté que ni mamá ni yo esperábamos nada el uno del otro, ni de nadie por otra parte, y que ambos nos habíamos acostumbrado a nuestras nuevas vidas. El Presidente dijo entonces que no quería insistir sobre este punto y preguntó al Procurador si no tenía otra pregunta que formularme.
Celui-ci me tournait à demi le dos et, sans me regarder, il a déclaré qu’avec l’autorisation du président, il aimerait savoir si j’étais retourné vers la source tout seul avec l’intention de tuer l’Arabe. « Non », ai-je dit. « Alors, pourquoi était-il armé et pourquoi revenir vers cet endroit précisément ? » J’ai dit que c’était le hasard. Et le procureur a noté avec un accent mauvais : « Ce sera tout pour le moment. » Tout ensuite a été un peu confus, du moins pour moi. Mais après quelques conciliabules, le président a déclaré que l’audience était levée et renvoyée à l’après-midi pour l’audition des témoins. El Procurador estaba medio vuelto de espaldas hacia mí y, sin mirarme, declaró que, con la autorización del Presidente, querría saber si yo había vuelto al manantial con la intención de matar al árabe. «No», dije. «Entonces, ¿por qué estaba armado y por qué volver a ese lugar precisamente?» Dije que era el azar. Y el Procurador señaló con acento cruel: «Nada más por el momento.» Todo fue en seguida un poco confuso, por lo menos para mí. Pero después de algunos conciliábulos el Presidente declaró que la audiencia quedaba levantada y transferida hasta la tarde para recibir la declaración de los testigos.
Je n’ai pas eu le temps de réfléchir. On m’a emmené, fait monter dans la voiture cellulaire et conduit à la prison où j’ai mangé. Au bout de très peu de temps, juste assez pour me rendre compte que j’étais fatigué, on est revenu me chercher ; tout a recommencé et je me suis trouvé dans la même salle, devant les mêmes visages. Seulement la chaleur était beaucoup plus forte et comme par un miracle chacun des jurés, le procureur, mon avocat et quelques journalistes étaient munis aussi d’éventails de paille. Le jeune journaliste et la petite femme étaient toujours là. Mais ils ne s’éventaient pas et me regardaient encore sans rien dire. No tuve tiempo de reflexionar. Se me llevó, se me hizo subir al coche celular y se me condujo a la cárcel, donde comí. Al cabo de muy poco tiempo, exactamente el necesario para darme cuenta de que estaba cansado, volvieron a buscarme: todo comenzó de nuevo y me encontré en la misma sala, delante de los mismos rostros. Sólo que el calor era mucho más intenso y, como por milagro, cada uno de los jurados, el Procurador, el abogado y algunos periodistas estaban también provistos de abanicos de paja. El periodista joven y la mujercita estaban siempre allí. Pero no se abanicaban y seguían mirándome sin decir nada.
J’ai essuyé la sueur qui couvrait mon visage et je n’ai repris un peu conscience, du lieu et de moi-même que lorsque j’ai entendu appeler le directeur de l’asile. On lui a demandé si maman se plaignait de moi et il a dit que oui mais que c’était un peu la manie de ses pensionnaires de se plaindre de leurs proches. Le président lui a fait préciser si elle me reprochait de l’avoir mise à l’asile et le directeur a dit encore oui. Mais cette fois, il n’a rien ajouté. À une autre question, il a répondu qu’il avait été surpris de mon calme le jour de l’enterrement. On lui a demandé ce qu’il entendait par calme. Le directeur a regardé alors le bout de ses souliers et il a dit que je n’avais pas voulu voir maman, je n’avais pas pleuré une seule fois et j’étais parti aussitôt après l’enterrement sans me recueillir sur sa tombe. Une chose encore l’avait surpris : un employé des pompes funèbres lui avait dit que je ne savais pas l’âge de maman. Il y a eu un moment de silence et le président lui a demandé si c’était bien de moi qu’il avait parlé. Comme le directeur ne comprenait pas la question, il lui a dit : « C’est la loi. » Puis le président a demandé à l’avocat général s’il n’avait pas de question à poser au témoin et le procureur s’est écrié : « Oh ! non, cela suffit », avec un tel éclat et un tel regard triomphant dans ma direction que, pour la première fois depuis bien des années, j’ai eu une envie stupide de pleurer parce que j’ai senti combien j’étais détesté par tous ces gens-là. Me enjugué el sudor que me cubría el rostro y recobré un poco la conciencia del lugar y de mí mismo sólo cuando oí llamar al director del asilo. Le preguntaron si mamá se quejaba de mí y dijo que sí, pero que sus pensionistas tenían un poco la manía de quejarse de los parientes. El Presidente le hizo precisar si ella me reprochaba el haberla metido en el asilo, y el director dijo otra vez que sí. Pero esta vez no agregó nada. A otra pregunta contestó que había quedado sorprendido de mi calma el día del entierro. Le preguntaron qué entendía por calma. El director miró entonces la punta de sus zapatos y dijo que yo no había querido ver a mamá, que no había llorado ni una sola vez y que después del entierro había partido en seguida, sin recogerme ante su tumba. Otra cosa le había sorprendido: un empleado de pompas fúnebres le había dicho que yo no sabía la edad de mamá. Hubo un momento de silencio, y el Presidente le preguntó si estaba seguro que era de mí de quien había hablado. Como el director no comprendía la pregunta, le dijo: «Así lo dispone la ley.» Luego el Presidente preguntó al Abogado General si quería interrogar al testigo, y el Procurador gritó: «¡Oh, no, es suficiente!» con tal ostentación y tal mirada triunfante hacia mi lado que por primera vez desde hacía muchos años tuve un estúpido deseo de llorar porque sentí cuánto me detestaba toda esa gente.
Après avoir demandé au jury et à mon avocat s’ils avaient des questions à poser, le président a entendu le concierge. Pour lui comme pour tous les autres, le même cérémonial s’est répété. En arrivant, le concierge m’a regardé et il a détourné les yeux. Il a répondu aux questions qu’on lui posait. Il a dit que je n’avais pas voulu voir maman, que j’avais fumé, que j’avais dormi et que j’avais pris du café au lait. J’ai senti alors quelque chose qui soulevait toute la salle et, pour la première fois, j’ai compris que j’étais coupable. On a fait répéter au concierge l’histoire du café au lait et celle de la cigarette. L’avocat général m’a regardé avec une lueur ironique dans les yeux. À ce moment, mon avocat a demandé au concierge s’il n’avait pas fumé avec moi. Mais le procureur s’est élevé avec violence contre cette question : « Quel est le criminel ici et quelles sont ces méthodes qui consistent à salir les témoins de l’accusation pour minimiser des témoignages qui n’en demeurent pas moins écrasants ! » Malgré tout, le président a demandé au concierge de répondre à la question. Le vieux a dit d’un air embarrassé : « Je sais bien que j’ai eu tort. Mais je n’ai pas osé refuser la cigarette que Monsieur m’a offerte. » En dernier lieu, on m’a demandé si je n’avais rien à ajouter. « Rien, ai-je répondu, seulement que le témoin a raison. Il est vrai que je lui ai offert une cigarette. » Le concierge m’a regardé alors avec un peu d’étonnement et une sorte de gratitude. Il a hésité, puis il a dit que c’était lui qui m’avait offert le café au lait. Mon avocat a triomphé bruyamment et a déclaré que les jurés apprécieraient. Mais le procureur a tonné au-dessus de nos têtes et il a dit : « Oui, MM. les jurés apprécieront. Et ils concluront qu’un étranger pouvait proposer du café, mais qu’un fils devait le refuser devant le corps de celle qui lui avait donné le jour. » Le concierge a regagné son banc. Después de haber preguntado al Jurado y al abogado si tenían preguntas que formular, el Presidente oyó al portero. Para él, como para todos los demás, se repitió el mismo ceremonial. Cuando llegó, el portero me miró y apartó la vista. Respondió a las preguntas que se le formularon. Dijo que yo no había querido ver a mamá, que había fumado, que había dormido y tomado café con leche. Sentí entonces que algo agitaba a toda la sala y por primera vez comprendí que era culpable. Hicieron repetir al portero la historia del café con leche y la del cigarrillo. El Abogado General me miró con brillo irónico en los ojos. En ese momento el abogado preguntó al portero si no había fumado conmigo. Pero el Procurador se opuso violentamente a esta pregunta: «¿Quién es aquí el criminal y cuáles son los métodos que consisten en manchar a los testigos de la acusación para desvirtuar testimonios que no por eso resultan menos aplastantes?» Pese a todo, el Presidente ordenó al portero que respondiese a la pregunta. El viejo dijo con aire cohibido: «Sé perfectamente que hice mal. Pero no me atreví a rehusar el cigarrillo que el señor me ofreció.» En último lugar, me preguntaron si no tenía nada que agregar. «Nada, respondí, solamente que el testigo tiene razón. Es verdad que le ofrecí un cigarrillo.» El portero me miró entonces con un poco de asombro y una especie de gratitud. Vaciló; luego dijo que era él quien me había ofrecido el café con leche. El abogado triunfó ruidosamente y declaró que los jurados apreciarían. Pero el Procurador atronó sobre nuestras cabezas y dijo: «Sí. Los señores jurados apreciarán. Y llegarán a la conclusión de que un extraño podía proponer tomar café, pero que un hijo debía rechazarlo delante del cuerpo de la que le había dado la vida.» El portero volvió a su asiento.
Quand est venu le tour de Thomas Pérez, un huissier a dû le soutenir jusqu’à la barre. Pérez a dit qu’il avait surtout connu ma mère et qu’il ne m’avait vu qu’une fois, le jour de l’enterrement. On lui a demandé ce que j’avais fait ce jour-là et il a répondu : « Vous comprenez, moi-même j’avais trop de peine. Alors, je n’ai rien vu. C’était la peine qui m’empêchait de voir. Parce que c’était pour moi une très grosse peine. Et même, je me suis évanoui. Alors, je n’ai pas pu voir Monsieur. » L’avocat général lui a demandé si, du moins, il m’avait vu pleurer. Pérez a répondu que non. Le procureur a dit alors à son tour : « MM. les jurés apprécieront. » Mais mon avocat s’est fâché. Il a demandé à Pérez, sur un ton qui m’a semblé exagéré, « s’il avait vu que je ne pleurais pas ». Pérez a dit : « Non. » Le public a ri. Et mon avocat, en retroussant une de ses manches, a dit d’un ton péremptoire : « Voilà l’image de ce procès. Tout est vrai et rien n’est vrai ! » Le procureur avait le visage ferme et piquait un crayon dans les titres de ses dossiers. Cuando llegó el turno a Tomás Pérez, un ujier tuvo que sostenerlo hasta la barra. Pérez dijo que había conocido principalmente a mi madre y que no me había visto más que una vez, el día del entierro. Le preguntaron qué había hecho yo ese día, y respondió: «Ustedes comprenderán; me sentía demasiado apenado, de manera que nada vi. La pena me impedía ver. Porque era para mí una pena muy grande. Y hasta me desmayé. De manera que no pude ver al señor.» El Abogado General le preguntó si por lo menos me había visto llorar. Pérez respondió que no. El Procurador dijo entonces a su vez: «Los señores jurados apreciarán.» Pero el abogado se había enfadado. Preguntó a Pérez en un tono que me pareció exagerado, «si había visto que yo no hubiera llorado.» Pérez dijo: «No.» El público rió. Y el abogado recogiendo una de las mangas, dijo con tono perentorio: «¡He aquí la imagen de este proceso! ¡Todo es cierto y nada es cierto!» El Procurador tenía el rostro impenetrable y clavaba la punta del lápiz en los rótulos de los expedientes.
Après cinq minutes de suspension pendant lesquelles mon avocat m’a dit que tout allait pour le mieux, on a entendu Céleste qui était cité par la défense. La défense, c’était moi. Céleste jetait de temps en temps des regards de mon côté et roulait un panama entre ses mains. Il portait le costume neuf qu’il mettait pour venir avec moi, certains dimanches, aux courses de chevaux. Mais je crois qu’il n’avait pas pu mettre son col parce qu’il portait seulement un bouton de cuivre pour tenir sa chemise fermée. On lui a demandé si j’étais son client et il a dit : « Oui, mais c’était aussi un ami » ; ce qu’il pensait de moi et il a répondu que j’étais un homme ; ce qu’il entendait par là et il a déclaré que tout le monde savait ce que cela voulait dire ; s’il avait remarqué que j’étais renfermé et il a reconnu seulement que je ne parlais pas pour ne rien dire. L’avocat général lui a demandé si je payais régulièrement ma pension. Céleste a ri et il a déclaré : « C’étaient des détails entre nous. » On lui a demandé encore ce qu’il pensait de mon crime. Il a mis alors ses mains sur la barre et l’on voyait qu’il avait préparé quelque chose. Il a dit : « Pour moi, c’est un malheur. Un malheur, tout le monde sait ce que c’est. Ça vous laisse sans défense. Eh bien ! pour moi c’est un malheur. » Il allait continuer, mais le président lui a dit que c’était bien et qu’on le remerciait. Alors Celeste est resté un peu interdit. Mais il a déclaré qu’il voulait encore parler. On lui a demandé d’être bref. Il a encore répété que c’était un malheur. Et le président lui a dit : « Oui, c’est entendu. Mais nous sommes là pour juger les malheurs de ce genre. Nous vous remercions. » Comme s’il était arrivé au bout de sa science et de sa bonne volonté, Céleste s’est alors retourné vers moi. Il m’a semblé que ses yeux brillaient et que ses lèvres tremblaient. Il avait l’air de me demander ce qu’il pouvait encore faire. Moi, je n’ai rien dit, je n’ai fait aucun geste, mais c’est la première fois de ma vie que j’ai eu envie d’embrasser un homme. Le président lui a encore enjoint de quitter la barre. Céleste est allé s’asseoir dans le prétoire. Pendant tout le reste de l’audience, il est resté là, un peu penché en avant, les coudes sur les genoux, le panama entre les mains, à écouter tout ce qui se disait. Marie est entrée. Elle avait mis un chapeau et elle était encore belle. Mais je l’aimais mieux avec ses cheveux libres. De l’endroit où j’étais, je devinais le poids léger de ses seins et je reconnaissais sa lèvre inférieure toujours un peu gonflée. Elle semblait très nerveuse. Tout de suite, on lui a demandé depuis quand elle me connaissait. Elle a indiqué l’époque où elle travaillait chez nous. Le président a voulu savoir quels étaient ses rapports avec moi. Elle a dit qu’elle était mon amie. À une autre question, elle a répondu qu’il était vrai qu’elle devait m’épouser. Le procureur qui feuilletait un dossier lui a demandé brusquement de quand datait notre liaison. Elle a indiqué la date. Le procureur a remarqué d’un air indifférent qu’il lui semblait que c’était le lendemain de la mort de maman. Puis il a dit avec quelque ironie qu’il ne voudrait pas insister sur une situation délicate, qu’il comprenait bien les scrupules de Marie, mais (et ici son accent s’est fait plus dur) que son devoir lui commandait de s’élever au-dessus des convenances. Il a donc demandé à Marie de résumer cette journée où je l’avais connue. Marie ne voulait pas parler, mais devant l’insistance du procureur, elle a dit notre bain, notre sortie au cinéma et notre rentrée chez moi. L’avocat général a dit qu’à la suite des déclarations de Marie l’instruction, il avait consulté les programmes de cette date. Il a ajouté que Marie elle-même dirait quel film on passait alors. D’une voix presque blanche, en effet, elle a indiqué que c’était un film de Fernandel. Le silence était complet dans la salle quand elle a eu fini. Le procureur s’est alors levé, très grave et d’une voix que j’ai trouvée vraiment émue, le doigt tendu vers moi, il a articulé lentement : « Messieurs les jurés, le lendemain de la mort de sa mère, cet homme prenait des bains, commençait une liaison irrégulière, et allait rire devant un film comique. Je n’ai rien de plus à vous dire. » Il s’est assis, toujours dans le silence. Mais, tout d’un coup, Marie a éclaté en sanglots, a dit que ce n’était pas cela, qu’il y avait autre chose, qu’on la forçait à dire le contraire de ce qu’elle pensait, qu’elle me connaissait bien et que je n’avais rien fait de mal. Mais l’huissier, sur un signe du président, l’a emmenée et l’audience s’est poursuivie. Después de cinco minutos de suspensión durante los cuales el abogado me dijo que todo iba bien, se oyó que la defensa citaba a Celeste. La defensa era yo. Celeste echaba miradas hacia mi lado de cuando en cuando y daba vueltas a un panamá entre las manos. Llevaba el traje nuevo que se ponía para ir conmigo algunos domingos a las carreras de caballos. Pero creo que no había podido ponerse el cuello porque llevaba solamente un botón de cobre para mantener cerrada la camisa. Le preguntaron si yo era cliente suyo, y dijo: «Sí, pero también era un amigo»; lo que pensaba de mí, y respondió que yo era un hombre; qué entendía por eso, y declaró que todo el mundo sabía lo que eso quería decir; si había notado que era reservado y se limitó a reconocer que yo no hablaba para decir nada. El Abogado General le preguntó si yo pagaba regularmente la pensión. Celeste se rió y declaró: «Esos eran detalles entre nosotros.» Le preguntaron otra vez qué pensaba de mi crimen. Apoyó entonces las manos en la barra y se veía que había preparado alguna respuesta. Dijo: «Para mí, es una desgracia. Todo el mundo sabe lo que es una desgracia. Lo deja a uno sin defensa. Y bien: para mí es una desgracia.» Iba a continuar, pero el Presidente le dijo que estaba bien y que se le agradecía. Entonces Celeste quedó un poco perplejo. Pero declaró que quería decir algo más. Se le pidió que fuese breve. Repitió aún que era una desgracia. Y el Presidente dijo: «Sí, de acuerdo. Pero estamos aquí para juzgar desgracias de este género. Muchas gracias.» Como si hubiese llegado al colmo de su sabiduría y de su buena voluntad, Celeste se volvió entonces hacia mí. Me pareció que le brillaban los ojos y le temblaban los labios. Parecía preguntarme qué más podía hacer. Yo no dije nada, no hice gesto alguno, pero es la primera vez en mi vida que sentí deseos de besar a un hombre. El Presidente le ordenó otra vez que abandonara la barra. Celeste fue a sentarse en el escaño. Durante todo el resto de la audiencia quedó allí, un poco inclinado hacia adelante, con los codos en las rodillas, el panamá sobre las manos, oyendo todo lo que se decía. María entró. Se había puesto sombrero y todavía estaba hermosa. Pero me gustaba más con la cabeza descubierta. Desde el lugar en que estaba adivinaba el ligero peso de sus senos y reconocía el labio inferior siempre un poco abultado. Parecía muy nerviosa. Le preguntaron en seguida desde cuándo me conocía. Indicó la época en que trabajaba con nosotros. El Presidente quiso saber cuáles eran sus relaciones conmigo. Dijo que era mi amiga. A otra pregunta, contestó que era cierto que debía casarse conmigo. El Procurador, que hojeaba un expediente, le preguntó con tono brusco cuándo comenzó nuestra unión. Ella indicó la fecha. El Procurador señaló con aire indiferente que le parecía que era el día siguiente al de la muerte de mamá. Luego dijo con ironía que no querría insistir sobre una situación delicada; que comprendía muy bien los escrúpulos de María, pero (y aquí su acento se volvió más duro) que su deber le ordenaba pasar por encima de las conveniencias. Pidió pues a María que resumiera el día en el que yo la había conocido. María no quería hablar, pero ante la insistencia del Procurador recordó el baño, la ida al cine y el regreso a mi casa. El Abogado General dijo que después de las declaraciones de María en el sumario de instrucción había consultado los programas de esa fecha. Agregó que la propia María diría qué película pasaban entonces. Con voz casi inaudible María indicó que en efecto era una película de Femandel. Cuando concluyó, el silencio era completo en la sala. El Procurador se levantó entonces muy gravemente y con voz que me pareció verdaderamente conmovida, el dedo tendido hacia mí, articuló lentamente: «Señores jurados: al día siguiente de la muerte de su madre este hombre tomaba baños, comenzaba una unión irregular e iba a reír con una película cómica. No tengo nada más que decir.» Volvió a sentarse, siempre en medio del silencio. Pero de golpe María estalló en sollozos; dijo que no era así, que había otra cosa, que la forzaban a decir lo contrario de lo que pensaba, que me conocía bien y que no había hecho nada malo. Pero el ujier, a una señal del Presidente, la llevó y la audiencia prosiguió.
C’est à peine si, ensuite, on a écouté Masson qui a déclaré que j’étais un honnête homme « et qu’il dirait plus, j’étais un brave homme ». C’est à peine encore si on a écouté Salamano quand il a rappelé que j’avais été bon pour son chien et quand il a répondu à une question sur ma mère et sur moi en disant que je n’avais plus rien à dire à maman et que je l’avais mise pour cette raison à l’asile. « Il faut comprendre, disait Salamano, il faut comprendre. » Mais personne ne paraissait comprendre. On l’a emmené. En seguida se escuchó, pero apenas, a Masson, quien declaró que yo era un hombre honrado, «y que diría más, era un hombre bueno.» Apenas se escuchó también a Salamano cuando recordó que había tratado bien a su perro y cuando respondió a una pregunta sobre mi madre y sobre mí diciendo que yo no tenía nada más que decir a mamá y que por eso la había metido en el asilo. «Hay que comprender, decía Salamano, hay que comprender.» Pero nadie parecía comprender. Se lo llevaron.
Puis est venu le tour de Raymond, qui était le dernier témoin. Raymond m’a fait un petit signe et a dit tout de suite que j’étais innocent. Mais le président a déclaré qu’on ne lui demandait pas des appréciations, mais des faits. Il l’a invité à attendre des questions pour répondre. On lui a fait préciser ses relations avec la victime. Raymond en a profité pour dire que c’était lui que cette dernière haïssait depuis qu’il avait giflé sa sœur. Le président lui a demandé cependant si la victime n’avait pas de raison de me haïr. Raymond a dit que ma présence à la plage était le résultat d’un hasard. Le procureur lui a demandé alors comment il se faisait que la lettre qui était à l’origine du drame avait été écrite par moi. Raymond a répondu que c’était un hasard. Le procureur a rétorqué que le hasard avait déjà beaucoup de méfaits sur la conscience dans cette histoire. Il a voulu savoir si c’était par hasard que je n’étais pas intervenu quand Raymond avait giflé sa maîtresse, par hasard que j’avais servi de témoin au commissariat, par hasard encore que mes déclarations lors de ce témoignage s’étaient révélées de pure complaisance. Pour finir, il a demandé à Raymond quels étaient ses moyens d’existence, et comme ce dernier répondait : « Magasinier », l’avocat général a déclaré aux jurés que de notoriété générale le témoin exerçait le métier de souteneur. J’étais son complice et son ami. Il s’agissait d’un drame crapuleux de la plus basse espèce, aggravé du fait qu’on avait affaire à un monstre moral. Raymond a voulu se défendre et mon avocat a protesté, mais on leur a dit qu’il fallait laisser terminer le procureur. Celui-ci a dit : « J’ai peu de chose à ajouter. Était-il votre ami ? » a-t-il demande à Raymond. « Oui, a dit celui-ci, c’était mon copain. » L’avocat général m’a posé alors la même question et j’ai regardé Raymond qui n’a pas détourné les yeux. J’ai répondu : « Oui. » Le procureur s’est alors retourné vers le jury et a déclaré : « Le même homme qui au lendemain de la mort de sa mère se livrait à la débauche la plus honteuse a tué pour des raisons futiles et pour liquider une affaire de mœurs inqualifiable. » Luego llegó el turno a Raimundo, que era el último testigo. Me hizo una ligera señal y dijo al instante que yo era inocente. Pero el Presidente declaró que no se le pedían apreciaciones, sino hechos. Le invitó a esperar las preguntas para responder. Le hicieron precisar sus relaciones con la víctima. Raimundo aprovechó para decir que era a él a quien este último odiaba desde que había abofeteado a su hermana. Sin embargo, el Presidente le preguntó si la víctima no tenía algún motivo para odiarme. Raimundo dijo que mi presencia en la playa era fruto de la casualidad. Entonces el Procurador le preguntó cómo era que la carta origen del drama había sido escrita por mí. Raimundo respondió que era una casualidad. El Procurador redargüyó que la casualidad tenía ya muchas fechorías sobre su conciencia en este asunto. Quiso saber si era por casualidad que yo no había intervenido cuando Raimundo abofeteó a su amante; por casualidad que yo había servido de testigo en la comisaría; por casualidad aún que mis declaraciones con motivo de ese testimonio habían resultado de pura complacencia. Para concluir, preguntó a Raimundo cuáles eran sus medios de vida, y como el último respondiera: «guardalmacén», el Abogado General declaró a los jurados que el testigo ejercía notoriamente el oficio de proxeneta. Yo era su cómplice y su amigo. Se trataba de un drama crapuloso de la más baja especie, agravado por el hecho de tener delante a un monstruo moral. Raimundo quiso defenderse y el abogado protestó, pero se le dijo que debía dejar terminar al Procurador. Este dijo: «Tengo poco que agregar. ¿Era amigo suyo?», preguntó a Raimundo. «Sí», dijo éste, «era mi camarada». El Abogado General me formuló entonces la misma pregunta y yo miré a Raimundo, que no apartó la vista. Respondí: «Sí.» El Procurador se volvió hacia el Jurado y declaró: «El mismo hombre que al día siguiente al de la muerte de su madre se entregaba al desenfreno más vergonzoso mató por razones fútiles y para liquidar un incalificable asunto de costumbres inmorales.»
Il s’est assis alors. Mais mon avocat, à bout de patience, s’est écrié en levant les bras, de sorte que ses manches en retombant ont découvert les plis d’une chemise amidonnée : « Enfin, est-il accusé d’avoir enterré sa mère ou d’avoir tué un homme ? » Le public a ri. Mais le procureur s’est redressé encore, s’est drapé dans sa robe et a déclaré qu’il fallait avoir l’ingénuité de l’honorable défenseur pour ne pas sentir qu’il y avait entre ces deux ordres de faits une relation profonde, pathétique, essentielle. « Oui, s’est-il écrié avec force, j’accuse cet homme d’avoir enterré une mère avec un cœur de criminel. » Cette déclaration a paru faire un effet considérable sur le public. Mon avocat a haussé les épaules et essuyé la sueur qui couvrait son front. Mais lui-même paraissait ébranlé et j’ai compris que les choses n’allaient pas bien pour moi. Volvió a sentarse. Pero el abogado, al tope de la paciencia, gritó levantando los brazos de manera que las mangas al caer descubrieron los pliegues de la camisa almidonada. «En fin, ¿se le acusa de haber enterrado a su madre o de haber matado a un hombre?» El público rió. El Procurador se reincorporó una vez más, se envolvió en la toga y declaró que era necesario tener la ingenuidad del honorable defensor para no advertir que entre estos dos órdenes de hechos existía una relación profunda, patética, esencial. «Sí», gritó con fuerza, «yo acuso a este hombre de haber enterrado a su madre con corazón de criminal». Esta declaración pareció tener considerable efecto sobre el público. El abogado se encogió de hombros y enjugó el sudor que le cubría la frente. Pero él mismo parecía vencido y comprendí que las cosas no iban bien para mí.
L’audience a été levée. En sortant du palais de justice pour monter dans la voiture, j’ai reconnu un court instant l’odeur et la couleur du soir d’été. Dans l’obscurité de ma prison roulante, j’ai retrouvé un à un, comme du fond de ma fatigue, tous les bruits familiers d’une ville que j’aimais et d’une certaine heure où il m’arrivait de me sentir content. Le cri des vendeurs de journaux dans l’air déjà détendu, les derniers oiseaux dans le square, l’appel des marchands de sandwiches, la plainte des tramways dans les hauts tournants de la ville et cette rumeur du ciel avant que la nuit bascule sur le port, tout cela recomposait pour moi un itinéraire d’aveugle, que je connaissais bien avant d’entrer en prison. Oui, c’était l’heure où, il y avait bien longtemps, je me sentais content. Ce qui m’attendait alors, c’était toujours un sommeil léger et sans rêves. Et pourtant quelque chose était changé puisque, avec l’attente du lendemain, c’est ma cellule que j’ai retrouvée. Comme si les chemins familiers tracés dans les ciels d’été pouvaient mener aussi bien aux prisons qu’aux sommeils innocents. Todo fue muy rápido después. La audiencia se levantó. Al salir del Palacio de Justicia para subir al coche reconocí en un breve instante el olor y el color de la noche de verano. En la oscuridad de la cárcel rodante encontré uno por uno, surgidos de lo hondo de mi fatiga, todos los ruidos familiares de una ciudad que amaba y de cierta hora en la que ocurríame sentirme feliz. El grito de los vendedores de diarios en el aire calmo de la tarde, los últimos pájaros en la plaza, el pregón de los vendedores de emparedados, la queja de los tranvías en los recodos elevados de la ciudad y el rumor del cielo antes de que la noche caiga sobre el puerto, todo esto recomponía para mí un itinerario de ciego, que conocía bien antes de entrar en la cárcel. Sí, era la hora en la que, hace ya mucho tiempo, me sentía contento. Entonces me esperaba siempre un sueño ligero y sin pesadillas. Y sin embargo, había cambiado, pues a la espera del día siguiente fue la celda lo que volví a encontrar. Como si los caminos familiares trazados en los cielos de verano pudiesen conducir tanto a las cárceles como a los sueños inocentes.






II - IV

II - IV

Même sur un banc d’accusé, il est toujours intéressant d’entendre parler de soi. Pendant les plaidoiries du procureur et de mon avocat, je peux dire qu’on a beaucoup parlé de moi et peut-être plus de moi que de mon crime. Étaient-elles si différentes, d’ailleurs, ces plaidoiries ? L’avocat levait les bras et plaidait coupable, mais avec excuses. Le procureur tendait ses mains et dénonçait la culpabilité, mais sans excuses. Une chose pourtant me gênait vaguement. Malgré mes préoccupations, j’étais parfois tenté d’intervenir et mon avocat me disait alors : « Taisez-vous, cela vaut mieux pour votre affaire. » En quelque sorte, on avait l’air de traiter cette affaire en dehors de moi. Tout se déroulait sans mon intervention. Mon sort se réglait sans qu’on prenne mon avis. De temps en temps, j’avais envie d’interrompre tout le monde et de dire : « Mais tout de même, qui est l’accusé ? C’est important d’être l’accusé. Et j’ai quelque chose à dire ! » Mais réflexion faite, je n’avais rien à dire. D’ailleurs, je dois reconnaître que l’intérêt qu’on trouve à occuper les gens ne dure pas longtemps. Par exemple, la plaidoirie du procureur m’a très vite lassé. Ce sont seulement des fragments, des gestes ou des tirades entières, mais détachées de l’ensemble, qui m’ont frappé ou ont éveillé mon intérêt. Aun en el banquillo de los acusados es siempre interesante oír hablar de uno mismo. Durante los alegatos del Procurador y del abogado puedo decir que se habló mucho de mí y quizá más de mí que de mi crimen. ¿Eran muy diferentes, por otra parte, esos alegatos? El abogado levantaba los brazos y defendía mi culpabilidad, pero con excusas. El Procurador tendía las manos y denunciaba mi culpabilidad, pero sin excusas. Una cosa, empero, me molestaba vagamente. Pese a mis preocupaciones estaba a veces tentado de intervenir y el abogado me decía entonces: «Cállese, conviene más para la defensa.» En cierto modo parecían tratar el asunto prescindiendo de mí. Todo se desarrollaba sin mi intervención. Mi suerte se decidía sin pedirme la opinión. De vez en cuando sentía deseos de interrumpir a todos y decir: «Pero, al fin y al caso, ¿quién es el acusado? Es importante ser el acusado. Y yo tengo algo que decir.» Pero pensándolo bien no tenía nada que decir. Por otra parte, debo reconocer que el interés que uno encuentra en atraer la atención de la gente no dura mucho. Por ejemplo, el alegato del Procurador me fatigó muy pronto. Sólo me llamaron la atención o despertaron mi interés fragmentos, gestos o tiradas enteras, pero separadas del conjunto.
Le fond de sa pensée, si j’ai bien compris, c’est que j’avais prémédité mon crime. Du moins, il a essayé de le démontrer. Comme il le disait lui-même : « J’en ferai la preuve, Messieurs, et je la ferai doublement. Sous l’aveuglante clarté des faits d’abord et ensuite dans l’éclairage sombre que me fournira la psychologie de cette âme criminelle. » Il a résumé les faits à partir de la mort de maman. Il a rappelé mon insensibilité, l’ignorance où j’étais de l’âge de maman, mon bain du lendemain, avec une femme, le cinéma, Fernandel et enfin la rentrée avec Marie. J’ai mis du temps à le comprendre, à ce moment, parce qu’il disait « sa maîtresse » et pour moi, elle était Marie. Ensuite, il en est venu à l’histoire de Raymond. J’ai trouvé que sa façon de voir les événements ne manquait pas de clarté. Ce qu’il disait était plausible. J’avais écrit la lettre d’accord avec Raymond pour attirer sa maîtresse et la livrer aux mauvais traitements d’un homme « de moralité douteuse ». J’avais provoqué sur la plage les adversaires de Raymond. Celui-ci avait été blessé. Je lui avais demandé son revolver. J’étais revenu seul pour m’en servir. J’avais abattu l’Arabe comme je le projetais. J’avais attendu. Et « pour être sûr que la besogne était bien faite », j’avais tiré encore quatre balles, posément, à coup sûr, d’une façon réfléchie en quelque sorte. Si he comprendido bien, el fondo de su pensamiento es que yo había premeditado el crimen. Por lo menos, trató de demostrarlo. Como él mismo decía: «Lo probaré, señores, y lo probaré doblemente. Bajo la deslumbrante claridad de los hechos, en primer término, y en seguida, en la oscura iluminación que me proporcionará la psicología de esta alma criminal.» Resumió los hechos a partir de la muerte de mamá. Recordó mi insensibilidad, mi ignorancia sobre la edad de mamá, el baño del día siguiente con una mujer, el cine, Fernandel, y, por fin, el retorno con María. Necesité tiempo para comprenderle en ese momento porque decía «su amante» y para mí ella era María. Después se refirió a la historia de Raimundo. Me pareció que su manera de ver los hechos no carecía de claridad. Lo que decía era plausible. De acuerdo con Raimundo yo había escrito la carta que debía atraer a la amante y entregarla a los malos tratos de un hombre de «dudosa moralidad.» Yo había provocado en la playa a los adversarios de Raimundo. Este había resultado herido. Yo le había pedido el revólver. Había vuelto sólo para utilizarlo. Había abatido al árabe, tal como lo tenía proyectado. Había disparado una vez. Había esperado. Y «para estar seguro de que el trabajo estaba bien hecho», había disparado aún cuatro balas, serenamente, con el blanco asegurado, de una manera, en cierto modo, premeditada.
« Et voilà, Messieurs, a dit l’avocat général. J’ai retracé devant vous le fil d’événements qui a conduit cet homme à tuer en pleine connaissance de cause. J’insiste là-dessus, a-t-il dit. Car il ne s’agit pas d’un assassinat ordinaire, d’un acte irréfléchi que vous pourriez estimer atténué par les circonstances. Cet homme, Messieurs, cet homme est intelligent. Vous l’avez entendu, n’est-ce pas ? Il sait répondre. Il connaît la valeur des mots. Et l’on ne peut pas dire qu’il a agi sans se rendre compte de ce qu’il faisait. » «Y bien, señores», dijo el Abogado General: «Acabo de reconstruir delante de ustedes el hilo de acontecimientos que condujo a este hombre a matar con pleno conocimiento de causa. Insisto en esto», dijo, «pues no se trata de un asesinato común, de un acto irreflexivo que ustedes podrían considerar atenuado por las circunstancias. Este hombre, señores, este hombre es inteligente. Ustedes le han oído, ¿no es cierto? Sabe contestar. Conoce el valor de las palabras. Y no es posible decir que ha actuado sin darse cuenta de lo que hacía».
Moi j’écoutais et j’entendais qu’on me jugeait intelligent. Mais je ne comprenais pas bien comment les qualités d’un homme ordinaire pouvaient devenir des charges écrasantes contre un coupable. Du moins, c’était cela qui me frappait et je n’ai plus écouté le procureur jusqu’au moment ou je l’ai entendu dire : « A-t-il seulement exprimé des regrets ? Jamais, Messieurs. Pas une seule fois au cours de l’instruction cet homme n’a paru ému de son abominable forfait. » À ce moment, il s’est tourné vers moi et m’a désigné du doigt en continuant à m’accabler sans qu’en réalité je comprenne bien pourquoi. Sans doute, je ne pouvais pas m’empêcher de reconnaître qu’il avait raison. Je ne regrettais pas beaucoup mon acte. Mais tant d’acharnement m’étonnait. J’aurais voulu essayer de lui expliquer cordialement, presque avec affection, que je n’avais jamais pu regretter vraiment quelque chose. J’étais toujours pris par ce qui allait arriver, par aujourd’hui ou par demain. Mais naturellement, dans l’état où l’on m’avait mis, je ne pouvais parler à personne sur ce ton. Je n’avais pas le droit de me montrer affectueux, d’avoir de la bonne volonté. Et j’ai essayé d’écouter encore parce que le procureur s’est mis à parler de mon âme. Yo escuchaba y oía que se me juzgaba inteligente. Pero no comprendía bien cómo las cualidades de un hombre común podían convertirse en cargos aplastantes contra un culpable. Por lo menos, era esto lo que me chocaba y no escuché más al Procurador hasta el momento en que le oí decir: « ¿Acaso ha demostrado por lo menos arrepentimiento? Jamás, señores. Ni una sola vez en el curso de la instrucción este hombre ha parecido conmovido por su abominable crimen.» En ese momento se volvió hacia mí, me señaló con el dedo, y continuó abrumándome sin que pudiera comprender bien por qué. Sin duda no podía dejar de reconocer que tenía razón. No lamentaba mucho mi acto. Pero tanto encarnizamiento me asombraba. Hubiese querido tratar de explicarle cordialmente, casi con cariño, que nunca había podido sentir verdadero pesar por cosa alguna. Estaba absorbido siempre por lo que iba a suceder, por hoy o por mañana. Pero, naturalmente, en el estado en que se me había puesto, no podía hablar a nadie en este tono. No tenía derecho de mostrarme afectuoso, ni de tener buena voluntad. Y traté de escuchar otra vez porque el Procurador se puso a hablar de mi alma.
Il disait qu’il s’était penché sur elle et qu’il n’avait rien trouvé, Messieurs les jurés. Il disait qu’à la vérité, je n’en avais point, d’âme, et que rien d’humain, et pas un des principes moraux qui gardent le cœur des hommes ne m’était accessible. « Sans doute, ajoutait-il, nous ne saurions le lui reprocher. Ce qu’il ne saurait acquérir, nous ne pouvons nous plaindre qu’il en manqué. Mais quand il s’agit de cette cour, la vertu toute négative de la tolérance doit se muer en celle, moins facile, mais plus élevée, de la justice. Surtout lorsque le vide du cœur tel qu’on le découvre chez cet homme devient un gouffre où la société peut succomber. » C’est alors qu’il a parlé de mon attitude envers maman. Il a répété ce qu’il avait dit pendant les débats. Mais il a été beaucoup plus long que lorsqu’il parlait de mon crime, si long même que, finalement, je n’ai plus senti que la chaleur de cette matinée. Jusqu’au moment, du moins, où l’avocat général s’est arrêté et après un moment de silence, a repris d’une voix très basse et très pénétrée : « Cette même cour, Messieurs, va juger demain le plus abominable des forfaits : le meurtre d’un père. » Selon lui, l’imagination reculait devant cet atroce attentat. Il osait espérer que la justice des hommes punirait sans faiblesse. Mais, il ne craignait pas de le dire, l’horreur que lui inspirait ce crime le cédait presque à celle qu’il ressentait devant mon insensibilité. Toujours selon lui, un homme qui tuait moralement sa mère se retranchait de la société des hommes au même titre que celui qui portait une main meurtrière sur l’auteur de ses jours. Dans tous les cas, le premier préparait les actes du second, il les annonçait en quelque sorte et il les légitimait. « J’en suis persuadé, Messieurs, a-t-il ajouté en élevant la voix, vous ne trouverez pas ma pensée trop audacieuse, si je dis que l’homme qui est assis sur ce banc est coupable aussi du meurtre que cette cour devra juger demain. Il doit être puni en conséquence. » Ici, le procureur a essuyé son visage brillant de sueur. Il a dit enfin que son devoir était douloureux, mais qu’il l’accomplirait fermement. Il a déclaré que je n’avais rien à faire avec une société dont je méconnaissais les règles les plus essentielles et que je ne pouvais pas en appeler à ce cœur humain dont j’ignorais les réactions élémentaires. « Je vous demande la tête de cet homme, a-t-il dit, et c’est le cœur léger que je vous la demande. Car s’il m’est arrivé au cours de ma déjà longue carrière de réclamer des peines capitales, jamais autant qu’aujourd’hui, je n’ai senti ce pénible devoir compensé, balancé, éclairé par la conscience d’un commandement impérieux et sacré et par l’horreur que je ressens devant un visage d’homme où je ne lis rien que de monstrueux. » Decía que se había acercado a ella y que no había encontrado nada, señores jurados. Decía que, en realidad, yo no tenía alma en absoluto y que no me era accesible ni lo humano, ni uno solo de los principios morales que custodian el corazón de los hombres. «Sin duda», agregó, «no podríamos reprochárselo. No podemos quejarnos de que le falte aquello que no es capaz de adquirir. Pero cuando se trata de este Tribunal la virtud enteramente negativa de la tolerancia debe convertirse en la menos fácil pero más elevada de la justicia. Sobre todo cuando el vacío de un corazón, tal como se descubre en este hombre, se transforma en un abismo en el que la sociedad puede sucumbir». Habló entonces de mi actitud para con mamá. Repitió lo que había dicho en las audiencias anteriores. Pero estuvo mucho más largo que cuando hablaba del crimen; tan largo que finalmente no sentí más que el calor de la mañana. Por lo menos hasta el momento en que el Abogado General se detuvo y, después de un momento de silencio, volvió a comenzar con voz muy baja y muy penetrante: «Este mismo Tribunal, señores, va a juzgar mañana el más abominable de los crímenes: la muerte de un padre.» Según él, la imaginación retrocedía ante este atroz atentado. Osaba esperar que la justicia de los hombres castigaría sin debilidad. Pero, no temía decirlo el horror que le inspiraba este crimen cedía casi frente al que sentía delante de mi insensibilidad. Siempre según él, un hombre que mataba moralmente a su madre se sustraía de la sociedad de los hombres por el mismo título que el que levantaba la mano asesina sobre el autor de sus días. En todos los casos, el primero preparaba los actos del segundo y, en cierto modo, los anunciaba y los legitimaba. «Estoy persuadido, señores», agregó alzando la voz, «de que no encontrarán ustedes demasiado audaz mi pensamiento si digo que el hombre que está sentado en este banco es también culpable de la muerte que este Tribunal deberá juzgar mañana. Debe ser castigado en consecuencia.» Aquí el Procurador se enjugó el rostro brillante de sudor. Dijo en fin que su deber era penoso, pero que lo cumpliría firmemente. Declaró que yo no tenía nada que hacer en una sociedad cuyas reglas más esenciales desconocía y que no podía invocar al corazón humano cuyas reacciones elementales ignoraba. «Os pido la cabeza de este hombre», dijo, «y os la pido con el corazón tranquilo. Pues si en el curso de mi ya larga carrera me ha tocado reclamar penas capitales, nunca tanto como hoy he sentido este penoso deber compensado, equilibrado, iluminado por la conciencia de un imperioso y sagrado mandamiento y por el horror que siento delante del rostro de un hombre en el que no leo más que monstruosidades».
Quand le procureur s’est rassis, il y a eu un moment de silence assez long. Moi, j’étais étourdi de chaleur et d’étonnement. Le président a toussé un peu et sur un ton très bas, il m’a demandé si je n’avais rien à ajouter. Je me suis levé et comme j’avais envie de parler, j’ai dit, un peu au hasard d’ailleurs, que je n’avais pas eu l’intention de tuer l’Arabe. Le président a répondu que c’était une affirmation, que jusqu’ici il saisissait mal mon système de défense et qu’il serait heureux, avant d’entendre mon avocat, de me faire préciser les motifs qui avaient inspiré mon acte. J’ai dit rapidement, en mêlant un peu les mots et en me rendant compte de mon ridicule, que c’était à cause du soleil. Il y a eu des rires dans la salle. Mon avocat a haussé les épaules et tout de suite après, on lui a donné la parole. Mais il a déclaré qu’il était tard, qu’il en avait pour plusieurs heures et qu’il demandait le renvoi à l’après-midi. La cour y a consenti. Cuando el Procurador volvió a sentarse hubo un momento de silencio bastante largo. Yo me sentía aturdido por el calor y el asombro. El Presidente tosió un poco, y con voz muy baja me preguntó si no tenía nada que agregar. Me levanté y como tenía deseos de hablar, dije, un poco al azar por otra parte, que no había tenido intención de matar al árabe. El Presidente contestó que era una afirmación, que hasta aquí no había comprendido bien mi sistema de defensa y que, antes de oír a mi abogado le complacería que precisara los motivos que habían inspirado mi acto. Mezclando un poco las palabras y dándome cuenta del ridículo, dije rápidamente que había sido a causa del sol. En la sala hubo risas. El abogado se encogió de hombros e inmediatamente después le concedieron la palabra. Pero declaro que era tarde, que tenía para varias horas y que pedía la suspensión de la audiencia hasta la tarde. El Tribunal consintió.
L’après-midi, les grands ventilateurs brassaient toujours l’air épais de la salle et les petits éventails multicolores des jurés s’agitaient tous dans le même sens. La plaidoirie de mon avocat me semblait ne devoir jamais finir. À un moment donné, cependant, je l’ai écouté parce qu’il disait : « Il est vrai que j’ai tué. » Puis il a continué sur ce ton, disant « je » chaque fois qu’il parlait de moi. J’étais très étonné. Je me suis penché vers un gendarme et je lui ai demandé pourquoi. Il m’a dit de me taire et, après un moment, il a ajouté : « Tous les avocats font ça. » Moi, j’ai pensé que c’était m’écarter encore de l’affaire, me réduire à zéro et, en un certain sens, se substituer à moi. Mais je crois que j’étais déjà très loin de cette salle d’audience. D’ailleurs, mon avocat m’a semble ridicule. Il a plaidé la provocation très rapidement et puis lui aussi a parlé de mon âme. Mais il m’a paru qu’il avait beaucoup moins de talent que le procureur. « Moi aussi, a-t-il dit, je me suis penché sur cette âme, mais, contrairement à l’éminent représentant du ministère public, j’ai trouvé quelque chose et je puis dire que j’y ai lu a livre ouvert. » Il y avait lu que j’étais un honnête homme, un travailleur régulier, infatigable, fidèle à la maison qui l’employait, aimé de tous et compatissant aux misères d’autrui. Pour lui, j’étais un fils modèle qui avait soutenu sa mère aussi longtemps qu’il l’avait pu. Finalement j’avais espéré qu’une maison de retraite donnerait à la vieille femme le confort que mes moyens ne me permettaient pas de lui procurer. « Je m’étonne, Messieurs, a-t-il ajouté, qu’on ait mené si grand bruit autour de cet asile. Car enfin, s’il fallait donner une preuve de l’utilité et de la grandeur de ces institutions, il faudrait bien dire que c’est l’État lui-même qui les subventionne. » Seulement, il n’a pas parlé de l’enterrement et j’ai senti que cela manquait dans sa plaidoirie. Mais à cause de toutes ces longues phrases, de toutes ces journées et ces heures interminables pendant lesquelles on avait parlé de mon âme, j’ai eu l’impression que tout devenait comme une eau incolore où je trouvais le vertige. Por la tarde los grandes ventiladores seguían agitando la espesa atmósfera de la sala y los pequeños abanicos multicolores de los jurados se movían todos en al mismo sentido. Me pareció que el alegato del abogado no debía terminar jamás. Sin embargo en un momento dado, escuché que decía: «es cierto que yo maté.» Luego continuó en el mismo tono, diciendo «yo» cada vez que hablaba de mí. Yo estaba muy asombrado. Me incliné hacia un gendarme y le pregunté por qué. Me dijo que me callara y después de un momento agregó: «Todos los abogados hacen eso.» Pensé que era apartarme un poco más del asunto, reducirme a cero y, en cierto sentido, sustituirme. Pero creo que estaba ya muy lejos de la sala de audiencias. Por otra parte, el abogado me pareció ridículo. Alegó muy rápidamente la provocación y luego también habló de mi alma. Pero me pareció que tenía mucho menos talento que el Procurador. «También yo», dijo, «me he acercado a esta alma, pero, al contrarío del eminente representante del Ministerio Público, he encontrado algo, y puedo decir que he leído en ella como en un libro abierto». Había leído que yo era un hombre honrado, trabajador asiduo, incansable, fiel a la casa que me empleaba, querido por todos y compasivo con las desgracias ajenas. Para él yo era un hijo modelo que había sostenido a su madre tanto tiempo como había podido. Finalmente había esperado que una casa de retiro daría a la anciana las comodidades que mis medios no me permitían procurarle. «Me asombra, señores», agregó, «que se haya hecho tanto ruido alrededor del asilo. Pues, en fin, si fuera necesario dar una prueba de la utilidad y de la grandeza de estas instituciones, habría que decir que es el Estado mismo quien las subvenciona». Pero no habló del entierro, y advertí que faltaba en su alegato. Como consecuencia de todas estas largas frases, de todos estos días y horas interminables durante los cuales se había hablado de mi alma, tuve la impresión de que todo se volvía un agua incolora en la que encontraba el vértigo.
À la fin, je me souviens seulement que, de la rue et à travers tout l’espace des salles et des prétoires, pendant que mon avocat continuait à parler, la trompette d’un marchand de glace a résonné jusqu’à moi. J’ai été assailli des souvenirs d’une vie qui ne m’appartenait plus, mais où j’avais trouvé les plus pauvres et les plus tenaces de mes joies : des odeurs d’été, le quartier que j’aimais, un certain ciel du soir, le rire et les robes de Marie. Tout ce que je faisais d’inutile en ce lieu m’est alors remonté à la gorge et je n’ai eu qu’une hâte, c’est qu’on en finisse et que je retrouve ma cellule avec le sommeil. C’est à peine si j’ai entendu mon avocat s’écrier, pour finir, que les jurés ne voudraient pas envoyer à la mort un travailleur honnête perdu par une minute d’égarement et demander les circonstances atténuantes pour un crime dont je traînais déjà, comme le plus sûr de mes châtiments, le remords éternel. La cour a suspendu l’audience et l’avocat s’est assis d’un air épuisé. Mais ses collègues sont venus vers lui pour lui serrer la main. J’ai entendu : « Magnifique, mon cher. » L’un d’eux m’a même pris à témoin : « Hein ? » m’a-t-il dit. J’ai acquiescé, mais mon compliment n’était pas sincère, parce que j’étais trop fatigué. Al final, sólo recuerdo que desde la calle y a través de las salas y de los estrados, mientras el abogado seguía hablando, oí sonar la corneta de un vendedor de helados. Fui asaltado por los recuerdos de una vida que ya no me pertenecía más, pero en la que había encontrado las más pobres y las más firmes de mis alegrías: los olores de verano, el barrio que amaba, un cierto cielo de la tarde, la risa y los vestidos de María. Me subió entonces a la garganta toda la inutilidad de lo que estaba haciendo en ese lugar, y no tuve sino una urgencia: que terminaran cuanto antes para volver a la celda a dormir. Apenas oí gritar al abogado, para concluir, que los jurados no querrían enviar a la muerte a un trabajador honrado, perdido por un minuto de extravío, y aducir las circunstancias atenuantes de un crimen cuyo castigo más seguro era el remordimiento eterno que arrastraba ya. El Tribunal suspendió la audiencia y el abogado volvió a sentarse con aspecto agotado. Pero sus colegas se acercaron a él para estrecharle la mano. Oí decir: «¡Magnífico, querido amigo!» Uno de ellos hasta pidió mi aprobación: «¿No es cierto?», me dijo. Asentí, pero el cumplido no era sincero porque yo estaba demasiado cansado.
Pourtant, l’heure déclinait au-dehors et la chaleur était moins forte. Aux quelques bruits de rue que j’entendais, je devinais la douceur du soir. Nous étions là, tous, à attendre. Et ce qu’ensemble nous attendions ne concernait que moi. J’ai encore regardé la salle. Tout était dans le même état que le premier jour. J’ai rencontré le regard du journaliste à la veste grise et de la femme automate. Cela m’a donné à penser que je n’avais pas cherché Marie du regard pendant tout le procès. Je ne l’avais pas oubliée, mais j’avais trop à faire. Je l’ai vue entre Céleste et Raymond. Elle m’a fait un petit signe comme si elle disait : « Enfin », et j’ai vu son visage un peu anxieux qui souriait. Mais je sentais mon cœur ferme et je n’ai même pas pu répondre à son sourire. Afuera declinaba el día y el calor era menos intenso. Por ciertos ruidos de la calle, que oía, adivinaba la suavidad de la tarde. Estábamos todos allí esperando. Y lo que esperábamos juntos en realidad sólo me concernía a mí. Volví a mirar a la sala. Todo estaba como en el primer día. Encontré la mirada del periodista de la chaqueta gris y de la mujer autómata. Lo que me hizo pensar que durante todo el proceso no había buscado a María con la mirada. No la había olvidado, pero tenía demasiado que hacer. La vi entre Celeste y Raimundo. Me hizo un pequeño ademán como si dijera: « ¡Por fin! », y vi sonreír su rostro un poco ansioso. Pero sentía cerrado el corazón y ni siquiera pude responder a su sonrisa.
La cour est revenue. Très vite, on a lu aux jurés une série de questions. J’ai entendu « coupable de meurtre »... « préméditation »... « circonstances atténuantes ». Les jurés sont sortis et l’on m’a emmené dans la petite pièce où j’avais déjà attendu. Mon avocat est venu me rejoindre : il était très volubile et m’a parlé avec plus de confiance et de cordialité qu’il ne l’avait jamais fait. Il pensait que tout irait bien et que je m’en tirerais avec quelques années de prison ou de bagne. Je lui ai demandé s’il y avait des chances de cassation en cas de jugement défavorable. Il m’a dit que non. Sa tactique avait été de ne pas déposer de conclusions pour ne pas indisposer le jury. Il m’a expliqué qu’on ne cassait pas un jugement, comme cela, pour rien. Cela m’a paru évident et je me suis rendu à ses raisons. À considérer froidement la chose, c’était tout à fait naturel. Dans le cas contraire, il y aurait trop de paperasses inutiles. « De toute façon, m’a dit mon avocat, il y a le pourvoi. Mais je suis persuadé que l’issue sera favorable. » El Tribunal volvió. Rápidamente leyeron una serie de preguntas a los jurados. Oí «culpable de muerte...», «provocación...», «circunstancias atenuantes». Los jurados salieron y se me llevó a la pequeña habitación en la que ya había esperado. El abogado vino a reunírseme; estaba muy voluble y me habló con más confianza y cordialidad; como no lo había hecho nunca. Creía que todo iría bien y que saldría con algunos años de prisión o de trabajos forzados. Le pregunté si había perspectivas de casación en caso de fallo desfavorable. Me dijo que no. Su táctica había sido no proponer conclusiones para no indisponer al Jurado. Me explicó que no se casaba un fallo como éste por nada. Me pareció evidente y admití sus razones. Si se consideraba el asunto fríamente era perfectamente lógico. En caso contrario, habría demasiado papelerío inútil. «De todos modos», me dijo el abogado, «queda la apelación. Pero estoy seguro de que el fallo será favorable».
Nous avons attendu très longtemps, près de trois quarts d’heure, je crois. Au bout de ce temps, une sonnerie a retenti. Mon avocat m’a quitté en disant : « Le président du jury va lire les réponses. On ne vous fera entrer que pour l’énoncé du jugement. » Des portes ont claqué. Des gens couraient dans des escaliers dont je ne savais pas s’ils étaient proches ou éloignés. Puis j’ai entendu une voix sourde lire quelque chose dans la salle. Quand la sonnerie a encore retenti, que la porte du box s’est ouverte, c’est le silence de la salle qui est monté vers moi, le silence, et cette singulière sensation que j’ai eue lorsque j’ai constaté que le jeune journaliste avait détourné ses yeux. Je n’ai pas regardé du côté de Marie. Je n’en ai pas eu le temps parce que le président m’a dit dans une forme bizarre que j’aurais la tête tranchée sur une place publique au nom du peuple français. Il m’a semblé alors reconnaître le sentiment que je lisais sur tous les visages. Je crois bien que c’était de la considération. Les gendarmes étaient très doux avec moi. L’avocat a posé sa main sur mon poignet. Je ne pensais plus à rien. Mais le président m’a demandé si je n’avais rien à ajouter. J’ai réfléchi. J’ai dit : « Non. » C’est alors qu’on m’a emmené. Esperamos mucho tiempo, creo que cerca de tres cuartos de hora. Al cabo, un campanilleo sonó. El abogado me dejó, diciendo: «El presidente del Jurado va a leer las respuestas. Sólo le llamarán cuando se pronuncie el fallo.» Se oyó golpear las puertas. La gente corría por las escaleras y yo no sabía si estaban próximas o alejadas. Luego oí una voz sorda que leía algo en la sala. Cuando volvió a sonar el campanilleo, la puerta del lugar de los acusados se abrió y el silencio de la sala subió hacía, mí, el silencio y la singular sensación que sentí al comprobar que el joven periodista había apartado la mirada. No miré en dirección a María. No tuve tiempo porque el Presidente me dijo en forma extraña que, en nombre del pueblo francés, se me cortaría la cabeza en una plaza pública. Me pareció reconocer entonces el sentimiento que leía en todos los rostros. Creo que era consideración. Los gendarmes se mostraban muy suaves conmigo. El abogado me tomó la mano. Yo no pensaba más en nada. El Presidente me preguntó si no tenía nada que agregar. Reflexioné. Dije: «No.» Entonces me llevaron.






II - V

II - V

Pour la troisième fois, j’ai refusé de recevoir l’aumônier. Je n’ai rien à lui dire, je n’ai pas envie de parler, je le verrai bien assez tôt. Ce qui m’intéresse en ce moment, c’est d’échapper à la mécanique, de savoir si l’inévitable peut avoir une issue. On m’a changé de cellule. De celle-ci, lorsque je suis allongé, je vois le ciel et je ne vois que lui. Toutes mes journées se passent à regarder sur son visage le déclin des couleurs qui conduit le jour à la nuit. Couché, je passe les mains sous ma tête et j’attends. Je ne sais combien de fois je me suis demandé s’il y avait des exemples de condamnés à mort qui eussent échappé au mécanisme implacable, disparu avant l’exécution, rompu les cordons d’agents. Je me reprochais alors de n’avoir pas prêté assez d’attention aux récits d’exécution. On devrait toujours s’intéresser à ces questions. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Comme tout le monde, j’avais lu des comptes rendus dans les journaux. Mais il y avait certainement des ouvrages spéciaux que le n’avais jamais eu la curiosité de consulter. Là, peut-être, j’aurais trouvé des récits d’évasion. J’aurais appris que dans un cas au moins la roue s’était arrêtée, que dans cette préméditation irrésistible, le hasard et la chance, une fois seulement, avaient changé quelque chose. Une fois ! Dans un sens, je crois que cela m’aurait suffi. Mon cœur aurait fait le reste. Les journaux parlaient souvent d’une dette qui était due à la société. Il fallait, selon eux, la payer. Mais cela ne parle pas à l’imagination. Ce qui comptait, c’était une possibilité d’évasion, un saut hors du rite implacable, une course à la folie qui offrit toutes les chances de l’espoir. Naturellement, l’espoir, c’était d’être abattu au coin d’une rue, en pleine course, et d’une balle à la volée. Mais, tout bien considéré, rien ne me permettait ce luxe, tout me l’interdisait, la mécanique me reprenait. Por tercera vez he rehusado recibir al capellán. No tengo nada que decirle, no tengo ganas de hablar, demasiado pronto tendré que verle. En este momento me interesa escapar del engranaje, saber si lo inevitable puede tener salida. Me han cambiado de celda. Desde ésta, cuando me tiendo, veo el cielo, y no veo más que el cielo. Todos los días transcurren mirando en su rostro el declinar de los colores que llevan del día a la noche. Acostado, pongo las manos debajo de la cabeza y espero. No sé cuántas veces me he preguntado si habrá ejemplos de condenados a muerte que se hayan librado del engranaje implacable, desaparecido antes de la ejecución, roto el cordón de los agentes. Me he reprochado ahora el no haber prestado suficiente atención a los relatos de ejecuciones. Uno siempre debería de interesarse por estos temas. No se sabe nunca lo que puede ocurrir. Como todo el mundo, yo había leído informaciones en los periódicos. Pero existían, sin duda, obras especiales que nunca tuve curiosidad de consultar. Quizá en ellas habría encontrado relatos de evasiones. Me hubiera enterado de que, en un caso por lo menos, la rueda se había detenido; de que en su precipitación irresistible, el azar y la posibilidad, por una vez, al menos, habían cambiado alguna cosa. ¡Una sola vez! En cierto sentido, creo que esto me hubiera bastado. Mi corazón habría hecho el resto. Los periódicos hablaban a menudo de una deuda para con la sociedad que, según ellos, era necesario pagar. Pero esto no habla a la imaginación. Lo que interesa es la posibilidad de evasión, un salto fuera del rito implacable, una loca carrera que ofrece todas las posibilidades de esperanza. Naturalmente, la esperanza consistía en ser abatido de un balazo en la esquina de una calle, en plena carrera. Pero, bien considerado todo, ese lujo no me estaba permitido, todo me lo prohibía, el engranaje me enganchaba nuevamente.
Malgré ma bonne volonté, je ne pouvais pas accepter cette certitude insolente. Car enfin, il y avait une disproportion ridicule entre le jugement qui l’avait fondée et son déroulement imperturbable à partir du moment où ce jugement avait été prononcé. Le fait que la sentence avait été lue à vingt heures plutôt qu’à dix-sept, le fait qu’elle aurait pu être tout autre, qu’elle avait été prise par des hommes qui changent de linge, qu’elle avait été portée au crédit d’une notion aussi imprécise que le peuple français (ou allemand, ou chinois), il me semblait bien que tout cela enlevait beaucoup de sérieux à une telle décision. Pourtant, j’étais obligé de reconnaître que dès la seconde où elle avait été prise, ses effets devenaient aussi certains, aussi sérieux, que la présence de ce mur tout le long duquel j’écrasais mon corps. A pesar de mi buena voluntad no podía aceptar esta certidumbre insolente. Pues, al fin y al cabo, existía una desproporción ridícula entre el fallo que la había creado y su desarrollo imperturbable a partir del momento en que el fallo había sido pronunciado. El hecho de haber sido leída la sentencia a las veinte en lugar de a las diecisiete, el hecho de que hubiera podido ser otra de que había sido dictada por hombres que cambian la ropa interior, de que había sido dada en nombre de una noción tan imprecisa como la del pueblo francés (o alemán o chino), me parecía que todo quitaba mucha seriedad a la decisión. Empero, me veía obligado a reconocer que, a partir del momento en que había sido dictada, sus efectos se volvían tan reales y tan serios como la presencia del muro contra el que aplastaba mi cuerpo en toda su extensión.
Je me suis souvenu dans ces moments d’une histoire que maman me racontait à propos de mon père. Je ne l’avais pas connu. Tout ce que je connaissais de précis sur cet homme, c’était peut-être ce que m’en disait alors maman : il était allé voir exécuter un assassin. Il était malade à l’idée d’y aller. Il l’avait fait cependant et au retour il avait vomi une partie de la matinée. Mon père me dégoûtait un peu alors. Maintenant, je comprenais, c’était si naturel. Comment n’avais-je pas vu que rien n’était plus important qu’une exécution capitale et que, en somme, c’était la seule chose vraiment intéressante pour un homme ! Si jamais je sortais de cette prison, j’irais voir toutes les exécutions capitales. J’avais tort, je crois, de penser à cette possibilité. Car à l’idée de me voir libre par un petit matin derrière un cordon d’agents, de l’autre côté en quelque sorte, à l’idée d’être le spectateur qui vient voir et qui pourra vomir après, un flot de joie empoisonnée me montait au cœur. Mais ce n’était pas raisonnable. J’avais tort de me laisser aller à ces suppositions parce que, l’instant d’après, j’avais si affreusement froid que je me recroquevillais sous ma couverture. le claquais des dents sans pouvoir me retenir. Recordé en esos momentos una historia que mamá me contaba a propósito de mi padre. Yo no le había conocido. Todo lo que había de concreto sobre este hombre era quizá lo que me decía mamá. Había ido a ver ejecutar a un asesino. Se sentía enfermo con la simple perspectiva de ir. Fue, sin embargo, y al regreso había estado vomitando parte de la mañana. Mi padre me producía un poco de repugnancia entonces Ahora comprendo que era tan natural. ¡Como no advertí que no había nada más importante que una ejecución capital y que en cierto sentido, era aún la única cosa realmente interesante para un hombre! Si alguna vez saliera de esta cárcel, iría a ver todas las ejecuciones capitales. Creo que me hacía mal pensar en tal posibilidad. Pues ante la idea de verme libre una mañana temprano, detrás de un cordón de agentes, de alguna manera del otro lado, ante la idea de ser el espectador que viene a ver y que podrá vomitar después, una ola de alegría envenenada me subía al corazón. Pero no era razonable. Hacía mal en abandonarme a estas suposiciones, porque un instante después sentía un frío tan atroz que me encogía bajo la manta. Los dientes me castañeteaban sin que pudiera evitarlo.
Mais, naturellement, on ne peut pas être toujours raisonnable. D’autres fois, par exemple, je faisais des projets de loi. Je réformais les pénalités. J’avais remarqué que l’essentiel était de donner une chance au condamné. Une seule sur mille, cela suffisait pour arranger bien des choses. Ainsi, il me semblait qu’on pouvait trouver une combinaison chimique dont l’absorption tuerait le patient (je pensais : le patient) neuf fois sur dix. Lui le saurait, c’était la condition. Car en réfléchissant bien, en considérant les choses avec calme, je constatais que ce qui était défectueux avec le couperet, c’est qu’il n’y avait aucune chance, absolument aucune. Une fois pour toutes, en somme, la mort du patient avait été décidée. C’était une affaire classée, une combinaison bien arrêtée, un accord entendu et sur lequel il n’était pas question de revenir. Si le coup ratait, par extraordinaire, on recommençait. Par suite, ce qu’il y avait d’ennuyeux, c’est qu’il fallait que le condamné souhaitât le bon fonctionnement de la machine. Je dis que c’est le côté défectueux. Cela est vrai, dans un sens. Mais, dans un autre sens, j’étais obligé de reconnaître que tout le secret d’une bonne organisation était là. En somme, le condamné était obligé de collaborer moralement. C’était son intérêt que tout marchât sans accroc. Pero, naturalmente, no siempre se puede ser razonable. Otras veces, por ejemplo, hacía proyectos de ley. Reformaba las penas. Me había dado cuenta de que lo esencial era dar una posibilidad al condenado. Una sola entre mil bastaba para arreglar muchas cosas. Y me parecía que podía encontrarse alguna combinación química cuya absorción mataría al paciente (el paciente, pensaba yo) nueve veces sobre diez. La condición sería que él lo sabría. Pues, pensándolo bien, considerando las cosas con calma, comprobaba que lo defectuoso de la cuchilla era que no dejaba ninguna posibilidad, absolutamente ninguna. En suma, la muerte del paciente había sido resuelta de una vez por todas. Era un asunto archivado, una combinación definitiva, un acuerdo decidido sobre el cual no se podía volver a discutir. Si por alguna eventualidad inesperada, el golpe fallaba, se volvía a empezar. En consecuencia, lo fastidioso era que el condenado tenía que desear el buen funcionamiento de la máquina. He dicho que es el lado defectuoso. Es verdad, en un sentido. Pero en otro sentido me veía obligado a reconocer que ahí estaba todo el secreto de una buena organización. En suma: el condenado estaba obligado a colaborar moralmente. Por su propio interés todo debía marchar sin tropiezos.
J’étais obligé de constater aussi que jusqu’ici j’avais eu sur ces questions des idées qui n’étaient pas justes. J’ai cru longtemps — et je ne sais pas pourquoi — que pour aller à la guillotine, il fallait monter sur un échafaud, gravir des marches. Je crois que c’était à cause de la Révolution de 1789, je veux dire à cause de tout ce qu’on m’avait appris ou fait voir sur ces questions. Mais un matin, je me suis souvenu d’une photographie publiée par les journaux à l’occasion d’une exécution retentissante. En réalité, la machine était posée à même le sol, le plus simplement du monde. Elle était beaucoup plus étroite que je ne le pensais. C’était assez drôle que je ne m’en fusse pas avisé plus tôt. Cette machine sur le cliché m’avait frappé par son aspect d’ouvrage de précision, fini et étincelant. On se fait toujours des idées exagérées de ce qu’on ne connaît pas. Je devais constater au contraire que tout était simple : la machine est au même niveau que l’homme qui marche vers elle. Il la rejoint comme on marche à la rencontre d’une personne. Cela aussi était ennuyeux. La montée vers l’échafaud, l’ascension en plein ciel, l’imagination pouvait s’y raccrocher. Tandis que, la encore, la mécanique écrasait tout : on était tué discrètement, avec un peu de honte et beaucoup de précision. Me veía obligado a comprobar también que hasta aquí había tenido sobre estos temas ideas que no eran acertadas. Durante mucho tiempo (no sé por qué) creí que para ir a la guillotina era necesario subir a un cadalso, trepar por escalones. Creo que fue por la Revolución de 1789, quiero decir, por todo lo que me habían enseñado o hecho ver sobre estos temas. Pero una mañana recordé que había visto una fotografía publicada por los periódicos con motivo de una ejecución de resonancia. En realidad, la máquina estaba colocada en el suelo mismo, en la forma más simple del mundo. Era mucho más angosta de lo que yo creía. Era bastante curioso que no lo hubiese advertido antes. La máquina me había llamado la atención en el clisé por su aspecto de obra de precisión, concluida y reluciente. Uno se forma siempre ideas exageradas de lo que no conoce. Ahora debía comprobar, por el contrario, que todo era muy sencillo; la máquina está al mismo nivel del hombre que camina hacia ella. El hombre se reúne con ella tal como camina al encuentro de una persona. En cierto sentido, también esto era fastidioso. La subida al cadalso, con el ascenso en pleno cielo, permitía a la imaginación aferrarse. Mientras que aquí la mecánica aplastaba todo: mataban a uno discretamente, con un poco de vergüenza y mucho de precisión.
Il y avait aussi deux choses à quoi je réfléchissais tout le temps : l’aube et mon pourvoi. Je me raisonnais cependant et j’essayais de n’y plus penser. Je m’étendais, je regardais le ciel, je m’efforçais de m’y intéresser. Il devenait vert, c’était le soir. Je faisais encore un effort pour détourner le cours de mes pensées. J’écoutais mon cœur. Je ne pouvais imaginer que ce bruit qui m’accompagnait depuis si longtemps put jamais cesser. Je n’ai jamais eu de véritable imagination. J’essayais pourtant de me représenter une certaine seconde où le battement de ce cœur ne se prolongerait plus dans ma tête. Mais en vain. L’aube ou mon pourvoi étaient là. Je finissais par me dire que le plus raisonnable était de ne pas me contraindre. Había también dos cosas sobre las que reflexionaba todo el tiempo: el alba y la apelación. Sin embargo, razonaba y trataba de no pensar más en ellas. Me tendía, miraba al cielo y me esforzaba por interesarme. Se volvía verde: era la noche. Hacía aún un esfuerzo para desviar el curso de mis pensamientos. Oía el corazón. No podía imaginar que aquel leve ruido que me acompañaba desde hacía tanto tiempo .pudiese cesar nunca. Nunca he tenido verdadera imaginación. Sin embargo, trataba de construir el segundo determinado en que el latir del corazón no se prolongaría más en mi cabeza. Pero en vano. El alba o la apelación estaban allí. Concluía por decirme que era más razonable no contenerme.
C’est à l’aube qu’ils venaient, je le savais. En somme, j’ai occupé mes nuits à attendre cette aube. Je n’ai jamais aimé être surpris. Quand il m’arrive quelque chose, je préfère être là. C’est pourquoi j’ai fini par ne plus dormir qu’un peu dans mes journées et, tout le long de mes nuits, j’ai attendu patiemment que la lumière naisse sur la vitre du ciel. Le plus difficile, c’était l’heure douteuse où je savais qu’ils opéraient d’habitude. Passé minuit, j’attendais et je guettais. Jamais mon oreille n’avait perçu tant de bruits, distingué de sons si tenus. Je peux dire, d’ailleurs, que d’une certaine façon j’ai eu de la chance pendant toute cette période, puisque je n’ai jamais entendu de pas. Maman disait souvent qu’on n’est jamais tout à fait malheureux. Je l’approuvais dans ma prison, quand le ciel se colorait et qu’un nouveau jour glissait dans ma cellule. Parce qu’aussi bien, j’aurais pu entendre des pas et mon cœur aurait pu éclater. Même si le moindre glissement me jetait à la porte, même si, l’oreille collée au bois, j’attendais éperdument jusqu’à ce que j’entende ma propre respiration, effrayé de la trouver rauque et si pareille au râle d’un chien, au bout du compte mon cœur n’éclatait pas et j’avais encore gagné vingt-quatre heures. Sabía que vendrían al alba. En suma, pasé las noches esperando el alba. Nunca me ha gustado ser sorprendido. Cuando me sucede algo, prefiero estar prevenido. Concluí, pues, por no dormir sino un poco de día y durante todo el transcurso de las noches esperé pacientemente que la luz naciera sobre el vidrio del cielo. Lo más difícil era la hora incierta en la que, como yo sabía, acostumbraban operar. Después de medianoche, esperaba y acechaba. Mis oídos nunca habían percibido tantos ruidos, ni distinguido sonidos tan tenues. Puedo decir, por otra parte, que en cierto modo tuve suerte durante este período pues jamás oí paso alguno. Mamá decía a menudo que nunca se es completamente desgraciado. Yo le daba razón en la cárcel, cuando el cielo se coloreaba y un nuevo día deslizábase en la celda. Porque también hubiera podido oír pasos y mi corazón habría podido estallar. Aun si el menor roce me arrojaba contra la puerta; aun así, con el oído pegado a la madera, esperaba desesperadamente hasta oír mi propia respiración, espantado de encontrarla ronca y tan parecida al estertor de un perro, al fin de cuentas el corazón no estallaba y había ganado otra vez veinticuatro horas.
Pendant tout le jour, il y avait mon pourvoi. Je crois que j’ai tiré le meilleur parti de cette idée. Je calculais mes effets et j’obtenais de mes réflexions le meilleur rendement. Je prenais toujours la plus mauvaise supposition : mon pourvoi était rejeté. « Eh bien, je mourrai donc. » Plus tôt que d’autres, c’était évident. Mais tout le monde sait que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Dans le fond, je n’ignorais pas que mourir à trente ans ou à soixante-dix ans importe peu puisque, naturellement, dans les deux cas, d’autres hommes et d’autres femmes vivront, et cela pendant des milliers d’années. Rien n’était plus clair, en somme. C’était toujours moi qui mourrais, que ce soit maintenant ou dans vingt ans. À ce moment, ce qui me gênait un peu dans mon raisonnement, c’était ce bond terrible que je sentais en moi à la pensée de vingt ans de vie à venir. Mais je n’avais qu’à l’étouffer en imaginant ce que seraient mes pensées dans vingt ans quand il me faudrait quand même en venir là. Du moment qu’on meurt, comment et quand, cela n’importe pas, c’était évident. Donc (et le difficile c’était de ne pas perdre de vue tout ce que ce « donc » représentait de raisonnements), donc, je devais accepter le rejet de mon pourvoi. Durante el día tenía la apelación. Creo que saqué el mejor partido de esta idea. Calculaba los resultados y obtenía el mayor rendimiento de mis reflexiones. Tomaba siempre la peor posibilidad: la apelación era rechazada. «Y bien, tendré que morir.» Antes que otros, es evidente. Pero todo el mundo sabe que la vida no vale la pena de ser vivida. En el fondo, no ignoraba que morir a los treinta años o a los setenta importa poco, pues, naturalmente, en ambos casos, otros hombres y otras mujeres vivían y así durante miles de años. En suma, nada podía ser más claro. Era siempre yo quien moriría, ahora o dentro de veinte años. En este punto, me molestaba un poco en el razonamiento el salto terrible que sentía dentro de mí pensando en veinte años de vida por venir. Pero lo reprimía imaginando cómo serían mis pensamientos dentro de veinte años, cuando a pesar de todo llegase el momento. Desde que uno debe morir, es evidente que no importa cómo ni cuándo. Por consiguiente (y lo difícil era no perder de vista todo lo que éste «por consiguiente» representaba en el razonar), por consiguiente, debía aceptar el rechazo de la apelación.
À ce moment, à ce moment seulement, j’avais pour ainsi dire le droit, je me donnais en quelque sorte la permission d’aborder la deuxième hypothèse : j’étais gracié. L’ennuyeux, c’est qu’il fallait rendre moins fougueux cet élan du sang et du corps qui me piquait les yeux d’une joie insensée. Il fallait que je m’applique à réduire ce cri, à le raisonner. Il fallait que je sois naturel même dans cette hypothèse, pour rendre plus plausible ma résignation dans la première. Quand j’avais réussi, j’avais gagné une heure de calme. Cela, tout de même, était à considérer. En ese momento, únicamente en ese momento, tenía por así decir el derecho, me concedía en cierto modo el permiso de considerar la segunda hipótesis: me indultaban. Era fastidioso tener que dominar la fogosidad del impulso de la sangre y del cuerpo que me hacía arder los ojos con una alegría insensata. Era necesario dedicarme a ahogar el grito, a analizarlo. Era necesario mantenerme natural aun en esta hipótesis, para hacer más plausible la resignación frente a la primera. Cuando lo conseguía había ganado una hora de calma. En cualquier caso valía la pena considerarlo.
C’est à un semblable moment que j’ai refusé une fois de plus de recevoir l’aumônier. J’étais étendu et je devinais l’approche du soir d’été à une certaine blondeur du ciel. Je venais de rejeter mon pourvoi et je pouvais sentir les ondes de mon sang circuler régulièrement en moi. Je n’avais pas besoin de voir l’aumônier. Pour la première fois depuis bien longtemps, j’ai pensé à Marie. Il y avait de longs jours qu’elle ne m’écrivait plus. Ce soir-là, j’ai réfléchi et je me suis dit qu’elle s’était peut-être fatiguée d’être la maîtresse d’un condamné à mort. L’idée m’est venue aussi qu’elle était peut-être malade ou morte. C’était dans l’ordre des choses. Comment l’aurais-je su puisqu’en dehors de nos deux corps maintenant séparés, rien ne nous liait et ne nous rappelait l’un à l’autre. À partir de ce moment, d’ailleurs, le souvenir de Marie m’aurait été indifférent. Morte, elle ne m’intéressait plus. Je trouvais cela normal comme je comprenais très bien que les gens m’oublient après ma mort. Ils n’avaient plus rien à faire avec moi. Je ne pouvais même pas dire que cela était dur à penser. En un momento así me negué una vez más a recibir al capellán. Estaba acostado y por cierta rubia claridad del cielo adivinaba la proximidad de la tarde de verano. Acababa de rechazar la apelación y podía sentir las olas de sangre circular regularmente dentro de mí. No tenía necesidad de ver al capellán. Por primera vez después de mucho tiempo pensé en María. Hacía muchos días que no me escribía. Esa tarde reflexioné y me dije que quizá se habría cansado de ser la amante de un condenado a muerte. También se me ocurrió la idea de que quizá estuviese enferma o muerta. Estaba dentro del orden de las cosas. ¿Cómo habría podido saberlo yo puesto que fuera de nuestros cuerpos, ahora separados, nada nos ligaba ni nos recordaba el uno al otro? Por otra parte, a partir de ese momento, el recuerdo de María me hubiera sido indiferente. Muerta, no me interesaba más. Me parecía cosa normal, tal como comprendía que la gente me olvidara después de mi muerte. No tenía nada más que hacer conmigo. Ni siquiera podía decir que fuera duro pensar así. En el fondo no existe idea a la que uno no concluya por acostumbrarse.
C’est à ce moment précis que l’aumônier est entré. Quand je l’ai vu, j’ai eu un petit tremblement. Il s’en est aperçu et m’a dit de ne pas avoir peur. Je lui ai dit qu’il venait d’habitude à un autre moment. Il m’a répondu que c’était une visite tout amicale qui n’avait rien à voir avec mon pourvoi dont il ne savait rien. Il s’est assis sur ma couchette et m’a invité à me mettre près de lui. J’ai refusé. Je lui trouvais tout de même un air très doux. En ese preciso momento entró el capellán. Cuando lo vi, sentí un ligero estremecimiento. El lo notó y me dijo que no tuviera miedo. Le dije que su costumbre era venir a otra hora. Me respondió que era una visita amistosa que no tenía nada que ver con la apelación, de la que no sabía nada. Se sentó en el camastro y me invitó a acercarme más a él. Me negué. A pesar de todo, me parecía muy amable.
Il est resté un moment assis, les avant-bras sur les genoux, la tête baissée, à regarder ses mains. Elles étaient fines et musclées, elles me faisaient penser à deux bêtes agiles. Il les a frottées lentement l’une contre l’autre. Puis il est resté ainsi, la tête toujours baissée, pendant si longtemps que j’ai eu l’impression, un instant, que je l’avais oublié. Quedó un momento sentado, con los antebrazos en las rodillas, la cabeza baja, mirándose las manos. Eran finas y musculosas; me hacían pensar en dos ágiles animalitos. Las frotó lentamente, una contra la otra. Luego quedó así, con la cabeza siempre baja, durante tanto tiempo que en cierto momento tuve la impresión de que lo había olvidado.
Mais il a relevé brusquement la tête et m’a regardé en face : « Pourquoi, m’a-t-il dit, refusez-vous mes visites ? » J’ai répondu que je ne croyais pas en Dieu. Il a voulu savoir si j’en étais bien sûr et j’ai dit que je n’avais pas à me le demander : cela me paraissait une question sans importance. Il s’est alors renversé en arrière et s’est adossé au mur, les mains à plat sur les cuisses. Presque sans avoir l’air de me parler, il a observé qu’on se croyait sûr, quelquefois, et, en réalité, on ne l’était pas. Je ne disais rien. Il m’a regardé et m’a interrogé : « Qu’en pensez-vous ? » J’ai répondu que c’était possible. En tout cas, je n’étais peut-être pas sûr de ce qui m’intéressait réellement, mais j’étais tout à fait sur de ce qui ne m’intéressait pas. Et justement, ce dont il me parlait ne m’intéressait pas. Pero levantó la cabeza bruscamente y me miró de frente: «¿Por qué», me dijo, «rehúsa usted mis visitas?» Contesté que no creía en Dios. Quiso saber si estaba bien seguro y le dije que yo mismo no tenía para qué preguntármelo; me parecía una cuestión sin importancia. Se echó entonces hacia atrás y se recostó contra el muro, con las manos en los muslos. Casi sin que pareciera hablarme, observó que a veces uno creía estar seguro cuando, en realidad, no lo estaba. Yo no decía nada. Me miró y me preguntó: «¿Qué piensa usted?» Contesté que quizá fuera así. Quizá no estaba seguro de lo que me interesaba realmente, pero en todo caso, estaba completamente seguro de lo que no me interesaba. Y, justamente, lo que el me decía no me interesaba.
Il a détourné les yeux et, toujours sans changer de position, m’a demandé si je ne parlais pas ainsi par excès de désespoir. Je lui ai expliqué que je n’étais pas désespéré. J’avais seulement peur, c’était bien naturel. « Dieu vous aiderait alors, a-t-il remarqué. Tous ceux que j’ai connus dans votre cas se retournaient vers lui. » J’ai reconnu que c’était leur droit. Cela prouvait aussi qu’ils en avaient le temps. Quant à moi, je ne voulais pas qu’on m’aidât et justement le temps me manquait pour m’intéresser à ce qui ne m’intéressait pas. Volvió la mirada y, siempre sin cambiar de posición, me preguntó si no hablaba así por exceso de desesperación. Le expliqué que no estaba desesperado. Simplemente tema miedo, era bien natural. «Entonces Dios le ayudará.» Hizo notar. «Todos cuantos he conocido en su caso han vuelto a El.» Reconocí que estaban en su derecho. Probaba también que tenían tiempo para hacerlo. En cuanto a mí no quería que me ayudaran y precisamente no tenía tiempo para interesarme en lo que no me interesaba.
À ce moment, ses mains ont eu un geste d’agacement, mais il s’est redressé et a arrangé les plis de sa robe. Quand il a eu fini, il s’est adressé à moi en m’appelant « mon ami » : s’il me parlait ainsi ce n’était pas parce que j’étais condamné à mort ; à son avis, nous étions tous condamnés à mort. Mais je l’ai interrompu en lui disant que ce n’était pas la même chose et que, d’ailleurs, ce ne pouvait être, en aucun cas, une consolation. « Certes, a-t-il approuvé. Mais vous mourrez plus tard si vous ne mourez pas aujourd’hui. La même question se posera alors. Comment aborderez-vous cette terrible épreuve ? » J’ai répondu que je l’aborderais exactement comme je l’abordais en ce moment. En ese instante sus manos hicieron un ademán de impaciencia, pero se enderezó y arregló los pliegues de la sotana. Cuando hubo terminado, se dirigió a mí llamándome «amigo mío»; si me hablaba así no era porque estuviese condenado a muerte; según su opinión estábamos todos condenados a muerte. Pero le interrumpí diciéndole que no era la misma cosa y que, por otra parte, en ningún caso podía ser consuelo. «Es cierto», asintió, «pero usted morirá más tarde si no muere pronto. El mismo problema se le planteará entonces. ¿Cómo afrontará usted la terrible prueba?» Repuse que la afrontaría exactamente como la afrontaba en este momento.
Il s’est levé a ce mot et m’a regardé droit dans les yeux. C’est un jeu que je connaissais bien. Je m’en amusais souvent avec Emmanuel ou Céleste et, en général, ils détournaient leurs yeux. L’aumônier aussi connaissait bien ce jeu, je l’ai tout de suite compris : son regard ne tremblait pas. Et sa voix non plus n’a pas tremblé quand il m’a dit : « N’avez-vous donc aucun espoir et vivez-vous avec la pensée que vous allez mourir tout entier ? — Oui », ai-je répondu. Ante estas palabras se levantó y me miró directamente a los ojos. Es un juego que conozco bien. Me divertía a menudo haciéndolo con Manuel o Celeste y, generalmente, eran ellos quienes apartaban la mirada. También el capellán conocía bien el juego; lo comprendí en seguida. Su mirada no vaciló. Y su voz tampoco vaciló cuando me dijo: «¿No tiene usted, pues, esperanza alguna y vive pensando que va a morir por entero?» «Sí», le respondí.
Alors, il a baissé la tête et s’est rassis. Il m’a dit qu’il me plaignait. Il jugeait cela impossible à supporter pour un homme. Moi, j’ai seulement senti qu’il commençait à m’ennuyer. Je me suis détourné à mon tour et je suis allé sous la lucarne. Je m’appuyais de l’épaule contre le mur. Sans bien le suivre, j’ai entendu qu’il recommençait à m’interroger. Il parlait d’une voix inquiète et pressante. J’ai compris qu’il était ému et je l’ai mieux écouté. Bajó entonces la cabeza y volvió a sentarse. Me dijo que me compadecía. Juzgaba imposible que un hombre pudiese soportar esto. Yo sentí solamente que él comenzaba a aburrirme. Me aparté a mi vez y fui hacia la claraboya. Me apoyé con el hombro contra la pared. Sin seguirlo bien, oí que comenzaba a interrogarme otra vez. Hablaba con voz inquieta y apremiante. Comprendí que estaba emocionado y le escuché con más atención.
Il me disait sa certitude que mon pourvoi serait accepté, mais je portais le poids d’un péché dont il fallait me débarrasser. Selon lui, la justice des hommes n’était rien et la justice de Dieu tout. J’ai remarqué que c’était la première qui m’avait condamné. Il m’a répondu qu’elle n’avait pas, pour autant, lavé mon pêche. Je lui ai dit que je ne savais pas ce qu’était un péché. On m’avait seulement appris que j’étais un coupable. J’étais coupable, je payais, on ne pouvait rien me demander de plus. À ce moment, il s’est levé à nouveau et j’ai pensé que dans cette cellule si étroite, s’il voulait remuer, il n’avait pas le choix. Il fallait s’asseoir ou se lever. Me decía que tenía la certeza de que la apelación sería resuelta favorablemente, pero que yo cargaba con el peso de un pecado del que debía librárseme. Según él, la justicia de los hombres no significaba nada y la justicia de Dios, todo. Hice notar que era la primera la que me había condenado. Me contestó que, mientras tanto, esa justicia no había lavado mi pecado. Le dije que no sabía qué era un pecado. Se me había hecho saber, solamente, qué era culpable. Era culpable, pagaba, no se me podía pedir más. En ese momento se levantó de nuevo y pensé que en una celda tan estrecha no podía moverse aunque quisiera. Sólo podía sentarse o levantarse.
J’avais les yeux fixés au sol. Il a fait un pas vers moi et s’est arrêté, comme s’il n’osait avancer. Il regardait le ciel à travers les barreaux. « Vous vous trompez, mon fils, m’a-t-il dit, on pourrait vous demander plus. On vous le demandera peut-être. — Et quoi donc ? — On pourrait vous demander de voir. — Voir quoi ? » Yo tenía los ojos clavados en el suelo. Dio un paso hacia mí y se detuvo, como si no osara avanzar. Miraba al cielo a través de los barrotes. «Se engaña usted, hijo mío»,me dijo, «podrían pedirle más. Se lo pedirían quizá». —«¿Y qué, pues?»— «Podrían pedirle que viera.» —«¿Que viera qué?»
Le prêtre a regardé tout autour de lui et il a répondu d’une voix que j’ai trouvée soudain très lasse : « Toutes ces pierres suent la douleur, je le sais. Je ne les ai jamais regardées sans angoisse. Mais, du fond du cœur, je sais que les plus misérables d’entre vous ont vu sortir de leur obscurité un visage divin. C’est ce visage qu’on vous demande de voir. » El sacerdote miró alrededor y respondió con voz que me pareció súbitamente muy vencida: «Sé que todas estas piedras sudan dolor. Nunca las he mirado sin angustia. Pero, desde lo hondo del corazón, sé que los más desdichados de ustedes han visto surgir de su oscuridad un rostro divino. Se le pide a usted que vea ese rostro.»
Je me suis un peu animé. J’ai dit qu’il y avait des mois que je regardais ces murailles. Il n’y avait rien ni personne que je connusse mieux au monde. Peut-être, il y a bien longtemps, y avais-je cherché un visage. Mais ce visage avait la couleur du soleil et la flamme du désir : c’était celui de Marie. Je l’avais cherché en vain. Maintenant, c’était fini. Et dans tous les cas, je n’avais rien vu surgir de cette sueur de pierre. Me animé un poco. Dije que hacía meses que miraba estas murallas. No existía en el mundo nada ni nadie que conociera mejor. Quizá, hace mucho tiempo, había buscado allí un rostro. Pero ese rostro tenía el color del sol y la llama del deseo: era el de María. Lo había buscado en vano. Ahora, se acabó. Y, en todo caso, no había visto surgir nada de este sudor de piedra.
L’aumônier m’a regardé avec une sorte de tristesse. J’étais maintenant complètement adossé à la muraille et le jour me coulait sur le front. Il a dit quelques mots que je n’ai pas entendus et m’a demandé très vite si je lui permettais de m’embrasser : « Non », ai-je répondu. Il s’est retourné et a marché vers le mur sur lequel il a passé sa main lentement : « Aimez-vous donc cette terre à ce point ? » a-t-il murmuré. Je n’ai rien répondu. El capellán me miró con cierta tristeza. Yo estaba ahora completamente pegado a la muralla y el día me corría sobre la frente. Dijo algunas palabras que no oí y me preguntó rápidamente si le permitía besarme. «No», contesté. Se volvió, caminó hacia la pared y la palpó lentamente con la mano. «¿Ama usted esta tierra hasta ese punto?», murmuró. No respondí nada.
Il est resté assez longtemps détournée. Sa présence me pesait et m’agaçait. J’allais lui dire de partir, de me laisser, quand il s’est écrié tout d’un coup avec une sorte d’éclat, en se retournant vers moi : « Non, je ne peux pas vous croire. Je suis sûr qu’il vous est arrivé de souhaiter une autre vie. » Je lui ai répondu que naturellement, mais cela n’avait pas plus d’importance que de souhaiter d’être riche, de nager très vite ou d’avoir une bouche mieux faite. C’était du même ordre. Mais lui m’a arrêté et il voulait savoir comment je voyais cette autre vie. Alors, je lui ai crié : « Une vie où je pourrais me souvenir de celle-ci », et aussitôt je lui ai dit que j’en avais assez. Il voulait encore me parler de Dieu, mais je me suis avancé vers lui et j’ai tenté de lui expliquer une dernière fois qu’il me restait peu de temps. Je ne voulais pas le perdre avec Dieu. Il a essayé de changer de sujet en me demandant pourquoi je l’appelais « monsieur » et non pas « mon père ». Cela m’a énervée je lui ai répondu qu’il n’était pas mon père : il était avec les autres. Quedó vuelto bastante tiempo. Su presencia me pesaba y me molestaba. Iba a decirle que se marchara, que me dejara, cuando gritó de golpe en una especie de estallido, volviéndose hacia mí: «¡No, no puedo creerle! ¡Estoy seguro de que ha llegado usted a desear otra vida!» Le contesté que naturalmente era así, pero no tenía más importancia que desear ser rico, nadar muy rápido, o tener una boca mejor hecha. Era del mismo orden. Me interrumpió y quiso saber cómo veía yo esa otra vida. Entonces, le grité: «¡Una vida en la que pudiera recordar ésta!», e inmediatamente le dije que era suficiente. Quería aún hablarme de Dios, pero me adelanté hacia él y traté de explicarle por última vez que me quedaba poco tiempo. No quería perderlo con Dios. Ensayó cambiar de tema preguntándome por qué le llamaba «señor» y no «padre». Esto me irritó y le contesté que no era mi padre: que él estaba con los otros.
— Non, mon. fils, a-t-il dit en mettant la main sur mon épaule. Je suis avec vous. Mais vous ne pouvez pas le savoir parce que vous avez un cœur aveugle. Je prierai pour vous. «No, hijo mío», dijo poniéndome la mano sobre el hombro. «Estoy con usted. Pero no puede darse cuenta porque tiene el corazón ciego. Rogaré por usted.»
Alors, je ne sais pas pourquoi, il y a quelque chose qui a crevé en moi. Je me suis mis à crier à plein gosier et je l’ai insulté et je lui ai dit de ne pas prier. Je l’avais pris par le collet de sa soutane. Je déversais sur lui tout le fond de mon cœur avec des bondissements mêlés de joie et de colère. Il avait l’air si certain, n’est-ce pas ? Pourtant, aucune de ses certitudes ne valait un cheveu de femme. Il n’était même pas sûr d’être en vie puisqu’il vivait comme un mort. Moi, j’avais l’air d’avoir les mains vides. Mais j’étais sûr de moi, sûr de tout, plus sûr que lui, sur de ma vie et de cette mort qui allait venir. Oui, je n’avais que cela. Mais du moins, je tenais cette vérité autant qu’elle me tenait. J’avais eu raison, j’avais encore raison, j’avais toujours raison. J’avais vécu de telle façon et j’aurais pu vivre de telle autre. J’avais fait ceci et je n’avais pas fait cela. Je n’avais pas fait telle chose alors que j’avais fait cette autre. Et après ? C’était comme si j’avais attendu pendant tout le temps cette minute et cette petite aube où je serais justifié. Rien, rien n’avait d’importance et je savais bien pourquoi. Lui aussi savait pourquoi. Du fond de mon avenir, pendant toute cette vie absurde que j’avais menée, un souffle obscur remontait vers moi à travers des années qui n’étaient pas encore venues et ce souffle égalisait sur son passage tout ce qu’on me proposait alors dans les années pas plus réelles que je vivais. Que m’importaient la mort des autres, l’amour d’une mère, que m’importaient son Dieu, les vies qu’on choisit, les destins qu’on élit, puisqu’un seul destin devait m’élire moi-même et avec moi des milliards de privilégiés qui, comme lui, se disaient mes frères. Comprenait-il, comprenait-il donc ? Tout le monde était privilégié. Il n’y avait que des privilégiés. Les autres aussi, on les condamnerait un jour. Lui aussi, on le condamnerait. Qu’importait si, accusé de meurtre, il était exécuté pour n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa mère ? Le chien de Salamano valait autant que sa femme. La petite femme automatique était aussi coupable que la Parisienne que Masson avait épousée ou que Marie qui avait envie que je l’épouse. Qu’importait que Raymond fût mon copain autant que Céleste qui valait mieux que lui ? Qu’importait que Marie donnât aujourd’hui sa bouche à un nouveau Meursault ? Comprenait-il donc, ce condamné, et que du fond de mon avenir... J’étouffais en criant tout ceci. Mais, déjà, on m’arrachait l’aumônier des mains et les gardiens me menaçaient. Lui, cependant, les a calmés et m’a regardé un moment en silence. Il avait les yeux pleins de larmes. Il s’est détourné et il a disparu. Entonces, no sé por qué, algo se rompió dentro de mí. Me puse a gritar a voz en cuello y le insulté y le dije que no rogara y que más le valía arder que desaparecer. Le había tomado por el cuello de la sotana. Vaciaba sobre él todo el fondo de mi corazón con impulsos en que se mezclaban el gozo y la cólera. Parecía estar tan seguro, ¿no es cierto? Sin embargo, ninguna de sus certezas valía lo que un cabello de mujer. Ni siquiera estaba seguro de estar vivo, puesto que vivía como un muerto. Me parecía tener las manos vacías. Pero estaba seguro de mí, seguro de todo, más seguro que él, seguro de mi vida y de esta muerte que iba a llegar. Sí, no tenía más que esto. Pero, por lo menos, poseía esta verdad, tanto como ella me poseía a mí. Yo había tenido razón, tenía todavía razón, tenía siempre razón. Había vivido de tal manera y hubiera podido vivir de tal otra. Había hecho esto y no había hecho aquello. No había hecho tal cosa en tanto que había hecho esta otra. ¿Y después? Era como si durante toda la vida hubiese esperado este minuto... y esta brevísima alba en la que quedaría justificado. Nada, nada tenía importancia, y yo sabía bien por qué. También él sabía por qué. Desde lo hondo de mi porvenir, durante toda esta vida absurda que había llevado, subía hacia mí un soplo oscuro a través de los años que aún no habían llegado, y este soplo igualaba a su paso todo lo que me proponían entonces, en los años no más reales que los que estaba viviendo. ¡Qué me importaban la muerte de los otros, el amor de una madre! ¡Qué me importaban su Dios, las vidas que uno elige, los destinos que uno escoge, desde que un único destino debía de escogerme a mí y conmigo a millares de privilegiados que, como él, se decían hermanos míos! ¿Comprendía, comprendía pues? Todo el mundo era privilegiado. No había más que privilegiados. También a los otros los condenarían un día. También a él lo condenarían. ¿Qué importaba si acusado de una muerte lo ejecutaban por no haber llorado en el entierro de su madre? El perro de Salamano valía tanto como su mujer. La mujercita autómata era tan culpable como la parisiense que se había casado con Masson, o como María, que había deseado casarse conmigo. ¿Qué importaba que Raimundo fuese compañero mío tanto como Celeste, que valía más que él? ¿Qué importaba que María diese hoy su boca a un nuevo Meursault? Comprendía, pues, este Condenado, que desde lo hondo de mi porvenir... Me ahogaba gritando todo esto. Pero ya me quitaban al capellán de entre las manos y los guardianes me amenazaban. Sin embargo, él los calmó y me miró en silencio. Tenía los ojos llenos de lágrimas. Se volvió y desapareció.
Lui parti, j’ai retrouvé le calme. J’étais épuisé et je me suis jeté sur ma couchette. Je crois que j’ai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient jusqu’à moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes. La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée. À ce moment, et à la limite de la nuit, des sirènes ont hurlé. Elles annonçaient des départs pour un monde qui maintenant m’était à jamais indifférent. Pour la première fois depuis bien longtemps, j’ai pensé à maman. Il m’a semblé que je comprenais pourquoi à la fin d’une vie elle avait pris un « fiancé », pourquoi elle avait joué à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet asile où des vies s’éteignaient, le soir était comme une trêve mélancolique. Si près de la mort, maman devait s’y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n’avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m’avait purgé du mal, vidé d’espoir, devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu’il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent avec des cris de haine.

FIN

En cuanto salió, recuperé la calma. Me sentía agotado y me arrojé sobre el camastro. Creo que dormí porque me desperté con las estrellas sobre el rostro. Los ruidos del campo subían hasta mí. Olores a noche, a tierra y a sal me refrescaban las sienes. La maravillosa paz de este verano adormecido penetraba en mí como una marea. En ese momento y en el límite de la noche, aullaron las sirenas. Anunciaban partidas hacia un mundo que ahora me era para siempre indiferente. Por primera vez desde hacía mucho tiempo pensé en mamá. Me pareció que comprendía por qué, al final de su vida, había tenido un «novio», por qué había jugado a comenzar otra vez. Allá, allá también, en torno de ese asilo en el que las vidas se extinguían, la noche era como una tregua melancólica. Tan cerca de la muerte, mamá debía de sentirse allí liberada y pronta para revivir todo. Nadie, nadie tenía derecho de llorar por ella. Y yo también me sentía pronto a revivir todo. Como si esta tremenda cólera me hubiese purgado del mal, vaciado de esperanza, delante de esta noche cargada de presagios y de estrellas, me abría por primera vez a la tierna indiferencia del mundo. Al encontrarlo tan semejante a mí, tan fraternal, en fin, comprendía que había sido feliz y que lo era todavía. Para que todo sea consumado, para que me sienta menos solo, me quedaba esperar que el día de mi ejecución haya muchos espectadores y que me reciban con gritos de odio.

FIN